Salut tout le monde ! Je tiens à tous vous remercier pour vos commentaires, c'est vraiment motivant de savoir que mon texte vous plaît. Je trouve ça valorisant que de savoir que vous trouvez mon style plus mature.
Aujourd'hui, je vous propose un nouveau texte d'à peu près 3000 mots. C'était un devoir que je devais rendre pendant ces vacances, la consigne étant (dans les grosses lignes) de raconter le souvenir d'un personnage via un objet ou une photographie. On devait aussi un commentaire sur notre propre écrit mais je ne le mets tout de suite, j'aimerais savoir votre avis avant. ^^
Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture !
INFERNAL HEAVEN
La vie, c'est con comme concept, hein... Un jour, on peut se mettre à courir partout et crever le lendemain comme un rat mort dans une bouche d'égout. Le pire c'est que la plupart du temps, on voit jamais sa propre fin. Jamais !
Il soupire et lève les yeux vers le plafond, la faible lueur de l'ampoule donnant un aspect encore plus blafard à l'appartement, déjà miteux. Tss... Il n'est pas comme ces idiots qui ne font que danser avec la mort pour finalement retomber dans ses bras une fois la valse terminée ; la mort, lui, il la dépassait. Il la survolait de ses ailes fragiles et éphémères, voulant traverser la falaise avant de s'écraser sur les rochers meurtriers. Il était comme Icare à tendre toujours plus haut vers les cieux, à fuir la cruelle réalité de ce monde pour les paradis artificiels.
Il tâtonne le tiroir à côté de lui pendant plusieurs instants avant de sortir un téléphone et de le déverrouiller. Bordel... Ça faisait combien de temps qu'il se terrait dans ce trou à rat ? Trois mois ? Un an ? Deux ? Il frotta ses yeux rougis et écarta quelques mèches folles, ahuri. Merde ! Ces souvenirs étaient si confus dans sa tête... Il ne se souvenait pratiquement plus de ce qu'il avait fait durant ces dernières années. Il tira un petit sachet de son tiroir et le scruta de ses yeux gorgés de sang. Ouais... Tout ce qui comptait, c'était ça... Cette poudre qui te faisait planer pendant une période indéterminée avant de te détruire complètement. Eh oui, cette poudre était tout ce dont il avait besoin. Et puis, s'il ne souvenait plus de certains épisodes de sa vie, cela veut dire que ce n'était pas si important que cela.
Là, il plane. Amphet'. Crack. Coke. Ice. Pour lui, c'est devenu du pareil au même. Se défoncer le corps et l'esprit, ça ressemblait à une sorte de rituel afin de se prouver qu'il était encore vivant. Car dans la société, il n'était qu'une ombre. Encore une, parmi toutes celles qui erraient et déambulaient dans les ruelles sombres à la recherche d'un idéal utopique, leurs vêtements amples dissimulant tout de leur frêle silhouette. Il faisait partie des sans-visages, les oubliés, les reclus de la société. Ces putains de fantôme du monde dont on s'écartait sans faire attention.
Ça y est! Il décroche de la réalité. Les contours de son appartement lui semblent flous comme l'horizon brumeux surplombant la mer en pleine tempête. Il est comme la vague, lui. Fort. Dangereux. Suicidaire. À chaque mouvement, il se fracassait avec violence contre les rochers destructeurs avant de sombrer dans la mer et de recommencer imitant le ressac des vagues, dans un cycle interminable. C'était tout ce qu'il était, tout ce qu'il représentait. À l'image d'un tsunami, il était celui qui démolissait en emportant dans sa vague destructrice des jeunes Yankees paumés. Se buter en détruisant les autres.
Dans cet état second, inlassablement il ricane, sa phrase fétiche tout aussi étrange que lui au bout de ses lèvres comme une cigarette à la bouche d'un fumeur. « Ouais, s’exclama-t-il en reprenant une dose toxique de son doux poison, faites gaffe à vos marmots, y a une alerte à la vague bleue ! »
Il rit un bon coup, sa voix rauque se répercutant sur les quatre murs au papier rongé par l'humidité. Puis il se calma, les effets de la drogue changeant si subitement l'humeur de son esprit dérangé. Car, ce toxico admettait être un putain de déséquilibré ! Un esprit sain dans un corps sain ? C'était des conneries pour lui ! Y avait qu'à regarder ses muscles puissants dont les veines ressortaient à force d'injections. Il était beau, Jow. Normal, c'était une panthère. Ça se voyait dans ses yeux perçants de félin lorsqu'il vous regardait avec insistance pour ensuite continuer son chemin comme si de rien n'était. L'air sauvage qui émanait de lui, de sa tignasse électrique décolorée jusqu'à sa démarche virile en passant par son attitude rustre accentuait son caractère de bad boy.
Jow était de ces gens qui obtenaient sans rien demander. Après tout, est-ce que c'était sa faute à lui, s'il possédait une imposante carrure ? Le regard, l’opinion des autres, il s'en fichait totalement. De toutes façons, il était bien loin de tous ces faux-semblants, arborant des masques dans la société. C'étaient juste des attributs superficiels dont s'était affublé l'homme pour se sentir moins vide, croyant ainsi oublier sa condition humaine. Pourtant il avait beau se sentir au-dessus de ces conneries et de ces vanités, il ressentait néanmoins un trou à la poitrine tant le vide était insistant.
Cette sensation le quitta aussi vite qu'elle était venue. Ce n'était pas sa réalité, c'était celle des autres. Sa réalité, c'était ces foutus paradis artificiels qui le détruisaient tout en l'emmenant au septième ciel croyant ainsi combler cet abime qu’il tentait de fuir. Il continuait toujours de flotter et fuma un nouveau joint en basculant la tête sur le dossier de son canapé au cuir dégueulasse. Ça y est, la vague s'abat dangereusement une nouvelle fois sur la roche escarpée. Le cycle éternel et infâme recommence et il sent ses ailes fragiles le pousser toujours plus haut, toujours plus loin.
Dans son délire, aussi bariolé que des motifs psychédéliques ornant une baraque hippie, les formes de son appartement se déformaient pour ne dessiner que des lignes brisées qui se rejoignaient en spirales. L’homme, plissant ses yeux injectés de sang, fut pris une nouvelle fois d’un rire qui résonna jusqu’au fond de sa gorge. Les formes se mouvaient dans un tourbillon incessant qui lui donnait le tournis comme s’il avait trop longtemps tourné sur lui-même et ses yeux, fous, semblaient brûler sous les couleurs criardes. Il cligna des yeux plusieurs fois puis sombra. Les ailes fragiles venaient de se faire fracasser par le vent et il virevoltait tel un insecte grillé par une lampe encore brûlante, chutant lamentablement.
Il dégringola alors de son fauteuil bas de gamme, se fracassant au sol. En tombant, il avait entrainé avec lui une bouteille en verre. Le liquide se répandit alors sur la moquette, s’incrustant dans le tissu gris bon marché. À l’odeur forte qui lui emplissait les narines autant que ces merdes roulées, il aurait parié que c’était du Whisky. Son regard bleu perverti de rouge se dirigea vers les débris de la bouteille transparente qui avait roulé sous son canapé. Sur les restes, une grande étiquette noire qui, quelques minutes plus tôt, couvrait les trois quart du verre. La marque était écrite dessus en grosses lettres capitales blanches dont certaines étaient devenus floues après avoir été trempé dans l’alcool. Merde ! C’était du Jack Daniel, son alcool préféré. Il en aimait autant le goût fort que la couleur ambre si proche des yeux d’un grand fauve. Encore shooté, l’homme mit quelques instants avant de réaliser que des débris avaient transpercé la peau de ses mains aux veines bleues apparentes à force d’être piquées. Battant des cils, il les contempla d’un air hagard comme si ces mains étaient celles d’un autre avant de jurer « Bon Dieu ! ». Il tendit ensuite son bras musclé sous les pieds de son canapé afin de déloger l’épave transparente de son vaisseau artificiel, son précieux Jack Daniels. Soudain, ses doigts heurtèrent quelque chose de froid, comme du métal. Intrigué, il attrapa l’objet avant de l’extirper de sa cachette. C’était une simple boîte en acier dont les arêtes brunes avaient été rongées par la rouille. Le loquet doré sur l’avant de la boîte étant ouvert, il l’ouvrit sous la volute de fumées que souleva son joint.
Ses yeux rougis s’écarquillèrent à la vue de l’objet qu’il saisit. Un semi-automatique ? Bordel, mais que foutait un flingue planqué sous son meuble ? Jow prit l’arme en main et l’inspecta quelques instants. À vue d’œil, ça devait être un Colt M1911, un pistolet de facture américaine. Ça avait beau être un gun pas dégueu, la question était comment s’était-il retrouvé avec une arme pareille ? Il était toxico, pas membre de gang. Tout ce dont il avait besoin, c’était des billets pour acheter sa drogue. Pas d’armes pour protéger sa planque et braquer pour obtenir sa marchandise. L’homme passa une main sur ses mèches teintes et resserra sa prise sur l’arme à feu avec l’autre. Quatre doigts empoignèrent la crosse tel un étau tandis que son index s’enroulait autour de la gâchette. Ce Colt. Il lui disait quelque chose. Il l’avait déjà vu, c’était certain. Mais où ? Le drogué tenta de fouiller dans sa mémoire, rendue confuse par toutes les substances qu’il prenait.
Quand ? Quand ? Quand ? Quand ? Quand ? Jow paniqua et retourna l’arme sous toutes ses coutures à la recherche d’une moindre trace. Son regard de drogué balaya la pièce de ses yeux fous jusqu’à ce que ses yeux se posent sur le holster en cuir au fond de la boîte d’où il avait sorti l’arme. Les bretelles de cuir gratté par l’usure auxquelles pendait la pochette dans laquelle le pistolet était censé reposer trainaient paresseusement au fond de la boîte. Sur le bord cousu du holster, des initiales gravées à même sur le cuir de vache. On pouvait déchiffrer distinctement quatre lettres capitales séparées par des points grossiers que l’on avait sûrement gravés à l’aide de gros clou qu’on trouvait en quincaillerie. J.J.S.R, lut le jeune junkie avant de se laisser choir, ses fesses heurtant de nouveau le sol jonché de rouleaux en plastique qui servaient à sniffer des lignes entières de poudre blanchâtre. Ce Colt, il le reconnaissait. C’était celui de son père, un ancien représentant des forces, Jow J. SR.
Le jeune homme prit fébrilement le holster dans sa main libre. Une photographie s’en décrocha, se suspendant dans les airs avant de retomber doucement sur la moquette grise. C’était une petite pellicule, noire et blanche, dont le bord droit avait été grignoté par le temps. Sur le papier glacé, deux figures humaines. Il y avait là, au centre de l’image, un jeune garçon dont le maillot large avait été gonflé par des épaulières en plastique semi-rigide. Un casque beaucoup trop grand pour lui flottait sur sa tête d’enfant, l’immense grille dissimulant son visage hormis ses grands yeux. Il tenait un ballon ovale au cuir de porc raccordé par des épais fils ivoire. Ce gamin au ballon de foot… Était-ce lui ? De quand datait cette photo ? Cinq ans ? Dix ? Quinze ? Quel âge avait-il quand cette photographie fut prise ? Quel âge avait-t-il maintenant d’ailleurs ? Plus de vingt ans ? Moins de trente ? Vingt-cinq ? Quand avait-il fêté son dernier anniversaire déjà ? Des mois ? Des années peut-être ? Ou des jours ? Les souvenirs tourbillonnaient dans sa tête comme la fumée grisâtre environnante et Jow tentait de se souvenir désespérément. Une équipe de foot. Oui, c’était ça l’équipe de football de son quartier de jeunesse. Ou d’adolescence ? Il ne savait plus trop. L’important était qu’il se souvenait du temps qu’il jouait au club de son district, avec d’autres jeunes. Les autres, il ignorait ceux qu’ils étaient devenus. Peut-être avaient-ils fini comme lui ou avaient-ils échappé à l’enfer de la rue, qui sait. La personne avec laquelle il avait gardé contact était son dealer, un ami d’enfance. S’il se souvenait bien, lui aussi jouait dans cette équipe de foot. En tant qu’attaquant, oui c’était ça, il était quater-back.
Ses yeux se promenèrent sur la date inscrite sur le recoin inférieure de l’image. 2005 ? Cette année-là, un championnat s’était déroulé à la YFL, la Young Football League. L’équipe dans laquelle il jouait comme défenseur, les Racers, avait remporté l’immense coupe aux reliures dorées. Une opportunité pour ce Roster qui avait pu assoir sa notoriété dans l’État.
Jow serra la photographie dans sa main, la froissant légèrement. Il s’en souvenait désormais. Il avait succombé à la rue et avait sacrifié une brillante carrière pour un peu d’herbe et des chaussures dernier cri. Il lâcha le Colt et se prit la tête dans ses mains, chiffonnant encore plus la photographie qui était restée dans sa main. Par envie de faire fortune dans la facilité, il avait tout foutu en l’air. Et maintenant, il s’était engouffré dans ces paradis artificiels qui dissimulaient des enfers brumeux aux couleurs chatoyantes.
Pouvait-il se défaire de ces bras de fumée à l’odeur si envoûtante qui l’avaient si longtemps emprisonné ? Son dos se cala contre le flanc du canapé en cuir. Il n’allait plus être comme ces crevards qui mouraient sans voir leur propre fin. Il allait surpasser Icare et ses fragiles ailes de cire qui ont succombé à la chaleur écrasante du Soleil. Ces ailes à lui, il les forgera à l’aide sa rage de vaincre. Terriblement fort dans ses mirages, affreusement effacé dans la réalité ; il ne serait plus de ces fantômes qui se cachent sous les ponts. Bien-sûr, il restera un de ces sans-visages dont les formes étaient dissimulées par de sombres survêtements amples mais il ne rasera plus les murs dans l’obscurité. Il arpentera les grandes villes telle une panthère, ses yeux dissimulés sous l’ombre de sa capuche, et se montrera visible à ceux qui peuvent voir les zombies, les oubliés de cette vie-là mais graciés dans l’autre.
Et il voltigera toujours plus haut, s’échappant loin de tout. Il ira loin de cet Éden factice, loin de cette jungle qu’est la rue. Il se relèvera, comme la vague bleue qu’il était. Et il s’en sortira. Il ne sera pas comme son feu père ou ses gens qui ont réussi mais il s’en sortira. Ah oui, c’est sûr et certain. Et il vaincra.