Je trouve ça un peu dommage qu'à chaque fois qu'on parle d'écriture inclusive, ça s'arrête très souvent à « c'est laid » ou « c'est compliqué ».
Une langue n'est pas faite pour être belle, c'est aux poètes de trouver comment faire de belles choses avec. Je pense que beaucoup de monde aussi était en train de hurler sur ognon et nénufar alors que bon, si c'est à ces quelques lettres qu'en tient la beauté de la langue française, elle est bien fragile.
C'est normal qu'une langue qu'on apprend (que ce soit depuis un jeune âge ou non) ne sera pas modifiée du jour au lendemain sous prétexte que des académiciens fassent passer une réforme ou parce que des militant.e.s font une suggestion. C'est quelque chose de beaucoup plus complexe que ça. Mais en réalité, l'écriture inclusive ne demande pas d'apprendre de nouvelles choses, elle est donc bien moins complexe que si un nouvel accord neutre avait été créé, elle est beaucoup plus rapide à prendre en main, et elle vise seulement à revaloriser la place du féminin dans notre langue. Donc c'est simplement une question d'habitude à prendre.
Bon, je ne vais pas aller par quatre chemins : j'utilise l'écriture inclusive. Parce que le principe de regrouper les deux genres quand je m'exprime à un groupe ou pour le désigner me plait beaucoup, plutôt que de me plier au fatidique « le masculin l'emporte sur le féminin ».
Bien sûr que repenser la langue française pour y ajouter un genre neutre serait une très bonne réflexion et ce serait d'autant plus inclusif (je suis à peu près certain d'avoir déjà émis cette suggestion il y a moult pages plus haut sur ce topic). Mais je me demande sincèrement comment ouvrir une telle discussion en société, alors qu'on peine à utiliser les versions féminines de certaines professions, et que beaucoup réagiraient en se demandant à qui pourrait bien servir un tel pronom.
L'écriture inclusive est donc une première pierre à poser pour vraiment parler d'une façon à désigner un groupe ou un individu de façon non genrée. Quoi qu'on puisse dire sur le fait que le point médian ferait une distinction (comme l'a dit Bil, il est accessoire dans certains cas, comme pour iel, toustes, etc.), il permet surtout de faire apparaître le féminin aux côtés du masculin, là où l'idée que « masculin = neutre » est une idée qui renvoie aussi au fait que selon la société, « la féminité est à part ». On pourrait porter la réflexion très loin au niveau sociologique, comme sur les représentations de l'androgynie, la mode unisexe (qui est en fait... de la mode de femme avec des coupes masculines), etc. Mais c'est une digression.
Certain.e.s individu.e.s intersexes et non-binaires revendiquent également l'écriture inclusive comme un moyen de mieux s'exprimer en parlant d'elleux-même. La société commence à accorder une place à celleux qui ne rentrent pas dans les deux cases genrées, et pourtant, pas moyen de se désigner soi-même quand on est coincé entre le masculin et le féminin. L'écriture inclusive propose une solution. Je ne dirai jamais que c'est la meilleure solution, ou que tout locuteur.rice du français devrait s'y plier, mais reste qu'il s'agit d'une solution. (Et si vous pensez que les non-binaires et intersexes n'ont qu'à utiliser le masculin, ou à choisir, bah... va falloir revenir sur ce concept pendant votre temps libre)
Une langue est vouée à évoluer, et l'écriture inclusive n'est qu'une suggestion probablement vouée à évoluer elle-même.
Je comprends qu'on ne se sente pas touché.e par la question quand on n'a jamais ressenti le besoin de s'écarter des façons dont les autres nous désignaient, que ce soit en acceptant un nom de métier au masculin en étant une femme, ou tout simplement en ayant déjà à sa disposition des pronoms pour parler de soi. Mais ce n'est pas le cas de tout le monde, et tant mieux si on a aujourd'hui quelque chose à proposer face à ça.
Concernant la place du féminisme dans l'écriture inclusive, elle est indéniable. Mais je pense qu'il est bon de reconnaître qu'il n'existe pas qu'une seule forme de féminisme, et surtout que ce n'est pas une cause vouée à lutter sur un seul front à la fois. Si l'écriture française est à discuter sur le point de son sexisme, il y a X autres facettes de la société qui le sont tout autant. Et on peut également en discuter. Il ne faut pas se laisser aveugler par les médias qui s'amusent à cracher sur l'écriture inclusive à chaque coin de page pour penser qu'il n'y a pas en ce moment même des militant.e.s pour lutter contre l'inégalité salariale, le harcèlement de rue, le prix des serviettes hygiéniques/tampons, etc. Donc non, l'écriture inclusive ne fait pas « perdre du temps » à la lutte. Les médias, par contre, en revisitant les fables de La Fontaine pour mettre de l'inclusif où il n'y a pas lieu d'en mettre, brassent un vide monstrueux.
Comme l'ont déjà fait remarquer certains, on ne trouve pas toujours un consensus concernant quelle forme utiliser pour les noms de profession au féminin, et c'est comme ça : on ne trouvera pas toujours de consensus aux mouvements féministes. Parfois certain.e.s militant.e.s se contredisent au sein même du mouvement. On peut l'observer ici par exemple : Haine et Bil se revendiquent toutes les deux féministes, et pourtant elles s'opposent sur ce débat. Est-ce que ça veut dire que le débat est stérile ? Je ne pense pas, bien au contraire.