Bon, après le bide de la dernière suite de Monarque je reviens sur le Triangle.
Je pense terminer la première partie de Triangle de Haine avant de repartir sur du Monarque. Ouais, je suis un mec comme ça. 
Chapitre III donc. Bonne lecture... B)
III
-Mikau-
Mikau poussa un juron admiratif quand, grâce à la magie de dame Laruto, la beauté de Feena Hurlebataille ressurgit de dessous la peau boursouflée et rêche comme du vieux cuir. L’épiderme retrouvait un aspect satiné et le chevalier put sentir sa douceur de bébé puisqu’il tenait l’une des mains de la guerrière dans ses paumes. Le Zora nota que la cicatrice de Feena avait disparu sous l’effet du sort ; et son absence de cheveux et de sourcils lui donnaient un air étrange.
La magicienne se releva en poussant un soupir d’épuisement. Elle vacilla sur ses jambes et ser Roy se porta immédiatement à son secours en la prenant dans ses bras. Mikau ne put s’empêcher de noter le regard éloquent qu’ils échangèrent brièvement.
-C’est tout ce que je peux faire, déclara Laruto d’une voix enrouée après quelques secondes de repos.
-C’est proprement fabuleux, commenta le Sheikah en caressant le visage endormi du dos de sa main. Elle va s’en sortir?
-J’ai guéri son corps, mais son esprit est toujours blessé, piégé dans une magie des plus noires.
-N’y a-t-il donc rien à faire?
Mikau jeta un regard triste à la guerrière. C’était de sa faute si elle était dans cet état. Il ne pouvait s’empêcher de s’en vouloir.
-Elle doit remporter ce combat d’elle-même, Mikau, répondit la magicienne en posa une main familière et encourageante sur son épaule. Mais nous pouvons peut-être l’aider.
-Parle, Laruto! Quoi qu’il te faille, je te l’apporterai dans l’heure, sur mon honneur!
La thaumaturge ne put s’empêche de pousser un petit rire devant l’empressement du chevalier.
-Je n’ai besoin de rien. Je peux envoyer l’esprit de l’un de vous dans le sien. Mais je dois vous mettre en garde, cela risque d’être extrêmement périlleux. Nous ne savons rien de ce qui s’y passe, et encore une fois, la magie qui a été déployée contre elle est très, très puissante. Vous pourriez y rester coincés, ou pire, mourir.
Mikau déglutit bruyamment. Il échangea un regard avec ser Roy, et voyant que ce dernier allait se proposer, il le coupa.
-Je vais le faire. C’est… C’est à cause de moi si elle en est là. C’est mon erreur, je dois la réparer.
-Vous ne pouviez pas savoir que…, tenta Sanks.
-Non. J’insiste : j’irai. Je suis moins important que vous, ser. Vous avez une guerre à mener.
-Et vous une Couronne à protéger dans ses heures les plus sombres.
Le Zora grimaça devant la pertinence de l’argument, mais il balaya d’un revers de la main.
-Nous n’avons pas le temps de nous disputer à ce sujet. J’irai, et il n’y a rien à ajouter.
-Fort bien, capitula le borgne en s’asseyant sur le lit où il avait passé son coma.
-Je ne peux pas vous prodiguer beaucoup de conseil, reprit la magicienne avec un petit sourire contrit. Car je ne sais pas ce que vous allez affronter. Gardez en mémoire que seul votre esprit voyagera. Utilisez le à bon escient, et ramenez nous dame Feena en un seul morceau.
-J’essaierai. Maintenant, qu’on en finisse.
Peu rassuré, le chevalier regarda Laruto avec nervosité quand elle appliqua sa paume sur son front et ferma les yeux. Elle psalmodia quelques paroles occultes, et soudain il eut la sensation terrible que le sol se dérobait sous lui, le plongeant dans des abysses de ténèbres infinies. Il poussa un cri qui se perdit dans la nébuleuse. Sa chute devenait de plus en plus rapide, il voyait au loin le scintillement d’étranges étoiles rouges, bleues ou blanches. Des lueurs clignotaient autours de lui, puis tout disparut lorsqu’il heurta avec rudesse un sol. Le souffle coupé, il toussa pour se défaire de la poussière qui était entrée dans sa bouche, et roula sur le dos en gémissant. Au dessus de lui, il n’y avait que le noir. Impénétrable, horrible.
Le chevalier se remit debout, rassuré de voir que son épée battait toujours son flanc. Mais quelque chose n’allait pas. Malgré l’absence évidente de source lumineuse, il n’avait aucune difficulté à voir l’étroite corniche de terre brune sur laquelle il se trouvait, flanquée à gauche et à droite d’un précipice sans fin. Levant la main devant son visage, il constata que des bandes d’ombres évoluaient lascivement à la surface de sa peau nue. Paniqué, il essaya de s’en défaire, mais sans succès. Il attendit nerveusement pendant quelques minutes, mais comme rien ne se passait, il en déduisit que ce devait être un effet du « monde de l’esprit ».
Essayant de ne plus y penser, il se concentra sur son environnement, une main sur le pommeau de son arme. La corniche continuait aussi loin que portait son regard devant et derrière lui, disparaissant dans les ténèbres. Mais sur le côté qui lui faisait face, il avait l’impression de voir le halo extrêmement ténu d’une lueur dorée, très loin. Il se mit en marche, et bientôt ses pas se transformèrent en foulées qui se transformèrent à leur tour en course effrénée. Il avait le sentiment oppressant d’une présence, quelque part, qui l’observait et le suivait. Pourtant, chaque fois qu’il jetait un regard derrière lui, il ne voyait que la mince bande de terre brune. Affreusement sans fin.
La lueur se fit de plus en plus forte à mesure qu’il avalait les mètres, sans aucun effort. Au bout d’un moment, il se rendit compte que la lumière provenait de Feena. La guerrière marchait devant lui sur le rebord de la corniche, les bras tendues en T comme une équilibriste. Elle tanguait, et sa démarche n’avait rien à voir avec l’assurance des acrobates. Elle donnait l’impression de pouvoir basculer à tout moment, et instinctivement Mikau comprit que si cela devait arriver, il la perdrait, pour toujours.
Elle était vêtue d’une courte armure à jupette faite d’une sorte d’or orangé, et qui produisait la lumière. Cette lumière ne parvenait cependant pas à éclairer quoique ce fut au-delà du périmètre de la corniche. Mikau s’apprêta à l’appeler, mais il se retint lorsqu’il vit, sans comprendre, la Lame Purificatrice qui battait le flanc de la guerrière. Il savait que tout ceci n’était pas réel, n’était qu’un monde imaginaire fait des rêves et des pensées de Feena. Mais pourtant. Voir l’arme sacrée ici et de cette manière l’ébranla.
-Dame Feena, cria-t-il.
L’interpellée stoppa sa progression et, lentement, se retourna en prenant des précautions infinies.
-Qui est-là?, répondit-elle en plissant les yeux.
-C’est moi. Mikau. Mikau Zora?
-Mikau? Par vos satanées Déesses, que faites-vous ici? Cela fait une éternité que j’erre sur ce foutu chemin, et je n’avais encore rencontré âme qui vive.
-C’est…. Et bien… C’est compliqué. Je vous expliquerai tout, c’est une promesse, mais il faut d’abord que nous sortions d’ici, si vous le voulez bien.
-Où sommes nous? Et… Que vous arrive-t-il?
-Comment cela? Je ne comprends pas.
-Regardez vos mains
Mikau s’exécuta, pour constater avec effroi que les ombres qui le recouvraient gagnaient en intensité, lui faisant comme une seconde peau. Il sentit sa peur croître dans son cœur, gonfler, devenir tangible et jaillir de lui.
-Mikau! Mikau ne partez pas! Revenez! Mikau!, criait Feena, quelque part, loin.
Mais le chevalier ne l’entendait pas. Ses yeux agrandis par l’angoisse et la terreur contemplaient fixement une porte, terriblement familière. Il se trouvait dans un couloir à l’atmosphère si froide et suintante que même les innombrables torches fixées dans les appliques murales ne parvenaient à réchauffer les pierres humides.
Comme dans un rêve, ou plutôt comme dans un cauchemar, il vit son poing s’élever dans les airs, hors de son contrôle, et frapper deux fois au battant.
-Oui?, demanda une voix grave depuis l’autre côté. Qui est-ce?
-C’est moi, mon seigneur. Mikau, s’entendit-il répondre avec une voix qui ne lui appartenait pas.
-Ha. Entre.
C’était une pièce relativement modeste. Guère plus qu’une étude. Un vaste bureau en occupait la majeure partie, et des étagères pleines de livres s’étalaient sur les murs. Seule une unique fenêtre permettait d’amener la lumière en journée, mais pour l’heure il n’y avait qu’une bougie allumée, laissant le bureau dans une pénombre épaisse.
Lord Hamon, Zora par alliance, était penché au dessus d’une large carte de la région, fourrageant dans sa foisonnante barbe d’une main distraite. Un pli soucieux barrait son front autoritaire et ses moustaches soignées frissonnaient sous l’effet d’un agacement croissant.
-Qu’est-ce qui peut bien t’amener ici à une heure aussi tardive, Mikau?, questionna-t-il sans même accorder un regard à son interlocuteur. Peut-être as-tu enfin trouvé une solution pour endiguer ces raids incessants sur nos villages? Quel dommage que ce soi-disant « Héros » n’ait pas encore daigné amener ses barbares dans nos parages ; ils nous seraient bien utiles pour exterminer leurs congénères riverains.
Mikau ne savait que trop bien ce qui allait suivre. Il voulait fermer les yeux, partir, crier, mais il était tétanisé, impuissant à arrêter l’inéluctable.
-Non, mon seigneur. Je n’ai pas encore trouvé de solution ; s’il y en a une. Quoiqu’il en soit, ce n’est pas pour parler de ça que je suis venu vous voir.
-Tiens donc?
Hamon se redressa pour toiser son capitaine de la garde.
-Puis-je savoir de quoi il retourne, dans ce cas?
Mikau prit une profonde inspiration en serrant le poing. Il sentait sa colère d’alors ressurgir doucement en lui, pendant qu’il faisait ainsi face à son beau-frère et seigneur.
-Ma sœur, grinça-t-il.
-Et bien quoi, votre sœur? Abrégez, Mikau. J’ai des responsabilités, moi.
-Vous l’avez encore frappée.
Hamon éclata de rire, son embonpoint rebondissant en tressautant.
-Bien sûr que je l’ai frappée. Cette greluche idiote m’exaspère. Je l’ai frappée, et je la frapperai encore à l’avenir, car j’en ai tous les droits. Elle est ma femme, et donc ma possession légale, avant d’être votre sœur,
chevalier. Mikau serra si fort le poing que ses ongles mal coupés firent couler un peu de sang dans ses paumes.
-Osez porter encore une fois la main sur elle, et je jure que…
-Que quoi?, le coupa vertement Hamon en retrouvant tout son sérieux et sa gravité. Essayez ne serait-ce que d’élever le petit doigt sur moi, et je vous ferais flageller en place publique avant de m’emparer de votre tête pour décorer la cheminée de la Grande salle. Vous ne m’êtes rien Mikau. Guère plus qu’un chien qui a tendance à aboyer un peu trop fort. Votre sœur m’appartient, votre terre ancestrale m’appartient. Vous n’êtes qu’un indésirable nuisible que je garde pour que votre idiote de sœur me laisse la paix et cesse de gémir. Retournez chialer dans les bras de votre catin muette dégénérée, et songez à rester hors de ma vue le plus longtemps possible. C’est dans votre intérêt. Maintenant, sortez, ou par les Trois je jure que je vous fais jeter au cachot.
Le cœur dévoré par la rage, tremblant de haine, la vision aveuglée par des éclairs incandescents, Mikau se détourna et marcha d’un pas raide vers la porte… qu’il ne franchit pas, mais qu’il repoussa sans un bruit. Lorsqu’il fit de nouveau face au seigneur Zora, ce dernier s’était de nouveau intéressé à l’étude de sa carte.
Le chevalier franchit la distance qui les séparait en deux pas énergique. Puis, tirant sa dague de ceinture, il en planta l’extrémité avec une force décuplée par la rage dans le dos de son seigneur souverain. Il asséna un deuxième coup, puis un troisième, et un quatrième, sourd aux cris d’agonie de sa victime et insensible au sang qui l’éclaboussait.
-Vous parlez trop Hamon. Trop pour
votre intérêt. Vous avez osé frapper ma sœur, vous avez osé dénigrer ma femme. Vous allez me le payer, je vais vous le rendre au centuple! Vous m’entendez?!
Mikau se mit à tourner sa lame dans une plaie, partagé entre un sentiment croissant d’exaltation et celui, plus ténu, d’une horreur grandissante.
-A moi! La Garde! On m’assassine, essaya de crier Hamon.
-Silence, porc! Ma famille n’a plus besoin de vous. Mais ne vous inquiétez pas, je saurai diriger ma
terre ancestrale, et bien mieux que vous n’auriez jamais pu espérer le faire.
Le chevalier, succombant à une hystérie sanglante, frappa encore une fois, puis deux, jusqu’à ce que le corps chaud et poisseux de sang se changeât tout à fait en cadavre moite qui glissa lentement jusqu’à terre. Alors le Mikau du passé resta debout, interdit, frappé de stupeur en réalisant la portée de son acte, les conséquences que cela impliquait, et la jubilation qu’il avait ressenti à assassiner Hamon ; tandis que le Mikau du présent, piégé dans cet écho de son plus noir souvenir, souffrait mille morts de la réminiscence violente de ce fragment de son histoire.
Il en était là, indécis quant à la marche à suivre, lorsque il entendit des pas dans le couloir.
-Père?, appela la voix ensommeillée de Lars, dont la tête commençait à apparaître dans l’encadrement de la porte. J’ai entendu du bruit, et je me demandais si…
Pris de panique, Mikau s’élança à travers la pièce et se jeta, tête la première, contre la fenêtre, faisant éclater le verre sous l’impact. Le froid le cueillit avec rudesse, et il n’osa crier tandis que sa chute toujours plus rapide lui faisait frôler les dures falaises de Château-L’Hylia, toujours plus vite, le précipitant vers une mort certaine dans les eaux glaciales et d’un noir absolu qui clapotaient là en bas.
Le lac referma sur lui son étreinte avec une rage et une violence qui n’avaient pas à rougir de celles qu’il avait éprouvées quelques minutes plus tôt. Le froid intense se propagea presque instantanément à travers ses os, l’engourdissant. Il sentit sa dague lui échapper, sombrant dans les abysses, emportant la seule preuve de son crime, de son parjure. Mikau ferma les yeux, laissant la mort glacée l’emporter. Il entendit un rire dans le lointain, déformé par les eaux du lac. Il laissa sa conscience s’éteindre petit à petit, le délivrant de ses souvenirs et de sa honte…
Quand soudain une main frénétique le saisit, qu’une agitation dérangeait l’onde noir à son côté. Il fut remonter à la surface, où il cracha de l’eau en reprenant subitement conscience. Il n’était plus sur l’Hylia, mais ailleurs, dans cet endroit horrible qui git quelque part entre les dimensions, cet anti-chambre du cosmos infini où la réalité se fond avec le rêve.
Les eaux ténébreuses se mélangeaient avec un ciel plus noir que le noir, où nulle étoile n’osait briller, de crainte d’éclairer ce que se tapissait ici, à la périphérie de la vision, ces formes inquiétantes et menaçantes qui évoluaient sous l’eau, frôlant Mikau. Mais il y avait autre chose ; une chose bien plus terrible.
Et tandis que le rire éclatait à nouveau dans les ténèbres, moqueur, les yeux fatigués du chevalier crurent distinguer les escarpements aigus et cruels d’une montagne de noirceur tapie dans les recoins du ciel. La masse
bougea. Et c’était une montagne en marche ; une montagne à face de porc. C’était un être issu de l’espace et des étoiles, venu de par delà les âges pour amener la ruine dans le royaume des Hommes.
Et pendant qu’un cri d’agonie infinie jaillissait de la gorge de Mikau, accompagné de larmes glaçantes, l’Être s’ébroua, monolithique. Une main qui aurait pu contenir une constellation dans sa seule paume se tendit, avec l’inexorable force du Temps lui-même, vers le chevalier.
-Ne le regardez pas!, criait quelqu’un, une voix qu‘il connaissait. Ne le regardez pas! Restez avec moi chevalier, détournez vous, écoutez ma voix. N’abandonnez pas! Tant que vous résisterez, il ne pourra pas vous atteindre! Alors de grâce, pour notre salut, luttez!
Mikau ferma les yeux un bref instant, et quand il les rouvrit il flottait dans une nébuleuse étoilée. Un escalier d’une hauteur vertigineuse grimpait vers les nuées devant lui, et il l’emprunta. Il marcha longtemps, l’esprit vide et le cœur en paix. Lorsqu’il grimpa l’ultime degré, il se retrouva devant deux portes.
Celle de droite ouvrait sur un chemin pavé bien droit sur lequel on avait déroulé un tapis rouge. Au bout de l’allée, il se voyait lui-même sur le trône d’Hyrule, la couronne sur le chef. Il irradiait le pouvoir, et il vit des dizaines de personnes autour de lui, l’adorant, l’aimant, exécutant toutes ses volontés. Mikau comprit que s’il empruntait ce chemin, il aurait enfin droit à ce qu’il
méritait depuis tant de temps. Pourquoi devrait-il servir, alors qu’il était taillé pour diriger? Pourquoi devrait-il exécuter les basses-œuvres, alors qu’il avait le potentiel et l’intelligence pour donner les ordres?
La porte de gauche avait un aspect pitoyable, tenant à peine sur ses gonds rouillés. Elle s’ouvrait quant à elle sur un chemin sinueux et rongé par les ronces. Au bout cette allée-là, il y avait des ombres. L’ombre des grands hommes qu’il devait servir. L’ombre des hommes dont il devait fonder la légende, au détriment de la sienne. Un œil éploré avait été gravé sur le linteau de cette porte, et il semblait regarder Mikau avec un air de défi. Mikau comprit que s’il empruntait cette voie, il serait condamné à jamais à servir, à faire les besognes d’autres, à rester en retrait et devenir un laquais.
Ce n’était pas digne de lui. Sans une hésitation, il se dirigea vers la droite. Mais alors qu’il s’apprêtait à franchir le seuil, il trébucha sur un petit objet. Intrigué, il se pencha pour le ramasser. C’était une dague. Une dague couverte de sang frais. Mikau poussa un cri et la lâcha précipitamment lorsqu’il reconnut l’arme avec laquelle il avait sauvagement assassiné son seigneur. Relevant les yeux, il constata que son double couronné l’observait avec un sourire malsain. Des ombres épaisses rampaient sur sa peau, comme des vers répugnants, et les hommes et les femmes qui se courbaient devant lui en signe de soumissions avaient l’apparence de cadavres damnés.
Mikau recula d’un pas. Quelle folie avait bien pu l’habiter, qu’il ait pu croire un instant pouvoir prétendre à quoi que ce soit? Il n’était qu’un vulgaire assassin. Non, pire, un parjure. Il était la honte de sa famille, un criminel qui ne méritait rien d’autre que le billot. Il n’avait aucun droit à prétendre gouverner le Royaume. Il ne pouvait que le servir, mettre pleinement sa vie à protéger le roi et le peuple, pour se racheter.
Déterminé, Mikau franchit la porte de gauche sans un regard en arrière, sans un regret. Il s’était forgé son propre destin. Il était enfin venu le temps de l’assumer.
-Ser?
Une main le secouait doucement. Mikau ouvrit les yeux, l’esprit embrumé. C’était Roy Sanks qui se tenait penché vers lui, le front barré d’un pli soucieuse.
-Ser? Vous m’entendez?
-Oui, oui. Que se passet-il?
-Vous vous êtes évanoui, pour une bonne minute au moins.
-Evanoui?
Le Zora se frotta les yeux et se redressa, portant un regard groggy autour de lui. D’abord confus, les souvenirs lui revinrent petit à petit. Il reconnaissait la chambre, il reconnaissait la femme qui dormait sur le lit. Quelque chose avait changé chez Feena. Outre l’air apaisé qui avait remplacé ses mimiques de douleur, ses cheveux avaient repoussé comme si des années s’étaient écoulées depuis qu’elle eût été brûlée. Ils s’étendaient sous elle comme une cape chatoyante parée de couleurs rougeoyantes et vives, se déroulant jusqu’au sol par-dessus le lit. Ses sourcils également avaient reparu. Plus longs, plus épais et plus broussailleux. Etrangement, loin de l’enlaidir, ils renforçaient son côté sauvage. Mikau déglutit devant une telle beauté.
-Ai-je… Avons-nous réussi?, demanda-t-il d’une voix encore fébrile.
-Il est encore trop pour le dire, lui répondit dame Laruto avec un sourire tranquille. Mais j’ai bon espoir.
-Bien…
Quelques souvenirs troubles de ses récentes et oniriques aventures revenaient à Mikau, douloureux, troublants, effrayants. Machinalement, il se caressa le flanc droit, où était tatoué l’œil éploré, symbole de son appartenance au Sheikah.
-Quel que chose de ne va pas?
-Non, tout va bien, ser. Je suis encore un peu… confus. Quelle est la suite des opérations?
-Lord Dorf rassemble tous les hommes d’armes qu’il peut trouver. Nous prendrons le Consortium d’assaut au petit matin.
-Parfait. Je n’ai qu’une hâte. J’ai des comptes à régler…
-Moi aussi, annonça Feena qui se réveillait juste alors.
Elle essaya poussivement de se dresser sur ses coudes, mais Mikau la contraignit à se rallonger.
-Madame! C’est une joie de vous revoir parmi nous! Mais vous ne devriez pas forcer comme cela.
-Ser Mikau a raison, madame, renchérit dame Laruto.
-Bah! Je vais bien. Donnez moi quelques minutes, et je serai fin prête à trancher du barbu.
L’entrain de la guerrière arracha un sourire à son assistance.
-Je n’en doute pas un instant.
-Je suis… heureux de vous savoir saine et sauve, Feena, déclara ser Roy.
-Je ne sais pas si j’en suis aussi heureuse en ce qui vous concerne, mais il en tout cas surprenant de vous revoir sain et sauf, Chien. Ces légendes sur votre épée magique ne sont peut-être pas si fondées que ça, après tout.
-Ser Roy est d’une vigueur exceptionnelle, intervint ser Mikau pour tenter de désamorcer une querelle.
-Roy?
-Je vous expliquerai.
-Le Conseil ne va pas tarder à débuter, s’excusa ser Sanks. Je dois prendre congé. Mikau, retrouvez nous lorsque vous vous sentirez prêt.
-Ne m’attendez pas.
Le Sheikah attendit qu’ils soient sortis pour tourner la tête vers Feena et lui décocher un sourire.
-Content de vous revoir parmi nous, moi aussi.
-Et moi donc… soupira la guerrière en fixant le plafond. Je suppose que je dois vous remercier. Vous m’avez sauvé la vie. Deux fois.
-Non, ce n’est pas nécessaire. Je… C’est de ma faute si vous vous êtes retrouvée dans cet état.
-J’en doute.
-De quoi doutez-vous?
-Que ce soit votre faute.
-Et bien si j’avais eu l’intelligence de prévoir cette attaque du Consortium, vous n’auriez pas eu à subir ces…
-Quand bien même, si vous aviez pu prédire cette attaque, cela aurait-il sauvé le Roi? Pouviez-vous prévoir cette trahison?
-Et bien je…
-Je vais vous le dire moi : non, vous ne pouviez pas. Alors cessez de vous tourmenter pour chaque erreur que vous faites. Vous êtes un homme exceptionnel Mikau. Ne vous gâchez pas avec pareille considérations.
Ils s’observèrent dans les yeux pendant une longue minute, sans mot dire.
-Bien. Je suppose que nous nous verrons demain ; au petit matin.
-Au revoir Mikau.
-Au revoir, ma dame.
Mikau sortit de la pièce le cœur à la fois léger et lourd. Allégé par les propos de la guerrière, mais alourdi car il savait que, quelle qu’ait été la monstruosité qui avaient hanté son périple dans l’esprit de Feena, elle se cachait dans les entrailles du Consortium.