Salut on déterre (même si j'ai l'impression d'être tout seul sur ce topic avec l'occasionnel Rictus, c'est la dèche).
Voici mes dernières lectures depuis le post précédent, mes recommandations, mes avis, mes cris. En vrac :
- L'Éloge de la Folie (Érasme) : En fait, mon avis n'a pas changé depuis mon dernier post jusqu'à la fin de ma lecture. Faut rester chaud pour suivre toutes les références (j'avoue que je suis pas resté chaud). C'est amusant mais voilà, on se fait un peu chier en fait.
- Le Chef-d'œuvre inconnu, courte nouvelle de Balzac. Personnages surdramatisés (surtout le maître peintre, oh mon dieu on dirait un film hollywoodien), normal pour du Balzac, avec une chute qui m'a laissé perplexe. Enfin bon, ça fait genre 50 pages, donc j'ai pas eu l'impression de perdre mon temps.
- La Leçon de violon d'E.T.A. Hoffman, qui succédait l'œuvre précédente dans l'édition que j'en ai. Très très court (15 pages de mémoire) avec une chute marrante.
- L'Attrape-cœur, le fameux de J.D. Salinger (lu en VO comme à mon habitude pour la littérature anglophone). Beaucoup de choses à dire, pour le coup.
À l'image de Holden Caulfield, ce héros dans la peau duquel le lecteur s’immisce le temps de quelques pages, c'est un livre très difficile à saisir réellement. Et c'est justement là sa plus grande qualité et son plus grand défaut. Il est difficile d'appréhender un ouvrage que l'on ne peut qu'estimer dénué d'intérêt en lisant ses mots tels qu'ils s'enchaînent, ou d'apprécier un personnage comme Holden, qui paraît aussi peu profond et faux qu'il reproche aux autres de l'être. Et pourtant, si on creuse bien la surface, on a réellement là une œuvre très subtile, dans laquelle le lecteur peut à la fois observer et se retrouver dans le héros. Le parallèle est fascinant, et rien que pour ça, je recommande de donner sa chance à l'Attrape-Cœurs.
Tout le long de ma lecture, j'étais atrocement sceptique. Le style, extrêmement oral, est très peu agréable à lire. L'ouvrage se lit comme on entendrait Holden parler. Mais ici, contrairement à d'autres œuvres ayant une narration orale, comme Huckleberry Finn de Mark Twain, il n'y a pas de réel attrait à cette oralité. Au contraire, il est assez inintéressant de l'écouter divaguer sur sa vie, et de tiquer à chaque fois que reviennent les expressions qui lui sont propres (plus personne ne compte combien de fois reviennent le mot "phony" ou la phrase "that killed me"), les tournures de phrase qui le caractérisent, ou même plus simplement, les répétitions qu'il fait en parlant. Qui plus est, le personnage ne donne pas envie de s'attacher à lui. Il juge tout ce qui l'entoure de façon extrêmement superficielle et hâtive, avec un côté Monsieur-je-sais-tout qui donnerait presque envie de lui coller une claque. Et les péripéties qu'il narre n'ont rien de très palpitant, au contraire. On éprouve très difficilement de l'empathie pour ce que Holden vit. Tout du long, on s'en fout, même.
Et pourtant, là est l'erreur du lecteur : en se laissant bercer sur la surface du livre, c'est à dire son style et son histoire, il ne regarde pas du tout ce qu'il y a à voir. Holden est quelqu'un de brisé, qui fuit désespérément son passage à l'âge adulte alors qu'il est impossible de l'éviter, et qui est tourmenté entre son désir d'exil d'une société qu'il juge invivable et son besoin maladif de contact humain et d'amour. On méprise Holden parce qu'il juge les autres sur des perceptions superficielles, sans jamais chercher à les comprendre, et en les cataloguant hâtivement comme des faux-culs. Et justement, la force du récit, c'est qu'en se sentant si détaché de Holden, on arrive par là à faire exactement la même chose que lui : on ne cherche plus à le comprendre, et on a vite fait de le trouver con et de n'en avoir cure de ses problèmes. En observant Holden en tant que simple spectateur, on s'est finalement retrouvé dans ses souliers. Et la révélation vient au lecteur aussi désespérément que Holden se contemple lui-même sans jamais se remettre en question, en avançant dans sa vie sans se raisonner ou se comprendre. On se retrouve vite pris en position de faiblesse, et une fois le livre clos, on ne peut plus détester ce héros sans se trouver profondément hypocrite.
C'est justement ça que j'ai trouvé comme étant un coup de génie dans ce roman : tout au fil du récit, Holden passe du rôle de juge à celui de victime, et le lecteur se retrouve dans la même position. On sombre avec lui d'une façon à la fois terrifiante et paisible. Aux premières pages, on méprisait ce gamin en l'observant se détruire ; aux dernières, on comprend que la chute qui lui est prédite, « plus terrible que toute autre parce qu'il est damné à ne pouvoir ni se sentir ni s'entendre s'éclater au sol, mais seulement à tomber et tomber »... c'est quelque chose que l'on ne peut que trop bien connaître, que l'on n'a déjà que trop bien ressenti. Au fond, on est bien plus proche de Holden que ce qu'on n'aimerait croire.
Enfin, pour la petite conclusion, c'est une lecture extrêmement facile en anglais. Si vous cherchez à améliorer votre niveau en vous forçant à lire en anglais, je vous le recommande fortement. Aucune idée de ce que ça pourrait donner en français sans l'oralité du style, d'ailleurs.
- La Métamorphose de Franz Kafka, que j'avais déjà commencé il y a très longtemps sans jamais le finir (sans raison). Je n'ai pas su quoi penser de la chute. En tout cas, c'était cool et sympa à lire, avec une absurdité risible.
- Crime et châtiment de l'ami Dostoievski. Bizarrement, je n'ai pas grand chose à dire pour un pavé de cette taille, si ce n'est que ça m'a beaucoup plu. Raskolnikov est un personnage fascinant, mais il n'est pas le seul. C'était un peu lourd sur certains passages, et il faut plutôt bien connaître certaines mœurs russes pour profiter de l'immersion. En tout cas, je le recommande vivement. Très bon morceau de la littérature russe.
Pour ceux qui ne connaissent pas l'histoire, elle tient sur un post-it. Raskolnikov, étudiant fauché et quelque peu imbu de lui-même, est persuadé d'avoir un grand destin devant lui, et convaincu qu'il y a moyen de justifier un crime. Il va donc passer à l'acte sur une vieille usurière qui ne manquerait certainement pas à la société.
Les réflexions faites sur le meurtre sont abordées avec beaucoup de cynisme et de méthode, et tout le style se concentre avant tout sur les dialogues. Il y en a certains qui prennent vraiment au tripes, d'autres qui sont très naturels dans leur caractère de tranche de vie. Belle plume.
- La Perle, la pire merde de John Steinbeck que j'espère lire, parce que j'estimais beaucoup cet auteur après avoir lu de lui le très bon des Souris et des Hommes, plus jeune. Là aussi, lu en anglais. C'est d'ordinaire un livre qui s'étudie assez typiquement en cours d'anglais avancé de 4ème aux États-Unis, et qu'à l'époque beaucoup d'amis m'avaient signalé comme merdique.
Triste à dire, mais je suis entièrement d'accord avec les collégiens en question.
On a de belles descriptions de nature, du Steinbeck quoi, mais c'est peut-être le seul truc à sauver du livre. L'histoire part dans tous les sens et n'a aucun intérêt... Le bébé de Kino et sa femme se fait mordre par un scorpion, un médecin avare et riche refuse de le soigner, mais un jour Kino obtient une perle grosse comme une boule de billard. Sa valeur est estimée comme nulle d'après les méchants blancs qui veulent arnaquer Kino. Mais elle pourrait quand même permettre non seulement au médecin de potentiellement l'arnaquer en prétendant soigner son enfant (la description étant floue, on ne sait pas trop s'il l'a soigné ou pas, et faut dire que c'est grave chelou ce qu'il se passe), mais aussi de rendre Kino la cible privilégiée d'attaques d'hommes inconnus et d'ombres mystiques (???). Kino et sa famille vont donc fuir le village après s'être fait attaquer et avoir permis à l'histoire de placer quelques incohérences que je ne prendrai pas le temps de lister (et qui sont inadmissibles pour un récit aussi court). Ils se retrouveront face à face avec des blancs qui les traquent pour obtenir la perle (sans déconner ? je veux bien qu'une perle soit précieuse mais pas au point d'envoyer une brigade traquer un péquenot dans la jungle), et après avoir tenté de les confronter, Kino va en mettre deux hors d'état de nuire, et le troisième va tirer avec son fusil (i.e. un sniper avec une précision tellement hors du commun qu'il est sorti d'un livre de SF) pour buter son gosse qui se cachait dans une grotte au loin avec sa femme... Finalement, Kino et sa compagne rentrent au village en deuil et balancent la perle à la mer. Tout ça pour ça.
Alors okay, le symbolisme de tout ce bazar est bien sympathique deux secondes, mais pas au point d'en faire une histoire aussi capillotractée. Et je n'ai fait qu'effleurer la surface, parce que les détails horripilants du genre sont légion. Le livre fait à peine 100 pages et pourtant je n'avais aucune envie de le finir. Qui plus est, un tas d'imageries toutes plus débiles que les autres n'apportant rien au récit se succèdent sans raison : comme par exemple le fait que Kino entende une musique pour tout et n'importe quoi. On a la musique de la famille quand il regarde sa femme et son fils, la musique de l'ennemi quand le scorpion attaque, la musique de la mer quand il plonge, et tout un tas de descriptions foireuses qui entremêlent ces mélodies qui ne représentent rien et qui n'apportent rien de valeur à la narration. Sans parler des personnages qui parlent comme des robots sans le moindre naturel (c'était peut-être voulu mais c'est sacrément laid et ça brise le récit déjà lourdingue pour rien).
Enfin voilà, je ne sais pas, mais je n'ai rien trouvé à garder là-dedans, à part 2-3 descriptions mignonnes de la nature et le concept de fond de la perle qui est wah trop belle mais qu'en fait grr elle ronge l'âme de l'homme. On repassera quoi.
- Fondements de la métaphysique des mœurs de Kant. Alors il faut savoir qu'on m'a vendu Kant comme un auteur hyper chiant et complètement débile. Pourtant, mon prof de philo de cette année (qui est génial, vraiment, 10/10, j'aurais jamais pu souhaiter avoir un meilleur prof) nous enseigne ce philosophe comme plutôt cool. Du coup, j'ai décidé que le meilleur moyen de m'en faire une idée était tout connement de le lire par moi-même.
Et finalement, c'est peut-être le premier philosophe des Lumières que je trouve intéressant parmi ceux que j'ai lus. Enfin un qui ne nous gueule pas le nom de Dieu à chaque page quoi, c'est déjà ça. Ensuite, contrairement à ce que tous les gens m'en ayant parlé ont pu me dire, Kant est loin d'avoir un sens moral idiot ou impossible à appliquer... Tout d'abord, toute l'intro du livre explique clairement qu'il vise à faire de la philosophie sur un aspect théorique, et c'est vraiment très méthodique. Rien à redire sur le plan de la rigueur. De plus, j'estime qu'il est assez évident que la bonne volonté et l'impératif catégorique sont des valeurs à appliquer en soi et non pas à chercher à travers autrui. En gros, c'est un peu une leçon de morale à titre personnel, de Kant à nous. Et je trouve ça bien chouette, d'autant plus que c'est très clair. Évidemment, 2-3 lacunes pour ce que ça vaut de nos jours (je n'estime pas que l'euthanasie puisse être catégorisée bonne ou mauvaise sans parler de cas par cas, et c'est un exemple parmi tant d'autres), mais rien que le fait de chercher des éléments de réponse là-dessus à l'époque devait être très intéressant. Bref, pas grand chose à redire, lecture sympathique. Je recommande de passer par là si vous aimez la philo.
- Bel-Ami de Guy de Maupassant, et sa mère la pute, c'est le livre le mieux écrit que j'ai lu depuis des lustres ! Maupassant a une pure plume, avec de très belles images et des détails remarquables. C'est une excellente lecture pour en apprendre un peu plus sur la France de cette époque, présentée avec beaucoup de talent. J'ai vraiment aimé. Les personnages sont bien construits et attachants, et leur développement est complètement grisant (surtout le plus évident, celui du héros). Une bonne conclusion en plus, enfin voilà, un régal.
- Lettres (à Hérodote, Pythoclès et Ménécée), Maximes capitales et Sentences vaticanes du fascinant Épicure. Beaucoup de réflexion, surtout par rapport à son époque. Des concepts très intéressants abordés, et un détachement de la religion incroyablement appréciable. Histoire de répéter la même chose que tous les niais qui l'ont lue, je trouve que la Lettre à Ménécée offre une perspective très apaisante de la vie et sa finalité. Je pense pouvoir dire que c'était une lecture extrêmement importante pour moi.
- Des poésies de Verlaine :
Les Amies, petit recueil à tendance érotique. Rien de particulièrement impressionnant à parti pour Le Printemps qui m'a laissé sur le cul. Voyez plutôt :
Tendre, la jeune femme rousse,
Que tant d’innocence émoustille,
Dit à la blonde jeune fille
Ces mots, tout bas, d’une voix douce :
« Sève qui monte et fleur qui pousse,
Ton enfance est une charmille ;
Laisse errer mes doigts dans la mousse
Où le bouton de rose brille.
Laisse-moi, parmi l’herbe claire,
Boire les gouttes de rosée
Dont la fleur tendre est arrosée ;
Afin que le plaisir, ma chère,
Illumine ton front candide,
Comme l’aube l’azur timide. »
Fêtes galantes, que j'ai franchement assez peu apprécié. C'est même très très nul quand on compare avec le reste du travail de Verlaine, je trouve. Il y a quelques exceptions sur la fin, mais elles ne sauvent pas le reste.
La Bonne Chanson, le meilleur des trois recueils. Vraiment très très très très bon. Verlaine a tout donné là (normal, c'était pour charmer sa future épouse). Mention au dernier, mon préféré :
L’hiver a cessé : la lumière est tiède
Et danse, du sol au firmament clair.
Il faut que le cœur le plus triste cède
À l’immense joie éparse dans l’air.
Même ce Paris maussade et malade
Semble faire accueil aux jeunes soleils
Et, comme pour une immense accolade,
Tend les mille bras de ses toits vermeils.
J’ai depuis un an le printemps dans l’âme
Et le vert retour du doux floréal,
Ainsi qu’une flamme entoure une flamme,
Met de l’idéal sur mon idéal.
Le ciel bleu prolonge, exhausse et couronne
L’immuable azur où rit mon amour.
La saison est belle et ma part est bonne
Et tous mes espoirs ont enfin leur tour.
Que vienne l’été ! que viennent encore
L’automne et l’hiver ! Et chaque saison
Me sera charmante, ô Toi que décore
Cette fantaisie et cette raison !
Voilà.
En ce moment, je suis en train de lire les
Pensées de ce bon vieux Blaise Pascal, dont j'attendais énormément pour en avoir lu quelques Fragments particulièrement époustouflants. Et autant au début j'étais à fond, à me dire que c'était trop cool, que je voulais faire des bisous à Pascal, etc... Autant là je suis en plein dans les sections théologiques et c'est chiant comme la pluie. Au secours. En plus c'est merdique, ça se résume à du « l'Islam c'est nul, le Judaïsme c'est nul, heureusement que nous on a Jésus, vive Jésus ! »
Franchement, ça fait mal de passer à des trucs comme ça :
Quand je considère la petite durée de la vie, absorbée dans l’éternité précédente et suivante, le petit espace que je remplis, et même que je vois, abîmé dans l’infinie immensité des espaces que j’ignore et qui m’ignorent, je m’effraie et m’étonne de me voir ici plutôt que là, car il n'y a point de raison pourquoi ici plutôt que là, pourquoi à présent plutôt que lors. Qui m’y a mis ? Par l’ordre et la conduite de qui ce lieu et ce temps a-t-il été destiné à moi ? Memoria hospitis unius diei praetereuntis.
Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie.
Que dois‑je faire ? Je ne vois partout qu’obscurités. Croirai‑je que je ne suis rien ? Croirai‑je que je suis dieu ?
à de la merde de ce genre-là :
Jésus-Christ est venu aveugler ceux qui voient clair et donner la vue aux aveugles, guérir les malades, et laisser mourir les sains, appeler à pénitence et justifier les pécheurs, et laisser les justes dans leurs péchés, remplir les indigents et laisser les riches vides.
Les Juifs charnels n’entendaient ni la grandeur ni l’abaissement du Messie prédit dans leurs prophéties. Ils l’ont méconnu dans sa grandeur prédite, comme quand il dit que le Messie sera seigneur de David, quoique son fils, et qu’il est devant qu’Abraham et qu’il l’a vu. Ils ne le croyaient pas si grand qu’il fût éternel, et ils l’ont méconnu de même dans son abaissement et dans sa mort. Le Messie, disaient-ils, demeure éternellement, et celui‑ci dit qu’il mourra. Ils ne le croyaient donc ni mortel, ni éternel ; ils ne cherchaient en lui qu’une grandeur charnelle.
Sérieux, il s'est passé quoi ?
« Et ça Blaise Pascal c'est pour ton petit cul »Enfin bon, je garde espoir, je n'en suis même pas encore à la moitié. Peut-être que le niveau se redresse par la suite. C'est ce que j'espère en tout cas, parce qu'en-dehors de son christianisme exacerbé, Pascal dit souvent des trucs qui me parlent beaucoup.
Après Pascal, je prévois de lire du George Sand puis les très connues
Liaisons Dangereuses de Laclos. En fait, j'ai toute une pile de livres qui m'attend, que j'ai d'ailleurs pris le soin d'expliciter sur
SensCritique. Et ça, c'est juste les machins entassés chez moi. Parce que j'ai beaucoup d'autres choses à acheter (j'ai envie de lire du Akutagawa, d'enfin tester du Zweig après tout ce qu'on a pu m'en raconter, du Hesse aussi, etc.).
Bref, lire c'est bien. Lisez les enfants, histoire que je sois un peu moins seul ici.
(PS : Je m'attendais pas à pondre un pavé pareil mais zut, pour une fois. Comme ça c'est encore plus sûr que personne lira. Le plus impressionnant, en vrai, c'est que l'intégralité de ces lectures ont été réalisées dans les transports en commun. Comme quoi, ça en fait, du temps de bouffé par jour...)