Auteur Sujet: Je bouquine !  (Lu 382380 fois)

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Je bouquine !
« Réponse #930 le: dimanche 21 janvier 2018, 21:51:30 »
Bon ce topic se meurt et y'en a marre des trucs One Piece ou Attaque des Titans là, du coup comme j'ai pas mal de temps à tuer ces temps-ci, j'ai pu lire des livres, sans images et tout (on ne s'y habitue pas). Depuis le 1er janvier, au nombre de cinq, ça va de la belle daube au chef d'oeuvre, du chef d'oeuvre qui a failli me faire vomir en voiture à la daube qui m'a littéralement endormi.

  • La trilogie de Thomas Harris avec Hannibal Lecter : Dragon Rouge, le Silence des Agneaux, Hannibal. Déjà pour la petite remise en contexte, je suis un gros fan des adaptations ciné des deux premiers, le Silence des Agneaux c'est le premier film que j'ai eu en DVD et je l'ai tellement vu que ça l'a rayé de partout. Une sacrée perle ce machin là.

    Mais bref, je pourrais en faire un sujet rien que pour ce petit miracle.

    J'ai bien aimé les deux premiers, sans surprise aucune (ce sont aussi les deux seuls films que j'aime dans la saga). Sans être du Proust, Harris arrive à distiller son intrigue d'une telle façon que les pages se tournent toutes seules. Tout ceci fait un peu roman de gare, mais au milieu du glauque permanent, du destin qui s'effrite autour de tous les personnages, parfois avec des conséquences fatales, on se retrouve happé au milieu d'une enquête qu'on a beau connaître par cœur, le format littéraire fait qu'on s'y plonge et qu'on s'imprègne davantage des détails.
    Dans "Dragon Rouge" par exemple, une large partie se perd dans l'enfance du tueur. Si on peut y voir une volonté de trouver une explication à l'inexplicable (dommageable au récit ou non, ça dépend de chacun), ces passages rajoutent du malaise à une histoire déjà pas bien rose et à la fin amère. Une manière de souligner les points de vue, autant protagonistes qu'antagonistes, dans une plongée dans l'enfer de la pensée humaine.

    Au final, les adaptations ciné sont fidèles, mais les livres rajoutent des détails peu ragoûtants, des personnalités plus développées, en bref un plein approfondissement de l'intrigue. Une belle façon de se rendre compte que toute la sauce servie depuis des décennies à propos de cette mythologie (encore récemment dans la série) était présente dans des livres des années 80.

    Gros bémol par contre pour le troisième, Hannibal, qui est très moyen. Le livre est complètement caricatural, Lecter devient un dandy chic qui tue les méchants et les corrompus, les antagonistes paraissent sortir de l'esprit d'un enfant qui s'imagine des psychopathes, et bon, globalement, il ne se passe pas rien, mais vraiment peu de chose...
    La fin (donc la conclusion de la série) est très déroutante mais également glaçante. Je l'aime bien (en ce sens je fais partie d'une minorité) parce qu'elle est glauque et extrêmement pessimiste.
  • Voyage au bout de la Nuit de Celine. Une véritable tuerie, et je pèse mes mots. Quoi qu'on pense de l'auteur, je pense que tout le monde devrait lire ce livre tant il dépeint avec justesse les mauvais côtés de l'humain (tout en oubliant les bons, en tout cas les éffleurant à peine). A travers le bourbier de la Première Guerre Mondiale, l'Afrique coloniale, l'Amérique en plein fordisme (qui rappelle "Les Temps Modernes" dans une certaine mesure), suivi de l'après-guerre en France, Celine brasse large, parfois par rapport à ses propres expériences.

    La question, c'est comment ce livre peut encore être d'actualité, puisque la vie de Ferdinand Bardamu dépeinte dans le livre est fortement romancée, exagérément ratée même ? Alors qu'aujourd'hui tout va infiniment mieux qu'à l'époque décrite, que personne ou presque n'a une aussi mauvaise vie ? Oui mais voilà, l'auteur s'attarde pas mal sur les penchants pervers et méchants de l'homme, caractères universels et intemporels, ceux là. Puis cette critique du patriotisme, du capitalisme (industriel), toutes ces phrases et paragraphes qui font mouche et trouvent un écho dans notre société actuelle.

    Enfin, c'est le style le plus incroyable que j'ai jamais lu dans ma vie. C'est un livre vraiment irréaliste, tellement l'auteur est talentueux dans son écriture.
  • Tragédies Complètes de Sophocle. Comme tout le monde j'ai lu Antigone au collège/lycée, j'avais vu la pièce "Philoctète" et je connaissais les grandes lignes de Œdipe Roi (exclusivement à cause de Freud, faut pas se mentir).
    Alors là je découvre Ajax, Electre, les Trachiniennes (qui raconte la mort poignante d’Héraclès), et Œdipe Roi donc et c'est terrible ! C'est pas du tout pompeux et même extrêmement facile à lire (à ce titre je soupçonne que la traduction soit aux fraises, ça manque de fracas un peu), mais les thèmes abordés prennent au ventre, les individus mythiques sont ramenés à leur petite échelle humaine sur fond d'éternité (la guerre de Troie, Thèbes...). Qui dit "tragédie" dit "mort", et dans tous les cas de manière cruelle. Perte de l'être cher, oracles mal interprétés, destin qui nous échappe, ou dieux qui se jouent de nous ? Autant de fonds de réflexion qui surprennent puisque ce sont tous des textes assez courts. Ils ne bouleversent pas à la lecture mais on ne peut s'empêcher d'y penser et de creuser davantage, et là se découvre leur puissance.

    Je comparerais quand même avec Eschyle et Euripide. Même s'il est impossible de se rendre compte de la réelle puissance de ces pièces sur scène (dans Sophocle il y a pas mal d'instrumentalisation et de chants ; je ne suis pas capable de retranscrire ça dans ma tête...), je ferais bien un tour d'horizon des principaux tragédiens grecs.

Je sais pas trop quoi lire ensuite. En parallèle de tout ça je suis pas mal sur la Bible même si l'ancien testament me fatigue pas mal. J'ai essayé de lire dans l'ordre mais le Pentateuque est vraiment une purge, du coup je lis un peu dans le désordre les livres qui m’intéressent le plus (certains ne sont pas désagréables au demeurant).

Sinon à Milan je me suis acheté un Taschen sur Caravage, c'est assez intéressant mais faut aimer la peinture un peu (surprenant non ?).

La semaine pro je vais sans doute commencer Harry Potter and the Deathly Hallows (le seul qui me manque en VO) et je me lancerais bien sur L'Enquête d'Hérodote qu'on m'a beaucoup conseillé (mais bon 1200 pages le bousin, faut s'accrocher).
« Modifié: lundi 22 janvier 2018, 02:49:22 par D_Y »
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« Réponse #931 le: vendredi 02 février 2018, 23:43:06 »
Je sors des Royaumes du Nord de Pullman. 520 pages défoncées en 3 jours, j'ai rarement lu un truc aussi long aussi vite, dans ce livre les pages se tournent toutes seules, toutes les phrases sont hyper fluides, aucune n'a de construction véritablement complexe, et comme tout s'enchaine hyper vite et qu'il y a peu de temps mort, on arrive à le dernière page très rapidement.

Ça, c'est un tour de force, mais ça ne veut pas dire que c'est bien écrit. Au contraire même, je trouve que c'est un défaut du livre. Mal écrit ne serait pas le bon terme mais ça manque grandement d'aura poétique à mon sens, et ça se sent surtout dans les dialogues ; aucun dialogue n'a fait mouche chez moi, je les aient trouvés extrêmement peu naturels et forcés, ce qui donne une caractérisation des personnages très bizarre. Comme dans ces films ou des personnages dialoguent à l'intention du spectateur. A ce titre le roi gitan John Faa n'a pas de dialogues qui montrent l'ampleur de son importance dans son peuple. La sorcière Serafina Pekkala vient faire un petit coucou l'espace de deux (courts) chapitres pour donner des infos sur le background et elle repart tout aussitôt. La petite Lyra (l'héroïne), est loin d'être une cruche mais elle a aussi ses pensées d'enfants, naïves avec pas mal de bêtise. Les perpétuelles oscillations entre son état d'esprit fort, indépendant, mature et franchement débrouillard, avec d'autres moments de pleurnicherie pure (et tout simplement enfantins) m'ont paru plus que bizarres (mais j'ai peut être pas trop accroché à la manière dont elle était écrite). Bref tout ça est maladroit et mal amené, trouvé-je.

Cela dit, le background. J'ai dit qu'il n'y avait aucune aura poétique dans l'écriture et c'est d'autant plus dommage parce que l'univers développé par Pullman l'est indéniablement. C'est pas Tolkien (en même temps c'est pas le but) dans l'élaboration d'univers mais c'est suffisamment enchanteur pour que l'imagination fasse le reste. Ça pioche pas mal dans Verne avec ces zeppelins et ces montgolfières, London avec le grand Nord, et j'ai aussi pas mal pensé à du Miyazaki au fur et à mesure qu'avançait ma lecture (il y a sans doute aucune influence et je dois peut être être le seul à faire le parallèle), notamment avec l'étroite relation qu'entretiennent les humains avec leurs dæmons (j'avais la VF de Jiji dans la tête quand Pantalaimon parlait :hap:).
Alors maintenant l'idée de ces créatures liées aux humains est une riche idée, même si la suspension d'incrédulité ne marchait pas trop à certains moments (le tabou de ne jamais toucher le dæmon d'un autre ne tiendrait jamais en vrai), heureusement contrebalancé par le traitement qui est fait quand, justement, le concept de séparation est exploré.
Parlant de suspension d'incrédulité le coup de l'ours qui met son armure comme s'il mettait une chemise, j'ai beau avoir pas mal d'imagination, ça ne marchait pas du tout dans mon esprit, pourtant j'ai adoré le personnage (qui partage cette scène extrêmement touchante avec l'héroïne sur la fin).

Surtout, c'est la noirceur de l'ensemble qui fait tout le sel du livre. L'auteur évite tout manichéisme binaire pour se concentrer sur chaque élément (pas si évident que ça pour un enfant, ça parle pas mal de particules élémentaires) convergeant vers un climax pas si simple et franchement bien vu. Tout cela en ayant même jeté au passage quelques petits parallèles plus ou moins cachés avec le nazisme (carrément !). Le tout lié par un sous-texte anti-religieux, même s'il ne faudrait pas que ça devienne de l'athéisme primaire, et qu'il y ait une réelle réflexion derrière, car en l'état c'est pas mal cliché et c'est à mon sens un réel point noir. Cela dit les références religieuses en elles-même pourraient presque évoquer Evangelion, et ça, pour un livre pareil, ça surprend (agréablement).

Un bon livre qui m'oblige à acheter les suites car cela finit sur un cliffhanger qui n'est pas une torture de suspense non plus mais qui donne envie d'en découvrir plus. A ce titre, si quelqu'un pouvait donner un avis rapide sur les deux autres volets de la trilogie, et pourquoi pas sur le tout dernier (La Belle Sauvage) v.v

Enfin, pas trop l'endroit idéal pour en parler mais j'ai vu le film dans la foulée, incroyable cette purge :-|
J'ai toujours pas compris pourquoi il avaient enlevé la fin originelle alors que c'était le gros morceau du livre. Sans ça, l'histoire n'a plus de sens. Mais bon, c'est fait c'est fait...
« Modifié: samedi 03 février 2018, 03:00:19 par D_Y »
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« Réponse #932 le: dimanche 22 avril 2018, 18:52:27 »
J'ai lu récemment deux petites nouvelles d'Edgar Poe, la version française traduite par Baudelaire. Lire la version originale aurait pu être intéressant aussi, mais pour le coup j'ai préféré tenter en français, c'est déjà un peu compliqué. La première était Double-assassinat dans la Rue Morgue, bon, je l'ai pas trop aimée, le début était intéressant, mais certains passages étaient extrêmement longs et pas grandement fascinants. Mais globalement c'est une bonne nouvelle.

La deuxième était Le Scarabée d'Or, je l'ai beaucoup plus appréciée, je trouve le rythme mieux dosé, et l'histoire mieux amenée, bien que les deux soient dans un registre totalement différent. Je conseille à tous de lire quelques nouvelles d'Edgar Poe, c'est assez enrichissant ! Pis personnellement c'était pour me forcer à me remettre à la lecture, vu que j'avais complètement lâché, c'est moins violent en commençant avec des nouvelles. :oups:

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« Réponse #933 le: lundi 23 avril 2018, 04:11:00 »
@Haine Le Scarabée d'Or est la nouvelle que j'aime le moins du volume "Histoires Extraordinaire". L'assassinat de la rue Morgue une que je préfère :8): Qu'est ce qui t'as vraiment paru long dedans ?

Les traductions de Baudelaire sont loin d'être dégueulasses (doux euphémisme), je dirais pas qu'elles sont supérieures au texte original non plus mais en tout cas on ne perd pas au change, ce qui est extrêmement rare (une autre exception étant la trad du Paradis Perdu par Chateaubriand). Ça s'explique principalement par le génie de Baudelaire mais aussi parce que Baudelaire et Poe étaient à peu près chtarbés de la même manière, avec les même névroses et à l'hygiène de vie déplorable (Poe est mort à 40 ans de delirium tremens, seul dans un fossé, voilà voilà...).

Si tu trouves les Histoires Extraordinaires un peu austères je te conseille vivement les Nouvelles Histoires Extraordinaires qui est à mon sens un des plus grand chef d'oeuvre de la littérature, un des livres que j'apporterais sans réfléchir sur une île déserte. Tu m'en diras des nouvelles si t'y jettes un œil un jour.
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« Réponse #934 le: lundi 23 avril 2018, 18:53:14 »
Je vais probablement continuer dans Edgar Poe ouais ! Je vais voir ça je pense @D_Y
Ben honnêtement j'ai trouvé certains passages vraiment très lents et descriptifs, mais assez excessifs, ça m'ennuyait un peu. Pourtant j'aime bien ce qui est contemplatif ou très descriptif mais là le rythme était un peu cassé. Après je l'ai dit et je le redis, je pense pas que ce soit une mauvaise nouvelle, je l'ai trouvée intéressante. Il me semble que c'était l'une des premières dans le genre ? Je ne suis plus sûre du tout, sans doute une info balancée par ma mère au hasard... Donc c'est toujours pertinent de les lire et tout !
(Lisez pas le spoil svp, ça spoile vraiment)
(Cliquez pour afficher/cacher)

EDIT : Par rapport à la traduction de Baudelaire, loin de moi l'idée de te contredire !! Le début de Double Assassinat dans la rue Morgue était génial à lire, on s'imprégnait beaucoup je trouve, et le personnage nous apparaissait comme très charismatique. Le style de Baudelaire a dû beaucoup jouer. Mais je vais peut-être me porter vers des nouvelles un peu moins austères comme tu dis, pour essayer de reprendre un rythme de lecture plus correct xD

« Modifié: lundi 23 avril 2018, 18:55:37 par un modérateur »
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« Réponse #935 le: lundi 23 avril 2018, 19:06:48 »
Citer
Il me semble que c'était l'une des premières dans le genre ?

C'est même plus que ça, Dupin et ses capacités d'analyse hors du commun a très largement inspiré Conan Doyle pour son Sherlock Holmes, et Christie pour son Hercule Poirot. Ce n'est pas un mince héritage !

Les "Nouvelles Histoires Extraordinaires" sont plus surnaturelles et beaucoup plus morbides et lugubres. Le thème de la mort est prédominant, et Poe a même réussi à y personnifier la peste. C'est pas une lecture joyeuse mais assez passionnante tout de même. Les Histoires Extraordinaires sont plus "terre à terre" (entre guillemets parce que t'as quand même la nouvelle d'un mec qui part en ballon sur la Lune, ce qui n'est pas sans rappeler un certain auteur français...), plus accès sur les cartes au trésor, le codage (que tu as pu voir dans le Scarabée d'Or), les ballons, &c.

Je c/c ici le poème "Le Corbeau" qui symbolise plutôt bien le ton du deuxième recueil, tu te feras une petite idée :

Citer
« Une fois, sur le minuit lugubre, pendant que je méditais, faible et fatigué, sur maint précieux et curieux volume d’une doctrine oubliée, pendant que je donnais de la tête, presque assoupi, soudain il se fit un tapotement, comme de quelqu’un frappant doucement, frappant à la porte de ma chambre. « C’est quelque visiteur, — murmurai-je, — qui frappe à la porte de ma chambre ; ce n’est que cela, et rien de plus. »

Ah ! distinctement je me souviens que c’était dans le glacial décembre, et chaque tison brodait à son tour le plancher du reflet de son agonie. Ardemment je désirais le matin ; en vain m’étais-je efforcé de tirer de mes livres un sursis à ma tristesse, ma tristesse pour ma Lénore perdue, pour la précieuse et rayonnante fille que les anges nomment Lénore, — et qu’ici on ne nommera jamais plus.

Et le soyeux, triste et vague bruissement des rideaux pourprés me pénétrait, me remplissait de terreurs fantastiques, inconnues pour moi jusqu’à ce jour ; si bien qu’enfin, pour apaiser le battement de mon cœur, je me dressai, répétant : « C’est quelque visiteur qui sollicite l’entrée à la porte de ma chambre, quelque visiteur attardé sollicitant l’entrée à la porte de ma chambre ; — c’est cela même, et rien de plus. »

Mon âme en ce moment se sentit plus forte. N’hésitant donc pas plus longtemps : « Monsieur, — dis-je, — ou madame, en vérité j’implore votre pardon ; mais le fait est que je sommeillais, et vous êtes venu frapper si doucement, si faiblement vous êtes venu taper à la porte de ma chambre, qu’à peine étais-je certain de vous avoir entendu. » Et alors j’ouvris la porte toute grande ; — les ténèbres, et rien de plus !

Scrutant profondément ces ténèbres, je me tins longtemps plein d’étonnement, de crainte, de doute, rêvant des rêves qu’aucun mortel n’a jamais osé rêver ; mais le silence ne fut pas troublé, et l’immobilité ne donna aucun signe, et le seul mot proféré fut un nom chuchoté : « Lénore ! » — C’était moi qui le chuchotais, et un écho à son tour murmura ce mot : « Lénore ! » — Purement cela, et rien de plus.

Rentrant dans ma chambre, et sentant en moi toute mon âme incendiée, j’entendis bientôt un coup un peu plus fort que le premier. « Sûrement, — dis-je, — sûrement, il y a quelque chose aux jalousies de ma fenêtre ; voyons donc ce que c’est, et explorons ce mystère. Laissons mon cœur se calmer un instant, et explorons ce mystère ; — c’est le vent, et rien de plus. »

Je poussai alors le volet, et, avec un tumultueux battement d’ailes, entra un majestueux corbeau digne des anciens jours. Il ne fit pas la moindre révérence, il ne s’arrêta pas, il n’hésita pas une minute ; mais, avec la mine d’un lord ou d’une lady, il se percha au-dessus de la porte de ma chambre ; il se percha sur un buste de Pallas juste au-dessus de la porte de ma chambre ; — il se percha, s’installa, et rien de plus.

Alors cet oiseau d’ébène, par la gravité de son maintien et la sévérité de sa physionomie, induisant ma triste imagination à sourire : « Bien que ta tête, — lui dis-je, — soit sans huppe et sans cimier, tu n’es certes pas un poltron, lugubre et ancien corbeau, voyageur parti des rivages de la nuit. Dis-moi quel est ton nom seigneurial aux rivages de la Nuit plutonienne ! » Le corbeau dit : « Jamais plus ! »

Je fus émerveillé que ce disgracieux volatile entendît si facilement la parole, bien que sa réponse n’eût pas un bien grand sens et ne me fût pas d’un grand secours ; car nous devons convenir que jamais il ne fut donné à un homme vivant de voir un oiseau au-dessus de la porte de sa chambre, un oiseau ou une bête sur un buste sculpté au-dessus de la porte de sa chambre, se nommant d’un nom tel que Jamais plus !

Mais le corbeau, perché solitairement sur le buste placide, ne proféra que ce mot unique, comme si dans ce mot unique il répandait toute son âme. Il ne prononça rien de plus ; il ne remua pas une plume, — jusqu’à ce que je me prisse à murmurer faiblement : « D’autres amis se sont déjà envolés loin de moi ; vers le matin, lui aussi, il me quittera comme mes anciennes espérances déjà envolées. » L’oiseau dit alors : « Jamais plus ! »

Tressaillant au bruit de cette réponse jetée avec tant d’à-propos : « Sans doute, — dis-je, — ce qu’il prononce est tout son bagage de savoir, qu’il a pris chez quelque maître infortuné que le Malheur impitoyable a poursuivi ardemment, sans répit, jusqu’à ce que ses chansons n’eussent plus qu’un seul refrain, jusqu’à ce que le De profundis de son Espérance eût pris ce mélancolique refrain : Jamais, jamais plus !

Mais, le corbeau induisant encore toute ma triste âme à sourire, je roulai tout de suite un siège à coussins en face de l’oiseau et du buste et de la porte ; alors, m’enfonçant dans le velours, je m’appliquai à enchaîner les idées aux idées, cherchant ce que cet augural oiseau des anciens jours, ce que ce triste, disgracieux, sinistre, maigre et augural oiseau des anciens jours voulait faire entendre en croassant son Jamais plus !

Je me tenais ainsi, rêvant, conjecturant, mais n’adressant plus une syllabe à l’oiseau, dont les yeux ardents me brûlaient maintenant jusqu’au fond du cœur ; je cherchais à deviner cela, et plus encore, ma tête reposant à l’aise sur le velours du coussin que caressait la lumière de la lampe, ce velours violet caressé par la lumière de la lampe que sa tête, à Elle, ne pressera plus, — ah ! jamais plus !

Alors il me sembla que l’air s’épaississait, parfumé par un encensoir invisible que balançaient des séraphins dont les pas frôlaient le tapis de la chambre. « Infortuné ! — m’écriai-je, — ton Dieu t’a donné par ses anges, il t’a envoyé du répit, du répit et du népenthès dans tes ressouvenirs de Lénore ! Bois, oh ! bois ce bon népenthès, et oublie cette Lénore perdue ! » Le corbeau dit : « Jamais plus ! »

« Prophète ! — dis-je, — être de malheur ! oiseau ou démon, mais toujours prophète ! que tu sois un envoyé du Tentateur, ou que la tempête t’ait simplement échoué, naufragé, mais encore intrépide, sur cette terre déserte, ensorcelée, dans ce logis par l’Horreur hanté, — dis-moi sincèrement, je t’en supplie, existe-t-il, existe-t-il ici un baume de Judée ? Dis, dis, je t’en supplie ! » Le corbeau dit : « Jamais plus ! »

« Prophète ! — dis-je, — être de malheur ! oiseau ou démon ! toujours prophète ! par ce Ciel tendu sur nos têtes, par ce Dieu que tous deux nous adorons, dis à cette âme chargée de douleur si, dans le Paradis lointain, elle pourra embrasser une fille sainte que les anges nomment Lénore, embrasser une précieuse et rayonnante fille que les anges nomment Lénore. » Le corbeau dit : « Jamais plus ! »

« Que cette parole soit le signal de notre séparation, oiseau ou démon ! — hurlai-je en me redressant. — Rentre dans la tempête, retourne au rivage de la Nuit plutonienne ; ne laisse pas ici une seule plume noire comme souvenir du mensonge que ton âme a proféré ; laisse ma solitude inviolée ; quitte ce buste au-dessus de ma porte ; arrache ton bec de mon cœur et précipite ton spectre loin de ma porte ! » Le corbeau dit : « Jamais plus ! »

Et le corbeau, immuable, est toujours installé, toujours installé sur le buste pâle de Pallas, juste au-dessus de la porte de ma chambre ; et ses yeux ont toute la semblance des yeux d’un démon qui rêve ; et la lumière de la lampe, en ruisselant sur lui, projette son ombre sur le plancher ; et mon âme, hors du cercle de cette ombre qui gît flottante sur le plancher, ne pourra plus s’élever, — jamais plus !
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« Réponse #936 le: lundi 23 avril 2018, 19:31:59 »
Ooh, j'adore ce poème. En effet j'pense que des histoires dans ce registre me plairont davantage, tu m'as donné envie tiens !
Ce style mon dieu  *o*

Et merci pour l'info, faut admettre que Dupin m'a fascinée dès le début, c'est super intéressant de lire une des premières nouvelles qui a eu tant d'influence alors, je suis contente !
Bon après c'est pas évident parce que je lis le soir et j'aime pas lire des trucs morbides le soir... Mais j'avais déjà lu du Poe au collège et j'avais vachement accroché, je pense que j'ai pas lu ses nouvelles qui me parlent le plus, faudra donc que je vois ça plus en profondeur, parce que c'est très sympa. (Plus singulier aussi, je dirais. Pour le Scarabée d'Or j'avais l'impression de lire un conte, c'était bien mais pas transcendant non plus.)
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« Réponse #937 le: mercredi 25 avril 2018, 20:36:33 »
Sur les bons conseils de ce cher @D_Y, j'ai lu ce matin les 4 premières nouvelles des Nouvelles Histoires Extraordinaires, d'Edgar Poe encore une fois. Ainsi, j'énumère :
- Le Chat Noir : Probablement ma nouvelle préférée parmi ces lectures du matin, l'atmosphère est très prenante, on rentre facilement dans l'histoire, le tout en conservant le ton habituel de Poe, un peu glauque comme souvent, mais très appréciable et intéressant. J'ai adoré !
-William Wilson : Là par contre j'ai vraiment dû me forcer à finir. C'était assez long et même si le concept n'est pas mauvais en soi, je ne l'ai pas trouvé vraiment bien mis en forme. Bien que cet avis soit très subjectif.
-L'Homme des Foules : J'ai adoré celle là aussi ! L'intrigue, courte, certes, et super immersive et.. Intrigante :8):. C'est  vraiment sympa à lire, elle était assez courte dans mes souvenirs, et ce n'est pas plus mal comme ça.
Le Coeur Révélateur : Je suis assez neutre pour le coup, je ne l'ai pas trouvée fantastique, mais pas non plus mauvaise... J'ai pas trop d'avis. :oups:

En clair, le style de Poe est assez sanglant souvent, toujours propre et soigné, enfin, ça c'est peut-être plutôt grâce à Baudelaire, je vais essayer de lire quelques nouvelles en version originale pour me faire un avis plus objectif et certain. Une fois que j'aurai fini les Nouvelles Histoires Extraordinaires. En tout cas, je conseille à tous d'en faire l'expérience, ces nouvelles ne me paraissent pas d'une complexité incroyable (Pour avoir lu du J. Luis Borges et avoir dû chercher tous les mots sur un dico avant de comprendre une seule phrase...), mais toujours super intéressants.

Merci beaucoup à toi DiY de m'avoir incitée à tenter les Nouvelles Histoires Extraordinaires, je me serais probablement arrêtée là pour Poe si je m'étais contentée des Histoires Extraordinaires... Comme quoi, faut toujours aller un peu plus loin pour s'faire un avis. Le registre est bien plus "fantastique", moins "austère" comme tu le disais plus haut, et je dois admettre que j'adhère beaucoup plus. :hihi:

Je reposterai peut-être pour parler des autres nouvelles quand j'aurai fini, si j'y pense !
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« Réponse #938 le: jeudi 26 avril 2018, 17:56:25 »
@D_Y Je vais pouvoir exaucer ton souhait : A la croisée des mondes fait partie de ces bouquins que j'ai franchement adoré.  ;D

Bon, globalement, les Royaumes du nord, j'avais eu un peu de mal à accrocher, justement car je trouvais que le livre trainait en longueur. C'est vraiment sa fin qui a capté mon attention et m'a incité à lire la suite. (Cette fin honteusement supprimée du film, wtf ? )

Pour moi, c'est vraiment à partir de cette fin que l'histoire de la trilogie commence véritablement : je trouve le rythme bien meilleur dans les tomes suivants, les évènements s'enchainent et le scénario se complexifie de façon assez originale. Après j'évite d'en dire plus pour ne pas spoiler mais clairement, les deux tomes suivants sont largement meilleurs que les Royaumes du Nord de mon point de vue. (même si le tome 3, il y a tout un pan de l'histoire que j'ai trouvé... inutile.)

Et en ce qui concerne La Belle Sauvage que je viens justement de finir, ben, je l'ai trouvé très sympathique à lire aussi.

Globalement, j'ai préféré la première partie à la deuxième, qui était plus centré sur des intrigues et il était amusant de voir comment tout se goupillait autour du héros, de voir la situation évoluer, etc.

La deuxième partie était plus répétitive et pendant un certain temps, j'ai eu l'impression que l'auteur était en panne d'inspiration et a rajouté des chapitres à rallonges qui n'ont à priori aucune incidence sur le scénario (peut-être dans sa suite ?), ce qui était un peu dommage puisque du coup, l'aspect chaotique de la situation n'était ressentie que durant quelques chapitres. J'ai de plus trouvé la fin incroyablement abrupte et qui nous laissait incroyablement sur notre faim (alors que paradoxalement,
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Reste qu'une fois encore, j'ai trouvé les personnages attachants et l'aventure vraiment plaisante à suivre, même si j'ai trouvé les antagonistes un peu trop... plats ? Dénués de profondeurs ? Sans compter Malcolm qui est censé être un gamin de 11 ans mais quand on voit ses faits et gestes, on n'en a absolument pas l'impression, ce qui est assez.... dérangeant, si je puis dire.

Enfin bref, c'était une histoire vraiment sympatoche à suivre mais ça me semble évident que bien plus de travail avait été fourni en son temps sur la trilogie originale : ici, l'intrigue se montre quand même beaucoup plus simpliste à suivre, surtout dans sa deuxième moitié.

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« Réponse #939 le: jeudi 10 mai 2018, 22:18:55 »
Tiens je croyais qu'il y avait un sujet Annales du Disque-Monde mais apparemment non.

Ça faisait un bail que je n'avais pas lu de tome alors qu'il m'en reste quand même encore quelques uns à découvrir, du coup en mars j'ai sorti le très renommé Ronde de Nuit de mon étagère. Je savais déjà quel était les thèmes de ce tome là et que j'allais probablement bien l'apprécier du coup et en effet j'ai pris beaucoup de plaisir à y plonger et à voir Ankh-Morpork et quelques uns de ses personnages phares "sous un autre jour" :hap:

Et puis j'ai enchainé quelques temps plus tard avec Les chtis hommes libres, le premier roman des aventures de Tiphaine Patraque, qui est à destination des enfants mais ne perd nullement en richesse d'écriture. J'ai adoré le caractère bien trempé de Tiphaine et toute sa relation avec Mémé Patraque, les descriptions de paysages de campagne et de rêves, les tours des Mac Feegles évidemment et puis comme d'habitude avec les histoires de Pratchett sur les sorcières, j'aime énormément la manière dont il traite du sujet, de ce que sont les sorcières et en quoi consiste leur magie. Ça me donne même sacrément envie de relire d'anciens tomes pour me les remettre en mémoire... mais je vais peut-être d'abord continuer avec le second volume sur Tiphaine.

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« Réponse #940 le: mardi 15 mai 2018, 17:56:56 »
Je profite du topic avant que...

Aujourd'hui, j'ai lu Nouvelle Sparte écrit par Erik L'Homme. Alors, je n'étais pas spécialement passionné par le résumé, mais j'étais plus attiré par l'auteur qui a bercé mon enfance avec surtout Le Livre des Étoilés. Je l'ai eu pour mon anniversaire mais je n'y avais pas touché jusqu'à maintenant car j'étais plongé dans un autre bouquin. Sauf que ce weekend, chez mes parents, j'ai juste oublié la Switch, le chargeur de la 3DS, ma liseuse pour continuer le bouquin. Et comme j'ai pas une connexion de folie me permettant de regarder des séries en VOD, je me suis dit qu'il valait mieux se lancer directement dans ce livre histoire d'avoir une excuse pour éviter la visite de ma chère et tendre sœur (et de son copain, ce qui est presque pire). Les conditions étaient donc optimales (il ne me reste plus qu'à préciser qu'il a plu tout le weekend) pour lire.

Mais après avoir raconté ma vie privée, parlons un peu du livre : le monde, le monde-d'après, est divisé en cinq parties : Espérance, la vieille Europe ; la Muraille, l'ancienne Asie ; le Darislam, le monde musulman ; Paradise, l'Amérique du nord, gouverné par l'argent et enfin Nouvelle-Sparte, où tient lieu l'action. La Nouvelle Sparte vit isolée dans une région du nord et voue un culte aux dieux grecs. On y trouve Valère et Alexia, aidés de leurs amis Drys et Skeilton, qui à 16 ans doivent passer une épreuve initiatique, la kryptie, afin d'établir quelle sera leur place dans la société, leur rôle selon leurs envies et leurs capacités. Valère et Alexia veulent devenir des pilotes d'élite. Plusieurs attentats à la bombe viennent semer le chaos dans cette société paisible. En raison de ses origines toutes particulières, Valère est alors envoyé en exil volontaire à Paradise chez son oncle afin de rapporter des informations sur les commanditaires de cet attentat.

J'ai eu dans un premier temps eu du mal à accrocher au texte. Le style est rempli de néologisme, de nouveaux mots ou des mots dérivés. On comprend bien l'intention de Mr. L'Homme qui veut montrer que les choses ont changer et les mots aussi. Ainsi l'âme devient le "je-suis", les suffixes -ance sont beaucoup plus utilisés comme "humiliance" etc. On arrive à comprendre. Il arrive à se faire comprendre, mais ce n'était pas vraiment ce qu'on lui demandait. On demandait une histoire et pas un cours de grammaire. Les nouvelles notions de cette société étrangère ne sont pas faciles à appréhender ainsi que la géographie. On a l'impression que tout est clair dans la tête de l'auteur, mais pour le lecteur c'est un peu plus compliqué. Du coup, les premières cent pages sont compliquées à lire et notre regard bute sur chaque nouvelle formulation si bien qu'on est obligé à lire en diagonale pour ne pas être perturbé.

L'histoire reste intéressante dès qu'on passe le premier chapitre. Il y a des complots, il y a des changements de société et la découverte d'un nouveau monde. Les morales sont assez faciles, on peut quand même le reprocher. On pourrait carrément mettre un #Pasd'Amalgame en couverture. J'aurais aimé peut-être un peu plus de découvertes de cet oncle. Il aurait fallu doubler je pense le volume, mais le texte aurait été peut-être un petit trop long.

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« Réponse #941 le: mardi 18 septembre 2018, 03:30:16 »
J'ai lu Les Sept Piliers de la Sagesse de Thomas Edward Lawrence, ou Lawrence d'Arabie. Grand pavé de 900 pages très intimidant, passablement indigeste, bourré de descriptions de paysages plutôt vaseuses, de stratégie militaire dans le désert, de vagues pensées philosophiques qu'on ne comprend pas toujours. J'ai fait une pause de plusieurs mois (quand même !) parce que rien que le début me fatiguait puis je me suis plongé dans l'histoire romaine chez Tacite, les pavés de Dostoïevski, un peu de tragédie grecque, la philosophie épistolaire de Montesquieu, le Dernier des Mohicans, une poésie en 12 chants et même un peu de Bible.

Finalement je me suis replongé dans le truc et j'ai subitement accroché. Le récit est réellement intéressant lorsqu'on le met en parallèle avec les conflits modernes. Pour ceux qui l'ignorent, Lawrence d'Arabie a mené la Révolte Arabe dirigée par Fayçal (Ier, roi d'Irak, de la dynastie des hachémites) en unifiant les tribus bédouins, et il a plus ou moins utilisé (et dans le même temps théorisé) la guérilla face aux armées turques pendant le première guerre mondiale.
La théorie guerrière ne manque pas d'intérêt ; notamment lu par Ho Chi Minh et les généraux Viet-Cong pendant la guerre du Vietnam avec les résultats que l'on connait. On peut se demander dés lors en quoi un texte basé sur la barbarie humaine peut être aussi intéressant ? C'est que c'est pas tant un texte sur la guerre qu'une pensée sur les moyens de lutte des faibles contre les puissants. Dans le cas de la Révolte Arabe, la théorie sera pratiquée avec succès puisque la mission de Lawrence d'Arabie se clôt avec la chute de Damas en 1918, qui sera une écrasante victoire des Arabes et des forces alliées. À travers 900 pages, Lawrence nous contera tout aussi bien la prise d'Akaba, de ses longs trajets dans le désert, les rigueurs de la faim, la soif extrême, les nuits blanches, les mœurs arabes si contraires à celles des anglais, les nuits d'hiver glacées dans la neige boueuse et la pluie froide, les paysages lunaires des plaines et la beauté surnaturelle de Wadi Rum, les missions de sabotage des chemins de fer...

C'est à travers autant de péripéties, parfois de semblance barbare (les scènes de guerre pure sont racontées sans aucun filtre) que l'auteur nous plonge dans un conflit de la WW1 trop méconnu dans nos pays mais pourtant véritablement passionnant.
Il reste qu'il s'agit néanmoins d'une œuvre pour lecteur averti qui n'a pas peur de se perdre dans les méandres des noms bizarres et des descriptions à rallonge. Un style lourd et opaque mais qui n'est pas dénué de beauté.
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« Réponse #942 le: jeudi 18 octobre 2018, 04:15:27 »
À chaque fois que le commun des hommes cloue au pilori un bouquin sous prétexte que les descriptions sont trop horribles, je fini par dévorer le livre.
Pour le Germinal de Zola c'est encore pire puisque tous les élèves en PLS de France et de Navarre s'accordent pour dire que l'auteur est une immonde purge :hap:

Je n'ai jamais eu à lire de Zola à l'école (par un miracle que je m'explique pas), mais d'autres Balzac et cie que j'ai peur de rouvrir tellement les souvenirs sont mauvais. Donc j'étais tenté de croire ce petit monde.

Que nenni :hap:
Non seulement j'ai été surpris par le style de l'auteur, mais surtout j'ai été scotché par la violence et la cruauté de l'histoire. Entre la petite bossue qui meurt de froid, le gars qui s'éclate la cervelle sur le trottoir et qui se fait arracher les noyaux par une mamie en furie, le type qui se fait carboniser par un coup de grisou, les balles qui trouent les gorges/ventres/coeurs/têtes de personnages dont certains sont des enfants, le cadavre frais qui flotte dans une mare d'eau dans laquelle sont obligés de rester plusieurs jours les deux héros du livre...

Si Germinal avait été un film, il aurait été interdit comme l'ont été certains classiques du cinéma d'horreur. Et ça tue ! 8-) Qui aurait cru que cet auteur socialo, caricature du gauchiste, hantise de tous les collégiens, cachait un tel esprit horrifique dans les méandres de son cerveau ? Et c'est pas de la violence gratuite, c'est viscéral, ça prend aux tripes, ça touche des gens qu'on a apprit à connaître et à apprécier, ce n'est jamais pour choquer inutilement mais pour montrer la violence du bas-monde de la manière la plus crue possible.

Je m'étais étonné de voir dans la bibliothèque d'une étrangère que j'ai connu une dizaine de livres de Zola, en fait je sais maintenant, les vrais le savent aussi, Zola ça tue, c'est un précurseur du gore viscéral mêlé de satyre sociale qui pique en plein cœur  <3
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« Réponse #943 le: jeudi 18 octobre 2018, 12:44:02 »
Oh ben écoute, je trouve que Germinal n'est pas si terrible que ça. J'en garde qu'un vague souvenir, mais s'il eu été moins long, je l'aurais lu en troisième avec pas plus de difficulté que ça.

Par contre toujours chez Zola, j'ai lu sûrement un des considérés comme les pires en terme de description : L'Argent qui rajoute aux descriptions un côté technique qui peut paraître un peu écœurant. Cependant, loin de penser qu'il s'agit d'une lecture agréable, les descriptions et le style ne m'ont pas gêné et l'histoire reste toute fois bien sympathique. Du coup je recommande chaudement de passer ses a priori et de s'attaquer si le coeur lui en dit à du Zola. Je ne ferais pas le même genre de compliment avec Jean-Jacques Rousseau.

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« Réponse #944 le: vendredi 19 octobre 2018, 00:10:49 »
J'ai de très bons souvenirs de Germinal, qui était le premier Zola que j'ai lu. J'ai d'ailleurs fort envie de le relire depuis que je me suis mise à lire les Rougon-Macquart dans l'ordre... mais j'en suis encore un peu loin, n'en ayant terminé que 9 pour le moment.
L'Argent a en effet pas mal de descriptions techniques autour des actions boursières, pas mon préféré des Rougon-Macquart que j'ai pu lire mais je ne l'avais pas lu avec déplaisir non plus. Après je ne sais pas si c'est le meilleur à prendre pour s'essayer à du Zola.

J'avais décidé de lire un roman de chacun des sœurs Brontë cet été (en anglais) et bon, comme je ne suis pas des plus rapides pour lire, je n'ai finalement terminé les trois livres choisis qu'hier. Du coup j'ai lu Wuthering Heights, Jane Eyre et Agnes Grey (pas le plus connu je crois mais le premier de Anne Brontë dont j'ai trouvé le format e-book gratuit)

Le seul dont je connaissais une partie du scénario était Les Hauts des Hurlevents mais en fait, il ne s'agissait que d'une petite partie de l'histoire, j'ai donc suivi avec surprise et non sans intérêt les manigances de ce diable d'Heathcliff qui ont suivi.
Agnes Grey et Jane Eyre ont quelques ressemblances en apparence, entre leurs protagonistes gouvernantes et la grande place des rapports de classe et de la religion dans les récits (présents dans WH aussi, en fait) mais ils se concentrent sur des points et sujets aussi différents que le sont les personnalités de leurs deux protagonistes.
Agnes Grey est plus facile à lire, étant beaucoup plus court que WH et JE qui peuvent paraître longuets à certains moments. J'ai bien aimé les passages décrivant les malheurs que les sales gosses gâtés de familles riches pouvaient faire subir aux gouvernantes et autres personnes à leur service.
Dans Jane Eyre, on se concentre plus des questions autour de la famille de cette orpheline (beaucoup aimé la partie sur son enfance) ainsi que sur les mystères regardant son employeur, qui sont dévoilés au compte-goutte. Ce qui peut s'avérer assez frustrant quand on a l'impression d'avancer très, très lentement. Après l'histoire s'emballe une fois qu'on a des réponses et prend quelques tours surprenants dans son quart final, que j'ai trouvé intéressant.