Doutch ==> Ouais, très bien même O:-) J'attendrais ton commentaire plus poussé pour te répondre en détail alors.
Mais en tous les cas merci d'avoir pris le temps de me lire, ça me fait très plaisir ^^
Sur ce, le tout beau tout propre chapitre XX, qui clôt le premier volume de la trilogie. (Bah oui, un Triangle ça a bien trois faces non? :p)
Enjoy!
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XX
-Le Tournoi-
Une clé tourna dans la serrure en grinçant. Presque aussitôt, la lueur aveuglante d’une torche illumina la cellule crasseuse. Tarquin plaça une main devant son œil pour s’en protéger.
-C’est déjà l’heure ?, grogna-t-il d’une voix pâteuse, la gorge déssechée.
-Et oui, grand maître ! L’heure de tirer la révérence.
-Mikau ?
-Le seul et l’unique. Allez, levez-vous, nous avons peu de temps. Vous ne voudriez pas rater le début du plus grand tournoi de tous les temps, si ?
Le chevalier lui prêta la main pour l’aider à se remettre sur ses pieds. Tarquin était courbaturé de partout, mais il retrouva rapidement son allure et sa vivacité. Son geôlier gisait en plein milieu du couloir sombre. Un peu de sang coulait d’une blessure à la tête.
-Il s’est montré assez peu coopératif, expliqua ser Mikau avec un sourire gêné.
Malgré toute sa vaillance, Tarquin vacilla sur lui-même et fut contraint de se soutenir au bras du chevalier. Ses bourreaux avaient été assez zélés. Le Zora eut la délicatesse de ne pas faire de commentaire. Les soldats du corps de garde dormaient comme des masses, les faces écrasées contre le bois de la lourde table.
-Je n’ai pu trouver qu’un soporifique léger. Il ne faut pas traîner.
Ils montèrent un court escalier et débouchèrent dans le hall d’une petite tour sise dans un coin des jardins. Tarquin constata que l’aube se levait à peine. Tout était encore enténébré de l’obscurité de la nuit. Deux Sheikahs les attendaient, cachés derrière un arbre.
-Il est probable que le Consortium possède des espions au château, fit Mikau en tendant au borgne un jeu de dagues et des bottes. Je suggère que vous restiez caché, jusqu’au moment propice.
-Une suggestion fort intéressante. Que s’est-il passé durant mon emprisonnement ? Comment va le roi ?
-Il ne s’est rien passé de notable, mais plusieurs de nos hommes ne donnent plus signe de vie. J’ai déjà pris la liberté de lancer quelques agents sur leurs traces. Quant au roi, sa santé semble être revenue. Il assistera aux jeux.
-Fort bien.
Tarquin leva les yeux vers le soleil levant, qu’on devinait à peine derrière les cimes des Monts du Péril, à l’Est.
-Mikau.
-Monsieur ?
-Ne me décevez pas. Le Royaume compte sur vous.
-A vos ordres, monsieur.
Au même moment, Feena Hurlebataille s’éveillait d’une nuit paisible. Marine était agréablement lovée contre elle, et c’était un délice de sentir sa peau nue contre la sienne. Le sang de leur empoignade de la veille avait séché, mais elle sentait encore les tiraillements des coupures et ses muscles étaient raidis par leurs ébats endiablés. Elle se passa une main sur le visage pour s’éclaircir les idées, et elle eut vaguement l’impression d’avoir rêvé, et que c’était un rêve assez important. Elle n’y accorda pas plus d’importance.
Après avoir déposé un baiser sur les lèvres de sa nouvelle amante, elle se dégagea gentiment de son étreinte et s’habilla.
-Madame compte-elle revenir ?
Marine était éveillée. Elle regardait Feena avec des yeux brillants, jouant de manière sensuelle avec ses cheveux. Son corps magnifique, sculpté par le drap souillé, fit monter le désir de la guerrière, mais elle le réfréna.
-Si mademoiselle n’y voit pas d’inconvénient.
-Que madame soit rassurée : elle dispose dès à présent d’une chambre attitrée dans notre bon établissement.
-C’est trop d’honneur.
Feena se pencha vers sa compagne, et elles échangèrent un long baiser langoureux.
-Je te verrai au Tournoi, fit-elle avant de quitter l’auberge, le cœur léger.
Lars Zora avait passé la nuit à polir l’armure de ser Sanks, à récurer sa maille, à graisser et affûter son épée, à lustrer ses bottes et briquer son écu. Une tâche fastidieuse mais qu’il avait accomplie sans rechigner, excité par la perspective des jeux à venir. Lui-même ne pouvait y participer, car trop jeune, mais il serait aux premières loges, avec les autres écuyers, pour vivre le spectacle. Et quel spectacle ce serait ! Toutes les plus fines lames du royaume seraient présentes : Lord Link, Lord Dorf, Lord Darmani, ser Allister, ser Mikau, ser Sanks, les frères Dodongo cadets et sûrement un ou deux reîtres compétents. Il se demanda vaguement à qui Lady Saria allait consentir sa faveur, mais il décida que finalement, cela ne l’intéressait pas beaucoup.
Sa relation avec son parrain avait bien progressé. Ser Sanks se fendait parfois d’une confidence, les entraînements à l’épée étaient moins brutaux et les punitions moins sévères. Locke semblait se faire à sa nouvelle condition de chevalier, s’y résignant malgré lui. Il avait perdu un peu de sa froideur, et cela était sûrement dû à dame Laruto, avec laquelle il passait beaucoup de temps. Lars espérait qu’ils se marieraient. Il était persuadé que la magicienne exerçait sur lui une influence positive…
Mais pour le moment, il fallait finir de graisser cette cotte de mailles : l’heure du tournoi approchait.
Au fur et à mesure que le soleil monta dans le ciel dégagé, les rues de la Cité se remplirent d’une foule nombreuse qui se dirigea dans un brouhaha joyeusement infernal vers la lice à l’extérieur des remparts. Un véritable labyrinthe de tentes, de pavillons et de stands avait poussé durant la nuit le long des douves et de la route royale. Des oriflammes chamarrées voletaient au vent léger sur les faîtes des assemblages de toile, et des écus décorés d’armoiries, placés devant les rabats annonçaient les augustes propriétaires. Une véritable ville en dehors de la ville était née, alimentée par les innombrables marchands et vendeurs à l’emporte pièce assaillis par des marées de badauds hilares ou simplement joyeux, et protégés des voleurs et des importuns par la milice urbaine aidée de la garde royale. On pouvait apercevoir le bon capitaine Feryl de-ci de-là, beuglant des ordres à ses hommes pour assurer la bonne marche de l’événement.
Le bureau d’inscription, tenu par l’intendant royal en personne, Maître Baelon, était flanqué de deux pavillons monumentaux aux armes du roi, contenant l’arsenal personnel de celui-ci ainsi que de son gendre, mais également les récompenses du tournoi. C’est pourquoi un groupe de milicien était campé non loin, observant avec tout le sérieux de leur profession la queue qui se faisait devant le bureau de Maître Baelon, pour compléter les inscriptions après paiement des droits communs. Pour s’épargner la peine de devoir fréquenter le bas peuple, les participants détenteurs du titre de chevalier au minimum pouvaient envoyer un représentant muni d’un sceau à leurs armoiries pour remplir les papiers à leur place. Cependant, certains nobles préféraient s’en charger eux-même, pour prendre la mesure de leurs futurs adversaires, ou s’imprégner de l’ambiance. Ainsi ser Mikau croisa Lord Dorf dans cette même file et il fallut six hommes pour les séparer lorsqu’ils en vinrent aux mains après un échange de piques oratoires. L’incident cependant n’ébranla personne, car une poignée de minutes plus tard, les deux hommes échangeaient des histoires grivoises autour d’une fantastique pinte de bière.
Certains marchands renommés de par le monde avaient envoyé des représentants, venus d’Holodrum, de Labrynna, plus rarement de Termina, ils proposaient des articles de grands luxe, tels des soieries, des bijoux fins, des encens, des parfums, qui faisaient la joie des grandes dames Hyliennes. Lady Ruto déambulaient bras dessus bras dessous avec dame Nabooru le long de ces échoppes, s’extasiant devant les couleurs, les formes et les odeurs. De tant en temps, elle demandait à dame Laruto, qui la suivait non loin, d’acquérir pour elle telle ou telle bagatelle. A son côté, dame Nabooru faisait sensation. Habillée des légères parures typiques de sa vallée natale, avec sa beauté rehaussée de fard et sa peau naturellement bronzée, elle rayonnait comme un joyau du désert, mystérieuse et hors de portée.
Pour garder l’ambiance festive jusqu’au commencement du Tournoi proprement dit, dans l’après-midi, l’on avait fait venir moult troupes de saltimbanques, des rhapsodes, des cracheurs de feu, des conteurs, des bardes, des montreurs d’ours et ceux-ci se produisaient partout où ils trouvaient une place. Une troupe de théâtre avait installé ses tréteaux non loin d’un stand de viande rôtie à la broche, et avait par conséquent un auditoire assez important parmi lequel se trouvait Fado le Faiseur de Vents, yeux fermés, tête penchée sur le côté, un léger sourire sur le visage et Lord Dumor qui, ne participant pas aux jeux, n’avait rien d’autre à faire que de profiter de tout ce que le tournoi avait à proposer. Les comédiens donnaient une représentation plutôt honnête de la dernière pièce de l’écrivain Toto di Algo, Les Seigneurs du Carnaval, mais Lord Dumor se permettait par moment une réflexion à haute voix quand l’un des artistes se trompait dans son texte ou simplement jouait mal, selon les critères du noble.
Lord Link fit grande sensation lorsqu’il apparut dans sa lourde armure de tournoi, couleur jade et incrustée de grenats rehaussés de fil d’or pur. Il flânait sur son destrier harnaché, la Lame Purificatrice battant le flanc de sa monture dans son fourreau, et faisait mine de s’intéresser aux étals des marchands qui rivalisaient de promesses et d’offres pour s’attirer les faveurs du prince. Partout où il passait, les gens l’acclamaient, lui demandaient sa bénédiction voire lui embrassaient les pieds en passant.
Feena assista à la scène, et ne put s’empêcher de cracher par terre.
-Je vois que la chose nous inspire la même pensée.
Ser Mikau la rejoignit, les sourcils froncés en observant la parade princière. Il avait revêtu son armure, un corselet de plates noires et bleues par-dessus une étroite chemise de mailles à motif turquoise. Son épée à la garde incrustée de saphirs lui ceignait le côté gauche et son écu battait contre son dos. Il tenait un heaume à cimier au serpent de mer dans le creux de son bras. Ses cheveux étaient retenus en arrière par un fin bandeau de soie frappé de ses armoiries.
-Je compte sur vous pour lui faire goûter de cette belle rapière, répondit la guerrière avec un sourire.
-Je devrais pourvoir faire ça.
Il lui sourit en retour, mais elle voyait à sa mine sérieuse qu’il était préoccupé.
-Il s’est passé quelque chose ?
-Pas vraiment. C’est… disons, un pressentiment. Aujourd’hui serait le jour idéal pour…
-Pour ?
-Non, rien. Oubliez cela, c’est sans importance.
Il poussa un soupir triste en fixant son heaume.
-Comme mon épouse n’est hélas pas avec nous, oserai-je vous demander de m’octroyer votre faveur ?
-Ma faveur ?
-Chaque chevalier participant aux jeux peut demander la faveur d’une dame, et combattre en son nom. Bien entendu, la bienséance oblige un champion marié à combattre au nom de son épouse, mais si celle-ci n’est pas présente, on tolère qu’il demande la faveur d’une autre.
-Si je vous la donne, imaginons, qu’adviendrait-il si vous remportiez le Tournoi ?
-Et bien j’aurais gagné le droit de passer avec vous une nuit entière, dans l’intimité… Et la chasteté, naturellement, s’empressa-t-il d’ajouter. C’est normalement l’occasion pour les jeunes champions d’essayer de séduire la dame de leur cœur.
-C’est follement romantique.
-N’est-ce pas ? Notez que je n’y accorde pas grande importance, mais le peuple chérit cette tradition.
-Soit. Dans ce cas, j’accepte que vous vous battiez en mon nom, ô ser Mikau.
-Un honneur, madame, répondit-il dans un nouveau sourire. Si vous voulez bien m’excuser, j’aperçois là-bas ce bon ser Allister et je crois que la dernière insulte que j’ai proférée à son encontre était un peu trop timorée : il n’a pas encore l’air bien prêt pour ce Tournoi.
Un peu plus loin, dans une tente ocre dont l’oriflamme s’ornait d’un limier noir, Lars Zora s’escrimait à attacher la sangle du plastron de l’armure de son parrain. Dans sa cuirasse d’acier noirci, avec les intimidantes épaulettes et la carrure naturelle de l’homme, ser Sanks en imposait. Sa tête hideuse renforçait cette impression, lui conférant l’allure d’un seigneur de guerre cruel. Cependant l’effet aller être gâché par le « cadeau » offert par Lord Link : un heaume intégral à mufle de chien. L’effigie était parfaitement ridicule, avec sa langue pendante et son air balourd, mais il était hors de question pour le chevalier de refuser un présent de son maître. Lars attacha le lourd écu au bras mutilé, prenant grand soin de ne pas toucher le membre meurtri. Ce faisant, il ne put s’empêcher de parler :
-Lord Link a finalement décidé de ne pas participer à la mêlée, de même que Lord Dorf. Je vais parier quelques pièces sur vous, messire.
-Si j’étais toi je parierais plutôt sur ser Allister ou ser Mikau.
-Messire ?
-Ce sont de fins bretteurs. A un contre un je ne doute pas d’en venir à bout, mais ils ont l’habitude de se battre ensemble, et rien ne les empêche de le faire.
Sur cette remarque obscure, ser Sanks n’ajouta plus rien.
-Et bien… Ser Mikau est mon oncle, alors, je miserai sur lui, dans ce cas…
Le chevalier dut remarquer la déception de son écuyer, car il s’excusa.
Lorsque le soleil amorça sa descente, la foule se dirigea petit à petit vers la lice. Celle-ci se résumait à un vaste cercle de pelouse délimité par des barrières contre lesquelles le commun s’agglutinait. De part et d’autre on avait érigé de hautes tribunes pour les nobles. Ceux des nobles qui ne participaient pas à la mêlée étaient d’ailleurs déjà installés, et discutaient tranquillement entre eux, peut-être s’autorisant quelques paris amicaux.
Malon était assise à côté de son père, à deux rangées des places royales. Elle l’entretenait gentiment mais son esprit était ailleurs. Elle se demandait si l’un des preux allait lui demander sa faveur. Ho ! Comme se serait doux si le ténébreux Allister ou l’intriguant Mikau la lui demandait ! Ou même ser Sanks… Au fil des longues nuits passées à son côté, elle avait appris à le connaître, et à l’apprécier comme un ami. Sous sa carapace de froideur se cachait un être blessé et fragile… Réflexion faite, elle donnerait volontiers sa faveur à ser Goro. Il était plutôt bien fait, et elle avait cru remarquer depuis quelques temps qu’il la regardait de plus en plus…
Elle en était là de ses pensées lorsque Feena Hurlebataille vint s’asseoir à côté d’elle. Malgré elle, elle se raidit. Elle avait fait tout son possible pour éviter la guerrière depuis leur… mésaventure. Elle se sentait mal à l’aise en sa présence. Cependant, la barbare se contenta de poser sa main sur son bras, gentiment, comme une amie.
-Vous n’avez rien à craindre. Je ne vous importunerai plus.
-Madame ?
-J’ai, disons, trouvé chaussure à mon pied.
-Ho.
Malon fut surprise de sentir une pointe de jalousie et de déception croître en elle, mais elle se reprit très vite. Elle était heureuse pour dame Feena.
La famille royale arriva peu après, et prit place sous les vivats de la foules. Le roi Salomon paraissait en pleine forme, et heureux d’être là, démentant ainsi les rumeurs qui couraient sur sa santé défaillante. Son jeune fils le suivait de près, dardant ses yeux vairons partout où il le pouvait, s’exclamant à la vue des chevaliers en armure, trépignant sur place d’excitation. Sa sœur était plus pondérée, souriant poliment au peuple qui l’appelait. Elle était accrochée au bras de son époux qui lui-même ne pouvait contenir un certain air de satisfaction.
Le héraut royal vint se placer devant la tribune, et levant sa longue trompette d’or, réclama le silence d’une note brève et sonore.
-Les faveurs !, tonna-t-il d’une voix de stentor.
C’était le moment du tournoi que les jeunes dames attendaient le plus. Elles avaient préparé leurs foulards avec le plus grand soin, brodant du mieux qu’elles le pouvaient les armoiries de leur famille. Certaines y avaient passé des heures en travail intensif, pour rien, peut-être. Toutes espéraient que l’élu de leur cœur viendrait à elles mais peu seraient satisfaites.
Ser Mikau s’avança le premier, chevauchant un hongre pie d’une main, tenant une longue lance de tournoi de l’autre. Il n’avait pas encore coiffé son heaume. Le Zora faisait chavirer plus d’un jeune cœur, surtout que dans sa jeunesse volage il avait eu l’habitude de courir la gueuse pour le plus grand bonheur et le plus grand malheur de ces demoiselles. Même s’il était marié, venu sans son épouse il pouvait demander la faveur d’une dame, ce qui offrait potentiellement une nuit inoubliable avec l’un des chevaliers les plus émérites d’Hyrule.
Il fit avancer son cheval jusqu’au centre de la lice, pour faire durer le suspens, puis se dirigea vers la tribune royale, avec un sourire confiant.
-Mon roi, je vous salue !, déclara-t-il avec une révérence. Je vous souhaite un agréable tournoi et espère vous procurer un spectacle digne d’intérêt.
-Je vous ai déjà vu combattre, répondit Salomon avec un sourire éclatant, aussi je sais que vous serez à la hauteur.
Ser Mikau parcourut ensuite la tribune du regard, s’attardant sur les dames jusqu’à les faire rougir, puis finalement présenta la pointe de sa lance à Feena Hurlebataille.
-Madame, ce serait pour moi un honneur et une immense joie de concourir sous vos couleurs, au nom de notre amitié et des liens qui unissent à présent votre peuple au nôtre.
Peu au fait de la tradition, la guerrière coupa une longue mèche de ses cheveux roux qu’elle noua à l’arme du chevalier.
-Puissiez-vous vaincre, messire.
Des vivats montèrent de la foules tandis que ser Mikau rejoignait ses concurrents. Des murmures parcoururent les tribunes, les unes se désolant du choix du chevalier, les uns soupirant en rêvant d’une nuit passée au côté de la belle barbare. Les autres chevaliers se succédèrent les uns après les autres. Ser Sanks obtint la faveur de dame Laruto, ser Allister celle de Lady Koume Dragmir, à qui il était promis. Ser Mido demanda chastement la faveur de sa jeune sœur, Lady Saria. Ser Goro reçu le foulard de Lady Kotake. Enfin, ser Sedrik, le plus jeune de la fratrie Dodongo, présenta en rougissant et bafouillant sa lance à Malon.
Cette dernière se demanda avec une pointe de rancœur comment dame Feena avait pu obtenir ainsi la sympathie de ser Mikau, alors qu’elle n’était pas… « intéressée » par le sexe fort. Mais elle se consola en se disant que son sort aurait pu être pire. Elle aurait pu donner son foulard à un chevalier errant anonyme ou à un quelconque petit hobereau.
Lorsque la ronde des faveurs fut achevée, le héraut appela les combattants au centre de la lice.
-Peuple d’Hyrule !, commença-t-il en lisant le parchemin qu’on lui avait remis. Gentes dames et nobles seigneurs. Nous voici réunis en ce jour pour célébrer l’avènement de notre Héros, et pour honorer la mémoire de notre reine bien aimée, la reine Ishtar. Longue vie à la reine !
-Longue vie à la reine !, scanda la foule avec une main sur le cœur.
-Pour ce faire, reprit le héraut, les plus preux d’entre nous s’affronteront au cours de six épreuves visant à évaluer leur bravoure, leur vaillance, leur habileté, leur honneur, leur courage et leur détermination. Chaque épreuve récompensera son vainqueur par mille souverains d’or ainsi qu’un souhait exprimé à sa Majesté le Roi. Ces épreuves sont au nombre de six : la mêlée, la joute, l’archerie, les duels, la danse et la rapsodie. Aujourd’hui, avec la bénédiction des Très-Hautes, nous assisterons à la mêlée et à la joute. Champions ! Prenez place. La mêlée mettra à l’épreuve votre endurance et votre vaillance. Pour gagner, il suffit d’être le dernier homme debout. Il est interdit d’utiliser des armes non émoussées ou non mouchetées. Autrement, tout est permis. Vous êtes libres d’abandonner à tout instant, en vous retirant de la lice ou en posant le genou au sol. Attaquer un adversaire au sol est synonyme de disqualification immédiate. Champions ! Puissiez-vous combattre avec bravoure et que les Déesses guident vos bras.
Le héraut descendit de son estrade et quitta précipitamment la lice. Près de quatre vingt guerriers étaient répartis dans l’arène. Les chevaliers en armure intégrale et écu, des reîtres en armures légères et armes d’assaut –vouges, hallebardes, épées à deux mains, fléau d’armes- ainsi que des spadassins misant sur leur vitesse au détriment de leur protection. Ils se regardaient en chiens de faïence, attendant patiemment le signal de départ.
Le roi se leva, et la foule fit silence, dardant ses regards sur le carré de soie que sa Majesté tenait du bout des doigts. Avec un sourire, il le lâcha, et lorsque l’étoffe toucha le sol, le chaos éclata au sein de la lice. Des cris de guerre jaillirent de toutes parts, le fracas des armes gronda avec intensité. Les moins prompts furent balayés dès les premières minutes, mis au sol, désarmés ou poussés hors de l’arène par des adversaires peu scrupuleux. L’armement inoffensif n’empêchait pas les concurrents de déchaîner leur brutalité, frappant, tranchant, se fendant avec hargne. La tactique principale de la mêlée consistait à viser le heaume pour sonner l’opposant et le faire choir. Dans un espace aussi restreint, avec autant de combattants, il était difficile de surveiller ses arrières tout en protégeant ses flancs. Les plus sournois se contentaient de frapper par derrière en évitant au maximum les confrontations directes.
La foule vibrait au rythme des combats. Des vivats s’élevaient lorsqu’un de ses favoris mettaient au tapis un adversaire, ou poussait des grondements de colère quand ils se faisaient au contraire mettre hors combat. Rapidement, quelques valeureux se démarquèrent des autres. Ser Sanks, dont la carrure et le heaume effrayaient les moins hardis ; ser Mikau et ser Allister qui combattaient côte à côte, un tandem aussi implacable qu’efficace ; Lord Darmani dont le marteau de guerre pesant fendait l’air avec la vitesse de l’éclair et enfin un jeune reître au teint halé qui maniait une épée curieuse à la lame recourbée.
Les combattants disqualifiés quittaient l’arène, parfois sur une civière lorsqu’ils étaient inconscients, et se mêlaient à la foule, huant et acclamant tout leur saoul. Bientôt il ne resta plus qu’une petite poignée de braves.
-As-tu un favori ?, s’enquit Lady Saria en se penchant vers Lars.
-Oui, répondit le jeune Zora sans détacher les yeux de la mêlée.
Comme il le pensait, ser Sanks se débarrassait avec facilité de chacun de ses adversaires. Ses coups étaient précis, intelligents et surtout patients. Contrairement à la plupart des autres guerriers, il ne se précipitait pas. Il prenait le temps de ménager son espace vital, couvrant ses arrières avec un jeu de jambe adroit. Son écu couvrait efficacement son flanc droit et sa posture n’ouvrait aucune brèche dans son flanc gauche. Aussi, il ne bougeait quasiment pas. Il se déplaçait uniquement lorsque plus aucun adversaire ne se présentait à lui, autrement il attendait ses opposants.
D’un autre côté, il y avait oncle Mikau et ser Allister. Il suffisait de les regarder pour comprendre que ces deux là avaient appris à se battre ensemble. Ils anticipaient les manœuvres de l’autre sans jamais se parler, couvrant les angles morts l’un de l’autre sans jamais laisser la moindre faille. Il n’était pas interdit à deux concurrents ou plus de s’allier, et ils en profitaient pleinement. Ils s’abattaient sur leurs ennemis comme une paire de cisailles implacables, sans laisser la moindre chance aux malheureux qui se trouvaient sur leur chemin. C’était une tactique risquée, car à la fin, il ne pouvait en rester qu’un.
-Je crois que si mon oncle et ser Allister viennent à bout de tous les autres, ser Allister sera vainqueur car il est plus grand et plus fort. Mais autrement, je pense que ser Sanks a toutes ses chances. Il est méthodique et sacrément adroit. Lord Darmani commence à s’essouffler : il n’est plus tout jeune et son arme doit peser des tonnes ! Ce reître là n’est pas mauvais non plus, mais il est trop impatient, et seule sa vitesse l’a sauvé pour le moment, car il laisse énormément de failles dans sa défense.
-Je vois, fit Lady Saria en hochant la tête. J’ai personnellement misé quelques pièces sur ser Mikau, alors j’espère que vous vous trompez.
-Qu’en pensez-vous ?, souffla Malon à Feena.
-Le Chien va gagner.
-Ha ?
-Oui, il domine tous les autres en maîtrise et en puissance. Regardez : ses mouvements sont toujours aussi fluides et il n’est pas même essoufflé. Mikau et Allister s’en sortent bien également, mais ils n’ont pas l’expérience de Sanks.
-Ho… Je… Je vois.
La foule retint soudain son souffle : Lord Darmani avait engagé ser Sanks dans un combat singulier.
-Si je m’étais un jour attendu à rencontrer un chien au beau milieu d’une mêlée, ironisa le Dodongo en raffermissant sa prise sur son marteau.
Ser Sanks ne répondit rien. Son heaume cachait intégralement son visage, renvoyant l’image effrayante d’un mastiff prêt à bondir. Lord Darmani fit jouer ses épaules douloureuses. Il soufflait comme un bœuf, étouffant sous son casque au cimier d’auroch. Sachant pertinemment qu’il n’avait pour lui que sa force, il chargea en poussant un cri de guerre. La tête de son marteau s’écrasa sur l’écu de ser Sanks sans parvenir à le briser ni même à le fendre. Le Chien accompagna le mouvement d’une torsion du bassin, emportant Darmani dans son élan. Dans le même tempo, son épée émoussée s’éleva dans l’air, comme la sentence irrévocable d’un bourreau, et s’écrasa avec un fort bruit métallique contre le heaume du Dodongo. Sonné, ce dernier recula en titubant, sous les hués du public.
Il s’attendait à ce que son adversaire l’achevât rapidement mais celui-ci avait repris sa posture de combat. Cela irrita Lord Darmani qui s’élança, tête en avant tel un taureau furieux. Ser Sanks ne fit qu’un pas sur le côté. Emporté par le poids de son armure, Darmani vint s’écraser contre les barrières sous les rires moqueurs de la foule. Poussant un cri de rage, il chargea encore une fois. Son marteau décrivit une courbe redoutable mais vint à nouveau buter contre l’écu levé du Chien. D’un unique coup violent et diablement précis, le chevalier fit exploser le cimier du heaume de Darmani. Le nez en sang, ce dernier chut au sol et avant d’avoir pu se relever, il se retrouva avec l’épée de ser Sanks sous la gorge.
-Je me rends !, déclara-t-il à haute voix.
Les spectateurs applaudirent à tout rompre et des « Le Chien ! Le Chien ! » commencèrent à fuser.
De l’autre côté de la lice, le duo de chevalier achevait l’habile reître aussi facilement qu’on avale une sucrerie. Un frisson d’excitation parcourut la foule et un silence difficilement contenu s’abattit sur le champ d’honneur : il ne restait plus que trois hommes debout.
Ser Mikau se débarrassa de son heaume en avalant de longues goulées d’air frais. Ses longs cheveux étaient plaqués sur son visage par la sueur. Ser Allister et ser Sanks l’imitèrent, mais à la différence des deux autres, le visage du Chien était toujours aussi impassible. Il respirait normalement et seules quelques gouttes de sueur emperlaient sa peau.
-Je dois vous féliciter, messire, cria ser Mikau en se passant une main dans les cheveux avec un sourire. Vous n’avez pas usurpé votre réputation.
-J’en ai autant à votre service, répondit l’intéressé d’une voix égale.
-Vous ne nous en voudrez pas, je gage, si nous vous engageons à deux contre un ? C’est que voyez vous nous avions dans l’idée un duel final de toute splendeur entre ser Allister et moi même.
-Ne vous en faites pas pour cela. Je n’en garde aucune offense. Au contraire, je pourrais dire que je suis plutôt flatté qu’il faille deux aussi habiles bretteurs pour me mettre au sol.
Le sourire de ser Mikau s’élargit et des rires fusèrent.
-Je suis content que vous le preniez comme ça. Sincèrement.
Sans autre palabre, ser Allister chargea. Le public poussa une exclamation de stupeur devant la vitesse avec laquelle le chevalier se mouvait, malgré le poids de son armure, de son épée et de son lourd écu. Le Chien lui-même parut surpris car il encaissa la charge avec difficulté. Il recula sous l’impact, et dut ferrailler avec prestesse pour tenir la lame de son adversaire loin de lui. Comme ils s’affrontaient à visage découvert, l’honneur interdisait de viser la tête : il s’agissait dorénavant de désarmer l’autre ou de le faire choir. Les coups de ser Allister pleuvaient avec force et régularité, confinant ser Sanks dans une posture défensive.
Ser Mikau contourna les deux hommes et tenta une approche par derrière. Par un prodige quelconque, le Chien repoussa ser Allister juste assez longtemps pour se retourner et bloquer la lame du Zora avec la sienne. Ils luttèrent au corps à corps, les traits tendus, les dents serrées, mais le Chien finit par prendre l’avantage et fit reculer son adversaire. Encore une fois juste à temps pour parer un nouvel assaut d’Allister. Le tandem harcela sa proie, l’obligeant à s’épuiser dans des parades de plus en plus périlleuses. Ser Sanks finit par être acculé contre une barrière, bataillant comme il le pouvait pour ne pas se faire submerger.
-Ser Sanks se bat assurément bien, déclara Lord Dumor en prenant une gorgée de vin, mais ces deux là sont trop forts pour lui.
-Je n’en suis pas si sûr, répondit Fado d’une voix légère.
-Qu’est-ce que tu veux dire ?
-Rien.
-Je hais quand tu fais ça.
-Je sais.
Soudain, comme pour donner tort au magicien, ser Mikau brisa la garde du Chien, et se fendant d’une botte habile, fit voler l’arme de son adversaire dans les airs, sous les applaudissements de la foule en liesse.
-Les jeux sont faits, commenta tristement Lars.
Mais à la surprise générale, le Chien attrapa au vol le poignet de ser Allister qui s’apprêtait à lui donner le coup de grâce. Dans un mouvement de lutte, il tourbillonna le long du membre emprisonné et projeta son adversaire contre la barrière. D’un violent coup de botte dans le dos, il lui fit mordre la poussière. Ser Mikau poussa un cri et se jeta en avant, mais ser Sanks était trop fort pour lui. Il écarta la lame du Zora d’un violent revers de son écu, suffisamment puissant pour le déséquilibrer et d’une poussée de l’épaule l’envoya au sol à son tour.
Il y eut un silence médusé, rapidement brisé par des vivats, des cris, des applaudissements, lorsque le héraut s’époumona :
-Ser Sanks, vainqueur de la mêlée !
-Je vous l’avais dit, sourit Feena avec un air matois. L’expérience. C’est ce qui a fait la différence.
-Ha, répondit Malon, dubitative.
-Heureusement que je ne l’ai pas écouté, grommela Lars en empochant ses gains.
-Et bien, sourit ser Mikau en acceptant la main tendue de ser Sanks, j’imagine que vous avez eu de la chance.
-De la chance, oui, c’est tout à fait ça.
Le Chien tenta de sourire en retour, mais renonça quand les cicatrices de son visage se rappelèrent à son bon souvenir. Bons perdants, le Zora et le Dodongo s’inclinèrent devant le vainqueur. Ser Sanks se rendit ensuite devant la tribune royale, et posa un genou à terre devant le roi. Le capitaine Feryl lui remit un coffret contenant les mille souverains d’or chatoyants.
-Champion! Votre roi vous offre un souhait. Parlez.
-Je… Je ne désire rien d’autre que servir, répondit ser Sanks en inclinant humblement la tête.
-En ce cas, rétorqua Salomon en se levant, un bras tendu, je vais exaucer un autre souhait qui m’a été formulé. Relevez-vous, Lord Sanks, châtelain de Pont-L’Hylia.
Lord Sanks quitta l’arène sous les ovations de la foule. Il avait une démarche raide et mécanique. Quiconque le connaissait aurait pu dire que loin de le réjouir ce nouvel avancement dans la hiérarchie sociale le rendait encore plus malheureux que sa condition non souhaitée de chevalier. Lars le rejoignit un peu avant qu’il n’atteignît son pavillon.
-Monseigneur!
-Ne m’appelle pas comme ça.
-Pourtant, vous êtes Lord maintenant. Il faudra vous y habituer, messire.
-Lord…
Le visage du Chien était blanc comme la mort et on pouvait lire dans son œil comme… de la peur.
-Vous avez été incroyable! Vous les avez tous battus, sans coup férir.
-Non. Ser Allister m’a laissé gagné.
-Que… Pardon?
-Il a eu quatre fois l’occasion de me désarmer ou de me porter un coup fatal, mais il a retenu son bras quatre fois.
-Mais… Pourquoi?
-Parce que… Non, rien. Oublie ça. C’était ton idée?
-Messire?
-Mon titre…
-Non messire.
-Qui administre Pont-L’Hylia à l’heure actuelle?
-Personne messire. Le précédent châtelain est mort veuf et sans descendance. La ville est sous la protection de ma famille.
-Bien… Oui, c’est bien… Aide moi à enlever cette satanée armure.
On laissa une heure s’écouler pour permettre aux combattants de récupérer, de se restaurer ou de se préparer. Un ours dansant et un bouffon investirent l’arène pour divertir la foule, pendant que des ouvriers installaient une courte cloison de bois au centre du champ d’honneur, parallèle aux tribunes et traversant la zone quasiment de part en part.
Dans le pavillon princier, aisément repérable par l’énorme étendard au loup noir qui gardait l’entrée, Son Altesse Link finissait de passer sa lourde et riche armure. Son écuyer, le prince Nohansen, étant trop jeune pour porter les lourdes pièces, et surtout n’y connaissant rien aux spallières, corselets, cubitières et autres cuissards, c’était Lord Sanks qui s’afférait à armer son maître. Celui-ci n’avait pas encore prononcé un mot, mais dardait sur son Chien un regard plein de haine et de mépris. Lorsqu’il fut complètement armé, il frappa son vassal au visage si violemment que celui-ci tomba au sol, renversant une chaise.
-Qu’importe les titres que tu porteras, fit Link d’une voix glaciale après lui avoir craché dessus. Qu’importe ce que tu accompliras. Tu resteras à jamais mon Chien. N’oublie jamais tout ce que tu me dois.
-Oui… Oui, messire, pardonnez moi.
Sur ces mots, le prince rejoignit l’arène où son destrier l’attendait.
La joute, l’épreuve de tournoi par excellence, était réservée aux seuls nobles. Ceux-ci s’alignaient de part et d’autre de l’arène, engoncés dans leurs riches et sophistiquées armures complètes, avec au bras leur lourd écu frappé des armes de leurs familles respectives. C’était une véritable parade de couleurs, de motifs, d’éclats et de formes. Les écuyers s’agglutinaient autour de leurs maîtres, attentifs à accomplir leur moindre requête, prêts à leur tendre les longues lance d’arçon à pointe ronde.
La joute était organisée autour d’une série de duels. Chacun des participants rencontrait un certain nombre d’adversaire, et une défaite était synonyme de disqualification. Pour s’assurer qu’une maladresse ne mette un terme à la joute d’un grand du royaume, les Lords et les chevaliers issus des familles régnantes étaient dispensés des premières luttes, entrant dans la compétition qu’aux échelons les plus hauts du tournoi.
Dans une passe de joute, les deux combattants s’élançaient au galop l’un vers l’autre, chacun de son côté de la cloison et du côté opposé. Il s’agissait de faire vider les étriers au rival en brisant sa lance contre son écu. Si les deux adversaires tombaient en même temps, alors s’en suivait un duel à l’épée jusqu’à ce que le Roi déclare l’un ou l’autre vainqueur ou qu’une reddition soit prononcée.
L’épreuve dura de longues heures, rébarbatives au début lorsqu’il fallait regarder les jeunes et peu talentueux hobereaux se faire choir les uns et les autres, et bien plus excitantes quand les Dorf, Dodongo et autre Zora entrèrent dans la danse. Ser Allister et ser Mikau tombèrent l’un contre l’autre. Le duel fut intense ; ils brisèrent pas moins de huit lances avant que ser Allister ne fasse goûter l’herbe à ser Mikau. Lord Darmani balaya ser Sédrik en une passe, quant à lord Link il ridiculisa ser Goro en le poussant du plat de la main. Lord Dorf ne fit qu’une bouchée du pauvre ser Mido, qu’on envoya auprès d’un guérisseur pour s’occuper des ses cotes cassées.
Sans prendre de répit, Lord Dorf s’avança à nouveau, terrible colosse dans son armure noir au cimier à face de sanglier du désert. Son heaume intégral cachait ses traits, le rendant plus impressionnant encore. Contrairement aux autres participants, il avait choisi un lourd et puissant estramaçon, qu’il portait dans le dos. Lord Darmani se présenta à l’autre bout de la lice. Malgré son âge avancé, c’était un adversaire coriace et endurant, qui avait l’expérience des tournois. Son armure d’un écarlate passé s’ornait d’innombrables égratignures, bosses et autres traces de coups. La légende voulait que Lord Darmani n’ait jamais changé d’armure en plus de quarante ans.
Les deux hommes se saluèrent d’un hochement de tête en s’emparant de leurs lances. Ils se tenaient bien droits, stoïque, leurs chevaux renâclant d’impatience en attendant le signal. Lorsque le héraut fit retentir sa trompette, la foule retint son souffle. Les deux puissants destriers s’élancèrent l’un vers l’autre, martelant le sol de leurs lourds sabots, la gueule écumant, les yeux exorbités sous leurs caparaçons. Le temps sembla suspendre son cours un instant puis reprit sa marche dans le fracas des lances qui se brisent. Les deux lords parvinrent à se maintenir en selle au prix d’une périlleuse manœuvre. Sans attendre ils regagnèrent les extrémités de la lice où des écuyers les réarmèrent.
La deuxième passe envoya lord Darmani au sol, dans un cliquetis de métal assourdissant. Une ovation et des applaudissements saluèrent la performance de lord Dorf, qui releva sa visière sur un sourire de triomphe. Lord Link et ser Allister prirent place. Le prince était sublime dans son armure de plates vertes incrustée de grenats et d’or, et son heaume au cimier au loup lui conférait une stature impressionnante. Il avait le sourire assuré d’un homme certain de sa réussite.
Par contraste, ser Allister avait enfilé un simple corselet d’écailles rehaussé d’un demi plastron en plaque rougeoyante. Le cimier de son heaume arborait un dragon, griffes et crocs en avant. Son visage fermé dardait sur son adversaire un mépris et une colère non dissimulés.
La première passe sembla leur servir à prendre la mesure l’un de l’autre. La deuxième et la troisième ne parvinrent pas à entamer le sourire du prince. A la huitième cependant, l’assurance laissa place à la frustration, comme le Dodongo brisait implacablement ses lances successivement sans daigner passer par-dessus la croupe de son destrier. La quatorzième lance de Link ripa sur l’écu de ser Allister et trouva une prise dans son corselet. Le chevalier vida les étriers sans un cri, effectua un court vol plané avant de se réceptionner durement sur le dos.
-Pensez-vous que notre bon lord Dorf va avoir la politesse de laisser l’honneur d’une victoire à son Altesse?, demanda à haute voix lord Dumor après une gorgée de vin indifférente.
-Je ne pense pas, répondit ser Mikau. Attendez-vous à un duel âpre.
Ser Allister se releva péniblement. Link vint le toiser du haut de sa monture et lui adressa la parole, trop doucement pour être entendu. Mais à la façon dont le Dodongo serra les poings, la moquerie semblait cuisante.
Une courte pause fut accordée aux deux derniers combattants encore en lice. Le soleil avait entamé sa descente, projetant sur le champ d’honneur de longues ombres et teintant l’atmosphère d’une lumière orangée. L’air se rafraîchissait sérieusement, faisant frissonner les humbles dans leurs manteaux rapiécés.
-Peuple d’Hyrule!, cria le héraut en grimpant sur sa caisse. Acclamez vos champions pour la dernière passe d’arme! A la droite de sa Majesté, lord Dorf Dragmir, Grand et Sage du Royaume, souverain de la vallée Gérudo et défenseur du Désert du Doute. Face à lui, son Altesse lord Link d’Hyrule, Grand et Sage du Royaume, fédérateur des Clans, Gouverneur du Sud, Héros et détenteur de la sainte Lame Purificatrice.
Les ovations et l’hystérie du public furent à la hauteur des titres ainsi énoncés. Les deux hommes prirent place, chacun aussi confiant en sa victoire que l’autre. C’était deux guerriers, deux prédateurs aussi peu habitués à la défaite l’un que l’autre. Ils se jaugèrent du regard, impatients de prouver leur supériorité inconditionnelle.
Lorsque le héraut porta sa trompe à ses lèvres, la foule fit silence, exaltée. Dès que la note retentit dans l’air, les deux guerriers lancèrent leurs montures au galop, dans le fracas des sabots et le cliquetis des armures. Ils abaissèrent leurs lances en même temps, le bouclier bien levé, légèrement couchés sur l’encolure. Le choc fut terrible. Les lourdes lances d’arçon implosèrent au contact des écus, projetant d’énormes échardes de bois. La collision décolla et lord Link et lord Dorf de leurs selles. Pendant que leurs destriers continuaient leur course effrénée, ils churent lourdement au sol. Mais ils ne prirent même pas le temps de reprendre leur souffle. Ils se relevèrent de concert, se débarrassèrent de leur heaume et firent jaillir leurs armes hors de leurs fourreaux. La Lame Purificatrice scintillait sous le soleil couchant, sa lame effilée chantant à chaque mouvement.
Mais ces petits tours n’impressionnaient pas lord Dorf. Celui-ci sauta par-dessus la cloison, au mépris du poids de son armure. Son lourd estramaçon qu’il maniait presque d’une seule main semblait forgé dans l’obsidienne. Par contraste avec l’épée des légendes, elle semblait absorber la lumière ambiante.
Le premier coup de lord Dorf fut suffisant pour fendre de part en part l’écu de lord Link, qui s’en débarrassa d’un mouvement du poignet. La riposte ne se fit pas attendre ; le Prince compensait la différence de force et d’allonge par son agilité, mais pas par sa subtilité. Les bottes, les feintes, les parades étaient empreintes d’une brutalité grossière. Tandis que le soleil mourant dardait ses derniers rayons, les deux combattants ahanaient, les lames se croisaient dans des explosions d’étincelles bleutées.
Plus personne n’osait piper mot ; tous, seigneurs comme roturiers, observaient cette débauche de violence avec un silence angoissé. Chaque fois que lord Dorf paraissait prendre l’ascendant, lord Link parvenait à inverser la pression, et vice et versa. Ce dernier virevolta sur la gauche, arma son bras et décocha une frappe qui aurait décapité lord Dorf si celui-ci n’avait pas bloqué l’attaque par un mouvement désespéré dont la violence du choc leur arracha un cri.
Leurs visages étaient déformés par la fureur de vaincre, emperlés de sueur, luisants. Pour les spectateurs, plus la scène avançait plus elle se parait d’un air d’inexorable. Poussant son avantage, Dorf plia son adversaire en deux d’un coup de botte violent et d’un entrechat fluide accompagné d’un éclair noir, il désarma lord Link. La Lame Purificatrice s’envola en tournoyant, propulsant des éclats argentés. Ivre de victoire, Dragmir envoya le Prince au sol d’une ruade, sourd au hoquet de stupeur de la foule. Levant son estramaçon au dessus de sa tête, tel un bourreau prêt à exécuter la sentence, il fit mine d’achever le vaincu.
Mais son geste fut stoppé par l’épée des légendes. Lame blanche et lame noire s’entrechoquèrent dans un tumulte de fin du monde. Locke Sanks, bien campé sur ses appuis, faisait de son corps un rempart pour son maître, son bras mutilé levé pour renforcer sa parade. Avant que lord Dorf n’ait le temps de réagir, le Chien le repoussa et d’un revers fulgurant de la Lame Purificatrice, il trancha net trois doigts au seigneur Gérudo. Ce dernier lâcha son arme et recula, tenant sa main meurtrie d’où coulait un sang sombre avec un air hébété.
Des gardes se précipitaient déjà dans l’arène, de même qu’une nuée d’écuyers et un guérisseur qui courut vers le blessé. Au centre, lord Sanks tendit la main et aida le Prince à se relever, la mine peinée.
-Je suis désolé messire, s’excusa-t-il en lui rendant son épée.
Link récupéra la Lame Purificatrice sans dire un mot. Sa lippe inférieure tremblait de rage. Il contempla un moment son reflet dans l’acier enchanté.
-Désolé, hein?, murmura-t-il.
Le coup de poing qu’il lui décocha fit reculer le Chien de quelques pas.
-Désolé?!
Il hurlait à présent. Fou de rage, il ne se rendit même pas compte que la moitié d’Hyrule avait cessé toute activité pour l’observer.
-Chien stupide! Bâtard! Non content de me voler MA gloire et MES honneurs, il faut aussi que tu me voles mes combats? Monstre difforme!
-Messire, non je vous en prie, je ne voulais… de… grâ…
La Lame Purificatrice ressortit du dos du Chien dans une gerbe de sang obscène qui souilla l’arme magique. Il tituba légèrement comme un homme ivre. Il baissa lentement le regard sur la garde de l’épée qui dépassait de son abdomen, hagard, puis remonta le long du bras qui la tenait, jusqu’au visage mortellement calme de Link, splendide incarnation du mépris et du dégoût. D’un geste brusque, ce dernier dégagea sa lame du carcan de chair et repoussa son féal lorsque celui-ci essaya de se retenir à son épaule.
Le chevalier chut sur les genoux, hoquetant sans comprendre. Des cris retentissaient partout.
-Quand j’ai pris ton œil et ta dignité, j’aurais également du prendre ta vie, cracha Link.
Et tandis que le chaos éclatait dans la lice, la tête de Lock Sanks, celui qu’on appelait le Chien, s’affaissa sur son torse, alors que son sang enténébrait l’herbe autour de lui.
FIN.