Voilà ma petite tragédie relue, corrigée et aérée, réalisée pour la deuxième manche du concours Breath of the Style

La Nostalgie d'Hyrule
Tragédie en trois actes
Personnages
Mipha Esprit de la défunte Princesse et Prodige des Zoras, amoureuse de Link
Link Prodige des Hyliens, fraîchement réveillé d'un sommeil d'un siècle et amnésique
Din, Nayru et Farore Déesses créatrices du monde
Hylia Leur fille et leur exécutrice en Hyrule
Le Chœur des morts Victimes de la défaite du Héros[Link, désigné Prodige par la race des Hyliens, a été laissé pour mort un siècle auparavant, échouant dans sa tentative de repousser un mal millénaire nommé le Fléau. Ses compagnons d'alors, prodiges désignés par chaque race d'Hyrule, ont péri, leurs esprits piégés dans des machines de guerres mythiques aux formes animales qu'ils dirigeaient. Seule la Princesse des Hyliens, Zelda, a survécu et contient le mal depuis un siècle, dans un monde ravagé. C'est à elle que Link doit son sommeil de cent ans et sa survie. L'action prend place dans une de ces créatures mécaniques, en forme de gigantesque éléphant, nommée Vah'Ruta, corrompue par le Fléau. Link s'y rend pour la libérer de cette influence, encore incertain, traversé par des souvenirs qu'il ne comprend pas réellement, et servant une cause qui lui semble trop grande pour lui. Mipha, Prodige et Princesse des Zoras y a trouvé la mort : elle se manifeste sous forme d'esprit interpellant Link. Le Chœur, les déesses et Hylia commentent l'action et réfléchissent à la trajectoire des êtres d'Hyrule : leurs devoirs, leurs errances, leurs échecs, la fatalité de leurs destins, toujours condamnés à rejouer la même légende et le même combat.] Note de l'auteur :
Il est évident que, pour des besoins dramatiques, les caractères de Link et Mipha connaissent des modifications par rapport au scénario du jeu. Néanmoins, il faut replacer cette modification dans le cadre d'une tragédie : Mipha est une princesse et il y a une volonté d'insister sur son « haut rang » en tant que personnage, ce qui peut expliquer sa relative hargne par rapport à la timidité du personnage décrit dans le jeu. L'amertume générale se veut aussi une interprétation de ce que peuvent bien ressentir des gens enfermés avec eux-mêmes pendant cent ans. Enfin le registre relativement soutenu de langage, peut-être surprenant pour Link, est aussi à considérer du point de vue du genre tragique. Acte I
Scène 1
Le Chœur, Link, Mipha
Le Chœur : Tout va encore se jouer, voilà. Ah ! Pauvre Hyrule fatiguée… Sous le coup de ton implacable destin, nous sommes bien évidemment tombés. Que pouvions-nous faire d'autre ? Rien. Encore ce que vous appelez « légende » sur cette terre. Nous sommes mille âmes, trop tôt fauchées, toutes suspendues à la réussite de quelques jeunes gens trop verts. Ils ont échoué alors. Et une fois de plus le même pantomime de destinée : ne dites rien Héros, Prodiges, vies trop courtes, détruites dans leur début pour des causes trop grandes. Maintenant revenez des morts ! Animez vos petits membres, pleurez, automates de la gloire et de l'histoire, recommencez les mêmes gestes, espérez cette fois que vous le terrasserez, Élus. Hé, déesses, qu'avez-vous fait ? Ce Fléau n'en peut plus de mourir, et pourtant, en vie, vous le laissez. Tous dans l'ombre encore, nous ne pouvons que regarder… Voilà, il entre, la ronde est relancée. Tourne encore Hyrule, tes enfants n'ont pas fini de chanter.
La lumière tombe sur le Chœur. Des bruits de pas étouffés se font de plus en plus entendre. La lumière croît progressivement.Link pénètre dans la créature. Les murs suintent la corruption et l'humidité. Les voix résonnent. Link : Je crois connaître cet endroit, mais je ne sais plus. J'ai des éclairs… Des odeurs, des murmures me reviennent. Mais il n'y a plus qu'une odeur de mort ici. Pourtant, pourtant… Il me semble qu'il y avait autre chose, de la chaleur, je crois. Oui ! C'est ça, de la chaleur qui montait au fond de mes entrailles.
Il balaie la scène du regard autour de lui.Elle est partie cette chaleur. Je crois.
Mipha entre en scène et se glisse en silence dans le dos du Héros.Mipha : Non. Elle n'est pas partie. J'aurais aimé qu'elle soit plus distincte dans ton esprit. Je suis heureuse de te revoir, Link.
Link : Ah ! Tu dois être… Mipha. C'est bien ça ?
Il semble mal à l'aise.Je… Te voir me fait quelque chose. Nous nous sommes connus, je sais. Te voir là, pâle, translucide me blesse. Impa m'avait dit pourtant mais… Quelque chose me fait mal.
Mipha : Comme tu dis : « nous nous sommes connus ». Bien connus même. Je ne pensais pas que la mémoire te ferait défaut, Link. Mais ça ne change plus rien, je suppose. Je suis heureuse de te voir, oui, j'en suis sûre désormais.
Link : Et bien… Moi aussi. Je suis venu te libérer, Mipha ! Je vais terrasser la bête. Tu pourras enfin te reposer, enfin te laisser aller !
Elle se tait longtemps.Mipha : Me libérer ? … Pour aller où ? Je suis une morte. Cette attente ou ce néant « libérateur »… Link, Link… Quelle différence ?
Il la regarde. La lumière décroît.Scène 2
Les déesses, Hylia
Le fond de la scène est légèrement surélevé. La lumière diminue au premier plan où sont Link et Mipha et s'allume progressivement au fond. Sur une large balustrade, les Déesses discutent.Din : Ton fils est perdu, sœur. Cette Zora pourrait briser sa détermination.
Hylia : Ne comprenez-vous jamais rien, Mères ? Quel amour pour ces êtres sortis de vos ventres !
Farore : Hylia, Hylia… Ce n'est pas ce qu'elle souhaitait dire. Ils n'ont pas le choix. Le Héros a échoué une première fois. Cette terre ne survivra pas à une deuxième erreur. Ses souvenirs sont encore confus, il ne sait pas qui il est, il ne sait pas que la femme-poisson l'aimait. Il serait mieux qu'il ne le sache pas.
Nayru : Mon élue attend depuis trop longtemps. Je crains que la détermination du Héros faiblisse si trop de cette vie brisée lui revient.
Hylia : Je ne vous comprends pas, Mères. Je ne vous ai jamais comprises. Pourquoi cette terre ? Pourquoi ce cycle toujours et indéfiniment recommencé ? La terre des légendes est fatiguée. Son sol est usé, imbibé du sang que verse le Fléau depuis tous ces millénaires, rendu acide par l'amertume de cette pièce jouée trop de fois. Mettez-y un terme.
Din : Ton incarnation parmi les Hyliens amollira toujours ton cœur, ma fille. Nous n'avons pas à intervenir. Nous n'interviendrons pas. Tu le peux, toi. Mais tu connais aussi les limites de tes actions. Nous avons lancé les rouages de ce monde, les légendes y ont germé, son cycle ne connaîtra pas de fin, son devenir ne nous appartient plus même. Nous sommes spectatrices, tu es notre bras, tu réajustes la composition, tu ne peux en changer les grandes lignes.
Hylia : Vous ne comprenez pas. Il se souviendra, évidemment. Et vous ne voyez pas… Toi, Farore ! Tu n'entends pas la détresse qui point dans le cœur de ton champion ? Plus rien n'est entre ses mains, il est là dans un monde déserté après un siècle écoulé. Je sens son cœur, je sens tout et je pleure avec lui… Il n'a que des fragments. Elle va lui dire, beaucoup déjà va lui revenir, et ce sera beaucoup de souffrance. Encore. Il est dépossédé de lui. Et nous sommes là le regarder. Honte à nous !
Nayru : Silence maintenant, fille ! Laisse-nous voir. Nous te manderons pour agir, peut-être, si ce que tu dis se produit. Ou bien nous ne le ferons pas. Les Dieux ne s'abaissent pas pour rien, Fille.
La lumière décroît.Scène 3
Link, Mipha
Link : On m'a dit de venir. Voilà, je suis entré, non sans difficulté, dans ta créature. Mais j'ai besoin d'aide, je sais que je suis venu ici pour combattre. La vieille femme – Impa – me l'a dit : quelques mécanismes, et surtout une lutte contre un puissant ennemi pour récupérer l'usage de la machine…
Mipha : C'est donc tout ce qu'elle a bien voulu t'offrir, n'est-ce pas ? Pas de place pour autre chose, voyons, quelle sotte je fais après un siècle d'errance !
Link : Je ne comprends pas ta colère, même si je sens que je le devrais, Mipha. Tout est confus pour moi. M'accompagneras-tu dans ce cheminement ? Je reprendrai ta créature, pièce par pièce, et tu me rendras mes souvenirs morceau par morceau.
Mipha : Nous pouvons faire comme cela, Link. Mais je ne peux garantir que tes souvenirs soient plaisants. Ta quête n'en sera peut-être pas simplifiée. Celui qui avance sans savoir se rend esclave du destin, mais il n'a pas conscience des fils qui l'agitent et des chaînes qui le retiennent…
Il respire profondément et prend son temps pour répondre.Link : Je dois le savoir. Je dois le savoir, Mipha. Sinon, que suis-je ? Voilà quelques semaines que je me suis réveillé et je ne suis personne. On m'a parlé de grands destins, de légendes, d'une princesse qui m'attend depuis un siècle, et je suis assailli de partout. Tout m'échappe, tout me tombe des mains… Les souvenirs, les couleurs, les goûts, le vent et le fond de l'air : ce monde était le mien, cette vérité grouille en moi, mais ce n'est plus ma place. Ce n'est plus mon temps, je cours partout, je m'agite vainement sur cette terre et je sens sa lassitude, ma lassitude, comme si des millénaires et des millénaires de soit-disant « Héros » courant et labourant ce sol pour une lutte jamais achevée me revenaient. Je n'ai plus qu'un nom, je n'ai plus ni fa mille, ni amis, ni cadres, ni repères : le destin a choisi pour moi et j'avance, alors, un peu plus ou un peu moins… Redonne-moi de l'épaisseur, Mipha. Redis-moi qui j'étais avant de devenir un exilé, un fantôme du passé dans mon propre royaume dévasté.
Elle a un long regard triste.Mipha : Je te redirai qui tu es. Malgré moi, sans doute. Il faut nous presser, Link. Le temps est compté pour te rappeler ta figure, pour terrasser le Fléau qui corrompt ces murs, pour hâter la délivrance de cette Hyrule harassée. Va au loin, prends le temps de rassembler les bouts de ton être, donne-toi dans l'action, déjoue quelques uns des pièges et mécanismes secrets qui parsèment cet éléphant de fer et de fureur, placés par le malin et reviens. Rien ne sert de hanter ton cœur si tu ne sais triompher de ces épreuves.
Link : Mais… Ne peux-tu me le dire…
Mipha,
vivement : Non, Link ! J'ai attendu ici pendant cent longues années. Laisse-moi le temps. Va, maintenant. Ne sois pas si avide de savoir, nos vies brisées n'ont pas d'autre spectacle à offrir que celui du pathétique, je crois.
Link : Je… Très bien. Je vais revenir sous peu, Mipha. Nous parlerons.
Scène 4
Link, Le Chœur
Link parcoure la scène plusieurs fois touchant et examinant le décor, actionnant quelques mécanismes étranges qui y sont dissimulés. Link,
pour lui-même : Je ne suis pas sûr de la comprendre. Elle semble m'en vouloir et en même temps être profondément désolée pour moi. Que va-t-elle me dire ? Une peur sourde croît en moi. Qu'y avait-il entre elle et moi ? Quelle est cette vie qu'on m'a volée ? Tout tourne ! Ce vieil homme, à mon réveil, ce roi d'Hyrule, le père de la princesse, s'il avait eu pitié de moi, il m'aurait renvoyé à mon long sommeil. Allez, va, maintenant, Link, ils t'appellent « Héros », et tu cours, et tu souffres. De jour, de nuit, par monts et collines, tu déjoues les pièges, tu défais les adversaires, ta gloire sera au firmament, dans cette terre qui t'a oublié, qui te méprise même pour un échec dont tu ne te souviens qu'à peine, tu ne peux qu'avancer, encore. Voilà, les secrets de la bête ont été éventrés. Le fantôme de la princesse des Zoras m'attend. Si nous pouvions lire le destin et les signes de ce monde comme j'ai lu carte et boussole pour avancer ici, quelle joie ! … Mais non. Nous sommes dans la brume. Nous sommes perdus, à l'aveuglette, toujours sommés d'avancer, sans savoir si un gouffre n'est pas à nos pieds. Je continue…
Il quitte la scène, une carte et une boussole à la main. L'air perdu.Le Chœur : Elle va lui dire qu'elle l'aimait. Fatalité, fatalité ! Elle va lui parler de cette vie fauchée. Il va se souvenir de la princesse. Vraiment commencer à se souvenir d'elle. Pas l'apparence de princesse translucide d'une race étrangère qui hante ces lieux. L'autre, bien sûr, la princesse dorée qui retient le mal au cœur du monde. Il souffrira. Mais la légende va se dérouler, implacable. Il courra vers elle, l'autre restera, et ainsi de suite. Il sera manipulé par les Parques inflexibles d'Hyrule, comme chaque fois, par un amour incertain.
***
Acte II
Scène 1
Link, Mipha, Le Chœur
Mipha attend déjà au milieu de la scène. Link entre par un coté.Mipha : Te voilà donc, Link. Tu as facilement déjoué les trappes de Vah'Ruta. Bien. Nous allons parler alors. Je suis prête. J'ai ravalé mon amertume, pesé mes mots, je vais te raconter une histoire.
Elle ferme les yeux, se concentre un moment. Elle sourit tristement à Link.Il y avait chez les Hyliens un grand prodige et ce grand prodige, c'était toi. Mais tu le sais déjà. Mais t'a-t-on dit tous ces entraînements, ces exercices physiques éprouvants ? Cet isolement, ce dévouement de chaque instant à ta mission qui était demandé ? T'a-t-on dit ?
Link : Je… Je l'imaginais plus ou moins.
Mipha : Non. Tu ne peux pas l'imaginer. On a pris nos vies, on a chanté à nos peuples et à nos familles que c'était un grand honneur de défendre Hyrule, et sans doute avait-on raison. Mais quel prix, quel prix… Nous sommes rentrés dans le grand manège des légendes de cette terre, dans le grand manège qui a pris nos vies. Nous avons été choisis, toi et moi, j'ai abandonné mon frère, mon père, mon peuple. Nous avons travaillé d'arrache-pied, sans relâche, je revois encore les courtes nuits d'entraînement, la peur et l'angoisse de ce retour imprévisible du Fléau. Nous n'étions pas prêts, nous avons été trop arrogants, on nous a fait croire que tout se passerait bien, mais après tant de millénaires, nous ne savions plus. Les Dieux se sont joués de nous, Link…
Link : Je n'ai pas tout oublié, Mipha. Les choses remontent, reviennent petit à petit. Je sais que nous étions proches, nous nous sommes connus enfants. L'écho de ton rire d'alors sonne à mes oreilles depuis que j'ai pénétré ici et que je t'ai revue… Que nous est-il arrivé, hors de cette défaite, pour que tu sois si amère ? Bien sûr, je sais que nous avons donné nos vies, je ne me souviens plus, mais je garde une connaissance secrète, un pressentiment, une impression de ce que j'étais, de ce que nous étions… Et par bribes, à chaque heure, des scènes et des images se font une place dans mon esprit. Dis-moi.
Elle a le même sourire triste. Elle reste immobile. Long silence.Mipha : Je t'aimais. Et tu as grandi, et nous nous sommes détachés, moi qui avais cru que devenir Prodige achèverait de me lier à toi, je ne pouvais savoir que la Princesse d'Hyrule allait ravir ton cœur.
Quelque chose semble se réveiller en lui.Link : Que.. Quoi ? Zelda ! La Princesse ! Je… Nous nous aimions elle et et moi ? Je… Et tu m'aimais ? Mipha, je...
Elle a un geste sec du bras.Mipha : Ne t'épuise pas, Link. Regarde-toi. Même à travers les affres du temps, même amnésique, c'est elle que tes mots ont appelé en premier. Je ne viens qu'après… Ce n'est pas grave. Je t'aime toujours, je ne souhaite que ta réussite. Pardonne mes attaques et mon dédain. Tu parleras à ma famille, tu leur diras combien je regrette, mais tu leur diras aussi que j'ai tenu, que cent années durant, je n'ai pas cessé de vouloir accomplir ma mission… Ils seront fiers, et moi, une fois le Fléau gisant à terre, je disparaîtrai sans bruit, sans une seule parole.
Link : Je ne souhaitais pas… Je ne voulais pas… Je ne voulais pas blesser ton cœur, Mipha.
Mipha : Ni toi, ni moi n'avons eu le droit de vouloir quoi que ce soit, Link. Je ne sais pas ce qui aurait pu arriver. Mais j'aurais aimé avoir le droit… Oui, juste le droit de retourner au Domaine Zora, le droit de voir encore les cascades s'embraser dans les fins de journée bleues de l'été… Le droit d'essayer de te reconquérir, le droit de voir si j'allais y parvenir ou échouer. Le droit de voir si la timide et discrète Mipha pouvait prendre le pas sur l'héritière d'Hyrule. Mais tout cela fait partie du plan, je suppose, les grandes Déesses d'Hyrule n'ont que mépris pour ces Prodiges, ils ne sont que les rouages. C'est après tout la légende du Héros, de la Princesse et du Malin, pas l'amourette du Héros et de la Zora…
Scène 2
Les déesses, Hylia
Farore : Elle l'aime, la sotte. Qu'elle n'aille pas tout gâcher ! Comment va-t-il réagir ?
Hylia : Elle n'est pas sotte, vous ne réalisez pas, vous les Déesses immortelles et toutes-puissantes d'Hyrule. Toute sa tristesse, tout son amour, tous ses regrets, ressassés et digérés pendant un siècle dans les murs corrompus de la créature où elle est morte, où le peu qui lui restait lui a été définitivement confisqué. Sa mort ne lui a même pas été donnée, nous les avons maintenus en vie ces prodiges, nous les avons laissés pourrir dans l'ombre en attendant le retour du Héros. Jamais la légende d'Hyrule n'a autant montré toute sa cruauté à ses protagonistes… Ils savent maintenant, l'insidieuse idée a fait son chemin dans leur esprit, a rongé leur vertu et leurs certitudes : ils sont les victimes pathétiques de causes trop vastes, de divertissements de Dieux qui regardent s'agiter sans fin ce cycle de combats et de retours : le Héros, la Princesse et le Malin, comme elle dit, il n'y a de place pour rien d'autre.
Din : Tu lui parleras ma fille. Tu lui diras que ce cycle est le dernier ou que sais-je… Que tout cela a du sens, enfin ! Nous ne pouvons nous permettre de dévaluer la légende d'Hyrule, il faut que les Hyliens continuent à croire en leurs Dieux et dans le sens que ce monde abrite. La trahison de Demise, il y a si longtemps, n'était qu'une méprise, mais la création doit aller, c'est ainsi, nous avons rééquilibré les choses en te mettant au monde, en forgeant ce cycle de légendes et ce monde doit voguer jusqu'à son terme désormais.
Hylia : Je ne sais moi-même quoi lui dire, mais j'obéirai bien sûr, Mères… Mais pourquoi… ? Pourquoi ne pas intervenir, pourquoi ne pas mettre un terme à cette folie, pourquoi laisser ces êtres façonnés de vos mains répéter la même histoire, aller de gloires en défaites sans interruption. Le monde est fatigué, Hyrule est une vieille femme, qui a trop enfanté, et enfanté trop de tout : sauveurs et démons. Libérez-la, laissez-la aller.
Nayru : Les Dieux ne touchent pas aux mondes qui sont les leurs, ma fille. Tu le sais. Nous équilibrons quand il faut équilibrer et nous regardons. Les créations sont là pour être déployées jusqu'au bout. Ils continueront, se sauveront, finiront par définitivement échouer, nous ne pouvons nous-mêmes le savoir. Tu es la seule à pouvoir influer sur ce cours, dans les limites que nous avons prescrites. Nous ne mettrons pas fin aux légendes. Nous attendons, nous ne nous abaissons pas, et la machine tourne encore. Nous verrons pour combien de temps.
Scène 3
Link, Mipha
Mipha : Te souviens-tu, Link ? Nous avons passé tant de temps ensemble. Nous avons découvert, joué, ri au domaine… Des heures et des heures tous les deux, l'amitié et la complicité incongrue de l'Hylien et de la Zora. Je te revois la première fois que ton père t'a conduit dans le royaume des hommes-poissons, tu te cachais derrière lui, tu n'étais qu'un enfant. Tu as si vite grandi, et je sortais moi aussi à peine de l'enfance. Il y a si longtemps que je n'avais pas songé à tout cela.
Son regard s'abîme au loin.Link : Je crois m'en souvenir. Des chimères dansent au fond de mes yeux, mais ce ne sont que des ombres. Je revois tes paumes chaudes qui soulageaient mes blessures, mais cette lueur est indistincte. Et quant à notre amour… Oui, je le sens, je le sais, il me semble. Une torpeur douce, un sourire, le bruit des cours d'eau. Un amour frais d'enfants, une joie simple.
Mipha : Bien sûr, rien qu'un amour d'enfants… Ton amnésie te fait dire plus que tu n'aurais voulu, c'est sans doute mieux ainsi. A la Zora, l'amour d'enfants, à la belle et glorieuse Zelda l'amour du Héros. Ces années recluse ici m'ont rendue exécrable, Link. Peut-être est-il temps de mettre fin à cet échange qui ne mène plus nulle part. J'ai fait ce qu'on attendait de moi, j'achèverai ce travail. Nos amours n'ont plus de raison d'être discutées ici. Elles ne sont plus chéries que par moi. Je suis las, j'ai hâte de me reposer enfin.
Link : Mipha, je… Je ne sais tout à fait ce que je dis, j'ignore encore tout à fait qui je suis, je ne voulais pas te manquer de respect et…
Il bafouille et se tait. Elle reprend brusquement.Mipha : Le sombre gardien de ces lieux t'attend désormais, Link. Un des visages du Fléau. Celui qui m'a ôté la vie, celui qui me vaut de te regarder aujourd'hui, morte, sauver une terre où je ne vivrai plus. Loin de ma famille, loin des miens dont j'ai déçu la confiance. Loin de toi que j'aimais, alors que tu t'en vas sauver une autre qui est encore de ce monde et qui a eu ta préférence.
Link : Mipha… Que dire ? Je…
Mipha : Rien. Il n'y a vraiment rien de plus à dire. Va, Link. Va. Libère-nous.
Il la scrute longuement. Il veut parler puis se retient au dernier moment. Il quitte tout à coup la scène en courant. Elle reste seule au milieu, tombe lentement à genoux, prostrée. La lumière décroît.***
Acte III
Scène 1
Les déesses, Hylia
Nayru : C'est fait. La bête est morte.
Hylia : Il n'y a pas que la bête qui est morte. Il y a quelque chose qui vient de mourir aussi dans le cœur de vos élus. Link aime la princesse, il n'abandonnera pas sa mission. Mais quelle amertume pour lui quand il va retourner dans les plaines meurtries de ce monde évidé par le mal et par la folie d'une histoire sans fin, qu'il verra comme tout est si absurde…
Farore : Qu'importe, qu'importe ! Tu te tortures trop, ma Fille ! Tu es assise parmi les divinités, nous ne pouvons épargner aux peuples de ce monde tous les tourments.
Hylia : Sans doute.
Din : Les autres prodiges nous poseront moins de difficultés. Le plus dur est passé désormais, mes sœurs. Hylia, tu feras comme nous l'avons demandé. Tu parleras au Héros, tu le rassureras.
Hylia,
de façon volontairement exagérée : A vos ordres, Mères.
Les trois déesses quittent la scène.Scène 2
Mipha
Mipha : Vous êtes satisfaits, Dieux et Déesses ? Il est parti. Il va occire le mal qui règne ici, je redeviendrai le pion utile à la défaite du Fléau que je devais être et je m'évanouirai. Je ne lui en veux pas, vous le savez. Au contraire, oh… Il est perdu. Il est perdu et ne sait même pas à quel point justement il est perdu. Qu'il retourne à la princesse, qu'ils nous survivent… Adieu à vous que je n'aurais jamais revus : Père, mon frère, Sidon. Comme tu dois être grand, désormais. Si j'avais su, ah. Je n'ai jamais pu vous dire au revoir. J'aurais tant voulu. Je ne suis plus qu'un amas de tremblements et de regrets. Il faut en finir, il faut en finir. J'ai été trop vieillie, je ne suis plus de ce monde, on m'en a jeté en dehors depuis trop longtemps.
Scène 3
Link, Mipha
Link revient sur scène. Il semble éprouvé, ses vêtements sont déchirés à de nombreux endroits, il est couvert de blessures superficielles.Link : Il est temps de nous quitter, Mipha. Ma compagne, mon amie, ma Prodige… J'aurais aimé te donner plus, être à la hauteur de tes souvenirs et pouvoir partager les miens.
Elle sourit, infiniment triste.Mipha : Tu ne m'as pas déçu, Link. Jamais. Ce monde m'a déçu. Ne pleure plus pour moi, va-t-en sans te retourner. Un jour lointain, nous nous retrouverons peut-être, loin de ce monde, de cette terre, ailleurs. Tu auras recouvré toute la mémoire, tu sauras ce que nous avons eu ensemble. Un jour, dans cet ailleurs, tout sera différent, si le destin le veut bien. Salue les miens et dis leur que je suis allée chez les Déesses en paix. Va retrouver Zelda, elle est forte depuis si longtemps, elle mérite ton aide.
Link : A bientôt, alors, Mipha… Je suis désolé.
Mipha : Oh, crois-moi. Je suis la plus désolée de nous . Puisse la vie qui t'a été à nouveau offerte en ce monde être belle. Au revoir.
Il veut la toucher. Il ne peut s'approcher d'elle.Link : Alors… Au revoir.
Il quitte lentement la scène, en continuant de la regarder. Elle reste là longtemps. Seule.Scène 4
Link, Hylia, Le Chœur
Link est devant l'entrée de la créature. Le clapotis du lac se fait entendre dans le lointain. Il lève les yeux au ciel. Link : Mère, Hylia… Pourquoi tant de douleur ? Pourquoi nous avoir tous abandonnés ? Les prodiges ont atrocement péri. Ma vie est un champ de ruines. Suis-je condamné à errer pour satisfaire aux envies du destin ? Pourquoi ce mal revient-il toujours ? Aurai-je la force d'encore arpenter ce royaume sordide de chaque coté pour le vaincre… ?
Hylia,
dont on n'entend que la voix : Tu as l'amour d'une mère, Link. Ne demande pas aux Dieux ce à quoi eux-mêmes ne peuvent répondre : les Déesses d'Hyrule seules savent de quoi il en retourne. Le cycle est là pour être parfait, ne perds pas foi, un jour, un jour, ta lignée en viendra à bout. Tant de souffrances ne sont pas vaines. Le mal est là pour être un jour terrassé et tout s'éclairera. Garde le regard haut, ne perds pas de vue tes objectifs. Je veille toujours sur toi, Héros, la mère des Hyliens ne te quitte pas. Et la Princesse d'Hyrule te garde aussi dans son coeur depuis toutes ces années, c'est pour toi qu'elle continue de tenir, elle a invoqué ton nom de si nombreuses fois...
Un grand espoir semble l'animer.Link : Vous l'avez entendue ? Vous en êtes sûre ? Elle a toujours foi en moi ?
Hylia : Elle t'attend. Elle est ce qui te reste. La terre d'Hyrule porte encore des rumeurs de vos rêves et de vos déclarations. Va, Link. Comme je dis, c'est ce qu'il te reste, tout ce qu'il te reste. N'écoute pas trop la rumeur du vent qui balaie Hyrule, et qui est trop vieux, trop fatigué, trop chargé. Ne te retourne pas, mon enfant. Mets-toi en route.
Link quitte la scène.La lumière décroît. Le chœur résonne dans l'obscurité. Le Chœur : Hyrule, Hyrule… Tout recommence. Il est parti. Entre dans notre ronde, Princesse des Zoras. Nous sommes le Chœur de ceux qui sont tombés sous les assauts du destin. Broyés, broyés dans l'Histoire, nos vies égarées aux quatre vents viciés qui parsèment ce vieux royaume. Qui se souviendra de nous ? La légende n'a qu'un nom : le Héros, la Princesse et le Malin.
Fin