Doutchy ==> Ca me fait super plaisir de te revoir dans le coin! :D Qu'est-ce que tu deviens? Je suis content que cette Route du Nord te plaise en tous les cas, et oui, il faut croire que le gore et l'horrible me sont irrémédiablement collés à la peau. Pour la scène du loup je compte effectivement la remanier, voire la supprimer, si je parviens un jour à faire éditer la Route. C'est la première fois qu'une scène que j'ai écrite me dérange moi même, c'est dire. Je devais être en transe le jour où je l'ai écrite. (En fait si je me souviens bien j'attendais la fin d'un DS d'éco un peu long et chiant, ça a pu jouer.) J'espère que la suite te plaira aussi, et sans trop me mouiller, je pense qu'on reverra Triangle de Haine dans très peu de temps par ici. Merci pour ton commentaire, il m'a fait bien plaisir.
Sur ce, la suite du chapitre 4 de la Route, dans lequel on prend un cours d'histoire.
Egalement, j'ai commencé à réparer le sommaire du premier post. A l'heure actuelle, tout ce qui touche au Triangle est opérationnel, j'en ai également profité pour rajouter deux nouvelles en lien, La Pièce d'Argent et Tarquin le Tambourin, que vous pouvez retrouver sur le sommaire du premier post. Je vais réparer le reste petit à petit dans les jours à venir, mais comme vous pourrez vous en rendre compte en naviguant un peu dans les pages, le passage à la v7.5 du forum a supprimé le contenu de beaucoup de mes post sur le topic, dont beaucoup de chapitres de plusieurs histoires. Donc ça va me prendre un peu de temps. J'en profite pour remercier chaleureusement Hope qui me donne un coup de main pour réparer les balises.
Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture!________________
Chapitre quatrième :
Ikérias
-2e Partie-
La salle commune était plutôt vaste, mais bondée de monde comme elle l’était présentement, elle paraissait minuscule. Des dizaines de clients s’entassaient sur une poignée de tables et presque autant de chaises, tandis que deux serveuses essoufflées zigzaguaient entre les buveurs pour servir les commandes. Le « Gai Légionnaire » n’était pas un établissement de renom, mais la guerre pouvait transformer n’importe quel bouiboui en place de luxe.
Vizamir se fraya un chemin parmi la foule, suivi tant bien que mal par Skelda. Après quelques bousculades et pas mal d’excuses, il parvint à atteindre le bar, où un homme dans la trentaine, longs cheveux filasses et barbe mal rasée, jonglait entre son torchon et ses tonnelets de bière. Lorsque son regard se posa sur les deux nouveaux arrivant, son visage s’illumina.
-Ca par alors!, s’exclama-t-il. Si ce n’est pas ce vieux Vizamir!
-Salut, Ryan, répondit l’intéressé sur un ton plus réservé.
Vizamir connaissait Ryan depuis près de dix ans. Lors de leur première rencontre, le tenancier n’était qu’un jeune Westrÿosi l’esprit plein de rêves et d’aventures. Le « Gai Légionnaire » ne lui appartenait pas alors ; c’était un bouge piteux et bon marché. Ryan y faisait la plonge et récurait les sols pour être nourri tout en gagnant un peu d’argent, pour repartir sur les routes. Cependant, l’année suivante, lorsque Vizamir, sur le retour d’Uru-Ban, s’arrêta de nouveau au « Gai Légionnaire », le jeune homme avait connu une promotion fulgurante, passant de simple souillon à gérant de l’entreprise. Il expliqua à Vizamir que le précédent propriétaire s’était fait arrêté par la garde pour dettes non payées, et puisque personne n’était venu réclamer l’auberge, il l’avait reprise à son compte.
Vizamir devait avouer qu’il s’en était parfaitement bien sorti.
-Qu’est-ce que tu deviens, vieille branche?, demanda Ryan en lui servant une pinte de mousseuse. Ca doit bien faire, quoi?… Deux ans qu’on a pas vu tes oreilles pointues trainer dans les parages.
-Tu sais comment va la vie. On ne fait pas toujours ce que l’on veut.
-A qui le dis-tu? Regarde moi. Je rêvais de femmes, de prouesses et d’aventures, et me voilà à me remplir poussivement les poches sur le dos de tous ces malheureux réfugiés.
La plaisanterie arracha un sourire à Vizamir.
-Je vois que tu n’as rien perdu de ta bonne humeur légendaire.
-Jamais. Comme disait mon paternel, « c’est pas en faisant la gueule qu’on fera sourire la chance. » Mais je vois que tu n’es pas seul. Hmm, plutôt inhabituel… mais pas déplaisant. Tu ne me présentes pas à la demoiselle?
Vizamir se tourna vers Skelda. Cette dernière avait réussi à masquer sa cicatrice derrière ses cheveux, ce qui gommait, plus ou moins, tous les défauts de son visage. Elle semblait essayer de suivre la conversation entre les deux hommes… sans succès.
-C’est… compliqué, Ryan, souffla Vizamir avec un ton sérieux. Est-ce qu’il te resterait une chambre?
-Pour un ami, toujours, répondit le tenancier en agrippant une clé derrière lui. Dernière à gauche au fond du couloir. Si on me demande, je vous ai pas vus.
Vizamir appréciait l’intelligence de cet homme, qu’il savait dissimuler derrière son entrain bon enfant. En gage de remerciement, il laissa une couronne d’or sur le comptoir -peut être vingt fois le prix normal de la chambre. Ryan l’empocha discrètement en hochant la tête.
Ils luttèrent pour atteindre l’escalier, mais trouvèrent le premier étage étonnamment désert. Leur chambre était relativement spacieuse pour un établissement de ce genre, et offrait le confort de deux lit individuels ainsi qu’un âtre dans lequel un jolie feu crépitait joyeusement, réchauffant la pièce pour le plus grand bonheur de Vizamir. Une large cuve en bronze terminait le mobilier, jouxtée par un tabouret où reposait un pain de savon et une serviette pliée.
-Que fait-on, attaqua Skelda en s’asseyant sur le bord d’un lit sitôt que Vizamir eut fermé la porte.
-Pour le moment, rien, répondit l’intéressé en déposant son arc, son sac et ses dagues dans le coin de la pièce au pied de son propre lit. J’entends savourer un long repos, agrémenté d’un bon repas chaud.
-Un programme hautement intéressant.
Malgré tout, la Skarg sombra dans le sommeil sitôt sa tête posée sur l’oreiller, remplissant la pièce de ses légers ronflements. Vizamir l’observa un long moment, admirant les contours de ses traits, le tracé de ses lèvres légèrement mauves. Il finit par se passer une main sur le visage et s’endormit à son tour.
Il se réveilla au crépuscule. Le feu n’était plus que braises fumantes dans l’âtre, et l’obscurité avait commencé à envahir la pièce. Il pouvait voir quelques étoiles depuis la fenêtre, apparaissant les unes après les autres sur le ciel zébré de pourpre et d’or rouge. Skelda sommeillait toujours, lui tournant le dos. Sans bruit, il se leva, chaussa ses bottes et passa ses dagues à sa ceinture puis sortit de la pièce en prenant soin de refermer la porte le plus doucement possible.
Il trouva la salle commune étrangement vide. Il n’y avait plus un client, alors qu’en temps ordinaires, c’était à cette période de la journée, une fois le labeur fini, que les travailleurs et les petites gens venaient dépenser leurs quelques sous durement gagnés. Ryan était assis dans un confortable fauteuil devant la vaste cheminée en pierre, une couverture posée sur ses jambes tendues. Il fit signe à Vizamir de le rejoindre.
-Les Skargs ont attaqué, que tout le monde a décampé?, demanda l’intéressé en tirant une chaise devant le feu.
-Les dieux nous en préservent, mon ami. Non, ce soir l’Empereur a organisé des jeux nocturnes pour célébrer la victoire. Toute la cité peut y participer, pour peu qu’on trouve une place.
-La victoire, hein?
Vizamir repensa à ce que lui avait raconté Skelda, à la trahison de ses hommes. Où se trouvaient-ils, à présent? Avaient-ils déjà regagné la côte et embarqué dans leurs long bateaux, leurs cales remplies de richesses et de prisonniers?
-La victoire, répéta le tenancier en portant sa choppe de bière à ses lèvres. Je regretterais presque que la guerre soit finie. Elle m’a fait gagné tant d’or que je pourrais vivre avec le ventre plein jusqu’à la fin de ma vie sans devoir m‘occuper de l‘auberge, si je le voulais.
-Je suis content pour toi.
-Et moi donc. Mais je ne suis pas le seul a avoir gagné quelque chose de cette guerre, hein?, fit Ryan d’un ton lourd de sous-entendus, un sourire goguenard sur les lèvres. Un sacré petit lot, cette Skarg.
-Je savais qu’elle serait trop reconnaissable, soupira Vizamir. Personne n’a les cheveux rouges, par ici.
-Bah, rétorqua l’aubergiste d’un mouvement flasque de la main. Ces impériaux ont tellement les yeux braqués sur leur nombril qu’ils seraient incapables de faire la distinction entre un semi-homme et un cul de chèvre. J’ai entendu parler de prêtresses, à Balcino, dont les cheveux sont comme des flammes. Si jamais on te demande, ta Skarg est une Balcinienne. Où tu l’as trouvée? Une déserteuse?
-Si seulement.
-Je n’ai pas beaucoup entendu parler de femmes guerrières, reconnut Ryan. On raconte qu’à Skarg les femmes sont aussi destinées à faire la cuisine et pondre des marmots, comme par ici. A part cette sanguinaire de Skelda, les soldats qui revenaient du front ne parlaient jamais de…
Il s’interrompit soudain, semblant réaliser quelque chose.
-Attend. Ne me dit pas que cette fille, c’est… Enfin... Tu vois, quoi?
-J’en ai bien peur, répondit Vizamir en s’absorbant dans la contemplation des flammes.
-Par les douze colonnes du Panthéon, souffla Ryan en s’enfonçant dans son siège. La reine des ces barbares, la femme qui refile des cauchemars à l’Empereur lui-même, qui a saccagé tout l’Orientir. Et elle est ici. Sous mon toit. Dans mes lits. Ho, Dieux, ho Dieux…
-Elle n’est pas reine, corrigea Vizamir. Ses hommes l’ont trahie et laissée pour morte. Je l’ai trouvée.
-Et tu ne l’as pas achevée.
-A quoi bon? Elle pense que son dieu l’a épargnée pour accomplir une mission en son nom. Elle pense qu’elle me doit la vie, et qu’elle doit m’accompagner jusqu’à ce que sa dette soit payée.
-Et toi, tu l’as amenée droit dans la gueule du loup, chuchota Ryan en jetant un regard derrière son épaule. Elle est en danger ici, Vizamir. Si on découvre son identité, elle ne verra jamais le soleil se lever une nouvelle fois.
-Je le sais, répliqua Vizamir en fronçant les sourcils. Mais je n’ai pas le choix. Il n’y a plus une ville au sud d’Ikérias en mesure de nous ravitailler. Je ne compte pas rester plus de quelques jours. Nous serons vite partis.
-Je l’espère, mon ami, je l’espère.
Vizamir prit congé après avoir rassuré Ryan une dernière fois, et lui avoir laissé une note couverte de runes Skarg à remettre à Skelda à son réveil. Cependant, lorsqu’il s’enfonça dans les ruelles suintantes de la capitale, que recouvrait lentement le linceul ténébreux de la nuit, il ne pouvait s’empêcher de jeter des coups d’œil suspicieux derrière son épaule, pour s’assurer que personne ne le suivait. Il s’arrêtait chaque fois que ses oreilles pointues percevaient un son, le « ploc » d’une goutte d’eau s’écrasant dans une flaque croupie, le cri du vent dans un volet, les pas d’une silhouette titubante dans une ruelle transversale…
Alors que les ténèbres projetaient leurs longs doigts fins sur lui, il eut bientôt l’impression déroutante d’être seul dans la cité. Une ombre perdue dans un labyrinthe d’allées obscures, de murs aveugles, de fenêtres closes. Un vent timide soufflait, faisant voleter les bords de sa pelisse de loup, lui donnant des frissons. Il avait la sensation qu’on l’observait, bien qu’il n’arrivât jamais à trouver un observateur où qu’il se tournât. Il allongea ses pas, son cœur accélérant en cadence, et un soupçon d’angoisse l’assaillit.
Au loin, il entendait une sourde et basse clameur, comme le grondement d’une énorme et terrible bête. Il pouvait apercevoir de vacillantes petites lumières, autant de torches brûlant sur les murs du colisée où se déroulaient actuellement les jeux organisés par l’Empereur. Des jeux brutaux et barbares, des matchs à morts entre des prisonniers affamés, des confrontations sanglantes entre gladiateurs professionnels, sans oublier les célèbres combats contre les animaux sauvages. Vizamir avait déjà eu l’occasion d’assister à ce genre de spectacle, il y avait quelques années de cela, à Faltmöss. Il n’en gardait pas un souvenir joyeux.
Cela faisait partie des nombreux paradoxes de la société impériale. L’Empire s’était élevé de la boue au fil des siècles, en vampirisant les connaissances et la science des peuples autours de lui. L’agriculture et l’élevage des Malmoréens à l’ouest, à l’aube de la civilisation lorsque l’Empire ne comptait que la petite cité de Faltmöss, puis l’architecture et l’art de l’acier incroyable des premiers chevaliers Westrÿiens, arrachés avec hargne après de longues guerres successives depuis longtemps oubliées. Puis le Royaume de Malmore avait sombré, implosant de lui-même, succombant à son propre pouvoir, tandis qu’à l’est Ur bâtissait son mur. Enfin, les marchands et les navigateurs Balciniens avaient accosté en Orientir, et hissé Ikérias en maîtresse absolue de l’Empire.
Et malgré tout ce savoir, toute cette science, toute cette
civilisation, les impériaux entretenaient avec joie des traditions barbares et cruelles : combats à mort, esclavagisme (bien que ce dernier soit officiellement prohibé dans l’enceinte d’Ikérias) et la dette du sang, qu’ils partageaient, sans le savoir, avec les Skargs. Quant à leur Panthéon, cet assemblage hétéroclite de dieux plus violents et obscurs les uns que les autres, il n’avait rien à envier aux cultes primitifs des semis-hommes. En fait, plus il y réfléchissait, plus Vizamir détestait l’Empire. Il avait longtemps songé qu’il n’éprouvait que du mépris pour l’humanité, mais à la lumière des derniers jours, il comprenait que cette haine diffuse, il ne l’éprouvait qu’à l’encontre des impériaux.
Les Westrÿosis n’étaient pas radicalement différents, descendants des mêmes peuplades barbares, mais leur société s’était édifiée sur l’honneur et la loyauté due au souverain ainsi que sur les leçons enseignées par la chute des Malmoréens. Les Balciniens ne vivaient que pour la richesse et l’esthétisme, mais chez eux, chacun avait sa chance, peu importait sa condition ou sa naissance, et rien n’était acquis d’avance. Une société qui récompensait le travail et la prise de risque. Les îliens de la baie de Korsk, eux, étaient plus renfermés, distants, autarciques, mais pour qui avait réussi à s’intégrer, ils devenaient comme une seconde famille.
Quant aux Skargs… Et bien Vizamir devait reconnaître qu’il n’en avait encore jamais rencontré avant Skelda et Skelda… et bien, Skelda lui laissait une impression positive. Très positive. Peut-être trop positive, à la réflexion. Il grogna en fermant les yeux pour la chasser de ses pensées, mal à l’aise à l’idée de la place qu’elle prenait de plus en plus dans sa vie, alors qu’elle ne faisait rien de particulier pour.
« Comment ne pas craindre un homme pour qui la mort n’est rien? » Ils étaient quatre. Trois de trop. L’homme qui l’attrapa vivement à l’épaule mourut avant d’avoir pu ouvrir la bouche, la dague de Vizamir plongée profondément dans le bas ventre. Le deuxième à se présenter devant lui, visage casqué masqué par la nuit, tenait un glaive militaire usé dont il se servait plus comme d’une masse que comme d’une lame. Son coup puissant, que Vizamir ne put que mal parer, lui engourdit un bras et faillit lui faire perdre son arme. Mais à peine eut-il effectué un pas en arrière pour se remettre à distance qu’un ombre surgit à la périphérie de son champ de vision, et le coup de gourdin fut suffisamment rude sur son crâne pour le jeter à terre, sonné. Encore conscient, il essaya de se relever péniblement, mais la botte du dernier larron l’envoya dans les ténèbres, un goût métallique dans la bouche.
Merci d'avoir lu!