LoL mille pardons pour les confusions. Pour mettre tout ça au claire, c'est PdC qui a raison, c'est bien Henry qui balance la boule de feu (de mon point de vue de créateur de ce monde, c'est logique vu que si Rirjk s'y était mêlé, il ne serait plus en ce bas monde ^^).
Et Nehëmah tu as juste aussi, Rirjk ne prépare son sort qu'au cas ou.^^
M'enfin, merci à vous deux pour vos commentaires, quoi qu'il en soit. J'essairais de pas vous decevoir à l'avenir, tout en restant sur un rythme de parution d'à peu près d'un chapitre par semaine nyark nyark (comme pour les épisodes de Bleach d'ailleur : p)
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Tarquin le Tambourin.
La lune blafarde et effacée ne parvenait pas à percer la lourde noirceur qui sourdait des ruelles labyrinthiques du Faubourg d’Hyrule tel le pus d’une plaie à vif. Le vent hivernal mordant s’engouffrait le long des pavés défoncés, à l’image d’un dieu vengeur, fauchant sur son passage les pauvres bougres jetés dehors par leurs usuriers. Les temps étaient durs. La guerre ravageait Hyrule. Les clans du Sud avait rallié le Faux Héros, suite à sa disgrâce. Cette même disgrâce qui avait soulevé les nobles et conduit le roi à sa perte. Le régent Agahnim avait beau gouverner du mieux qu’il le pouvait en attendant que la jeune princesse soit en âge de reprendre les rennes, tout allait de mal en pis. Cependant une accalmie relative, due à l’hiver, avait permis enfin au Bourg et au Château d’arborer le noir du deuil royal. Et dans le faubourg, les bandes de pilleurs, que plus rien n’arrêtait, s’étaient dispersées après de longs jours de violence et de rapines. La ville semblait endormie, pour la première fois depuis ce qui semblait à ses habitants être des années.
Dans une impasse un peu plus large que les autres, une troupe hétéroclite d’hommes et de femmes malingres et en haillons s’était réunie autour d’un feu de fortune, des armes misérables à portée de main. Une des femmes touillait dans une marmite cabossée en cuivre terne ce qui semblait être une soupe de viande de rat. Ils ne disaient rien ; se contentaient de se serrer, grelottant, dans l’espoir de se réchauffer un peu. Un hurlement de femme, quelque part dans le noir du labyrinthe, les fit sursauter. Il n’était guère bon de se retrouver seul dans le faubourg…
Pourtant, c’est un homme seul qui soudain surgit à l’orée du cercle lumineux. Seul, et vieux. Le vieillard chétif, dont la capuche rapiécée ne laissait voir qu’une longue barbe grise et miteuse, s’approcha en claudiquant, à peine supporté par sa canne en métal toute rouillée.
-Messeigneurs, aurez-vous la miséricorde d’aider un vieil-homme?, supplia-t-il.
Sa voix était rauque, et il tremblait de froid. D’abord réticent, le groupe finit par l’accepter, et il porta ses mains au devant des flammes avec gratitude. Le mutisme retomba rapidement sur la bande. Les miséreux observaient le vieil homme. Ils se demandaient comment il pouvait être encore en vie et surtout en possession de sa canne. Même s’il elle n’avait guère de valeur, elle faisait un bon gourdin, et par les temps qui couraient, une bonne arme pouvait faire toute la différence entre un corps chaud et un corps froid.
La soupe fut enfin prête. Des écuelles et des bols fendillés, cabossés, se tendirent avec avidité. Certains n’avaient pas mangé depuis plusieurs jours, et leurs yeux rendus exorbités par la maigreur brillaient de façon malsaine sous la lumière du feu. Lorsqu’ils furent tous servis, la cuisinière s’adressa au vieil homme d’une voix éraillée.
-Yen reste un peu, papi. T’en veux?
-Ce serait bien bon de votre part, madame, répondit-il d’une voix à peine plus forte qu’un murmure.
Les autres ricanèrent.
-« Madame » . L’est bien bonne c’le-là. Si tu veux bequeter, faut donner qu’qu’chose.
-J’ai peur de n’avoir pas grand-chose de valeur. Ma pauvre canne, peut être…
-Même le pire des prêteurs voudrait pas d’cet’merde là.
-Je peux peut-être vous divertir d’une histoire pendant que vous vous régalez. Vous jugerez si mes mots valent ma pitance.
-Bah, des histoires. Qu’est-ce que ça peut nous foutre des histoires? Shangath connaissait plein d’histoires. Il est mort la semaine dernière.
-Connaissait-il l’histoire de Tarquin le Tambourin?, demanda le vieux.
Ses nouveaux compagnons fouillèrent un instant dans leur mémoire, mais finirent pas répondre par la négative.
-C’est une vieille histoire. Je suis sûr que vous ne l’avez jamais entendue.
-Bon, ça m’va, fit la femme à la marmite. Tu causes et si ça nous plaît tu peux bouffer. Reste un morceau de viande.
-Vous êtes bien bonne madame.
Une dizaine de visages émaciés, crasseux et creux se tournèrent vers la capuche barbue.
-C’était il y a bien longtemps, commença le vieillard.
-Combien?, fut-il tout de suite interrompu par un jeunot balafré.
-Longtemps. Des dizaines d’années.
-C’est quoi une dizaine?
-C’est dix. Comme les doigts de tes deux mains… Non, comme les doigts des deux mains de ton voisin. En ces temps là, Hyrule était en paix. La guerre avait cessé des années auparavant, les clans avaient juré allégeance à la couronne et les petites gens prospéraient à l’ombre des nobles, qui étaient alors bons et justes. Le Château, qui était sublime et dont les tours intactes rivalisaient d’extravagance, était un lieu de fête permanente. Les gentilshommes faisaient galamment la cour aux nobles dames pendant que les chevaliers s’adonnaient à la joute pour les bonnes grâces du roi et de sa jeune fille. De grands marchés s’étendaient sur toute la place du Bourg, où se vendaient tout ce qu’Hyrule recèle de trésors et de jolies choses. La nourriture abondait et chacun avait un toit sous lequel s’abriter.
« Le Roi avait une troupe de saltimbanques qui régalaient sa royale suite de bouffonneries et de spectacles. Parmi eux se trouvait un jeune garçon, presque un homme fait, qu’on appelait Tarquin. Tarquin le Tambourin, parce qu’il jouait fort bien de cet instrument. C’était un garçon fort habile, tout de cabrioles, de bons mots et de vivacité. C’était un jongleur compétent, un bon lanceur de couteau et un grand cracheur de feu. Et en plus de cela, il avait cette beauté juvénile propre aux enfants, qui faisait de lui le courtisan le plus apprécié.
« Mais le plus grand plaisir de Tarquin était assurément de rôder dans les grands couloirs, de longer les murs dans l’ombre afin de surprendre des conversations, des ragots, des rumeurs et découvrir tous les secrets des gens. Sa passion était candide, dirigée par nulle vilénie. C’était une curiosité pure et innocente ; il ne révélait rien de ce qu’il voyait ou entendait, et s’en amusait seul.
« Cependant, un jour, son passe-temps lui coûta cher. Flânant comme à son habitude dans les grands corridors, il approcha des appartements de la chef du clan des Faces-Rouges qui était alors en visite de courtoisie auprès de sa Majesté. Le jeune garçon voulut alors découvrir ses secrets à elle aussi. Usant de ses dons, il se faufila à l’insu des gardes dans l’antichambre et s’approcha de la lourde porte. Il avait ouï dire que la Chef était partie à la chasse avec le roi, aussi, ne se doutant de rien, Tarquin ouvrit grand la porte. Il se pétrifia quand il aperçut sur le grand lit couvert de soie le roi en personne partageant quelques étreintes passionnées avec la chef. »
Le vieil homme fit soudain silence. Comme il n’avait pas l’air de vouloir ajouter quelque chose d’autre, son public se fâcha.
-Et alors? Après, qu’est-ce qui s’passe?
-Tu peux pas t’arrêter, maint’nant qu’t’as commencé!
Le vieillard toussa dans sa manche, une toux grasse et vilaine.
-Vous comprenez, mes bons sires, dit-il d’une voix faible et chevrotante, j’ai la gorge si sèche, et le ventre si creux, et je suis si vieux… Je n’ai guère la force de parler.
Les miséreux se renfrognèrent, se mirent à l’invectiver mais il resta stoïque. Une dispute à voix basse éclata au sein du groupe, qui eut pour résultat qu’on lui tendit de mauvaise grâce un bol de liquide brunâtre au dessus duquel surnageait un maigre morceau de viande filandreuse. Le vieil homme le prit avec reconnaissance, courbant la tête en remerciement, et tandis qu’il commençait à manger avec appétit, il reprit le cours de son récit.
-Bien sûr, le roi et la Chef aperçurent Tarquin aussitôt. Sa Majesté bondit hors du lit, parée de sa royale nudité, et s’approcha du malheureux en trois grandes enjambées furieuses. Tarquin, tout pétrifié de terreur qu’il était, n’eut pas la présence d’esprit de s’esquiver promptement. Le roi l’empoigna à l’oreille, et lui cria si fort dessus que les gardes débarquèrent dans la chambre, les armes au clair. Il manda qu’on amène le malandrin dans la cour publique pour qu’il y reçoive son juste châtiment.
« Ainsi Tarquin fut-il traîné, sanglotant, vers les vastes étendues de pelouse verdoyante de la cour, là où se disputaient les joutes et les concours de chant. On l’y laissa sous bonne garde pendant une journée entière, sans manger ni dormir, si bien que sa peur se changea en angoisse et son angoisse en panique alors qu’il voyait un attroupement toujours plus grand se rassembler tout autour de lui, sur les bancs ou à même le sol. Les gentes dames et les gentilshommes parlaient à voix basses en le regardant, et ils riaient ou secouaient la tête d’un air réprobateur. Le pauvre Tarquin, tout candide qu’il était, ne pouvait bien sûr pas imaginer que ce dont il avait été témoin aurait pu être la raison d’une nouvelle guerre. Le roi, le fils même des Déesses par la grâce du Triangle d’Or, trompait son épouse la reine avec une de ces sanguinaires Chef du Sud, alors même que la Chef était déjà promise à un autre.
« Enfin parut le roi. Le rouge de la colère maculait toujours sa face ronde, et sa lourde cape brochée de rouge et d’or ondulait derrière lui comme la queue d’un serpent furieux. Il arborait à son côté une longue rapière d’argent, qui brillait, pour Tarquin, assez sinistrement dans les lumières timides de l’aube. L’assemblée fit silence, alors que deux gardes relevaient le jeune homme sur ses genoux. Le roi se tint devant lui, les yeux fous de rage, et il lui tint ces mots. « Que voici un infâme ingrat! Regardez le, avec sa face candide et ses mains promptes, sa langue habile à la flagornerie et son esprit mesquin. Il se fait aimer de vous, il vous dit mille choses des rêves et des chansons. Vous lui donnez votre confiance, vous le nourrissez et l’hébergez! Et comment vous remercie-t-il? Il rôde dans vos couloirs, chaparde mille bagatelles et, infamie répugnante par-dessous toute, vous espionne, dans votre propre maison! »
« Le roi criait à présent, et un murmure sourd, bas et outré parcourut la noble assemblée alors qu’elle dévisageait le pauvre Tarquin. Celui-ci était abasourdi d’incompréhension devant ces chefs d’accusation faux, inventés! Il secouait la tête en signe de déni, il voulut trouver un soutien parmi ces gens qu’il amusait tous les jours, qui l’aimaient et lui offraient mille présents, mais pas un -pas un!- ne lui fit grâce d’un peu de compassion. « As-tu quelque chose à dire pour ta défense? » fit le roi. Eperdu, Tarquin bredouilla quelque chose. « Mais, votre Majesté, je… Je ne voulais pas vous voir avec la dame Face-Rouge, je vous jure je… » Le roi le fit taire d’une gifle puissante. « Regardez le! Si prompte au mensonge et à la calomnie pour s’en tirer. Mais je t’ai cerné, et tu as bien de la chance, les Déesses m’en soient témoin, que je sois assez clément pour ne pas te faire arracher la langue. »
« Mais au lieu de lui arracher la langue, le roi lui arracha, de sa main propre, l’œil gauche, pour expiation de ses pêchés, trahison à la couronne et abus de confiance. Ainsi, disait-il, cela le ferait-il réfléchir avant de jeter un coup d’œil alentours. Les gardes maintinrent Tarquin droit, alors que son sang, d’un écarlate morbide, jaillissait en cascade de son orbite ravagée, maculant sa tunique, son visage, et la pelouse tout autour de lui prit une teinte sombre et horrible. Tarquin pleura et hurla de douleur et d’incompréhension, mais de son dernier œil nulle larme salée, mais des larmes sanglantes. On fit dire que cela était un signe des Déesses elles-mêmes, et que le roi avait leur bénédiction.
« Si c’est là la justice des Déesses, se dit Tarquin alors que la nuit étendait ses ombres sur lui, et le trouvait seul dans la cour désertée, alors c’est qu’elles sont bien cruelles. L’âme de Tarquin, son cœur et son esprit, se couvrirent des ombres comme d’un bandage pour panser leurs plaies. La douceur candide fit place à une noirceur maligne. Pas une dame, pas un chevalier, pas un valet ou une souillon ne vint à Tarquin pour l’aider ou lui apporter quelque réconfort. Au matin suivant, les quelques promeneurs virent qu’il n’avait pas bougé, et trouvant le spectacle fort peu approprié, firent mander des gardes qui emmenèrent Tarquin. On le fit paraître devant le roi et sa cour, et parmi ces gens se tenaient les parents mêmes de Tarquin, les saltimbanques du roi. Même eux le regardaient avec mépris et dégoût. Le roi avait fait monté l’œil arraché en pendentif, et afin d’amuser ses gens, ordonna qu’on en pare Tarquin. Le jeune homme se laissa faire ; à dire vrai il était immobile, ne disait mot et ne bronchait de rien.
« Comme il se refusait à répondre aux insultes, on décida qu’il n’était plus de bonne compagnie, et on l’envoya aux cachots. Cependant, le lendemain, le surveillant découvrit sa cellule vide, la porte toujours fermée et les barreaux bien en place aux fenêtres. L’incident fit grand bruit quelques jours, mais tout le monde trouva vite de bon ton d’oublier Tarquin, à jamais. »
Avec un grand bruit de succion, le vieillard fit un sort aux dernières gouttes de soupe. A présent largement captivé, son public dardait sur lui des regards avides, désireux de connaître la suite.
-Et après?
-Après? Et bien, plus personne ne revit jamais le pauvre Tarquin.
-Ca peut pas s’finir com’ça! C’est nulle comme fin. Qu’est-ce qu’il devient?
-Il s’est échappé de sa prison? Mais personne n’a jamais réussi.
Un concert de question assaillit le vieil homme qui ne dit rien pendant quelques instants. Finalement, il leva les mains pour réclamer le silence.
-Et bien, il m’est arrivé d’entendre la suite de cette histoire. Mais celui qui m’en fit récit était passablement saoul, et son propos trop extraordinaire pour qu’on y accorde quelque crédit.
-On s’en fout de ça! Raconte!
Le vieillard s’emmitoufla un peu plus dans son manteau car une brise plus mordante que les autres se levait.
-Tarquin s’était bel et bien enfui de sa cellule. Comment? Personne ne le sut jamais. Il se baigna tout entier dans les douves du château, afin de laver son corps du sang qui l’incrustait. Mais il eut beau se frotter, se frotter tant qu’il le put, une goutte de sang resta sur sa joue droite, sous son dernier œil, si bien qu’on eut dit qu’il pleurait éternellement une unique larme de sang, comme un rappel à son malheur.
« Tarquin voulut éprouver son habileté, mais la perte de la moitié de sa vision l’avait rendu gauche dans la manipulation des couteaux et des balles, lui avait ravi son équilibre dans il était autrefois si fier et dont tout le monde le vantait tant. Cela plus que tout le rendit amer. Il avait tout perdu, son œil, sa vie, sa famille, son habileté. Il n’était plus Tarquin le Tambourin, mais Tarquin-le-moins-que-rien. Il continua tant bien que mal à vivre au château. Il se cachait dans les recoins, découvrait des passages dérobés, chapardait en cuisine ce dont il avait besoin pour vivre. Mais chaque nuit lorsqu’il s’endormait, il ne pouvait s’empêcher de songer à ce que le monde lui avait pris, au tort qu’on lui avait fait. Son amertume grandit, et parallèlement grandirent les ombres de son âme.
« Au fil des ans, il devint lui-même une ombre. S’il désirait n’être vu de personne, personne ne le voyait. Il grimpait aux murs aussi prestement qu’il se dissimulait à l’ombre d’un porche, se mouvait aussi vite et silencieusement qu’un chat, tant et si bien qu’une rumeur finit par éclore selon laquelle le château était hanté par un esprit revenu d’entre les morts. Tarquin, devenu homme, découvrit bien des secrets, bien des vérités sur tous et toutes. Il ne supportait plus les mensonges, ces mêmes mensonges qui lui avait coûté son œil et sa vie, alors il mit un point d’honneur à découvrir la vérité. Toutes les vérités. Mais toutes les vérités ne sont pas bonnes à entendre, et alors qu’il se nourrissait des secrets éventés, tel un monstre noir en gestation dans les entrailles du donjon, alors qu’il faisait la lumière sur les accidents qui étaient des meurtres, sur les suicides qui étaient des assassinats, sur les mensonges qui faisaient souffrir des innocents, alors la folie vint le trouver et s’empara de lui. La vie de Tarquin s’étira tel la toile d’une araignée au travers d’un inextricable entrelacs de mensonges et de vérités, de faux semblants et d’illusions, de lumière et d’ombre.
« Un jour qu’il errait du côté des appartements royaux, il fit une découverte qui le bouleversa. Il surprit une conversation entre le roi et sa femme la reine. Il pensait tout connaître des secrets de la couronne, cependant il en ignorait un, mais qui, à ses yeux, était le plus important. La reine demanda à son époux, d’un ton qui suggérait que ce n’était pas la première fois, au contraire, pourquoi il avait laissé la vie sauve au « pauvre saltimbanque borgne ». Alors le roi, que l’âge avait rendu âpre et colérique, cédant à son humeur, lui cria qu’il ne pouvait, selon les lois les plus sacrées, qu’il ne pouvait prendre la vie d’un de ses fils, aussi bâtard fusse-t-il.
« Ecœuré, abasourdi, Tarquin prit la fuite, et resta plusieurs jours dans le noir, à penser encore et encore à ce qu’il avait entendu, de la bouche même du roi! S’il n’y crut tout d’abords pas, au fil de sa réflexion il en vint à accepter les choses, car il ne pouvait défaire la vérité. Avec amertume, il songea que sa soif dévorante l’avait, une fois encore, rendu malheureux. Mais Tarquin n’était plus le petit garçon apeuré qui avait surpris le roi en pleine infidélité. Il était à présent un homme, un homme de l’ombre que rien n’y personne ne pouvait saisir ou arrêter. Il décida que le roi son père devait payer pour ses crimes, pour tous ses crimes, et seul l’acier avait à ses yeux assez de valeur pour cela. A la nuit tombée, il se faufila dans la chambre nuptiale. Le couple royal dormait d’un sommeil paisible sur son grand lit à baldaquins et voir un visage si serein chez un homme si abjecte ne donna que plus de courage à Tarquin. Discret comme une ombre, il s’approcha de l’homme endormi et levant haut son couteau fit mine de l’égorger.
« Alors, une vive et douloureuse lumière explosa dans la pièce, aveuglant Tarquin et réveillant le roi. Ce dernier, avisant l’arme que tenait l’homme, poussa un cri et le repoussa. Un fouet d’énergie rouge cingla l’air, venu du néant, et s’enroula autour du poignet de Tarquin. D’un mouvement sec il lui fit lâcher sa lame, et d’un deuxième l’amena au pied du lit, à genoux. Trois silhouettes éthérées, féminines et lumineuses, flottaient à présent dans la chambre, et c’est d’elles que sourdait la lumière. Celle la plus à gauche tenait le fouet. Les silhouettes prirent la parole chacune à leur tour, en commençant par celle au fouet. « Moi, Din, je t’interdis de lever jamais la main sur la famille royale. » « Moi, Farore, pour te punir des crimes capitaux dont tu voulais te rendre responsable, t’ordonne de servir à jamais jusqu’à ta mort la famille royale. » « Moi, Nayru, pour te punir du régicide et du parricide dont tu voulais te rendre coupable, te fais don de cet œil, afin qu’à jamais tu contemples cette vérité dont tu es tellement obsédé. » Alors les Déesses pointèrent à l’unisson un doigt sur l’homme à genoux devant elles, et Tarquin hurla de douleur en se prenant la tête entre les mains. Leur tâche accomplie, les trois Déesses s’en retournèrent aux Cieux.
« L’Œil de Tarquin était devenu rouge, entièrement rouge, d’un rouge vif terrifiant dont seule la pupille reptilienne noire trahissait le mouvement. Alors, découvrant son visage de ses mains, Tarquin se mit à voir. Où que se porta son regard, il vit les vérités, la vérité, et le monde lui parut alors encore plus sombre qu’il ne l’était déjà. Que parle une personne, et il savait tout de suite qu’elle mentait. Et Tarquin dut se rendre vite à l’évidence : tout le monde mentait. Il n’avait plus besoin de rôder dans les couloirs et les antichambres : il lui suffisait de poser l’œil sur une personne pour la dépouiller aussitôt de ses secrets.
« Ne pouvant se soustraire aux injonctions des Déesses, Tarquin servit la famille royale, mais sans jamais oublier sa haine et sa rancoeur. Ses dons furent grandement appréciés, et il devint le maître espion du roi, ainsi que son plus fidèle protecteur. Tarquin fondit un ordre nouveau qu’il forma à la dissimulation, à la discrétion et à l’assassinat. Tous ses apprentis devaient jurer une éternelle et inaltérable fidélité à la famille royale. Cet ordre prit comme blason un œil rouge surmonté des trois triangles divins et pleurant une unique larme de sang ; il prit comme nom « Sheikah », l’œil qui pleure dans l’ombre. »
-Bah!, cracha l’un des miséreux. Tout le monde sait bien que les Sheikahs n’existent pas. Sinon, le roi serait encore en vie.
-Ta gueule Garett! On s’en cogne de tes réflexions politiques. Nous, on veut entendre l’histoire jusqu’au bout.
Le vieillard attendit que la dispute se calmât, puis reprit.
-Les Sheikahs, et Tarquin plus particulièrement, permirent au royaume de prospérer, en déjouant les complots, en sapant les ressources des Clans et des maisons nobles au profit de la Couronne. Le roi était pleinement satisfait de son serviteur de fils, disant à qui voulait bien l’entendre qu’il avait fait une merveilleuse affaire en laissant la vie sauve à ce petit saltimbanque. Tant et si bien qu’il ne vit pas, comme tous les autres, que Tarquin préparait sa vengeance dans l’ombre, son fief. Tarquin assassinat de ses propres mains plusieurs nobles, plusieurs Chefs de clan, et par son habilité et sa capacité à manipuler la vérité, parvint toujours à faire porter l’accusation sur d’autres, en fournissant des preuves aussi accablantes que fausses. Mais qui aurait remis en doute la parole de Tarquin? Tout le monde savait qu’il voyait la vérité, toute la vérité, et que si Tarquin vous jugeait coupable, c’est que vous l’étiez. Lorsque ses propres apprentis commencèrent à le suspecter, il se débarrassa des plus gênants, mais aucun ne parvint à fournir une seule preuve l’inculpant. Alors ses disciples se détournèrent de lui, se mirent à s’en méfier, et ils l’appelèrent Tarquin le Mesquin, Tarquin le Menteur, Tarquin le Fou. Pour détourner leur attention, il leur donnait des os à ronger, tandis que dans leur dos il déformait la vérité dans ce qu’il rapportait au roi, tant et si bien que lorsque le Héros fédérateur du Sud se présenta au Château, personne ne s’était aperçu de sa cruauté, de sa vilénie, de sa fausseté. Personne, sauf Tarquin. Lui le voyait comme il était, un monstre à visage humain, avide de pouvoir. Mais Tarquin ne dit rien. Tout cela allait servir sa vengeance.
« Conformément aux prophéties qui l’entouraient, le Héros épousa la princesse. Tarquin s’arrangea pour qu’il goute suffisamment au pouvoir pour en vouloir plus, toujours plus, et ne plus pouvoir s’en passer. Alors Tarquin le Fourbe, Tarquin le Traître, dévoila le vrai visage du Héros au monde, à l’issu d’un Tournoi factice dont il avait soufflé l’idée au roi. Apeuré, écœuré, bouillant de rage, le roi le fit tomber en disgrâce. Mais trop loin était allé le Héros, le Faux-Héros, trop de pouvoir avait-il goûté. Il ne pouvait se résoudre à tout abandonner, aussi partit-il pour le Sud et, usant de son influence, rallia les Clans sous sa bannière en vue d’assiéger la Citadelle d’Hyrule. Pendant ce temps, Tarquin tissa une toile de mensonges et de demi-vérités dans laquelle s’engluèrent les nobles et les chevaliers. Une toile si épaisse que personne n’y résista. Il monta la roi contre les nobles, et les nobles contre le roi, tant et si bien que les premiers se soulevèrent. Le jour fatidique, les portes furent trouvées ouvertes, alors même qu’elles avaient été cadenassées par les Sheikahs. Le roi fut tué par ses nobles, ainsi que la reine son épouse et leur fils le prince. La princesse avait été contrainte de fuir avec son Héros d’époux. Alors vint la question de la succession, et tous revendiquèrent la couronne. Une guerre éclata à l’intérieur même de la salle du trône, sur le corps encore chaud du roi, et la guerre civile se répandit comme un fléau de peste, alors même que les Clans marchaient vers le château.
« Les Sheikahs survivants, se réunissant autour des dépouilles royales, pleurèrent autant qu’ils jurèrent. Ils jurèrent de se venger de Tarquin, de Tarquin le Faux, Tarquin le Sournois, Tarquin le Manipulateur. Mais de Tarquin, nulle trace. Comment retrouver celui-là même qui commandait au mensonge et à la vérité, à l’illusion et à la véracité? Celui qui se faisait des ombres un manteau et de la tromperie une armure? « Il faudrait avoir son œil pour le trouver », dit un jour le plus jeune d’entre eux, de dépit. Alors, le plus vieux et plus sage, eut une idée. Ils cherchèrent durant de longues semaines le fameux pendentif sur lequel se trouvait, comme un trophée macabre, l’œil arraché à Tarquin dans sa jeunesse. Celui-ci l’avait bien caché, et les Sheikahs le trouvèrent au fin fond d’un puits truffé de pièges. Mais conformément à ce qu’ils pensaient, l’œil était devenu rouge, du même rouge que celui de leur ancien mentor. Il fondirent le bijou, et changèrent l’organe en un monocle, le Monocle de la Vérité. Il suffisait de porter cet artefact à son regard pour aussitôt démêler le vrai du faux, le mensonge de la vérité, tout comme Tarquin pouvait le faire. »
Un relent de peur plana sur l’assemblée au fur et à mesure que l’histoire approchait de son terme. La voix du vieux avait gagné en intensité, sa silhouette semblait s’être redressée et sous les ombres de sa capuche, sa bouche ridée s’agitait avec plus d’emphase.
-Forts de leur nouvelle arme, les Sheikahs parvinrent à détruire l’échafaudage d’illusions que Tarquin avait forgé dans les couloirs du Château. Ils le trouvèrent au plus profond du donjon, dans des lieux que la mémoire des hommes avait oubliés. Il riait seul dans les ombres, tandis que son œil rouge semblait flotter dans les airs. Il y eut une bataille silencieuse, brutale, atroce. Tarquin était le meilleur d’entre eux, et même à plusieurs il leur était supérieur. Alors, ne pouvant le tuer, ils se résolurent à l’emprisonner. Jugeant qu’il était peu prudent de le laisser dans le donjon, les Sheikahs l’emmenèrent à l’Est, dans le grand cimetière de Cocorico, où les morts arpentent les flancs de la chaîne du Péril, une lanterne à la main. Ils le menèrent au plus profond de la crypte royale, et plus loin encore, toujours plus profondément dans les ténèbres et les ombres. Ils construisirent un vaste labyrinthe souterrain, qu’ils remplirent de pièges et d’illusions, à la manière de Tarquin, afin que nul autre qu’eux même puisse venir l’en tirer un jour. Mais ils jurèrent que ce jour n’adviendrait jamais, tant qu’il resterait au moins un Sheikah vivant. Afin de lui rappeler à jamais ce qu’il était et ce qu’il avait fait, ils lui donnèrent un tambourin. Mais il n’en joua jamais comme il en jouait avant. Il se contenta de frapper sourdement et régulièrement sur la cuir tendu. Bong. Bong. et le son raisonne encore dans les tombes des morts. »
Le vent hurla une plainte, et une terreur glacée s’empara du public. Aucun ne voulait entendre la suite, mais aucun ne parvint à dire quoi que ce soit.
-Les Sheikahs, leur tache accomplie, firent venir des artisans afin d’ériger, non loin du cimetière, une ville nouvelle qu’ils nommèrent Cocorico également. Ils lui donnèrent comme blason le coq, qui de son chant fait venir le jour et repousse les ombres. Au centre du village, ils creusèrent un puits profond et ténébreux, dans lequel il jetèrent le Monocle de Vérité, seule clé du tombeau de Tarquin le Dément, Tarquin l’Assassin. Et au dessus du puits, ils firent bâtirent un moulin à eau, afin que jamais le puits ne se retrouve sec. Depuis ce jour, les Sheikahs montent la garde à Cocorico, attendant le retour de la famille royale. Et de Tarquin , plus personne ne parla jamais. »
Le vieux acheva son histoire sur un sourire. Le vent nouveau faisait frémir sa capuche dont les ombres restaient impénétrables. Personne ne pipa mot. Le cœur battant, les miséreux attendirent. Quelques uns osèrent porter la main à leur arme.
-Comment… Comment tu t’appelles, l’ancien?, se risqua l’un d’entre-eux.
-Moi? On m’appelle Bongo. Bongo Bongo.
Une rafale de vent souleva la capuche, révélant un visage horrible dont l’œil unique brillait d’un rouge malsain et pleurait une larme. Une larme de sang.
-Mais, dans le temps, on m’appelait Tarquin. Tarquin le Tambourin.