Nous ne sommes pas ennemis
Je me souviens qu’à ma naissance, la seule chose que j’ai ressenti, ce fut la douleur. J’ai eu l’impression qu’on m’arrachait une partie de moi-même.
A ma mort, au contraire, il n’y avait rien. Rien. Pas de douleur, pas de souffrances. Pas d’émotions. Juste un grand vide. Comme s’il me manquait quelque chose. Et pourtant ça a été violent : ce fut un coup d’épée dans le ventre qui mit fin à ma vie.
Ma vie… En ai-je seulement vraiment une ? Je ne me suis jamais senti vivant. Je n’ai jamais ressenti d’émotions, mais juste un grand sentiment de vide persistant. En fait, je pense que je ne suis même pas vraiment en vie. Cela expliquerai sans doute pourquoi après ma mort, je me suis réveillé à nouveau…
Quand j’ai ouvert les yeux après mon trépas, j’étais encore dans cette salle sombre et humide. Cependant l’illusion qui la décorait avait disparu, et les portes qui me retenaient prisonnier étaient ouvertes. Toutes. Toutes les portes de ma prison étaient ouvertes.
Je me suis alors dit que c’était l’œuvre de mon assassin, cet individu qui me ressemble étrangement et que je dois absolument retrouver.
Je ne sais pas pourquoi, je ne sais pas comment, mais je me sens lié à lui par une force inimaginable. Dès que je l’ai vu entrer dans ma salle, j’ai ressenti toutes les émotions que le destin m’avait refusées jusque-là. Pour la première fois je me suis senti vivant.
Quand les portes de ma prison se sont ouvertes, je suis resté caché derrière l’unique arbre que je n’avais jamais vu ; mon instinct m'avait crié de le faire. Alors, debout derrière l'arbre gris, j'ai observé. Et il est entré.
J’ai alors vu un garçon blond, aux yeux bleus, accompagné d’une fée qui virevoltait autour de sa tête. Il avait dans sa main une épée qui ressemblait à la mienne. Une puissance qui me voulait du mal en émanait. Mais lui… il avait une aura lumineuse… Incroyable. Totalement pure. Parfaite. Comme s’il n’avait… aucun défaut, aucun vice, aucune imperfection.
Tout le contraire de moi, en somme.
Au tout début, je suis resté caché. Il m’intriguait, ce garçon. Il me ressemblait, mais parassait aussi tellement différent de moi… J’ai eu le sentiment, en le voyant, que je l’avais déjà rencontré, et qu’il n’était qu’une vieille connaissance. Mais je n’arriverais pas à me souvenir de lui. Et même maintenant, je n’y parviens toujours pas. C’est étrange. Tout ce que je sais, ce que nous sommes liés.
Le garçon a ensuite commencé à explorer minutieusement ma salle. Il regardait de partout mais semblait ne pas me voir, si bien qu'il a fini par dépasser mon arbre. J’avais bien remarqué qu’il voulait sortir, je le voyais chercher en vain un moyen de sortir de la pièce. Alors j’ai décidé de m’approcher de lui.
Immédiatement sa fée m’a repéré et s’est mise à tourbillonner autour de moi. Et lui, il m’a attaqué.
Sur le coup, j’ai paniqué, son épée me faisait tellement peur ! J’ai tout fait pour éviter qu’elle ne me touche. Cette arme me voulait du mal, elle voulait m’éliminer ; je l’ai bien senti. Une puissance destructrice émanait de sa lame. Je ne l’ai pas laissé me toucher, ni même me frôler. Et jamais je ne la laisserais le faire. Ni aujourd’hui, ni demain, ni jamais.
Mais visiblement, je me suis si bien défendu contre l’arme qui me menaçait que son porteur a fini par en changer. Il a pris une immense épée, qui devait bien faire sa taille – et la mienne aussi, puisque nous sommes pareils. Il a enchaîné ses coups, je n’ai alors pas pu me défendre. Je me suis contenté de subir et j’ai fini par disparaître sous l’eau.
Je me suis réveillé quelques temps après, trempé et avec encore une faible douleur au ventre, là où j’avais reçu le coup d’épée. Je ne saurais dire combien de temps il s’est écoulé entre ma mort et mon réveil : depuis que j’ai rencontré ce garçon, j’ai perdu toute notion du temps.
Une seule pensée hantait mon esprit à ce moment là – et le hante toujours – : je devais – et dois – absolument retrouver sa trace, coûte que coûte. Le lien que je ressens entre lui et moi est bien trop fort pour pouvoir l’ignorer.
Même s’il y a quelques heures, jours ou mêmes mois, c’est lui qui m’a « tué ».
Déterminé à l’idée de revivre toutes sortes d’émotions, je suis alors sorti de ce lieu dans lequel j’avais déjà passé trop de temps. A ma sortie, je fus ébloui par toute la lumière et toutes les couleurs dont je ne connais toujours pas le nom que ce monde a à offrir. Tout cela est si beau… Dans ma cellule, il n’y avait pas de couleur. C’était sombre, si sombre… Et là, je vois un monde nouveau, ce monde dans lequel je vis pourtant, mais qui me semble incroyable.
Mes premiers pas dans cet univers furent magiques. J’ai senti le vent souffler contre mon visage et le soleil déposer ses rayons sur ma peau. Je me suis baissé et j’ai alors passé mes mains à travers l’herbe. J’ai découvert une sensation douce, que je n’oublierai jamais.
Puis j’ai commencé mon exploration. Même après des heures et des heures de marche, je m’émerveille encore de tout, je vois de la vie tout autour de moi ; des oiseaux, des plantes et mêmes des monstres, tout est beau à mes yeux.
Mais au fil de mes découvertes, j’ai fini par arriver devant un grand monticule sur lequel se trouvent des habitations. C’est devant elles que je me trouve à présent.
Depuis plusieurs heures je reste devant l’entrée de la colline, immobile et penseur.
Je suis fortement intrigué, je me demande si je peux y trouver des gens comme moi, mais à cette idée, mon ventre se serre d'angoisse et de peur. Je ne sais pas ce qui peut se passer. Et si les habitants essayent aussi de me tuer, comme le garçon ? Qu’est-ce que je ferais ? Je devrais… me battre à nouveau ?
Toutes ces questions m'inquiètent. Je suis totalement perdu, dans ce monde nouveau.
Après de longues réflexions silencieuses, je finis tout de même par me décider, et entrer dans ce lieu inconnu. Là-bas, il y a une odeur bizarre, mais pas désagréable et je peux également entendre un multitude de bruits étranges. Au loin, j’aperçois des créatures qui marchent sur de longues pattes et broutent l’herbe au sol. Je suis fasciné par elles, elles galopent avec vigueur au centre des barrières en bois. Je m’approche alors, désireux de les voir de plus près, quand soudain j’entends des voix. Je me tourne.
Debout appuyé contre les barrières, se trouve celui qui m’a tué et fait ressentir toutes les émotions du monde. Aussitôt, ces dernières me comblent et je me sens à nouveau vivant.
Ainsi je n’aurais pas à le rechercher à travers ce gigantesque univers puisqu’il est là, devant moi, et qu’en restant près de lui je vais enfin pouvoir combler ce vide immense que je ressens depuis si longtemps !
Il est en compagnie d’une fille aux longs cheveux roux. Bien qu’elle soit dos à moi, je lui trouve une certaine grâce. Ils rient tous les deux, souriants et joyeux.
Rire… Moi, je n’ai jamais ris. Je n’ai jamais connu non plus la joie. Et encore moins l’amitié. Je connais juste ces mots, mais sans réellement savoir leur signification.
Ces deux-là semblent être amis. J’aimerais bien, moi aussi, rire et être heureux. J’aimerais bien avoir des amis, puisque ,apparemment, cela fait rire et donne le sourire. J’aimerais bien les rejoindre…
Je m’approche d’eux. Ils sont joyeux, je veux être comme eux.
Mais leur réaction me fait aussitôt regrette ce choix imprudent. J'aurais dû réfléchir avant d'esquisser le moindre geste à leur égard…
La jeune fille crie en me voyant., et je vois, horrifié, mon assassin se place alors immédiatement devant elle et sort son épée, qui n’est pas la même que la dernière fois, comme pour la protéger. Mais la protéger de quoi ? Je ne suis pas méchant ! Je veux juste devenir leur ami !
Je reste figé, déconcerté de la tournure que prennent les événements. Va-t-il encore une fois me tuer ? Je le vois devant moi, ce garçon qui me ressemble et avec qui je me sens lié. Il me fixe, et je le fixe. Il semble perplexe. Peut-être attend-t-il que je dégaine mon arme moi aussi, pour l’affronter comme dans mon horrible prison d’eau ? Mais je ne suis pas là pour ça. Tout ce que je veux c’est connaître aussi la joie, et rester avec lui, pour me sentir vivant.
Je ne sors pas mon arme. Je me contente de tendre la main vers lui.
Je suis bien trop loin, je ne peux pas le toucher. Mais il a dû lire dans mes yeux mes supplication car il fait un pas vers moi, puis deux, puis trois. Et il tend sa main comme je l’ai fait.
On se regarde dans les yeux. Les siens sont beaux. Ils sont bleus, bleus comme le ciel. Je sais que les miens sont rouges. Comme le sang.
Il s’avance encore un peu. Mon cœur s’accélère. Je l’entends et je le sens battre dans ma poitrine. C’est une sensation étrange. Ça ne m’était jamais arrivé, avant lui.
Il s’avance encore.
Nos doigts se frôlent, puis…
Un éclair blanc. D'anciennes émotions refont surfaces.
… puis
nous nous souvenons.
Nous avions dix ans. Ganondorf venait d’enlever Zelda. Nous venions de récupérer son ocarina.
Nous étions devant l’épée, prêts à la retirer de son socle. Nous avions attrapé le pommeau. Et nous avons tiré.
L’épée était lourde. Nous avions du mal à la soulever.
Mais finalement, nous avons réussi. L’épée de légende était hors de son socle.
Mais on ne savait pas. On ne connaissait pas le prix à payer pour la porter.
On ne pensait pas …
…qu’elle nous séparerait.
Elle ne tolérait pas, en tant qu’épée du bien, que son porteur puisse ne pas être parfait. Sans vice. Sans défaut. C’est la lame purificatrice après tout. Elle ne peut pas être portée par n’importe qui. Seulement par quelqu’un de bien, qui ne veut que du bien
C’est pour ça.
C’est pour ça qu’elle nous a séparés. Qu’elle m’a séparé de lui. De mon corps. De ma moitié.
Moi, je devais être une entité à part entière. Je faisais partie de lui. J’étais ce qui le rendait… humain ? Imparfait comme tous les êtres. J’étais ses défauts. Ses imperfections.
Mais pour éviter que je ne prenne le dessus, que je n'insuffle quelques pensées noires ou une trop grande soif de pouvoir dans son cœur, et qu’il n'’utilise ainsi sa lame qu' à mauvais escient, elle m’a forcé à le quitter, lui, mon propre corps.
C’est donc de là que vient ce profond vide que je ressens… et cette affreuse douleur que je suis venu au monde… C’est pour ça que… j’existe.
Je ne suis pas complet. Lui non plus.
Mais maintenant qu’on se souvient, tout est plus clair. Nous ne sommes pas ennemis. Loin de là.
En réalité, nous sommes un.