Récemment, j'ai lu
Descender de
Jeff Lemire et
Dustin Nguyen chez
Urban Comics, dans leur collection Indies.
La Galaxie se remet péniblement du traumatisme causé par l'apparition, il y a dix ans, des Récolteurs, des robots de la taille d'une planète qui préfigurèrent la révolte des machines contre les Hommes. C'est dans cet univers en pleine reconstruction, qui a depuis appris à haïr le genre mécanique, que s'éveille Tim-21. Sans le savoir, le petit droïde cache dans ses circuits imprimés l'héritage et es véritables intentions des Récolteurs. Un secret dont tous les gouvernements de la galaxie rêveraient de s'emparer.
Au niveau de son contexte de sortie, il faut savoir que Descender a eu un énorme succès aux Etats-Unis dans la collection de l'éditeur
Image. Si bien qu'avant sa parution en France, les coups de cœur et autres chef-d'oeuvre à en devenir étaient déjà bien présentés outre-Atlantique, et se sont enchaînés à une vitesse folle sur notre territoire, avant même sa sortie en librairie. Appuyé par un support de la presse spécialisée bien trop soutenu pour ne pas y voir une promotion bien camouflée, on est donc en droit de se poser des questions, au mieux d'être curieux.
Au niveau du scénario,
Jeff Lemire nous pond ici un space-opera doté d'un univers riche et qui donne envie d'être exploré dans la suite des tomes. Les Récolteurs, de par leur gigantisme, leur nature énigmatique, leur puissance tout comme leur passivité, rappellent aisément d'autres références bien ancrées. De celles que je connais personnellement : les Célestes apparus dans
The Eternals de
Jack Kirby pour les comics,
Rencontre du Troisième Type de
Steven Spielberg niveau films, les biotechnologies dans
Spin de
Robert-Charles Wilson niveau romans, ou encore les Moissonneurs de
Mass Effect du côté des jeux vidéo. Si ça peut vous donner une idée de ce que nous propose Descender le concernant.
Ce leitmotiv d'une menace sur laquelle les races intergalactiques n'ont aucun contrôle permet d'apporter la seconde grosse thématique de ce comics, à savoir la condition des robots. Car les différents peuples organiques de cette histoire partagent une volonté généralisée de se débarrasser de leurs outils mécanisés. Ces derniers peuvent prendre des formes très humanoïdes et pendant un temps très intégrés socialement, à l'image du personnage principal. Bref, on est en plein dans
Les Robots d'
Isaac Asimov, et on a eu depuis d'autres grands classiques sur le même thème.
Du côté des personnages d'appui, si vous êtes un habitué des
Star Whatever et autres
Les Gardiens de la Galaxie, vous n'allez pas être déçus. Car malgré des archétypes persistants (le garçon destiné à grandir en compagnie du jeune lectorat, l'ancien scientifique blasé, la femme militaire forte, la brute épaisse comique bien badass, sans oublier le fameux sidekick/mascotte), cet aspect du récit s'installe intégralement dans ce tome (sans toutefois rusher), et on sent que pour une fois, certaines relations sont vouées à ne pas évoluer sur un schéma de groupe soudé et indestructible. Les éléments flashback et background évoqués laissent entendre qu'il y aura de la casse dans les prochains tomes, ça se sent.
De manière générale, ces différents éléments témoignent assez bien de ce qui pourra faire défaut à cette oeuvre : si vous êtes un amateur de SF qui connaît ses classiques, vous ne serez pas tentés d'essayer cette série avant d'avoir un retour plus global dans le futur. Le premier tome terminé, je reconnais que le récit mélange avec un très bon dosage les scènes d'action épiques, tout en consacrant une grande partie des scènes et dialogues (maîtrisés et bien traduits) à la sensibilité des personnages et leurs interactions respectives. Je garde donc une simple réserve quant à ce que Jeff compte finalement explorer et ce qu'il va nous apporter de différent comparé à ce que le genre nous propose déjà.
Je pense que la grosse hype de la presse généralisée comics vient en partie de là : sur ces thématiques, on a un peu eu tout et rien dans les catalogues de comics. Donc forcément, quand une oeuvre appuyée par des auteurs expérimentés se ramène et propose un style visuel frais et impressionnant, on s'emballe un peu et on en attend logiquement beaucoup pour la suite.
Au niveau du dessin,
Dustin Nguyen porte en grande partie le récit, et ce avec brio. Vous aimez les aquarelles ? Vous allez être servis. Mâtez-moi ça.
Sur cet aspect, les auteurs nous plongent directement dans l'histoire, et le découpage se révèle pour le moins dynamique, à défaut d'être entièrement clair sur certaines pages contenant beaucoup d'action. Je ne vais pas m'étendre là-dessus car je trouve le style du dessinateur vraiment puissant, il n'y a pas d'autres mots.
Mais j'ai quand même un reproche à faire, et c'est celui qui m'a le plus marqué pendant ma lecture : Dustin ne s'est pas complètement investi dans son travail, et ça se sent. Car autant la plupart des pages sont magnifiques, autant certaines donnent vraiment une impression d'inachevé, comme si le temps accordé avant la parution de l'ouvrage avait été insuffisant. On pourra me rétorquer que cet aspect incomplet est propre au style aquarelle, mais on constate clairement d'une planche à l'autre que cet argument ne tient pas, car il y a une inégalité qui saute aux yeux, entre des cases qui présentent exactement le même genre de situations, et qui pourtant n'ont pas droit au même traitement de faveur.
Cette critique a déjà été mise en évidence, et j'espère vraiment qu'ils corrigeront le tir sur le second volume, en espérant que les auteurs bénéficieront d'un temps supplémentaire compte tenu du succès commercial de cette oeuvre.