Allez, je me relance, et je poste ici trois petits textes, qui racontent des tranches de vie de ma prêtresse de WoW, avant qu'elle n'entre dans sa guilde actuelle (et qui traite de ce qu'on peut appeler, dans le jargon, son background). Le recueil s'appelle
Une vie simple.
***
Prise de conscience
Une herbe verte et tendre. Un petit chien joyeux qui se précipite vers elle. Un homme de grande taille accoudé sur une barrière. Un bruit de sabots tranquilles sur les pavés. Des voix fortes et enjouées. Et surtout, son rire. Ce dernier illuminait cette superbe journée, et agrandissait les sourires sur les lèvres des adultes. Tout autour d’elle était immense, la cariole et le cheval de papa et maman, les haies fleuries qui bordaient l’immense route pavée, les maisons coquettes de la rue. Et elle roulait dans l’herbe fraiche, jouant avec la boule de poils ambulante. Et elle riait.
Le souvenir disparut aussi vite qu’il était apparu. La jeune fille, à peine sortie de l’adolescence, se tenait en dehors de la tente médicale, à l’arrière des combats. Elle était venue prendre une pause, au milieu de l’afflux continu des blessés qui arrivaient du front. La bataille pour déloger le Fléau des ruines de la ville faisait rage, et même si l’Alliance gagnait du terrain, ses armées était fortement éprouvées.
Elle n’avait jamais vraiment repensé aux Royaumes du Nord depuis qu’elle s’était retrouvée à vivre dans le Sud, aux Carmines. Elle était encore jeune quand ils avaient quitté ces terres, et depuis les horreurs de la Troisième Guerre, sa mère était restée mutique sur leur ancien royaume. Les souvenirs de cette ancienne vie étaient restés enfouis au fond d’elle, à tel point qu’elle pensait les avoir à jamais oubliés. Quand les images de cette bourgade pleine de vie firent surface dans son esprit, elle sentit comme une sorte de rage monter en elle. Une onde la parcourut, crispant chacun de ses muscles, des épaules jusqu’à la dernière phalange, des mâchoires aux bouts des orteils. Ses yeux se mirent à piquer, et elle les ferma avec force, laissant s’écouler des larmes de colère.
Elle resta ainsi plusieurs minutes, envahie par la prise de conscience de ce qu’avait été réellement sa perte, lors de la chute de Lordaeron, alors qu’elle et sa famille étaient en voyage en pays hurleventin. Elle rouvrit les yeux et balaya de nouveau la ville du regard. Elle la revit telle qu’elle avait été, reconstruisant les ruines à l’aide de ses souvenirs enfantins. Une résolution nouvelle grandit en elle. Elle ne pouvait plus seulement rester à l’arrière pour soigner les blessés. Elle avait besoin d’aider au front. De détruire elle-même cette engeance morte-vivante qui avait ravagé son ancienne vie. Une flamme brûlait dans son regard, et quand elle desserra les poings, elle put voir les marques profondes que ses ongles avaient imprimés dans ses paumes.
Elle avait dépassé son temps réglementaire de pause. Pourtant, quand elle fit demi-tour pour retourner dans la tente de l’hôpital de campagne, elle ne se dirigea pas directement vers son poste, mais alla d’un pas déterminé vers les bureaux de ses supérieurs. Elle prit une profonde inspiration avant d’entrer quand on l’y invita. Sa timidité naturelle s’était effacée devant sa résolution. Avec un regard droit et franc, toujours habité de cette lueur flamboyante, elle avisa son chef de son souhait d’aller se battre sur le front. Face à elle, le médecin se frotta le menton, observant la jeune fille, prenant son temps pour répondre à sa demande. Elle ne sut jamais ce qui avait fait pencher la balance en sa faveur. Avait-elle réussi à le convaincre ? Partageait-il ce besoin de destruction ? Pensait-il qu’une infirmière aussi instable n’avait pas sa place dans son hôpital ? Tout ce qu’elle savait, c’est qu’il avait accepté.
Elle partit le lendemain, avec une petite troupe d’infanterie, le long des routes défoncées de l’ancienne ville, pour rejoindre la bataille. L’ampleur des dégâts, anciens comme récents, ne fit qu’attiser sa rage, et elle sentait la force de la Lumière se concentrer en elle. Elle serrait les dents, écoutant ses camarades, mais ne parlant pas. Bientôt, ils entendirent les bruits et les cris, les chocs et les lamentations. Des gradés les orientèrent vers les endroits nécessitant des troupes fraiches, et elle découvrit la réalité du front. Tout était oppressant, angoissant, tous les sens étaient assaillis par la peur et le chaos et pourtant, l’armée conservait ordre et discipline. Elle se dirigea vers la zone qui lui était assignée, et elle vit ses premiers morts-vivants.
Sans réfléchir, elle concentra la Lumière, et la projeta sur une des créatures en face d’elle, au-delà des combattants qui se battaient au corps à corps. L’éclair lumineux embrasa le ciel, puis la goule qui était la cible. Elle avait maintes fois soigné en faisant appel à ses dons, mais, malgré une connaissance théorique de la chose, jamais elle n’avait blessé avec. Elle évacua toute sa rage en brûlant le maximum d’ennemis à sa portée, et quand la colère fut retombée, elle prit le temps de jeter un regard circulaire sur le champ de bataille. Partout les armes s’entrechoquaient, les corps s’entassaient, et très vite, elle se rendit compte que ses efforts pour éliminer leurs adversaires n’étaient qu’un énorme gâchis d’énergie. Là où les soldats tuaient trois goules, elle n’en égratignait qu’une. Mais ce fut la vue de camarades blessés sur le champ de bataille qui lui fit reprendre conscience qu’elle serait bien plus utile en reprenant le rôle qui était le sien dans cette campagne.
Elle consacra le reste de la bataille à protéger et soigner les siens. La tâche était épuisante, et devoir choisir qui aurait la priorité lui demandait concentration et pragmatisme. Elle s’en acquitta sans hésitations, plongée dans l’urgence de la situation. A bout de forces, elle finit par se reculer, laissant la place à des troupes plus fraîches. Dans la zone de repos, un peu en retrait de la ligne de front, elle prit le temps de réfléchir à la bataille. Elle était parfaitement consciente de l’influence de sa rage et de l’adrénaline pendant le combat, néanmoins, elle ne pouvait nier avoir eu l’impression d’être à sa place, plus encore que dans l’hôpital. Devoir prendre des décisions difficiles, parfois de vie ou de mort, dans l’urgence ne l’avait pas paralysée, même si c’était éprouvant. Cependant, elle était épuisée, et elle se laissa aller à somnoler.
L’annonce de la victoire la réveilla, et elle se redressa, l’esprit encore embrumé. Elle remarqua très vite que malgré ce succès, personne ne semblait réjoui. Evidemment, tout le monde était épuisé, mais gagner une bataille apportait toujours un regain d’énergie aux hommes de troupe. Elle tendit l’oreille et comprit que, alors que l’Alliance attaquait par l’Ouest, les Réprouvés faisaient de même depuis l’Est. Et maintenant que le Fléau était éliminé, les deux armées se retrouvaient face à face. Chacune était dans un grand état d’épuisement, et pour le moment, elles se regardaient en chien de faïence de chaque côté de l’ancienne ligne de front. Les humains et leurs alliés étaient conscients que leurs ennemis avaient bien moins besoin de repos qu’eux, et n’osaient pas croire en une trêve, même le temps de replacer les troupes.
Les hommes n’eurent pas vraiment le temps de souffler, et les combats reprirent de plus belle. L’ennemi était différent, plus organisé, mais les pertes qu’il avait subies l’avait fortement affaibli. La jeune prêtresse resta pourtant en retrait. Elle était vidée de toutes ses forces, et elle savait qu’il ne servirait à rien qu’elle s’avance au combat tant qu’elle n’avait pas récupéré un peu d’énergie. Depuis la zone de repos, elle entendait les bruits des combats, les cris et les fracas des armes. Elle était attentive aux ordres des officiers, et suivait de loin le cours de la bataille. En elle, elle sentait l’espoir gonfler. Leurs troupes gagnaient du terrain, et la victoire était à leur portée.
Un frisson glacé parcourut soudainement l’armée alliée. Chaque homme se figea le temps d’une interminable seconde, quand apparurent, au-dessus de la zone de combat, de grandes créatures ailées. Elle en avait une connaissance théorique, d’après ses cours à la Cathédrale. Ses yeux s’agrandirent d’effroi. Personne n’était jamais vraiment prêt à faire face aux Val’kyr de Sylvanas. Et sous le regard horrifié des survivants, les corps de leurs compagnons tombés au combat se relevèrent, transformés en goules décérébrées, et se jetèrent sur leurs anciens camarades, déchirant leurs chairs avec leurs griffes et leurs crocs.
La bataille connut un tournant, et devint débâcle. Le commandement ordonna la retraite, laissant derrière eux morts et mourants, abandonnant la ville à l’engeance Réprouvée. La jeune fille était sous le choc. Elle n’était pas prête à voir une telle horreur, mais qui l’était ? Elle se replia avec le reste de l’armée, les larmes aux yeux. Tout en elle se révulsait. Elle avait toujours considéré les Réprouvés comme des ennemis, et parmi les plus retors et les moins honorables. Mais elle croyait naïvement qu’ils respectaient le libre arbitre, qu’ils ne feraient pas ce qu’ils avaient reproché au Roi-Liche. Elle venait d’être témoin du contraire, et elle en conçut une haine plus forte que tout ce qu’elle avait pu ressentir jusqu’à aujourd’hui.
Lors de leur fuite, elle traversa à nouveau les quartiers de son enfance. Un son lointain lui rappela les jappements du petit chien. La gorge serrée, elle se fit une promesse. Elle ne laisserait pas ce crime impuni. Les morts-vivants, Fléau ou Réprouvés, tous devaient payer pour ce qu’ils avaient fait à ces terres qui avait un jour été son foyer. Ce jour-là, elle sut qu’elle donnerait sa vie pour atteindre ce but.
***
Départ
Un rayon de lumière se détachait dans la pénombre de la grange, dévoilant un essaim de poussière qui dansait dans la chaleur estivale alors que la jeune fille se redressait. Les joues encore rouges sous ses taches de rousseur, elle semblait reprendre son souffle. A côté d’elle, le garçon était étendu, comme savourant un moment de béatitude. Ses boucles blondes se confondaient avec la paille sur laquelle sa tête reposait, et ses yeux contemplaient les vieilles poutres qui soutenaient le toit du bâtiment. De son côté l’adolescente réajusta sa robe, puis entreprit d’enlever le plus gros du foin de ses cheveux acajou. Elle observait le blondinet avec un sourire, mais son regard était presque réprobateur.
- Tu devrais ranger tout ça, Will, avant que quelqu’un te surprenne !
Son ton se situait quelque part entre l’amusement et le reproche. Il lui répondit d’une voix languide, se redressant sur les coudes.
- Ça sert à quoi que tu te démènes autant si je ne peux pas plus en profiter ?
Le regard qu’elle lui jeta valait plus qu’un long discours, et dans un grommellement, il porta les mains à sa ceinture et reboucla son pantalon. Puis il se mit assis, et reboutonna sa chemise, après en avoir secoué les pans pour enlever l’herbe séchée qui s’y était accrochée. La jeune fille se mit à genoux, à côté de lui, et retira un brin de paille de ses cheveux. Malgré le ton employé auparavant, elle lui souriait tendrement. Elle s’attardait sur son visage rond et ses yeux bleus.
- Il fallait bien que je te laisse un souvenir impérissable, finit-elle par annoncer. Mais ça n’empêche pas qu’il vaut mieux éviter de se faire surprendre, je n’ai pas envie de me disputer avec mon père la veille du départ !
Il lui posa une main sur le bras et déposa un baiser sur sa joue. Il se redressa, et fit la moue, la regardant d’un air triste.
- Tu vas terriblement me manquer.
Elle éclata d’un rire argentin, avant de le regarder en haussant les sourcils.
- Tu parles ! Tu vas aller te consoler dans les bras de Mayleen, oui. Je ne me fais pas de souci pour toi.
- N’empêche que tu vas quand même me manquer, répondit-il sur un ton buté. C’est pas pareil avec elle. Il marqua une pause. Tu pars tôt, demain ?
Elle continuait à ôter le foin de leurs cheveux, machinalement. Son regard se perdit dans le vague, et sa voix était devenue lointaine.
- Oui, je suis attendue avant midi à la Cathédrale. Et il y a quand même une bonne distance à parcourir. J’aurai juste le temps de prendre un petit déjeuner avant de partir.
- Qu’est-ce qui a pris à ton père ? Te faire reprendre des études à ton âge ? Tu devrais plutôt commencer à penser à te caser, je suis sûr que tu peux te trouver un bon petit mari au village.
Elle leva les yeux au ciel. Un mari ? Et puis quoi encore, elle n’avait même pas seize ans. Ce n’était pas parce qu’elle vivait dans un village rural qu’elle allait se plier à toutes leurs traditions. Avant de se retrouver ici, elle avait vécu en tant que commerçante nomade, avec sa famille, et dans ce genre de métier, on ne se casait pas à seize ans ! Mais comment pouvait-il le comprendre ? Elle soupira, avant de lui exposer sa situation.
- Avec la mort de maman, j’ai dû interrompre mes études, bien à contrecœur, mais papa avait besoin de moi pour tenir la boutique. Il s’en est toujours voulu de m’avoir détourné de ce qu’il pense être ma voie, alors, maintenant que les affaires sont ralenties, et qu’il peut y arriver seul, il me redonne cette chance de persévérer. Elle secoua la tête. Depuis le Cataclysme, et la misère qu’il a engendrée, les clients se font plus rares.
- Et tu préfères aller suivre des cours à la Cathédrale plutôt que de rester tranquillement ici ? A profiter du foin ?
Il commença à lui caresser le bras, mais quand sa main s’approcha de sa poitrine, elle la repoussa d’une claque. Elle ne lui souriait plus, et son regard était redevenu lourd de reproches.
- Oui, je préfère essayer de faire quelque chose de ma vie, et ne pas m’enterrer dans un village de campagne sans pouvoir rien apporter à personne. Qui sait, peut-être que je reviendrai vivre ici une fois que j’aurai obtenu mon diplôme de médecin ? Si ça arrive, je ne suis pas certaine de venir te soigner le jour où tu seras malade !
Elle se leva dans un mouvement souple, et détourna le regard vers l’échelle qui allait lui servir à redescendre. Elle avait voulu passer un dernier bon moment avant de retrouver la rigueur de l’Eglise, et il était en train de tout gâcher. Elle décida de partir avant de regretter sa décision. Elle venait de poser le pied sur le premier barreau quand il se décida à parler.
- Allez, Adel, boude pas ! Je voulais pas te vexer, c’est juste que j‘aurais bien aimé que tu restes, c’est tout. En vrai, j’espère que tu y arriveras, et que tu seras contente de ta vie, c’est ça le principal.
Elle le toisa du regard. Il était toujours nonchalamment assis dans le foin, ses boucles blondes cascadant sur son front. Il était mignon, et il avait bon fond, elle en était persuadée. Ses dernières paroles la firent sourire, mais elle sentit comme une boule se coincer dans sa gorge. Malgré son envie d’aller étudier et sa détermination, quitter cette vie tranquille à Comté-du-Lac n’était pas si facile. Elle tâcha de masquer son émotion quand elle lui répondit.
- Merci, Will. Moi aussi, je l’espère.
***
Tournée hivernale
En haut, en bas, en haut, en bas. Avec une précision de métronome, l’aiguille montait et descendait à travers l’étoffe épaisse. La jeune fille qui la manipulait était plongée dans une intense concentration. Elle aimait coudre de la sorte, ça lui permettait de vider son esprit et d’en écarter les soucis. Elle avait maintenant accepté depuis un certain temps que ses anciennes aspirations devaient être vue à la baisse, et y penser ne la remplissait plus d’amertume, seulement d’un léger vague à l’âme. Le doux parfum de fleur des bougies qu’elle avait allumées dans la pièce renforçait cette impression de cocon qu’elle s’était créée.
- Ah, Adel, tu es là ! Oh pardon, je te dérange…
La voix grave et enjouée de l’homme l’avait fait sursauter. Elle avait failli se piquer avec son aiguille, et elle se tournait maintenant vers lui, les sourcils froncés.
- Papa ! Je t’ai déjà dit de ne pas me surprendre comme ça quand je couds. Si je rate mes points, la robe sera invendable.
Son père lui accorda un sourire penaud, le ton dramatique de sa fille n’en demandait pas moins. Elle était à un âge où il était normal qu’elle cherche à s’affirmer, mais il avait du mal à ne plus voir en elle la petite fille enjouée qu’il aimait tant. Pourtant, elle avait été obligée de grandir encore plus vite depuis deux ans. Comme toujours quand il repensait à la mort de sa femme, il ressentait ce remord d’avoir empêché sa fille de suivre sa propre voie. Sa petite fille, si empathique, si douce, si prompte à manipuler la Lumière, l’avoir obligée à interrompre ses études pour qu’elle vienne l’aider à tenir la boutique… Mais il n’avait pas eu le choix, seul, il ne pouvait plus faire de tournées à travers les différents villages de la région, il n’avait plus de vêtements à vendre, seulement des fournitures, et sans l’argent de ces ventes, il n’avait pas de quoi lui payer ses études.
La robe qu’elle était en train de coudre ferait partie du lot qu’ils espéraient écouler lors de leur prochaine tournée qui commencerait le lendemain. Le cœur de l’hiver n’était pas la saison la plus agréable pour voyager, mais c’était une des plus propices pour aller vendre des habits dans les hameaux et fermes isolées de la région. Il soupira, avant de s’adresser à sa fille du ton le plus doux qu’il pouvait.
- Excuse-moi, ma grande, je ne voulais pas te faire peur. Je venais juste voir où tu en étais dans les préparatifs, mais il semble que tu avances bien. Ce sera prêt pour demain ?
Elle leva les yeux au ciel, l’air exaspéré. Sa voix l’était tout autant quand elle lui répondit.
- Évidemment que ce sera prêt à temps. Sauf si tu continues à me retarder en me faisant manquer mes points.
Mais très vite, son regard s’adoucit, et elle sourit doucement à son père. Ses yeux s’attardèrent ensuite sur la robe qu’elle tenait sur ses genoux. La laine épaisse était douce, et son contact lui rappelait comme toujours sa mère. Ce modèle était son favori, et le premier qu’elle avait appris à sa fille. Adelheidy sentit monter en elle une bouffée de nostalgie, et sa vue se voila. Le deuxième anniversaire de sa mort était passé depuis peu, et y penser était douloureux. Elle secoua la tête, ce n’était pas le moment de s’apitoyer sur son sort, il fallait finir cette robe avant ce soir. Elle et son père avaient repris leurs vies en main, et la boutique tournait bien, c’était le principal. Il lui restait à progresser dans la confection de vêtements, à apprendre de nouveaux patrons, car même si les modèles qu’elle savait faire étaient du genre pratiques et virtuellement indémodables, elle était consciente qu’ajouter des pièces plus travaillées à son catalogue serait apprécié des clients. Et qui sait, peut-être un jour irait-elle vendre ses créations à la capitale ? Elle se retourna finalement vers son père pour lui parler d’une voix affectueuse.
- Je ne devrais pas être si nerveuse, mais il y a cette robe à finir, les sacs à préparer, l’appartement à ranger. J’aime beaucoup ces tournées, mais être plus d’un mois sur la route, ça demande tellement de préparation…
- Tu sais, ma chérie, je fais ça depuis très longtemps, tu devrais me faire un peu confiance, dit-il sur un ton légèrement peiné. Ta mère gérait une grosse partie de l’organisation, mais je sais quand même comment faire. Et tu es là pour m’aider, tu as hérité de son sens de la logistique, donc tout va bien se passer. Comme la dernière fois.
Il s’approcha d’elle et lui posa une main sur l’épaule. Elle tourna la tête vers lui, et posa sa main sur la sienne. Elle avait retrouvé un sourire plus franc, et elle lui parla, les yeux pétillants.
- On va assurer, papa ! La meilleure tournée qu’on ait jamais faite ! Il faut juste que je termine cette robe, et j’irai m’occuper des bagages.
- D’accord, je te laisse alors. Je vais aller vérifier les attaches de notre chariot, et brosser notre jument. A plus tard.
Il lui posa un baiser sur la tête, qu’elle fit mine de repousser, mais son sourire montrait qu’elle appréciait cette marque d’affection malgré tout. Il sortit de la pièce en refermant la porte doucement, et elle resta de longues minutes à contempler le panneau de bois, les yeux dans le vague. Depuis la mort de sa mère, elle et son père se soutenaient mutuellement. Chacun avait dû faire de nombreuses concessions, mais par amour pour l’autre, ils les supportaient avec facilité. Tant pis si elle ne devenait pas médecin comme il l’avait toujours souhaité, elle serait une formidable couturière à la place. Et puis, rien ne l’empêchait de travailler ce qu’elle avait commencé à apprendre lors de son passage à la Cathédrale. A la campagne, même quelques sorts de soin de base pouvaient aider les gens, et si elle s’entrainait, peut-être pourrait-elle tout de même soigner ceux qui en avaient besoin, à l’occasion.
Son attention se tourna de nouveau sur la robe qu’elle était en train de confectionner. Elle avait presque terminé, mais il lui restait à faire tout de même quelques finitions. Tout en pensant à la liste des bagages, elle plongea à nouveau l’aiguille à travers l’épais tissu de laine, cousant avec précision les derniers rubans de son ouvrage.