Cheiralba et Hundwiin
Vétéran
Jour 5 avant la fin
Ruines de la Volière
Pour Miderlyr et Drakonia
≪ Et maintenant, vous me dites que mon royaume a été réduit en cendres. Vous en êtes sûre ?
ㅡ Je n'y suis jamais allé, mais c'est ce qu'on sait des déclarations de l'Ambassadrice de la Tour d’Améthyste. Les Seigneurs-Djinns ont ravagé les terres de Drakonia. Ici, tous les membres de votre espèce ont été tués. Peut-être reste-t-il des survivants dans votre royaume, mais leur sort reste peu enviable au nôtre.
ㅡ Je dois me venger. Je dois les venger. Je dois restaurer mon pays. C'est ma responsabilité. ≫
Quelque chose s'était brisé chez Hundwiin. La vieille femme le revoyait tel qu'elle l'avait trouvé : faible et nécessiteux. Il avait besoin d'aide, mais rien de ce que disait Cheiralba ne lui permettait de se remettre sur pied. Il avait perdu ses amis, son royaume, sa sécurité. Il ne lui restait que Cheiralba.
≪ Si je puis-me permettre. Vous devez d'abord penser à vous. Si vous tenez à restaurer votre royaume et sauver les survivants, il faut que vous soyez vivant. Si leur roi est mort, qui viendra à leur secours ?
ㅡ Je ne suis pas un roi.
ㅡ Tant que nous n'avons pas la preuve du contraire, votre famille est morte et vous êtes le seul à avoir échappé à cet enfer. Votre père n'est certainement plus là. Vous êtes le roi.
ㅡ Je ne suis pas un roi. Je n'ai plus de royaume. Mais je vais le reconstruire. Je vous le promets.
ㅡ Ce n'est pas à moi de le promettre. Mais une promesse est une promesse. Tâchez de la tenir. Et pour cela, j'insiste, vous devez être en vie et libre. ≫
Le Draconien laissa un moment de silence s'installer. Les certitudes et les doutes se bouleversaient dans sa tête.
≪ Est-il prudent de quitter Miderlyr ?
ㅡ Pour aller où ?
ㅡ Je ne sais pas. Ailleurs. Établir un foyer de résistance. Lever une armée.
ㅡ Qui voudrait risquer sa vie pour un royaume qui n'est pas le sien ? Chaque royaume doit affronter ses propres ennemis. Ici c'est la Zandriarchie. Chez vous c'est la Cabale des Seigneurs-Djinns. Vous trouverez peut-être une aide auprès de la résistance, mais ils ne feront pas passer vos besoins avant les leurs.
ㅡ Tâchons qu'ils nous soient redevable alors.
ㅡ Nous ? Je ne pensais pas les aider. J'ai mes propres projets à réaliser.
ㅡ Vous voulez donc faire passer votre désir de vengeance au-dessus de la sécurité de tous et de l'espoir de restaurer un royaume déchu ?
ㅡ Je…
ㅡ Je crois comprendre que vous n'avez pas le courage d'essayer de sauver la cité. Ce que je ne comprends pas, c'est que cela ne vous ressemble pas. Vous avez tout fait pour sauver Alaïa, aux dépens de votre propre sécurité et voilà que vous faîtes preuve de lâcheté. Aider la Résistance, renverser la Zandriarchie ne serait bon que pour moi ? Vous êtes encore plus concernée que moi. ≫
En quelques secondes, le Draconien avait repris ses esprits et son autorité princière. Cheiralba avait un peu honte, mais pas tout à fait. Elle avait eu ses raisons de ne pas prendre part à la Résistance, mais elle avait changé dans les égouts de la ville. Elle n'était pas devenue une héroïne, mais mue par son désir de vengeance, elle avait oublié sa propre importance pour penser cette fois aux êtres qui lui étaient chers. Voilà qu'elle recommençait en voulant suivre la piste de cet étrange commanditaire. Était-ce si important ? Est-ce que cela ne pouvait pas attendre ? Elle avait peut-être sauvé Alaïa des griffes de Sébastide Hordefeu, mais était-elle en sûreté pour autant ? Les magiciens, les créatures hérétiques comme elles n'avaient pas le droit de vivre leur vie dans cette ville tant que l'inquisition serait là.
≪ Très bien. Rejoignons la résistance. Soyons prudents, mais rejoignons-la.
ㅡ Vous savez où la trouver ?
ㅡ J'ai travaillé avec eux pendant quelques années. Ne vous l'ai-je pas dit ? Je ne sais plus. J'ai mis à disposition mes capacités à soigner, mais je crois qu'il est temps d'offrir plus de ma personne. Peut-être pourrais-je jouer un rôle décisif dans cette bataille qui se dessine devant nous.
ㅡ Prêtons-nous mains fortes et je suis sûr que nous serons inarrêtable.
ㅡ Je ne partage pas votre confiance, mais votre enthousiasme fait plaisir à voir et m'encourage. Rejoignons les souterrains.
ㅡ Encore ? On a passé à peine une journée à la lumière du jour que déjà il faut se calfeutrer dans ces égouts immondes ?
ㅡ Vous ne pensez pas qu'ils puissent s'organiser aux yeux de tous. Nous vivons cachés.
ㅡ Vous avez raison. Pour Miderlyr et Drakonia.
ㅡ Pour Miderlyr et Drakonia. ≫
La vieille femme et le Draconien se levèrent de concert, l'un plus vite que l'autre, soulevant dans leurs mouvements un nuage de poussière. La Volière était devenu leur refuge temporaire, mais leur sécurité était précaire. Les deux nouveaux acolytes consultèrent pendant quelques instants le plan du réseau souterrain qu'ils avaient emporté du laboratoire.
≪ Ne vous inquiétez pas. Nous n'aurons pas longtemps à marcher. Si nous empruntons un rythme soutenu, nous y serons assez rapidement.
ㅡ Leur quartier général est si connu que ça ?
ㅡ Je n'ai aucune idée d'où se trouve le quartier général.
ㅡ Où allons-nous, alors ?
ㅡ A l'infirmerie, voyons.
ㅡ Evidemment. ≫
Cheiralba, Hundwiin et Aarath
Vétéran
Jour 5 avant la fin
Infirmerie de la résistante
Il y a des pointes
Alors que Cheiralba et Hundwiin s'approchaient de l'infirmerie, des voix leur parvenaient de manière distincte. Sans aucun doute, ils se criaient mutuellement dessus. D'un geste du doigt, la femme araignée fit signe au roi draconien de ne faire aucun bruit et d'écouter la conversation.
≪ Comment comptiez-vous l'interroger dans cet état ?! Vous êtes complètement inconscients ma parole ! Trois carreaux ! Un seul aurait suffit à l'endormir tranquillement pendant plusieurs heures. Avec trois, vous avez de la chance s'il tient la journée. Nous ne pourrons même pas l'interroger pendant des jours entiers s'il survit.
ㅡ C'était soit ça, soit il nous tuait tous. Et je vous rappelle que de toute façon, l'ambassadrice avait donné au départ l'ordre de le tuer.
ㅡ Depuis quand suivez-vous les ordres de cette traîtresse ? Nous sommes loyaux à Aube et à la Résistance. Pas à notre ennemi. Si elle veut le tuer, elle doit avoir de bonnes raisons. Nous avons tout intérêt à le garder vivant et à savoir ce qu'il se cache derrière cet assassinat.
ㅡ Vous aurez beau crier. Deux de nos gars sont morts pour le garder en vie.
ㅡ Peut-être pour rien. Je vais essayer de faire au mieux, mais je ne promets rien. ≫
Cheiralba choisit ce moment pour intervenir. Sa tenue était complètement défaite et quiconque regardait d'un peu près comprendrait qu'elle était sa véritable nature. Mais elle avait reconnu la voix du médecin. Elle avait eu affaire à lui à plusieurs reprises. A l'époque, ils étaient tous les deux des élèves du Docteur Malassius.
≪ Peut-être que je pourrais me rendre utile.
ㅡ Bonté divine ! Oserai-je croire à un miracle ? Cheiralba, est-ce bien toi ? Tu as tellement vieilli… Oui, pardon, ça ne se dit pas. Le temps a sur toi une emprise tellement différente. Et pourtant tu es toujours là. Je m'égare. Je suis juste stupéfait de te revoir après tout ce temps.
ㅡ Moi aussi, cela me fait plaisir de te revoir Handmond. ≫
A première vue, il ne ressemblait pas du tout à un médecin. Pas de tunique blanche, pas de costume similaire à Hordefeu. Il avait les bras nus et portait une simple veste sans manche surmontée d'une capuche qui lui couvrait seulement en partie ses cheveux bruns coupés courts. De mémoire, il avait toujours prétendu qu'il était plus facile de se laver les mains que de nettoyer ses manches. Une raison valable, mais qui avait toujours eu le don d'exaspérer le docteur Malassius.
≪ Bien sûr que cela me fait plaisir de te revoir, Cheiralba. C'est que je ne m'attendais pas à te voir. Bien sûr. Et que la Résistance va au plus mal. Je ne peux rien te révéler évidemment, mais je dois quand même te demander un service. Cela ne doit pas être un hasard si tu arrives maintenant.
ㅡ Il se trouve que j'ai également un petit service à te demander.
ㅡ Je crois malheureusement que je n'ai rien que je puisse t'offrir.
ㅡ Ton appui me suffira. Mon ami et moi souhaitons rejoindre la Résistance.
ㅡ Ce n'est pas trop tôt. Attends… tu viens de dire "ton ami" ? ≫
Dans un effet théâtral, Hundwiin choisit ce moment pour faire son apparition dans la lumière projetée dans la pièce. Les trois membres de la Résistance ne cachèrent pas leur surprise.
≪ Un Draconien. Je les croyais tous tués.
ㅡ C'est ce que je viens d'apprendre, hélas. De toute évidence, il en reste encore un. Et il a bien l'intention de faire tomber la Zandriarchie, détruire la Cabale des Seigneurs-Djinns et reprendre son royaume.
ㅡ Reprendre son royaume. Je dois rêver… D'abord l'arrivée miraculeuse de notre meilleure spécialiste en poison lorsqu'on nous avons affaire à un surdosage en narcoleptique et voilà qu'un membre de la famille royale draconienne fait son apparition.
ㅡ Ne me traitez pas avec déférence. Cheiralba m'a considéré comme son égal, et jusqu'à maintenant cela m'a plutôt bien réussi. J'ai l'intention de continuer ainsi. Si je parviens à récupérer mon royaume, peut-être alors cela fera de moi un bon roi. En attendant, je souhaite avant tout être un membre de la Résistance, si vous m'acceptez... ≫
Cheiralba était surprise d'heure en heure. Il avait retrouvé sa prestance et il jouait maintenant d'une diplomatie nouvelle qui arrivait à mettre en confiance de parfait inconnu. Elle-même se serait fait avoir par sa voix assurée et ses propos rassurants. En quelques instants, il avait pris l'attitude d'un meneur de troupe. Peut-être se révèlerait-il plus utile que ce qu'elle pensait.
≪ Je ne peux rien promettre au nom de la Résistance, mais je serais ravi de me battre à vos côtés. Aux côtés de tous les deux. Mais, je ne suis qu'un maillon… et comme je vous le disais, la Résistance n'est pas au meilleur de sa forme. Les rumeurs circulent que nous avons été découverts et que ce serait en lien avec ce Léonin. Pour l'instant, il n'est pas en état de dire quoi que ce soit, mais nous comptons bien l'interroger. Dès qu'il sera réveillé… Peux-tu faire quelque chose pour nous aider, Cheiralba.
ㅡ Je vais essayer. Mais tu dois me promettre d'essayer de nous faire rejoindre la Résistance.
ㅡ Je promets d'essayer. Quant à toi, je ne doute pas que notre "Empoisonneuse" ne puisse pas venir à bout de cet anesthésiant.
ㅡ Qu'avez-vous utilisé ? ≫
Handmond se retourna vers les deux résistants qui n'avaient pas dit un mot jusqu'à maintenant, ne comprenant qu'à moitié ce qu'il se passait et n'osant pas rapporter l'attention sur eux alors qu'ils se sentaient fautifs.
≪ Du venin d'aspic.
ㅡ Des rives de la Zalé'mon ou des Terres sauvages ?
ㅡ On ne sait pas. On nous a juste fourni ce poison en nous certifiant qu'il était efficace. ≫
Handmond leva les yeux au ciel et ne put s'empêcher d'intervenir.
≪ De toute évidence, c'est du venin de Vipera Aspis Milefica. Une vipère des Terres sauvages n'aurait pas eu autant d'efficacité. Les yeux sont basculés, la paralysie est flasque mais ne touche pas les organes vitaux. La durée d'une dose de contact avec le sang en intramusculaire est de plusieurs heures. Il a reçu trois doses. Outre le risque d'un arrêt respiratoire, je te laisse imaginer qu'il va mettre longtemps avant de pouvoir manipuler sa machoire.
ㅡ Il s'agit d'un Léonin, son organisme peut réagir différemment. Je n'en suis pas sûr, mais avec un peu de chance.
ㅡ J'espère aussi. En tout cas, cela veut dire qu'on n'a pas d'antidote connu.
ㅡ Connu non. Je n'ai pas d'antidote à te proposer. Mais essayons tout de même. ≫
Cheiralba dénoua sa tenue rapiécée relevant une bonne partie de son intimité, mais tous les yeux étaient braqués sur l'appendice se terminant par un dard qui restait jusqu'à maintenant dissimulé sous l'épaisse couche de tissu.
≪ Je vois qu'on ne se cache plus.
ㅡ A quoi bon.
ㅡ Je croyais que tu n'avais pas d'antidote.
ㅡ Je vais juste soutenir ses fonctions cardiaques et respiratoires, et j'en profite pour ajouter un petit stimulant pour que son organisme parvienne à éliminer le plus rapidement possible la toxine. D'ailleurs, si j'ai bien compris, c'est de votre faute s'il est dans cet état-là ?
ㅡ Oui, Madame.
ㅡ Dans ce cas, allez me chercher une sonde urinaire. Avec sa paralysie flasque, les sphincters vont se relâcher… Je suis déjà dans un état déplorable, je n'ai pas envie de patauger dans l'urine de chat. D'autant qu'on va forcer la diurèse...≫
Les deux acolytes restaient les bras ballants écoutant les paroles de la femme araignée sans vraiment les comprendre, toujours subjugués par la nature chimérique de Cheiralba.
≪ Bon, les deux lascards. Vous allez prendre le tube qui est là-bas, et vous allez lui enfoncer dans son orifice urinaire et on mettra l'autre extrémité dans un seau. Et je vous préviens… Il y a des pointes, donc ne faites pas les surpris.
ㅡ Cela me fait plaisir de travailler à nouveau avec toi, Cheiralba. Le Malassius aurait été fier de toi. Je m'occupe des fluides pendant que tu t'occupes du soutien interne.
ㅡ Je peux aider en quelque chose ?
ㅡ Hundwiin, je vous propose de surveiller vos deux assistants à ce qu'il fasse bien leur travail. ≫
Cheiralba avait eu le temps d'injecter son propre venin de sa composition que les deux que les deux Résistants étaient toujours en train de se passer à l'un ou l'autre la tube en plastique jauni. Hundwiin n'eut qu'à gronder une fois avant que l'un des deux s'en saisit une dernière fois et regarda avec colère son acolyte. Il commença à défaire le pantalon de son prisonnier et regarda avec dégoût ce qu'il s'apprêtait à faire. Il hésita trop longtemps et Hundwiin perdit patience et se chargea d'extraire l'origine urinaire de sa gangue de poil d'une main tandis que l'autre se saisissait de la sonde en poussant au passage son ancien propriétaire qui fut propulsé quelques mètres plus loin.
≪ Pour Miderlyr et Drakonia. ≫
A peine avait-il touché l'organe reproducteur du Léonin que ce dernier ouvrit les yeux. Tous les muscles se contractèrent d'un coup. Heureusement, les membres étaient solidement attachés, sinon quoi il se serait précipité sur le roi Draconien.
≪ Vous avez fait encore de la magie, Cheiralba.
ㅡ Je crois qu'il s'agit plutôt d'Hundwiin. Il a dû déclencher un réflexe primitif ou quelque chose dans le genre. Je vous avais dit qu'on ne pouvait pas prévoir la réaction d'un corps d'un Léonin.
ㅡ Détachez-moi ou je vous tue. ≫
Le captif avait déjà repris complètement connaissance. Malgré son pantalon en bas des chevilles, il semblait ne ressentir aucune pudeur. Seuls la colère et un plaisir à l'idée de torturer tout le monde se dessinait sur son visage.
≪ Permets-moi de mettre ta parole en doute. Je crois plutôt que si on te détache, tu nous tues. commenta Handmond.
ㅡ Je vous tuerai de toute façon. Mais si vous me détachez, je ne vous ferai pas trop souffrir.
ㅡ Partons plutôt du principe que nous pouvons nous rendre service. Tu as envie de nous tuer. On devait te tuer et on n'a pas respecté le contrat qui a été placé sur ta tête. On peut faire quand même mieux que ça. ≫