Chapitre 8
Jamais Link n’avait été aussi proche du but. Un nom. Il avait enfin un nom.
Kara… Midona, cachée dans son ombre, était très excitée. Comme le jeune homme l’avait prévu, elle avait déclaré qu’elle était très fière de lui.
Le symbole sur la carte de Link avait indiqué que le loup doré se trouvait désormais à l’entrée du château d’Hyrule. Le jeune héros s’était alors précipité à la citadelle.
Dans la grande ville, comme d’habitude, Link se faisait sans cesse bousculer. Tout le monde y était pressé. Mais pour une fois, il s’en fichait totalement. Il courait lui aussi, tout heureux, en direction du château d’Hyrule. Mais son enthousiasme fut vite oublié lorsqu’un garde lui barra la route du château.
- Navré, monsieur, mais pour certaines raisons, je ne peux vous laisser accéder au château.
Link fronça les sourcils, frustré.
- Mais je ne vais pas au château. Je vais
devant le château. Ce n’est pas pareil.
- Je ne peux tout de même pas vous laissez continuer. Je vous prie de faire demi-tour, s’il vous plait.
- Mais, monsieur c’est urgent, je…
- Je vous prie de partir…
Link soupira et ignora le garde. Il le contourna et se précipita vers le château avant qu’il ne réagisse. Ce dernier, stupéfait, se lança à la poursuite du dissident mais avant qu’il n’ait pu le rattraper, un loup doré lui avait déjà sauté dessus.
***
Link avait enfin la dernière botte en sa possession. Jamais il ne s’était senti aussi puissant. En face de lui son maître d’armes le regardait avec fierté. Il lui avait appris tout ce qu’il savait, son devoir était maintenant terminé. Mais avant que le vieux guerrier ne disparaisse pour la dernière fois devant lui, Link avait quelque chose à lui annoncer. Il s’avança vers lui.
À partir de là, c’était quitte ou double. Soit il avait trouvé la bonne personne, soit tout était perdu, car les fantômes ne couraient pas les rues. Mais au fond de lui, Link était persuadé d’avoir raison. Il commença à parler :
- J’ai une question à vous poser, Maître.
L’esprit, sans dire un mot, encouragea Link à parler. Celui-ci respira puis déclara :
- La dernière fois, vous m’avez parlé de votre fille. Mais à aucun moment vous ne m’avez dit son nom. Si ce n’est pas trop indiscret, pourriez-vous me le donner ?
Le vieux soldat parut surpris de ce que lui dit Link :
- Ainsi je ne t’ai donné aucune information sur elle ? Je croyais pourtant m’être assuré de t’avoir dit son nom…
- Il faut croire que ça n’a pas été le cas.
- Je vois, soupira le fantôme. Cela fait plusieurs décennies que mon esprit demeure en ces lieux. Ostensiblement, je commence à devenir sénile.
Il releva la tête et regarda Link, puis il annonça fièrement :
- Ma chère enfant s’appelle Kara. C’est mon épouse qui a choisi ce nom, en souvenir de sa défunte mère. C’est un prénom rarissime chez nous autres, Hyliens, car il est d’origine Gerudo.
Aussitôt, Link se remémora les paroles de la fille de la plaine. Elle avait dit exactement la même chose de sa fille.
Ce n’était pas des coïncidences, pensa-t-il. Depuis le début, contrairement à ce que Midona pensait, il avait été sur la bonne piste. Tout heureux, il sourit à son maître d’armes et lui lança joyeusement :
- Maître, je crois que c’est bon, j’ai retrouvé votre femme.
- Que dis-tu ? Tu l’as… déjà retrouvée…?
- Oui. Elle est chez vous, au ranch. Elle vous attend.
Le vieux fantôme paraissait ne pas en croire ses oreilles. Il secouait la tête d’un air égaré, et demanda :
- Mais comment as-tu… ?
L’émotion l’empêchait de parler. Son élève lui sourit et répondit simplement :
- Ne vous posez pas de question. Allez la rejoindre. Elle attend depuis bien trop longtemps déjà.
La joie du soldat était si intense qu’il ne parvint pas à former des mots. Il allait enfin retrouver celle qu’il aimait. Il ne savait pas quoi dire. Il secoua à nouveau la tête, comme perdu, puis fixa son élève de son unique œil tout en murmurant avant de disparaitre :
- Merci.
***
Les sabots d’Epona frappaient le sol avec force tandis que la jument galopait rapidement vers le lieu du rendez-vous. Le soleil descendait lentement sur l’horizon. Ce fut sous la douce lumière du crépuscule que Link descendit de sa jument près des ruines hantées. Midona sortit alors de son ombre :
- Alors c’est bon ? Tu as retrouvé touuuuutes les personnes que tu cherchais ?
- Et ouais ! répondit avec fierté et ironie le jeune épéiste en croisant les bras. T’as vu comment j’suis trop fort ?
La princesse du Crépuscule se contenta de lever les yeux au ciel, amusée par l’innocence feinte de son ami, puis fini par hausser les épaules avec nonchalance :
- Enfin bref, tu me préviendras quand tu auras fini tout ça, ok ?
Son compagnon acquiesça et elle disparut dans son ombre. Seul, Link s’avança vers les ruines et s’assit sur le muret près duquel la fermière avait l’habitude d’apparaitre.
Il observa calmement le paysage en l’attendant. Bien que le ciel fût encore rouge, la lune se levait et les oiseaux se taisaient peu à peu. Quelques minutes plus tard, toute trace du soleil avait disparue et les étoiles brillaient d’une forte lumière dans le firmament. Si le fantôme du soldat venait, ce serait la dernière fois que Link attendrait la jeune femme. Même s’il savait que sa place n’était pas dans le monde des vivants, il était tout de même triste de savoir que cette femme qu’il avait appris à connaitre et qu’il avait côtoyé durant plusieurs nuits allait sans doute disparaitre. Car il savait que les âmes errantes ayant atteint leurs buts et objectifs quittaient les lieux qu’elles hantaient. Dès que la jeune femme retrouverait son mari, elle allait partir.
Mais pour cette nuit, elle était encore présente, car ce fut sa douce voix chantante qui sortit Link de sa torpeur :
- Bonjour ! Ou plutôt bonsoir.
Link tourna la tête et aperçu les fascinants yeux bleus de la jeune femme. Il la salua à son tour tandis qu’elle s’asseyait doucement à ses côtés :
- Bonsoir.
La fermière semblait apaisée par rapport aux évènements de la veille.
- Vous êtes vraiment gentil de continuer à venir me voir, dit-elle doucement. Même si vous savez que je ne suis plus…
- N’en parlez pas mademoiselle. Je viendrais tant que vous aurez besoin de moi.
Elle sourit tristement et saisit sa main. Lorsqu’elle se tourna vers lui, quelque chose dans ses yeux avait changé, elle ne le regardait plus de la même façon, comme si elle le reconnaissait.
- Tu es si gentil… chuchota-t-elle. Comme
lui… Tu
lui ressemble tant…
Link fut surprit du changement soudain. Elle ne le vouvoyait plus et dans sa voix, quelque chose laissait penser qu’elle le connaissait bien plus qu’elle ne le faisait croire.
- Tu es vraiment comme
lui, continua-t-elle en le regardant avec tendresse. Même visage, mêmes mèches rebelles…J’ai l’impression de
le voir en face de moi… On voit bien… que vous partagez le même sang…
Le même sang ?Elle passa délicatement ses doigts fins et froids sur la joue du jeune homme. Celui-ci embarrassé et perplexe, tenta de se reculer mais la jeune femme le retenait par la main. Elle avait à ce moment l’air si douce et si fragile qu’il n’osa pas se détacher d’elle. Ses fascinants yeux bleus le fixaient, tandis qu’elle souriait.
- Tu sais, Link, murmura-t-elle, j’aimerais tant
le revoir une dernière fois…
Mais… comment… ? Link frissonna, aussi bien à cause du contact glacial, qu’à cause de la situation. Comment connaissait-elle son prénom ? Il était pourtant certain de ne jamais le lui avoir dit…
Le jeune homme trouvait le moment très étrange mais bizarrement, il n’avait pas peur. Une lueur douce et maternelle brillait dans les yeux de l’esprit. La jeune femme le regardait désormais comme si elle reconnaissait un fils en lui. Cependant, il se recula et tenta d’enlever la main à nouveau, gêné par la proximité. L’esprit continua tout de même de parler, sans pour autant le lâcher :
- C’est drôle, sourit-elle. Je ne pensais que je pourrais voir de mes propres yeux notre descendant… et je ne pensais pas non plus qu’il
lui ressemblerait autant. Vous êtes exactement pareils, jusqu’au prénom.
Elle rit doucement.
- V-votre descendant ? demanda soudainement Link.
La jeune femme hocha doucement la tête, toujours en souriant calmement.
Tout était clair à présent dans l’esprit de Link. C’était étrange mais cela ne l’étonnait pas plus que ça.
La confusion de la fermière lorsqu’ils se sont rencontré pour la première fois… Son envie presque irrépressible de l’aider à retrouver son mari disparu… tout cela était donc parce qu’il était… leur descendant ?
Le jeune héros sourit à son tour. Il n’imaginait pas avoir un tel lien avec cet esprit.
Il tourna la tête vers la jeune femme. Le bleu rencontra le bleu et ils se sourirent doucement, apaisés.
Je comprends mieux… pensa Link.
Soudain une voix grave brisa le silence qui s’était installé :
- M-ma chérie… ? C’est toi ?
Cela venait d’un nouvel arrivant, apparut quelques mètres devant eux.
En entendant la voix, la fermière tourna brusquement la tête en un tourbillon de cheveux roux, et, lorsqu’elle aperçut celui qui avait parlé, elle lâcha immédiatement la main de Link. Ce dernier, curieux, regarda à son tour le nouveau venu. Son souffle se coupa quand leurs regards se croisèrent.
C’était un homme, grand et blond. Il était légèrement transparent lui aussi, comme la jeune femme. Il portait une vieille armure. Son œil droit était couvert par un cache-œil. Il ne s’était pas présenté sous sa forme habituelle de squelette mais le jeune héros pouvait encore le reconnaitre.
C’était le fantôme de son maître d’armes. Il était sûr et certain.
Mais il y avait une chose qui dérangeait Link.
Son apparence.
Visiblement, quand la fermière de la plaine lui disait qu’il
lui ressemblait, elle n’avait pas tort. Link avait l’impression d’avoir son sosie en face de lui. Les cheveux du guerrier étaient certes plus clairs et ses yeux plus foncés, le jeune héros était tout de même déconcerté par la ressemblance. Mais… les liens du sang pouvaient désormais tout expliquer.
La jeune femme à ses côtés se leva brusquement, ne quittant pas un seul instant du regard le soldat. Des larmes commençaient à apparaitre dans ses yeux bleus. Elle s’avança doucement vers l’autre fantôme et tendit la main vers lui. Sa voix tremblait d’émotion lorsqu’elle parla :
- Mon amour ?
- C’est moi… lui dit tendrement le guerrier. C’est moi, Malon… Tu me reconnais ?
La jeune femme, en guise de réponse, courut se jeter dans ses bras. Elle se mit à pleurer dans son cou tandis qu’il lui caressait ses longs cheveux de feu.
- T-tu m’as tellement m-manqué ! sanglota-t-elle. J-je pensais ne jamais te revoir !
- Ne pleure pas… Tout va bien maintenant, chuchota son amant.
Ce n’eut pour effet que de faire redoubler les pleurs de la jeune femme.
- Je t’ai attendu tellement longtemps !
- Je sais, je suis désolé…
Elle continuait de pleurer et il continuait de la réconforter. Link n’avait jamais vu de retrouvailles aussi émouvantes. Ils paraissaient s’aimer à la folie. Le jeune héros espérait lui aussi un jour rencontrer l’amour de sa vie, comme les deux fantômes.
Ces derniers ne faisaient d’ailleurs plus attention à lui, trop occupés à se rassurer de la présence de l’autre.
La fermière ne parvenait pas à arrêter ses larmes. Elles coulaient le long de ses joues et mouillaient les vêtements de son mari, qui ne s’en souciait pas le moins du monde. Il la serrait simplement dans ses bras et embrassait son front, tout en chuchotant des mots doux, pour la rassurer :
- Calme-toi, s’il te plait, tout va bien. On est à nouveaux ensemble, non ? dit-il en essuyant d’un doux revers de main les traces humides sur les joues de la jeune femme.
- Oui…
Elle releva la tête et caressa le visage de son époux, comme pour s’assurer qu’il était bien là, avec elle.
- Oui, tu as raison… Nous sommes à nouveaux ensemble. Et c’est grâce à toi ! s’écria-t-elle en se retournant vers Link, qui observait la scène sans dire mot.
Surpris d’avoir soudainement l’attention des deux êtres fantomatiques, Link ne trouva rien d’intelligent à dire et leur sourit simplement. Il aurait été dommage de gâcher ces retrouvailles tant attendues avec une réplique peu pertinente.
Tout en souriant, le couple s’avança vers le jeune héros et la femme lui prit la main. Cette fois-ci, le contact était diffèrent, plus chaleureux. Peut-être était-ce la solitude qui la rendait si glacée ?
- Merci infiniment, déclara au jeune épéiste la jeune femme fantôme. Merci, je ne sais pas ce que j’aurais fait sans toi. Je serais sans doute resté à errer éternellement ici. Tu…Tu… – les sanglots l’empêchait de parler correctement – tu ne peux pas imaginer ce que c’est d’attendre indéfiniment la personne qu’on aime sans savoir si elle va bien. Et… et c’est pour ça que je te remercie du fond du cœur pour avoir retrouvé pour moi mon Link adoré.
- Oui, merci beaucoup, ajouta le soldat fantôme. Grâce à toi, je revois enfin ma belle femme et nous serons de nouveau heureux ensembles.
Link ne savait que faire de tous ces remerciements. Il se contenta de hausser les épaules et de marmonner, gêné, un ridicule « pas besoin de me remercier, c’est normal ». Les deux fantômes rirent. Puis le soldat déclara solennellement :
- Je crains qu’il ne soit temps de nous quitter.
Son épouse s’accrocha à son bras et dit à Link :
- Nos discussions vont me manquer.
- A moi aussi, mademoiselle.
- Voyons, tu vois que je suis mariée ! Tu peux m’appeler madame, rit doucement la jeune femme.
- Oh… d’accord.
Le jeune homme baissa les yeux, embarrassé, ne sachant, encore une fois, que dire. La fermière sourit. Son mari serra à son tour la main de Link.
- Je ne peux m’empêcher de te remercie à nouveau. Grâce à toi, je puis enfin transmettre mon savoir et retrouver mon épouse. Puisses-tu continuer dans cette voie qu’est celle de la bonté, comme je l’ai fait de mon vivant. Adieu.
- Adieu, courageux héros, murmura la jeune femme à ses côtés.
Avant que Link n’ai pu leur répondre, le vieux guerrier lâcha sa main, attrapa celle de son épouse et partit vers le lointain, tout en disparaissant progressivement. Link tendit le bras dans l’espoir de les rattraper. Bien qu’il n’ait pas beaucoup parlé durant toutes ces retrouvailles, il voulait passer un peu plus de temps avec eux, ses ancêtres. Savoir que plus jamais il ne parlerait avec la fermière et ne s’entrainerait avec le guerrier lui serrait le cœur. Il leur cria d’attendre mais ils ne l’écoutaient pas. Link se résigna finalement et baissa le bras, triste.
Mais, avant de disparaitre complétement, les deux fantômes se retournèrent, et le guerrier murmura :
- Adieu… mon fils !