PAVÉÉÉÉÉ EN APPROOOCHE !
La nuit était tombée sur le paisible village de Cocorico, dont les allées étaient illuminées par la lueur des lanternes dispersées, créant ainsi une ambiance cosy. Une atmosphère parfaite pour une balade au clair de lune, un petit dîner aux chandelles ou tout simplement pour regarder les étoiles, scintillantes dans la nuit. Même si ces activités étaient des plus alléchantes, le groupe, composé de Yorick, Jielash et Krystal, devait quitter les lieux, afin de rejoindre leurs deux amis, les attendant à l'extérieur. Ils étaient arrivés trop tard dans la journée pour pouvoir visiter le village comme il se devait, aussi s'étaient-ils mis d'accord pour rester plusieurs jours, et ainsi permettre à Chompir de rencontrer les autochtones. Cela devrait sûrement lui remonter le moral, lui qui n'était pas ravi d'être de garde avec Linkondo.
Malgré les protestations de quelques villageois, qui les incitaient à rester, les trois compagnons passèrent le portail du village. Si cela attrista quelques habitants, qui les virent partir, ce fut pire de l'autre côté.
— Krystal : Non mais franchement, y a une auberge géniale dans ce village et on est obligés d'aller se pieuter à la belle étoile parce qu'on a la malchance d'avoir un Bokoblin comme compagnon ? Va falloir prendre des mesures radicales pour le bonhomme, parce que ça va pas continuer ainsi, c'est moi qui vous le dit. Un tronc, une corde, le tour est joué.
— Yorick : Oh mon dieu, t'es consciente que t'as pas arrêté de te plaindre depuis qu'on est sorti de chez Impa ?
— Krystal : On change pas les bonnes vieilles habitudes.
— Jielash : J'ai été assez déçue de notre entretien avec la doyenne. Elle n'a pas mâché ses mots sur les Yigas, et n'a pas voulu nous en apprendre plus...
— Krystal : Elle cherche juste à nous protéger, c'est tout. Les Yigas, c'est un groupe d'attardés mentaux bouffeurs de bananes qui se trimbalent avec des arcs à double encoche et des serpes pour tailler les haies. De mauvaises fréquentations, en outre. Mieux vaut pas les chercher, ou c'est eux qui vont te trouver.
— Jielash : Je te trouve étonnamment bien informée.
— Krystal : On est dans le même groupe de soutien pour psychopathes.
— Yorick : Tu devrais songer à changer de groupe, ça ne te fait aucun bien.
Ils remontèrent la gorge jusqu'à redescendre vers la plaine, là où attendaient leurs deux amis. Mais bien avant de les apercevoir, un éclat rouge attira leur attention. Arrêtant leur route, les trois compères levèrent le regard vers le ciel, où se découpait nettement une lune de couleur sang, au milieu de nuages grenats.
— Yorick : C'est quoi ça !?
— Jielash : Une lune de sang. Ca arrive de temps à autre.
— Krystal : Ca porte bonheur à ce qu'il paraît.
— Yorick : Pourquoi je n'en ai encore jamais vu ?
— Krystal : C'est ça de tout le temps se coucher à l'heure des poules. Hey, regardez, c'est Chompi' !
Le groupe trottina jusqu'au Piaf qui se tenait non loin, dos à eux, droit comme un i. Il ne semblait pas bouger, fixant quelque chose dans l'herbe haute, leurs affaires et les chevaux attendant sagement à quelques dizaines de mètres de là. Arrivés au niveau de l'homme oiseau, Jielash l'interpella, et il finit par se retourner au bout de longues secondes. Rien durant leur voyage ne les avait préparé à une telle vue : les plumes de Chompir étaient teintés d'un rouge sombre qui dégoulinait au sol. Ses vêtements clairs montraient des éclaboussures de la même couleur, qui s'étendaient à son visage qui affichait une expression confuse et terrorisée. Quelque chose ne tournait vraiment pas rond. Cette vision d'horreur réussit même à choquer Krystal, qui resta sans voix devant le spectacle qui s'offrait devant elle.
— Krystal : Woh.
Oui, ce fut tout ce qu'elle put articuler. A côté d'elle, Yorick était devenu aussi blanc qu'une craie. Seule Jielash sut réagir.
— Jielash : Par les déesses, Chompir ! Que t'est-il arrivé, tu es blessé ?
— Chompir : Ce... ce n'est pas mon sang.
— Krystal : Wat, t'as tabassé quelqu'un ?
— Chompir : C'est... c'est Linkondo. Il est devenu fou, il... il m'a attaqué ! Je suis désolé, je me suis défendu et... et...
Sa phrase resta en suspens. Il était sous le choc, c'était indéniable. Les trois autres étaient pendus à ses lèvres. Le suspens était insoutenable, ils devaient savoir ce qu'il s'était passé.
— Yorick : Et ?
— Chompir : Je l'ai tué.
Le silence qui suivit fut lourd. Tellement lourd que l'on pouvait presque entendre un Moblin péter à l'autre bout du pays. Personne n'osait parler, accusant la nouvelle. Comment ça Linkondo l'avait attaqué ? Était-il vraiment mort ? Après quelques minutes de total mutisme, les esprits se rassemblèrent, certains plus vite que d'autres.
— Krystal : ... Non mais les gars, quand je disais qu'il fallait quelque chose de radical par rapport à Linkondo, je pensais pas à ce radical là !
— Yorick : Putain Krystal... Un peu de compassion !
— Krystal : Ouais, ouais. Linkondo, tu es - enfin, étais quoi - un ami fidèle, et un compagnon de route acceptable. Tu vas nous manquer...
— Jielash : C'est... touchant de ta part. Trop même. Je me demande si y a pas...
— Krystal : Preum's pour le wok !
— Jielash : Bah tiens...
— Yorick : Mais t'es horrible !
— Krystal : J'veux bien admettre qu'il va me manquer, ce bokoblin, mais on vit dans une époque sombre et si on s'arrête de vivre à chaque fois que quelqu'un meurt, on est pas sorti de l'auberge. Donc oui, c'est triste qu'il soit mort, mais il faut aller de l'avant.
— Chompir : Il n'est pas mort !
Les trois se tournèrent vers le Piaf, qui avait crié ça de manière hystérique. Ils s'échangèrent un regard confus.
— Jielash : Mais tu viens de nous dire que tu l'avais tué !
— Chompir : Oui, je l'ai tué !
— Krystal : J'suis pas sûre qu'on ait la même définition du verbe "tuer"...
— Chompir : Je sais ce que veut dire tuer ! J'ai bien tué Linkondo, mais il a ressuscité ! Regardez !
Jielash, Yorick et Krystal firent quelques pas vers l'endroit qu'indiquait Chompir. Et si la soirée avait été pleine de surprises, celle-ci surpassait de loin celles qu'ils avaient vécu jusque là. Car sous leurs yeux ébahis se tenait un bokoblin blanc tacheté, inconscient. Mais contrairement à ce qu'attendait Chompir, ses trois amis furent dubitatifs.
— Krystal : En fait, t'as juste assommé un autre bokoblin.
— Chompir : Mais c'est Linkondo ! Je vous le jure !
— Yorick : Chompir, tu es sous le choc. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé, mais ce n'est pas Linko...
— Chompir : Mais c'est lui ! Il est devenu enragé quand il a vu la lune rouge et il m'a attaqué ! C'était lui ou moi !
— Krystal : Et du coup, ça a été lui.
— Chompir : Je l'ai tué. Il s'est décomposé mais, je sais pas, il s'est reformé sous mes yeux, et il était d'une différente couleur !
— Jielash : Est-ce que ce serait... la lune rouge qui a fait ça ?
— Yorick : C'est pas tout ça, mais il faut trouver un abri. Le temps se dégrade, et notre tente fera pas l'affaire. Il faut également que Chompir et, euh, Linkondo, se reposent...
— Krystal : Y a une auberge entre Cocorico et le relais, je l'ai aperçue en venant ici. On pourrait aller là-bas.
— Yorick : Avec un bokoblin ? Il nous laissera jamais rentrer.
— Krystal : Au pire, on s'installe dans l'écurie, on sera à l'abri. Allez, traînons pas.
Tous acquiescèrent et se mirent au boulot. Jielash alla chercher les chevaux sur lesquels elle chargea les affaires. Yorick et Chompir, encore un peu fébrile, s'entraidèrent pour monter Linkondo sur l'une des montures, tandis que Krystal courut chercher de l'eau dans une rivière non loin de là. Elle en imbiba quelques serviettes piquées dans les affaires de Yorick et alla les donner à Chompir pour qu'il puisse essuyer le sang qui le maculait. Elle maquilla cette preuve d'attention par un "Fais-toi présentable pour l'aubergiste" avant d'installer le Piaf sur le cheval, et de partir en direction de l'auberge citée.
L'aubergiste de "L'Étang Apprivoisé", quarantenaire bedonnant et somnolant derrière son comptoir, a rarement été aussi surpris par l'entrée de clients : trois jeunes Hyliens, dont deux filles, un Piaf aux plumes à la couleur bizarre et... un bokoblin. La vue du monstre, pourtant inconscient, l'électrisa, et il sauta de sa chaise pour mieux regarder par dessus son comptoir, au cas où il aurait mal vu. Mais ses yeux ne lui jouaient aucun tour, encore moins quand il vit le petit groupe hétéroclite s'avancer vers lui et s'arrêter juste devant SON comptoir.
— Jielash : Bonsoir, on voudrait une chambre avec cinq lits, s'il vous plaît.
Long silence. Et pas des plus engageants. Il y avait beaucoup de silence en ce moment.
— Aubergiste : C'est quoi ce foutoir ? Virez-moi ce monstre de mon établissement !
— Chompir : Ce monstre, c'est notre ami, et on ne compte pas l'abandonner !
— Yorick : Doucement, ne nous énervons pas. Nous souhaitons juste une chambre.
— Aubergiste : Vous plaisantez ? Sortez tout de suite ! De toute manière, nous sommes complets !
— Jielash : Mais y a pas un chat par ici.
— Aubergiste : Je refuse de vous héberger, avec ou sans ce monstre. Sortez d'ici !
— Krystal : Ok, ça me les brise. Poussez-vous.
La jeune fille se fraya un chemin vers le comptoir sur lequel elle s'accouda, soudain sérieuse. Elle plongea son regard dans celui de l'aubergiste, qui fronça les sourcils. Les autres ne dirent mot, se contentant de regarder la scène.
— Krystal : Mon bon monsieur. Mes camarades, ainsi que moi-même, souhaitont louer une de vos chambres. Une chambre de cinq, si possible, ou bien deux chambres de trois et de deux lits. Nous resterons ici trois jours, pas un de plus, pas un de moins.
— Aubergiste : Le monstre !
— Krystal : Le monstre ici présent est un bokoblin répondant au nom de Linkondo, et c'est notre ami. Une amitié que les pauvres d'esprits ne peuvent comprendre, j'imagine.
— Aubergiste : Je ne permettrai jamais une telle chose !
— Krystal : Vous connaissez le petit Nobert de l'auberge "Moblin Bourré" et le scandale qu'à fait son client mystère ?
— Aubergiste : Je vois pas le...
Krystal afficha alors un sourire éclatant, lourd de sens, tandis que l'aubergiste devint blême.
— Krystal : Alors voilà ce qu'on va faire, papy. Tu vas nous filer une chambre de cinq, la meilleure que tu aies, et étant donné que tu n'as pas voulu coopérer, tu vas nous la faire gratis. Repas compris. Et on va emmener le bokoblin avec nous, que ça te plaise ou non. J'en ai plus que marre de dormir par terre et dehors avec les moustiques, alors tu vas faire ce que je vais te dire de faire ou ça va mal se terminer. On va rester trois jours, tu n'iras pas chercher des chasseurs de monstres, tu n'en parleras pas autour de toi et tu ne viendras pas nous déranger. Si jamais tu ne respectes pas ce que je viens d'énoncer, ce que je te ferais sera mille fois pire que ce qu'a pu voir Norbert. Me suis-je bien fait comprendre ?
Pour toute réponse, l'aubergiste s'empressa de farfouiller en dessous du comptoir et d'en sortir un trousseau de clé. Il leur indiqua leur chambre en bafouillant avant de disparaître à l'arrière, la porte claquant bruyamment après lui. Le petit groupe empoigna leurs affaires et Linkondo et monta à l'étage, dans leur nouvelle chambre.
— Yorick : Le petit Norbert...
— Krystal : Disons que je sais comment faire couler un établissement juste en étant moi-même.
— Yorick : Pourquoi ça m'étonne pas...
— Krystal : Je t'apprendrais un jour.
— Yorick : Sans façon, et évite de faire couler notre futur restaurant, ça serait très aimable de ta part...
Leur chambre était spacieuse, et les lits confortables. Ils installèrent Linkondo dans l'un d'eux et le bordèrent, puis ils aidèrent Chompir à débarbouiller ses plumes avant de tous aller se coucher. Ils l'avaient bien mérité.
Krystal observait avec dédain Linkondo, et ce dernier lui renvoyait le même regard. Depuis que l'albinos s'était réveillé, il n'avait eu que des mots méchants à lui dire. Ok, elle n'était pas tendre, mais c'était quand même grâce à elle s'il avait dormi dans un lit cette nuit. Un peu de reconnaissance, ça tue personne.
— Krystal : ... Mauviette.
— Linkondo : Mongole.
— Krystal : Merdeux.
— Linkondo : Moins que rien.
— Yorick : Oh mon dieu, vous avez pas fini tous les deux ?
Yorick venait de revenir avec Jielash et Chompir, qui avaient pu faire un petit tour à Cocorico le temps que Linkondo reprenne ses esprits, ce qui avait pris la matinée entière. Bien entendu, avec ces deux là en escapade, il avait fallu que quelqu'un garde le bokoblin décoloré, et ce furent Yorick et Krystal qui s'y collèrent, ce qui ne plut pas à cette dernière. Et elle l'avait bien fait sentir à Yorick tout le long de la journée.
A peine rentré dans la pièce, Chompir se précipita au chevet de son ami, les larmes aux yeux.
— Chompir : Je suis désolé ! Je suis désolé de t'avoir tué ! Tellement désolé !
— Linkondo : D'après ce que j'ai compris, c'est moi qui ait voulu te tuer, c'est donc à moi de m'excuser. Pardon de t'avoir causé autant de soucis.
— Krystal : Oooh, qu'ils sont mignons, un joli petit couple. C'est bien beau tout ça, mais on peut m'expliquer pourquoi Linkondo a changé de couleur ? Je savais pas que les bokoblins pouvaient changer de couleur de peau à tout va.
— Linkondo : On peut pas, c'est ça qui est étrange.
— Jielash : Si vous voulez mon avis, ça a un rapport avec la lune rouge.
— Yorick : Ca serait la lune qui l'aurait ressuscité ? Un peu tiré par les cheveux.
— Jielash : Ca tient la route. On pourrait retourner à Cocorico chercher des infos, ou bien au relais.
— Krystal : Okay, faisons ça : Yorick et Linkondo, si t'es d'attaque, au relais. Jielash, Chompir et moi, à Cocorico.
— Yorick : De quoi ?
— Linkondo : Depuis quand c'est toi qui commande ?
— Chompir : Ca me va.
— Jielash : Pourquoi pas.
Mais ce ne fut pas au goût de tout le monde. Si Linkondo finit par accepter son sort, c'était déjà mieux que de rester enfermé dans la chambre, Yorick, lui, avait quelques réserves.
— Yorick : C'est pas contre toi, Linkondo, mais si jamais il re-pète une durite, je fais quoi moi ?
— Linkondo : Y a pas de mal.
— Jielash : Si vous voulez, je vous accompagne au relais. J'ai déjà été plusieurs fois à Cocorico, ça ne me dérange pas.
— Krystal : Deal. On fait comme ça.
— Chompir : Attendez, vous allez pas me laisser avec cette... cette femme !
— Krystal : Oooh, allez, Chompi' ! Ca sera marrant !
Peu enchanté de passer la journée avec Krystal, Chompir dut se résoudre à son sort et soupira. Ils se préparèrent et se donnèrent rendez-vous devant l'auberge au crépuscule.
— Krystal : Juste, Linkondo, quand tu descendras, évite de croiser l'aubergiste. Il est, comment dire, un peu traumatisé...