Communauté > Littérature, Fictions
K. ~ Partir et autres expériences.
HamsterNihiliste:
Bonsoir.
Ce chapitre est une scène de viol, la troisième de ce genre que j'essaye depuis que j'ai commencé à écrire. J'ai voulu que le commencement du chapitre soit d'ores et déjà axé sur la fatalité de l'action, afin d'en faire, à mon sens, une scène de viol plutôt qu'un chapitre qui en contient une. Plus qu'un thème, c'est un genre qu'il m'intéressait d'explorer pour les richesses qu'il offre, étrangement en adéquation avec la pureté absolue de l'action. Ce que j'ai voulu mettre en avant dans cet essai, c'est la gratuité qui va animer le personnage dont on ne sait rien, qui aura peut-être son importance, ou peu importe.
C'est un chapitre que je souhaitais élaborer depuis longtemps, et, dans le cadre de la fiction, il met en scène deux actions parallèles, dans le but de donner une continuité à l'action – même si le thème central a son importance comme un autre – et de vous donner un moment de répit éventuel.
Bonne lecture, et surtout, n'hésitez pas à lire et à formuler vos critiques ou conseils au lieu de laisser simplement un signe négatif sur le post !
*
VII : Dans les champs des violeurs et violées solitaires
Koji Kondo & Toru Minegeshi - Last End - The Legend of Zelda : Majora’s Mask
Termina, An 13, Mois 4, Jour 3.
Ses yeux l’embrassaient. Sa bouche lui susurrait les plus beaux mots d’amour et les plus grands de haine. Sa main tenait la sienne, main dont les doigts si fins se liaient à ses doigts d’homme revêches et décharnés. Ses jambes écorchées tiraient gravement ses grègues en cuir sur le sol terreux, rendant l’homme éclopé lassé de sa démarche. Mais il marchait, inébranlable et sûr amoureux qu’il était, vers le même horizon qu’elle, le pas brutal et l’œil sans aucune larme.
Le Pic Noir l’attendait. Le monolithe noirâtre ancré dans la terre dépassait le pays jusqu’à la baie au nord qui le délimitait. À son pied, en face, ou depuis l’océan derrière l’horizon, personne ne pouvait voir la terre derrière lui. Seule la foule de guerriers jouissait du faux privilège de gravir ses falaises, de courir sur ses étroites corniches où même la mort n’osait se risquer, et de s’entretuer sur son sommet aride. Ikau ne les voyait pas encore de ses propres yeux. Il apercevait l’ombre étendue de l’homme qu’il cherchait par lequel, peu de temps suite à son arrivée, le sang coulerait ou non.
Il lui tenait la main, sa main qui peu à peu se détachait de lui.
— Je t’aime toujours, Naæviî.
Elle pleurait de se voir embrassée par ses yeux. Les plus belles haines et les plus grandes amours susurrées par sa bouche régnaient sur son sourire. Il enfermait sa main, et elle laissait ses doigts de femme ornés de bagues dorées pénétrer dans ses phalanges creuses. Mais son pas écrasant criait la terreur et terrifiait le peuple, offrant à ses grèves rouges une marche infernale. Alors, l’homme et la femme ensemble, foulant le même sol et la même direction, l’œil sans aucun sang, durent se séparer pour un infime instant.
Lentement, infiniment, Ikau levait sa main tandis qu’en même temps, Naæviî la descendait. Pour l’unique temps dû à la séparation d’une femme et d’un homme, le temps semblait éteint. Ils semblaient n’être plus soumis à rien, ni au temps, ni aux morts, ni au sang. Pourtant il n’y avait rien. Rien qui ne différenciait ce soir du quotidien ; chaque fois que leurs corps foulaient les Champs de l’Espoir, à jamais situés au Nord-Est de la plaine, ils se plaisaient à fusionner avant de se séparer. Naæviî partait se battre, Ikau partait tuer, comme ils voulaient le faire chaque fois qu’ils le devaient. Alors, infiniment, lentement, leurs mains se séparèrent.
— Je t’aime encore, Ikau.
Ils gouvernaient leurs pas pour partir chacun vers leur propre direction. À l’est devant elle, les roches enracinées dans le sol désertique se découvraient au rythme de ses pas, écartant la foule par terreur, par lâcheté, ou pour les téméraires par instinct de survie. Elle vit peu à peu le terrain de bataille dont elle s’approchait ; derrière de légers rocs entourés de collines, la cohue des guerriers se dissipait jusqu’à ne laisser à son flair qu’une dizaine de brutes, puis que quelques cinq archers, cachés par les silhouettes de deux assassins, jusqu’à ne voir plus qu’un homme pouvant cacher sa vue.
L’homme restait raide contre les monolithes, il ne la voyait pas, tandis qu’elle le sentait. Vers son nez émanait une odeur de mépris, sur sa bouche s’affichait un sourire de haine, tandis que dans son cœur retranché, cachée au fond d’elle-même, sa terreur se terrait. Cachée, derrière le lieu où elle allait se battre, elle n’osait avancer ; l’homme non plus n’attendait rien. Elle n’eût le temps de dire qu’Ikau n’était plus là, qu’elle n’avait pas à fuir et qu’elle jouait de l’arc avec ardeur guerrière si, parce qu’il le fallait, elle devait tuer. L’anonyme en armure, alors, leva sa main sur elle, la glissa sur l’épaule, avant de faire de même à l’aide de l’autre main en frôlant l’autre épaule. Son corps se rapprochait tandis qu’elle restait droite, ses côtes plaquèrent ses seins, ses pieds lourds et cachés s’emboîtaient dans le vide qu’ouvraient ceux de Naæviî.
— Nous sommes maintenant rivés à cette terre qui nous aura vus naître et nous verra mourir. Je me laisserai faire puisque toute femme a le droit d’être violée.
Tandis que Naæviî fut lâchement saisie, Ikau crevait de désir de franchir le Pic Noir. À l’ouest devant lui, les armées insurgées créaient une masse noire qui étouffait son horizon. Passé par quelques dagues et arcs jetés à terre, l’espace se découvrait, percevant le sommet, entendant les cris, et sentant les odeurs de la roche exposée. Outrepassée la foule barbare indifférente à son corps fatigué, il saisit dans le dos celui qui attendait, le regard vers le ciel et vers les corps humains tous pointés au sommet.
— Ta dague en a mis, du temps, Ikau, lança-t-il d’un sourire en baissant du doigt l’arme de son meilleur ami. Ta tuerie inconsciente ne fera rien d’autre que te noyer de honte, quand ton corps se verra oublié dans la boue de l’histoire.
Ikau reprit sa dague, laissant son épaule libre afin de lui parler comme il le souhaitait.
— Ridley, nous avons cessé de compter les nuits qui nous entendaient dire qu’en un instant la mort de cinq cents hommes évitera au peuple celle de trois milles en un an. Ne sois plus un gosse, monsieur le Chef, toi-même chef de l’Élite de ce jeune pays qui souhaite, avec moi, l’explosion de ce Pic en même temps que celle de ces cinq cents barbares !
Ridley soupira, las et esseulé, laissant le temps à Ikau de finir, en un mot.
— Ils crèveront tous un jour ou une nuit. Qu’ils s’entretuent sans fin, qu’ils fuient sans espoir, ou qu’ils vivent sans peine, ils mourront. Ne t’illusionne pas, Ridley.
— Avant que tu n’avances comme tu t’y obstines pour amorcer l’explosif brut que nous avons caché aux regards de notre peuple, laisse-moi te hurler mes dernières paroles, expira-t-il. Ils sont certes des fous à qui l’on doit la durée infinie de cette guerre. Ils ont certes gravi le massif le plus rude de toute cette terre, l’érigeant alors en champ de bataille sanglant. Ils s’entretuent certes sans raisons. Mais ils sont avant tous des hommes et des femmes, nés chez nous, innocents et purs, chez qui l’insurrection a frappé au hasard ; tu en crèves de les voir s’éviscérer l’un l’autre pour qu’il n’en reste qu’un, mais tu n’as pas le droit de les faire tous crever. Nous nous aimons, Ikau ; ne me fais pas savoir que tu possèdes l’orgueil de la mort elle-même pour prendre qui tu veux parce que tu es un traître ! Illusionne-toi, Ikau !
Ikau était prêt à couper de sa dague gauche la corde qui retenait l’amorce explosive. Elle le fit. Sans un mot il se retira tandis que l’explosion retentit jusqu’aux frontières. Les chemins d’accès gravés à même la roche tremblèrent. L’armature s’effrita.
— Par chance le reste du peuple a encore besoin de moi, cela t’évitera de me laisser crever dans la lumière de ce fatal spectacle, méprisa Ridley en contemplant l’horreur. Traître, Tu as sur les mains le sang d’un peuple que nous avons aimé.
Les pics droits et gauches s’écrasèrent sur le sol tandis que des guerriers s’y accrochaient encore. Bientôt le sommet retourna en arrière, emportant avec lui les hommes et les femmes venus régler leurs comptes. En même temps que le centre du Pic s’écartelait, les derniers hommes fuyaient, certains touchant la terre avant d’autres, mais en vain. Ikau tirait lâchement avantage de la distance qui le séparait pour partir sain et sauf, avant de s’appuyer sur l’épaule de Ridley.
— Après t’avoir quitté je rentrerai chez moi, je me laverai les mains et je voudrai dormir.
Allongée nue sur ses vêtements et son armure laissée, Naæviî laissait sa main frôler ses seins pâles. Sa main caressait ses flancs charnus et embrassait lascivement sa forme en s’enfonçant un peu. Lentement elle descendit jusqu’à ses hanches douces, prit soin de s’arrêter, puis fit lentement le tour de son vagin fertile. Sans un cri de chacun de ces jeunes enfants, l’homme au visage noirci sous son casque se coucha sur son ventre et embrassa son visage. Ils déposèrent leurs armes de chaque côté. Son sexe pénétra brutalement dans le sien.
— J’ai voulu te violer mais tu le veux aussi. J’ai dû toucher ton corps comme celui d’une amante. Tu voulais le désir, je voulais le pouvoir mais baisons malgré tout, je t’en prie, anonyme. Tu ne me réponds même pas. Cela fait près de quinze ans que je n’ai pas baisé, quinze ans depuis le début de cette putain de guerre que mes plus beaux désirs de caresser des seins, des cœurs, des nombrils et des hanches de vraies femmes se sont vus sacrifiés sur des pulsions refoulées. Pour une fois dans ma vie je peux te faire l’amour, demoiselle anonyme, mais je ne te viole pas. Je n’ai aucun pouvoir et c’est à cause d’une femme. Je ne t’ai rien pris du tout, toi tu es déjà morte et je ne le serai jamais.
Brusquement il agrippa ses seins à la chair contractée jusqu’à ce qu’ils soient griffés, il flaira son visage en appuyant sa gueule sur ses lèvres au teint rouge enfui, il aboyait de jouissance dès que sa verge frottait sa vulve chaude. Il éjacula et Naæviî ne dit rien.
— Après t’avoir quitté je serai déjà morte, voulut-elle chuchoter.
Leurs yeux s’embrassaient. Leurs bouches se susurraient et l’amour et la haine. Ils se tenaient la main pour toujours et jamais. Ils marchaient loin, ensemble.
— Dans le silence un jour je partirai, Ikau. Je partirai longtemps, comme nous l’avions rêvé. Je partirai au-dessous des mers et au-dessus des montagnes et entre les nuages, si un jour on le peut. Je partirai rêver, c’est tout ce que je veux, maintenant. Je tenterai d’être noble, de marcher la tête haute, par le peu de noblesse qu’il me restera encore. J’aurais voulu être pure mais j’ai déjà perdu, je suis née pour ça. J’ai été mise au monde pour ce que quelqu’un d’autre vient d’arracher à moi, et je ne serai plus. Longtemps je ne serai plus, Ikau, sans un cri, sans un mot.
*
HamsterNihiliste:
Bonsoir.
Il y a des soirs comme ça, où mon cœur se est assez lourd pour exprimer enfin toutes les choses que je bride, jusqu'à mon écriture de Partir., alors j'ai pensé que ce soir, il était temps, et je me sens plus libre. L'extrait ici cumule un morceau écrit qui date déjà quelque peu, après le premier juillet, et la suite que je viens d'écrire ce soir même, à partir de " Je me fais du mal ". J'ai voulu clore cette session et il s'agit d'un extrait que je vous fait partager, parce que je le voulais ou pour n'importe quelle raison. Parce que c'est comme ça.
J'ai marqué une légère pause dans l'écriture de mon projet principal, sorte d'overdose, l'été qui battait son plein n'aidait pas, j'ai préféré attendre début septembre pour continuer mon chapitre plutôt que de me forcer pour qu'en résulte un chapitre aussi médiocre que le V. Je pense que l'écriture de ce Partir. a pu m'aider et qu'elle me permettra de repartir en quelque sorte à zéro.
Bonne nuit et bonne lecture !
*
— Je suis jeune mais je traîne ma carcasse et depuis que je suis jeune, je fous plus rien de ma vie. Avant quand j’étais gosse, j’étais comme tous les gosses, je vivais, je profitais, j’aimais, maintenant je hais les gosses et alors je me hais, je me suis haï, et je me haïrai ; je me hais maintenant pour ce que j’étais gosse, je me haïrai demain pour avoir été aujourd’hui, et j’ai dû me haïr, longtemps, pour certaines choses. Maintenant je me hais, je me hais pour qui je suis, pour qui je suis, je ne suis rien ni personne du haut de mon âge de jeune, si tu le dis, toi qui a quatre ans, ou plus ou moins que moi, ce n’est pas important. Ce n’est toujours que du temps et ce n’est que par du temps que je finirai par crever, alors que je crève maintenant ou dans quatre-vingt ans, ça n’a pas d’importance, le temps c’est pas ma faute.
— « Le temps c’est pas ma faute », mec, t’es velléitaire.
— Je sais que je suis velléitaire et je sais que t’allais le dire. Je suis velléitaire parce que je suis fatigué, donc je suis fatigué parce que je suis velléitaire. Je ne fous plus rien de mes nuits, je ne dors même plus, je préfère les passer à réfléchir au mal que ça me fait de ne plus dormir pour ça ; je crève de ne plus écrire car dans ce temps je pense à tout le mal que me fait le fait de ne pas écrire, je suis mon cercle vicieux, je suis mon propre haï et mon propre aimé, je suis ma propre vie et cette propre vie, j’en dilapide chaque seconde par terre comme une vulgaire merde qu’on jetterai sans respect, parce que je n’aime plus, parce que je n’ai plus rien. Des nuits je veux crever puis le lendemain, ça va, tout comme un jour d’été où tout se passe bien ; d’ailleurs tout se passe bien, tout s’est très bien passé et je n’ai pas de raison de me plaindre de cela, non, je n’ai pas de raisons. Tu vois, je peux très bien arrêter d’avoir l’air dépressif et même de l’être, là, ça va, je sais pas pourquoi mec, mais ça va.
— Tu te portes bien, comme on dit ?
— Je me porte bien, oui, c’est drôle, je n’ai jamais compris la portée de cette expression. Comme si indubitablement on devait supporter tout son poids tout le temps, on devait forcément être en capacité de soutenir sa carcasse et sa tête lourde, de supporter son poids, au risque de le faire mal, mais si on le fait mal, je ne sais pas ce qu’il se passe. D’ailleurs tu remarqueras qu’on ne dit que très rarement « Je me porte mal ». Peut-être parce que c’est inné, qu’on doit bien se porter, comme un déménageur qualifié après de longues années de formation ; peut-être qu’on est tous son propre déménageur.
— J’aime t’entendre analyser. Je te reconnais comme je t’ai reconnu, et tu vois, c’est génial. Là, on serait capable de débattre des heures, toi face à tes brouillons et moi à mon Humanité, mais au fond, c’est pareil, c’est une passion ; on a le droit.
— Bien sûr qu’on a le droit, au fond, on peut tout faire et on doit même tout faire, mais le fond, comparé au tout de l’être humain, c’est bien peu de choses. Le monde, c’est une terre, ce sont des particules, l’homme c’est un corps, des organes et du sang dedans, des cellules et des fibres qui permettent à tout les mécanismes de la pensée logique d’interagir ; et c’est l’écrivain qui te parle. Alors oui, c’est comme ça, on est bien peu de choses.
— Je me fais du mal, mec. Dis-moi que je me fais du mal.
— Depuis toujours tu te fais du mal. C’est évident. Te le confirmer encore c’est le seul moyen que j’ai de te réconforter, et si je pouvais ne pas le dire — non, je n’aurais pas pu ne pas le dire, personne n’aurait pu faire autrement. Tu te le dis toi-même ?
— Si, si, on aurait pu faire autrement, moi j’aurais pu faire autrement, je ne l’ai pas fait, pourquoi je ne sais pas, parce que j’étais gosse, je sais pourtant qu’on a tous été gosses, mais jamais comme moi. Non, jamais comme moi.
— Je sais bien que personne n’aurait pu être comme toi, et que toi non plus tu n’aurais pu être comme personne ; mais tu étais comme toi, c’est tout cela qui compte, c’est aussi con que ça. Des fois faut pas chercher, il faut laisser aller. Voilà, laisser aller, je ne te citerai pas encore Léo Ferré, je ne te jouerai plus de piano, je ne te chanterai plus qu’avec le temps, va, tout s’en va. Parce qu’il faut oublier, parce qu’il faut juste du temps. Le temps.
— Je le sais. Mais cela fait trois semaines, ou dix ans, je ne sais pas, qu’il faut juste du temps. Cela fait autant de temps que je n’ai pas une heure, une minute, une seconde, sans repenser à elle, sans l’entendre rire, sans la revoir danser, sans l’imaginer nue, sans regretter infiniment plus que tout ce qu’un homme peut jamais regretter. J’aimerais qu’avec le temps tout soit aussi simple, j’aimerais aussi que moi-même je sois aussi simple, j’aimerais même être heureux, c’est tout ce que je demandais. Être heureux comme elle ; comme une fille qui m’a oublié et qui ne regrette rien, qui vit son avenir, qui nage dans son rêve, qui trouve encore le temps de rire et de jouer. Elle joue avec son mec comme si elle était gamine, putain qu’est-ce que je l’envie. C’est une fille que j’ai aimée, puis haïe, puis…
La langueur et longueur du silence qu’il laissa signifiait le mot exact qu’il voulait échapper. Nonobstant il ne put s’empêcher de l’avouer, après cinq minutes, ou une heure, aussi dérisoire que pût être l’importance.
— Aimée.
— C’est ça.
— Est-ce que c’est normal de n’avoir dans mon cœur de place que pour une seule personne que je tente d’oublier ?
— Je ne sais pas.
— Est-ce que tu penses que je devrais m’obstiner à oublier cette fille comme je me suis obstiné à l’aimer ?
— Peut-être.
— Est-ce que tu es sûr que « Peu importe » est la réponse à toutes mes questions ?
— Oui.
Le dernier à prendre la parole continua suite à un bref silence.
— Tu sais, je suis ici pour te donner la réplique, pour te répondre « Oui » ou même « Peu importe », je suis certes ton ami, mais je ne suis pas ton psy ; personne ne devrait être là pour te donner de réponses, c’est le meilleur pour assassiner tes doutes et crever tes peurs, mec. Les psys ne devraient pas exister. Les psys devraient avoir honte de refiler aux gens plus de questions qu’ils n’en avaient en rentrant sur le divan et de leur faire croire qu’ils ne sont pas seuls pour régler leurs problèmes. Il n’y a que trois entités dans tes propres conflits ; ton cerveau, ton cœur, et toi. Le moyen radical c’est parfois que ton cœur s’arrête de battre.
— J’ai pensé à crever. Oh oui, j’y ai pensé. D’abord parce que c’est classe, parce que c’est honorable, et que c’est du courage que d’affronter la mort, mais je ne te sortirai pas toute une tirade que j’aurais pu sortir l’époque où j’étais jeune. Les mots ne viendraient plus. Plus rien ne me vient, rien automatiquement, je ne sais plus rien dire, je ne sais même plus écrire. Je ne sais même plus écrire comme un automate, je finis par me faire peur mais je sais très bien que je n’ai pas de raisons. Et puis finalement je veux pas crever. Parce que je veux tordre le coup à notre putain de besoin d’innovation qui ne se taira jamais et qui demandera toujours de passer à autre chose alors qu’on ne connaît pas le quart d’un millième de ce qu’on vient d’effleurer. Alors moi, j’ai vingt ans, ou soixante, je ne sais plus, quoi qu’il en soit je suis donc jeune, et je veux explorer la vie à cent pour cent, et je sais bien que ça, c’est impossible, mec. Mais c’est un rêve, il paraît qu’il faut s’accrocher à son rêve — ou ses rêves, tant mieux. Je n’aurai jamais le temps de connaître toute la vie, alors je rêverais de me rabattre sur l’espace. Hors les questions d’argent, car l’argent quand on rêve c’est bien peu de choses, j’irai vivre à Clifden, puis je réserverai une demeure de passage dans l’oblast d’Irkoutsk et les eaux du Baïkal, de là je partirai me ressourcer au cœur de la Mongolie, pour rencontrer des gens qui sont encore humains et qui vivent de la meilleure manière qui soit au monde — visiblement, d’après le peu que j’ai lu, sans villes bétonnées, sans médias, sans Internet, peut-être même sans argent ! —, j’irai même pénétrer les plaines en Mongolie-Intérieure, simplement parce que j’aime la prononciation du nom, je continuerai peut-être en Inde, pour passer en Thaïlande et voir de mes yeux l’Angkor Vat et les plus belles idoles que la religion a permis, j’irai même au Japon, et je finirai mes jours au fond du Pacifique à sa surface peut-être, à la dérive entre les îles Kerguelen, l’Antarctique Nord, pourquoi pas les Fidji ou la Grande barrière de Corail, je pourrai même, en bateau, voir de mes yeux le Cap Horn, traverser les zones les plus au nord et au sud de la planète, en passant par Spitzberg, en me perdant peut-être dans les monts de la Kolyma ou de l’Himalaya, pour, quoi qu’il en soit, terminer sûrement jeté vers la baie de Clifden. Et je me réveillerai.
— Tu l’as oubliée ?
— Non. Mais peu importe.
Point au 31 Août 2012.
*
HamsterNihiliste:
J'ai réussi à écrire. Peut-être que ça repartira. C'est très court et je complèterai sûrement ce même extrait, ce n'est pas fini.
Mais c'est un peu de Partir., directement après le dernier. C'est uniquement un dialogue. Il y a un père et une fille.
*
Point au 31 Août 2012.
— Papa ! Hé, Papa ! Papa !
— Oui, c’est moi-même, et je le serai toujours, ma fille.
— Papa ! Pourquoi tu m’appelles toujours « ma fille » ?
— Parce que tu es ma fille, et que j’aime t’appeler comme ça. Mais tu m’appelles « Papa », alors soit, je t’appellerai « chérie », chérie.
— Ça veut dire quoi « chérie » ?
— Écoute, ça ne veut rien dire, tu vois ce petit mot, ces six petites lettres, elles ont pas de petit corps, elles ont pas de petite tête, elles ont pas de petite bouche alors elles ne peuvent rien dire, et elles ne veulent rien dire. C’est triste. On ne saura jamais si elles veulent nous parler ou pas.
— Mais moi je le sais !
— Oui, tu le sais toi, parce que tu es encore ma fille, tu es toute jeune et les mots ils te parlent, tout a une bouche, tout a un cœur chez toi, tout te parle. Tu sais ce que ça veut dire « chérie », toi, chérie.
— Oui je sais, et toi, tu le sais Papa ?
— Oui.
— Alors ça veut dire quoi ?
— Tu peux me le dire, chérie, puisque tu le sais.
— Ça veut dire…
— Ça veut dire ?
— Ça veut dire que tu m’aimes !
— Oui. Je t’aime. Je t’aime comment ?
— Tu m’aimes comment Papa ?
— Tu veux jouer, chérie ?
— Oui Papa ! Allez ! On joue ! Tu m’aimes comment ? Euh, attends ! Jusqu’à la Lune ?
— Non, plus.
— Jusqu’à Mars ?
— Plus.
— Jusqu’à Uranus ?
— Bien plus.
— Jusqu’à la Voie Lactée ?
— Plus !
— Jusqu’à tout l’Univers ?
— Encore plus !
— Il n’y a rien après « jusqu’à tout l’Univers » !
— Si.
— C’est quoi Papa, c’est quoi ?
— Je ne te le dirai pas. On joue ?
— Oui ! C’est Dieu ?
— Qu’est-ce que c’est Dieu, pour toi ? Qu’est-ce que ça veut dire, Dieu ?
— Rien, Papa !
— Redis-le, ma fille.
— Rien, Papa !
— Enlève « Papa ! ». Dis juste « rien ».
— Rien ?
— Sois sûre de toi. « Rien. »
— Rien !
— Tu peux y arriver. Tu peux y arriver, oui ma fille, vas-y. Cherche, tu veux savoir, tu veux savoir comment je t’aime, oui, ou non ?
— Crie pas, Papa. S’il te plaît. T’aimes pas crier. Tu le sais. Ça te fait mal dedans ton cœur. Tu sais ce qu’il y a dans ton cœur ?
— Rien.
— Voilà, Papa. C’est comme ça que tu m’aimes.
*
Cap:
'tain. Ton dialogue m'a secouée.
Tu dis des trucs tellement vrai et beau et profond avec des mots simple. Et ça franchement, bravo ! v.v
Mais en même temps, tu me rappelle l'absence de mon père et ça... Ça me rend :'(
HamsterNihiliste:
Merci beaucoup Cap, ça me fait très plaisir. Je t'en parle plus personnellement en privé :^^:.
Tiens, une toute petite suite, qui la suit directement et après laquelle il n'y a rien de nouveau dans le texte intégral. John est le nom du personnage qui donne la réplique habituellement.
*
— Je t’aime. Je t’aime comme rien et rien, c’est tout.
— Arrête de dire n’importe quoi, Papa.
— J’dis pas n’importe quoi, ma fille, ma chérie pardon, hé oh. J’t’aime, c’est tout. Toi aussi, tu m’aimes ?
— Mais pourquoi tu dis n’importe quoi des fois, Papa ?
— Je ne dis pas n’importe quoi ! Je t’aime, c’est tout ! Tu m’aimes, oui, ou non ?
— Oui, je t’aime, Papa. Je t’aime comme rien. Ça veut dire tout. Calme-toi maintenant, calme-toi Papa.
— Je me calme. D’accord. Excuse-moi, enfin, je veux dire, je m’excuse. Pardon.
— Maintenant explique-moi des trucs, Papa. Explique-moi pourquoi tu pleures. Explique-moi ce que tu dis à John et à Maman.
— Je pleure parce que j’en ai marre de ne pas pleurer. Je dis les mêmes choses à toi, qu’à John, qu’à Maman. Et pour tout le reste, on ne choisit pas de commencer à vivre, alors on doit choisir de vouloir mourir. C’est tout.
— Tu veux mourir, Papa ?
— Non, je veux pas mourir. Pas tant que t’es petite. Je mourrai quand t’auras l’âge de voir ton père mourir. Pas maintenant. T’es trop petite.
— J’ai sept ans, Papa.
— T’as sept ans, crois-moi.
— T’as quel âge, toi, Papa ?
— Je sais pas.
— Tu peux pas pas savoir. C’est comme ton nom, ça.
— Je sais plus, j’ai oublié.
— Tu peux pas oublier.
— Ça, je le sais, chérie. C’est la seule chose que je sais.
— Tu t’appelles comment ?
— Je sais plus.
— T’as oublié ?
— Sûrement.
— C’est triste. C’est quoi que t’as pas oublié ?
— Maman.
— C’est de Maman que tu parles à John ?
— Oui.
— Et Maman, tu lui parles de quoi ?
— De Maman.
— T’es fou, Papa.
— Ben oui. C’est comme ça.
*
Navigation
[#] Page suivante
[*] Page précédente
Sortir du mode mobile