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K. ~ Partir et autres expériences.
HamsterNihiliste:
Bonsoir !
Même s'il faut croire que j'aime les locutions grecques et latines, voici le III° chapitre de Memento Mori, Memento Vivere., fiction à laquelle je me consacre exclusivement et qui va peut-être connaître un rythme plus rapide en raison de mon temps libre, mais paradoxalement, qui me sera plus difficile à appréhender en raison de l'été qui n'es pas une bonne saison pour écrire. En tout cas, je souhaite continuer mais pour l'instant, apprécions ce quatrième écrit qui présente un personnage – principal ? à vous d'analyser ou d'interpréter – ainsi que le contexte général de la première partie – inutile de préciser que le pays est en guerre.
Je préviens donc que le chapitre est particulièrement brutal dans la forme et dans le fond, dans une de mes traditions. Ne jouez pas la bienséance choquée par des mots, ce ne sont rien d'autre au final que des mots, que des lettres, qui, dans ce chapitre, sont prononcés par le personnage sans qu'aucune action n'ait lieu. Autre précision, comme il est présenté sous forme d'entretien, je compte en tourner une captation audio sous peu, avec moi-même et une camarade. Je placerai l'audio (Je pense éventuellement présenter une piste vidéo, mais pas sûr) à la place de la musique d'accompagnement, mais à l'heure actuelle je vous propose le texte brut ; l'oral présentera des nuances pour marquer la distinction texte-scène, c'est pourquoi, à ma grande habitude, le texte paraît particulièrement faux.
*
III : Le chœur de la superbe
Captation audio de La gloire de Naæviî [À venir].
— Naæviî Lordæron…
— Appelez-moi Naæviî.
— Je respecterai votre choix, cela est mon rôle. Notre pays est donc fier de présenter cet échange, honorant votre rôle dans le parti des Libres, vous portant à la réputation de trois cent cinquante-neuf victoires contre les Oppresseurs, dans la rage de notre guerre civile, hélas. Vous avez choisi un espace de répit pour que l’on se confie…
— Pour que je me confie, si vous le souhaitez. Mais vous avez raison, ici, au bord de mer le monolithe qu’est le Pic Noir ne nous fera plus sentir les pas, un par un, de chacun des guerriers, ni la putréfaction des corps, de certains mes corps. Un jour, c’est inconcevable, mais il sera détruit. Si la stratégie décidait la cause la plus radicale pour la Paix, c’est une explosion à la racine qui mettrait fin à cette barrière. Et, plus de guerre, plus de vies, plus de morts, plus d’Élite, plus de religion. Il faut se rendre compte qu’on profane la paix, prêts aux pires horreurs pour tous se mettre à mort, depuis des nuits que j’ai perdu le courage de compter, pour la seule croyance en trois déesses que personne ne voit. Moi, je ne crois qu’en l’Homme et en la femme, et c’en est bien assez, et c’en est même trop. Vous souhaitiez questionner ma réputation ? Continuez, soyez libre, je ne vous tuerai pas. Je ne vous terrifie pas ?
— Non, ne vous inquiétez pas. Comme vous venez si légitimement de nous le rappeler, vos talents d’archère et votre haute stratégie vous ont accordé une place d’honneur parmi les anonymes soldats défenseurs de la Paix.
— C’est un beau paradoxe. C’est même un beau vers, vous avez douze pieds. J’aime les beaux poèmes, et j’en écris parfois. Si c’est cela qu’il faut pour ne pas sombrer dans un oubli, parmi les deux tiers de damnés dans cette terre, je veux bien m’y résoudre. La Paix, pour ceux qui veulent l’écrire par une majuscule, ce n’est rien qu’un prétexte, ce n’est qu’un sentier. Il se trouve que sur mon sentier une des semences n’est autre que la mort, je ne fais qu’avancer derrière de l’éphémère et devant une fausse paix, c’est une fin. Moi, je préfère la fin à la cause, c’est un peu le prix de la liberté.
— Vous n’avez pas été libre non plus de naître sur cette terre et de vous marier sur cette guerre.
— Je vous donne raison. Je préférais bien sûr notre amour idéal avec Ikau, mais au milieu de nos plaines mordorées, prête en enfanter de notre fruit en sa compagnie, caressant mon corps et nettoyant mon sang dans notre maison encore en bois clair et brut, la guerre éclata trop peu de nuits après. J’ai un enfant qui est venu au monde sous les flèches et qui veut y repartir par l’épée.
— En serez-vous aussi fière ?
— Je n’ai pas à être fière. Son père le confronte à l’épée et la dague, moi, selon ce qu’on dit, ma mère est morte d’une flèche dans le dos quand elle me mit au monde. S’il me faut une arme aussi précise, rapide, et dure, mon arc en bois noir dentelé sur le dos, épointé aux deux angles plus qu’une dague ne peut l’être, je ne le quitterai jamais. Avec je peux tuer aussi bien qu’avec une autre. Oui, puisque vous me le demandez, il est efficace, il a tué ; moi aussi, j’ai tué, je ne suis pas de celles qui reportent leurs fautes. Si j’ai l’air d’une lâche, j’ai plus d’une fois crevé des crânes à la pointe de l’arc, sous la seule force de mes mains qui le portaient et l’aidaient à s’abattre par sa force sur mes proies. C’était bref. Vous croyez que j’en suis fière ?
— Je ne crois rien, autant que vous peut-être.
— Vous ne pouvez pas en tant qu’humain croire moins que moi. Seul Ikau croit moins que moi. Moi, sa femme, qui est rentrée à la guerre en marchant sur des cadavres, parmi les entrailles répandues dans les creux de la terre, contrainte, même le jour, à se cacher dessous pour dormir calmement, même en pouvant finir réveillée par le poignard sous la gorge, moi, celle qui a déjà éventré par le simple coup de la pointe de mon arc une si jeune femme sous les yeux de son homme, moi, celle qui a déjà fracassé le crâne d’un enfant, ne sachant ni parler ni marcher, sous les yeux de sa mère, pour que ma seule arme d’hast voie son décor de verre incrusté de sang s’en souvenir encore. Il y a des femmes qui n’ont eu pour dernière vision que le sang de leur homme couler sur leurs cheveux, et il y a des hommes qui ont eu pour dernier baiser la douceur de mes seins. Si j’oublie cette mort au summum de la beauté, alors leurs lois divines me donnent autant de honte de mes propres lois humaines, alors non, je n’ai pas à être fière et mon Orgueil, mon arc que j’ai nommé, n’a plus qu’à être brûlé. Mais c’est le prix, monsieur, c’est la guerre, et l’ère de la corruption n’est pas sitôt finie.
— Redoutez-vous qu’un jour on ne voie que vos seins ?
— Ou l’inverse, autre chose que mes seins !
— C’est selon vous, vous qui êtes maîtresse de vos forme et de vos chairs.
— Mais je vous en prie. Le corps, c’est notre lot, quand on n’a rien d’autre. Je n’ai jamais connu mes parents, je ne connaîtrai pas mon passé, je ne suis qu’une guerrière qui s’acharne à tuer, alors, pour le prétexte de la paix, ce sont mes mains qui forcent l’arc, ce sont mes pieds qui foulent la terre, c’est mon sexe qui tente tous les hommes prêts à tous se rouler sur le sol pour me toucher un instant. Un jour des gens seront fous, un jour on bavera plus que pour mes bracelets plaqués d’or aux poignets, mes lèvres éclatantes de rouge sang, mes boucles d’oreilles aux diamètre très ample, mon front pâle long et fin, plus que pour mon visage couvert par la lumière blonde de ma chevelure attachée. Un jour on me plaquera par l’épaule, on se déchaînera, on me dépravera, on bavera d’ardeur sur mon nombril, et, sous une armure brûlante, sur moi qui serai nue, on me violera, on se branlera dans mon corps, je serai rien d’autre qu’une main prostituée et maculée de sperme. Un jour j’aurais un gosse d’un père que personne n’aura connu et qui deviendra peut-être un héros. Mais je suis une femme et autre chose qu’un vagin soutenu par des pattes, j’ai un arc et une arme lourde, violette, à deux mains ; si on veut jouer à la lutte entre deux corps-objets, je peux jouer aussi. Et moi, je veux jouer. Vous auriez de quoi payer une nuit ?
— Je… Je, mais, enfin… Je suis marié.
— Moi aussi. Ikau aussi.
— Un jour vous serez plus qu’un corps. Le peuple vous respecte et vous le promet.
— Nous l’assurerons. Je n’hésiterai à tuer pour être autre chose qu’une pute. Un jour. Vous pensez qu’un jour une femme sera portée à la tête d’un pays ?
— Peut-être pas à la tête. À moins que le sort ne lui soit favorable. Comptez-vous vous hisser à cette réputation ?
— Je ne compte rien d’autre une fois que cette guerre sera terminée. Je souhaite uniquement retrouver Ikau, aimer mon fils, poser sa main sur la mienne, pour ne plus jamais finir soumis à une guerre. Quand il connaîtra l’amour, son père maintiendra que ce n’est pas plus idéal, mais ça brisera l’ennui. Ça.
— Maintenez-vous que vous vous ennuyez ?
— Je pense que tout le monde s’ennuie dans l’amour. Nous, nous ne sommes plus gamins, nous nous sommes rencontrés peut-être par hasard. C’était juste son jeu dé fréquenter la haute ; moi, sous la sévérité de mes aristocrates et des hautes guerrières, régentes de la stratégie et des conférences tactiques, je me suis exilée au plus loin de leurs chaires, de leurs maîtres, de leurs élèves, je n’ai fait rien d’autre que les abandonner. Ma première nuit au froid réchauffée d’une unique toge, Ikau s’est exilé à l’autre extrémité de notre société. Nous nous sommes aimés, il m’a ramenée chez lui, je l’ai ramené chez moi. Sans honneur qu’il était il vint assassiner une prochaine proie, qu’il ne connaissait pas, que je connaissais plus, puis son œuvre accomplie, il m’embrassa et pour la première fois, je savourai la voix d’un homme revêtu simplement d’une redingote et d’un doux pantalon. Nous aimons encore. Mais sous la guerre.
— Résistez.
— C’est ce que nous faisons. Ikau est rusé, il est faux, il joue sur les scènes et derrière les rideaux ; sa seule fierté va pour son déshonneur et ses deux dagues. Il a baptisé sa fidèle dague gauche Memento Mori et j’ai baptisé sa dague droite Memento Vivere. Quand il tue par l’arme à gauche il en est capable de me tuer moi-même. Mais Ikau n’a jamais aimé voir tomber les hommes sous ses frappes, il veut la mort discrète, douce, silencieuse ; juste ce qu’il faut de sang sur sa veste. Il ne peut y avoir qu’un héros sur cette terre ; moi, je pourrais me plonger dans le poids du sang que j’ai fait verser, il caresse le sang laissé sur la lame puis l’oublie sur sa langue ; le sang coule par nous deux, les morts se comptent pour nous deux. Il n’y a rien d’autre que les litres de sang qui nous rendent héros, et pourtant Ikau ne sera jamais aimé ; moi si. Nous nous aimons même si la guerre nous écrase. Mais nous nous aimons trop, pour qu’encore une fois l’homme se lasse de la femme et n’exulte plus que dans son corps. Voilà où il nous traînera, l’amour.
— Vous avez toujours une raison. Vous n’en doutez pas.
— J’en aurai une. Si un jour on me la retire, si je ne la perds pas, je me retirerai. Si un jour la guerre devient notre seule histoire, qu’elle se souvienne de moi : de pulsions et d’instincts, de sang et de présent, d’arc, et d’épée. Un jour ça s’envolera. Mais j’ai trop de souvenirs pour avoir un futur.
— Et pourtant.
— Un dernier mot à dire ; personne ne me volera jamais le dernier mot. Même lui.
La Gloire de Naæviî, captation audio retranscrite pour Termina, datée de la guerre civile.
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HamsterNihiliste:
Bonsoir !
Pour commencer la deuxième " trilogie " de la première partie, voici le chapitre du mois, que je me permets de publier à un rythme plus rapide en raison de mon temps libre. Sans rester enfermé dans une politique de production, la rapidité d'écriture, avec laquelle je publierai pendant ces vacances en moyenne si je ne fais rien d'autre deux chapitres par mois, m'a pas empêché de le travailler comme d'habitude avec les choix et les effets qui sont les miens.
Rien de spécifique à signaler, pas de difficulté ; le chapitre, un peu plus long, est moins violent, sauf la dernière lettre, mais rien n'est concret. Un peu – plus – d'affectif, de cœur, et de " conneries abstraites " pour lier les trois personnages principaux de cette première partie, qui connaîtront leurs suites. À vous de questionner si il existe vraiment un personnage principal. Autre chose, je renoue également avec Jacques Brel pour la musique d'accompagnement, sûrement la première dune longue marche pour cette Chanson des Vieux Amants que je vous recommande d'écouter séparément (Simple histoire d'attention ou concentration) parce que les textes de chansons ne sont pas sans sens.
Après les deuxième et troisième chapitres, plus oraux, je renoue avec une écriture ici servie par un style épistolaire de quatre parties, n'hésitez pas à critiquer quelle que soit votre remarque ; bonne lecture !
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IV : Hermès
Jacques Brel - La Chanson des Vieux Amants - (Brel 67)
Lulya à Ikau, plaines orientales de Termina. Temps probable : derniers pourparlers de l’Élite.
Ikau ; on se connaît depuis longtemps déjà. À l’origine grandie au son tribal de nos tambours de guerre, plus élevée par les armes que la diplomatie, enfin mûrie par la pauvreté du peuple mais par l’amour des autres, je te connais. Je sais que tu es de ceux qui se laissent connaître, ne dis rien, Ikau, ne cache rien. Tu es l’homme qui s’est laissé aimer, que j’ai rencontré, que j’ai aimé moi-même. Ne me laisse pas croire que c’est toi qui gagne, seul, seul à profiter de l’amour comme d’une parcelle de terre ou d’une ration de viande.
Notre amour, à nous deux, ne sera ni cru, ni cuit, il ne se paiera pas, ce n’est pas cette chose-là que ces gens-là vont mendier ; je ne sais pas ce qu’il est et je le cherche encore. Embarquons-nous ; tu partiras avec moi, nous nous emmènerons et je t’amènerai. Si nous ne savons pas où, tant pis, nous serons libres, et le vent et la mer nous rendrons encore jeunes, on s’amusera enfin, peu importe, tu aimeras. J’attendrai.
Écrire sans répondre, j’effleure ton visage long creusé par tes joues creuses, je remonte ton nez, seul organe enfantin superbement intact, je te vois fermer tes yeux bleus creusés, par ton sommeil perdu ou ton regard de haine, je caresse ton front haut au teint gris, et comme ma plume s’allonge sur son papier, ma main sans écorchure se perd enfin dans tes cheveux, et j’entends ta voix trop grave et trop profonde qui me souffle ce que tu me chuchotes quand on s’enlace tous deux. Alors je sais toujours que l’on s’aimera enfin, tu es déjà charmé comme tu l’as été toujours. Je ne crois pas t’écraser, alors ne crois pas perdre ; l’amour est l’unique guerre qui n’a pas de gagnant.
Non, je ne crois écraser personne, j’ai vécu dans l’enfance la plus triste qui soit. Au temps où mes cheveux caressaient mes yeux, je dévouais mon corps pour chercher ce qu’il faut d’eau, une infime trace pour sauver ma famille, moi, encore si jeune. Parfois sous la pluie écrasante je partais, j’aillais mendier aux riches indifférents de subir ma misère. J’ai haï ces gens-là mais j’en cherche encore d’autres.
Et puis, morte de froid, une nuit, si souffrante que la pluie m’indifférait même, mes larmes et l’eau avait le même goût, je t’ai vu, moi. Tu était grand, austère, tu étais un monolithe et moi, couchée, je me suis levée et je ne t’ai pas cherché un instant de plus. Tu t’es baissé toi-même puis tu m’as aimée. Je n’avais ni question, ni doute, ni peur, je savais que la pluie ne tombait plus, je savais et je sais que notre amour devra être idéal. Nul besoin d’un mariage ou d’une quelconque preuve ; nous sommes deux humains, pas des pays en guerre. J’attendrai vite avant que cette terre ne se déchire.
Aime-moi, Ikau, encore.
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Ikau à Lulya, Ancienne plaine de Termina, Nord-Est. Temps probable : Naissance de l’insurrection.
Lulya ; tu es si jeune que tu peux être ma fille autant que moi ton père. Tu as beaucoup appris, tu sais bien mieux écrire. Mais je reste celui qui t’as pris sous mon aile, je resterai un père et tu ne pourras t’y opposer. Tu n’apprendras pas seule, et tu n’auras jamais fini d’apprendre. Je sais que comme toute fille tu seras révoltée, que tu voudras alors savoir ce qu’est vraiment le monde ; le monde n’est vraiment rien, je te le cacherai. Pour toi je partirai dans les risques, et la guerre, je t’en offrirai l’espoir que tu attends. Tu resteras cachée, ne m’en veux pas, comme tous les hommes qui aiment ou qui veulent aimer je ne veux que ton bonheur. Et le bonheur de n’importe qui est plus riche que tu ne le crois. C’est ce que tu veux toujours et que tu as voulu.
Mais ne sois pas gamine, n’oblige rien ni personne à me suivre. Garde-toi mon amour mais ne garde que ça. Tu connais bien mieux ces conneries abstraites qui ne font couler aucun sang, tu ne parles que de cœur, d’un cœur immatériel qui n’est celui de personne.
Je n’en sais rien, ma fille, je n’ai pas grandi là, moi. J’ai grandi dans les caves accrochées aux égouts, bouffant de la nourriture de n’importe quel rat crevé, appris à manier la dague dès mon enfance puis l’épée, clandestin, sans honneur ni espoir. C’est ma seule fierté de voir ma main gauche tenir de ma main entière ma dague platinée, lame prête à briser l’irrigation névralgique de n’importe quel homme pour mon dernier but, celui de voir périr la guerre et la lâcheté d’un gouvernement traître.
Crois-moi, la réalité ne te fera pas t’y plaire. Tu ne voudrais pas me suivre par pur amour, par pure folie et seul moteur du cœur, toi tu devras rester dans ton idéal jeune et dans ton innocence, dans un imaginaire que je n’ai jamais eu. Crois-moi, je serais prêt à me sacrifier, pour toi et pour mon but. Tu me diras que tu ne veux que me suivre mais que tu ne peux pas, mais je veux être ton père pour mieux te protéger : tu vaux mieux qu’une gamine, Lulya, tu es bien mieux. Tu me diras que je vaux mieux aussi, que je ne suis pas forcé de finir fou pour ta seule beauté, qu’enfin je peux écrire avec ma seule raison qui ne plaira jamais. Mais je ne suis écrivain que pour des lettres d’amour, et l’amour, ce n’est rien.
J’ai cru n’avoir qu’un seul affectif envers Naæviî, ma première, ma conquérante. Je ne te laisserai pas gagner au-dessus de moi ; je ne veux pas que tu ne deviennes qu’un corps. Tu parles sûrement mieux, mais tu crois que l’amour n’est pas comme la guerre. Gamine. Gamine que tu es et que j’aime.
La guerre ne se crée pas en un seul instant, ni l’amour. Il faut du temps, c’est tout, il m’a fallu le temps d’apprendre mes deux dagues, le temps d’assassiner sans pitié ni folie, le temps de réfléchir aux morts propres et calmes pour les agir enfin. Il faut du temps pour aimer, du temps pour haïr et un temps pour regretter. J’ai appris à abandonner ma haine et ma froideur pour la chaleur d’un cœur voulant quitter un corps. J’ai appris à être vrai. Mais, pour toi, je joue. Je joue à être vrai.
Apprends-moi, Lulya. Toujours.
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Naæviî à Ikau, Ancienne plaine de Termina, Nord-Est. Temps probable : Rupture du peuple et fuite de l’Élite.
Je me souviens. Le souvenir d’un nom écorché sur un arbre. L’oubli d’une première fête, au soleil, sur les plaines. Le regret d’avoir vu ton corps nu à la première aube. Parler une nuit face au feu avant de se connaître. Voir naître cet enfant. Lui avoir tout appris et t’avoir tout appris.
Ainsi tu m’as trahi, Ikau. Ton « seul affectif » n’était qu’un de tes jeux, tu n’as rien d’autre à faire que de baiser d’autres femmes, peu t’importe maintenant. J’ai vu le temps de lire tes lettres à ta Lulya, et de lire ses lettres à son glorieux Ikau. Je regrette le nombre de ces mots que vous avez écrits, j’enrage de ne jamais t’avoir surpris trot tôt, mais j’exulte de pouvoir me venger par mon entière fureur.
Haine. Si le mot « haine » était gravé mille fois sur chaque goutte de sang que j’avais fait verser tout au long de ma vie, elles ne suffiraient pas à exprimer le milliardième le plus insignifiant de toute la haine que j’éprouve pour elle. Haine. C’est tout. Sache pourtant que je regrette et que je t’aime. Il n’y a que toi que j’aime et que j’aimerais toujours ; même si je ne suis qu’un corps et qu’avec moi tu couches comme sur un animal. Je n’aime pas être trahie, je brûle de voir ta ruse exercée contre moi, Ikau, toi qui m’avais appris qu’il n’y a ni de bonne ni de mauvaise tromperie.
Alors tu baisses ta garde, et j’en ai profité. Toi qui n’aurais pour rien abandonné ton vice, un instant je surprends un cœur au fond de ta poitrine, vibrant, grave. Je défaille quand j’écris ; ici, dans notre ancienne demeure, mon bras tremble au moment où ma plume se pose sur mon papier. Je vais pâlir, Ikau. Mais aussi j’ai appris et je te trahirai. Toi qui aimes jouer alors nous jouerons, comme aux origines, comme deux enfants. Nous finirons par nous trahir et je ne regretterai plus.
Ce n’est en rien vers toi que ma haine m’emporte. Toi, tu as su comprendre que toute seule, la raison ne plaît pas ; elle séduit, mais toi, tu as joué au vrai, à l’homme qui peut aimer, pour une autre que moi, pour une seule femme. Tu gagnes ma fierté. Mes louanges, je ne m’y attarderai pas, je suis une femme vraie. Je la laisserai attendre ; ce n’est que pour toi Ikau, pour ne jamais te perdre, parce que je suis fidèle et que je te veux.
Rebelle-toi si tu veux ; mais tu sais que contre moi tu ne gagneras rien à jouer au héros. Sauf moi.
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Naæviî à Lulya, Ancienne plaine de Termina, Est. Temps probable : Principaux feux de la guerre civile.
À cet instant tu meurs. Je ne m’étendrai pas, tu me connais déjà, je n’ai qu’à te faire peur, moi, mon arc et mes flèches, mes pas craquant le sol face à n’importe qui accolé aux rochers ou à n’importe quoi. Nous ne nous affronterons pas n’importe où ni quand, je sais ce que j’ai à faire ; toi, tu n’as qu’à attendre de voir la grande Naæviî triompher de ta peau, quand tu seras couchée, par terre, m’implorant pour toutes mes richesses possédées par toutes les armes du monde de terminer tes jours.
Et tu ne sais pas quand, tu ne sais rien. Tu ne sais rien de la vie, tu ne sais rien de la guerre, mon Ikau t’as tout caché sans te laisser le temps de voir un seul homme mort ; mais mes traits t’apprendront que rien n’est plus vrai que la guerre. C’est ma vérité, celle des instincts et des pulsions, celle de la gloire, celle que tu n’aurais jamais le temps de voir quand j’écrirai ton nom à la pointe de mon arc grâce à ton propre sang.
C’est tout ce qu’il restera de la beauté de ton corps, d’un nom auquel mon homme m’a subrogée, d’une traîtresse que j’exulte à haïr et que je terminerai comme elle a vécu ; dans le silence immense, Lulya.
Correspondances - Entre Ikau, Naæviî, et Lulya, Termina, datées d’entre les pourparlers et la guerre.
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HamsterNihiliste:
Bonsoir !
Voici le chapitre capital, avec un titre qui fait taire mon éventuelle réputation de monomaniaque des noms grecs et locutions latines. Le déclencheur du thème principal, en quelque sorte, qui ouvrira au fil du texte tout ce qui est en rapport avec. Comme le II°, le chapitre se veut clair et scientifique, en le souhaitant accessible tout en gardant des éléments qui font sens et qui donnent son intérêt à l'écriture. C'est un chapitre pour lequel je me suis posé beaucoup de questions, donc n'hésitez pas à réagir, à dire ce qu'il vous produit, s'il vous plaît, s'il vous intéresse, et tout critique plus ou moins constructive. Souhaitons donc une longue vie à la dynastie des personnages qui débute dans ce texte relaté, avant-dernier de la première partie, puisque je vais très sûrement écrire en tant qu'auteur-narrateur pour la troisième "trilogie ".
Mais pour l'instant, bonne lecture et bonne écoute – ou ré-écoute, prenez le temps, ironie du sort ! Dernière chose non sans importance : j'ai posté une version du texte entier, que je mettrai à jour, en .pdf sur la page d'accueil, uniquement pour MMMV. à l'heure actuelle. Le format sera plus agréable à lire, mieux mis en forme donc donnant plus l'aspect d'un livre, que vous pourrez même imprimer si vous êtes hermétiques à la lecture sur l'écran, ce qui est compréhensible.
Au temps !
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V : Assassins du temps perdu
Léo Ferré - Avec le temps, 1970
Il y a des choses dans ce monde qui ne sont pas normales. Que des hommes vivant seuls s’estiment maîtres absolus, et déclarent des guerres parfois d’un seul regard, dépasse l’ordre des hommes. Que les hommes laissent leurs vies derrière eux quand ils tombent à la guerre n’est pas dû qu’au hasard. Que les hommes aient besoin pour vivre de manger des créatures vivantes et de boire de l’eau issue de l’extérieur demeure inexpliqué. Et que le peuple entier, sans exception aucune, soit appelé des « hommes » est profondément triste.
Toutes ces choses du monde qui ne sont pas normales ont besoin d’être sues. Elles le devaient déjà à l’époque à laquelle je suis apparu au sein de l’Élite, pour le juste bien du peuple. J’étais dès lors convaincu que la politique révèlerait au peuple des vertus bienfaisantes ; mais moi, responsable de la science parmi d’autres responsables, cru et soutenu par l’ensemble de l’Élite unie, nous fîmes le douloureux constat que le bien n’avait rien pour s’offrir au peuple.
Vous m’accuserez, comme tous, d’avoir été trop lâche et, par honte, d’avoir fui ; rejetez-moi du monde, jetez moi des flammes encore si vous savez où je suis ; peu importe où j’ai fui, je vis juste dans un lieu où je peux réfléchir, travailler et agir pour mes propres projets qui sont aussi les vôtres. Peuple de Termina, peuple du monde, la science, cette recherche que je peux embrasser durant toute ma vie, vous gardera des erreurs que la politique a commises. J’en suis persuadé.
Si je ne peux que le penser, c’est parce que personne ne nous a cru, tandis que nous, nous avons laissé fuir la confiance en vous. De la même manière, peu importe mon exil, peu importe mon avenir déjà derrière moi, je ne verrai peut-être pas grandir ma création ; nous savons désormais que j’ai l’âge d’un sage, et qu’un temps de ma vie aurait pu plus longtemps rechercher ma science. J’estime donc légitime cette œuvre de ma vie, je peux donc le prouver car je le sais ; j’ai soixante-quatre ans.
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Le temps s’est imposé nécessaire dans ce monde. Le destin de ce même monde sera entre mes mains, depuis le passé, pour notre présent, et pour votre avenir.
Au commencement, depuis nos sociétés primitives, nous avons eu l’usage de regarder les cieux, de calculer les astres, et d’en déduire les cycles du jour et de la nuit. Ceux qui les cherchaient les étudiaient eux-mêmes ; ils estimaient avoir raison de n’obéir à personne, sinon à la flore, aux collines boisées ou même au scintillement de la nuit, et de s’approprier le savoir pour leur propre intérêt, estimant que le jour succède à la nuit, mais sans compter les années, sans vivre à leur rythme.
Aujourd’hui, aucune de ces créations humaines n’est nécessaire. La nature ne nous sera plus utile ; il vous sera inné d’obéir au temps, qui ne verra personne le régir mais qui s’imposera plus haut. et plus tard. Bientôt on oubliera que ce fut la discorde causée par la science, on se souviendra de cette naissance glorieuse de notre humanité, et l’histoire se comptera avant et après le Temps. Les secondes constituent les minutes, les minutes constituent les heures, les heures constituent les jours, cette avancée des jours constitue donc l’histoire. Là réside notre inextricable problème ; malgré l’étude logique de l’environnement, nul ne pourra laisser, comme des feuilles tombées sur l’humus au bas des arbres, des chiffres et des mesures pour, selon le besoin, savoir quand nous sommes. Peuple de Termina, peuple du monde, si le gouvernement humain fut pour tous un échec, je vous forcerai à obéir à une seule science, au temps, qui n’est rien d’autre que la science du hasard.
Si le nombre arbitrairement précis de vingt-quatre heures constituera un jour, de l’aube au crépuscule, de la nuit à la nuit, nous saurons que demain sera le premier jour après le seuil du temps. Mais, par facilité, les œuvres de la terre pourront être remplacées, et leur disparition ne sera plus un manque. Si l’utilité de s’y référer fut primordiale, il sera abordable de s’y accommoder pour être en mesure de construire, par exemple, de nouvelles horloges.
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Seul reclus au centre de mon espace d’études, je ne peux pas nier que les horloges sont belles. Sans m’émerveiller, pour rester sérieux, le rebond d’une aiguille face au chiffre d’une heure, et le son régulier du « tic-tac », du « oui » et du « non » inhérents aux pendules, soulèvent une émotion qui pénètre mon cœur comme les mathématiques percent mon cerveau.
Si je ne me laisse plus emporter par les flots de ma loyale passion, il est bon de reconnaître qu’on doit exposer les heures, montrées par les horloges réparties sur la terre, dans le pays, voire dans le monde. Implantées peu à peu, elles montreront aux hommes, par leur exactitude, l’avancement du temps. Ainsi, pour la guerre elles nous seront utiles ; de nouveau des stratégies pour se battre tel jour, porter un coup une heure, tirer à l’arc d’une tour que l’on sait protégée à un délai de quatre minutes, et seulement quatre minutes, une nuit seulement, pourront être calculées.
Mais, sans y croire toujours, nos ennemis aussi pourront s’approprier cet arme qu’est le temps. Si tel est le cas, l’avenir est à double tranchant ; l’ennemi pourra bien travailler son temps pour ses stratégies, mais dans un meilleur espoir, le concept deviendra valeur universelle, unifiant les hommes et engendrant la paix. Si cette paix est jouable, il est à supposer que personne ne prétende à vivre hors du temps. Mais l’heure est à la guerre, et elle ne se terminera pas avant que la première horloge ne se voie construite : les architectes la pensent déjà en haut d’une tour, au centre de Termina, régnant sur le village qu’on nommera Bourg-Clocher.
Le principe est simple. Comme la politique, il suffit de montrer, de donner un repère, répété chaque jour pour lui donner le temps de rester gravé dans votre mémoire, oubliant la période où vous viviez sans, et vivant chaque jour au rythme de l’horloge. Vous aurez l’habitude de vivre avec le temps comme vous viviez avant ; les mesures précises, les plus concrètes possibles, remplaceront les cycles astraux imprécis et fastidieux. Je ne veux que vous libérer d’une tâche trop laborieuse afin qu’à juste titre, vous gagnez plus de temps, vous viviez plus vite, encore et toujours.
Mon amour face à l’humanité me sera sûrement nuisible, mais je ne veux pas que le temps soit votre ennemi ; croyez-moi. Mais quand bien même vous vous rebelleriez, il sera trop tard.
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Je ne suis pas Ganondorf, que malgré son pouvoir je ne porte ni dans mon cœur ni dans mon âme, ou même un autre membre mégalomane et égotique. Non, croyez-moi, je ne vous veux que du bien, et c’est dans le plus grand silence que je vais faire naître l’œuvre de ma vie – ou plutôt de ma vieillesse. Longtemps j’ai été vous, je vous promets une avancée dont l’histoire se souviendra toujours. Longtemps j’ai été vous, je vous promets que le nom de Termina restera gravé autant que le mien, si ce n’est plus. Que mon nom et mon âme soient ensevelis, peu importe ; mais j’ai seulement peur de ne pas voir le temps mûrir. Moi-même je suis vieux, je ne pourrais sûrement plus voir fleurir ma science, et ce fils artificiel, venant de s’élever de moi, se passera de son père pour votre bonheur.
Si je fais une erreur, si je l’ai déjà faite, j’ai assez d’expérience pour être préparé à la révolte du peuple, comme je l’ai déjà vue. Je m’en garderai bien. Vivez en paix, soyez libres, je n’ai plus qu’à me reposer dans la sérénité, à savourer la douceur de la fin de vie d’un homme qui a donné son âme pour ses habitants, à me laisser apaiser en comptant les heures et les dialogues de l’horloge en hêtre, celle que j’installerai sur mon mur en bois noir.
J’ai été politique, responsable, j’ai pris des risques comme tout le monde en aurait pris pour tous ; le temps semble prétendre à moins de risques d’échecs : car lorsque mes jours seront terminés, le temps sera seul maître en ce monde. Nous le verrons courir ou se laisser passer, nous en aurons peur, il causera peut-être certains crimes propres à lui, comme la guerre naquit de la religion, ou la révolution avortée naquit de l’Élite. Le temps, c’est mon fils. Il est sorti de moi.
En espérant seulement que l’histoire de l’Élite restera gravée ; laissez-moi voir la vie et mourir.
Théorie et création du Temps – De l’oubli de la paix à l’Histoire de la guerre - Rébellion Nullstein, émérite de l’Élite responsable de la science, An 0, Mois 0, Jour 0.
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HamsterNihiliste:
Bonsoir !
Voici le sixième chapitre dont je suis assez fier, contrairement au précédent. J'en ai tiré les enseignements, donc je l'ai écrit de manière plus vivante – c'est ce que j'ai voulu faire sur le dernier –, la principale différence reposant ici sur le dialogue. Une première partie est encore un monologue pour présenter le contexte et connaître l'identité de ce fils héroïque, tandis que dans la suite j'ai renoué avec un discours particulièrement agonistique (théâtral en somme). J'ai pris bien du plaisir à écrire ce chapitre, je me suis rendu compte que je suis plus à l'aise avec ce genre d'écrit, qui renforce mon intérêt pour l'écriture de théâtre. Sans l'estimer pauvre, c'est un chapitre qu'au contraire j'ai bien travaillé, qui a ses subtilités que vous pourrez chercher ou trouver, et qui n'attend que vos retours autant au niveau de la forme que du fond.
Mon mois va être occupé et le prochain chapitre me demandera du temps, donc cette période va sûrement être moins régulière que le reste, mais peu importe ; récemment je me suis remis en question, et je tente de retrouver un élément que j'avais oublié dans l'écriture : le plaisir. Parfois, c'est aussi simple que ça, bonne lecture.
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VI : Morituri te salutant
Georges Brassens - La mauvaise herbe - Les amoureux des bancs publics
À mon père que je n’oublierai pas.
Mon père a toujours été mon père par le sang, par le cœur et la voix. Nous nous aimions comme si nous avions été frères, nous avons vécu ensemble comme un père et son fils ; il m’a appris à lire pour savoir ce que veulent les hommes, à écrire pour pouvoir humilier leur ego, à lutter pour devoir me révolter et ramener à la terre ce qui est à la terre. Comme un dieu il maniait ses deux dagues, cependant que moi, amoureux de l’épée qu’il m’avait offerte, je rêvais de m’élever à son talent.
Mon père a tout voulu pour réaliser mes rêves ; il m’aidait à lire des livres que le peuple entier taxait d’insensés, il m’apportait des plumes d’animaux lointains pour que je puisse savoir et aimer écrire, il me frôlait de sa dague tandis que je lui dégainai d’une demi-seconde et de ma main gauche, Guerre, ma svelte épée. Toujours est-il qu’elle est longue et qu’elle tranche plus que tout. Si les dagues de mon père sont taxées par ses ennemis de coupes-papiers, toujours est-il que si elles coupent du papier, elles peuvent couper un homme.
Mon père n’a jamais juré ni par la taille, ni par la force. Il est grand et j’espère qu’un jour, je serai aussi grand que lui. Mais dans le cœur, si tant est qu’il en ait un, nous sommes frères. Souvent, le plus petit est roi, et l’ampleur d’une épée ne sert qu’à compenser l’étroitesse d’un esprit ou la bassesse d’un art. Du haut de sa superbe, que j’avoue humblement avoir partagée, il estimait ses dagues semblables à son talent. La vitesse invisible de sa silhouette, la finesse assassine lorsqu’il jouait de ses lames, et la haine qui l’élevait à chacun de ses pas avaient pour destin d’en avoir fait un homme fier.
En artiste de théâtre comme en fier assassin, il gagne son honneur. S’il exècre celui de ma mère, sa mariée, il ne recherche rien ; s’il est un peu aimé, ne le gêne pas, pas plus que d’être haï. Il est de ces grands maîtres dont le seul honneur est d’être déshonoré. Je crois que c’est un peu triste, pour mon père, de n’être aimé que pour ce qu’il paraît. Je ne comprends pas pourquoi, parce qu’il y a tant de choses dans ce monde qui sont belles, il faut se faire faux, se cacher des hommes et de la terre, et regarder le reste avec mépris du bas de son terrier. C’est ce qu’il veut m’apprendre. Mais j’estime être en droit de ne pas tout comprendre, parmi les droits que j’ai ; après tout, je suis son fils.
Mais je ne dirai pas que je ne suis que son fils. Si je veux devenir à l’épée ce qu’il est à la dague, et si je veux devenir à mon destin qui il est à moi-même, je peux être un héros. Je peux vivre comme lui sans devoir récolter la folie de ma raison et la haine de mon amour ; je peux mourir comme il ne le voudrait jamais. Oui, je me souviens maintenant.
Je me souviens. Nous étions dans le seul étage de notre demeure, entourée par le bois clair des arbres où soufflait le vent, armé de Guerre, ma longue et large lame dans ma main droite, et Memento Vivere, sa dague la plus néfaste tenue par sa main gauche. Quand j’ai crié ma liberté de droit face à mon père, nos propos se choquaient au rythme de nos armes. Nous étions père et fils.
— Ikau, je veux partir.
Sa réaction reste et restera dans ma mémoire une expression cruciale. Jamais je ne l’avais appelé de son prénom Ikau.
— Pourquoi ne me nommes-tu pas comme mon fils à ton père ?
— Parce qu’Ikau est ton nom, et qu’il reste ton vrai nom, Papa.
— Sache comment tu m’appelles, reste déterminé, Kafei, mon fils.
Je parai sa dague prête à subrepticement percer mon épaule droite.
— Je suis déterminé, et je sais que je veux partir, amorçai-je enfin dégainant mon épée tout droit contre son cœur.
— Tu crois que je n’avais point deviné ? Tu crois beaucoup, Kafei.
Je retournai brusquement Guerre en sa direction, tout contre mon dos.
— Tu crois que je n’avais point deviné que, pendant que j’éclipsais ta Memento Mori, tu passais derrière moi le couteau sous la gorge ? affirmai-je alors que, doucement, il s’éloignait.
— Ce n’est pas un couteau.
Il garda sa même dague en appuyant le bras sur le pommeau de Guerre.
— Je sais bien, je ne suis pas de ceux qui croient autant que tu ne peux le penser, continuai-je en résistant encore et encore.
— Tu n’as pas à croire si tu veux partir. Tu ne partiras pas à la guerre, mon fils.
J’arrachai enfin à sa force ma chère arme que son corps éprouvait.
— C’est ce que je voulais, répliquai-je en tranchant l’air dans son horizon.
— Ce n’est pas aussi facile. Ne relâche pas pour autant toute ton attention.
Memento Vivere passait une deuxième fois derrière ma gorge. J’eus bien peur qu’il me tienne.
— J’ai toujours voulu partir et je le prouverai, Ikau.
Quoi qu’il n’eut pu dire, je m’élevai par-dessus son bras frêle et, tête frôlant le sol, j’arrachai sa dague gauche. Je renversai volontairement Guerre, le tranchant de la lame à la main, pour tromper, par le pommeau, l’équilibre de ses jambes. Une fois qu’il fut à terre, je crois, je jetai Memento Vivere par dessus son épaule. Avec le dernier bruit d’une dague crevant le bois au mur, l’entraînement prit fin.
— Papa, je suis persuadé d’être en bonne posture, lançai-je à mon cher père se relevant alors d’une vitesse glorieuse. Je lui tournai le dos.
— Kafei, tu m’as lancé une arme. Tu as été lâche. Tu veux agir en guerre comme ta mère le fait. Je ne peux pas te laisser partir à la guerre attaquer à distance. Tu n’as pas encore l’orgueil de Naæviî pour éclater tes pulsions, pour meurtrir la terre au nom de tes désirs, et conquérir la guerre pour ne prouver rien d’autre que ta nature. Ce n’est pas sous cette réalité que j’ai voulu t’élever, tu peux te révolter contre moi et mes masques, mon public, mes rideaux ou mes dagues, mais sache que si tes pulsions et ta vérité les plus profondes ont pour destinée de se montrer à la guerre, il te faut les trouver.
— Je les trouverai. Si je ne meurs pas avant, avec le dernier espoir et la dernière épée que mon corps soutiendra.
— Tu ne mourras pas avant, Kafei, j’en suis sûr. Tu es fort, stratège, et tout aussi agile, mais ton espoir craquera, tu n’en as pas besoin, tu n’as pas besoin de cœur pour toutes ces conneries. Résister sera futile et ton cœur craquera. Il craquera.
Nous jetâmes nos armes à terre.
— Ce ne sera pas difficile, que ce soit à la guerre où n’importe où, d’être un héros, Papa. Je ne jetterai pas d’arc, je le jure. Mais l’arc ou l’épée ne changeront rien, absolument rien au destin de héros.
— À ton destin de héros ? me rit-il au nez. Kafei, mon fils, tu as autant d’orgueil que d’héroïsme, je n’en doute point. Mais je resterai ton père, tu ne m’oublieras pas, alors permets-moi d’affirmer que tu perdras ton temps à devenir un héros sur un champ de bataille. Si tu ne perds pas autre chose parmi les arcs, les haches, les corps éviscérés et les crânes calcinés qui te feront vomir. Quel bel héroïsme.
Je sais que mon père avait pour habitude de me manipuler. Profondément vicieux au sens glorieux du terme, il savait mépriser, je savais l’endurer. Mon orgueil se voulait fier ; en jouant son propre jeu, je lui prouvai que mon cœur était à la hauteur de ma destinée.
— J’ai de l’espoir mais je sais que je n’en aurai pas besoin, je suis naïf mais je sais que je ne dois pas l’être, je suis jeune mais je sais que je l’ai toujours été. Expose tes arguments. Quelle belle autorité.
— Kafei, mon fils, tu ne me prouveras pas que tu sais tant te battre tant que tu ne pourras pas t’extirper triomphant d’une confrontation autrement qu’en jetant n’importe quelle dague. Certes, tu es lâche. Certes, tu pourrais te défendre et sortir victorieux, même plus, si tu crois que les dieux te sont soumis.
— Mon espoir, ma jeunesse, et mon temps, j’en ferai mes armes, lui dis-je, souriant et gagnant.
— Mon fils, quel âge as-tu depuis que tu es venu en ce monde ? Depuis ce qu’on appelle le Temps, j’ai pu calculer que tu as déjà douze ans, cela t’importe-t-il tant ? Mais tu restes trop jeune pour être un héros, pour vivre tes pulsions et battre tes ennemis, pour marcher comme tout le monde dans les champs dévastés par le plus profond des désespoirs, pour éviscérer comme tout le monde de ton premier couteau le premier rat qui court pour survivre à ta faim qui n’en finira pas de te faire crever, et pour finir n’importe quel soldat dans n’importe quelle guerre au nom des anonymes défenseurs d’une croyance, comme tout le monde. Tu n’es rien de ta mère et tu n’as pas ses armes, tu es jeune et naïf, profites-en encore. Alors pars si tu veux, pars pour tuer ton père et mourir en héros. Si tu crois avoir le droit.
— Alors si je n’ai pas le droit, je prendrai le gauche.
J’étouffai mon seul pleur qui pouvait me trahir.
— Je te ferai honneur, Papa, je serai faux.
— Soit tu restes un enfant, soit tu tueras ton père. Je te vois pour un jour héros, et moi, pour une nuit, je veux une heure de gloire.
Le crépuscule tombait. Je souriais en silence tandis qu’Ikau pleurait, en silence aussi. Je soupirai encore.
— Quand le jour se lèvera j’aurai quinze ans, Papa. Depuis que je suis né, depuis mes quinze années qui seront miennes demain, je ne veux que partir. Tandis que je le ferai pour le bien du pays, tu le ferais pour le mien ; parce que tu es mon père et que mon père m’aime.
Il leva sa dague, ma main serrait ma lame qui pointait à la fenêtre. Aujourd’hui j’écris juste avant de mourir.
Seconds carnets : « Pour ton bien » - Kafei, Termina, An 12, Mois 12, Jour 15.
*
HamsterNihiliste:
Bonsoir,
Aujourd'hui, ce soir, cette nuit, ce matin, j'ai décidé de livrer une partie de moi-même, dans un certain élan de pulsion ou de liberté, je ne sais pas, mais je le veux. Depuis le début de l'hiver, j'écris un texte que j'ai appelé Partir. . J'ai décidé de le commencer librement, sans travailler, en écrivant d'une manière orale et par ce que l'on serait tenté d'appeler écriture automatique. J'écris en blocs, les seules indications sur mon manuscrit et dans le texte sont les dates ; je précise la date à laquelle j'ai écrit tel " Point ", c'est tout. Entre chaque " points " je joue également sur le premier et le dernier mot, souvent contraires, et c'est tout ce qu'il y a à rechercher, je pense. C'est clairement une expérience personnelle, comparable à l'innomable Thanatos, mon ami, mais dans ce dernier il y avait une volonté, un imaginaire, je voulais le faire partager parce que j'écrivais un fond sans une forme ; là, non, j'écris " vrai ". Je crois.
Si je n'ai jamais trop su ce que je voulais en faire, j'ai voulu commencer à poster l'extrait le plus récent parmi cette humble bibliothèque, j'en posterai peut-être des nouveaux au des anciens, mais une chose est sûre, voici un Partir, un texte (qui compte au moment où j'écris 10 959 mots, soit plus que MMMV.) que je nomme et que j'écris " pulsionnel ".
*
Point au 1 Juin 2012.
Temps. Le temps indique n’importe quelle heure de la nuit, puisque la nuit, c’est calme. Tout est calme, aussi calme qu’eux deux qui se parlent sur les chaises en face dans le salon, tous deux autour d’un verre et d’une jolie lumière, tout simplement jolie. Lui est triste, une larme toute simple coule sur sa joue, et l’homme qui est en face, qui ne s’appelle pas « l’autre », trouve si belle une larme sur la joue d’un ami.
Un temps ils ne se disent rien.
— J’ai pris le train hier. Devant moi, parce que tous les sièges étaient dans la même direction, il y avait un type qui lisait Cauwelært et deux femmes qui lisaient Harlan Coben. Les gens sont cons.
— C’est des romans de gare. Ils ont le droit. Les gens ont le droit d’être heureux, tu sais. C’est pas parce que toi ça te rend pas heureux que eux, si ce qu’ils font leur plaît, ils sont des imbéciles qui sont nés quelque part.
— Je sais bien, c’est ce que je dis. Tu sais bien que quand t’es pas normal les gens qui sont heureux ça te rend malheureux. Et moi j’suis pas normal, c’est triste. Moi j’aimerai lire Harlan Coben ou Marl Lévy et en être heureux, qu’est-ce que tu crois, plutôt que d’écrire comme moi et d’être malheureux. Au milieu des filles qui bouquinaient – qui lisaient, pardon –, il y avait ma place, pendant un temps de train qui aurait pu être plus long. Il y avait une place libre à côté d’une fille qui dormait. Je m’y suis installé et je l’ai regardée pendant tout le voyage. Je l’ai regardée, c’est tout. Je n’ai pas vu son visage, je n’ai pas vu ses lèvres, je n’ai pas vu ses seins, mais je l’ai regardée parce qu’elle était belle et c’était tout. C’est quelque chose qui m’a rendu heureux. C’est pas si compliqué, t’as raison.
— Oui. C’est ce que je t’ai dit. Les femmes sont aussi belles que les paysages dans tes trains.
— C’est pas ce que j’ai dit. Balance pas des trucs mièvres, ça veut rien dire. J’ai trouvé cette fille belle et j’ai pas besoin d’en dire plus. J’ai pas besoin de l’aimer, pas besoin de l’épouser, de la baiser et de lui faire des gosses, pas besoin de me masturber, je l’ai trouvée belle, c’est tout.
— T’as pas de volonté. T’as pas d’espoir.
— J’ai pas de volonté pour quoi ? Parce que ne ne veux pas accoster une fille n’importe où – même dans un train – en lui criant « T’es bonne ! » ? J’ai pas de volonté parce que je ne veux pas, c’est tout. Si je veux aimer une fille je l’épouserai, un jour, si je me retrouve un cœur et que je regrette enfin d’avoir voulu ne jamais aimer.
— Tu trouveras quelqu’un, un jour. Ne t’inquiète pas.
— J’ai envie. Mais je veux pas, c’est tout. J’ai le droit. Si on dit que l’amour c’est libre, et que je dis que c’est aléatoire, j’ai bien le droit de rien en espérer, si je dois espérer quelque chose, non ?
— Ne t’emporte pas. Je veux t’aider. Je veux juste t’aider à ne plus regretter.
— C’est pas parce que t’estimes avoir réussi ta vie que tu l’as réussie. C’est pas parce que t’as épousé une femme, que t’as de beaux enfants, et que t’es avocat que tu peux t’estimer normal. Et si personne n’était normal dans ce monde et que j’étais le seul à l’être ? Et si rien n’était normal ? Et si je m’appelais Truman Burbank ?
— Tu n’es pas normal mais qu’est-ce que ça peut te faire ? Rien. Rien.
— Oui, tu as raison, rien. Il y a tellement de choses dans ce monde qui ne sont pas normales que ça ne me fait rien. Que j’écris parce que j’aime et que si je fais quelque chose, même au fond d’un cœur que je n’ai pas, même petit, même caché et c’est tout, c’est parce que ça me plaît, et c’est tout. Il faut que tu me le dises, s’il te plaît, dis-le moi, que je n’ai pas de plaisir et que j’me force à tout. Dis-moi qu’il suffit d’un rien pour avoir du bonheur et que partir ça me fera pas de mal, parce c’est ce que je veux, partir, partir, partir.
— Abandonne ce que tu fais et pars.
— Je pourrai pas.
Il pleure un instant et puis il continue.
— Tu vois j’te l’avais dit. Je peux pas partir parce que je peux pas, parce que j’suis prisonnier d’moi-même et qu’j’ai pas d’volonté, parce que je me dis que je veux et que je me dis que je peux pas.
— Parce que t’as pas d’espoir ?
— Ouais, j’ai pas d’espoir et je le regrette. Et pour ne plus regretter il me faut partir. Et pour ne plus partir il me faut regretter. C’est con. Et pourtant, et pourtant, et pourtant tu te rends compte que le lieu habité le plus au Nord du monde est une base géologique russe, indienne, française ou même je ne sais pas au Groënland ? Tu te rends compte qu’il y a des îles au large de l’Irlande où personne n’a jamais mis les pieds ? Tu te rends compte qu’avec Google Earth il me suffit de rechercher Clifden depuis ma pauvre ville natale pour savoir où, quand, et comment, je peux y partir ? Tu te rends compte qu’il y a deux nuits j’imaginais les îles Kerguelen bien plus au Nord qu’elles ne le sont ? Et tu te rends compte que le partir le plus lointain où j’ai pu partir c’est à Paris, à cinq cent kilomètres, en peut-être six heures de voiture, et cinq cent kilomètres sur l’échelle de l’espace c’est rien, et six heures de voiture sur l’échelle du temps, c’est rien. Rien. J’aurais pu ne pas naître. J’aurais pu naître il y a cent ans et crever à la guerre, j’aurais pu naître en même temps que Molière et crever dans la pauvreté, j’aurais pu naître en même temps qu’Alexandre le Grand et avoir le rêve d’un monde déjà uni, sans nations, sans conquêtes après moi, sans guerres, sans communisme et sans idéal, car l’idéal, on y serait, tu te rends compte que j’aurais pu avoir un idéal ? J’aurais même pu être un composant d’un gaz d’une étoile qui naîtra dans un milliard d’année, j’aurais pu être un tyrannosaure, j’aurais pu être une planète qui a toujours existé mais qu’on découvrira très bientôt dans plus de trois cents ans, j’aurais pu être l’Univers, j’aurais pu être mon fils, j’aurais pu être toi, je pourrais être moi. Dis-moi que je suis moi et que j’ai des raisons de croire en ce monde. Dis-moi qu’il y a des choses belles dans ce monde et que comme tout le monde je peux avoir de l’espoir. Dis-moi, dis-moi oui, je t’en prie, espère-moi, dis-moi oui.
— Oui.
Ils ne se disent rien, puis l’homme du « oui » continue de parler à l’homme du « partir ».
— Tu peux partir. Il ne suffit pas de vouloir, il ne suffit pas de pouvoir, il ne suffit pas de femme, il ne suffit pas d’espoir, il ne suffit pas de sexe, il ne suffit pas d’écrire, il suffit de rien dire et de partir. Ne cherche rien, n’explique rien, partir c’est oublier, je devrais pas écrire autant, partir, je devrais pas l’écrire avec une majuscule, partir c’est être tout le monde, partir c’est être rien, partir c’est oublier, partir c’est affirmer que l’amour d’un partir dans le cœur d’un humain c’est le plus bel amour qui soit, partir c’est partir, partir c’est rien, partir c’est tout. Alors pars. Et ne dis pas que t’as pas le temps.
Il ne pleurait pas. « Partir » était déjà de dos. Une dernière fois se crever les yeux devant l’ordinateur. Il souriait. Il pleurait de sourire.
— Voilà. En soixante dix-sept étapes, en voiture, en parcourant 2020 kilomètres, et dans 22 heures et six minutes on est à Clifden, dans le comté de Galway, au Connemara, en Irlande, quelque part sur terre, alors prends fais tes affaires, suivons-nous ensemble, arrêtons de parler, d’écrire et de pleurer, et partir loin du temps.
Point au 1 Juillet 2012.
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