Eurydice
"Toi, ma fatale Eurydice :
Ton visage m'a brûlé,
Voilà nos vies séparées,
Et nous condamnés au vice.
Oh pourtant, oui, il faudra
Marier le soleil aux heures,
Toucher la courbe du doigt
Qui nous reliait toi et moi,
La laisser s'enfuir sans peur.
Faire résonner l'onyx
Sur le vermeil de la bouche,
Joindre le cri au farouche
Pendant que l'amer se fixe.
Nymphe, ne t'inquiètes pas.
Soupire donc, gracieuse amante,
Car j'ai découvert les gouttes
Du nectar de la déroute,
Là, sur la mer écumante.
Toi, enfermée aux enfers,
Ou enfuie dans les bras noués
Du bien cynique Aristée
Tandis que j'erre sur la Terre
Ma dryade, je suis las
De pleurer la froide absence
De ta figure d'albâtre
Que j'aurais pu combattre
Plutôt que de rester rance.
Je nie maintenant tes yeux
Parés du vert et de l'or
Qu'arborent les fiers sycomores
Au chant grave et mélodieux.
Et l'Amour triomphera
Oui, ma cruelle Eurydice,
Toi qui m'as tant supplié
De te voir, te regarder,
Je dois sortir de l'abysse.
Peut-être qu'Hadès, un beau jour,
Ouvrira pour nous le sol,
Te coiffera de corolles
Et réveillera l'Amour.
Le frisson nous touchera.
Malgré toi, malgré la peine,
Eurydice, je n'oublie rien :
Mon visage sur le tien,
Nos baisers brûlants, nos haines...
Je vivrai là-bas au loin,
Devant rêves et aléas,
Te guettant ici et là,
Me souvenant avec soin.
Non, ne désespère pas.
Je reverrai ton visage,
Avec cri et volupté,
Dans quelques mois ou années
Quand nous serons enfin sages.
Désormais tu es perdue,
Insaisissable, insondable.
Mon Amour inoubliable,
Pour l'instant, ne parlons plus.
La vérité est donc là
Eurydice, je supplierai
Chaque nymphe de la mer
De m'enseigner les chimères
Qui me feront t'oublier.
Plus une larme sur mes joues,
Seules douceur et nostalgie,
Filles de la mélancolie,
Et espoirs d'un pauvre fou.
J'y vais, muse, de ce pas
Goûter la vie loin de toi,
Le tournis, l'aube et l'ivresse,
Le sexe, le corps, la tendresse...
A bientôt, toi qui es moi."