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La Tour du Rouge : [Random | Très court] Sans titre #1

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Great Magician Samyël:
Encore merci de venir commenter cette Route du Nord, Doutchy! En espérant que la suite continue de te plaire. :)


Sur ce, 3e partie du chapitre IV. Ca faisait un moment que je n'avais pas posté, et sans réelle raison en fait, faut que je rattrape ça. :niak:
Bonne lecture!

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La Carte de la Route
Chapitre quatrième :
Ikérias
-3e Partie-



Quand il revint à lui, il se trouva étroitement ligoté à une chaise, poignets liés dans le dos. Sa colonne raidie lui faisait mal, et le côté gauche de sa mâchoire était tout gonflé, une douleur sourde en pulsant sournoisement à chaque battement de cœur. Trois miliciens patibulaires en tabard jaunâtre le regardaient à distance respectueuse depuis l’autre bout de la pièce. L’un était petit et trapu, et son œil droit aussi blanc que la neige. Le deuxième était plutôt grand, des yeux globuleux enfoncés dans un visage marqué par la vérole. Le dernier s’en sortait mieux, hormis les affreuses plaques rouges purulentes qui ornaient son cou, et qu’il tapotait négligemment avec un mouchoir sale par intermittence.
   Autour d’eux, des cages plus ou moins grandes accueillaient un vieillard barbu au corps rachitique zébré de morsures de fouet, et une femme entre deux âges qui s’agrippait aux barreaux de sa cellule en fixant Vizamir de ses grands yeux totalement morts. Seul sa poitrine qui s’agitait mollement permettait de confirmer qu’elle vivait encore. Le sol de pierre était maculé de tâches de sang, certaines beaucoup plus récentes que d’autres, et au plafond pendaient des crochets de boucher parfaitement entretenus. Un lourd battant en bois sombre s’encastrait dans le mur du fond, accompagnant une table du même matériau de grandes dimensions, sur le plateau de laquelle un chiffon souillé recouvrait les silhouettes d’une dizaine d’outils, sur lesquels Vizamir ne se faisait aucune illusion.
   Une salle de torture. 
   Son rapt avait été rapide et propre. Malgré leur allure pathétique, les trois miliciens étaient des professionnels, comme en témoignaient les yeux de tueur qu’ils braquaient sur Vizamir. Ce dernier se rendit compte qu’il était complètement nu, à l’exception de son caleçon de laine. Il aperçut également ses dagues à la ceinture du borgne. Il éprouva rapidement la résistance de ses liens, mais ces hommes connaissaient leur affaire.
   Un soupçon de peur commença à s’instiller dans son cœur. Il n’était pas un lâche, mais seuls les idiots accueilleraient avec joie l’idée de souffrir. Et il sentait qu’il allait souffrir. Beaucoup. En plus d’être un étranger, d’apparence trop atypique, il avait tué l’un des leurs. Une dette de sang.
   Cependant, à la façon dont-ils se tenaient loin de lui, il crut deviner que d’une certaine façon, ils le craignaient. Rien qu’un peu. Mais tout avantage était bon à prendre. Il décida de jouer les durs, et, se redressant au maximum de ce que lui permettaient ses entraves, il tourna la tête et cracha le sang et la bave qui s’étaient accumulés sous sa langue.
   -Puis-je savoir de quoi je suis accusé?, s’enquit-il d’une voix forte, que sa mâchoire tuméfiée rendait balourde.
   -Commerce avec les démons, et meurtre d’un officier de sa Sainteté l’Empereur. Mais pour le moment, l’oreille pointue, tu ferais mieux de la fermer, si tu tiens à tes dents. Sa Grandeur sera bientôt là. Et elle aura quelques questions à te poser. Et si j’étais toi, je ferais tout pour lui donner des réponses satisfaisantes, ajouta le borgne avec un ton lourd de sous-entendu.
   Vizamir avala péniblement sa salive, les yeux s’activant à la recherche, vaine, d’une solution. Il ne voyait pas comment sa situation pouvait être pire. Il était inculpé pour deux des crimes les plus lourds de la loi impériale. Son « commerce avec les démons » devait probablement se résumer à son apparence, qu’un honorable citoyen aura de bon cœur reportée aux autorités dans l’espoir d’une pièce ou deux. Venir a Ikérias avait été une mauvaise idée depuis le début, il ne le réalisait que maintenant. Une erreur qui lui serait très certainement fatale.
   A lui, comme à Skelda. Seule dans le cœur même de l’empire qu’elle avait combattu et vaincu trois ans durant, et ne parlant pas un mot de commun, ses chances de survie étaient négligeables, pour ne pas dire inexistantes.
   Le temps ne tarda pas à se déformer, à s’allonger au rythme irrégulier des délires du vieil homme dans sa cellule, qui se tournait par moments, cherchant un peu de confort dans son sommeil dévoré par la fièvre. La femme, elle, ne bougea pas une seule fois, et ses yeux, vides et morts, ne cillèrent jamais, leurs petites pupilles noires braquées sur Vizamir. Les miliciens reniflaient de temps à autre, ou s’échangeaient une blague à voix basse, mais rien de plus. Ils se contenaient d’attendre, les mains posées sur les pommeaux de leurs armes à leur ceinture, prêts à parer à toute éventualité. Il n’y avait pas de fenêtre, et aucune lumière ne filtrait de sous le pas de la porte. Vizamir n’avait aucune idée de l’heure qu’il était, et au fur et à mesure que l’attente se prolongeait, l’air se chargeait d’une moiteur et d’une lourdeur insupportable, qu’il ressentait sur sa poitrine, accompagnée par la peur de plus en plus oppressante. Peur pour lui-même, et peur pour Skelda, surtout.
   Des images insupportables tournaient en boucle dans son esprit, des images de soldats répugnants et sales, en cercle dans une salle similaire, attendant chacun leur tour pour violer la Skarg brisée et vaincue ; des images du Colisée, sur la piste duquel Skelda nue et sans arme était jetée en pâture à des lions. Ce qu’il avait commencé à deviner s’était mué, à l’approche de sa propre mort, en une certitude stupéfiante et d’une violence inouïe, d’une absurdité telle qu’elle le laissait tremblant et le souffle haché. Il aimait cette femme de toute la fibre de son être, et c’était un sentiment si agressif et puissant qu’il en avait mal. Toute son essence aspirait à être à son côté, à partager ses repas, ses histoires, à se battre avec elle, pour elle.
   Il n’avait jamais rien connu de tel, et cela l’effrayait plus que toutes les horreurs qu’il avait contemplées au cours de sa vie d’aventure, plus que tous les cauchemars qui visitaient inlassablement ses rares nuits de sommeil. Son amour, brûlant, douloureux, bien au-delà de sa compréhension, s’exprima par la haine farouche et débordante qu’il se mit à éprouver pour l’Empire. Cet Empire qui allait lui prendre la seule chose qu’il ait jamais chérie, et qu’il chérirait jamais. L’amour et la haine, si opposés, si proches, dansèrent dans son esprit jusqu’à un point de fusion qui le laissa vide et épuisé.
   Il ne savait plus quoi penser, ni à quoi penser. Tout lui paraissait insensé. Son existence, sa quête. Souhaitait-il vraiment découvrir qui -ou quoi- il était? Et si la réponse n’était pas celle qu’il espérait, si elle n’était pas recevable? Que ferait-il?
   « Comment ne pas craindre un homme pour qui la mort n’est rien? »
   La porte s’ouvrit avec fracas, le faisant sursauter, l’arrachant à ses pensées existentielles. Aussitôt son esprit rationnel reprit le dessus, et froidement il étudia le nouvel arrivant. C’était un homme de haute taille, bien que décharné. Il portait une riche soutane en velours pourpre, et un lourd médaillon en or, représentant un temple, pendait à son cou rachitique. Quelques touffes de cheveux filasses et gris s’obstinaient sur son crâne lisse, et ses traits tirés, rongés par des tâches de vieillesse, rappelèrent à Vizamir ceux d’un vautour. Malgré tout, son pas était alerte, ses gestes sûrs, et il referma le battant avec une expression de franche colère, qui se mua en curiosité dès qu’il aperçut Vizamir ligoté sur sa chaise. 
   -Qu’avons-nous là?, souffla-t-il avec des yeux qui se mirent à pétiller.
   Un peu de salive perla à ses lèvres molles, comme si la vision qu’il avait de Vizamir le mettait en appétit.


Merci d'avoir lu!

Prince du Crépuscule:
Coucou !

Juste un petit message entre deux éternuements pour te dire que j'ai rattrapé mon retard sur la Route, et que j'ai évidemment beaucoup aimé. Non, pas de sémillant pavé pour cette fois, j'ai pas la forme, hélas. :niak:

Je tiens tout de même à préciser que je suis très curieux de la suite des événements, au vu du dernier rebondissement, et que j'ai hâte de voir Vizamir et Skelda de nouveau ensemble. Leur relation me plaît, elle me rend très curieux. Ce sont deux personnages particuliers, singuliers, ce qui rend leur association assez atypique.
De même, je suis avide de connaître de nouveaux détails sur le monde que tu as échafaudé, ayant toujours apprécié ce genre d'informations.

Une question me turlupine néanmoins depuis un petit moment : étant donné la position géographique de l'île de Skarg, ajouté au fait que le froëdar de Skelda n'est pas passé par Ikérias, quelle route l'invasion a-t-elle suivie ? J'imagine qu'ils ont débarqué à l'est, puisque Skelda a vu les murs d'Uru-Ban, mais après j'avoue avoir du mal à comprendre quelle a été leur progression.
Si tu pouvais m'éclairer sur ce point, ce serait sympa, à moins que tu n'aies prévu d'en parler dans un futur chapitre, bien entendu.

A part ça, eh bien... j'attends la suite, tout simplement. Eh non, pas de remontage de bretelles à propos des fautes aujourd'hui, mon message a subi une sacrée cure d'austérité. Et puis je fais que rabâcher les mêmes choses, donc si tu veux tout savoir, je te renvoie à la correction de ton texte du concours (du premier tour, s'entend).

A bientôt et bonne continuation ! :^^:

Doutchboune:
Merci PdC qui m'a remis en mémoire que je devais lire cette suite !

J'aime beaucoup cette prise de conscience de Vizamir, et ce sentiment qui l'habite. Sentiment d'amour violent et exacerbé qui est très bien rendu, au point de se demander sa réelle origine ? N'est-t-il pas alimenté par seulement un besoin de trouver un but ? Un effet d'un premier amour ? Peut-être même un autre attrait moins "naturel" de la guerrière ? Bon, là c'est moi qui m'enflamme, mais sur ce genre de chose, j'ai facilement tendance à le faire. Et de mon point de vue, que ton texte me fasse cette impression est un gage de qualité !

Reste à savoir qui est cet empourpré et ce qu'il lui veut (et ton univers me fait en certains points beaucoup penser à Berserk, tout comme au début, l'histoire dans le village, avec le démon dans l'église), bref, façon de dire que j'attends la suite :niak:

Great Magician Samyël:
PdC ==> Hey! Ca me fait super plaisir de te voir sur ce cher topic, pavé ou non! :) Content que cette Route te plaise en tout cas, et plus spécialement le duo Vizamir/Skelda, puisque l'histoire repose principalement dessus, donc je suis heureux qu'il marche. :niak: Pour ta question ce n'est pas un secret défense, je t'ai fait un petit .png pour pouvoir mieux y voir. Merci d'être passé, ça me fait toujours vachement plaisir. ^^

Doutchy ==> C'est pas la première fois qu'on compare mes oeuvres à Berserk, faudrait que je le lise un jour. :niak: Merci en tout cas, en espérant que la suite continue de te plaire. :)


Sur ce, suite et fin du chapitre IV. Où les choses sérieuses commencent. Bonne lecture!


__________________________________


La Carte de la Route
Chapitre quatrième :
Ikérias
-4e Partie-


-Qu’avons-nous là?, souffla-t-il avec des yeux qui se mirent à pétiller.
   Un peu de salive perla à ses lèvres molles, comme si la vision qu’il avait de Vizamir le mettait en appétit.
   Par tout ce qui est sacré, songea l’intéressé avec un frisson, c’est probablement le cas.
   -Votre Grandeur, expliqua le borgne en venant l’accueillir. Nous sommes absolument navrés de vous déranger si tard dans la nuit, pendant les jeux de Sa Divinité, mais nous avons jugé que l’affaire vous intéresserait.
   -Je dois vous avouer, décurion, que votre tête n’a jamais été aussi proche de se retrouver sur une pique que ce soir, gloussa le prêtre. Mais vous avez bien jugé. Bien, oui, très bien.
   Il se tourna un court instant, repoussant d’un geste sec le chiffon sale. Des lames, des marteaux, des cisailles et des instruments que Vizamir n’aurait su décrire luisirent faiblement sous la lumière des torches. Dans sa cage, le vieillard malade poussa un plaintif gémissement, qui passa inaperçu.
   -Tout est prêt, bien.
   La voix du prêtre évoquait à Vizamir le raclement d’une pierre contre une autre. Un son hautement désagréable, qui ne faisait rien pour arranger la peur primitive qui l’avait saisi à la vue des instruments.
   -J’ai toujours apprécié votre rigueur, décurion. Vous serez récompensés, vous et vos hommes.
   -Nous sommes au service de Votre Grandeur, s’inclina le borgne avec un sourire satisfait.
   -Oui, oui, bien. Amenez la table.
   Le vautour s’approcha du prisonnier à pas lents, se frottant les mains comme un badaud observant une belle marchandise sur un étal. Derrière lui, les deux sous-fifres soulevèrent la table et l’approchèrent suffisamment pour que Vizamir puisse contempler les tâches rougeâtres qui maculaient les lames. Il eut du mal à avaler sa salive.
   -Je suis le Haut-Prêtre Honorius, se présenta le vieil homme avec un sourire de prédateur. Vous êtes accusé de commerce avec les démons, et je suis là pour vérifier le bien fondé de cette accusation, ma foi, fort grave, n’est-ce pas? Quel est votre nom?
   -Vizamir, répondit l’intéressé d’une voix rauque, incapable de détacher son regard des instruments que l’homme aux plaques rouges disposait rigoureusement en arc de cercle, visiblement par ordre de taille.
   -Une bien belle panoplie, n’est-ce pas?, fit Honorius en suivant son regard. J’espère que nous n’aurons pas à nous en servir ce soir, continua-t-il d’une voix qui laissait clairement entendre le contraire. Mais cela, comprenez-le bien, ne dépendra que de vous.
   Vizamir ferma les yeux un court instant. Il transpirait abondamment, à cause de l’air moite, mais surtout à cause de la peur. Il tira pitoyablement sur ses liens, mais ceux-ci restèrent implacablement stoïques. Le décurion apporta un tabouret, sur lequel Honorius s’installa, à la gauche du prisonnier.
   -L’honorable citoyen qui vous accuse, commença-t-il avec un sourire bienveillant, affirme que vous étiez accompagné, par une femme dont la moitié du visage manquait. Il affirme qu’aucun homme ne pourrait survivre à une telle blessure sans en mourir, à moins d’user de magie noire. Niez-vous?
   Vizamir voulait réfléchir, gagner du temps, mais tout ce à quoi il parvenait à penser, c’était ces lames et ces marteaux, sur la table. Ils luisaient faiblement, leur fil parfaitement aiguisé.
   -Je.. Je…
   Le poing ganté de fer du décurion s’abattit sur sa bouche avec une telle violence qu’il fallut qu’un des soldats agrippe sa chaise pour l’empêcher de basculer sur le côté. Du sang coula dans le fond de sa gorge, manquant l’étouffer.
   -Allons, l’encouragea Honorius d’une voix qu’il voulait cajoleuse. Il va falloir parler plus distinctement, Vizamir. Alors, niez-vous?
   -Non, souffla-t-il.
   Un mélange de dégoût et de haine de lui-même s’insinua dans son cœur. Il voulait protéger Skelda, mais il savait que tôt ou tard, la douleur le ferait parler. Et seuls les idiots aimaient souffrir.
   -Où se trouve-t-elle, en ce moment?
   -Je… Je ne sais pas. Nous… Nous nous sommes séparés. Je ne sais pas où elle est.
   Le sourire d’Honorius s’allongea suffisamment pour découvrir ses dents pourries. Il fit un petit signe de tête au décurion, qui détacha les poignets de Vizamir. Ce dernier eut un instant l’espoir insensé que son mensonge était passé, mais lors que le borgne lui prit la main gauche et le força à déplier ses doigts, il comprit qu’il avait tort. Il se mit à se débattre quand l’hommes aux plaques rouges s’empara d’un petit disque percé d’un trou suffisamment grand pour y entrer un doigt.
   -Vizamir. Vous et moi avons une longue conversation devant nous. Et j’aimerais que nous soyons honnêtes l’un envers l’autre. Voulez-vous? Nous savons que votre compagne séjourne à vos côtés au Gai Légionnaire.
   Honorius s’humidifia les lèvres, observant avec des yeux brillants le borgne qui passait l’instrument autour du petit doigt de Vizamir, que les deux autres maintenaient en place.
   -Non, je vous en supplie!, gémit-il pitoyablement, fou de terreur.
   -Vizamir, il faut que vous compreniez qu’être honnête avec moi vous épargnera bien du tourment. 
   -J’ai compris! J’ai compris, pitié, j’ai compris!
   Aussi clairement qu’il entendit le « tchak », il ressentit la perte de son membre avec une acuité surnaturelle. Son doigt sectionné roula sur le sol souillé en même temps qu’un hurlement de douleur s’échappait de sa gorge. Ses muscles se contractèrent, et il frappa le sol de ses talons comme un possédé. Du sang, son sang!, s’échappait de la plaie nette à gros bouillons, éclaboussant les pierres et ses pieds.
   Un long moment passa avant que la douleur s’estompât suffisamment pour qu’il cesse de hurler.
   -Vous n’avez pas à subir tout ceci, Vizamir, reprit Honorius. C’est si simple. Il suffit de me dire la vérité.
   Le borgne passa son annulaire dans l’orifice de l’instrument.
   -Une question simple maintenant, Vizamir. Qu’êtes-vous venu faire à Ikérias?
   Sa réponse mourut sur ses lèvres, lorsque le vieillard fiévreux se releva soudainement sur ses pieds, le corps arqué, la tête tirée en arrière. Ses yeux se révulsèrent, et sa bouche s’ouvrit sur un cri épouvantable, contre-nature.
   -Par Maaz’Dhun, s’agaça Honorius en se retournant.
   Mais ses yeux s’agrandirent autant que ceux de Vizamir et des miliciens, lorsque le corps rachitique du vieil homme se mit à trembler comme une feuille agitée par la tempête. Il tomba à genou, et une écume rougeâtre perla à ses lèvres. Et soudain, son squelette « implosa », ne laissant derrière lui qu’un sac d’os et de peau flasque, au moment même où une ombre jaillit de sa bouche. Une créature de ténèbres se redressa lentement, dardant deux yeux jaunes, ronds et luisants sur Vizamir.
   C’était une caricature d’homme, un être aux membres décharnés, voûté, le crâne déformé. Un murmure d’un autre monde s’éleva, et la créature fit un pas maladroit, puis un autre, titubant sur ses jambes frêles. Elle traversa les barreaux comme si elle n’avait aucune matière. Le décurion fut le plus prompte à réagir. Lâchant Vizamir, il dégaina son épée usée et frappa un coup violent. Son arme traversa le crâne de l’apparition sans effet probant. Puis cette dernière se ramassa sur elle-même, formant une flaque, puis elle bondit et plongea dans la bouche ouverte de l’homme.
   Ce dernier lâcha son épée qui rebondit sur le sol avec fracas, et il fit un pas en avant, halluciné, puis un autre, et il se mit à fondre. Sa chair dégoulinait le long de ses os qui s’effritaient, ne laissant derrière eux que la créature, plus grande, plus épaisse, plus forte. Elle se baissa pour ramasser l’épée, et lorsqu’elle se redressa, on pouvait deviner une barbe sur son menton, et un casque à corne sur son front.
   Terrorisés, les deux soldats survivants tirèrent leurs armes sans conviction, tétanisés par ce qui était arrivé à leur chef. Honorius était tombé de son tabouret et rampait sur les fesses, récitant des prières vaines à ses dieux. Vizamir s’était figé, sourd à la douleur qui pulsait dans sa main. Il se tenait à quelques centimètres à peine du monstre,  et il pouvait sentir son souffle méphitique. Mais ce dernier ne s’intéressa pas à lui. Avec sa démarche d’ivrogne, il tituba vers les deux soldats, son arme s’agitant au bout de son bras comme un poids mort.
   Avec un cri couplé de sanglots, le vérolé frappa trois coups de son gourdin, trois coups qui ne stoppèrent nullement la créature. Elle l’attrapa à la gorge, et lui enfonça son épée dans le ventre. Le dernier milicien n’essaya même pas de se défendre, préférant se recroqueviller sur lui-même ses bras au dessus de la tête pendant que la lame du spectre s’enfonçait dans son crâne avec difficulté. Sans plus de considération, la créature essaya de déloger l’arme de son carcan d’os, mais visiblement pas assez forte, elle renonça, tournant son attention sur Honorius, qui se remettait, tremblant, sur ses pieds. Ses yeux exorbités lançaient des regards affolés autour de lui, dans l’espoir de trouver quelque chose, n’importe quoi, qui pourrait lui sauver la vie.
   -A… Arrière, monstre!, hurla-t-il en brandissant son médaillon, croyant peut-être que ses dieux le protégeraient.
   Mais aucun éclair vengeur ne frappa l’être de ténèbres lorsque ses doigts se refermèrent sur la gorge maigrelette d’Honorius jusqu’à s’enfoncer dans la chaire molle. Des larmes silencieuses se mirent à rouler le long des joues de Vizamir. Alors qu’il avait dorénavant les mains libres, l’idée de se détacher ne lui avait même pas traversé l’esprit. Il ne pouvait que contempler, empli d’effroi, la scène irréelle qui se déroulait devant lui. Une partie détachée de lui nota que la femme, dans sa cage, n’avait pas bougé, que ses yeux semblaient irrémédiablement fixés sur lui.
   Lorsque les borborygmes d’agonie d’Honorius cessèrent, l’apparition se tourna vers Vizamir, ses yeux luisants, sphériques, brillant comme de petits soleils dans cet amas vaseux d’ombres et de ténèbres. Une matière noire et visqueuse s’écoulait de son corps à chacun de ses mouvements, décharnant un peu plus à chaque seconde sa silhouette déjà squelettique. De sa démarche titubante, faible et hagarde, elle s’approcha, répandant son humeur noire à sa suite. Sa mâchoire inférieure se détacha et tomba au sol en se disloquant. Ce qui ne l’empêcha pas de murmurer d’une voix démoniaque, d’outre-monde.
   Au bout de la Route, Caelach, là où les ombres et les morts et les rêves gisent sous les tumulus de glace et de neige. Je t’attends, Caelach. La Route t’attend.
   Un souffle méphitique, purulent, s’abattit sur le visage de Vizamir, le faisant tressaillir. Il sentit son moignon de doigt qui cicatrisait à une vitesse surnaturelle, irradiant dans sa main mutilée une douleur ardente. L’être vacilla, sa jambe gauche implosant. Il s’effondra au sol dans des projections d’humeurs malignes, et il rampa avec son dernier bras, son torse déchiré suivant péniblement. Ses yeux disparaissaient sous la matière noire.
   Je… t’attends… Caelach.
   Et dans ce dernier murmure, la chose disparut, ne laissant derrière elle qu’une mare d’ichor ténébreux et fumant. Sonné, choqué, abasourdi, Vizamir défit ses liens et se leva péniblement, sur des jambes mal assurées. Il ne put faire qu’un pas avant d’être tordu en deux par un violent rejet de bile qui le laissa le souffle court.
   Les yeux de la femme, dans sa cage, le suivirent silencieusement tandis qu’il quittait cet antre du cauchemar.


Merci d'avoir lu!

Doutchboune:
Bon, j'ai pas le temps de détailler, et si je poste pas maintenant, je vais oublier de le faire. J'essayerai d'éditer plus tard, mais je vais juste dire que la scène est bluffante, prend bien aux tripes, et pauvre Vizamir. Mais qui est-il ?

Vivement la suite !

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