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La Tour du Rouge : [Random | Très court] Sans titre #1
raphael14:
Ah, ça faisait longtemps que je n'étais pas venu commenter ici, il y a du laissé aller. Il va falloir mettre bon ordre dans tout ça d'autant plus qu'il y a de la matière pour faire un bon commentaire bien indigeste.
Bon, c'était trop beau pour durer, il fallait nécessairement que le sang coule de nouveau, mais au moins, je suis rassuré sur ta santé : tu es identique à toi-même (pas sûr que sois un signe de bonne santé, d'ailleurs). En tous cas, aujourd'hui c'est offre promotionnelle : trois massacres pour le prix d'un. Une boucherie fratricide bidon et "héroïque", une boucherie fratricide moins glorieuse et des déserteurs concupiscents qui tuent d'honnêtes paysans. Bon, je crois que je vais cesser de commenter ton catalogue d'horreurs, ça n'apporte plus rien de constructif et puis ça fait partie de ta patte.
Maintenant causons un bon coup de l'univers qui commence à émerger pièce par pièce sous nos yeux : Uru-Ban, Skarg, Ponth’Hylïan. Tout me semble avoir été minutieusement préparé tant c'est précis. J'adore cette précision, ces fragments disséminés ça et là, ça donne du corps à ton histoire en faisant du monde que tu crées autre chose qu'un simple toile de fond lisse et convenue. Un pays mystérieux qui vit en totale autarcie à la manière du Japon de l'époque d'Edo, une autre pays Ponth’Hylïan où dort des connaissances qui pourraient éclairer Vizarim sur sa propre nature.
D'ailleurs ce nom : Ponth’Hylïan, il me dit vaguement quelque chose mais quoi ? Ponth’Hylïan...
Il est maintenant temps de nous pencher sur le cas Vizarim. Un personnage principal bien énigmatique avec un passé extrêmement trouble. Il a eu l'immense privilège d'entrer en Uru-Ban et a roulé sa bosse un peu partout. Mais les dernières paroles de Skelda m'ont vraiment éclairé sur Vizarim.
J'avais remarqué que Vizarim semblait assez indifférent aux massacres qui l'entouraient, mais ce que je prenais pour une forme mécanisme d'autodéfense de que du nihilisme : la mort n'est vraiment rien pour lui donc ça ne lui pose aucun problème de voir des innocents mourir tout comme tuer le laisse de marbre.
Je comprends Skelda quand elle dit que Vizarim lui fait peur ; si la mort n'est rien ça autorise des tas de trucs bien glauques voire carrément absurdes et/ou insupportables.
En tout cas, je suis toujours aussi captivé par ce récit certes sanguinolent mais qui a le mérite d'être prenant. Vivement la suite.
Great Magician Samyël:
Raph' ==> Ce ne sont pas des horreurs, simplement la dure, froide et lucide réalité d'un monde sur le déclin. ;D Je suis content que l'univers de la Route, du moins ce que tu as pu en voir pour le moment, te plaise. Et si tu aimes ce genre de détails, tu devrais être satisfait par ce chapitre quatrième qui arrive. :) Effectivement, Ponth'Hÿlian est bien un petit clin d'oeil à notre (ex) saga préférée. En tous les cas merci d'être passé commenté, ça me fait toujours vachement plaisir! :^^:
Sur ce, après une petit absence, voici le début du chapitre quatrième, dans lequel on arrive en ville. Le rythme devrait repartir comme d'habitude.
Bonne lecture!
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La Carte de la Route
Chapitre quatrième :
Ikérias
Vizamir parvint à récupérer les autres montures encore en vie, pendant que Skelda s’occupait de dépouiller les cadavres. Elle récupéra quelques couronnes impériales en argent, quelques piécettes en cuivre, deux épées longues dont elle s’équipa ainsi que deux cottes de maille à sa taille qu’elle enfila par-dessus sa tunique de fourrure. Elle en profita également pour remplacer ses bottes trop petites par d’autres plus adaptées.
Ainsi harnachée, il était difficile de voir en elle autre chose qu’une guerrière féroce et brutale. Ils laissèrent les corps derrière eux, au milieu de la route. Vizamir ne croyait pas en l’au-delà et au repos des âmes : pour lui, la mort renvoyait l’être à la poussière, ni plus ni moins. Quant à Skelda, elle crachait volontiers sur le Panthéon impérial et n’avait que faire de l’ultime demeure de ses ennemis.
Ils ne parlèrent plus de l’incident. A vrai dire, ils ne parlèrent plus du tout. Chacun restait isolé dans un mutisme pensif qui les arrangeait tous deux. De toute manière, l’équitation n’était pas des plus appropriée pour tenir une conversation. Lors des repas, ils mangeaient en silence, ne communiquant qu’au strict minimum. La nuit, ils échangeaient les tours de garde sans mot dire. Ce climat pesa rapidement à Vizamir, mais il avait du mal à digérer les propos de la Skarg. « Comment ne pas craindre un homme pour qui la mort n’est rien? ».
Ce qui lui faisait le plus mal, c’est qu’elle avait raison. D’aussi loin qu’il se souvenait, il avait toujours tué sans arrière-pensée, sans remord. Il avait tué parce qu’il le devait, rien de plus. Pour se protéger, pour protéger quelqu’un, la raison importait peu. Il ne s’interrogeait jamais sur ses victimes. Avaient-elles une famille? Des rêves? Des aspirations? A vrai dire il s’en fichait pas mal. Pour lui la majeure partie des humains n’était rien d’autre que des créatures rustres, égoïstes et effrayées. Il s’en souciait comme d’une guigne.
Malgré tout, il était agacé que Skelda pensât cela de lui.
Skelda. Il n’arrivait pas à comprendre comment cette femme était entrée dans sa vie si rapidement, si soudainement et si intensément. En à peine quelques jours, ils avaient déjà tellement partagé. Des repas, des histoires, du chemin, un combat… Il lui avait même révélé le but de sa quête! Une chose qu’il n’avait jamais osé partager avec quiconque auparavant. Et pourquoi avec elle? Ce n’était qu’une guerrière! Une… barbare brutale et païenne, une humaine défigurée dont la vie ne tenait qu’à de la magie noire!
Et pourtant. Il se sentait triste lorsqu’il imaginait qu’elle le quittait pour suivre sa propre route. Pour Vizamir qui avait d’abord songé, le jour de leur rencontre, à l’achever, puis à la semer à la première occasion venue, il ne pouvait plus supporter l’idée de se séparer d’elle. Peut-être avait-il trop longtemps vécu en solitaire, à arpenter inlassablement toutes les routes du continent, mais il avait trouvé en elle une compagne agréable, une compagnie apaisante.
Un flot d’émotions relativement inconnu au froid Vizamir le secouait intérieurement. Et cela le perturbait. Il n’avait jamais éprouvé quelque chose pour quelqu’un auparavant, et il n’était pas certain de ce que cela pouvait être. De l’amitié sans doute. Il n’avait jamais eu d’ami auparavant. La nuit, lorsqu’il la regardait dormir à la faveur de leur feu de camp, il s’imaginait blotti contre elle, partageant leur chaleur respective pour lutter contre le froid de ces maudites contrées. Et il appréciait cette pensée.
Finalement, deux jours après l’incident sur la route impériale, les hautes murailles d’Ikérias apparurent à l’horizon. Leurs montures fraîchement acquises leurs avaient épargné de longs jours de marche. Et les provisions récupérées dans le chariot de Gerold avait évité à Vizamir la corvée de chasse.
Skelda poussa un juron et écarquilla l’œil lorsqu’elle aperçut la cité. Elle avait pillé quelques villes, lors de sa campagne dans le sud, mais aucun d’entres-elles ne possédait le dixième de la superficie de la capitale impériale. Ikérias était une métropole gigantesque, bâtie autour de l’Ikerum Castrum, la première forteresse que les Ikévarois érigèrent lorsque les tribus furent unifiées par le premier roi Angyas, des siècles auparavant. A l’origine la ville s’était développée de façon anarchique, chaque seigneur et petit noble y faisant ériger son manoir ou sa demeure familiale là où il le pouvait.
Cependant lorsque les Balciniens débarquèrent en Ikévir, ils apportèrent avec eux l’architecture, la géométrie et l’art. Le roi Ikévarois de l’époque fut séduit, et ordonna d’importants travaux de ré-édification. La majeure partie de la cité fut détruite, au profit d’un tracé bien déterminé laissant peu de place à l’anarchie. L’Ikerum Castrum, aujourd’hui le palais impérial, fut gardé comme épicentre de la ville. Deux grands axes furent tracés, se coupant perpendiculairement au niveau du palais. Chaque autre rue fut pensée parallèlement à l’un de ces axes, et les anciennes demeures grossières furent normalisées. Et bien que cela n’arrêta en rien l’expansion démesurée d’Ikérias, cela prodigua à la cité une renommée à travers le continent, qui contribua à détruire l’image de barbarie que les Chizellites et les Faltmössys associaient aux Ikévarois, permettant ainsi l’édification de l’Empire des Trois.
Ikérias était le point de départ de la route impériale, qui se répandait à travers tout l’Orientir jusqu’aux mid-lands en partant des quatre portes de la cité, situées aux points cardinaux, au bout des grands axes. Vizamir n’avait que peu de considération pour les impériaux, mais Ikérias ne cessait de l’impressionner, chaque fois qu’il y venait.
En temps de paix, la ville était déjà la proie à un fourmillement massif de travailleurs, de marchands, de voyageurs en tous genres. Mais ce jour là, la section méridionale de la route impériale était littéralement noire de monde. Vizamir et Skelda la contemplait depuis le sommet d’une petite colline, et ils avaient le sentiment d’observer un long serpent noir et mouvant. Un flot de réfugiés, fuyant l’horreur des combats pour trouver un abris sûr dans la capitale. Cependant, des cavaliers remontaient et descendaient la colonne, clamant que la guerre était finie, que l’envahisseur reculait, que l’Empire avait vaincu. Et les paysans, d’abord indécis, finirent par tourner les talons et repartir d’où ils venaient, poussant des exclamations de joie, acclamant le nom de l’Empereur Valter.
-Que célèbrent-ils?, demanda Skelda.
-La fin de la guerre.
Skelda s’éclaffa.
-Si je n’avais pas été trahie, ils seraient tous derrière leurs hauts murs, à trembler comme des femmes en contemplant mon froëdar.
Vizamir doutait que les Skargs eurent été en mesure d’assiéger Ikérias et de vaincre, mais il n’émit aucun commentaire. Peut-être la guerrière le réalisait-t-elle aussi, car malgré sa fanfaronnade, sa mine s’assombrit. Lorsqu’ils regagnèrent la route impériale, celle-ci était déjà presque vide. Des centaines de détritus divers jonchaient les pavés, que des prisonniers s’employaient déjà à ramasser sous la surveillance étroite d’un peloton de soldats.
Quatre gardes s’occupaient de réguler le trafic à la porte sud, et l’un d’entre eux se détacha du groupe lorsque Vizamir et Skelda s’approchèrent.
-Halte-là, étrangers! Déclinez le motif de votre visite.
-Nous ne sommes que de passage, expliqua Vizamir, se voulant le plus aimable possible. Nous ne souhaitons rien d’autre que dormir dans un bon lit avant de reprendre notre voyage.
Le factionnaire les observa en plissant les yeux. Vizamir craignit un instant qu’il ne leur refusât le passage, car il devait avouer qu’ils constituaient un couple pour le moins bizarre. Le regard du garde s’attarda plus longuement sur le visage de Skelda, mais Vizamir ne parvint pas à déterminer pourquoi. Cependant il fut soulagé lorsque le soldat leur fit signe d’avancer.
-C’est bon, circulez. Ne faites pas de grabuge et tout ira bien. La loi impériale interdit le port d’armes de guerre au cœur de la cité, je vous suggère de ranger ces épées dans vos paquetages. Je vous conseille l’auberge du Tribun Joyeux, les prix sont corrects et les draps propres.
-Merci, officier, répondit Vizamir en hochant la tête.
Ce dernier détestait les grandes villes. Et ce sentiment se renforçait chaque fois qu’il en pénétrait une. A peine eut-il franchit l’arche de la grande porte qu’il eut l’impression de plonger dans une véritable mare humaine. Des odeurs puissantes de sueur, de détritus et de misère agressèrent son odorat développé, et son ouïe frémit sous les assauts des cris des marchands, des rires et des pleurs des enfants, du brouhaha des conversations.
Skelda ne réagissait pas, mais son œil volait de droite et de gauche, observant tout, vif ; elle était prête à réagir au moindre danger. Vizamir oubliait parfois qu’elle se trouvait en pays ennemi, et qu’elle serait probablement capturée et tuée si on découvrait sa véritable identité. Tout à coup, il prit conscience qu’avoir amené la Skarg dans la capitale était probablement une très mauvaise idée. Il leur faudrait partir au plus vite.
Ils remontèrent l’axe sud et s’arrêtèrent à la première écurie qu’ils trouvèrent. Vizamir y vendit les deux chevaux de trop qu’ils possédaient, et en tira trois couronnes impériales en or -bien plus qu’il n’avait espéré. Forts de cette nouvelle richesse, ils bifurquèrent vers la gauche, quittant la route principale pour s’aventurer dans les petites rues labyrinthiques d’Ikérias. Vizamir les guida jusqu’à une petite auberge proprette, portant l’insigne du « Gai Légionnaire ». Ce n’était pas qu’il ne faisait pas confiance au garde de l’entrée, mais chaque fois qu’il séjournait dans la capitale, il passait ses nuits dans cette auberge. Il connaissait le tenancier suffisamment bien pour savoir qu’il y serait bien accueilli.
-Nous passerons la nuit ici, expliqua-t-il après s’être assurée qu’aucune oreille indésirable ne pourrait les entendre. Je… j’ai besoin que tu sois discrète. Il en va de ta vie. Si on découvrait qui tu es…
-Je comprends, affirma la guerrière.
-Bien.
Ils laissèrent leurs montures dans la petite écurie de l’auberge, et entrèrent.
Merci d'avoir lu!
Doutchboune:
Bon ben je m'y suis enfin mise, depuis le temps, à cette route du nord, et je regrette pas. Bon, comme toujours, tu appesantis un peu sur des scènes bien glauques, douteuses et horribles, mais on va dire que c'est ta patte^^ Mais bon j'ai lu que tu allais surement remanier la scène du loup, qui est, je dois admettre, présentée de manière assez brutale. Après, au vu de sa guérison miraculeuse, rien n'était vraiment anodin, mais oui, il doit y avoir une manière moins crue de le montrer. Enfin, bon globalement, c'est du tout bon (à part quelques petites fautes de ci de là), j'aime beaucoup.
On s'attache aux deux protagonistes, on en apprend sur eux au fur et à mesure, comme sur le monde qui les entoure, et tout ça est vraiment bien amené. Je vais faire court, parce que je suis pas douée en critique littéraire, mais je tenais tout de même à dire que j'avais beaucoup aimé ce récit, et que j'espère que tu permettras de lire la suite ! :)
EDIT : je viens de lire ton texte du concours, et j'aime beaucoup cette petite préquelle à Triangle :^^: Bravo !
Great Magician Samyël:
Doutchy ==> Ca me fait super plaisir de te revoir dans le coin! :D Qu'est-ce que tu deviens? Je suis content que cette Route du Nord te plaise en tous les cas, et oui, il faut croire que le gore et l'horrible me sont irrémédiablement collés à la peau. :( Pour la scène du loup je compte effectivement la remanier, voire la supprimer, si je parviens un jour à faire éditer la Route. C'est la première fois qu'une scène que j'ai écrite me dérange moi même, c'est dire. Je devais être en transe le jour où je l'ai écrite. (En fait si je me souviens bien j'attendais la fin d'un DS d'éco un peu long et chiant, ça a pu jouer.) J'espère que la suite te plaira aussi, et sans trop me mouiller, je pense qu'on reverra Triangle de Haine dans très peu de temps par ici. :astro: Merci pour ton commentaire, il m'a fait bien plaisir. :^^:
Sur ce, la suite du chapitre 4 de la Route, dans lequel on prend un cours d'histoire.
Egalement, j'ai commencé à réparer le sommaire du premier post. A l'heure actuelle, tout ce qui touche au Triangle est opérationnel, j'en ai également profité pour rajouter deux nouvelles en lien, La Pièce d'Argent et Tarquin le Tambourin, que vous pouvez retrouver sur le sommaire du premier post. Je vais réparer le reste petit à petit dans les jours à venir, mais comme vous pourrez vous en rendre compte en naviguant un peu dans les pages, le passage à la v7.5 du forum a supprimé le contenu de beaucoup de mes post sur le topic, dont beaucoup de chapitres de plusieurs histoires. Donc ça va me prendre un peu de temps. J'en profite pour remercier chaleureusement Hope qui me donne un coup de main pour réparer les balises. :)
Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture!
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La Carte de la Route
Chapitre quatrième :
Ikérias
-2e Partie-
La salle commune était plutôt vaste, mais bondée de monde comme elle l’était présentement, elle paraissait minuscule. Des dizaines de clients s’entassaient sur une poignée de tables et presque autant de chaises, tandis que deux serveuses essoufflées zigzaguaient entre les buveurs pour servir les commandes. Le « Gai Légionnaire » n’était pas un établissement de renom, mais la guerre pouvait transformer n’importe quel bouiboui en place de luxe.
Vizamir se fraya un chemin parmi la foule, suivi tant bien que mal par Skelda. Après quelques bousculades et pas mal d’excuses, il parvint à atteindre le bar, où un homme dans la trentaine, longs cheveux filasses et barbe mal rasée, jonglait entre son torchon et ses tonnelets de bière. Lorsque son regard se posa sur les deux nouveaux arrivant, son visage s’illumina.
-Ca par alors!, s’exclama-t-il. Si ce n’est pas ce vieux Vizamir!
-Salut, Ryan, répondit l’intéressé sur un ton plus réservé.
Vizamir connaissait Ryan depuis près de dix ans. Lors de leur première rencontre, le tenancier n’était qu’un jeune Westrÿosi l’esprit plein de rêves et d’aventures. Le « Gai Légionnaire » ne lui appartenait pas alors ; c’était un bouge piteux et bon marché. Ryan y faisait la plonge et récurait les sols pour être nourri tout en gagnant un peu d’argent, pour repartir sur les routes. Cependant, l’année suivante, lorsque Vizamir, sur le retour d’Uru-Ban, s’arrêta de nouveau au « Gai Légionnaire », le jeune homme avait connu une promotion fulgurante, passant de simple souillon à gérant de l’entreprise. Il expliqua à Vizamir que le précédent propriétaire s’était fait arrêté par la garde pour dettes non payées, et puisque personne n’était venu réclamer l’auberge, il l’avait reprise à son compte.
Vizamir devait avouer qu’il s’en était parfaitement bien sorti.
-Qu’est-ce que tu deviens, vieille branche?, demanda Ryan en lui servant une pinte de mousseuse. Ca doit bien faire, quoi?… Deux ans qu’on a pas vu tes oreilles pointues trainer dans les parages.
-Tu sais comment va la vie. On ne fait pas toujours ce que l’on veut.
-A qui le dis-tu? Regarde moi. Je rêvais de femmes, de prouesses et d’aventures, et me voilà à me remplir poussivement les poches sur le dos de tous ces malheureux réfugiés.
La plaisanterie arracha un sourire à Vizamir.
-Je vois que tu n’as rien perdu de ta bonne humeur légendaire.
-Jamais. Comme disait mon paternel, « c’est pas en faisant la gueule qu’on fera sourire la chance. » Mais je vois que tu n’es pas seul. Hmm, plutôt inhabituel… mais pas déplaisant. Tu ne me présentes pas à la demoiselle?
Vizamir se tourna vers Skelda. Cette dernière avait réussi à masquer sa cicatrice derrière ses cheveux, ce qui gommait, plus ou moins, tous les défauts de son visage. Elle semblait essayer de suivre la conversation entre les deux hommes… sans succès.
-C’est… compliqué, Ryan, souffla Vizamir avec un ton sérieux. Est-ce qu’il te resterait une chambre?
-Pour un ami, toujours, répondit le tenancier en agrippant une clé derrière lui. Dernière à gauche au fond du couloir. Si on me demande, je vous ai pas vus.
Vizamir appréciait l’intelligence de cet homme, qu’il savait dissimuler derrière son entrain bon enfant. En gage de remerciement, il laissa une couronne d’or sur le comptoir -peut être vingt fois le prix normal de la chambre. Ryan l’empocha discrètement en hochant la tête.
Ils luttèrent pour atteindre l’escalier, mais trouvèrent le premier étage étonnamment désert. Leur chambre était relativement spacieuse pour un établissement de ce genre, et offrait le confort de deux lit individuels ainsi qu’un âtre dans lequel un jolie feu crépitait joyeusement, réchauffant la pièce pour le plus grand bonheur de Vizamir. Une large cuve en bronze terminait le mobilier, jouxtée par un tabouret où reposait un pain de savon et une serviette pliée.
-Que fait-on, attaqua Skelda en s’asseyant sur le bord d’un lit sitôt que Vizamir eut fermé la porte.
-Pour le moment, rien, répondit l’intéressé en déposant son arc, son sac et ses dagues dans le coin de la pièce au pied de son propre lit. J’entends savourer un long repos, agrémenté d’un bon repas chaud.
-Un programme hautement intéressant.
Malgré tout, la Skarg sombra dans le sommeil sitôt sa tête posée sur l’oreiller, remplissant la pièce de ses légers ronflements. Vizamir l’observa un long moment, admirant les contours de ses traits, le tracé de ses lèvres légèrement mauves. Il finit par se passer une main sur le visage et s’endormit à son tour.
Il se réveilla au crépuscule. Le feu n’était plus que braises fumantes dans l’âtre, et l’obscurité avait commencé à envahir la pièce. Il pouvait voir quelques étoiles depuis la fenêtre, apparaissant les unes après les autres sur le ciel zébré de pourpre et d’or rouge. Skelda sommeillait toujours, lui tournant le dos. Sans bruit, il se leva, chaussa ses bottes et passa ses dagues à sa ceinture puis sortit de la pièce en prenant soin de refermer la porte le plus doucement possible.
Il trouva la salle commune étrangement vide. Il n’y avait plus un client, alors qu’en temps ordinaires, c’était à cette période de la journée, une fois le labeur fini, que les travailleurs et les petites gens venaient dépenser leurs quelques sous durement gagnés. Ryan était assis dans un confortable fauteuil devant la vaste cheminée en pierre, une couverture posée sur ses jambes tendues. Il fit signe à Vizamir de le rejoindre.
-Les Skargs ont attaqué, que tout le monde a décampé?, demanda l’intéressé en tirant une chaise devant le feu.
-Les dieux nous en préservent, mon ami. Non, ce soir l’Empereur a organisé des jeux nocturnes pour célébrer la victoire. Toute la cité peut y participer, pour peu qu’on trouve une place.
-La victoire, hein?
Vizamir repensa à ce que lui avait raconté Skelda, à la trahison de ses hommes. Où se trouvaient-ils, à présent? Avaient-ils déjà regagné la côte et embarqué dans leurs long bateaux, leurs cales remplies de richesses et de prisonniers?
-La victoire, répéta le tenancier en portant sa choppe de bière à ses lèvres. Je regretterais presque que la guerre soit finie. Elle m’a fait gagné tant d’or que je pourrais vivre avec le ventre plein jusqu’à la fin de ma vie sans devoir m‘occuper de l‘auberge, si je le voulais.
-Je suis content pour toi.
-Et moi donc. Mais je ne suis pas le seul a avoir gagné quelque chose de cette guerre, hein?, fit Ryan d’un ton lourd de sous-entendus, un sourire goguenard sur les lèvres. Un sacré petit lot, cette Skarg.
-Je savais qu’elle serait trop reconnaissable, soupira Vizamir. Personne n’a les cheveux rouges, par ici.
-Bah, rétorqua l’aubergiste d’un mouvement flasque de la main. Ces impériaux ont tellement les yeux braqués sur leur nombril qu’ils seraient incapables de faire la distinction entre un semi-homme et un cul de chèvre. J’ai entendu parler de prêtresses, à Balcino, dont les cheveux sont comme des flammes. Si jamais on te demande, ta Skarg est une Balcinienne. Où tu l’as trouvée? Une déserteuse?
-Si seulement.
-Je n’ai pas beaucoup entendu parler de femmes guerrières, reconnut Ryan. On raconte qu’à Skarg les femmes sont aussi destinées à faire la cuisine et pondre des marmots, comme par ici. A part cette sanguinaire de Skelda, les soldats qui revenaient du front ne parlaient jamais de…
Il s’interrompit soudain, semblant réaliser quelque chose.
-Attend. Ne me dit pas que cette fille, c’est… Enfin... Tu vois, quoi?
-J’en ai bien peur, répondit Vizamir en s’absorbant dans la contemplation des flammes.
-Par les douze colonnes du Panthéon, souffla Ryan en s’enfonçant dans son siège. La reine des ces barbares, la femme qui refile des cauchemars à l’Empereur lui-même, qui a saccagé tout l’Orientir. Et elle est ici. Sous mon toit. Dans mes lits. Ho, Dieux, ho Dieux…
-Elle n’est pas reine, corrigea Vizamir. Ses hommes l’ont trahie et laissée pour morte. Je l’ai trouvée.
-Et tu ne l’as pas achevée.
-A quoi bon? Elle pense que son dieu l’a épargnée pour accomplir une mission en son nom. Elle pense qu’elle me doit la vie, et qu’elle doit m’accompagner jusqu’à ce que sa dette soit payée.
-Et toi, tu l’as amenée droit dans la gueule du loup, chuchota Ryan en jetant un regard derrière son épaule. Elle est en danger ici, Vizamir. Si on découvre son identité, elle ne verra jamais le soleil se lever une nouvelle fois.
-Je le sais, répliqua Vizamir en fronçant les sourcils. Mais je n’ai pas le choix. Il n’y a plus une ville au sud d’Ikérias en mesure de nous ravitailler. Je ne compte pas rester plus de quelques jours. Nous serons vite partis.
-Je l’espère, mon ami, je l’espère.
Vizamir prit congé après avoir rassuré Ryan une dernière fois, et lui avoir laissé une note couverte de runes Skarg à remettre à Skelda à son réveil. Cependant, lorsqu’il s’enfonça dans les ruelles suintantes de la capitale, que recouvrait lentement le linceul ténébreux de la nuit, il ne pouvait s’empêcher de jeter des coups d’œil suspicieux derrière son épaule, pour s’assurer que personne ne le suivait. Il s’arrêtait chaque fois que ses oreilles pointues percevaient un son, le « ploc » d’une goutte d’eau s’écrasant dans une flaque croupie, le cri du vent dans un volet, les pas d’une silhouette titubante dans une ruelle transversale…
Alors que les ténèbres projetaient leurs longs doigts fins sur lui, il eut bientôt l’impression déroutante d’être seul dans la cité. Une ombre perdue dans un labyrinthe d’allées obscures, de murs aveugles, de fenêtres closes. Un vent timide soufflait, faisant voleter les bords de sa pelisse de loup, lui donnant des frissons. Il avait la sensation qu’on l’observait, bien qu’il n’arrivât jamais à trouver un observateur où qu’il se tournât. Il allongea ses pas, son cœur accélérant en cadence, et un soupçon d’angoisse l’assaillit.
Au loin, il entendait une sourde et basse clameur, comme le grondement d’une énorme et terrible bête. Il pouvait apercevoir de vacillantes petites lumières, autant de torches brûlant sur les murs du colisée où se déroulaient actuellement les jeux organisés par l’Empereur. Des jeux brutaux et barbares, des matchs à morts entre des prisonniers affamés, des confrontations sanglantes entre gladiateurs professionnels, sans oublier les célèbres combats contre les animaux sauvages. Vizamir avait déjà eu l’occasion d’assister à ce genre de spectacle, il y avait quelques années de cela, à Faltmöss. Il n’en gardait pas un souvenir joyeux.
Cela faisait partie des nombreux paradoxes de la société impériale. L’Empire s’était élevé de la boue au fil des siècles, en vampirisant les connaissances et la science des peuples autours de lui. L’agriculture et l’élevage des Malmoréens à l’ouest, à l’aube de la civilisation lorsque l’Empire ne comptait que la petite cité de Faltmöss, puis l’architecture et l’art de l’acier incroyable des premiers chevaliers Westrÿiens, arrachés avec hargne après de longues guerres successives depuis longtemps oubliées. Puis le Royaume de Malmore avait sombré, implosant de lui-même, succombant à son propre pouvoir, tandis qu’à l’est Ur bâtissait son mur. Enfin, les marchands et les navigateurs Balciniens avaient accosté en Orientir, et hissé Ikérias en maîtresse absolue de l’Empire.
Et malgré tout ce savoir, toute cette science, toute cette civilisation, les impériaux entretenaient avec joie des traditions barbares et cruelles : combats à mort, esclavagisme (bien que ce dernier soit officiellement prohibé dans l’enceinte d’Ikérias) et la dette du sang, qu’ils partageaient, sans le savoir, avec les Skargs. Quant à leur Panthéon, cet assemblage hétéroclite de dieux plus violents et obscurs les uns que les autres, il n’avait rien à envier aux cultes primitifs des semis-hommes. En fait, plus il y réfléchissait, plus Vizamir détestait l’Empire. Il avait longtemps songé qu’il n’éprouvait que du mépris pour l’humanité, mais à la lumière des derniers jours, il comprenait que cette haine diffuse, il ne l’éprouvait qu’à l’encontre des impériaux.
Les Westrÿosis n’étaient pas radicalement différents, descendants des mêmes peuplades barbares, mais leur société s’était édifiée sur l’honneur et la loyauté due au souverain ainsi que sur les leçons enseignées par la chute des Malmoréens. Les Balciniens ne vivaient que pour la richesse et l’esthétisme, mais chez eux, chacun avait sa chance, peu importait sa condition ou sa naissance, et rien n’était acquis d’avance. Une société qui récompensait le travail et la prise de risque. Les îliens de la baie de Korsk, eux, étaient plus renfermés, distants, autarciques, mais pour qui avait réussi à s’intégrer, ils devenaient comme une seconde famille.
Quant aux Skargs… Et bien Vizamir devait reconnaître qu’il n’en avait encore jamais rencontré avant Skelda et Skelda… et bien, Skelda lui laissait une impression positive. Très positive. Peut-être trop positive, à la réflexion. Il grogna en fermant les yeux pour la chasser de ses pensées, mal à l’aise à l’idée de la place qu’elle prenait de plus en plus dans sa vie, alors qu’elle ne faisait rien de particulier pour.
« Comment ne pas craindre un homme pour qui la mort n’est rien? »
Ils étaient quatre. Trois de trop. L’homme qui l’attrapa vivement à l’épaule mourut avant d’avoir pu ouvrir la bouche, la dague de Vizamir plongée profondément dans le bas ventre. Le deuxième à se présenter devant lui, visage casqué masqué par la nuit, tenait un glaive militaire usé dont il se servait plus comme d’une masse que comme d’une lame. Son coup puissant, que Vizamir ne put que mal parer, lui engourdit un bras et faillit lui faire perdre son arme. Mais à peine eut-il effectué un pas en arrière pour se remettre à distance qu’un ombre surgit à la périphérie de son champ de vision, et le coup de gourdin fut suffisamment rude sur son crâne pour le jeter à terre, sonné. Encore conscient, il essaya de se relever péniblement, mais la botte du dernier larron l’envoya dans les ténèbres, un goût métallique dans la bouche.
Merci d'avoir lu!
Doutchboune:
Ça faisait trop longtemps que j'étais pas venue laisser trainer mes yeux dans le coin, mais je suis bien contente d'y être revenue (et du coup, j'ai eu direct un gros morceau à lire ;D )
Sinon, enfin un peu de calme (enfin, sauf à la toute fin), de repos, et encore un peu d'infos supplémentaires sur l'univers. Tout ça se boit comme du petit lait, c'est chouette.
Et je deviens rien de spécial par rapport à avant, comme toujours, ma fréquentation a des hauts et des bas, du moins en posts, parce que je passe normalement tous les jours sur le forum, même si j'admets ne pas tout lire. Enfin, bon, vivement la suite, de la Route du Nors, comme celle de Triangle, d'ailleurs !
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