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La Tour du Rouge : [Random | Très court] Sans titre #1
raphael14:
C'est dingue, GMS. Tu as fait du soft cette fois-ci : c'est à peine s'il y a du sang dans ce texte-ci. Je te taquine.
Un chapitre qui une fois de plus très intéressant pour plusieurs raisons.
En premier lieu parce que le mystérieux physique de Vizarim nous est pour la première fois révélé. Auparavant nous étions plongés dans une sorte de flou concernant l'apparence de Vizarim. Était-ce volontaire ? En tout cas, il a un physique qui doit attirer le regard dans une région nordique habitée par des personnes à la peau claire : une peau sombre, des oreilles pointues et des yeux jaunes. Ces deux derniers caractères doivent en plus lui attirer l'hostilité des populations superstitieuses.
Ensuite on apprend que Skelda est une star parmi les barbares pourfendeurs d'honnêtes gens, ça en jette. Franchement un ange de douceur et de bonté. Et si altruiste en plus, prête à flinguer les rotules de son sauveur pour payer sa dette, n'est-ce pas charmant ? Nan mais sans dec', il y a quelque chose d'hilarant a imaginer une femme hyper belle agir avec autant de rudesse que le dernier des guerriers un peu mou du cerveau. D'un autre côté sa détermination à rendre la pareille à Vizarim est tout à fait noble. On va pas lui en vouloir, après tout, parce qu'elle manque de délicatesse. Elle est presque sympathique.
Bon, aujourd'hui je fais court, parce que l'extrait que tu nous livre est court. Mais vu le rythme auquel tu publies, je crois que j'aurai largement de quoi te commenter, plus tard.
Great Magician Samyël:
Boobstalinette ==> Tl;dr. :h: Plus sérieusement, attend toi à être choquée plus d'une fois, car hémoglobine est un mot que j'emploie souvent comme synonyme de sang pour éviter des répétitions. :astro: Et je n'ai pas de fantasmes bizarres, ça servait l'histoire d'abord. En tout cas, merci d'être passée et à dans deux semaines, pour la fin du chapitre 3. ;D
Raph ==> Et oui, incroyable, une partie sans baston, sans mort, sans viol et sans démembrement. :R Beaucoup auraient juré la chose impossible. Pour le flou concernant le physique de Vizamir, c'était intentionnel oui, même si certains détails permettaient de deviner qu'il n'était pas tout à fait normal, notamment le fait qu'il parle toujours "des humains". Merci en tout cas de toujours prendre un peu de temps pour commenter cette Route, et en espérant que la suite continue de te plaire. :)
Sur ce, première partie du chapitre 3, dans lequel on apprend des choses. Un chapitre un peu plus long que les précédents, qui sera peut-être découpé en 3 parties du coup. Allez, bonne lecture!
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La Carte de la Route
Chapitre troisième :
Les déserteurs.
-1ère Partie-
Contrairement à ce que Vizamir avait tout d’abord craint, Skelda ne le ralentit en rien. Bien au contraire, il peinait parfois à garder son rythme. La grande guerrière se déplaçait d’un pas vif et brutal, l’œil braqué devant elle, foulant le sol d’une démarche conquérante. Un sol, songea Vizamir, qui lui aurait sans aucun doute appartenu si ce revers du destin ne l’avait pas fait choir de sa gloire.
Ils avaient passé une nuit éveillée. Ayant décidé d’instaurer un tour de garde, pour parer à toute attaque nocturne et maintenir le feu allumé, aucun des deux ne faisait suffisamment confiance à l’autre pour dormir sereinement. Aussi passèrent-ils les heures les plus noires de la nuit à s’observer par-dessus les flammes. Ils ne pipèrent mot, mais un observateur aguerri aurait remarqué qu’ils apprirent énormément l’un sur l’autre à force de se regarder, de se détailler dans les moindres détails.
Au petit jour ils levèrent le camps, frissonnant sous la caresse froide du givre matinal. Vizamir ne s’était jamais réellement habitué au climat froid de l’Orientir, et sans sa pelisse il endurait le frimas avec difficulté. Il ne pouvait s’empêcher d’admirer la Skarg, qui restait stoïque et imperturbable face au vent glacé, alors qu’elle n’avait pour tout vêtement que ladite pelisse. Ceci était facilement compréhensible, puisque Skarg, l’île d’origine des barbares du même nom, se situait presque à la même latitude que le Cercle des Glaces, et accusait des températures extrêmes et des conditions climatiques difficiles.
Malgré tout, ils eurent la chance de tomber sur une masure de chasseur abandonnée à la lisière du bois, où elle trouva un robuste pantalon de cuir d’équitation, une tunique de fourrure ainsi qu’une paire de bottes presque à sa taille. Vizamir récupéra sa pelisse non sans contentement, et en profita pour rafler les maigres provisions comestibles qu’il trouva. La guerrière dénicha de son côté un couteau ayant servi au dépeçage du gibier, ainsi qu’une courte hachette dans la remise à bois. Elle passa les deux armes improvisées à sa ceinture, et parut de fait retrouver encore un peu plus d’assurance.
Ils ne s’attardèrent pas, préférant profiter du temps clément pour parcourir le plus de kilomètres. C’était une longue marche jusqu’à Ikerias. Vizamir ne gardait pas de la capital impériale un souvenir heureux, mais il estimait que c’était une étape nécessaire de leur périple. Il souhaitait y trouver des montures, un peu d’équipement pour Skelda ainsi qu’une ou deux nuits de repos dans un véritable lit, avec un feu près de soi pour se réchauffer sous des draps propres. Il avait bon espoir de trouver la cité relativement calme et apaisée, car il avait appris de la bouche de la guerrière que les Skarg rentraient chez eux, repus de pillages et de gloire.
Le temps pour eux de parcourir le long chemin, et tout l’Orientir ne résonnerait plus que de cette information. C’était la fin d’une guerre de trois ans, une guerre brutale et horrible qui avait ravagé tout un pays et fait des centaines de morts, peut-être des milliers. Il faudra du temps à l’Empire, se dit Vizamir, mais l’Orientir relèvera la tête et se reconstruira. Cette région avait beau être froide et déserte, elle était jonchée de filons de minerai, du cuivre, du fer, de l’or, et les régions les plus au sud étaient couvertes de grandes forêts parfaitement adaptées à l’exploitation. Sans parler de la position stratégique de l’Orientir, plus particulièrement de sa Pointe. Non, Vizamir ne se faisait pas de soucis à ce niveau là.
Il s’avéra que Skelda n’était pas atteinte de fièvre. En réalité, ses forces paraissaient inchangées. En dehors d’une perte naturelle d’équilibre, elle se portait parfaitement bien. Rien ne laissait imaginer que la veille à peine, elle gisait, probablement morte, dans une épaisse congère de neige. Jusqu’à sa blessure, déjà parfaitement cicatrisée -bien que toujours horrible au regard. Tout ceci renforçait la conviction de Vizamir quant à l’utilisation de magie noire. Il ne se sentait pas à l’aise avec cette idée, mais pour le moment il n’avait aucun raison de se plaindre de la compagnie de la Skarg. Elle ne parlait pas, ou très peu, se contentant par instant de grommeler quelque chose pour elle-même, ne se plaignait pas et ne demandait rien.
Malgré tout, Vizamir songea qu’il avait été témoin de deux manifestations démoniaques en moins de deux jours, ce qui ne lui plaisait guère. Il essayait de ne pas y voir un quelconque présage, mais plus il y réfléchissait, plus cela devenait difficile.
Ils laissèrent rapidement la forêt derrière eux, pour pénétrer dans la vaste toundra. En guerrière chevronnée, Skelda poussa un grognement mécontent à la vue de cet horizon dégagé sur des kilomètres, sans possibilité de se mettre à couvert. Heureusement, ils ne rencontrèrent personne sur leur route, et puisque Vizamir avait choisi d’obliquer plus au nord, ils ne virent même pas se dessiner la silhouette de ce petit village anonyme où avait commencé ce qu’il pensait être la quête qu’il avait attendue toute sa vie.
Ce soir-là, ils levèrent le camp, à l’ombre d’un talus herbeux qui les protégerait du vent et cacherait en partie les flammes du feu que Vizamir peina à allumer. Ils dinèrent de ce que Vizamir avait trouvé dans la masure abandonnée, ce qui se résumait à un peu de pain dur et quelques tranches de lard fumé. Ils ne se dirent rien, trop occupés à mastiquer la nourriture coriace, jusqu’à ce que Skelda, le regard perdu dans les flammes, n’entamât la conversation.
-Tu ne m’as pas dit où nous nous rendons, Vizamir le Ténébreux, fit-elle remarquer d’une voix égale.
-Nous gagnerons en premier lieu Ikérias, répondit-il sur le même ton. De là nous nous procurerons des chevaux, et nous voyagerons jusqu’en Ponth’Hyliän.
-Qu’est-ce que c’est?
-Quoi donc?
-Ponth’Hyliän.
-C’est un royaume, loin au nord. En réalité, c’est une large et profonde vallée dans le fond de laquelle s’écoule l’Amarantine, le grand fleuve qui prend sa source dans ces montagnes et qui traverse presque tout le continent pour se jeter dans la mer des marchands, loin à l’ouest.
La Skarg leva l’œil au ciel, comme si elle essayait de se représenter toutes ces choses qu’il lui racontait. Il frappa alors Vizamir que Skelda ne devait presque rien connaître de la géographie, de l’histoire ou des sciences.
-Ces noms te parlent?, essaya-t-il prudemment.
-Non, reconnut, sans aucune honte, la guerrière. Il y a trois ans, lorsque j’ai pris la tête de mon Froëdar le monde se résumait à Skarg. Mon île était tout ce qui composait mon monde. C’était la terre que nous avez accordée les dieux. Bien sûr mes ancêtres étaient déjà venus conquérir les terres du continent, mais la dernière grande conquête remontait à bien des lunes. Ces vastes terres pleines de richesses et d’abondance, où le soleil brille perpétuellement et où la nuit est plus courte que le jour n’étaient que des mythes, des contrées lointaines où se déroulent les chansons.
-Et maintenant?
-Maintenant, mon monde s’élargit à chaque jour qui passe. J’ai été effrayée lorsque le pays des géants est apparu dans la brume pour la première fois, puis émerveillée lorsqu’après de longs mois à longer cette côte aveugle et gigantesque, nous avons appareillés sur une nouvelle terre, une terre où il faisait chaud et où la neige ne recouvrait pas tout ce que l’œil peut embrasser.
-Le pays des géants?
-A l’est, les géants ont érigé un mur haut comme cent hommes, et épais comme quarante. On ne peut rien voir de ce qu’y se trouve derrière, mais quoi d’autre que des géants auraient-pu ériger une telle chose?
-Tu parles d’Uru-Ban, rectifia Vizamir en hochant la tête. Le Pays des Hommes d’Ur dans ta langue. Crois moi, ce sont des êtres comme toi et moi qui ont érigé ce mur, et personne d’autre.
-Comment est-ce possible?, souffla la guerrière avec une mine stupéfaite. Il faudrait des pouvoirs dignes des dieux pour hisser de tels blocs de pierre noire.
-Nulle magie ne cimente le grand mur d’Uru-Ban, certifia Vizamir. Ils se sont servis de très longues et très épaisses cordes, qu’ils attachaient aux blocs et qu’ils hissaient à l’aide de grandes machines. Ce que tu as vu depuis la mer n’est qu’une partie du mur, en réalité il s’étend sur toute la frontière du royaume, le fermant hermétiquement au reste du monde.
-Pourquoi? Pourquoi des hommes dotés de tels pouvoirs auraient-il à se cacher?
-A cause de toi, sourit Vizamir.
-Je ne comprends pas.
-Ur a érigé ce mur pour se protéger de tes ancêtres, qui pillaient ses côtes, mais aussi pour se protéger des semi-hommes qui peuplent les forêts du nord, et qui se nourrissaient du peuple d’Ur, et enfin pour se protéger des tribus des sauvages Ikevarois qui raidaient ses villages du sud en franchissant la rivière Atlante.
-Mes ancêtres? Tu en es sûr?
-Oui. Mais tout ceci se passait à une époque lointaine et obscure, il y a des siècles. On raconte qu’il fallut cent ans à Ur pour bâtir son mur, et que depuis ce temps, plus aucun homme d’Ur n’est tombé sous les coups d’une épée étrangère.
-Qui était ce Ur? Ce devait être un dieu, pour vivre aussi longtemps.
-Tu n’es pas loin de la vérité, concéda Vizamir avec un hochement de tête. Ur fut le premier roi parmi les Hommes. La légende raconte qu’il jaillit de la terre et qu’il poussa un cri si terrible que les tribus cessèrent leurs luttes vaines et éternelles pour se prosterner à ses pieds. Ur apporta à ses sujets la connaissance, l’agriculture, la stratégie ; il fédéra les clans et les tribus en un seul vaste royaume. En échange il réclama leur dévotion et leur amour éternel. Quand Ur vit son peuple se faire massacrer à chaque coin du royaume, il décida que ce dernier serait à jamais coupé du reste du monde. On raconte qu’Ur vit toujours, et qu’il gouverne Uru-Ban depuis son palais, et ce jusqu’à la fin des temps. En attendant, personne ne sait réellement ce qui se passe derrière le mur. Quelques dignitaires étrangers sont parfois acceptés intra muros, mais ils ne dépassent jamais les premiers postes frontaliers, où les notables d’Uru-Ban les rencontrent. Enfin, quelques élus triés sur le volet sont autorisés à se rendre jusqu’à la capital, le visages masqués et sous bonne garde. J’en faisais partie, jusqu’à récemment.
-Toi? Pourquoi cela?
-Et bien, je ne suis pas humain. J’imagine que cela devait intéresser leurs savants.
-Je le savais!
-Quoi donc?
-Tu es un démon.
Vizamir poussa un soupir fatigué.
Merci d'avoir lu!
Great Magician Samyël:
Deuxième partie du 3e chapitre de la Route du Nord, dans lequel on en apprend toujours plus!
J'ai également fait disparaître cet horrible mot en gras qui agressait le lecteur sans aucune raison dans la partie précédente, une petit erreur de balise.
Sur ce bonne lecture!
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La Carte de la Route
Chapitre troisième :
Les déserteurs.
-2e Partie-
-Tu es un démon.
Vizamir poussa un soupir fatigué.
-Non, je ne le suis pas.
-Qu’est-ce que tu es alors?, répliqua la guerrière en fronçant le sourcil.
-Je suis… et bien…
Il releva les yeux du fond du foyer et plongea son regard dans celui de la Skarg. Vizamir réalisa soudainement qu’il n’avait pas autant conversé avec un autre être depuis bien longtemps. Ce qui le frappa plus fort encore, c’était la nature de cet être : une chef de guerre barbare, une conquérante brutale et sanguinaire, une meurtrière trahie par son armée et ramenée à la vie par de la magie noire, une inculte n’éprouvant aucune honte pour son ignorance… Pourtant, malgré tout ça, cette femme était la première humaine qu’il croisait à le respecter et à le traiter en égal, malgré son apparence, malgré sa nature. Vizamir se sentait bien.
-Je ne sais pas ce que je suis, admit-il. Des humains m’ont recueilli lorsque je n’étais qu’un bébé. Ils n’ont jamais eu l’occasion de me dire où ni comment, puisqu’ils m’abandonnèrent à leur tour quelques années plus tard, lorsque mes… « différences », devinrent trop évidentes et honteuses à leurs yeux. A vrai dire… Qui je suis, qui étaient mes ancêtres, c’est ce que je cherche. C’est ma quête. Je n’ai encore jamais rencontré un autre membre de ma race, et pourtant, j’ai voyagé, tu peux me croire.
-Tu espères trouver des réponses là-bas? En Ponth’Hylïan?
-Des réponses, non. Une piste, oui. Il y a deux jours, j’étais dans un petit village, plus loin à l’ouest d’ici. Là-bas j’ai assisté à une manifestation démoniaque. Avant que je ne le tue, le démon m’a proposé un pacte, mon âme contre des réponses. J’ai refusé, mais il ne cessait de m’appeler caelach. C’est la première piste sérieuse que j’ai depuis bien des années. J’espère que les gardiens du savoir sauront m’en apprendre d’avantage.
-Pourquoi ne peux-tu plus retourner à Uru-Ban?, demanda Skelda, changeant de sujet.
-La dernière fois que j’y suis allé, j’ai tenté de dérober un ancien manuscrit, qui, je le pensais, contenait de précieuses informations. Malheureusement, je me suis fait prendre. Et l’on m’a longuement fait comprendre que je n’étais plus le bien venu.
Vizamir ne put empêcher un frisson de parcourir son corps au souvenir de la geôle aveugle et obscure dans laquelle il avait passé de longs mois de solitude et de souffrance, lorsque les inquisiteurs d’Ur le soumettaient à la Question, tentant de déceler les motivations qui avait poussé son geste. Il avait eu beau s’échiner à leur expliquer dans quatre langues différentes qu’il ne travaillait pour aucun chef d’état ou organisation, cela n’avait rien changé. Certes il n’y avait pas eu de violence physique -jugée trop barbare par Ur lui-même-, mais les inquisiteurs avaient bien d’autres, et terribles, moyens de faire avouer leurs prisonniers.
-Je préfère ne pas en parler, trancha Vizamir, c’est un souvenir pénible.
-Comme tu veux.
Un silence s’installa entre les deux, seulement rompu par le crépitement des flammes que Skelda fixait en mâchonnant un bout de pain, le regard perdu. Vizamir s’étonna de ressentir une pointe de déception. Il voulait que cette conversation continuât.
-Et toi?, essaya-t-il. Pourquoi es-tu venue ici? Enfin, je sais bien qu’en général l’on fait la guerre pour la gloire, la richesse, ce genre de chose. Mais je sais aussi que de telles décisions sont souvent le fait de considérations moins… épiques.
-C’est une longue histoire.
-Ce sera une longue nuit.
-J’avais trois frères, commença-t-elle après avoir observé une courte pause. Höderik, l’aîné, fort et robuste comme le rocher face à la tempête. Ysdril, le benjamin, vif et agile comme le renard des neiges. Et Frederik, intelligent et savant comme le corbeau. Mon père, le roi Ymjärn de Skarg, en était très fier, car il savait que sa descendance était faite, que sa lignée perdurerait encore longtemps sur le trône de Skarg. Cependant sa compagne mourut d’une forte fièvre durant un hiver très long et très froid. Mon père prit pour deuxième compagne la fille de son frère de sang, Hylda. Ainsi étais-je née. Je passai une enfance paisible, apprenant le chant de l’acier comme les autres enfants de mon âge, mais je me montrai étonnamment douée, ce qui ne plaisait pas aux hommes, et encore moins à mon père. La femme Skarg doit savoir manier l’épée pour repousser le loup qui se faufile dans sa maison lors de la tempête, mais elle ne doit pas savoir vaincre un homme en combat singulier. A dix ans pourtant je tuais Hergson le fils du forgeron, à armes égales dans un combat singulier.
-Que s’était-il passé?, interrompit Vizamir.
-Il avait ouvertement insulté ma mère. Cette première victoire me fit prendre conscience que je pouvais aspirer à mieux qu’à devenir la pondeuse d’un noble de mon père et finir ma vie dans une chambre chaude, à broder des tapisseries. J’allai voir mon père, et lui demandai si l’on avait déjà vu une reine sur le trône de Skarg. Il rit de moi, devant toute sa cour, et me fit jeter au cachot pendant trois jours sans nourriture pour m’apprendre à garder ma langue. La nuit du deuxième jour, une violente tempête de neige éclata, venue des pics acérés qui scindent Skarg en deux. Alors que la neige commençait à pénétrer ma cellule à travers les barreaux extérieurs, je crus distinguer une immense silhouette dans la tourmente. J’étais affaiblie, affamée, frigorifiée, je crus que j’étais en proie à une mystification due à la fièvre. Je commençais à sombrer dans le sommeil, lorsque j’entendis cette silhouette souffler d’une voix grave comme la montagne. Elle me disait de ne pas perdre courage, que Skarg verrait une reine sur son trône, et que cette reine serait moi.
« Lorsqu’on me fit sortir de ma prison, je demandais autours de moi si quelqu’un avait aperçu cette silhouette dans la tempête, mais tout ce que j’obtins, ce fut des regards navrés. Bien des années plus tard, je m’ouvrai à un prêtre de Lorshak à propos de cette vision, et il me répondit qu’il devait probablement s’agir de Skhadir, le Géant Solitaire Qui Murmure Dans La Tempête. Les années qui suivirent furent tranquilles. Je perfectionnais mon art du combat, délaissant les corvées d’ordinaire réservées aux femmes. Lorsque mon dix-septième hiver fut derrière moi, j’allai trouver mon père, et je lui demandai ce qu’il fallait que je fasse pour un jour monter sur le trône. Quelques années s’étaient écoulées, depuis la dernière fois que j’avais demandé cela, et Ymjärn de Skarg était devenu un vieillard usé par les hivers.
« Au lieu de rire, il me répondit très sérieusement : « Tant que mes fils vivront sous le ciel et sur la terre, jamais une femme ne volera le trône de Skarg. » Le prenant au mot, je défiais aussitôt mes trois frères dans un combat singulier. Ils s’esclaffèrent, mais on vida tout de même la grande salle de Skarg et les hommes vinrent de toute l’île pour assister à l’évènement. Lassé de moi, Ymjnär promit la plus belle femme de Skarg et un plein coffre d’or à celui de mes frères qui me terrasserait. Frederik, le cadet, s’avança le premier. « Désolé, mes frères » dit-il avec un sourire « mais l’or est à moi. Ce n’est pas une petite fille qui mettra Frederik à terre, ça non. » Frederik connaissait le nom des étoiles dans le ciel, et les herbes qui poussent sur la terre, mais malgré ses fanfaronnades, il était un piètre guerrier. Je l’ouvrais en deux d’un seul grand coup d’épée, et il mourut avec l’effroi peint sur le visage.
« « Ysdril, » hurla alors Ymjärn « venge ton frère! » Ysdril ne prononça par une seule parole, mais il encocha une flèche à son arc en entrant dans l’arène. Ysdril était aussi habile que l’épervier dans le ciel, et aussi rapide que le renard sur la terre, mais sa flèche ricocha contre mon bouclier et il s’empala sur la lame de mon épée lorsque je feignis de frapper de gauche, mais frappai de droite en réalité. Ymjärn fondit en larmes lorsqu’il vit son deuxième fils étendu dans son propre sang. « Höderik » sanglota-t-il « venge tes frères, et ramène moi la tête de cette traîtresse! Fais le, et tu auras tout ce qu‘un homme peut vouloir.» Höderik s’empara de sa grande hache de bataille avec un sourire et vint me faire face. « Mes frères étaient faibles » me dit-il « Pas moi. » Höderik était grand comme le ciel infini, et robuste comme la terre séculaire. Mais ses coups étaient lents comme le rocher qui doucement s’érode sous la caresse de la mer. Longtemps je dansais autour de lui, le harcelant de ma lame qui bientôt se teintait de sang. Höderik ahanait et ses coups devenaient chaque fois un peu plus lents, chaque fois un peu plus pénibles.
« Au bout d’un très long moment, il s’affaissa sur les genoux, hors d’haleine, et j’en profitai pour lui passer mon épée au travers du corps. Alors je me tournai vers mon père, et lui dis « Plus aucun de vos fils ne vit sous le ciel et sur la terre. Tous ont été vaincus par la reine de Skarg. » Ivre de fureur, Ymjärn ordonna ma mise à mort, mais je parvins à m’enfuir. Je compris alors que si je voulais m’emparer du trône de Skarg, il me fallait le conquérir. C’est pourquoi je décidai de bâtir ma légende, de chercher gloire et fortune comme les ancêtres de jadis, en voguant sur les mers jusqu’aux rivages inconnus.
« Et donc, me voici, fut la conclusion de Skelda à son histoire, dans un sourire énigmatique.
-Tu as une drôle de façon de raconter; fit remarquer Vizamir en méditant sur cette longue tirade. On dirait presque un genre de mythe. Cela en devient difficile à croire.
-Je n’ai jamais dit que c’était la vérité, rétorqua la guerrière.
-C’était intéressant cependant, distrayant à défaut d’être véridique. Y avait-il tout de même une part de vérité?
-J’avais trois frères. J’ai tué Frederik dans son sommeil après l’avoir fait boire. Ysdril fut plus difficile à éliminer, car il était méfiant et prudent depuis que j’avais assassiné notre frère. Mais il était un homme comme les autres, et je lui ai fait croire qu’il pourrait m’avoir dans son lit. Je l’ai tué pendant qu’il se déshabillait fébrilement. Höderik fut le plus coriace, assurément.
-Comment t’y es-tu prise?
-Je l’ai défié en combat singulier, après avoir convaincu la servante qui lui servait son hydromel de mettre une drogue dans sa boisson, une drogue qui lui obscurcit l’esprit et ralentit le corps lors de notre duel. Et même ainsi, il a bien failli m’avoir deux fois. Ce fut un bon combat, malgré tout. Un skalde en a fait une chanson, avant que je ne lui coupe la langue.
-Pourquoi?
-Il sous-entendait un peu trop que j’avais usé de ruse pour affronter Höderik.
-Je vois… Et donc, tu as vraiment vingt-ans? Au risque de paraître grossier, tu ne les parais pas…
-Non, trente-deux hivers ont soufflé leurs vents glacés sur moi. Mais il y a peu d’intérêt à retourner des cendres déjà froides. Restons-en là.
-Très bien.
-Je prendrai le deuxième quart. Réveille moi.
Vizamir hocha la tête et la regarda s’éloigner de quelques mètres pour se blottir dans une petite crevasse qui affleurait au flanc de la colline. Sans rien ajouter, elle ferma l’œil et s’endormit presque aussitôt.
Merci d'avoir lu!
Great Magician Samyël:
Allez, on enchaîne avec la 3e partie de ce chapitre 3, qui sera finalement découpé en 4 parties, toujours pour garder un format relativement court. Bonne lecture!
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La Carte de la Route
Chapitre troisième :
Les déserteurs.
-3e Partie-
Vizamir passa la nuit -calme au demeurant- à fixer les flammes jusqu’à en avoir les yeux secs, réfléchissant aux propos de la Skarg. Plus il la découvrait, plus il devait s’avouer une certaine fascination. Il n’avait jamais rencontré quelqu’un comme cela auparavant. Une femme, une guerrière, une meurtrière qui parlait sans honte et presque avec fierté des trois fratricides commis dans le seul but de s’élever parmi ses pairs. Une femme dont, malgré son apparente quiétude, on sentait battre en elle une violence latente, prête à exploser. Une femme qui avait mené une armée à la guerre, navigué à travers des eaux inconnues jusqu’à des terres inconnues, sans crainte ni peur, se taillant un chemin dans des contrées étrangères le glaive à la main. Une femme intelligente, mais dénuée d’éducation. Une femme, enfin, qui le regardait en compagnon de route, en camarade, et non en étranger dangereux… en monstre.
Skelda s’éveilla d’elle-même lorsque l’aube se mit à poindre à l’horizon. Elle jeta un coup d’œil autour d’elle, remarqua aussitôt que Vizamir avait veillé toute la nuit, « oubliant » de la réveiller pour le changement de quart. Elle ne fit cependant aucun commentaire, et vint s’assoir au plus près du foyer que Vizamir avait maintenu en vie toute la nuit.
Ils déjeunèrent frugalement en silence, et c’est tout autant en silence qu’ils reprirent leur marche vers Ikérias. Vizamir songea un moment avec frustration à cet instant de la nuit dernière où une certaine forme de complicité les avait unis, une complicité envolée avec les premières lueurs du jour. Il ne savait quoi dire, ne savait pas comment entamer la conversation, et la guerrière ne semblait pas particulièrement plus volubile. Vizamir avait passé ces dernières années à arpenter les routes impériales, les routes maritimes de la baie de Korsk au sud, et plus loin encore vers Balcino ; il s’était perdu dans les marécages de Malmore à l’ouest, croyant cette année-là avoir trouvé son tombeau. Ces longs voyages en solitaire, parsemés de brèves rencontres avec des paysans craintifs et méfiants, et des aubergistes suspicieux, avait créé chez lui, à son grand étonnement, un besoin de contact et de communication.
Sa quête d’identité était tout ce qu’il avait, tout ce qu’il possédait. C’était sa plus grande crainte -et s’il s’avérait qu’il était effectivement un monstre?- et son plus grand espoir -d’autres comme lui avaient-ils pu s’établir quelque part, et fonder une communauté? Finalement, partager d’une certaine façon ce qu’il considérait à la fois comme un fardeau et une chance avec quelqu’un le soulageait et lui redonnait confiance.
Un léger brouillard humide et froid s’était levé sur la steppe, c’est pourquoi ils n’aperçurent la carriole que lorsqu’ils se trouvèrent à moins d’un kilomètre d’elle. Vizamir, qui avait une vue perçante et acérée, la repéra le premier, et saisit dans le même temps le bras de sa compagne pour la lui indiquer d’un signe de tête. La charrette roulait péniblement, ses roues rebondissant sur des cailloux ou s’enfonçant dans des creux. Deux silhouettes emmitouflées dans des châles se tenaient assises sur le banc du conducteur, l’une d’entres-elles tenant les rennes d’un cheval de trait visiblement fatigué.
Il devait sans doute s’agir d’un couple de fermiers cherchant refuge à Ikérias, probablement pour fuir l’envahisseur Skarg qui, jusqu’à peu, remontait impitoyablement l’Orientir. Cependant, l’expérience avait appris à Vizamir qu’il ne fallait jamais faire confiance aux apparences, surtout lorsque l’on se trouvait dans un pays en proie à la guerre. Pillards, bandits, déserteurs, mercenaires, patrouilles et éclaireurs, on ne savait jamais sur quelle genre de racaille il était possible de tomber.
Cependant la vue de ces deux silhouettes menues et voûtées donna confiance à Vizamir, qui accéléra l’allure en faisant un signe à la Skarg de se tenir parée à toute éventualité. Cette dernière hocha la tête en gardant une main sur sa hachette.
Alors qu’ils s’approchaient, aussi silencieux que des félins des steppes, Vizamir constata avec surprise qu’ils avaient rejoint la route impériale, un large chemin de terre pavé autrefois entretenu par les empereurs d’Ikérias pour faciliter l’acheminement des ressources et le passage des armées. Aujourd’hui la route n’était plus que l’ombre d’elle-même, mais elle demeurait plus pratique pour les chariots que le plat irrégulier de la plaine alentours.
Lorsqu’ils ne furent plus qu’à un jet de pierre du chariot qui continuait sa route bon an mal an, Vizamir constata que son intuition était bonne. Les deux silhouettes entraperçues dans la brume étaient celles d’un vieillard et d’une vieille femme, et à l’arrière de la carriole des choux et des carottes roulaient au gré des obstacles rencontrés.
Vizamir cria un « ohé du chariot » relativement fort, pour signaler leur présence. Le conducteur de l’attelage arrêta aussitôt son véhicule et bondit sur ses pieds, une épée courte à la main, tandis que sa femme -du moins Vizamir le présumait- se recroquevillait sur elle-même.
-Qui va là?, rugit le vieil homme en scrutant les alentours, d’une voix qu’il voulait forte et menaçante, mais qui tremblotait légèrement sous l’effet de la crainte.
-Juste deux voyageurs, comme vous, répondit l’intéressé un peu plus fort, pour permettre au vieillard de le repérer. J’ai de l’or, j’aimerai vous acheter quelques provisions.
-Approchez, leur intima l’autre en serrant fermement son arme. Et pas d’entourloupes.
-Nous ne vous voulons aucun mal, l’assura Vizamir en gardant les mains levées en gage de paix. La route est encore longue jusqu’à Ikérias, et je ne suis pas certain de trouver d’autres ravitaillements en chemin.
-La capitale? Vous aussi, vous fuyez? Vous n’avez pas l’air de soldats…
-Et bien, pas vraiment, expliqua franchement Vizamir, qui ne voyait pas de réelle raison de mentir. Nous ne sommes que des voyageurs, qui nous sommes retrouvés au mauvais endroit au mauvais moment, si j’ose dire.
-C’est bien vrai tout ça, se lamenta le vieil homme. Maudits sauvages! Par Maaz’Dhun, des pilleurs, des païens, des assassins! Voilà ce qu’ils sont. Et si vous me demandiez, je vous dirais que ce n’est pas une guerre, ha ça non. J’en ai connu des guerres, voyez-vous, et celle-ci, ce n’est qu’une boucherie. Ces Skargs, ce ne sont pas des hommes, mais des bêtes. Bah!
Le vieil homme sauta à terre, et fit le tour de son chariot pour venir à leur rencontre. Il se figea un court instant, lorsqu’il put pleinement observer le visage ravagé de Skelda, et celui plus exotique de Vizamir, mais ne fit aucun commentaire.
-Je m’appelle Gerold. Avant de m’occuper de la ferme, j’étais soldat de la Quatrième Légion.
-Enchanté, Gerold. Il est rare de croiser des visages amicaux par les temps qui courent. Je suis Vizamir, et voici…
Vizamir n’hésita qu’une demie seconde. Skelda était un nom typiquement étranger, un nom barbare. S’il présentait sa compagne sous son véritable prénom, le fermier n’aurait aucun doute quant à sa nature, et risquait de devenir hostile. D’autant plus que la blondeur et la rousseur étaient des teintes de cheveux relativement rares dans cette partie de l’Empire, et Skelda cumulait ces deux « tares».
-Camilla, conclut-il sur le même ton. Vous l’excuserez, j’en suis sûr. Mais lorsque je l’ai trouvée, elle avait été laissée pour morte par des brutes Skargs. Elle ne semble plus pouvoir parler.
La guerrière jetait des regards ennuyés autours d’elle. Son commun était bien trop approximatif pour comprendre ce qu’il se disait, et Vizamir voulait éviter qu’elle ne prenne la parole. Il lui fit discrètement signe de se taire.
-Je… Je vois, fit Gerold pour qui l’explication semblait parfaitement suffisante, surtout lorsqu’il jetait un coup d’œil rapide à la blessure de Skelda. Pauvre enfant. Je vais vous dire, Vizamir, nous, nous nous rendons à Varikbourg. C’est sur votre route. Pourquoi ne monteriez-vous pas à l’arrière, et nous ferons la route ensemble. Le voyage n’en sera que plus sûre et agréable pour tous.
-C’est très généreux, Gerold, le remercia l’intéressé. Faisons ainsi.
Ils se serrèrent la main, et pendant que le fermier retournait auprès de sa femme, Vizamir indiqua à la Skarg de prendre place. Ils s’assirent côte à côte sur le bord de la carriole, les jambes dans le vide. Lorsque le chariot repartit, Skelda profita du bruit généré par la route pour se pencher vers son compagnon et murmurer.
-Que se passe-t-il?
-Il a offert de nous emmener jusqu’à un village plus au nord. C’est sur notre route, donc j’ai accepté. C’est toujours plus agréable. Je lui ai dit que tu ne parlais pas. Son ressentiment à l’égard de ton peuple est très fort, je ne voudrais pas causer d’ennui.
La guerrière se retourna pour observer Gerold, puis haussa les épaules.
-Comme tu veux.
Il ne lui en fallait pas plus pour demeurer silencieuse tout le reste du trajet.
La journée s’écoula lentement. Seuls les durs cahots du chemin permettaient à Vizamir de ne pas succomber tout à fait à la léthargie qui le gagnait. Le manque de sommeil commençait à se faire ressentir, et il luttait pour garder les yeux ouverts, cherchant sans cesse quelque chose pour le distraire.
De temps en temps, Skelda passait une main timide sur son visage, palpant du bout des doigts les contours de sa cicatrice, proférant tout bas un juron ou deux. Vizamir se trouvait du mauvais côté, aussi lorsqu’il se tournait vers elle il ne pouvait qu’observer son profile déchiqueté, cette sierra de chair boursouflée et meurtrie, qui malgré tout ce qu’il avait pu voir au cours de ses nombreux voyages, continuait de le mettre mal à l’aise.
A l’avant de la carriole, Gerold et sa femme ne cessaient de murmurer entre eux, trop bas cependant pour que Vizamir pût en saisir le sens. Il ferma les yeux un court instant, pour chasser la tension qui s’était accumulée sous ses paupières. Sans s’en rendre compte il s’assoupit presque aussitôt, son esprit dérivant dans des songes confus et délirants.
-Vizamir!
La voix inquiète de Gerold, qu’il associa mentalement à un sentiment d’urgence, le réveilla en sursaut. Il cligna des yeux pour chasser les images rémanentes de ses rêves accrochées à sa rétine. La plaine était mortellement calme et silencieuse, s’offrant à sa vue jusqu’à l’horizon. L’air était encore humide, mais le brouillard s’était dissipé. A l’ouest le soleil avait entamé sa descente, moirant les herbes transies de reflets mordorés, bien que pâles.
Skelda s’était calée plus confortablement contre les parois du chariot, et elle observait Vizamir avec un demi sourire amusé.
-Qu’y a-t-il?, demanda ce dernier en se frottant le visage.
-Sur la route droit devant, des cavaliers qui viennent dans notre direction, répondit Gerold.
Merci d'avoir lu!
Great Magician Samyël:
Comme je n'aurais pas accès dès demain et jusqu'à mercredi à internet, je vous propose déjà la suite et fin de ce troisième chapitre.
Dans laquelle on s'échauffe enfin (doucement). Bonne lecture!
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La Carte de la Route
Chapitre troisième :
Les déserteurs.
-4e Partie-
-Sur la route droit devant, des cavaliers qui viennent dans notre direction, répondit Gerold.
Vizamir se retourna et put le constater de ses yeux. Un petit groupe de cavaliers -il en comptait six- s’approchaient de leur position. Ils étaient encore loin, et la lumière déclinante ne lui permettait pas de les identifier. Cependant, ils descendaient vers le sud, ce qui excluait une éventuelle patrouille ou groupe d’éclaireurs Skarg.
-Gardez l’allure, Gerold, conseilla-t-il. Nous ne savons pas ce qu’ils veulent. Ne montrons aucun signe de peur. Si ce sont des pillards, ils n’hésiterons pas à nous dévaliser.
-Maaz’Dhun, vient nous en aide, pria le paysan.
Cependant il écouta la suggestion et ne ralentit pas sa carriole. Les instants qui suivirent furent longs et stressants. Bien que les cavaliers approchaient, le crépuscule s’installait à une vitesse presque identique, et ce qu’ils gagnaient en distance ils le perdaient en visibilité. Contre toute attente, ce fut Skelda qui les identifia en premier.
-J’en ai déjà vu, souffla-t-elle à Vizamir le plus discrètement possible. Ce sont des soldats de ce pays.
-Tu en es sûre? Des soldats impériaux?
-Oui. J’en ai tué des centaines, je reconnaitrais ces casques entre mille.
Vizamir n’en doutait pas. Les paroles de la Skarg se confirmèrent lorsque les cavaliers furent suffisamment proches pour que les cliquetis de leurs harnachements militaires fussent audibles. Ils portaient le tabard au loup jaune de l’Empereur Valter par-dessus des cottes de mailles mal entretenues. Des glaives, des masses d’armes et des haches pendaient à leurs ceinturons, et le petit bouclier rond réglementaire des Légions battait contre le flanc de leurs montures. Ils étaient sales, barbus et empestaient à plusieurs mètres. Un remugle fort de mauvais vin, de transpiration et d’urine.
Alors que Gerold se détendait ostensiblement à la vue de ce qu’il pensait être de braves légionnaires impériaux, Vizamir ne put s’empêcher de ressentir au contraire une certaine nervosité. Il y avait quelque chose à propos de ces soldats qui le mettait mal à l’aise.
Le cavalier de tête, qui arborait l’écusson de centurion à sa poitrine, fit signe au fermier d’arrêter son véhicule. Gerold obéit immédiatement, pendant que le reste des légionnaires encerclait la carriole. Vizamir essaya de garder son calme, tout en maintenant ses mains le plus près possible de ses dagues à sa ceinture. Skelda ne fit même pas mine de bouger, préférant maintenir son regard sur Vizamir pour anticiper les événements en fonction de ses réactions. Vizamir essaya de se mettre à sa place un instant : entourée d’ennemis potentiels qu’elle avait combattus trois ans durant, et ne comprenant pas un mot de la conversation qui allait suivre. Il admira son pragmatisme et son sang froid.
Les deux soldats les plus proches dardaient sur elle des regards brûlants de désir sous leurs cervelières de fer, ce qui ne fit rien pour arranger la nervosité de Vizamir.
-Halte-là, citoyen, exhorta le centurion d’une voix forte. Que transportes-tu?
-Tout ce qu’il m’a été possible de sauver, officier. Principalement des provisions.
-Fort bien. Au nom de l’Empereur Valter, nous réquisitionnons les vivres, le chariot et le cheval.
-Comment?, s’exclama Gerold. Mais vous… Vous ne pouvez pas! C’est tout ce que nous possédons.
-Nous sommes en guerre, citoyen, aboya le centurion avec un air mauvais. Nous avons besoin de tout le matériel disponible. Maaz’Dhun vous le rendra.
-Mais je…
Sans plus de cérémonie, l’officier ordonna à deux soldats de s’emparer des vivres. Les deux légionnaires qui s’étaient installés à l’arrière du chariot mirent pied à terre, et s’approchèrent de Vizamir et Skelda. Le plus proche de la guerrière s’arrêta à son niveau, et avec un sourire concupiscent, fit remonter une main lascive le long des cuisses de la Skarg.
-Centurion!, appela-t-il. Je pense que nous devrions emmener la demoiselle avec nous. Pour sa protection.
-Très bonne idée, soldat, approuva l’officier en caressant distraitement sa moustache mal peignée.
Tout alla très vite. A la vitesse de l’éclair, la main de Skelda se tendit et s’abattit sur le visage du soldat, et dans un bruit écœurant, elle lui creva les yeux avec deux doigts, tandis qu’elle le repoussait de son autre main. Dès que le légionnaire commença à hurler, Vizamir réagit instinctivement. Ses dagues s’envolèrent hors de leur fourreau et tranchèrent la gorge du deuxième homme. Des cris de panique s’élevèrent, accompagnés des hennissements apeurés des chevaux. Les impériaux tirèrent leurs armes, mais pas assez vite pour Skelda de Skarg. Avant que sa seconde victime n’ait réellement eu le temps de comprendre ce qui se passait, elle avait saisi sa hachette, et d’un bond puissant elle s’éleva dans les airs avec un grognement de bête, et s’abattit sur le cavalier le plus proche, le faisant choir de sa monture. Elle se dressa au dessus de lui, terrible de sauvagerie, et asséna plusieurs coups violents qui firent gicler du sang.
De son côté, Vizamir avait roulé au bas de la carriole pour éviter un coup d’épée maladroit et précipité. Il ne se releva que pour mieux se jeter sur le côté et éviter les sabots du cheval qui fonçait sur lui. Le cavalier fit demi tour et revint à la charge, poussant un cri de guerre en faisant tournoyer son épée. Vizamir se remit sur ses jambes et attendit patiemment. Lorsque le soldat se pencha sur le côté pour lui asséner un nouveau coup, il se baissa vivement en projetant sa main, agrippant le bras armé pour mieux projeter le légionnaire au sol. Sans autre forme de procès, il l’acheva en l’égorgeant.
Un peu étourdi par la violence et la vitesse avec lesquelles tout s’était enchaîné, Vizamir se retourna. Il aperçut Skelda de l’autre côté du chariot. Elle avait délesté le cadavre de son dernier assaillant de son épée et de son bouclier, et elle faisait face avec un air farouche à un troisième cavalier qui semblait hésiter à la charger. A l’avant du véhicule, le centurion finissait d’éventrer Gerold, alors que la femme de celui-ci gisait déjà dans la boue.
Finalement le soldat prit son courage à deux mains et lança sa monture à l’assaut de la Skarg. Celle-ci ne fit pas mine de s’écarter. Bien au contraire, elle se campa solidement sur ses jambes, et lorsque le cheval ne fut plus qu’à trois mètres d’elle, elle poussa un formidable hurlement. Un « SKAAAAAA! » qui éclata comme l’orage annonciateur de tempête, un cri qui résonna dans l’air comme la foudre d’hiver. L’animal pila net, apeuré, mais pas assez vite. Skelda lui assena un revers de son bouclier suffisamment violent et brutal pour lui fracasser le crâne. La bête mourut sur le coup, entraînant son cavalier au sol. La guerrière lui planta sa lame entre les côtes sans plus de cérémonie.
Vizamir était resté abasourdi. Ses oreilles vibraient encore du cri de guerre de la Skarg. Tout comme le cheval, il avait ressenti une peur primaire lorsqu’il avait éclaté. Ses jambes tremblaient légèrement. Cependant il reprit ses esprits suffisamment vite pour s’apercevoir que le centurion avait tourné bride et s’enfuyait en cravachant furieusement sa monture. Sans se précipiter, Vizamir saisit son arc et encocha une flèche. Il visa avec calme, vidant son esprit comme il l’avait appris. Son trait s’envola en lui caressant la joue. Il décrivit une courbe mortellement précise et s’enfonça dans la nuque du fuyard, le tuant sur l’instant. Le cadavre chut tandis que la monture continuait sa course folle.
Le calme s’abattit subitement lorsque Skelda acheva le dernier survivant, celui à qui elle avait creusé les yeux. Le silence était assourdissant. Vizamir resta interdit. Il avait déjà tué auparavant. Mais il n’avait encore jamais abattu trois hommes coup sur coup, sans même en connaître la raison. Il y avait dans cette escarmouche une absurdité et une sauvagerie gratuite qui le glacèrent.
Las, il se traina jusqu’au chariot et s’assit à l’arrière, laissant son regard errer sur les cadavres. Skelda s’approcha de lui. Son air sauvage avait disparu, remplacé par son habituel calme. Du sang frais, celui de ses victimes, coulait le long de ses joues et dans ses cheveux.
-Pourquoi?, demanda Vizamir.
-C’était des déserteurs, répondit-elle. Des traitres à leur cause. Ils ne méritaient pas de vivre.
-Comment l’as-tu su?
-Leur tabard arbore un petit symbole en dessous du loup. C’est le symbole d’une de leur armée, que j’ai massacrée dans un col il y a quatre mois, plus au sud. Et puis ils étaient trop nombreux. Les éclaireurs vont seuls ou par deux, et les avant-gardes doivent être en effectifs suffisants pour pouvoir repousser une petite force. Ils n’étaient ni l’un ni l’autre. Ce porc là-bas voulait me prendre dans son lit, continua-t-elle en désignant celui qu’elle avait aveuglé. Ils m’auraient emmené avec eux, et seule contre six je n’aurais eu aucune chance. Ici, je t’avais avec moi, les risques étaient bien moindres. Quoi qu’il en soit, c’était un bon combat. Lorshak doit être satisfait.
-Un combat?, ironisa Vizamir. J’appelle ça un massacre. Tu ne leur a pas laissé l’ombre d’une chance.
-Ainsi va le monde, Vizamir. Tuer, ou être tué.
-N’as-tu peur de rien?
-Avant, non. Maintenant, si.
-Et de quoi as-tu peur?
-De toi, Vizamir.
-De… De moi?
-Je t’ai vu combattre. Tu as pris la vie de trois hommes, et rien n’a brillé dans tes yeux. Ni haine, ni peur, ni colère, ni dégoût, ni plaisir. Tu as tué, et cela ne t’as fait ni chaud ni froid. Comment ne pas craindre un homme pour qui la mort n’est rien?
Abasourdi, Vizamir ne trouva rien à rétorquer. Il se contenta de fixer la guerrière un long moment, pendant qu’elle pillait les cadavres à la recherche d’équipement et de provisions.
Merci d'avoir lu!
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