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La Tour du Rouge : [Random | Très court] Sans titre #1
sakuranbo:
Waaaaaaaaaaaaou!!!! Excuse moi de tant d'enthousiasme, mais j'ai vraiment adoré ce chapitre :niais: Le Héros que tu décris si bien, la discussion très bien menée entre Tarquin et le Chien, les sentiments de Malon, que du bonheur à lire! Et puis Feena est trop classe, je l'adore! Je n'ai aucune critique à emettre, juste des compliments pour cette fic si bien écrite!
J'ai vraiment hâte d'avoir la suite :niais: Je suis fan!
Great Magician Samyël:
(Note : Les réponses aux commentaires précédents ont été perdus lors du passage à la version 7.5 du forum.)
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VII
-Kaepora-
Kaepora avait rendu sa démission du poste de Maître. Lassé, fatigué, écœuré de ce qu’était devenu le Consortium et ses plus hauts-membres, il avait préféré se retirer du pouvoir et se consacrer à l’étude et l’élévation spirituelle. En vérité il continuait à instruire la jeune Médolie et son ami Scaf, car de tous ses élèves ils étaient les plus innocents, les plus aimables. En dehors de ces deux là, personnes ne venaient le déranger, perché qu’il était dans sa chambre du dernier étage. Il n’en sortait plus que pour aller cherche tel ouvrage à la bibliothèque, et se faisait monter ses repas par un serviteur.
Il caressa d’une main distraite le buste de Gaebora tout en regardant depuis sa fenêtre la fête qui battait son plein en contrebas. Il avait de la même façon assisté à l’arrivée du Héros, avant de se rendre au plus près par l’intermédiaire de son hibou familier. Avec une pointe de gêne, il devait reconnaître que la femme barbare lui aurait presque fait retrouver la fougue de ses jeunes années. Il n’avait pas porté beaucoup d’attention aux autres. Le monde extérieur ne lui était pas d’un grand attrait, et il ne se souciait pas des turpitudes politiques. Cela n’allait pas changer sa vie, après tout. Même le Roi n’osait trop rien dire au Consortium. Il y avait trop en jeu.
Parfois, lorsqu’il contemplait la ville, sa vie, sa joie, son entrain, Kaepora regrettait d’avoir choisi la voie de l’Esprit, se coupant ainsi d’une vie normale, d’une famille, d’une épouse, d’un fils. Il était en effet interdit aux membres du Consortium de se marier, ou d’entretenir des relations charnelles, au risque de se voir à jamais refuser l’entrée au collégium de magie. Cela n’avait jamais perturbé Kaepora, mais à l’approche du crépuscule de sa vie, il songeait de plus en plus à connaître les choses qu’il avait toujours délaissées au profit de l’étude et de la connaissance. Il se sentait de moins en moins chez lui entre les murs de l’école, comme entouré d’étrangers. Ses vieux amis étaient soit morts, soit séniles, soit métamorphosés comme Sahasralah qu’il ne reconnaissait plus depuis quelques temps. Il n’avait plus le cœur à enseigner à la nouvelle génération de mage, bouffie d’orgueil, d’arrogance et par trop impatiente.
Il ne savait pas encore ce qu’il pourrait faire, une fois dehors, mais il savait qu’il voulait quitter le Consortium… Définitivement. Mais avant cela, il avait des travaux à finir, et qui requéraient les ressources du collégium. Se détournant de la fenêtre, il retourna à sa table de travail, sur laquelle un grimoire datant de l’ère Primaire -époque qui avait fini par la quasi-extinction de la merveilleuse civilisation Hylienne- trônait fièrement, ouvert sur une page richement calligraphiée. L’ouvrage n’était pas à la portée du premier néophyte venu. En plus d’être assez pointu sur l’alchimie des Essences, il était rédigé en Haut-Hylien, une langue morte presque oubliée. Kaepora se targuait de la parler presque couramment, mais les Hyliens de l’ancien temps se complaisaient à inventer et utiliser moult mots savants pour nommer toutes leurs découvertes. Ce vocabulaire particulier devait être recherché dans d’épais tomes de traduction : un travail long et fastidieux. Surtout lorsqu’une erreur dans l’analyse de la déclinaison vous faisait chercher dans le mauvais grimoire…
Cependant, cette méthode appartenait au domaine du passé pour Kaepora. Avec les ans, sa maîtrise de la langue s’était largement améliorée, son vocabulaire étoffé de milliers de mots, et rares étaient encore les passages qui lui donnaient du fil à retordre. Quand cela arrivait -comme présentement-, il s’en allait trouver Madura.
C’est ce qu’il fit. Tandis que Gaebora regagnait son perchoir favori en hululant, il ferma le livre en ayant pris soin de marquer sa page d’un petit morceau de parchemin, puis quitta sa chambre. Madura se trouvait toujours quelque part dans le labyrinthe d’étagères qui constituaient la bibliothèque du Consortium. Cela prenait parfois plusieurs heures à Kaepora pour trouver son ami, plongé en pleine lecture derrière des colonnes de livres posés les uns-sur les autres au fur et à mesure que leur contenu était disséqué.
Madura était un curieux personnage. Il était arrivé au Consortium la même année que Kaepora, et de fait ils avaient le même âge. Cependant, là où Kaepora s’était révélé doué et brillant, Madura avait enchaîné les échecs et les désillusions. Malgré tout, les deux hommes étaient devenus bons amis, le jeune prodige et le raté fini. Un jour cependant, durant leur deuxième année, Madura fut victime d’un curieux incident. Alors qu’il déambulait dans les couloirs, broyant comme à son habitude du noir sur ses capacités, la tête d’une statue ornementale se détacha de son buste et s’abattit violemment sur le crâne du jeune apprenti. Ce dernier resta plusieurs jours dans l’inconscience, et lorsqu’il s’éveilla, il proférait des paroles incohérentes dans des langues inconnues. L’archimaître diagnostiqua que Madura avait reçu, de façon miraculeuse, les dons rares de la compréhension universelle des langages, ainsi que celui de la prophétisassion. S’il ne s’intéressa jamais vraiment au second, il fit du premier sa raison de vivre. Délaissant totalement l’étude de la magie, il fit de la bibliothèque son repaire, et se mit à dévorer tome après tome après tome. Rien ne lui posait problème, et il ne fallut pas long avant que tous les hommes et femmes du Consortium ne viennent lui demander des traductions.
Ce style de vie avait bien entendu affecté Madura. Il s’était presque totalement coupé du monde réel, son esprit oscillant entre les âges lointains et mystérieux décrits dans les grimoires, ne reconnaissant presque plus ses contemporains, et ne parvenant plus à se souvenir des événements du présent. Son caractère était devenu catastrophique : irascible, colérique, il ne supportait presque plus la compagnie, le bruit, les préoccupations courantes. Et quand bien même, malgré tout, quelqu’un réussissait à obtenir de lui une traduction, il n’était pas dit qu’il vous la donnât dans la langue appropriée. Beaucoup rapportaient aussi, alors qu’ils cherchaient certains ouvrages, l’avoir entendu psalmodier des mots étranges, tout seul dans un coin. Tant et si bien que presque tout le Consortium s’était entendu pour le croire fou, et ne plus s’en préoccuper. A sa connaissance, Kaepora était le seul à continuer de visiter Madura. Il fallait dire que leur lien d’amitié ne s’était jamais rompu, et que malgré sa condition, Madura conservait assez de lucidité dans ce qui touchait à son vieil ami.
Kaepora avait envisagé un moment demander à son ami de le suivre hors du Consortium. Mais il était revenu sur cette idée. La passé, les sciences, la connaissance, les langues anciennes étaient tout pour Madura. Il ne pouvait pas lui demander d’abandonner tout ce qu’il était, tout ce qu’il aimait. D’autant plus que Madura ne devait pas avoir conscience des changements qui se produisaient au sein du collégium de magie. Il était trop hors du temps, coupé du reste, déconnecté. Il valait mieux pour lui qu’il restât là.
Arrivé au bas des trop nombreux escaliers en colimaçon qui le ramenaient au rez-de-chaussée, Kaepora était essoufflé. Il passa une main presque paternelle sur son ventre rebondi, mais regretta un peu la vigueur de sa jeunesse -une fois de plus. Personne n’aurait pu être en mesure de l’affirmer en l’état actuel, mais il avait été un fringuant jeune homme. Le Consortium était plus ou moins désert, car la majeure partie des étudiants et des professeurs avait eu la permission de se mêler aux festivités de la semaine. Il ne devait rester en les murs blancs du vénérable bâtiment qu’une vingtaine d’âmes, incluant les Maîtres, Madura, lui-même et quelques serviteurs. Kaepora appréciait le calme serein qui se dégageait à présent, renforcé par le cadre enchanteur du collégium, bâti selon des plans d’architecture Hyliens anciens, retrouvés dans des ruines à l’époque de l’apparition des Hommes.
En se rendant sans précipitation jusqu’à la bibliothèque, Kaepora aperçut Vaati, du moins sa longue chevelure blanche lui tournant le dos, de l’autre côté du cloître qu’il venait de rejoindre. Le jeune Maître jeta un regard circonspect alentour, puis disparut dans un pan de mur. Pour une raison qu’il ignorait, le cœur de Kaepora s’emballa. Il ne connaissait pas l’existence de ce passage dérobé (magiquement, sans aucun doute), alors qu’il occupait la fonction de Maître deux semaines plutôt encore. Ce genre d’endroit n’était vraiment pas inhabituel dans le Consortium, mais tous les Maîtres étaient informés de la création d’un tel lieu. Hors Kaepora ne l’ayant pas été, il y avait deux explications possibles : soit cela était postérieur à sa démission, et donc très récent, soit on ne l’avait pas informé délibérément… Dans les deux cas, la chose lui paraissait curieuse. En temps ordinaire, Kaepora aurait continué son chemin sans s’en préoccuper d’avantage. Mais il ne pouvait chasser de son esprit la mine contrariée et soucieuse qu’il avait entraperçut sur le visage de Vaati. Sans faire de bruit, Kaepora s’approcha du mur en question, et l’éprouva doucement. Bien entendu, il rencontra la résistance habituelle de la pierre.
L’ancien Maître était un mage habile et chevronné ; il ne lui fallut guère longtemps pour neutraliser les défenses magiques. L’ouverture se présentait comme un simple trou dans le mur, ouvrant sur des escaliers raides s’enfonçant profondément dans le sol. Tellement profondément que leur fin était camouflée par des ombres épaisses. Le claquement sec d’une porte métallique que l’on referme se répercuta sur les marches, et ce bruit sonnant comme une sentence irrémédiable fit frissonner Kaepora.
Il n’était pas homme à se mêler des affaires d’autrui ni à être curieux de ce qui ne le concernait pas. Un bizarre pressentiment, cependant, lui fit descendre l’escalier de pierre grise. Au fur et à mesure que les ténèbres se refermaient sur lui, le sentiment de malaise et d’oppression qui l’étreignait s’accentua tout à fait. Après une descente qui lui sembla durer des heures, il fit face à la fameuse porte. Ce n’était rien d’autre qu’un étroit battant de fer noirci imbriqué dans la paroi rocheuse. Il était aveugle et dénué d’anneau et de poignée. On avait beau tendre l’oreille, aucun son ne s’en échappait. Kaepora avança prudemment la main, redoutant il ne savait quoi. Une sueur glacée lui courait le long de l’échine, son cœur battait plus fort qu’un tambour.
Lorsque ses doigts effleurèrent le métal froid et légèrement humide, une terreur aussi vive que soudaine s’empara de lui et il se recula précipitamment en poussant un cri qu’il étouffa aussitôt. Une horreur séculaire, cosmique et hideuse avait envahi, l’espace d’une seconde, son esprit. Quoi que Vaati fît dans cette salle, ce n’était rien de sain ni de bon. Terrifié, en proie à une vive agitation, Kaepora se hâta de rejoindre le cloître. Il décida que cela ne le regardait en rien, et qu’il était plus sage et raisonnable de tout oublier.
Mais lorsqu’il fut de nouveau dans la galerie ceinturant la cour intérieure, il eut l’impression nette qu’un mal innommable suppurait des murs familiers. Un relent de pourriture antique le suffoqua, et il gémit en s’effondrant sur un genou. De ses yeux fiévreux, il regarda alentours, et il eut juré que les statues lui rendaient son regard avec des sourires tout de sarcasme et de cruauté. La pelouse n’était-elle pas grise et fanée tout soudain? Le ciel noir et lugubre? Qu’étaient ces bruits ignobles semblables à une chœur de miséreux hurlant d’agonie? Kaepora poussa un cri lorsqu’il sentit une présence à son côté, mais il avait beau tourner la tête en tous sens, il n’y avait personne. Rien qu’une présence intangible, démoniaque, qui le dévisageait, il en était certain.
« Kaepora… »
Son nom, à peine murmuré par le vent, terrible tout à coup, sonna comme l’évocation d’un met somptueux, prêt à être dévoré. Un éclair fendit le ciel torturé, illuminant le cloître d’ombres sournoises, terrifiantes, vivantes. Elles s’approchèrent du mage tétanisé en tendant des doigts crépusculaires tordus et répugnants, susurrant des cris aussi muets qu’assourdissants.
Et par-dessus cette folie surnageait le spectre d’une entité plus effroyable que le cœur de la nuit, cosmique et terrestre à la fois, froide comme le plus froid des hivers, et plus redoutable que la mort elle-même.
L’esprit de Kaepora se brisa, et c’est en pleurant qu’il sombra dans la terrible inconscience dont, il en eut le bref pressentiment, il ne sortirait jamais.
sakuranbo:
Nyaaa! Je suis contente de lire un nouveau chapitre de cette fiction que j'adore!
J'ai beaucoup aimé ce chapitre, comme d'habitude, je lui reproche juste d'être déjà fini :3 Tu sais toujours aussi bien décrire et utiliser les personnages à ta façon, j'adore^^
Brrr! Le sort de Kaepora m'a fait froid dans le dos! Vivement la suiiiiite!!!
Great Magician Samyël:
Je suis content de te savoir toujours au rendez-vous! :) Et comme j'ai été mortifié de prendre conscience du temps intolérable qui s'était écoulé entre le post du chapitre VI et celui du VII, voici d'ores et déjà le chapitre suivant! Bonne lecture!
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[align=center]VIII
-Dumor-[/align]
Toute la fine fleur d’Hyrule était là, attablée le long des tréteaux surchargés de victuailles -rôtis, pâtés en croûte, volailles, tourtes, poissons dans leurs sauces légères, gourmandises sucrées ou salées, pains dorés et autres brioches, vins, bières, hydromels, il y avait tout ce que pouvait offrir le royaume.- et couvertes de fines nappes blanches brodées au fil d’or des Trois Triangles et du blason royal. Un observateur extérieur aux jeux du pouvoir n’aurait vu dans le placement des convives qu’un joyeux chaos dicté par l’humeur des invités, mais autours des tables personne ne doutait que la main de maître Baelon y fusse étrangère, sûrement secondée par l’avis de l’intriguant Tarquin ou du couple royal lui-même. Ainsi Lord Darunia côtoyait Lady Ruto, toujours vêtue d’une sobre mais élégante robe noire -elle ne parvenait pas à faire le deuil de son époux, parti pour le Saint Royaume durant l’Hiver- car un mariage entre ces deux veufs arrangeait tout le monde. De même, Saria Mojo, la fille de Lord Dumor, était-elle assise à la gauche du jeune et farouche Lars Zora, car une union entre eux avait déjà été évoquée plusieurs fois -même si Lord Dumor n’entendait pas le moins du monde marier sa fille adorée à quiconque qu’elle n’aurait elle-même choisi. Le véritable casse-tête de ce banquet avait été le cas du Chien. En effet, même si d’aucun n’aurait eu l’audace de le clamer, nul ne le voulait pour voisin, tant sa laideur était grande, et sa cruauté barbare reconnue. Et comme il était le suivant personnel du sieur Link -du Prince Link, sous peu-, il avait fallu le placer pas trop loin de l’estrade royale, et donc l’entourer tout de même d’un certain prestige. Maître Baelon avait choisi avec habileté Lord Darmani, le frère de Lord Darunia, pour sa gauche -la place la plus proche de l’estrade-, et nul doute que ces deux guerriers trouveraient à s’entendre sur quelques récits de bataille, quant à la droite du Chien, elle était tenue par Laruto, l‘Enchanteresse de la famille Zora, dame de compagnie de Lady Ruto. Si elle en était offusquée ou chagrine, elle n’en montra rien, et ses traits doux et maternels ne cessèrent de sourire diligemment.
Le placement des autres convives était plus convenu. En bout de table se retrouvaient les enfants et les jeunes hommes : les fils Dodongo, Ser Allister, Ser Goro, et Ser Sedrik qui déjà se disputaient les meilleurs plats ; en vis-à-vis venaient le jeune Lars et Lady Saria, épaulée par son frère le Ser Mido. Ensuite avaient été placées la petite noblesse et la petite chevalerie, à l’instar de Ser Talon, le maître d’arme, et Maître Ingo, son royal palefrenier de cousin, dont l’air ronchon le disputait à celui caricaturalement débonnaire de Talon, mais aussi Feryl, le bon capitaine de la Garde, ainsi que les courtisanes et suivants des grandes maisons. Koume et Kotake Dragmir, les sœurs jumelles de Lord Dorf, placées en vis-à-vis, marquaient la limite entre le haut et le bas du panier, si l’expression était permise. Un haut de panier au final assez restreint. Sur le côté droit de l’estrade venaient, dans l’ordre : Kotake, Lady Ruto, Lord Darunia, Laruto, le Chien, Lord Darmani, et le sire Colin. En vis-à- vis, dans le même ordre : Koume, Maître Baelon, Fado, Lord Dumor, Dame Feena, Nabooru -la Première Concubine de Lord Dorf-, et le seigneur de celle-ci. L’estrade, qui était surélevée par rapport au reste de la salle, et qui établissait la base de la forme en U des tables, accueillait, de gauche à droite : Monseigneur Rauru, Tarquin du Sheikah, Agahnim le Sombre, la reine Ishtar, sa Majesté Salomon, le sieur Link, la princesse Zelda et son jeune frère son Altesse Noahnsen.
En réalité, le placement n’était pas si convenu que ça, et manquait quelque peu au protocole. En temps ordinaires, il aurait été impensable que les Lords du Conseil des Sages -Darunia, Dorf, Dumor, Lady Ruto- ne se situassent pas aux parages immédiats de l’estrade. De plus, il était presque insultant que Laruto et Fado fussent placés plus haut que des Lord et leurs Lady, car malgré leur appartenance passée au Consortium Aedeptus, ils n’avaient officiellement que le titre de conseiller auprès de leur maison. Mais Lord Dumor avait déclaré qu’il n’assisterait pas au banquet si son conseiller n’était pas à son côté, et maître Baelon n’avait trouvé personne d’autre à caser auprès du Chien que Laruto. Alors, tout le monde trouvait de bon ton de ne point s’offusquer. Fallait-il préciser par ailleurs que le sieur Link, le Chien, le sire Colin et la dame Feena n’étaient que des guerriers sans titres ni terres, et donc, pour le moment, de simples reîtres?
Lord Dumor, dit le Lutin en raison de sa petite taille, avait insisté pour garder Fado à son côté, car il allait avoir besoin de ses dons durant le repas. Si le maître de la maison Mojo n’était pas vraiment taillé pour la guerre, la joute, la lutte, l’escrime, le tir à l’arc ou la chasse, il en avait profité pour développer un esprit d’une redoutable efficacité, une intelligence conçue pour intriguer et comploter, tirer son épingle du jeu. Enfin, il se vantait de n’en être que le seul informé, avec Fado, car il avait planifié, des années auparavant, de se donner l’image d’un fat insolent et à peine assez malin pour tenir tête à Lord Dorf durant une partie d’échec -même s’il devait se faire violence pour ne pas exploiter chacune des fautes magistrales commises par son adversaire, c’est-à-dire tous ses coups. Cette image collait d’ailleurs assez bien avec sa corpulence de nain, dont il s’était fait une arme. Il n’était jusqu’au sournois Tarquin qu’il ne trompait.
Lord Dumor appréciait beaucoup les banquets. Non pas qu’il aimât manger -il n’avait jamais vraiment été homme d’appétit- mais c’était souvent l’occasion de s’instruire sur ses pairs, de démêler certaines intrigues de cour, de vérifier ou discréditer certaines rumeurs, de prendre la température de la cour, de fonder des alliances, de résoudre des querelles, le tout dans une ambiance festive de bon aloi.
Le Lutin piochait distraitement dans les plats devant lui, trempait vaguement ses lèvres dans des coupes de vins capiteux, tandis que ses yeux vifs, du même vert foncé que les feuilles des vastes forêts ceinturant sa citadelle de Boisperdu, allaient d’un convive à l’autre, cherchant à surprendre des regards, des expressions, des bribes de conversations, des postures. Il eut quelques surprise. La plus importante, du moins la plus surprenante, était la conversation apparemment passionnante dans laquelle étaient plongés le Chien et cette enchanteresse de Laruto. Cette dernière ne semblait pas s’effaroucher de l’aspect répugnant de son interlocuteur, elle le regardait droit dans les yeux -enfin, droit dans l’œil, plutôt. Quant à Lord Darmani, il mit un certain temps avant de s’intéresser aux dires du sire Colin, qui paraissait bien mal à l’aise en pareille compagnie. Même si, quelques coupes de vin plus tard et le rouge aux joues, c’est à gorge déployée qu’il riait des anecdotes du cadet Dodongo.
Lord Dorf échangeait des banalités avec sa concubine et Monseigneur Rauru ; les sœurs Dragmir s’interpellaient l’une l’autre en gloussant, sous l’œil sévère de Maître Baelon, tandis que Lord Darunia et Lady Ruto devisaient tranquillement, mais sans ardeur. Ce qui se passait sur l’estrade était très intéressant également. Tandis que la Princesse Zelda n’en pouvait plus de jeter des œillades passionnées à son promis, lui ne se souciait d’elle autant que de son premier pantalon, absorbé qu’il était dans sa conversation avec son futur beau-père. Il répondait poliment tout de même, de temps en temps, à la princesse, mais il fallait être aveugle pour ne pas voir qu’il lui aurait volontiers rabattu son caquet pour qu’elle le laissât enfin en paix. En bout de table, le prince picorait dans son assiette, l’air de s’ennuyer de tout. Il ne cessait cependant de jeter des regards intenses au Chien, qui hélas lui tournait le dos. La reine Ishtar se retira assez tôt, ses forces toujours plus déclinantes au fil des jours ne lui permettant plus de tenir aussi longtemps un événement officiel. Le Premier Conseiller Agahnim et Tarquin Qu’un-Œil se tenaient cois, le premier mangeant de bon appétit, le second se contentant de darder son effroyable œil rouge sur l’assemblée, même si en fin de repas, il se mit à échanger avec Monseigneur Rauru.
Le cadre était charmant et festif. On avait fait venir des rhapsodes, des chanteurs, des harpistes, des flûtistes, des saltimbanques, et bien sûr, le Bouffon du Roi, Tingle Tingle, régalait toute l’assistance de force pitreries et facéties.
Fado le Faiseur des Vents mangeait calmement, goûtant à tous les plats, buvant à toutes les coupes, avec un plaisir évident. Le conseiller de Lord Dumor était plus grand que ce dernier, mais pas de beaucoup. Il avait l’allure et les traits d’un enfant, et malgré sa cécité ne se débarrassait jamais d’un petit sourire espiègle et doux. Nul ne savait grand-chose de lui, comme son âge, en dehors de Laruto dont il se murmurait qu’ils furent amants, jadis. Personne ne se trompait cependant, tous savaient qu’il était un mage redoutable, courtisé par les grandes familles dès le point du jour où il quitta de son plein grès les rangs du Consortium. Dumor lui-même ne savait pourquoi l’énigmatique conseiller l’avait préféré aux autres, mais il s’en félicitait, les aptitudes de son serviteur s’étant révélées multiples et précieuses.
Le Lutin se pencha vers Fado.
-Parle moi du Chien.
Le magicien ne s’arrêta pas de manger, se contentant de pencher légèrement la tête sur le côté, comme s’il réfléchissait tout en mâchant avec délectation une tranche de rôti finement cuit dans la graisse.
-Il n’est rien à craindre de lui. C’est une âme brisée depuis longtemps, et lasse de tout. Sa loyauté à son maître est sans faille et inconditionnelle : Link est sa raison de vivre, et il obéira à tous les ordres sans jamais broncher. Je ne le sens ni sournois, ni perfide, mais il est seul, et ne cherche pas de compagnie.
Lord Dumor acquiesça pensivement.
-Si je puis me permettre une réflexion…
-Fais.
-Je sens qu’il serait bon pour vous de vous en approcher et de vous en faire un ami.
-Pourquoi donc?
-Le vent me le murmure à l’oreille.
Lord Dumor eut un claquement de langue sceptique. Cela signifiait que Fado n’avait eu qu’un pressentiment. Rien de concret. Il ne s’agissait pas miser sur le mauvais cheval.
-Que peux-tu me dire des autres? Et épargne moi tes fantaisies.
-Comme il vous plaira, messire. Le lieutenant est un esprit simple et bon, mais assez couard, hanté par les spectres de ce qu’il considère comme ses crimes. Quant à Link… Je n’ai rien à en dire.
-Comment cela, rien à en dire?
-Oui.
Comme Fado ne semblait pas vouloir ajouter quoi ce que soit d’autre, le Lutin, eut un geste d’humeur en plantant assez disgracieusement son couteau dans la cuisse d’un poulet.
-Quelque chose contrarie m’sire?, fit une voix de l’autre côté de sa personne.
Il se tourna sur son siège, et ce fut comme s’il apercevait Feena Hurlebataille pour la première fois. Le fait qu’elle le dominait encore d’une bonne tête malgré les coussins qui le rehaussaient donnait plus de force encore à son regard farouche, ses traits volontaires, et à cette aura exceptionnelle qui était la sienne. Lord Dumor resta subjugué une courte seconde, et malgré toutes ses vantardises introspectives sur son esprit et sa subtilité, il ne put contrecarrer le feu qui se déclencha dans ses chausses au niveau de son aine. Il en fut dépité d’être le seul Lord encore marié. Ses yeux parcoururent furtivement les formes splendides et musclées de la guerrière, parfaitement mises en valeur par les vêtements d’apparats d’homme frappés de son blason -double haches croisées cramoisies- qu’elle portait.
-Tout à fait, finit-il par répondre après s’être recomposé une posture. Voyez-vous, mon cher conseiller vient de m’annoncer que j’étais toujours, hélas, trois fois hélas, marié ; et qu’en conséquence de quoi ce serait fauter que de contempler vos seins si superbes.
Lord Dumor se dégoûtait lui-même par moments. Il avait un esprit qui encensait la poésie, la beauté simple, la finesse et la délicatesse, mais le personnage qu’il avait mis tant d’ardeur à se créer dictait à présent toutes ses phrases. Il se trouvait souvent sot, grossier et outrageux. Par bonheur, la dame ne s’offusqua pas de sa remarque, au contraire, elle en rit.
-Et bien, m’sire me prend au dépourvu. Si je ne l’en remercie pas moins pour le compliment, je dois dire que je ne m’attendais pas à tant de… franchise de la part d’un Lord.
Le Lutin se força à jouer son personnage jusqu’au bout. C’était plus difficile qu’à l’ordinaire.
-Ha, pour sûr, l’eussiez vous demandé à Lord Dorf ou Lord Darunia, ils vous auraient parlé de votre parure ou de votre coiffure. Mais nous savons tous deux ce qu’ils auraient réellement eu à l’esprit.
-M’sire parle franc, répéta Feena en avalant une gorgée de vin en ne quittant pas Dumor des yeux.
-Parlez moi du Chien.
Hurlebataille eut un ricanement.
-C’est curieux. Je pensais venir dans la capitale pour célébrer l’avènement de mon seigneur, mais tout le monde passe son temps à me parler de son animal domestique.
-Tiens donc? Qui cela, par exemple?
-Vous êtes trop curieux. Cela me regarde.
-Ne m’en parlerez vous point, alors?
-Que voulez-vous que je vous en dise?
-On dit qu’il a tué des centaines de guerriers.
-C’est vrai.
-Tant que cela? Je crains que même ce brave Lord Darmani ne puisse se vanter de pareil exploit.
-Mais ne vous trompez pas, le sieur Link est plus redoutable.
-Ha! Me voilà rassuré. J’aurais été bien peiné d’avoir pour roi un faible qui se targue des mérites des autres.
-N’ayez aucune crainte à ce sujet là…
La petite pointe d’amertume glissée dans la phrase n’échappa pas à Dumor. Malgré lui, son regard sur porta sur le monarque en devenir, et son cœur loupa un battement lorsque ses yeux rencontrèrent la brutalité océane et destructrice des prunelles du Héros. Il se détourna bien vite, et but avec un faux engouement une longue rasade de vin, aboyant sitôt après un serviteur pour qu’on lui resservisse le même. Tout en ruminant sur la situation actuelle, il lança sans y mettre le cœur des morceaux de nourriture sur Tingle Tingle en lui criant d’être drôle, pour changer, sous les applaudissements de l’auditoire.
Sans qu’il s’y attendisse le moins du monde, une paire de lèvres douces effleura son oreille droite, et les mots qui les franchiresnt le glacèrent.
-Vous pouvez tromper tous les hommes qu’il vous plaira, m’sire, mais vous ne me tromperez pas moi. J’ai lu dans vos yeux ce que vous êtes réellement. Cependant, mes seins vous remercient tout de même.
Curieusement, cet épisode mit le cœur de Lord Dumor en joie. Cela aurait émané d’une autre personne qu’il se serait renfrogné, mis en colère surement, mais venant de cette femme, il en tira un certain soulagement. En la regardant dans les yeux, il lui porta un toast et ils trinquèrent ensemble. Un peu plus tard, le Lutin glissa sur un air de reproche à Fado :
-Tu ne m’avais point parlé d’elle.
-Il n’en est plus besoin.
Lord Dumor se renfonça dans son siège, dépité, imaginant tous les moyens les plus distrayants d’effacer à jamais ce fichu sourire du visage du Faiseur de Vents. Alors qu’on amenait les desserts, il fit un dernier tour de l’assemblée.
Il aurait payé cher pour entendre certaines des conversations.
sakuranbo:
Quelle joie de découvrir un nouveau chapitre ce matin! :<3: Superbement bien écrit, comme tous les autres. Tu décris vraiment bien l'ambiance de ce festin, on a l'impression d'y être!
J'aime beaucoup le fait que tu jongles avec de nombreux personnages qui ont tous une vraie profondeur psychologique. J'adore particulièrement Hurlebataille pour sa repartie et son caractère flamboyant^^
Tes descriptions sont très bonnes avec un bon vocabulaire, les dialogues sont dynamiques... Bon je te fais des tonnes de compliments, mais sache que je suis vraiment fan! :niais:
J'attends la suite avec impatience!!!
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