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La Tour du Rouge : [Random | Très court] Sans titre #1
Great Magician Samyël:
Le fait de te savoir aussi enthousiasme à propos de Triangle me permet de trouver les ressources pour me surpasser! Car oui, voici déjà le chapitre suivant! Encore merci, en tous les cas, d'être aussi assidue et enchantée, Sakuranbo ^^ En espérant que Triangle continue de te séduire...
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[align=center]IX - I
-Le Chien-[/align]
Le Chien n’avait jamais vu autant de nourriture à la fois, et dans une telle diversité. Il y avait plus de plats qu’il n’en connaissait, plus de boissons qu’il n’en avait jamais goûtés, plus de fumets qu’il ne pouvait en humer. Toute cette abondance lui donnait mal au crâne. Il ne savait pas par quoi commencer, par quoi était-il décent de commencer. Les pâtés? Les salades? Les tourtes peut-être? Ne sachant trop que faire, il décida de calquer sa conduite sur celle de Lord Darmani, à sa gauche.
Le cadet Dodongo était, comme tous les membres de sa famille, un colosse qu’on imaginait plus aisément en armure qu’en soierie. Contrairement à la physionomie de son frère et de ses fils, le visage de Darmani était un bloc compact toujours maussade. Ses traits étaient durs, rigoureux, militaires. Ses yeux étaient profondément enfoncés sous d’épais sourcils blancs, lui conférant un regard perpétuellement ombrageux. Ses cheveux, blancs de même, étaient hérissés en une espèce de couronne tout autours de sa tête, renforçant le côté guerrier du personnage.
Il ne semblait pas particulièrement ravi de se retrouver à côté du Chien, car il ne le regarda pas une fois ni ne lui adressa la parole au cours du banquet. Le Chien ne chercha pas non plus, de son côté, à nouer le dialogue. Il était fatigué, et n’aspirer qu’à un peu de repos. Il avait encore en tête le moelleux du lit de sa chambre, la douceur des draps… Pour un peu, ses paupières se seraient fermer d’elles-mêmes. Il préféra se concentrer sur les mets raffinés pour rester alerte. Il ne s’agissait pas de faire mauvaise impression, et de passer pour plus idiot encore qu’il ne devait déjà paraître aux yeux de toutes ces nobles personnes. Plus que jamais le Chien avait le sentiment de ne pas être à sa place. Il faisait tache dans le tableau. Il était laid, mutilé, peu instruit, ne savait que se battre et exécuter les ordres. Un tour de l’assemblée le conforta dans son opinion. Même Maître Tarquin, qui passait pour effroyable, avait un port noble et digne, savait parfaitement se tenir, était dans son élément. Et Lord Dumor, malgré son handicap, n’en était pas moins beau pour autant.
-Laissez les dire. Vous aurez bien assez tôt l’occasion de vous faire connaître auprès d’eux.
Le Chien se tourna tout à fait, car sa vision amputée ne lui permettait pas de voir sa voisine de droite. Il fut un instant désarçonné lorsque leurs yeux se rencontrèrent. En effet, dame Laruto contemplait son visage meurtri sans broncher, détaillait les cicatrices sans manifester de répugnance ou d’effroi particulier. Un sourire chaud et aimable étira ses lèvres maquillées de cyan pailleté d’or. Ce sourire, le premier qu’on lui adressât spontanément depuis… des lustres! réchauffa le cœur du Chien.
-Plaît-il?, répondit-il d’une voix rauque, qu’il éclaircit en toussotant dans son poing.
-Ils se méfient de vous, ont peur de vous peut être, ne vous aiment point. Mais il faut les comprendre. Ils n’ont de vous que l’image qu’ils ont pu se faire des récits fantastiques et des rumeurs surréalistes qui ont filtré à la Cour.
-Quel genre de récit, madame?
-Ho! Des choses effroyables, croyez moi. Certaines prétendaient que vous n’étiez qu’un espèce d’ogre, d’autre que vous mangiez la chaire de vos ennemis. En tous les cas, rien de bien flatteur je le crains.
-Je… Je vois.
Le Chien baissa les yeux, miné. Que n’avait-il pas eu la bonne idée de rester intègre… Il fut surpris lorsque Laruto posa une main apaisante sur son bras.
-Mais que cela ne vous tracasse point. Il est à présent clair que ces rumeurs n’étaient que cela, des rumeurs. Moi, je vois un homme de qualité, mieux élevé que certains des ces nobles seigneurs, loyal envers son maître. Et si certains ont encore de vous l’image d’un reître idiot, alors je n’ai point de doute que vous les détrompiez sous peu.
Le Chien en resta un moment sans voix. Il était tellement peu habitué à ce qu’on le complimentât qu’il ne sut quoi répondre. Il en profita pour détailler sa voisine. Même si elle accusait un certain âge, dame Laruto conservait des traits avenants et délicats, d’un douceur de plume. Ses yeux étaient semblables à deux lapis-lazulis brillants rappelant immanquablement les profondeurs d’un lac, fraiches et paisibles. Des rides joyeuses ornaient les plis de ses yeux et le coin de ses lèvres, et ses cheveux, élégamment coiffés en torsades légères, étaient comme une cascade d’eau pure, d’un bleu pâle chatoyant du plus beau lustre. Sa toilette était sobre mais non dénuée de finesse, partageant elle aussi des tons de bleus. Pour seule coquetterie se tenaient deux boucles d’oreilles de saphirs iridescents taillés à l’image du blason Zora.
-Madame est trop bonne, finit par répondre le Chien.
Elle lui adressa un autre de ses sourires, et but une gorgée de vin légère. Malgré lui, le Chien admira sa gorge, son profil, ses épaules laissées nues par sa robe, comme l’imposait la mode du moment. Lorsqu’il se rendit compte qu’elle le dévisageait pareillement, avec une expression amusée, il se détourna un peu trop vivement, sentant ses joues s’empourprer malgré lui.
-J’apprécie le compliment, sire, fit-elle en lui adressant un léger clin d’œil, ce qui n’eut pour effet que d’alimenter le feu sur le visage du Chien.
Celui-ci se décida à boire à une coupe, au hasard, pour se changer les idées. Pour une fois, il se sentait réellement idiot. Depuis quand louchait-il sans vergogne sur les femmes?
[align=center]IX - II
-Saria-[/align]
-Vrai de vrai, déclara Ser Sedrik avec une mine catégorique. Je vais vous dire, moi, ce que j’ai entendu, et même que c’est la vérité vraie!, enchaîna-t-il en se penchant avec un air de conspirateur, un saucisson à la main. Le Chien, il mange le cœur de ses ennemis, c’est pour ça qu’il est aussi fort!
-Mais c’est répugnant!, s’exclama Lady Saria en posant une main sur sa bouche, outrée. Ser, veuillez modérer vos propos en présence d’une dame. Ce n’est guère décent.
-Pardonnez moi, mais je n’ai fait que répéter ce qui s’ouï.
-Et bien ne répétez plus, de grâce. Je ne voudrais point voir ce banquet gâché à cause de vils racontars calomnieux.
Ser Sedrik la regarda, les yeux ronds, la bouche pleine de saucisses.
-Racontars!, s’outragea-t-il en postillonnant. Frère, n’ai-je point raison?
-Tout à fait, acquiesça Ser Goro en se resservant une généreuse part de rôti. Je l’ai moi-même entendu de la propre bouche d’un garde de mes amis.
Lady Saria tourna la tête, et observa d’un air sceptique la figure du Chien, tournée vers dame Laruto avec laquelle il était en pleine conversation. Même si elle le trouva tout à fait repoussant, la façon dont il s’empourpra niaisement et celle dont rit doucement dame Laruto en réponse acheva de la convaincre.
-Je n’en crois rien, et vous aurez beau dire, il me faudrait le voir pour le croire.
-Et quelle preuve vous faut-il? N’accordez vous donc aucun crédit à notre parole?, d’indigna Ser Sédrik.
-La parole de deux idiots vaut-elle plus que le sentiment d’une dame?, rétorqua Lars Zora, qui desserrait les dents pour la première fois du banquet.
Si sa réplique cinglante coupa la chique des deux frères Dodongo, elle fit pouffer Saria.
-C’est… C’est…, s’empourpra Ser Goro.
Mais la main que posa Ser Allister sur son épaule l’empêcha d’aller plus loin. Le frère aîné secoua doucement la tête, enjoignant à ses cadets de ne pas continuer dans cette voie. Il avait un petit sourire amusé, signe qu’il approuvait les dires de Lars. Ser Allister était un curieux personnage. Physiquement, il était semblable aux autres Dodongo : une carrure de colosse, un teint sombre et bronzé, des prunelles brunes, un visage carré et sympathique ; il différait cependant de ses frères, de son père et de son oncle, car il avait hérité de plus de caractéristiques de sa mère. Ses cheveux longs et raides n’étaient pas auburn mais noir de jais, ses traits étaient plus fins, empreints d’une certaine gravité et d’une certaine mélancolie. Il était également légèrement plus petit et plus fin, mais non moins musculeux. Sa barbe enfin, n’était pas drue et hérissée, mais fine et élégante. Mentalement, il se distinguait également. Même s’il ne délaissait pas les choses de l’épée, bien au contraire -il se murmurait que, s’il n’était pas le meilleur escrimeur, du moins pouvait-il tenir tête à Lord Dorf.-, il était cependant un lecteur assidu, et un fin mélomane. Fallait-il dire aussi que le pauvre homme était venu au monde privé de parole. C’était pourquoi il continuait à fréquenter la table de ses frères et de leurs jeunes amis, quand il aurait pu s’il l’eut désiré se tenir aux côtés de son pères avec les autres Lords. Lady Saria regrettait souvent qu’il fusse promis à Koume Dragmir, car elle l’aurait bien choisi pour mari. Il était doux, et gentil, et preux, et vaillant…
-Et vous, Lars, fit-elle, que pensez vous du Chien?
L’héritier Zora s’abîma dans une courte réflexion avant de répondre.
-Je n’ai que faire des rumeurs. Seuls les actes ont signifiance pour moi. Certes il n’est pas des plus… avenants, mais je n’aurai pas la bassesse de le juger sur sa seule apparence. Ser Talon dit souvent qu’on peut juger un homme sur sa façon de manier l’épée. J’en ferai de même.
Lady Saria acquiesça. De tout le petit groupe, Lars était celui qui s’exprimait le mieux, et qui était le plus mature, pour son âge. Cependant, la mort de son père l’avait affecté, et il passait pour quelque peu renfermé sur lui-même, moins joyeux qu’auparavant. Saria savait cependant qu’il faisait des efforts pour leur rester agréable, même si par moments son humeur prenait le dessus.
-Et le sieur Link?
-C’est un grand homme!, s’exclamèrent en même temps Ser Goro et Ser Sédrik.
-Il n’y a qu’à voir la façon dont il se déplace. Il a la prestance du seigneur, le port du roi. Son bras est sûr, ses yeux acérés. Il n’a pas usurpé ce qu’on dit de lui. Je tremble pour ses ennemis.
-Tout à fait, cher frère!, confirma Ser Goro. Qui pourrait douter en le voyant qu’il n’est pas autre chose que le Héros lui-même?
-Je partage ce point de vue, intervint Ser Mido pour la première fois. Il est le genre d’homme que l’on suivrait jusqu’au bout du monde.
Mais Lady Saria avisa que Lars et Ser Allister ne partageaient pas leur opinion. Le premier observa un silence pensif, et le second jeta un regard à l’estrade royale. La jeune fille surprit un regard entre l’aîné des Dodongo et Link lui-même. Les deux hommes s’observèrent comme deux chiens se cherchant noises, mais Ser Allister détourna le regard le premier, la mine sombre.
L’incident ayant visiblement échappé à tous les autres, Goro continua :
-Que n’ai-je hâte de le voir sur le trône! Sa Majesté Salomon est bonne et juste, mais elle se fait vieillissante. Je pense qu’un peu de sang frais ferait du bien.
Je n’en suis pas si sûre, Ser, je n’en suis pas si sûre.
[align=center]
IX - III
-Malon-[/align]
Les événements qui avaient précédé le banquet avaient coupé l’appétit de Malon. Mais malgré tout, elle se força à sourire aux avances maladroites mais distinguées de sire Feryl, et à celles moins distinguées et souvent à la limite de la grossièreté d’Ingo. Comme elle se trouvait sur la même rangée que lui, elle ne put jeter quelques regards à la dérobée vers le Chien, car la colossale silhouette de Lord Darunia le lui masquait tout à fait. Cependant elle put s’émerveiller tout son saoul de la prestance de Dame Feena, qui répondait à Lord Dumor sans baisser les yeux ni rougir comme une pucelle. Malon enviait la guerrière. Elle ne possédait ni titre, ni biens, ni terres, mais elle était infiniment plus libre que la pauvre courtisane, réduite à endurer les envies de ses maîtres.
-Vous ne mangez presque rien, très chère, lui souffla de son haleine avinée Ingo en lui posant outrageusement une grosse paluche sur la cuisse.
Malon frémit, mais s’obligea à rester courtoise.
-Je n’ai guère appétit aujourd’hui, cousin. L’excitation, sans doute.
Elle détestait Ingo, le palefrenier royal. C’était un homme répugnant, sentant l’écurie, qui tyrannisait ses subalternes mais se montrait obséquieux d’écœurante façon avec les nobles et la chevalerie. Nul n’ignorait sa passion pour l’ivrognerie et la grivoiserie, et il jalousait jusqu’à la haine l’adoubement de son cousin. Au grand malheur de Malon, il avait commencé à s’intéresser à elle depuis que son corps avait gagné en formes et en courbes, et, malgré les nombreux refus de Ser Talon, n’avait pas oublié son idée de la faire sienne. Il ne cessait de la regarder avec ses yeux lubriques quand elle le croisait, tant et si bien qu’elle n’empruntait presque plus le chemin le plus court qui menait aux jardins, car il passait non loin des écuries.
Une question de Feryl, le capitaine de la Garde, obligea Ingo à se détourner. Feryl était un homme bon et juste, avec des manières comme il fallait. Il avait été marié une fois, mais, veuf, il courtisait lui aussi Malon. Ils auraient pu tout deux se retrouver dans ce mariage avantageux pour les deux partis, mais la jeune femme ne souhaitait pas d’un époux trop vieux, et le brave Feryl accusait hélas ses trente sept ans révolus. Cela n’empêchait pas la courtisane de passer du temps avec lui et de l’apprécier comme ami.
Malon releva les yeux et son regard croisa celui de son père, Ser Talon. Ce dernier lui fit l’un de ces fameux sourires débonnaires qui le caractérisaient. Le cœur de Malon se serra. Chaque jour elle remerciait les Déesses bien aimées de lui avoir accordé un père si doux et attentionné. Mais elle ne les remerciait pas, par contre, de l’avoir adoubé. Ser Talon était un homme simple, serviteur loyal dans l’âme, fils d’un forgeron. Son histoire n’avait rien d’exceptionnelle, à l’exception d’un mariage heureux achevé dans une demi douleur : sa femme aimante périssait en mettant Malon au monde. Talon se révéla être un excellent père, et bien qu’il lui fût difficile de concilier ses devoirs paternels et son métier, il s’y efforça. Sa chance tourna lors d’une chasse royale, à laquelle il avait été convié pour s’occuper du ferrages des chevaux. Le soir, alors que tout le monde s’occupait à monter le camp, un énorme sanglier avait jailli des fourrés, comme rendu fou par quelque chose. Sans attendre il avait chargé le roi Salomon, alors totalement pris au dépourvu. C’est là que Ser Talon, n’écoutant que son courage et sa loyauté envers son souverain, avait saisi une lance abandonnée et s’était jeté en travers de la route de l’animal. Le combat qui les opposa fut, selon les dires des observateurs, digne d’une légende, mais il coûta une jambe à Talon, qui se fit estropier par une charge furieuse. Le roi avait alors ordonné de chevaucher bride abattue jusqu’à la Citadelle pour que Ser Talon y fusse ausculté par Maître Baelon. Une fois Talon tiré d’affaire, Salomon l’avait alors adoubé en récompense, et quand on découvrit que le nouveau chevalier avait quelques solides notions d’escrime, il fut promu maître d’armes. En sus de cela, le roi commanda à un rhapsode célèbre de composer une ballade « Ser Talon contre le Seigneur des Bois ».
Cette bonne fortune apparente avait été le début des malheurs de Malon, qui, devenue fille de chevalier, était devenue malgré elle courtisane. Cependant, la jeune femme n’avait jamais informé son père de ses déveines, car il aurait été le genre d’homme à abandonner son titre et ses fonctions pour le bien de sa fille. Elle ne voulait pas lui infliger ça. Il avait tant fait pour elle.
En détournant le regard, ses yeux croisèrent ceux de Feena Hurlebataille, qui lui fit un clin d’œil discret.
Elle en fut toute chose.
[align=center]IX - IV
-Le Chien-[/align]
-…suis née à Pont-L’Hylia, répondit dame Laruto avec un petit air de mélancolie. Un fort joli petit village, à un jour de marche de Castel-Hylia. Il y faisait souvent frais, et les hivers étaient rigoureux, car le vent et la glace descendaient des montagnes du nord, mais il y faisait bon vivre. Assurément.
-Pourquoi l’avoir quitté, dans ce cas? Continua le Chien en reprenant un peu de vin.
-Ha! Si je le savais moi-même. Je ne sais pas, je ne sais plus. J’étais jeune, idiote. L’extérieur, les grandes villes, tout avait le goût délicieux de l’inconnu et de l’aventure. Un jour, j’ai rassemblé quelques provisions, et j’ai dit à mon père « Je m’en vais. ». Et savez-vous ce qu’il me répondit, le coquin?
-Je brûle de le savoir.
- « A ta guise. ». Voilà. C’était les derniers mots qu’il devait jamais me dire. Il mourut deux hivers plus tard.
-Je suis navré.
-Il n’y a pas à l’être, il avait fait son temps.
-Et vous? Que vous est-il arrivé?
-Ha! Des tas d’aventures, idiotes pour la plupart. J’ai été prise comme otage par deux brigands qui fuyaient une troupe de miliciens, j’ai été enlevée par un bourgmestre qui voulait m’épouser contre mon gré, je me suis retrouvée dans un tour de guet assiégée par un Clan… Ha oui… Beaucoup d’aventures… Mais je ne regrette rien, je vais vous dire, même,, et j’ai conscience que ça ne sied par fort à une dame, mais la vie était belle, pas facile mais belle.
-Ne l’est-elle plus, aujourd’hui?
-Si, bien sûr… J’ai une bonne situation, une maîtresse généreuse, je mange à ma faim et plus personne n’essaye de m’enlever!
Laruto rit de bon cœur. Le Chien voulut l’imiter mais la douleur qui fusa dans sa mâchoire l’en dissuada.
-Ne vous en faites pas, vos yeux rient pour vos lèvres.
L’enchanteresse lui adressa l’un de ces fameux sourire qui le réchauffaient tant.
-Mais quoi qu’il en soit, un jour vous vous retrouvez à déambuler au beau milieu de la place du Bourg, les yeux grands ouverts devant toute cette foule, toutes ces couleurs, toutes ces choses merveilleuses! Et puis je suis tombée sur un magicien de rue. Il faisait des tours de prestidigitation devant des gamins émerveillés. Et entre nous, j’étais autant sinon plus émerveillée qu’eux. Lorsqu’il eut fini son spectacle, il me regarda et me demanda « Tu veux apprendre? ». Comme je n’avais rien d’autre à faire, je dis que oui. Et il me mena dans un bâtiment beau et terrible à la fois. Le Consortium. Vous n’avez pas pu le rater, il est d’architecture Hylienne et il rivaliserait presque avec la Citadelle.
-En effet. Je m’en souviens.
-Là, on me fit passer comme un entretient devant des vieillards graves et pour finir on me donna une chambre, une robe et voilà comment je devenais apprentie, un peu malgré moi.
-Vous êtes donc une… magicienne?
-Parfaitement. Cela vous ennuie-t-il?
-Non point, non point… C’est juste que, pardonnez ma franchise, mais je n’ai jamais vu que des épées et des hommes pour les manier. La magie ne m’évoque rien d’autre que des feux d’artifices et des tours de carte.
-Alors, je ferai en sorte de remédier à cela, rétorqua Laruto avec un sourire énigmatique. Mais pour en revenir à mon histoire, après quelques années d’études j’accédai au rang de Maître, mais si vous voulez mon avis, ce ne fut rien qu’un honneur mitigé, tant ceux qui partageaient ce titre avec moi étaient… sont… mauvais et sournois. Il n’y avait guère que le bon maître Kaepora pour redorer le blason, mais à la fin il semblait abattu, sapé par la scélératesse de ses semblables. En ce qui me concerne, je choisis de me retirer, et offris mes services à Lord Zora, le défunt époux de Lady Ruto. Les Déesses le préservent et l’accueillent.
Le Chien répéta la formule consacrée. Il reçut un choc soudain lorsqu’il s’avisa que leurs épaules se touchaient tout à fait et que, pire!, ils se tenaient l’un contre l’autre. Il regarda Laruto, et il lut dans ses prunelles et son sourire qu’elle s’en était rendue compte elle aussi, mais qu’elle ne s’en souciait point.
Le cœur un peu plus léger qu’à l’ordinaire, le Chien savoura la fin du banquet.
[align=center]IX - V
-Ishtar-[/align]
La reine Ishtar Parel se pencha vers son époux.
-Veuillez m’excuser, très cher. Je souhaite prendre un peu de repos.
Salomon d’Hyrule cessa séance tenante de s’intéresser à son futur gendre, sans s’occuper du regard ulcéré que celui-ci lui lança, pour se retourner vers sa femme avec un regard inquiet.
-Vous êtes toute excusée, ma mie. Tâchez de reprendre quelques forces. Je vous ferai mener Maître Baelon.
-Fort bien. Embrassez moi.
Salomon la baisa sur les joues, puis elle manda deux valets qui l’aidèrent à regagner ses appartements. Une fois seule, loin des regards, elle s’affala sur le sol et s’étouffa dans d’épaisses quintes de toux sanglantes qui maculèrent le tapis. Tremblante, suffocante, la reine rampa jusqu’à son lit où elle se hissa avec ses dernières forces. Elle sentait sa fin toute proche. Elle voyait chaque jour un peu plus les murs de la pièce se refermer sur elle comme le couvercle d’un cercueil. La reine avait des regrets. Sur sa fille surtout, qui n’était qu’une peste trop imbue d’elle-même, et son fils, un gentil couard. Elle aurait aimé aussi revoir une dernière fois sa famille, à Holodrum.
-Vous savez pourtant que vous pourriez faire tout cela, votre Majesté.
La voix, dure, cruelle, émanait des ombres près de la fenêtre. Ishtar n’avait pas besoin de se redresser pour savoir que deux silhouettes de mauvais augure jaillirent des ténèbres pour s’approcher d’elle. Le visage étiré par un vaste sourire de prédateur, Exelo, archimaître du Consortium Aedeptus, s’assit sur le rebord du lit, en prenant la main pendante de la reine dans les siennes, tandis que de l’autre côté, Xanto le Facétieux prenait place dans un siège, son éternel masque de démon vissé sur le crâne.
-Plutôt mourir que de vous donner ma fille, serpent!, siffla Ishtar, mais sans parvenir à ne pas cracher un peu plus de sang.
-C’est ce qui va vous arriver de toute manière, votre Majesté, si vous vous obstinez ainsi. Qu’est-ce qu’une fille face à votre propre vie? Vous pourrez toujours en refaire une à votre royal époux, à condition que vous viviez bien sûr. Et cela ne tient qu’à vous.
-Aussi bête, idiote et superficielle que soit Zelda, elle est ma fille! Et il ne sera pas dit qu’une Parel a vendu un membre de sa propre famille.
-Ha! Quelle dommage, vraiment… Vous auriez pu avoir une vie encore pleine et comblée.
Xanto poussa un rire démentiel, aussi violent que bref. Des deux vautours, il était le plus effrayant. Exelo s’empara du broc d’eau sur la table de nuit. Il en versa dans la coupe d’or d’à côté, puis sous les yeux impuissants d’Ishtar, qui ne parvenait même plus à lever ses bras tremblants, y versa le contenu poudreux d’un petit tube. Il mélangea le tout avec son propre doigt.
-Buvez, cela va vous faire du bien.
Comme chaque mois depuis que ce cauchemar avait commencé, Exelo força sa reine à boire le poison qui la tuait chaque jour un peu plus, n’hésitant pas à la brutaliser. Mais Ishtar était tellement fatiguée à présent, qu’elle n’arrivait presque plus à serrer les dents. Elle sentit l’eau maligne parcourir son organisme, attaquer son corps et son sang. Exelo la contempla un moment de ses yeux cruels, tout en lui caressant distraitement la joue.
-Réfléchissez bien, votre Majesté. La prochaine fois sera la dernière.
Il lui baisa les cheveux puis se releva. Lui et son acolyte se rendirent près de la fenêtre.
-Ha! Faut-il encore vous le rappeler? Parlez, et soyez assurée de la mort de votre fils chéri.
Une larme silencieuse et rageuse roula sur la joue d’Ishtar Parel, reine d’Hyrule, tandis que sa vitalité à l’agonie décroissait un peu plus.
sakuranbo:
J'ai lu ce chapitre en rentrant chez moi à 3h du matin :niais: mais pardonne moi de ne pas l'avoir commenté, j'étais vraiment trop fatiguée... Je viens de tout relire à tête reposée^^
C'est encore un très bon chapitre bien sûr, avec de terribles révélations... La dernière partie est terrifiante! L'ambiance que tu as mis en place est de plus en plus intriguante et passionnante! :<3:
J'adore toujours autant ton histoire, et à chaque fin de chapitre, je suis impatiente de pouvoir lire la suite :niais: J'éspère que tu continueras sur cette lancée :yeah:
Great Magician Samyël:
Hop hop, voici la suite qui arrive au pas de course. Merci Saku (puis-je?) pour tous ces compliments que tu me fais, je me répète mais c'est vraiment motivant :3
Donc voici venir le chapitre X, qui marque la fin de la première partie de Triangle. Je décide de le poster en deux parties, car il est très long. (Rien que la première partie est plus longue que le plus long chapitre posté jusqu'à présent!).
Malheureusement, et assez paradoxalement aussi, le rythme de parution risque de ralentir, car je vais dans les jours qui viennent faire des stages, et ensuite je partirai pour un mois environ à partir de la fin juillet vers des lieux reculés où la civilisation n'a pas encore posé sa marque (comprenez : je n'y aurai pas internet :niak:).
Sur ce, bonne lecture!
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[align=center]X
-Le Chien-
(1ère partie)[/align]
Le banquet s’acheva fort tard dans la soirée, même si la plupart des convives s’étaient depuis longtemps retirés, à l’image du Chien et de dame Laruto, qui flânaient, bras dessus bras dessous dans les jardins, à la lueur de la lune, pleine et brillante. Le calme et la fraîcheur de la nuit conféraient au lieu une aura apaisante et agréable, parmi les silhouettes ombreuses des massifs de fleurs, des arbres fruitiers, des hautes haies coupées avec maîtrise. Il leur arrivait de croiser d’autres promeneurs nocturnes, à l’instar de Ser Goro et Ser Sedrik, qui passablement saouls, se querellaient sous les yeux de Ser Mido.
-Ces deux sont là sont comme leur père et leur oncle, commenta Laruto. Ils étaient deux garnements colériques, dans leur jeunesse.
-Et l’aîné?
-Ser Allister? Non, il est fait d’un autre bois, enfin, d’une autre roche, comme on dit chez eux. Il a pris beaucoup de sa mère, notamment son calme et sa droiture.
-Il ne me semble pas l’avoir encore rencontrée.
-La chose risque d’être assurément périlleuse. La pauvre est morte peu de temps après la naissance de son troisième fils.
-Je vois…
-C’était une noble dame, une cousine de la reine, originaire d’Holodrum. Quant à Ser Allister, c’est fâcheux qu’il soit né muet, il aurait fait un grand seigneur.
-Lord Darunia l’a déshérité?
-Non point, c’est lui-même qui a renoncé à tous ses droits à la succession. C’est la raison pour laquelle il n’était pas à la table des Lords, alors qu’il doit être à peine moins âgé que vous.
Le Chien acquiesça, pensif. Tout ce qu’il entendait pouvait se révéler précieux pour la suite ; il ne s’agissait pas de fauter par manque de connaissances.
-Vous aurez certainement l’occasion de croiser le fer avec lui, lors du tournoi que sa Majesté va donner en l’honneur du sieur Link. On le dit bon bretteur.
-Je n’avais pas ouï dire qu’un tournois se préparait.
-C’est parce qu’il n’a pas encore été annoncé. Mais je n’ai aucun doute qu’il le sera sous peu. C’est presque une tradition.
-Votre clairvoyance vous honore, ma dame. J’ai entendu parler de cet événement de la bouche même de sa Majesté lors du festin.
Rauru l’Intemporel, grand prêtre des Trois et Gardien du Temple, jaillit des ombres pour venir à leur rencontre.
-Monseigneur, s’inclina Laruto, et le Chien fit de même.
-Madame. Messire.
-Pardonnez ma franchise, mais je suis surprise de vous trouver ici. Je pensais qu’une voiture vous ramenait.
-Je le pensais aussi, mais la nuit est agréable, et rien de telle qu’une bonne marche pour digérer un tel faste.
Le crâne chauve du prêtre branla d’avant en arrière, le lune se reflétant sur la peau nue, comme s’il acquiesçait à sa propre remarque.
-Est-ce bien prudent?
-Bien sûr, que risqué-je? La fête bat encore son plein là en bas, et les Déesses me pardonnent mais j’ai encore un peu de place pour une pinte ou deux partagées dans la liesse avec mes ouailles.
Il partit d’un grand éclat de rire que Laruto accompagna poliment.
-Bien, bien… Sur ce, je vais prendre congé. Je vous souhaite la bonne nuit, et que les Trois veillent sur vous!
-Vous de même, Monseigneur.
Rauru fit mine de s’éloigner, vers les lueurs de la cité, en contrebas.
-Ha! Et messire Chien! Venez donc me porter visite demain.
-Je n’y manquerai pas, Monseigneur.
-Bien, bien… répéta le prêtre avant d’être avalé par les ténèbres.
-Curieux personnage, commenta le Chien.
-Oui, mais ne vous laissez pas abuser. Sous ses dehors bonhommes, c’est un redoutable politicien.
Ils s’absorbèrent dans le silence nocturne et profitèrent de la brise légère qui se mit à souffler. Leurs pas les menèrent aux parages de la mare, dont les eaux paisibles et noires miroitaient sous l’influence lunaire. Ils s’assirent près du bord.
-Que comptez vous faire à présent?, finit par demander Laruto en le regardant.
-A dire la vérité… Je ne sais guère. Je n’aspire pour le moment qu’à un peu de repos. Depuis sept ans je n’ai de cesse de courir d’une bataille à l’autre, je ne demande rien sinon que de me poser quelque part, et… panser… mes blessures.
Il s’abîma dans la contemplation de la mare, l’esprit soudain empli de fureur et de sang. Le souvenir douloureux des combats l’envahit… La souffrances… Les cris… La mort…
-… messire? Messire? Quelque chose ne va pas?
Le visage inquiet, bien que partiellement dissimulé par la nuit, de Laruto emplissait son champ de vision. Il vit la lune derrière elle, et se rendit compte qu’il était allongé, qu’il avait froid tout soudain. Et puis la souffrance explosa dans sa main droite, sans prévenir, comme une lame surgie des ténèbres. Il poussa un hurlement de douleur comme il n’en avait jamais poussé, et roula sur le côté. Il avait l’impression que ses doigts brisés tentaient de se mouvoir de leur propre chef, ses nerfs endommagés semblables à des fouets de lave en fusion. Sous le gantelet, sa chair semblait fondre, se liquéfier en un acide cinglant. Des larmes ruisselèrent de son dernier œil, alors qu’il rampait pitoyablement vers les eaux de la mare. Il n’entendait plus les appels inquiets de Laruto, il n’avait plus qu’une idée en tête. Il plongea tout son bras dans l’onde glaciale, et si l’élément liquide provoqua initialement une nouvelle explosion de douleur, il fit refluer la souffrance jusqu’à la faire disparaître tout à fait.
Le Chien resta là, inerte, le bras dans l’eau. Il se souvint que la veille déjà, lors de sa discussion avec Colin, il avait connu pareille aventure, mais pas en de telles proportions. Il se demanda vaguement à quoi tout ceci était dû, mais son esprit encore empli des brumes rouges de la douleur ne parvint pas à sortir une réflexion construite. Il ferma les yeux un court instant.
Lorsqu’il les rouvrit, il entendit les grillons estivaux. La nuit était toujours là, calme, sereine. Il était allongé, la tête dans le giron de dame Laruto qui lui caressait doucement les cheveux. Sa main reposait, inerte, près de lui, comme si rien n’avait vraiment eu lieu.
-Vous me fîtes grande peur, messire. Veuillez ne plus recommencer, commanda l’enchanteresse d’une voix douce, à peine plus qu’un murmure.
-Pardonnez moi…
-J’ignorais que votre main vous fît tant souffrir.
-D’ordinaire, je n’ai pas à m’en plaindre. C’est la seconde fois seulement, depuis hier, que j’ai ces accès.
-Voilà qui est curieux, et préoccupant.
Ils se turent. Le Chien profita que Laruto fermait les yeux pour contempler son visage à la faveur de la lune. Il se fit la réflexion que personne ne lui avait témoigné autant d’attention depuis… trop longtemps. De son souvenir, Mère était la dernière… Mais c’était il y avait tellement de temps. Et les mains douces et rassurantes de l’enchanteresse avaient ce même effet apaisant sur lui que celles de sa génitrice. Il s’abandonna tout à fait à ces caresses, l’âme en paix, pour une fois.
-Messire, finit par murmurer Laruto. Il se fait tard. Je vais me retirer.
-Ha… Pardonnez moi, je ne voulais pas vous retenir.
Il se releva et lui tendit sa main valide pour l’aider à faire de même. Il ne la lâcha pas tout de suite, et elle ne chercha pas à se soustraire.
-Accompagnez moi à mes appartements.
Elle lui prit le bras, et ils revinrent vers la Citadelle côte à côte, perdus dans un silence confortable. Les couloirs étaient assoupis, il n’y avait plus un valet pour les arpenter. Les portes étaient tout aussi silencieuses, nul bruit n’en sourdait. Une fois parvenus à la chambre de Laruto, elle lui lâcha le bras et lui tendit le dos de la main, qu’il baisa délicatement.
-Ce fut un honneur et une joie de vous rencontrer, messire. J’ai passé une fort agréable journée.
-Permettez moi de vous retourner le compliment, ma dame.
-J’espère que vous daignerez m’accorder un peu de votre temps, dans les jours à venir.
-Un mot de vous, ma dame, et je suis là aussitôt. Je suis votre humble serviteur.
Elle lui adressa un sourire.
-Je suis rassurée alors. Dormez bien, messire.
Elle entra avant qu’il n’ait pu répondre. Empreint d’un étrange sentiment, le Chien regagna ses propres quartiers, las et épuisé. Une dernière surprise l’attendait, lorsqu’il ouvrit la porte. La jeune courtisane qui lui avait mené ses vêtements était dans son lit, en robe de chambre, le dos appuyé contre les coussins. Une unique chandelle sur la table de nuit à son côté l’éclairait, mais elle suffisait à révéler les yeux humides de la jeune femme, humides de peine et de dégoût. Elle ne dit rien, gardant les yeux fixés sur le sol.
Le Chien s’approcha par l’autre côté du lit, sans rien dire lui non plus. Il s’assit sur le bord, se débotta, se déchaussa, retira sa tunique, ne gardant que ses sous-vêtements. Puis sans un regard pour la courtisane il se glissa sous les couettes avec délice.
-Comment t’appelles-tu?, finit-il par demander.
-Malon, messire.
-Pourquoi te trouves-tu donc dans mon lit, jeune Malon? Serait-ce ta chambre que l’on m’attribua? Auquel cas, j’en suis navré.
-Non messire. Ce n’est point ma chambre. Je… Je…
Comme les mots avaient du mal à sortir de sa bouche, elle faufila une main sous les couvertures, et d’une main tremblante se mit à caresser la virilité du Chien. Ce dernier, sans s’émouvoir outre mesure, lui prit le bras et la fit cesser.
-Pourquoi fais-tu cela?
Elle n’osait toujours pas le regarder, et les soubresauts de ses épaules trahissaient assez ses sanglots.
-Je… Pardonnez moi messire. C’est Maître Tarquin… Il… Il m’a demandé… de vous être… très agréable messire et je… ho, pardonnez moi.
C’était plus qu’elle ne pouvait en supporter et elle fondit carrément en larmes. Le Chien attendit patiemment qu’elle se calmât quelque peu.
-Tu n’as rien à craindre, Malon. Tu ne m’es obligée de rien. Je ne te toucherai pas. Ne te méprend pas. Tes charmes feraient tourner la tête de n’importe quel homme. Mais j’ai vu dans tes yeux la répulsion que t’inspire ma laideur, et je te comprends. Je ne veux pas t’infliger un supplice.
-Messire… Mais je… Maître Tarquin il…
-Si Maître Tarquin te demande des comptes, tu n’auras qu’à lui dire que je t’ai tringlée, si cela peut t’éviter des problèmes. Mais je te le répète, tu n’as rien à craindre de moi. Juste à endurer des nuits à mes côtés. A présent, dors.
Sans attendre de réponse, le Chien ferma l’œil. Malon souffla la chandelle. Sa respiration était clame et régulière à présent. Timidement, elle lui pressa furtivement la main valide et murmura « merci, messire. ».
Le Chien ne vola à la nuit qu’une poignée d’heures, habitué qu’il était à se lever avec l’aube, mais qui le rassérénèrent tout à fait. Il se vêtit sans bruit, pour ne point éveiller la jeune femme qui dormait encore à poings fermés, ses traits gracieux élégamment mis en valeur par les premiers rayons de soleil. D’un doigt léger il lui écarta une mèche de cheveux du visage, et elle s’agita un peu, sans s’éveiller toute fois. Le Chien ceignit son épée, et sortit de la chambre. Son estomac grondant le mena aux cuisines, qu’il atteignit grâce à l’aide d’un valet qui lui indiqua le chemin sans oser le regarder en face. On lui servit avec vivacité d’épaisses tranches de pain, avec du miel, des confitures, deux tranches de lard gras délicatement fumé et un gobelet de jus d’orange fraîchement pressé.
Il déjeuna seul et en silence, observant le ballet des cuisiniers et des assistants, qui avaient fort à faire en récurage après le banquet de la veille. Il en était à sa troisième tartine lorsque parut Ser Allister, la mine fraîche et alerte. Il s’était vêtu d’un justaucorps rouge au Rubis Couronné, d’un ceinturon de bonne qualité à boucle d’argent où était pendu le fourreau d’une épée de belle facture, de pantalons noirs en cuir, pratiques pour l’équitation ou l’escrime, et de bottes hautes, plus coquettes qu‘efficaces. Il salua le Chien en s’inclinant, et l’autre lui répondit d’un signe de tête. Il surprit le Chien cependant en venant s’installer en vis-à-vis de lui.
Le silence qui s’installa entre eux n’était pas subi mais inévitable, eut égard à l’handicap de Ser Allister. Cependant, alors que le Chien s’apprêtait à prendre congé, l’aîné Dodongo fit mander du papier et une plume. Il griffonna quelques mots avant de tendre le parchemin au Chien, qui s’en saisit avec une certaine appréhension. Il n’avait jamais eu de tuteur ou d’instituteur, et avait du apprendre à lire et à écrire avec Colin de manière à pouvoir suivre les ordres écrits ou rédiger des comptes rendus. Mais les occasions de s’entraîner n’étaient pas des plus nombreuses, et il avait la lecture laborieuse et l’écriture maladroite. Il déchiffra néanmoins, avec quelques difficultés, la note de Ser Allister :
-« Vous rendez-vous au Temple? »… Si fait.
Allister récupéra son papier et y inscrivit une autre phrase.
-« Me permettriez-vous de vous accompagner, si cela vous agrée? »…
Le Chien releva la tête. Il fut surpris de croiser le regard clair et franc du chevalier, qui ne broncha pas et le fixa sans rien montrer de répulsion ou d’aversion. Comme dame Laruto.
-Cela m’agrée, en effet. De toute manière, je ne connais rien des rues, il faudra me guider.
Ser Allister acquiesça et s’empressa de finir son déjeuner. Après quoi, il mena le Chien aux écuries. Il était encore bien tôt, le soleil n’avait pas encore totalement dépassé les cimes des monts du Péril. C’est pourquoi le Chien ne s’étonna pas qu’il n’y eut pas un écuyer pour les accueillir, surtout après la fête de la veille. En revanche il y avait un homme aux longues moustaches brunes et au teint d’ivrogne, qui dormait comme un bien heureux, allongé dans la paille d’une stalle entre les seins d’une soubrette dénudée. Ser Allister le réveilla d’un léger coup de pied dans le flanc.
-Qui ose, coquin!, hurla l’homme, réveillant sa compagne, en bondissant, le visage déformé par la colère et la bouche pâteuse. Si je t’attrape, gredin, dis adieu à tes bourses…
Il cligna une fois des yeux, puis deux, en remontant lentement les jambes de Ser Allister jusqu’à apercevoir son visage, puis celui du Chien, non loin. Sa face passa alors du rouge aviné au pâle apeuré.
-Je… Hmm… Pardonnez moi, nobles seigneurs, je pensais que ce petit vaurien de Willem me jouait encore quelque tour, et je… Hmm, accordez moi un court instant, je vous en prie.
D’une main hystérique il chercha ses braies qu’il enfila le plus vite qu’il put, et boucla son ceinturon.
-Va-t-en donc, souillon, aboya-t-il à la fille qui réajusta ses vêtements et fila en bredouillant des excuses. Ces catins, il faut leur parler leur langue pour se faire comprendre, v‘voyez, mes bons sires?, continua-t-il en adressant un sourire vilainement obséquieux aux deux autres.
-Non, répondit le Chien, d’une voix un peu dure. Il ne sied pas à un gentilhomme de rudoyer une femme, aussi humble soit-elle, qui plus est lorsqu’elle a consenti à partager votre couche.
Le grossier chercha un soutient du côté de Ser Allister, mais le silencieux chevalier acquiesça pour approuver les dires du Chien. Il se mit à suer, à se gratter l’oreille, visiblement nerveux.
-Et que… que puis-je faire pour ces nobles sires?
-Commence déjà par te présenter.
-I… Ingo, messire. Le cousin de Ser Talon, je… j’ai en charge les écuries de sa Majesté. Peut-être m’avait vous aperçu hier, lors du banquet, je…
Le dénommé Ingo avait un regard fuyant, lâche. Il n’osait regarder aucun des deux autres en face, et il était clair qu’il se serait esquivé s’il l’avait pu.
-Assez, le coupa le Chien. Etant donné que vos hommes ne sont point encore éveillés, menez nous simplement à nos montures, nous nous occuperons de les seller.
Comme Ser Allister acquiesçait derechef, Ingo leur indiqua les stalles adéquates, puis s’en fut promptement, prétextant une tâche quelconque à accomplir. Une fois en selle, le Chien et Allister empruntèrent le sentier cavalier qui contournait les jardins extérieurs pour se rendre à la ville. La population commençait à s’éveiller, et déjà des gens prenaient le chemin du château pour les doléances du matin. On entendait en plusieurs endroits le chant de quelques coqs, et des fumées grises et blanches s’échappaient des cheminées, charriant avec elles de bonnes odeurs de pain et de nourriture. Le Chien s’émerveilla une fois encore des rues bien dessinées et organisées du bourg, de ses bâtiments élégants, ses boutiques chamarrées, ses cours fleuries, ses parcs luxuriants, ses fontaines claires, ses bonnes gens heureux… La nuit avait emporté les fêtards mais quelques relents de liesse planaient encore dans l’air, à l’image des quelques acharnés qui déambulaient encore en titubant, une bouteille à la main. Les rues étaient jonchées de détritus, mais déjà des femmes s’affairaient à faire le ménage. Le Chien et Ser Allister attirèrent somme toute assez peu l’attention, les rares badauds assez lucides pour les apercevoir se contentèrent de les saluer d’une courbette à laquelle ils répondaient d’un signe de la main. Les gardes de la ville eux se cantonnèrent au salut militaire qu’Allister leur retournait.
Ils passèrent devant une taverne de belle prestance, battant pour enseigne un poisson bariolé de mille couleurs, sous titrée ’Au Poisson-Rêve’. L’aîné Dodongo s’arrêta un instant, indiquant la bâtisse à son compagnon en faisant des cercles sur son ventre avec sa main.
-C’est une bonne taverne?, demanda le Chien.
Allister acquiesça, et ils reprirent leur route. Le Temple du Temps était situé tout à l’opposé du Consortium Aedeptus, et là où le collegium de magie avait choisi un blanc immaculé, les religieux avaient préféré un gris anthracite humble, conférant au lieu une certaine gravité. Le bâtiment en lui-même était du reste peu marquant, seuls se distinguant les longues colonnades qui flanquaient sa haute entrée et le sigle géant des Trois Triangles d’or qui ornait le sol du parvis. Les jardins, qui flanquaient l’ensemble du temple, de l’avant à l’arrière, étaient en revanche assez magnifiques, dominés par les trois teintes majeures : le rouge, le vert, le bleu, les couleurs des Déesses. De longues allées gravillonnées permettaient aux prieurs de trouver la paix au terme d’une promenade plaisante. Ser Allister et le Chien empruntèrent la plus directe.
-Si l’Intemporel m’avait effectivement prévenu de votre visite, il n’avait pas mentionné que ce serait de si bon matin.
Un colosse, que sa robe identifia comme un prêtre, se releva du massif de fleur dont il s’occupait. Son nez était énorme, carré, cassé plusieurs fois, ses lèvres épaisses, ses sourcils broussailleux, ses longs cheveux bruns compacts et emmêlés, mais cela n’empêchait en rien l’homme d’être tout de suite sympathique, de par son sourire, sa voix profonde et posée, ses gestes calmes et paisibles.
-Je suis le père Reynald, se présenta-t-il en s’inclinant. Ser Allister, c’est un plaisir de vous revoir.
L’intéressé s’inclina à son tour, puis le religieux reporta son attention sur le Chien.
-Sa Sainteté se repose encore des événements de la veille.
-Ho, je vois… Dans ce cas, nous repasserons plus tard, je suppose.
-Nenni, messire. Je vais faire réveiller sa Sainteté sur l’instant. Elle serait contrariée de vous indisposer.
-Ce n’est pas néce…
-J’insiste, messire.
Le Chien et Allister démontèrent de concert, et menant leurs montures par la bride, suivirent le prêtre. Au bas des marches, deux jeunes frères conduisirent leurs chevaux sous un arbre où ils les attachèrent à des branches basses, tandis que Reynald demandait à un troisième d’aller quérir l’Intemporel.
L’intérieur du Temple était aussi fastueux que l’extérieur était sobre. Le plafond était beaucoup plus haut qu’on ne l’aurait imaginé, et sur toute sa surface s’étalait une magnifique fresque narrant la création d’Hyrule par les Très-Hautes, et les trois Triangles d’Or qu’elles laissèrent derrière elle pour assurer la prospérité de leurs enfants. La nef était assez longue pour accueillir plus de deux milles prieurs, et de longs bancs en bois fin laqué occupaient presque tout l’espace. Le soleil de la peinture était en réalité un énorme puits de lumière creusé dans la voûte, qui éclairait à merveille l’ensemble de la salle. De petites portes en bois ornaient les murs de droite et de gauche, par lesquelles les frères accédaient à leurs cellules et aux communs. A l’extrémité de la nef, un petit groupe d’homme semblait patienter devant une monumentale porte taillée dans la pierre, mais qui ne possédait pas de battant. Le Chien fut surpris de retrouver gravés dans le linteau les blasons des trois grandes familles -Le Rubis Couronné Dodongo, le Saphir émaillé d’Or Zora, et l’Emeraude ceinturé d’Or Mojo-, surmontés de l’Aigle écarlate coiffé des Triangles de la famille royale.
-Qu’est-ce que cela, demanda-t-il en désignant la porte.
-Ceci mène à la Chambre de l’Epée, où repose la Lame Purificatrice.
-Qu’attendent ces gens?
-Ils viennent tenter leur chance, afin de retirer la lame de la pierre. Depuis la dernière Cérémonie de la Grâce, beaucoup de pèlerin sont venus des quatre coins du royaume, croyant voir dans le phénomène qui s’y était produit le signe que l’épée cherchait son maître.
-Je vois…, mentit le Chien. Mais ils se trompent, le maître de cette épée est déjà ici, c’est le sieur Link.
-Nous verrons bien, répliqua Reynald. Je vais faire ouvrir la porte du Temps, pourquoi ne patienterez vous pas dans la Chambre jusqu’à que sa Sainteté puisse vous recevoir?
-Soit.
Le Chien et Allister traversèrent la nef d’un peu grave et discret, ne souhaitant pas déranger les quelques prieurs dans leur communion avec les Déesses. Les blasons au dessus de la Porte se mirent à scintiller, et cette dernière commença à s’ouvrir avec une infinie lenteur, dans un raclement de pierre des plus désagréables. Le groupe de hardi s’engouffra dans la Chambre dès que l’interstice entre les deux battants fut suffisamment grand, suivi par les deux hommes.
La Chambre de l’Epée était une salle immense, mais sombre et dénudée. Seule une série de six magnifiques vitraux, perchés tout en hauteur, illuminaient le socle de la Lame Purificatrice et en faisaient chatoyer l’acier. L’arme en elle-même n’avait rien d’exceptionnelle : une lame large de quelques pouces, en bon acier irisé, et une garde taillée dans de l’améthyste pur, sertie de cristaux d’or brillants. Mais il s’en dégageait comme une force, une attraction, une aura, qui vous enjoignait malgré vous à la saisir et essayer aussi fort que vous le putes de la brandir.
Allister s’adossa à un mur, croisa les bras, et attendit patiemment. Le Chien observa les tentatives veines des pèlerins, qui passaient dans le calme l’un après l’autre, et qui s’applaudissaient poliment après chaque essai infructueux. L’espoir faisait miroiter leurs prunelles lorsqu’ils gravissaient les quelques marches de pierre mais c’était la déception qui les ternissait lorsqu’ils en redescendaient.
Les minutes passèrent. Il n’y avait déjà presque plus personne dans la Chambre.
-Tout ceci laisse songeur, n’est-ce pas?
Rauru l’Intemporel, vêtu de sa traditionnelle robe d’or et de sa large ceinture frappée des Triangles, se tint soudain près d’eux, observant l’épée en se frottant le menton.
-Monseigneur, salua le Chien et lui et Allister s’inclinèrent révérencieusement.
-Je suis navré d’avoir abusé de votre temps, mais je ne pensais pas que vous viendrez si tôt honorer mon invitation.
-C’est ma faute, votre Sainteté.
-Allons, ce n’est rien, ce n’est rien… Ha! Je vois qu’il n’y a plus aucun prétendant à la possession de la Lame Purificatrice.
La face de Rauru s’éclaira d’un sourire comme il songeait soudain à quelque chose.
-Ha! Messire, pourquoi n’essaieriez-vous pas?
-Monseigneur?
-De retirer l’épée, pardi! C’est le rêve de tout le monde, après tout.
-Je… Vraiment, je ne pense pas qu’il…
-Allons! Pas de manière avec moi. Allez-y, faites, insista le grand prêtre avec un signe de la main comme s’il le congédiait. Ha! Ser Allister, vous ici, c’est heureux. J’avais à vous entretenir…
Indécis, le Chien fit quelques pas vers le socle de pierre. L’épée se tenait droite dans sa lumière, comme l’attendant, le défiant. Elle semblait l’appeler. Il posa le pied sur le premier degré, sans la quitter de l’œil. Il avait comme une appréhension à la toucher, à toucher la future lame de son maître. Il le ressentait comme une trahison faite à son seigneur, mais pourtant il ne parvenait pas à s’empêcher de vouloir la tirer. Avant de le savoir, sa main empaumait la poignée entourée de cuir tanné. Il glissa l’avant bras de sa main mutilée sous la garde, puis jeta un regard alentour. Personne ne l‘observait, Ser Allister et Rauru étant en plein discussion à sens unique. Le Chien reporta son attention sur l’épée, déglutit. Puis, il tira vers le haut, doucement.
Et la Lame Purificatrice bougea.
Le Chien la lâcha aussi vivement que s’il eut tenu un brandon ardent. Il se demanda aussitôt s’il n’avait pas rêvé, mais à son grand désarroi, la lame avait surgi de quelques millimètres hors de son socle. Paniqué, il se recula promptement, se retourna, et se glaça lorsque son regard croisa celui de Ser Allister, qui le contemplait en clignant des yeux, éberlué.
M’a-t-il vu?, se demanda-t-il avec angoisse.
Ni l’un ni l’autre ne bougèrent pendant un long moment. Rauru avait disparu, il n’y avait plus qu’eux dans la Chambre. Lentement, le chevalier leva les mains, et mima le geste de retirer la lame. Ayant peur de comprendre ce qu’il voulait signifier, le Chien secoua vivement la tête.
-Non, je…, bafouilla-t-il, acculé, terrorisé. Il n’y a rien eu. Rien, rien.
Il secouait toujours la tête, perdu. Que faire? Il ne parvenait pas à seulement soupçonner tout ce que cela impliquait.
Cela n’implique rien du tout, résolut-il. A force de tirer dessus, l’un ou l’autre des pèlerins l’aura descellée, voilà tout.
Ser Allister s’approcha, lentement. Quand il fut à un mètre seulement du Chien, il dégaina son épée, puis s’agenouilla devant son compagnon, la pointe de l’arme reposant au sol. Il baissa la tête et attendit. Même si son mutisme l’empêchait de prononcer un serment, le Chien comprit avec effroi que le chevalier lui jurait allégeance.
-De grâce, relevez vous. Je n’ai rien fait qu’y méritât votre serment. Je… Je ne sais pas ce que vous avez vu, mais vous avez du être mystifié.
Ser Allister se redressa, et ses yeux trahissaient sa pensée : quoi qu’aurait pu dire le Chien, le chevalier n’oublierait jamais ce dont il avait été témoin. Le manchot lui attrapa le bras.
-Je vous en prie… Je… Gardez cela pour vous. Nul ne doit l’apprendre.
Allister hésita une courte seconde, puis acquiesça. Ils sortirent de la Chambre, mortifiés. Le Chien lutta pour se composer un masque de flegme maussade. Il ne voulait pas alerter l’Intemporel ou n’importe lequel des prêtres qui officiaient. Le père Reynald vint les trouver.
-Sur demande de sa Majesté Salomon, je ferme la Porte du Temps pour quelques jours. Le sieur Link sera le prochain à tenter sa chance.
Le retour au château se fit dans une ambiance des plus étranges. Ils n’osèrent ni se regarder, ni tenter de communiquer.
Link retirera l’épée, cela ne fait aucun doute. Ainsi, je pourrai avoir l’esprit tranquille. Oui, il me suffit d’attendre qu’il la retire… se répétait-il.
Une fois parvenus aux écuries, ils laissèrent leurs montures aux soins des écuyers et se séparèrent après un regard incertain. Ser Allister prit le chemin de la salle du Trône, où il avait l’habitude de prendre part aux doléances. Un valet vint quérir le Chien.
-Le sieur Link vous fait mander, messire. Il vous attend dans le salon de son Altesse Zelda. Je vais vous mener.
Le salon en question était au moins deux fois plus spacieux que la chambre du Chien, et au moins deux fois plus luxueux. Tout respirait la prospérité et la grandeur, des lourds tapis écarlates aux tentures richement brodées, au mobilier de bois fin laqué, en passant par les dorures qui fleurissaient un peu partout. Un tableau très ressemblant de la princesse trônait sur le mur de gauche, et Link le contemplait depuis la porte-fenêtre à laquelle il était adossé. L’un des battants était ouvert, laissant filtrer une brise légère qui faisait voleter les fins cheveux blonds de l’homme. Il avait délaissé son bonnet emblématique et laissé libre sa chevelure. En contrejour, sa beauté avait quelque chose de presque terrifiant. La princesse se tenait dans un siège confortable, et elle posa sur le Chien un regard à la fois dégoûté et suffisant. Quant à Lady Saria, la fille de Lord Dumor, qui se tenait aux côtés de Zelda dans un siège identique, elle semblait s’interroger sur la présence du borgne.
-Je vous assure, ma tendre, commentait Link sans se soucier de son serviteur. Le talent exquis de ce peintre n’a pas réussi à rendre totalement hommage à votre incommensurable beauté. Je doute, de toute manière, qu’une œuvre le puisse réaliser, tant votre joliesse irradie tel un soleil doré.
Son Altesse rosit du compliment, portant un regard éperdu d’amour à son promis. Le Chien s’éclaircit discrètement la gorge avant de demander.
-Vous désiriez me voir, sire?
-En effet. Approche donc.
Les abysses céruléens de son regard ne quittèrent pas le Chien une seconde tandis que ce dernier s’exécutait. Link attendit qu’il se fusse suffisamment approché, puis, sans prévenir, lui décocha un revers de la main droite d’une telle puissance que le Chien s’effondra au sol, la bouche en sang. Il releva l’œil, sujet à la terreur du canidé rabroué par son maître pour une faute dont il n’avait pas idée, et Link le toisait à présent, un masque de fureur sur le visage.
-J’avais souvenir, commença-t-il d’une voix terriblement glaciale, d’avoir dressé mon chien afin qu’il accourût ventre à terre sitôt que j’aurais loisir à le siffler. Or, que je ne l’ai-je cherché en vain, ce matin, pour qu’on me dise qu’il était parti en promenade.
La botte de Link se mit à marteler les flancs de son Chien, qui se recroquevilla sous la bastonnade, le souffle court. Il comprenait sa faute, et il savait qu’il méritait une juste punition.
-A quoi me sert un chien aussi idiot et bouffon? En plus d’être laid serais-tu devenu inutile?
-Je… Pardonnez moi, sire. Je ne le ferai plus, je le jure.
Link mit fin à sa fureur, renifla, se passa une main dans les cheveux.
-Fais toi pardonner.
Le Chien rampa, malgré la douleur de son ventre, de ses côtes, jusqu’à la botte de son maître qu’il baisa.
-Ne vous l’avais-je point dit, ma tendre, que je l’avais bien dressé?
-Si fait, mon promis, commenta Zelda avec de la jubilation dans la voix.
-Messire, rétorqua Lady Saria, outrée pour sa part. Permettez moi…
-Laissez, la coupa sa princesse. L’on ne vous a pas mandé votre avis.
-Voilà qui est on ne peut mieux dit, glissa Link d’un ton doucereux. Maintenant, chien, déguerpis. Ta vue m’insupporte et est un affront à la princesse. Assure toi que l’on porte mes vêtements de veille dans mes appartements. Sa Majesté me lordifie demain.
-A vos ordre, sire.
Le Chien se releva et, la tête basse, le buste incliné, recula jusqu’à atteindre la porte. Une fois dans le couloir, il fut presque aussitôt rejoint par Lady Saria qui, la mine soucieuse, le força à s’arrêter.
-Messire, de grâce! Vous saignez!
Le Chien se torcha la bouche, tituba, reprit sa route.
-Ce n’est qu’un peu de sang.
-Mais enfin! Comment pouvez-vous supporter pareil affront? Il vous a… humilié! Un vrai chevalier aurait aussitôt jeté le gant.
-Je ne suis pas chevalier, petite dame, je ne suis qu’un chien. Je méritais cette punition.
Et dans sa tête parut l’image de la Lame Purificatrice -la lame de son maître!-, et sa culpabilité crut.
-Comment pouvez vous dire une chose pareille!, s’outragea Saria.
Profitant de sa faiblesse passagère, elle le plaqua contre le mur, et le força à la regarder.
-N’avez-vous donc aucune fierté? Aucun honneur?
-Je… J’ai l’honneur de servir mon maître. Il a eu la bonté de me sauver la vie. Ce n’est que justice de le remercier. Laissez moi à présent, j’ai une mission à mener.
-Certainement pas. Je vous emmène voir Maître Baelon.
-Ce n’est pas nécessaire. J’ai… connu pire. Ca ira. Votre sollicitude me touche, ma dame, mais non contente d’être inutile elle n’est pas requise. Veuillez m’excuser.
Il s’esquiva. Il était heureux pour Link, il allait enfin recevoir le fruit de sa longue campagne. Et lui, le Chien, le servirait jusqu’à son dernier souffle. Il s’était oublié un moment, avait fait du tort à son maître, mais cela ne se reproduirait plus.
sakuranbo:
Oh mais moi ça ne me dérange pas que tu postes un chapitre plus long, bien au contraire :niais: Et bien sûr, tu peux m'appeler Saku :3
J'ai encore adoré ce chapitre, et j'éspère que tu ne tarderas pas à poster la suite *regard suppliant*
J'ai quelques idées concernant le Chien, j'attends la suite pour voir si j'ai bien pensé :3 Sinon j'adore comment tu as imaginé Link pour cette fiction! Ca change vraiment, j'adore le voir avec son sale caractère de petit prétentieux par rapport au Link que moi même j'imagine, toujours bien gentil et serviable huhu^^
Si elle est déjà écrite cette deuxième partie, tu peux déjà la poster hein *regard niais*
Yorick26:
J'ai lu le prologue de ton nouveau projet qu'est Triangle de Pouvoir. J'aime beaucoup. J'aime tout particulièrement l'idée de changer totalement les personnages. Un Tarquin bedonnant qui devient un Maître Sheikah agile. C'est tout bonnement bien trouvé. Tu joues avec nous car on s'attend à certaines choses, on a nos préjugés (Ah si Agahnim est dans le coup, c'est que ... ah bah non.) et en fait tu prends le contraire. C'est très bien joué.
Avant d'oublier, je tiens à signaler ce que je suppose être une faute. Tu parles d'une sanglante compagne. Tu ne voulais pas plutôt dire une campagne ? Enfin bon rien de bien grave. C'est toujours mieux que le singe de croix que j'ai repéré dans Vipère au poing ^^.
En tout cas, c'est un prologue long, mais qui remplit parfaitement son rôle : c'est-à-dire donner envie de lire la suite sans révéler l'intrigue (en tout cas pas trop). Je tâcherai de lire les chapitres existants pendant les vacances. Bonne continuation.
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