Communauté > Littérature, Fictions

La Tour du Rouge : [Random | Très court] Sans titre #1

<< < (30/51) > >>

sakuranbo:
Oh my god! J'ai lu d'un seul trait ta fiction Zelda "Triangle de Pouvoir"! J'ai adoré :niais: Tu as repris les personnages de la séries pour les remodeler à ta façon, c'est tout simplement grandiose, je suis fan :niais:
C'est très bien écrit, tes personnages ont vraiment une personnalité propre à chacun et bien travaillée, bravo!
Je veux absolument la suite :niais:

Great Magician Samyël:
(Note : Les réponses aux commentaires précédents ont été perdus lors du passage à la version 7.5 du forum.)


__________________________

V
-Linebeck-

Port-aux-Rois n’était pas exactement le genre de lieu de villégiature prisé des nobles, mais pour un honnête contrebandier comme Linebeck, c’était le meilleur endroit pour trouver du travail rapidement. Les affaires étaient florissantes ; l’hégémonie dictatoriale Ikaniene faisait de chaque ressource une denrée rare pour les peuples assujettis. Et comble du bonheur, il y avait de tout à Mercantîle, le grand port d’Hyrule. Avec un peu d’audace, quelques bourses placées dans les bonnes mains, il n’était pas difficile de forcer le blocus royal et multiplier les allers-retours pour remplir ses cales d’or et de pierreries.
Enfin, songea Linebeck en portant sa chope à ses lèvres, si tant est que le bon capitaine Keeta ne rase par Port-aux-Rois.
La Couronne ne portait pas ce repaire de pirates, voleurs, coupe-jarrets, prostituées, mercenaires et autres contrebandiers dans son coeur. Ce n’était que parce que les grandes familles de la pègre payaient volontiers un lourd impôt que le port continuait à vivre. Ce sans quoi, il aurait fallu renoncer à la carrière de convoyeur… Les autres ports de Termina avaient la malheureuse habitude d’avoir une milice, des douaniers, et d’être un peu trop regardants sur les affaires des honnêtes hommes.
Linebeck se trouvait dans la taverne dotée du nom de « La putain de la Reine », une charmante bâtisse des docks, où l’ont pouvait discuter d’à peu près tout sans avoir à faire attention. Le lieu n’appartenait à aucune des familles de la pègre, mais à un particulier, Peter Juste-Peter, aussi les escrocs indépendants pouvaient y venir commercer tranquillement. Et puis il n’y avait jamais de rixes à la Putain. Peter Juste-Peter s’en assurait personnellement.
Il n’y avait pas foule cette après-midi là. Justes les quelques ivrognes habituels. Linebeck et Tael, son jeune Premier Matelot, se tenaient accoudés au bar derrière lequel Peter Juste-Peter récurait consciencieusement ses choppes. Peter Juste-Peter était assez atypique dans son genre. De taille moyenne, ses yeux étaient étrangement bridés, et son teint jaunâtre. Totalement glabre, sa chevelure fine et noire était par contre d’une longueur vertigineuse. Il n’y avait pas grand-chose à dire sur le tenancier, car personne ne savait grand-chose. C’était Peter. C’était suffisant.
-Line, tu as de la visite, fit-il à son client comme si de rien n’était tout en continuant à récurer.
Linebeck pivota sur son tabouret, sa chope à la main. Un type malingre caché sous une ample robe noire à capuchon rabattu venait d’entrer. Les ombres de sa capuche masquaient ses traits, dont on ne voyait qu’une fine bouche molle ainsi qu’un menton pointu et chauve. L’inconnu jeta un œil à droite et à gauche, puis s’approcha du contrebandier. Peter Juste-Peter eut la délicatesse d’aller récurer plus loin.
-Capitaine Linebeck? Demanda Capuche -comme l’intéressé venait à l’instant de le nommer mentalement.
-Ca se pourrait.
-Le capitaine du Lion Rouge?
-Ca se pourrait. Me semble avoir déjà entendu ce nom là quelque part.
La bouche eut un rictus de mépris, mais l’homme prit place à côté du contrebandier. Tael avait déjà la main sur son poignard, prêt à bondir pour prévenir tout coup bas. L’entraînement de Linebeck semblait porter ses fruits.
-Et vous lui voulez quoi à ce Linebeck, maître…?
-Mon nom n’a pas d’importance. J’ai besoin d’un homme compétent et rapide pour convoyer un objet d’une très grande valeur jusqu’au Bourg d’Hyrule.
-Ca fait une sacrée trotte, surtout pour une seule babiole.
-Babiole? Ricana Capuche. Si vous aviez la moindre idée de ce que c’était…
-Et bien, je ne demande qu’à apprendre maître Mystère.
Linebeck prit une gorgée de bière. Il avait cru un instant à une proposition sérieuse, mais visiblement le bonhomme se payait sa tête. Il était contrebandier, pas coursier… Cependant, la chose relativement bombée, dont la forme rappelait un cœur de jeu de carte hérissé de piques, enveloppée dans une étoffe sale attisa sa curiosité. Il s’en dégageait comme une… énergie.
-Qu’est-ce que c’est?
-Vous n’avez pas besoin d’en savoir plus que le nécessaire, c’est-à-dire rien.
-Je déteste convoyer des choses dont je ne sais rien.
-Croyez moi ou non, vous aimeriez mieux ne pas savoir.
-Je peux?
-Allez-y.
Linebeck souleva l’étoffe. C’était un masque. Enfin un genre de masque. Il était bien trop laid pour être porté. Les yeux peints semblaient fixer le contrebandier ; une sensation très étrange et très perturbante. Linebeck trouva à l’objet quelque chose de purement maléfique. Il ne supporta la vue que quelques secondes, puis il remit le tissu en place.
-Maître Mystère, je suis contraint de…
Capuche posa soudain une bourse tellement bombée qu’elle s’ouvrit en heurtant le comptoir, révélant le chatoiement mirifique d’un amas de pierres précieuses.
-…vous dire que je serai heureux d’accepter votre proposition.
-A la bonne heure.
Capuche eut un sourire méprisant que Linebeck préféra ignorer.
-A qui dois-je remettre votre… objet?
-Mes associés du Consortium Aedeptus.
-Le Consortium, oui, je vois… Je vois…
-Ceci n’est qu’une avance pour les frais de voyage, disons. Vous toucherez le quadruple à la livraison.
-Me permettez-vous une question, maître?
-Une seule.
-Ne craignez vous donc nullement que j’essaye de vous doubler? D’après les efforts que vous faites pour ramener cette chose en Hyrule, elle doit avoir pas mal de valeur. Pourquoi croyez-vous que je ne pourrais pas la vendre pour mon propre compte?
-Capitaine Linebeck, fanfaronna Capuche, sachez qu’il nous serait très aisé de vous localiser, de vous traquer et de vous détruire si jamais vous vous avisiez de faire une chose aussi stupide. Mais vous êtes un homme malin, n’est-ce pas?
-Je pense oui. Vous savez expliquer les choses, quoi qu’il en soit.
-Bien. Contentez-vous de faire ce pourquoi nous vous payons, et rien d’autre. Nous ne nous reverrons plus.
Sans un autre mot, l’étrange petit homme sortit de la taverne. Linebeck le regarda s’en aller en remuant une gorgée de bière contre son palais.
-Capitaine, souffla Tael. Pourquoi avez-vous accepté? Je croyais qu’on s’occupait pas des trucs magiques.
-Oui, c’est exactement ce que nous faisions jusqu’à aujourd’hui. Regarde moi ça, mon petit. Regarde tout ce qu’on nous file pour transporter une babiole. Deux fois ce qu’on touche pour une cargaison de vivres ou de parchemin, et il n’y a même pas besoin de cacher les caisses, il n’y en a pas. Non, je pense que nous venons de mettre le doigt sur un marché juteux, mon petit.
Le hâlé et jeune Tael acquiesça, ses yeux brillant sous le chatoiement des pierres.
-Maintenant, file rassembler les gars. Je veux appareiller demain matin avec la marée.
Tael acquiesça et s’en fut en courant. Une longue course l’attendait, l’équipage du Lion Rouge ayant l’habitude de totalement s’éclater à travers le port. Peter Juste-Peter s’approcha de Linebeck, l’air de rien.
-Les affaires marchent?
-Tu sais ce que c’est, Pete. Les affaires, ça va ça vient…
Affichant un air neutre, Linebeck engloutit le reste de sa chope, et se levant, préleva de la bourse une gemme qui miroitait joliment. Il la posa nonchalamment sur le comptoir.
-Pour nos consommations, pour la fille que tu vas m’envoyer, et… disons pour le soutient d’un vieil ami à un autre vieil ami?
Peter Juste-Peter empocha subrepticement son dû sans cesser de récurer une tasse.
-Les amis sont là pour aider, non?
-Parfaitement.
Un sourire aux lèvres, Linebeck fourra sa nouvelle bourse -du bel ouvrage d’ailleurs- dans une poche intérieure de son manteau d’officier. Il répugnait à toucher l’objet de sa mission, mais il n’avait pas le choix. Il prit le masque, toujours emmailloté, sous l’aisselle et monta à l’étage, jusqu’à la chambre qu’il louait. Officiellement, Peter Juste-Peter ne louait pas de chambre, car comme il le disait souvent «  Je suis pas une auberge, bordel de merde. ». Mais il avait toujours un peu de place pour quelques amis. Et bien entendu, Linebeck faisait partie de ce petit cercle très restreint.
Il déposa le masque sur la commode près de l’entrée, et plaça son manteau par-dessus. Le contrebandier n’aimait pas trop les choses de magie, et celle-ci puait la magie noire. Et puis, il se rappelait du regard peint sur la surface de bois, ce regard qu’il avait imaginé être entrain de le fixer…
Pour se changer les idées, il se servit un grand verre de rhum, et s’assit sur le rebord du lit. Contrairement à beaucoup de bouibouis minables des docks, l’établissement de Peter Juste-Peter était bien entretenu, propre, en clair plaisant à vivre. Un cadre parfait pour se reposer entre deux longues périodes en mer. On frappa à la porte.
-Entre, c’est ouvert.
Une jeune femme -presque une jeune fille à la vérité- vêtue d’un corsage au décolleté révélateur pénétra dans la pièce, un air timide et légèrement effrayé sur le visage. Linebeck sourit. Ce bon vieux Pete connaissait bien ses goûts. Elle était blonde, les yeux bleus, des fesses parfaites et une poitrine certes un peu petite mais fort charmante. N’eut été l’horrible cicatrice qui barrait son visage d’une oreille à l’autre en mordant la naissance du nez, elle aurait pu devenir une courtisane de luxe. Mais Linebeck se fichait de ce genre de petit détail.
Il se déchaussa, puis toujours assis sur le bord du lit, lui fit signe d’approcher en écartant les cuisses.
-Utilise ta bouche, chérie.
La jeune putain s’approcha, le regard fuyant et dégoûté, mais elle s’agenouilla entre ses jambes sans rien dire. Ses lèvres étaient douces comme la soie et sa langue chaude et délicate. Linebeck ne put retenir un soupir de plaisir. Il caressa gentiment ses longs cheveux blonds pendant qu’elle le besognait. Mais son plaisir fut en partie gâché lorsque son regard se posa sur son manteau, et qu’il pensa à ce qu’il y avait en dessous. Il eut un frisson. Il ressentait les énergies négatives qui émanaient du masque. Les yeux horribles peints sur le masque lui revinrent en mémoire, et il eut le sentiment que, d’une manière ou d’une autre, ces yeux le fixaient, malgré le tissu qui les enveloppait, malgré le vêtement qui recouvrait le tout. Il se demanda finalement s’il avait bien fait d’accepter le marché… mais le paiement était vraiment important. Cela en valait la chandelle.
Il sentit soudain la jouissance venir. Rejetant la tête en arrière dans un râle, il empêcha la fille de se retirer et explosa à l’intérieur de sa bouches en plusieurs longs jets qui le secouèrent. La putain gémit tandis qu’un peu de semence blanchâtre coulait le long de son menton. Tremblant encore de plaisir, Linebeck lui souleva la tête en l’empoignant par les cheveux, et sans se retirer, lui intima.
-Avale, chérie.
La fille s’exécuta, non sans déglutir. Malgré sa balafre, Linebeck la trouvait d’une beauté stupéfiante. Plus il la regardait, plus son désir de la prendre s’intensifiait. Il la releva et l’assit sur ses genoux.
-Comment tu t’appelles, poupée?
-Taya, monsieur.
-Appelle moi Capitaine Linebeck.
Les doigts du contrebandier s’affairèrent sur le laçage et une minute plus tard, le corset de la fille tombait au sol, révélant sa poitrine aux seins plus gros que Linebeck n’avait imaginé, et aux tétons durcis. Le capitaine du Lion Rouge les mordilla, et tandis qu’il tripotait les fesses de sa partenaire, il sentit son pénis se durcir à nouveau.
Il lui fit l’amour toute la nuit ; il la prit dans toutes les positions, la posséda charnellement de toutes les manières qu’il connaissait, la souilla plus qu’il avait souillé n’importe quelle autre femme. Avec l’aube qui approchait, il se rendit compte que son désir ne faisait que croître un peu plus chaque fois qu’il la pénétrait. Elle ne disait presque rien, se contentant d’obéir à ses injonctions et de répondre à ses questions avec le minimum de mots. Mais Linebeck avait l’impression, la nuit s’avançant, qu’elle commençait à apprécier ce qu’il lui faisait.
Lorsque le premier coq chanta, il se retira d’entre ses cuisses luisantes pour la énième fois, épuisé, littéralement vidé. Elle ne dit toujours rien, se contentant de l’observer. Il se coucha à côté d’elle, en appuie sur un coude. Il comprit qu’il ne pourrait plus se passer d’elle rien qu’une nuit. Il caressa affectueusement ses cheveux emmêlés de semence par endroit sans dire un mot. Puis il suivit avec le doigt le tracé de la cicatrice qui lui barrait le visage. A ce contact, elle frémit, se raidit, mais laissa faire.
Linebeck se coucha sur elle à nouveau, et nicha son visage dans le creux de son cou, s’enivrant de son odeur de sueur, de sexe, de femme, et de fleur. Il l’embrassa passionnément, puis la regarda de longues minutes, tout en caressant son visage.
-Tu dois êtes une sorcière, fit-il avec un sourire. Car tu m’as ensorcelé.
Elle ne répondit pas et ne montra aucun signe d’émotion. Elle lui rendait simplement son regard, mais il ne reconnaissait pas vraiment ce qu’il y lisait.
-Je repars en mer aujourd’hui. Je vais à Hyrule, et même jusqu’à la capitale.
A l’évocation du Bourg, les yeux de Taya brillèrent.
-Ha! Je vois que tu n’y es pas insensible. C’est vrai que les charmes de la ville sont multiples… C’est un autre monde, par rapport à ce port moisi. Ha, je viens d’avoir une idée fabuleuse.
Linebeck se redressa, à califourchon sur elle, et introduisit son membre gonflé et douloureux dans sa bouche. Vraiment, il ne s’en lassait pas. Tout en parlant, il entama un mouvement de va-et-vient.
-Je vais t’emmener avec moi. Qu’est-ce que tu en penses? Je vais te racheter, et comme ça je pourrais t’avoir pour moi tout seul toutes les nuits… Oui, c’est une bonne idée. Très bonne idée même. Ne t’en fais pas, je te traiterai bien. Je t’achèterai des vêtements et des parures, et tu pourras manger à ta faim. Tout ce que je veux, c’est que tu chauffes mes draps.
Il se vida à nouveau en elle, et cette fois là il n’eut pas besoin de le lui ordonner pour qu’elle avale sa semence. Il descendit du lit, et entreprit de se rhabiller. En soulevant son manteau, le tissu qui couvrait le masque tomba partiellement, découvrant l’un des yeux de l’objet. Linebeck ne put s’empêcher d’y plonger le regard, et il sentit son cœur louper un battement. Un froid glacial s’empara de son être, et il recula précipitamment en jurant.
Vraiment, il détestait la magie.
Le Lion Rouge appareillait une heure plus tard. Le capitaine Linebeck installa sa nouvelle acquisition dans sa somptueuse cabine, où elle put se laver des impuretés de la nuit. Une fois le blocus passé, le reste du trajet jusqu’à Mercantîle était une vraie croisière, pour peu que les vents soient un minimum favorable.

Kyren:
Je poste juste par rapport à ton dernier chapitre (bien que je n'ai pas lu les autres^^).
En fait la banderole de mise en garde m'a fait rire. Mais c'était bien ça, c'est de la pure pornographie. Pas mal, joli coup. Je pensais pas un jour voir du porno dans Zelda.
EDIT : Cela dit un peu précoce le Capitaine.

sakuranbo:
Nyahaaa!!! La suite :niais: Super chapitre, même si j'avais aussi lu la banderole, je ne m'attendais pas à ça lol Mais c'est très bien écrit et très mature, bravo!
Je ne connaissais pas le personnage de Linebeck (je n'ai jamais joué aux épisodes DS) mais tu lui donne déjà une profondeur psychologique interessante.
Je l'ai déjà dit, mais j'aime beaucoup le fait que tu puise des éléments dans les différents Zelda. Ca rend ton histoire tout à fait originale!
J'attends la suite :niais:

Great Magician Samyël:
(Note : Les réponses aux commentaires précédents ont été perdus lors du passage à la version 7.5 du forum.)


_______________________


VI
-Tarquin / Le Chien / Malon-

Tarquin avait enfin l’occasion de contempler de son œil le fameux héros, et sa clique de barbares. Le roi Salomon lui avait fait l’honneur de l’accepter sous la bannière royale, aussi n’avait-il pas eu besoin de se cacher quelque part, et pouvait par conséquent observer tranquillement.
Link le Héros semblait venir tout droit d’un conte de chevalier. Son armure de plates vertes arborant fièrement un gros loup noir sur le plastron chatoyait magistralement sous le soleil, son port était noble, altier, fier, un peu orgueilleux. Son épée était bien entretenue, et on aurait pu se recoiffer en contemplant la lame. Son visage était androgyne, mais d’une exceptionnelle beauté. Ses yeux en amande d’un bleu océan étaient empreints d’autorité, de confiance, conférant à son regard scrutateur une force bien réelle. Ses lèvres carmins aux courbes élégantes donnaient l’impression de donner plus souvent des ordres que de faire des politesses, et son nez droit ressemblait au bec d’un faucon majestueux prêt à fondre sur sa pauvre proie dans toute sa magnanime splendeur. Ses longs cheveux d’un blond de blé délicatement entretenus jaillissaient de son bonnet caractéristique en mèches ordonnées de part et d’autre de son visage. Ses oreilles, enfin, étaient en pointe, longues et harmonieuses, percées d’anneaux d’or, confirmant son ascendance Hylienne pure.
La princesse Zelda se faisait violence pour rester de marbre, comme une véritable Lady, mais il était évident qu’elle était éperdue d’admiration pour son promis. Tarquin n’était pas dupe. Son beau sourire avait un il-ne-savait-quoi de sournois, et l’éclat de ses prunelles une lueur violente qui ne seyait définitivement pas à un chevalier.
L’homme à son côté, que Tarquin identifia comme son lieutenant, Colin, était plus vulgaire. Il semblait même un peu mal à l’aise devant tant de nobles personnes. Et s’il n’était pas maigre pour autant, sa carrure paraissait inadaptée au port de l’armure lourde. Son large front était couronné d’une chevelure d’un blond délavé qui faisait comme une coupe au bol, et ses yeux d’un bleu pâle étaient fuyants, peu sûrs. Il tranchait nettement avec Link, tant par la posture que par l’apparence.
Derrière se tenait une très belle femme d’âge mûr, dont les courbes musclées étaient parfaitement moulées par son armure de cuir cérémonielle. Ses cheveux étaient roux cendré, joliment bouclés, et rabattus en arrière par un bandeau de soie noire faisaient comme une cascade de cuivre brut. Ses yeux, deux émeraudes scintillantes, faisaient écho à une longue vie de guerre et de nomadisme précaire. La longue cicatrice qui lui barrait le visage de la racine des cheveux jusqu’à la pommette droite, en mordant la racine du nez, lui conférait un air farouche. Elle dardait son regard sur l’assistance comme en un signe de défi, le corps tendu et prêt à l’action, mais Tarquin remarqua qu’elle était nerveuse. Elle n’avait jamais du venir dans une si grande ville, et en plus de cela elle était contrainte de plier l’échine devant ceux qu’elle avait combattus toute sa vie. Le vieux Sheikah la comprit. Cependant, il ne se nia pas une certaine attirance envers la guerrière, dont il ne savait même pas le nom. Il avait reconnu ses armes, les doubles haches noires sur fond cramoisi Logre, mais c’était à peu près tout.
Outre les guerriers de l’escorte auxquels il n’accorda pas une once d’intérêt, le dernier homme du quatuor de commandement retint toute son attention. C’était le fameux Chien. Et il correspondait assez bien à l’image qu’il s’en faisait : un guerrier laid et idiot. Sa carrure était relativement impressionnante, renforcée de surcroît par l’armure qu’il portait, bien qu’il restât de taille moyenne. L’épée qu’il tenait pointe contre terre était ébréchée en plusieurs endroits et encore maculée de sang trop tenace pour être nettoyé : autant de symboles d’une utilisation fréquente et soutenue. En sus de cette épée, Tarquin avait aperçu sur son cheval un marteau de guerre, et une paire de hachettes. Bien que l’homme essayait de cacher ses traits avec ses cheveux, Tarquin avait eu le temps d’apercevoir son visage. Si le Chien ne devait pas avoir plus de trente ans, les ravages de la guerre lui en faisaient paraître dix de plus. Sa face était assez horrible. Une cicatrice vilaine lui barrait le visage d’une joue à l’autre en passant par le nez, pendant qu’une seconde, parfaitement verticale, lui dévorait le côté droit, dont l’œil qui était protégé par un morceau de cuir noir grossier attaché autour du crâne par une mince cordelette. Ces deux balafres ignobles se joignaient en une croix juste sous l’orbite. Une troisième, mais moindre, accrochait le coin droit de ses lèvres et courait jusqu’à la naissance de son cou, et le faisait très certainement souffrir à chaque mouvement de la bouche. Cela expliquait son éternel air maussade et renfrogné. Bien que rasé, le bleu de la barbe s’étendait sur toute sa mâchoire, et son poil devait être dru. Ses cheveux était une masse informe de mèches noires de jais, rebelles et raides, emmêlées et coupées récemment sans talent. Le dernier signe distinctif de l’individu était sa main droite. Du moins ce qu’il en restait. Le gantelet d’acier -qui d’ailleurs jurait avec le reste de l’armure, par son éclat moindre et plus terne- était explosé, enfoncé dans la chair, et les doigts qui en partaient étaient tordus, brisés, affreux à voir. Le Chien tenait d’ailleurs son membre contre son torse, comme pour le protéger.
Tarquin avait entendu parler de cette histoire, une parmi tant de celles qui avaient déjà façonné la légende du Chien. Blessé au début d’une bataille par un coup de masse, le Chien avait attendu la fin des combats, qui vint beaucoup plus tard, avant d’aller quérir un médecin. Le sang coagulé et poisseux avait rendu impossible le retrait du gantelet, et à choisir entre la souffrance vive mais brève de l’amputation ou celle permanente et insidieuse d’une main pour toujours brisée, il avait opté pour la seconde option. Tarquin ne trouvait pas cela courageux, mais juste idiot. Le vieux Sheikah en était là dans ses réflexions quand l’homme releva brièvement la tête, et que leur deux yeux se rencontrèrent. Tarquin fut frappé par ce qu’il y vit. Au lieu de la cruauté, de la soif de sang et de la débilité qu’il y attendait, il lut de la mélancolie, de la lassitude, et une résignation servile… mais non dénuée d’une certaine intelligence.
L’échange fut bref, mais il secoua Tarquin.
Avec un sourire triomphant, Salomon d’Hyrule descendit d’une marche, et tendant le bras vers Link, déclara d’une voix solennelle :
-Relève toi, Héros, et sois le bienvenu dans ton nouveau foyer.
L’intéressé s’exécuta, un sourire non-moins triomphant peint sur le visage. Ses yeux bleus scrutèrent l’assemblée, jaugeant chacun, examinant les forces en présence. Son regard ne s’arrêta qu’une seconde sur Tarquin, et celui-ci s’en félicita. Il préférait rester dans l’ombre pour le moment.
Il ne doutait pas qu’il aurait fort à faire durant les jours à venir.

***   

Les guerriers de l’escorte furent menés à leurs quartiers où un repas copieux leur fut servi. Le Chien nota que les quartiers en question se trouvaient commodément placé près de ceux des gardes royaux, et il félicita mentalement le responsable pour cette prévoyance. On ne savait jamais à quoi s’attendre avec ces barbares.
Quant à Feena, Link, Colin, lui-même et les nobles, le chambellan, maître Baelon, les conduisit vers la grande salle de banquet, où des tables d’une longueur inimaginable avaient été dressées dans une forme en U, l’extrémité perpendiculaire aux deux autres ayant été placée sur une estrade afin de dominer les réjouissances. Le Chien craignit un instant de devoir supporter le calvaire d’un long banquet en armure, mais des serviteurs vinrent les chercher pour les mener à leur appartement respectif, où ils auraient loisir de se changer, pendant que le reste des convives arriveraient. On amena Link vers l’aile Royale, étant donné qu’il intégrerait la famille de la Couronne une fois marié à la Princesse ; Feena et Colin furent conduits dans l’aile des invités, où logeaient les grandes familles. Quant au Chien… Il fut un peu surpris mais ne s’offusqua pas lorsqu’une courtisane fit mine de l’introduire dans l’aile des serviteurs et des valets. Il se fit la réflexion qu’après tout, il n’avait pas véritablement de statu, alors cela ou autre chose…
-Attendez.
La voix, sèche et autoritaire, claqua derrière eux. La servante sursauta et se retourna vivement. C’était le vieil homme borgne et bizarre qui l’avait toisé pendant leur arrivée. Il avait vraiment une allure singulière, entre son turban blanc, sa barbe trop hirsute pour être peignée correctement, son fameux œil rouge, et sa tunique bleu de nuit sans ornement, ses hauts-de-chausses noirs et bouffants, et ses demi-bottes de cuir noires… Il se dégageait de lui une impression étrange de mystère et d’incertitude. L’Œil aguerri du Chien nota la façon dont il se déplaçait -féline, souple et silencieuse-, sa posture à la fois décontractée mais prête à tout, et les dagues qu’il dissimulait adroitement dans divers endroits stratégiques de son costume - et qu’un observateur moins expérimenté n’aurait jamais remarqué. Il nota aussi l’attitude craintive de la courtisane à son égard.
-C’est une regrettable erreur, maître Sanks. Vos appartements sont de ce côté, je vais vous mener.
Sautant sur l’occasion, la servante fit une courbette rapide et s’éloigna comme si sa vie en dépendait.
-Je ne sais pas comment cette idiote a pu s’imaginer une seconde placer une personne aussi prestigieuse que vous au même niveau que les valets. Toutes mes excuses.
-Non, vraiment, ce n’est rien, répondit le Chien. N’y pensez plus.
-A votre guise.
Le vieil homme prit les devants et le guida vers l’aile des invités. Un silence s’installa entre les deux, brisé par les cliquettements de l’armure du Chien. Celui-ci en profita pour mémoriser la dispositions des lieux, l’agencement des couloirs et des issus. Il devait reconnaître que le Château était un petit bijou de beauté et de merveille architecturale, tout en fioritures, en tapisseries splendides, en tableaux magnifiques, statues héroïques et autres colonnades. En réalité, le Chien imagina que l’endroit avait été conçu avant tout pour la vie quotidienne et la beauté plutôt que pour le souci du pragmatisme militaire.
-Excusez moi, finit-il par dire.
-Oui, maître Sanks?
-J’ai peur de ne pas avoir bien saisi votre nom, messire.
-Ho! Bien sûr. Quel grossier je fais, cette tragique erreur m’a fait perdre mes bonnes manières. Veuillez m’excuser.
-Ce n’est rien…
Le vieil homme s’inclina.
-Je suis Tarquin dit « Qu’un-Oeil ». Et ce sera, pour vous maître Sanks, simplement Tarquin. Je ne mérite aucun autre titre.
-Je vois… Je vous ai pourtant aperçu, il me semble, sous la bannière de sa Majesté.
-Cela est vrai, mais notre bon roi est trop généreux. A la vérité, je ne rends que quelques menus services à la Couronne. Comme réparer les erreurs de l’intendance.
-Je vois… répéta le Chien.
Il attendit quelques instants qu’ils reprennent leur route, avant de déclarer, sur le ton de la conversation.
-En tous les cas, vous êtes bien informés.
-Plaît-il?
-A ma connaissance, seules quatre personnes connaissent mon véritable nom… Et vous n’en faites pas partie.
Ils continuèrent à marcher sans s’arrêter. Tarquin ne broncha pas.
-Je m’étais effectivement trompé sur vous, maître Sanks, finit-il par lâcher.
-Comment cela?
-Je ne vous imaginais pas l’esprit si acéré. On dirait que les rumeurs ont pris le pas sur mon bon sens.
Le Chien eut un début de sourire, qu’il réprima aussitôt lorsque la douleur de ses cicatrices se réveillèrent.
-Je suis désolé de vous avoir trompé malgré moi, maître Tarquin. Et j’insiste, ce sera maître, rien de moins. Je me fais dans l’idée que les menus services que vous rendez ne sont pas si menus que vous ne le laissez entendre.
-Croyez ce qu’il vous plaira, maître Sanks. Nous sommes arrivés.
Le Chien jeta un rapide coup d’œil à la porte somptueuse en bois laqué. Se retournant vers Tarquin pour rétorquer, celui-ci avait disparu. Le guerrier s’étonna un court instant de ce prodige, puis finit par conclure que cela cadrait bien avec le personnage. Pressé de se débarrasser de son habit de fer, il entra.
La pièce était tellement vaste qu’il n’osait pas la qualifier de chambre. Tout lui paraissait disproportionné à l’extrême, du mobilier aux objets d’art, en passant par les tapisseries et le gigantesque lit à baldaquin. Il ne put s’empêcher de se demander à quoi pouvaient bien ressembler les chambres de l’aile royale. Dix hommes aurait pu vivre dans celle-ci sans souffrir du manque d’espace personnel.
Le Chien s’approcha du lit, et y enfonça le doigt, s’émerveilla de son moelleux. Il ne pensait pas avoir déjà dormi sur quelque chose d’aussi doux. Il défit sa ceinture et posa délicatement le fourreau de son épée contre le bord du lit. Il s’y assit pour enlever ses bottes, délacer les attaches, les sangles, retirer les lourdes pièces d’acier une par une… Une tâche ardue avec une seule main. Il les déposait au fur et à mesure sur des sièges et des fauteuils richement décorés, ne sachant trop où les entreposer ailleurs. Il savoura le plaisir d’avoir les pieds nus, la taille libre et de ne plus avoir à être constamment sur ses gardes. Il s’allongea sur le lit, et contempla la fresque peinte au plafond, représentant une scène de la création d’Hyrule par les Très-Hautes -Din, Nayru et Farore. Le Chien n’était pas un grand amateur d’art, mais il apprécia les couleurs et l’harmonie de la scène.
Il se faisait la réflexion que le matelas était simplement divin, et commençait à sombrer dans un doux sommeil, quand on frappa à la porte. Il se redressa d’un bond, sa main valide cherchant son épée. Ne la trouvant pas à son côté, il se contenta de crier :
-Entrez, c’est ouvert.
C’était une jeune femme, presque une jeune fille. Le Chien fut frappé par sa beauté naturelle et simple, sans artifice. Ses traits étaient plus grossiers que ceux de la princesse, mais d’une harmonie et d’une chaleur infiniment plus grandes. Elle n’était pas maquillée et ses longs cheveux bruns cascadaient librement dans son dos. Elle gardait les yeux verts ostensiblement baissés vers le sol, et le Chien comprit qu’elle avait peur de lui, ou n’osait le regarder. Elle tenait des vêtements pliés. Faisant une courbette, elle dit :
-Maître Baelon vous fait porter ces quelques habits, et il espère qu’ils vous siéront.
Le Chien se leva du lit, et s’approcha en quelques grandes enjambées. Il ne fit pas attention à la réaction de la servante, car il savait ce qu’il était et ne s’en formalisait pas. Il lui prit délicatement les vêtements de sa main valide.
-Merci. Vous serez aimable d’informer maître Baelon que cela m’agrée fortement.
Le Chien retourna au lit afin de les étendre, mais il sentit que la courtisane dans son dos ne semblait par partir.
-Il y a autre chose? Demanda-t-il sans la regarder, tout à son affaire.
-Je… Heu… Désirez-vous… Désirez-vous que je vous aide?
Le Chien s’arrêta, et se redressa. Cette fois là, il regarda la servante. Elle tremblait, et ses joues étaient rouges, d’un rouge de honte et d’angoisse présuma-t-il.
-Pourquoi désirerais-je de l’aide pour me vêtir? Je m’estime encore assez vigoureux pour m’occuper de cette besogne moi-même.
-C’est… je… bafouilla la fille. Je m’étais dit que… Cela était peut être… pénible… Pour votre… main et je…
Elle se tut, et des larmes silencieuses se mirent à couler le long de ses joues. Le Chien ne put s’empêcher de la trouver plus jolie encore.
-Ma main vous remercie pour votre sollicitude, mais elle s’en sortira fort bien. Merci. Je n’ai besoin de rien d’autre.
La courtisane fit une courbette et s’enfuit aussi vite qu’elle le put.
Le Chien s’en désintéressa dans la seconde. Il reporta son attention sur ses vêtements, et eut la désagréable sensation que Tarquin en savait beaucoup plus sur lui qu’il ne le pensait : c’était une version riche et finement ouvragée de ses habits habituels : une chemise blanche, des pantalons noirs, un tabard blanc frappé du blason de Link.
Ceignant son épée, il eut l’impression d’être épié dès qu’il fut dans le couloir pour se rendre à la salle de banquet.

***

Malon était mortifiée. Elle voulait mourir, de honte, de chagrin, de peur. Ce Chien… Il était plus effrayant encore que ce qu’elle en avait imaginé. Son œil terrible, ses cicatrices hideuses, ses traits durs et placides, sa main terrifiante, comme un appendice d’acier monstrueux, ses cheveux plus noirs que la plus noire des nuits…
Maudits fussent maître Tarquin et maître Baelon! L’affecter à la plaisance d’un être aussi abject, aussi vil. On lui avait bien dit de tout faire pour lui être agréable, mais lorsqu’elle lui avait proposé son aide, quand il s’était subitement arrêté, redressé pour se retourner, elle avait réellement cru qu’il allait l’embrocher avec son épée, dans l’instant. Elle s’étonnait d’être encore en vie.
Mais était-ce réellement un bienfait? Après tout, elle allait devoir le voir à nouveau, tous les jours jusqu’à ce qu’il partisse ou qu’il se trouvât une épouse - et Malon plaignait la malheureuse. Rien qu’à l’idée de ce qui l’attendait durant la nuit à venir, elle eut un haut-le-cœur et ne réprima qu’à grand peine ses vomissements.
Elle avait pénétré dans un des petits boudoirs mis à la disposition des invités, où elle pouvait pleurer tout son saoul sans être dérangée. Ses sanglots étouffés ne semblaient pas vouloir s’arrêter, ce n’était que parce que sa main tremblait de trop qu’elle n’avait pas encore tailladé son poignet avec le coupe-papier doré qui trônait à côté d’elle sur le sol.
Oui, mourir était sûrement la meilleure solution. Quand maître Tarquin lui avait fait quitté le service de la Princesse, elle en avait été heureuse, mais ce n’était que l’arracher au joug d’une esclavagiste violente pour mieux la jeter en pâture à un monstre. La mort seule pouvait la délivrer. Elle eut une pensée pour son père, son pauvre père, qui se mourrait de chagrin à coup certain. Mais qu’y pouvait-elle? Après tout, c’était un peu de sa faute à lui, si elle était malheureuse. S’il n’avait pas eu la bonne idée de se faire anoblir, elle serait encore serveuse à l’Auberge de Marine, où les gens étaient si gentils, si doux, si compréhensifs, si rieurs. Ici, dans ce maudit château, tout le monde était froid, hypocrite, venimeux! Les pierres étaient froides, les lits étaient froids, les foyers étaient froids, les portraits étaient froids, les tapisseries étaient froides, tout n’était que froidure. Elle ne voulait plus de cette vie.
Résolue, elle posa la main sur le coupe-papier. Elle remonta sa manche, la vision obscurcie par les larmes. Peu sûre quant à la méthode à employer, elle leva l’arme improvisée, pointe en bas. Mais quand elle fit mine de se planter, une main forte et calleuse s’abattit sur son poignet et d’un mouvement l’obligea à lâcher l’objet. Malon poussa un cri et releva vivement la tête.
-Quoi qu’il t’ ait fait, ce serait une erreur de gâcher ta vie.
C’était la femme barbare. Les hoquets de terreur de Malon lui restèrent en travers de la gorge, tant elle fut subjuguée par le regard cette femme. Un regard d’une force incroyable, d’une assurance qu’elle n’aurait jamais, d’une férocité de bête, et pourtant d’une intelligence redoutable. La courtisane n’avait jamais vu quelqu’un comme ça, et aucune des Lady ne possédait une aura aussi exceptionnelle. En sus de ce regard, de ces traits farouches, toute sa silhouette était une ode à la puissance et à la grâce féline et magnanime.
-Je t’ai vue sortir de sa chambre en pleurant, alors je t’ai suivie. J’ai bien fait, dirait-on.
Malon ne pouvait articuler un son, totalement tétanisée. Ses yeux n’arrivaient pas à se détacher des prunelles émeraudes de sa vis-à-vis. Feena lui lâcha le poignet et s’assit en face d’elle, dans un craquement de cuir.
-Qu’est-ce qu’il t’a fait?
-Je…
Rien d’autre ne parvint à franchir ses lèvres.
-Il t’a touchée?
-Non…
-Il t’a menacée?
-Non…
-Il t’a frappée alors?
-Non, non… Je…
Malon réalisa soudainement, et d’une certaine façon cela lui fit mal, qu’en réalité, le Chien n’avait rien fait. Rien fait qui méritât qu’elle le traite de monstre. Il avait été courtois, et ne s’était pas formalisé de sa remarque sur son infirmité. Alors, oui, il était laid, mais ce n’était pas de sa faute, après tout.
-Non, fit Malon, retrouvant l’usage de la parole, il… Il ne m’a rien fait. Rien du tout. C’est plutôt moi, à la vérité qui… Je suis une idiote.
Feena se passa une main dans les cheveux, avec un petit soupir que Malon qualifia de soulagé.
-Vous… Vous le connaissez depuis longtemps?, demanda la courtisane d’une petite voix.
La barbare eut un sourire amer.
-Plusieurs années.
-Comment vous êtes-vous rencontrés?
-Il a tué mon fils et mon compagnon.
Malon porta une main à sa bouche, honteuse.
-Pardonnez ma grossièreté, je ne savais…
-Ce n’est rien. Et puis de toute façon, ils reposent en paix maintenant. Il leur a fait l’honneur d’une belle mort, une mort de guerrier. Ils étaient tous deux sur lui, en même temps, et pourtant il les a balayés…
Feena se plongea dans ses souvenirs, les yeux dans le vague.
-Mais ne te méprend pas. Je ne le hais pas. Je le respecte. C’est un grand guerrier.
-On dit qu’il a tué plus de cent hommes.
-C’est en deçà de la vérité.
Devant le hoquet de stupeur de Malon, Hurlebataille ajouta.
-Mais ne te fie pas à son apparence. C’est… C’est un homme bon. Ce n’est pas un monstre. Juste un soldat qui s’acquitte de son devoir envers son maître.
Curieusement, ces paroles soulagèrent Malon. Elle sentait intimement qu’elle pouvait croire cette femme, et cela la réconforta. Elle lui avait sauvé la vie, après tout.
-Je… J’ai été affectée à son service, confia-t-elle.
-Alors crois en mon expérience, tu n’as rien à en craindre. Il est civilisé, et en cinq années passées à le côtoyer, je ne l’ai jamais vu toucher une femme ou se mettre en colère.
Feena se remit debout, et tendit la main pour aider la jeune femme à en faire de même.
-Bon, je dois prendre congé. Je suis attendue à ce fameux banquet.
-Oui, oui, bien sûr.
La barbare se dirigea vers la porte, et avant de l’ouvrir se retourna.
-Ha. Une dernière chose à propos du Chien. Il ne sourit jamais. En fait, ce n’est pas qu’il ne le fait jamais, c’est juste qu’il ne le peut pas.
Elle toucha ses lèvres là où Locke Sanks avait une cicatrice.
-Ho. Je vois. Je m’en souviendrai, répondit Malon en hochant la tête.
Feena fit mine de sortir, puis avant de refermer derrière elle, jeta un dernier coup d’œil à la courtisane.
-En fait, si tu dois craindre quelqu’un, crains plutôt le Héros.
La porte se ferma sans un bruit.

Navigation

[0] Index des messages

[#] Page suivante

[*] Page précédente

Sortir du mode mobile