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La Tour du Rouge : [Random | Très court] Sans titre #1

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Great Magician Samyël:
Premier chapitre de cette nouvelle fan-fiction, qui ne semble guère rencontrer un succès fou ^^

Une suite du Cycle pour bientôt!

Bonne lecture.



___________


I
-Le Chien-

   Le Chien se réveilla avant l’aube. Sa main droite le faisait souffrir et la plate d’acier la rendait glaciale. Le camp était silencieux, il n’entendait que les murmures des sentinelles et les piaffements des chevaux. Il se leva de sa paillasse inconfortable et entreprit de se vêtir. Sa traditionnelle tunique blanche qui accusait la trop longue campagne, dont il fourra la manche droite dans son gantelet ; des haut-de-chausses d’équitation noirs rembourrés ; de solides bottes usées mais confortables. Il passa une chemise de mailles par-dessus ainsi qu’un tabard, blanc lui aussi, frappé de l’emblème de son maître -loup de sable sur champ sinople- qu’il boucla avec une ceinture de cuir sous laquelle il glissa une dague. Il ceignit son épée longue à sa hanche droite et souleva le rabat de sa tente et sortit.
   Il faisait encore sombre mais on pouvait distinguer de pâles lueurs à l’est. L’air était frais en ce début de printemps mais revigorant. Le camp était monté avec discipline, chaque tente s’alignant parfaitement afin de former un carré divisé par un chemin central en forme de croix. Même si les rivalités s’estompaient au fur et à mesure entre les clans, il en avait été tenu compte lors de la construction du campement. Les Faces- Rouges ne côtoyaient pas les Logres et les Janken, les Ventre-Bleus n’avaient pas pour voisins les Pieds-Noirs et les Profions, et ainsi de suite. Le Chien aimait bien l’ordre qui régnait dans les vastes cités de toile temporaires. Il trouvait cela paisible et réconfortant. Loin du chaos des combats, de la fureur des batailles.
   Il salua deux sentinelles qui se réchauffaient au coin d’un feu en préparant une bouillie d’avoine. Il reçut un salut en retour mais la discussion s’arrêta là. Le Chien était un lieutenant compétent -quoi qu’il n’avait pas officiellement ce grade- mais les hommes ne l’appréciaient guère en privé. Il le savait et ne voulait forcer personne. Il déjeuna de son avoine en silence. Manger lui était pénible, depuis qu’il ne pouvait plus se servir de sa main droite. Un coup de marteau de guerre durant une bataille lui avait détruit les os de la main, laissant ses doigts dans des angles improbables. Le coup avait également enfoncé la plate de son gantelet, la soudant quasiment à sa main broyée. N’ayant pu recevoir des soins avant longtemps, les médecins n’avaient rien pu faire. Il aurait fallu retirer le gantelet, ce qui était impossible sans couper l’ensemble du membre. Le Chien avait préféré garder partiellement sa main plutôt que de s’en voir amputer. Mais il en souffrait toujours beaucoup. Les nerfs n’avaient pas été totalement détruits, et il bougeait parfois les doigts par inadvertance, ce qui lui procurait de vives souffrances. Il avait appris à se servir de sa main gauche.
   Une fois restauré, il fit réveiller les officiers et donna des ordres pour préparer la nouvelle marche de la journée. Il fallait s’occuper des chevaux, préparer la nourriture et les chariots, commencer à démonter les tentes… Il y avait encore un peu moins d’un mois de marche jusqu’à la Cité d’Hyrule, et le sieur Link ne voulait pas rester sur les routes plus que le strict minimum. Il avait hâte de franchir les portes de la ville. Le Chien pouvait comprendre. Il arrivait en Héros, le fédérateur des Clans des plaines, et il allait prendre pour épouse la fameuse princesse Zelda. Et lorsque le roi Salomon mourrait, ce serait lui qui monterait sur le trône. Un bel avenir en perspective.
   Une fois certain que tout serait prêt à temps, il retourna dans sa tente afin de récupérer les effets qu’il devait attacher à son cheval -son grand écu et son marteau de guerre. Lorsqu’il souleva le rabat, il fut surpris de voir que quelqu’un l’attendait, assis sur sa paillasse. C’était une femme, et pas n’importe laquelle : Feena Hurlebataille, meneuse du clan de Logre, l’un des plus puissants. Elle était belle malgré ses quarante printemps révolus, mais pas à la manière des courtisanes, de par sa coquetterie ou la mise de ses cheveux. Son charme provenait de la force tranquille de ses traits, volontaires et confiants, de sa silhouette grande et svelte mais tout en muscle avec des courbes mises en valeur par le port des armures légères. Ses cheveux roux cendrés et joliment bouclés étaient retenus en arrière par un bandeau de soie noire et elle portait un pourpoint de cuir rouge à ses armes -double haches croisées cramoisies sur champ de sable-, ainsi qu’une jupe de cuir clouté du même rouge et des bottes bordées de fourrure de loup. Dans ses yeux émeraude on pouvait voir couver un feu alimenté par une grande intelligence et une ardeur guerrière sans fin. Son visage était barré d’une cicatrice qui partait du milieu de son front, mordait la racine du nez et s’achevait en haut de la pommette gauche -ses bras et ses jambes portaient également de tels stigmates, témoins d’une vie guerrière. Ses lèvres pleines étaient colorées de noir de même que ses yeux étaient soulignés de khôl, conférant une force certaine à son regard.
   Un mince sourire de prédateur étira ses lèvres lorsqu’elle vit le Chien. Celui craignit un instant qu’elle voulût le tuer, mais constata qu’elle n’avait pas ses armes fétiches -les fameuses haches.
   -Madame, s’inclina-t-il avec politesse. Votre visite m’honore. Veuillez pardonner ma grossièreté, mais n’ayant point vu vos gens au dehors je ne m’attendais pas à vous trouver ici.
   Feena s’installa un peu plus confortablement sur la paillasse, inclinant le buste en arrière en tendant les bras derrière elle et en croisant les jambes. Son sourire s’agrandit.
   -Je ne me lasserai jamais de t’écouter, Chien. Tu es bien le seul de cette foutue armée à savoir parler à une dame.
   -Madame, s’inclina le Chien. Puis-je vous être d’une quelconque utilité?
   -Je viens te prévenir.
   -Me prévenir?
   -Oui. Cet idiot de Julian t’a provoqué en duel à l’aube, avant que nous prenions la route.
   -Pourquoi cela? Je n’ai pas souvenance de lui avoir porté quelque préjudice…
   -Tu n’as rien fait, Chien. C’est moi.
   -Vous madame?
   -Oui. Ce balourd voulait partager ma couche. Je l’ai repoussé et lorsqu’il m’a demandé pourquoi, je lui ai dit que seul celui qui arriverait à te tuer en duel aurait l’honneur de pouvoir me prendre.
   Feena planta son regard dans celui du Chien. Ce dernier ne broncha pas et ne fit pas mine de s’émouvoir. Il se contenta d’incliner légèrement le buste.
   -Soit. Quelles sont les modalités de ce duel?
   -Combat à mort, les armes sont laissées au choix des combattants.
   -Bien. Veuillez dire à monsieur Julian que j’y serai.
   La femme se leva, les yeux brillants. Elle semblait apprécier la situation. Elle s’approcha du Chien, faisant mine de partir. Mais tout à coup elle propulsa son poing vers le visage de son interlocuteur. Celui-ci fit un pas sur le côté et saisit au vol le poignet de Feena. Il affichait toujours la même expression, calme et désintéressée. La chef du clan de Logre s’approcha de lui, son poignet toujours prisonnier, jusqu’à ce que leurs corps se touchent et leurs visages s’effleurent.
   -Ne me déçois pas, Chien, murmura-t-elle.
   Puis elle fit courir langoureusement sa langue le long de sa mâchoire et mordilla le lobe de son oreille avant de quitter la tente.
   Le Chien allait devoir tuer un homme. Il n’aimait pas prendre une vie sans raison, mais refuser un duel clanique signifierait passer pour un lâche et il ne pouvait pas se le permettre. Il ne se faisait guère de souci pour le combat en lui-même. Il ne connaissait pas le dénommé Julian, et s’il n’en avait pas entendu parler jusqu’à alors c’était qu’il ne devait pas être exceptionnel.
   Le camp était parfaitement réveillé à présent. On démontait les tentes, chargeait les chariots et les mules, éteignaient les feux. L’aube était déjà là. Le Chien saisit son écu et s’en équipa. Il l’avait fait adapté à son handicap en retirant la poignée de fer pour la remplacer par deux solides sangles en cuir ajustables. Il fixa le bouclier solidement sur son bras droit et prit son marteau de guerre de l’autre. Le laissant reposer contre son épaule, il sortit de sa tente et se dirigea vers le lieu du combat. Le mot avait du passer assez vite car une foule de curieux et de parieurs s’était déjà rassemblée. Le Chien aperçut son adversaire. Hurlebataille lui murmurait des choses à l’oreilles et l’homme souriait. C’était un Logre pur, il n’y avait aucun doute. De taille moyenne, puissamment bâti, les cheveux auburn et vêtu d’une armure de cuir cramoisie. Il avait dans les mains un paire de hachettes rutilantes qui semblaient parfaitement affûtées. Ses yeux verts se dardèrent sur le Chien avec un faim dévorante -mais le manchot savait que ce n’était pas la faim de tuer, mais la lubricité.
   C’était la deuxième fois que le Chien était provoqué en duel. La première remontait au début de la fédération, lorsqu’il était encore totalement valide et en un seul morceau. Un des premiers chefs à avoir plié le genou devant le sieur Link avait voulu lui disputer sa place de second. Le combat n’avait pas duré plus de deux minutes et depuis plus personne n’avait osé l’affronter. Mais les choses avaient changé. Il était manchot, et borgne à présent. Cependant il ne doutait pas de ses chances. Calmement, il pénétra dans le cercle humain et s’inclina devant Julian.
   -Je ne désire pas ce duel, dit-il, mais si vous souhaitez aller jusqu’au bout alors soit. Je suis prêt.
   L’homme ricana et l’arbitre déclara le début du combat. Le Logrien se mit à tourner autour de son adversaire, griffant l’air de ses hachettes dans le but d’impressionner le Chien. Celui-ci se contentait de pivoter sur lui-même pour garder Julian dans son champ de vision. Il ne désirait pas porter le premier coup. Julian ne tarda pas à se lasser, et dans un cri il se jeta sur son adversaire, les armes brandies. L’idiot frappa de haut en bas avec ses deux armes à la fois. Le Chien leva tranquillement son bouclier pour parer l’assaut, et tournoyant sur son pied d’appuie il porta un coup violent dans le genou gauche avec son marteau. L’articulation implosa dans un craquement qui fit grimacer le public. En criant comme un cochon à l’abattoir, le Logrien s’effondra en tenant sa jambe brisée. Le Chien écarta ses hachettes d’un coup de pied, puis sans cruauté il l’acheva en lui brisant l’arrière du crâne d’un nouveau coup précis.
   Un silence médusé s’abattit sur le campement. Sans s’émouvoir, le Chien essuya le sang qui avait giclé sur son visage avec le revers de sa manche et relevant son unique œil déclara à voix haute.
   -Nous partons dans une demi-heure.
   Conformément à la coutume, il récupéra les armes du vaincu et les glissa dans sa ceinture.
   Le voyage reprit. La colonne avalait les kilomètres à bon train. Tout autour ne s’étendait que la vaste et somptueuse plaine verdoyante d’Hyrule. On pouvait distinguer quelques hameaux à l’horizon, des bâtiments solitaires, parfois un bosquet d’arbres. Il aurait fallu voyager longtemps à l’Est ou à l’Ouest pour apercevoir un paysage différent. La plaine était le point central du pays. A l’orient s’étendait une vaste chaîne de montagnes volcaniques, le fief minier de la maison Dodongo, les Seigneurs du Péril dont les montagnes tiraient leur nom. Au pied de ces monts florissait la grande ville de Cocorico, et plus au sud poussait une forêt gigantesque et mystérieuse, territoire ancestrale de la famille Mojo. Des centaines et des centaines d’histoires et de rumeurs circulaient sur les profondeurs de ces bois, des histoires d’enfants enlevés par des fées et transformés en monstres, des contes sur des plantes parlantes et des temples en ruines. Enfin au sud de cette forêt la plaine s’étendait à nouveau jusqu’à la Grande Mer, et la Route Royale la traversait de part en part jusqu’au royaume voisin de Termina.
   A l’occident, plus au nord que la Cité d’Hyrule s’étendait une autre chaîne de montagne, plus vaste, plus haute, et perpétuellement enneigée. La fonte de ses glaciers à l’été provoquait de terribles torrents qui dévalaient les pentes glacées jusqu’à une vallée plus au sud ce qui avait donné naissance au gigantesque Lac Hylia, véritable réservoir d’eau du royaume. La famille Zora administrait ces terres, et du lac émergeaient de nombreuses rivières qui irriguaient littéralement la plaine et le royaume. La plus grosse d’entre elle avait creusé vers le sud une vallée au sein de terres rocailleuses et arides où le clan Gerudo avait élu domicile des siècles plutôt, donnant ainsi le nom de la vallée. Depuis le temps, ce clan avait été anobli par la Couronne et c’était maintenant le territoire de la famille Dragmir. Au-delà de la vallée, il n’y avait plus rien sinon un désert illimité où vivaient à ce qu’on disait les esprits des morts et des créatures terrifiantes.
   La Grande Mer bordait tout le sud du royaume et des ports avaient émergé le long de la côte au fil des décennies, mais seul Mercantîle avait su obtenir un statu international.
   L’armée remontait le long de la Route Royale, une longue route pavée et aménagée du temps des Hyliens qui parcourait l’ensemble de la Plaine et permettait de voyager relativement confortablement dans tout le royaume. Elle était assez large pour que quatre chariots avancent de front. Des ruines de tour de guet ou d’anciens fortins émaillaient le trajet, abandonnées depuis longtemps par la Couronne, car trop lointaines pour être entretenues et efficaces. De toute manière, la famille royale avait depuis longtemps perdu toute envie de reconquérir le sud de la Plaine, le territoire des clans.
   La plaine était bien assez vaste pour être partagée, et personne ne voulait se lancer dans une longue et pénible guerre afin de réclamer la suprématie de ces terres. Personne sauf le sieur Link. Personne ne savait vraiment d’où il venait, mais il avait accompli l’exploit en sept années de campagne à réunir sous sa bannière l’ensemble des clans. Sept longues années qui avaient paru interminables au Chien, même si lui-même n’avait été enrôlé qu’à partir de la seconde. A présent il aspirait à du repos et une retraite tranquille, et il espérait trouver tout cela à la Cité.
   Un après midi -une semaine avait passé environ depuis son duel contre Julian-, alors qu’il supervisait la construction du camp pour la nuit, un soldat vint le voir pour lui enjoindre de retrouver le sieur Link dans la tente de commandement. Il s’y rendit dans l’instant. En soulevant le rabat, il remarqua que l’état major au complet était réuni : Feena Hurlebataille, bien sûr, Colin le Reître, lieutenant officiel et ami d’enfance de Link, Fehnir, chef du clan des Têtes-jaunes, reconnaissable à son visage peinturluré, et d’autres menus chefs. Et bien entendu, le sieur Link lui-même.
   L’homme était assis sur un grand siège confortable derrière une table de campagne sur laquelle s’entassaient des cartes d’Hyrule. Même pour un homme il était facile de comprendre qu’il était d’une beauté à couper le souffle. Bien qu’âgé de plus de vingt-huit ans, ses traits fins et nobles gardaient une certaine candeur. Ses yeux étaient d’un bleu d’une pureté océane, mais où se lisait une grande autorité, une intelligence redoutable et une grande confiance. Sa souple chevelure blonde encadrait son visage en deux longues mèches, tandis que le reste disparaissait sous un curieux bonnet vert qui ne le quittait jamais. Ses oreilles étaient en pointe, attestant de son haut lignage Hylien. Il portait des vêtements du même vert que son blason : une tunique longue en civile, une armure de demi-plates vertes en bataille. Sa silhouette était plutôt petite, mais fine et musclée. On le devinait fort et vif, agile et dextre. Il était bon dans toutes les choses du combat, de la lance à l’épée, de l’arc aux fléchettes en passant par le bâton et la masse. Il se dégageait de lui un fort magnétisme et une sensation de puissance et d’autorité qui poussait les soldats à le suivre aveuglément et à se surpasser.
   Link releva les yeux vers son Chien, et ce dernier y lut du dégoût. De honte, il détourna le visage. Il savait qu’il était laid, et s’en désolait. Il ne voulait pas infliger à son maître de devoir subir une telle vision. Mis à part Colin, son ami, et Feena, dont il ne savait plus trop quoi penser, tous eurent un rictus de complaisance à son encontre. Il laissa coula, il n’y était que trop habitué.
   -Vous désiriez me voir, sire?, fit-il en s’inclinant.
   -En effet.
   La voix de Link était comme une mélodie. Claire, chantante, troublante, mais le Chien savait qu’elle pouvait être aussi incisive et tranchante qu’une lame affûtée.
   -Un messager à cheval est arrivé. Notre bon roi me demande expressément de chevaucher à bride abattue pour le rencontrer au plus tôt. Il me suggère de précéder l’armée, et précise qu’il a envoyé un contingent pour nous « escorter ».
   Les chefs de clan ricanèrent. Link ne leur accorda même pas un regard.
   -Et je vais m’empresser de suivre ce conseil avisé, conclut-il avec un petit sourire.
   Les chefs en eurent le souffle coupé. Avant qu’ils ne réagissent, le Chien anticipa l’ordre de son maître.
   -Dois-je rester pour assister le Lieutenant?
   -Non. Toi, tu viens avec moi. Colin aussi d’ailleurs. Fehnir, j’attends de toi que tu commandes l’armée en mon absence, mais pas en tant que Tête-Jaune mais bien en tant que mon suppléant. Si j’apprends que tu as été l’origine de troubles quelconques, tu en répondras devant moi, c’est clair?
   -Mon seigneur, s’inclina de mauvaise grâce l’intéressé.
   Tous les chefs de clan avaient ployé le genoux devant Link et tous respectaient sa force. Mais tous n’étaient pleinement satisfaits de la situation. Beaucoup étaient des hommes et femmes fiers et fougueux, qui supportaient assez mal leur nouveau statu de vassal.
   -Feena, tu viens aussi. Désigne une vingtaine des meilleurs hommes pour nous accompagner, reprit Link en se levant. Chien, assure toi qu’on nous prépare suffisamment de provisions et fait seller les meilleures montures. Je veux être parti dans deux heures. Rompez.
   Le Chien, Colin et tous les autres s’inclinèrent ou se tapèrent le poing sur le cœur et sortir sans échanger un mot. Lorsqu’Hurlebataille passa à côté du Chien, elle le bouscula brutalement de l’épaule mais ne se retourna pas.
   -Sacrée bonne femme celle-là, commenta Colin en observant d’un air rêveur le lascif balancement des fesses de la chef. Je crois que tu lui as tapé dans l’œil.
   -Si tu le dis, répondit le Chien en se détournant aussitôt.
   Il avait une mission à mener à bien.
   Sans trop savoir pourquoi, lorsque le petit groupe mené par Link en personne franchit le camp, et que la Plaine s’offrit à leur yeux dans toute son imposante splendeur, le Chien eut un mauvais pressentiment.

Great Magician Samyël:
[align=center]II
-Kaepora-[/align]



   La Cité s’étendait sous lui, belle et blanche comme au premier jour. La foule insouciante vaquait à ses occupations ; des volutes paresseux de fumée blanche voletaient hors des cheminées et des forges ; l’éclat presque aveuglant de ce soleil de début de printemps se reflétait sur les vitres des maisons et des auberges ; le vent léger et divinement rafraîchissant s’infiltrait sous les toits d’ardoises en sifflant une ballade. Il ne se lassait jamais de survoler son foyer, de le contempler dans toute sa splendeur.
   Il rabattit ses ailes et se laissa tomber de plusieurs dizaines de mètres, vers les toits. Il venait d’apercevoir un rat blanc se faufilant sur les arrêtes des toits, et son estomac grondait. Silencieux comme la mort, il se laissa choir sur lui, et le captura dans ses serres. Il ne lui laissa pas le temps de souffrir, et tout en mangeant gardait un œil sur les passants en contrebas. Trois semaines avaient passé déjà depuis la cérémonie de la Grâce, mais l’humeur et le moral du peuple restaient au beau fixe. Il aimait bien cela.
   Repu, il reprit son envol, se laissant guider par les courants ascendants, planant langoureusement au dessus des girouettes. L’auberge de Marine semblait pleine à craquer -il pouvait entendre des rires et de la musique. Le Barda de Balder était victime de son succès ; une longue queue s’étirait devant ses portes. Une foule commençait à s’amasser sur le parvis du Temple du Temps pour l’office de l’après-midi -le père Reynald était chargé de l’accueil des prieurs. Tout respirait la vie et l’allégresse.
   Il bifurqua vers le nord et survola quelques minutes plus tard les magnifiques jardins extérieurs. Les ravages qu’avait causé la cérémonie de la Grâce avaient déjà été rattrapés par le maître jardinier, et la pelouse croissait, grasse et bien verte. Les allées ombragées s’engouffraient dans de somptueux labyrinthes floraux, de vastes parterres colorés attendaient les piqueniqueurs et les lecteurs, des bancs de marbre finement ouvragés accueillaient toute sorte d’intellectuels en quête d’un lieux calme où réfléchir. Les demoiselles marchaient bras dessus bras dessous, s’échangeant à voix basse des ragots et des rumeurs croustillants sur la Cour et en pouffaient de rire.
   Il aperçut le court Lord Dumor en pleine partie d’échec avec le beau Lord Dorf. Ceux-ci étaient deux exacts opposés,  il s’étonnait donc de les trouver là partageant un jeu. Un peu plus loin, sous les peupliers qui ombrageaient généreusement la petite mare, une prestigieuse assemblée s’amusait calmement, profitant du beau temps. Lord Darunia, ses trois fils Ser Sedrik, Ser Goro et Ser Allister et son frère Lord Darmani, Lady Ruto, Lady Saria, la fille de Lord Dumor et son frère Ser Mido, la reine Ishtar et ses enfants, la Princesse Zelda et le Prince Nohansen, étaient assis, allongés ou debout dans l’herbe fraîche et la Princesse semblait donner de sa splendide voix? accompagnée sur un air joué par Lady Saria et Lady Ruto. Il avisa au dernier moment, en dépassant les peupliers, l’énigmatique Tarquin, adossé à un arbre un peu à l’écart.
   Battant des ailes, il s’éleva au dessus des flèches du château, et craignit un instant que les gardes de faction ne tentassent de l’abattre. Mais aucun n’en fit rien, et il s’éloigna promptement de peur qu’ils ne changeassent d’avis. Son regard se porta sur l’imposante silhouette du Volcan du Péril, loin à l’Est, dont le sommet creux était auréolé d’un impressionnant rond de nuage gris. Tournoyant sur lui-même, il retourna vers la Cité, appréciant le vent caressant son plumage. Il adorait la sensation de voler, cette liberté qu’il ne pouvait avoir au sol. Avec un certain regret, il se laissa porter par les courants vers le gigantesque bâtiment de pierre blanche à l’ouest de la ville.
   Le Consortium Aedeptus. Il avait un jour aimé sincèrement son architecture de temple, avec ses hautes colonnades, ses cours ouvertes, ses cloîtres et ses longs couloirs, les fenêtres sans vitrages, les sculptures qui ornaient son front et ses flancs, ses textes en vieil Hylien gravé dans la pierre. Oui, il l’avait aimé. Mais à présent, le Collegium de magie ne lui évoquait rien de plus qu’une prison. Il piqua légèrement vers l’une des fenêtres située le plus haut, et atterrit en s’aidant de ses ailes sur le rebord de pierre. Ses yeux semblables à deux perles noires scrutèrent l’intérieur de la chambre, vaste mais austère. De nombreuses bibliothèques s’alignaient le long des murs nus, et des tables d’expérimentation jonchées de grimoires, de matériel alchimique, de composants et d’ingrédients occupaient le reste. On se demandait comment l’occupant des lieux avait réussi l’exploit de trouver un peu de place pour un grand lit confortable mais sobre. Le seul ornement visible était un impressionnant tapis recouvrant le sol de pierre froide, représentant la carte de l’Hyrule des Hyliens -autant dire une relique. Sur ce même tapis, un vieil homme doté d’un fort embonpoint se tenait assis, les jambes croisées et le dos des mains posées sur les genoux. Il fermait les yeux et semblait être dans une sorte de transe. Son visage rond et chauve inspirait tout de suite la sympathie et la confiance, jusqu’à sa longue barbe hirsute. Se peau était toute fripée et ridées, mais c’étaient les rides du rire qui se voyaient le plus. Il était vêtu d’une sobre robe brune, sur laquelle on avait discrètement cousu des motifs complexes.
   Il l’observa un court instant… et soudain il contemplait un gros hibou marron. L’animal poussa un piaillement et s’agita sur le rebord de la fenêtre. Il semblait légèrement confus. Avec un soupir, Kaepora se releva péniblement. Il avait un besoin certain d’exercice. Il avança vers l’oiseau en tendant le bras et celui-ci y sauta sans se poser de question.
   -Mon brave Gaebora, fit le vieil homme en caressant affectueusement son familier, je ne te remercierais sans doute jamais assez pour ces moments que tu me fais vivre.
   Il le déposa sur son perchoir favoris, sa plus vieille bibliothèque. Aussitôt l’oiseau de nuit entreprit de s’endormir, manifestement satisfait. On frappa à sa porte.
   -Maître Kaepora!, fit la voix étouffée de la jeune Médolie.
   -C’est ouvert mon enfant.
   La porte s’ouvrit sur une jeune fille d’une quinzaine d’années. Son visage assez mignon au nez faisant penser au bec d’un oiseau était rouge d’avoir couru à travers les couloirs. Ses longs cheveux châtains étaient attachés en queue de cheval et elle portait la robe des apprentis.
   -Et bien, qu’est-ce qui te tracasse tellement que tu t’es mise dans cet état là?, demanda Kaepora avec son doux sourire.
   -C’est… commença Médolie en cherchant son souffle. C’est l’archi-maître Exelo qui m’envoie vous chercher. Vous… Vous êtes attendu pour une session extraordinaire… du conseil des maîtres.
   Le vieil homme poussa un soupir à fendre l’âme, et la jeune fille lui adressa un petit sourire gêné.
   -Bien, je te remercie. Je m’y rends de ce pas.
   Le conseil des maîtres, qui se tenait d’ordinaire une fois par mois, se réunissait dans un salle spéciale dont l’accès n’était connu que des maîtres eux-mêmes. En y pénétrant, Kaepora avisa qu’il était, comme de coutume récemment, le dernier. Les maîtres prenaient place dans de confortables fauteuils à haut dossier autour d’une vaste table en bois ouvragé. Tous les plus grands jeteurs de sorts, ensorceleurs, enchanteurs, magiciens, mages et thaumaturges du royaume étaient là : L’archi-maître Exelo dont l’âge avancé tenait de la légende, Agahnim le Sombre, Premier Conseiller du Royaume, Vaati le Beau, Xanto le Facétieux dont le visage caché derrière un masque en fer de démon grimaçant n’avait jamais été aperçu, et le sage Sahasrahla. Parmi tous ses pairs, il n’y avait guère que Sahasrahla qu’il appréciait. Les autres n’étaient que des arrogants, des opportunistes, des comploteurs, des sournois.
   Tandis qu’il prenait sa place sans un mot entre Vaati et Agahnim, il sentait leurs regards qui pesaient sur lui. S’il n’avait pas tant aimé ses jeunes élèves et l’enseignement, il y aurait eu longtemps qu’il se serait échappé. Kaepora détestait le Consortium Aedeptus, du moins ce qu’il était devenu, et les hommes qui en étaient la cause.
   -Comment se porte votre stupide volatile?, lui demanda Vaati en tordant sa jolie bouche d’un sourire sardonique. Je me demande toujours comme il peut porter son propre poids. Il est aussi empâté que son maître.
   Vaati, dit le Beau à cause de son visage androgyne pâle aux cheveux blanc et aux lèvres carmins, était le pire du lot. Trop vaniteux, il prenait un plaisir malsain à humilier les autres dès que l’occasion se présentait. Et il était inutile d’essayer de laver l’affront par le duel : c’était le but de l’animal. Sa puissance n’avait d’égal que celle d’Aghanim, et nombreux furent ceux à périr en essayant de lui faire ravaler son orgueil. Kaepora avait ainsi assisté à la mise à mort de plusieurs de ses vieux amis et élèves adorés. Pour une raison inconnue, il semblait être sous la pleine protection de l’archi-maître. Kaepora avait résolu depuis longtemps de l’ignorer. Ce qu’il fit.
   -Bien que nous ne pouvons nier totalement ce fait, intervint Agahnim, nous ne sommes pas ici pour parler d’oiseaux.
   Agahnim était un mage respectable la plupart du temps. Appelé le Sombre non pas en raison d’un éventuel penchant pour la magie noire mais parce qu’il parlait peu et se faisait souvent discret ; il semblait tirer moins de fierté de sa magie et plus de sagesse. Il était assez grand et puissamment bâti. La majeure partie de son visage était dissimulée par une espèce de capuche rouge retenue autour du crâne par un tiare d’or ceint d’un triangle sur le front. Il s’habillait la plupart du temps d’une robe de mage rouge vif avec des motifs brodés au fil d’or symbolisant des flammes et il se chaussait de babouches du même rouge. Ses doigts épais étaient ornés de bagues diverses en argent ou en or. Enfin il arborait sur son torse un étrange emblème : on aurait dit l’emblème du Sheikah, mais celui-ci était bleu et ne pleurait pas de larme. Au lieu de cela, deux ensembles de trois triangles le flanquaient en haut et en bas, figurant, selon Kaepora, des cils.
   -De quoi parlerons-nous, en ce cas? Fit Sahasrahla en caressant sa longue barbe d’une main distraite.
   Le maître Sahasrahla avait l’apparence typique du magicien des contes. Presque centenaire, son visage n’était plus qu’un entrelacs de rides et de chaires flasques, bien que ses yeux gris restaient illuminées d’une redoutable intelligence et d’une vivacité surprenante sous ses épais sourcils gris. Les cheveux avaient depuis longtemps déserté le sommet de son crâne pour venir semblait-il se réfugier dans sa barbe emblématique dont il se faisait une ceinture. Petit et voûté, il se cachait sous une ample toge rouge sans ornement, le même rouge que la tenue d’Agahnim qui fut autrefois son élève préféré. Sahasrahla était un petit bonhomme plein d’intelligence et de sagesse, et Kaepora qui le connaissait bien n’aurait jamais pu s’imaginer la présence de la moindre once de malignité en lui.
   Xanto poussa un hurlement de rire aussi bref qu’inattendu. Il n’y avait pas grand-chose à dire sur Xanto, car personne ne savait qui il était -ou ce qu’il était. Il était grand dans des proportions presque ridicules et dissimulait son visage sous un massif masque de fer figurant une tête de démon tirant la langue. Il s’habillait de vêtements amples aux manches longues, toujours noirs, et qui suivaient parfaitement sa démarche de danseur. Xanto ne disait presque jamais rien de censé ou de cohérent, mais il s’avérait être extrêmement doué pour la magie ce qui lui avait valu sa place de maître. Kaepora ne le supportait pas, probablement parce qu’il le trouvait un peu terrifiant. Son surnom de Facétieux lui venait de sa manie de pousser régulièrement des rires tonitruants et brefs, souvent dans les moments les plus inattendus.
   -Nous parlerons, répondit Exelo sans prêter attention à l’intervention de Xanto, de l’arrivée prochaine de ce prétendu… Héros.
   Exelo était une énigme, une insulte vivante jetée à la face du temps. Âgé de plus de cent cinquante ans d’après la rumeur, il n’en avait que quarante d’aspect. Ses traits étaient durs et sérieux, ses yeux deux puits bleus de connaissance pure. Il arborait une moustache fine et tombante du même blanc que ses cheveux soigneusement coiffés en arrière. Son vêtement traditionnel était une robe légère jaune d’or agrémentée d’une ceinture écarlate. L’air autour de lui était chargé d’énergie et il exsudait de sa silhouette fine une terrifiante impression de force. Kaepora l’avait connu dans sa jeunesse comme quelqu’un de gentil et patient, mais au fil des ans l’archi-maître était devenu colérique, intolérant, recherchant sans cesse une certaine élite dont doter son entourage. Cela expliquait peut être la protection qu’il accordait à Vaati.
   -Je ne vois pas pourquoi tout le monde en fait un tel événement, déclara ce dernier en passant une main négligente dans sa fine chevelure. Je veux dire… Ce n’est qu’un bouseux qui sort de sa brousse.
   -Un bouseux qui s’essuiera bientôt les bottes sur les marches du trône, rétorqua Exelo en lissant ses moustaches.
   Vaati haussa les épaules, un petit sourire aux lèvres.
   -Et alors? Je persiste à dire que cela ne change rien. Nous ne rendons déjà pas de compte à ce vieillard de Salomon, alors pourquoi en rendrions nous à un barbare décérébré?
   -On dit l’homme puissant et ambitieux, intervint Agahnim. Il pourrait vouloir se mêler de nos affaires.
   -Quand bien même, nous n’aurons qu’à le dissuader de vouloir en apprendre plus. Ce n’est pas comme si nous ne l’avions jamais fait…
   Kaepora ne prononça pas une seule parole durant toute la durée du Conseil, et on ne le sollicita pas non plus. En son temps, le conseil s’occupait de résoudre les problèmes internes du Collegium, les altercations entre élèves, le coût d’éventuelles rénovations ou de l’organisation d’un événement particulier. Mais depuis quelques décennies, on n’y traitait plus que d’affaires politiques sordides, de la façon de garder la mainmise sur le marché de la magie et des « gêneurs » à « dissuader ». Tout cela rendait le doux maître malade, mais il ne pouvait rien y faire. Même le sage Sahasrahla était entré dans le cercle, contre son gré très certainement, et quoique Kaepora eut pu dire n’aurait rien changé à la situation. Il savait d’ailleurs pertinemment qu’il ne faisait plus partie des projets du Consortium, et que sa présence n’était plus requise que par respect du protocole.
   Les conspirateurs ne craignaient pas qu’il allât révéler quoique ce fut à quiconque. Quel intérêt aurait-il eu à faire cela? Aucun, si ce n’était celui de se mettre en danger. Non, il était plus avisé de fermer les yeux et de se concentrer sur l’enseignement.
   Malgré tout, il avait un curieux pressentiment.

Great Magician Samyël:
[align=center]III
-Malon-[/align]

   -Vous ne comprenez pas, cria Zelda, les yeux rougis de pleurs refoulés, il est intolérable que je me présente à mon futur époux habillée comme la pire des souillons, et ce minable tailleur se moque de moi! Je lui avais pourtant bien dit que je voulais des diamants, et pourtant il a mis des perles! Des perles!
   La jeune princesse arpentait la pièce d’un pas rageur, sa robe de satin bleu trainant derrière elle comme la queue d’un serpent. Ses magnifiques yeux azurs exprimaient à la fois une colère noire et un désespoir insupportable. L’objet de son ire était allongé sur le lit, une magnifique pièce en soie blanche, finement travaillée, coupée à la perfection, savamment décorée de perles blanches iridescentes.
   Une robe qui avait dû coûté une fortune, songea Malon, et qui pourtant ne serait jamais portée à cause de malheureuses perles.
   Son père avait beau avoir été anobli quelques années auparavant, elle ne pouvait s’empêcher de se soucier des choses de l’argent. Et voir un tel gâchis lui serrait le cœur. Cependant, en tant que simple courtisane, elle ne souffla mot et se contenta de continuer son ouvrage de broderie, la tête consciencieusement baissée. Croiser le regard de la princesse à ce moment là aurait été une erreur. La princesse cherchait quelque chose ou quelqu’un sur lequel canaliser sa rage, et malgré sa faible corpulence, ses gifles étaient cuisantes.
   Malon en savait quelque chose.
   -Je ne vois pas où est le problème, déclara la jeune Lady Saria en s’approchant de la fameuse robe. Ces perles seront du plus bel effet sur son Altesse.
   Zelda s’arrêta dans son mouvement et tourna le regard  vers l’impudente. Sa bouche s’ouvrit plusieurs fois, les lèvres tremblantes, comme cherchant les mots qui allaient la franchir. Finalement elle explosa :
   -Ces perles seront du plus bel effet, dites vous? Petite idiote! Qu’en savez-vous, vous, de ce qui est du plus bel effet? Peut être aimez vous vous vêtir de guenilles, mais cela n’est pas le cas de tout le monde!
   -Je ne voulais pas offenser son Altesse, s’inclina Lady Saria sans se démonter, mais il serait dommage de gâcher une si belle robe.
   Malon acquiesça en son for. Elle aimait bien Lady Saria. Elle n’avait que onze ans, mais elle était déjà d’une telle maturité! Elle était vive, et drôle, et tout le temps enjouée! D’une si charmante compagnie! Elle au moins n’avait cure de salir ses atours dans les jeux, ou de se crotter en s’écartant un peu du sentier équestre pour admirer un paysage. Et puis elle était douce et gentille avec ses gens. Malon aurait tellement été contente d’être sa suivante!
   -Une si belle robe?, répéta bêtement le princesse. J’aurais honte de vêtir ma bonne avec ça. Regardez moi cette coupe grossière, ce tissu rêche. Une véritable désolation.
   -Allons, Zelda, ne faites pas l’enfant, intervint la reine Ishtar. Cette robe vous va à ravir et ce n’est pas quelques malheureuses perles qui y changeront quelque chose. Vous la porterez un point c’est tout, et il n’y a rien à discuter.
   La mère et la fille s’affrontèrent du regard, et une tension presque palpable envahit soudain la chambre princière. L’orage n’allait pas tarder à éclater. Malon remarqua que la princesse serrait les poings de rage, que ses lèvres tremblaient et que son visage avait pâli. Les signes avant-coureurs d’une vive colère. Il n’allait pas faire bon être dans les parages.
   -Sortez…, souffla-t-elle soudain. Sortez, toutes les deux.
   -Princesse, je… voulut intervenir Lady Saria mais Ishtar la coupa aussitôt.
   -Faites ce qu’elle dit.
   Lady Saria fit une révérence pleine de grâce, et fit signe à Malon de la suivre. La jeune femme s’exécuta sans rechigner, saluant sa maîtresse et sa reine d’une rapide courbette et referma la porte derrière elle. Aussitôt on entendit les éclats de voix de la princesse qui hurlait.
   -Venez, dit Saria en lui prenant la main, éloignons nous.
   Elles longèrent en silence les fastueux couloirs de l’aile résidentielle, croisant une multitude de serviteurs, journaliers, artisans et nobles affairés à préparer le Château en vue de l’arrivée imminente du Héros. Malon suivait la petite silhouette enfantine aux cheveux verts sans rien dire. Elle était heureuse d’avoir pu échapper à la dispute entre la princesse et sa mère la reine. Leur relation s’était tendue dernièrement, et ce genre d’événements n’était hélas plus si rare. La courtisane était triste pour la reine. Elle était tellement malade, et elle devait supporter d’affronter sa petite effrontée de fille.
   Malon ne pouvait s’empêcher d’haïr sa maîtresse. C’était une petite fille trop gâtée, imbue d’elle-même, méprisante, colérique et violente. Instinctivement, elle se frotta le bras droit, là où elle l’avait frappée avec un chandelier en bronze une semaine plutôt. Par les Déesses, elle n’avait pas réussi à lui fracturer les os, mais un gros hématome violacée lui ornait dorénavant le bras. Elle espérait que lorsqu’elle épouserait le sieur Link, elle ne se soucierait plus d’elle, ou alors qu’elle l’enverrait auprès de Lady Saria, ou de Lady Ruto. Ce serait tellement merveilleux!
   Perdue dans ses pensées, elle ne se rendit compte de l’arrêt soudain de Lady Saria qu’au dernier moment et eut toutes les peines du monde à ne pas la percuter. Elles étaient devant les appartement de la jeune fille.
   -Malon, fit Saria d’un air embarrassé. Tu devrais attendre un peu avant de retourner auprès de ta maîtresse… Ce sera sans doute mieux ainsi.
   Malon n’avait pas besoin d’en entendre plus pour comprendre. Elle fit une courbette avant de répondre.
   -Madame est trop bonne.
   Elles échangèrent un sourire gêné, puis Saria disparut derrière la porte de ses quartiers. Ne sachant trop que faire pour occuper son temps, Malon entreprit de dénicher son père. Les leçons d’escrime avaient lieu dans la matinée, et Ser Talon aimait à paresser dans l’après-midi. Il devait certainement flâner quelque part entre les cuisines et les jardins.
   Malon quitta l’aile résidentielle. Le chemin le plus court pour arriver aux cuisines passait par la grande bibliothèque.  Bien qu’elle ne sût pas lire, elle appréciait la sérénité du lieu, son immensité et son odeur de vieux parchemin et de cuir tanné. Il n’y avait d’ordinaire jamais beaucoup de lecteurs, car la Cour n’accueillait pas énormément d’érudits, et que la bibliothèque royale était moins fournie et plus difficile d’accès pour les gens du commun que celle du Consortium Aedeptus.
   C’était le cas ce jour là. Il n’y avait pas un chat. Malon se hâta, mais arrivée au milieu des rayonnages, elle s’aperçut soudain qu’elle n’était pas seule. Une petite silhouette verte était assise à une table d’étude, une courte pile d’ouvrages à son côté. Elle lui tournait le dos mais Malon n’eut aucun mal à l’identifier, par l’emblème de sa maison -l’émeraude ceinturé d’or sur champ sinople-, sa caractéristique chevelure jaune-verte et l’étui à violon qui reposait sur le sol non loin de lui. Il ne faisait aucun bruit, et semblait totalement absorbé dans sa lecture…
   Ce qui était impossible puisque Fado le Faiseur de Vents était aveugle.
   Que pouvait bien fiche ici le conseiller personnel de Lord Dumor? Malon l’avait toujours trouvé un peu effrayant, avec ses yeux fermés qui semblaient pourtant tout voir, et son éternel petit sourire candide. Et puis c’était un magicien, et elle savait bien qu’il fallait rester loin de ces gens là. Le cœur battant, elle résolut de le contourner. Faisant demi tour, elle prit grand soin de ne faire aucun bruit. Elle était presque parvenue à la porte, quand une voix derrière elle la fit sursauter.
   -Chercherait-on à m’éviter, jeune fille? Ce ne serait guère poli…
   Il se tenait assis sur le deuxième rayon d’une des échelles du bibliothécaire. Il avait callé son étrange violon dans le creux de son cou et pinçait les cordes comme pour l’accorder. Malon, rougissant de honte, s’empressa de faire une courbette.
   -Monseigneur semblait très occupé, je… je ne voulais pas le déranger.
   Le sourire immuable de Fado s’agrandit un peu.
   -Bien sûr. Il eut été grossier de déranger un aveugle dans une séance de lecture. Votre éducation vous honore, mademoiselle.
   Malon aurait voulu disparaître dans le sol. Elle se faisait l’impression d’être une vraie idiote! Fado était à peine plus grand qu’elle, mais en comparaison elle se sentait minuscule.
   -Je…, voulut-elle s’expliquer mais aucune phrase intelligente ne lui vint.
   -Allons, ne vous tracassez pas pour si peu. Je vous faisais marcher. J’ai hélas l’habitude de faire fuir mes contemporains. Vous comprenez, un aveugle n’est jamais de très plaisante compagnie…
   Il prit son archet de sa main libre et le posa sur les cordes sans pour autant le faire glisser. Il semblait attendre une réponse.
   -Je… heu… A moi, vous m’êtes d’une très agréable compagnie, monseigneur.
   Fado eut un petit rire sincère.
   -Approchez, dans ce cas.
   -Mon… Monseigneur?
   -Allons, n’ayez pas peur.
   Peu rassurée, Malon s’exécuta. Fado dégageait une étrange odeur de plantes et de fleurs, qui calma la jeune femme d’une façon qu’elle ne s’expliquait pas. Lorsqu’elle jugea être suffisamment près, elle se stoppa.
   -Penchez vous.
   Elle se demanda ce qu’il comptait bien faire, mais obéit tout de même. Son rang ne lui permettait pas de faire autrement. Il tendit une main vers elle, et elle ferma les yeux en se contractant. Alors voilà, il voulait simplement la toucher… Il n’était pas différent des autres. Pendant une courte seconde, elle en fut curieusement déçue.
   Mais si Fado la toucha effectivement, ce n’était cependant pas de la façon dont elle s’y attendait. Sa main rendue calleuse par la pratique de l’instrument effleura délicatement les contours de son visage. Elle comprit tout à coup : il voulait simplement la visualiser! Elle eut un soupir de soulagement et se calma.
   Au bout d’un certain temps, Fado retira sa main et commenta :
   -Vous êtes d’une grande beauté, mademoiselle.
   Ne s’attendant pas le moins du monde à un compliment, Malon en resta un moment éberluée.
   -Je… Monseigneur est trop bon avec moi.
    -Non, je le pense sincèrement. Comment vous appelez vous, chère enfant?
   -Malon, monseigneur.
   -Ha! La fille de Ser Talon.
   -Pour vous servir, monseigneur.
   -On m’avait déjà vanté votre beauté, et maintenant que j’ai eu l’occasion de la constater de moi-même je ne peux le nier.
   Il dut sentir que l’écarlate sur les joues de Malon s’accentuait car il eut un autre petit rire.
   -Vous devriez probablement filer à présent, Malon fille de Talon.
   La jeune fille était parfaitement d’accord avec cela. Elle commençait à trouver la discussion gênante et trop étrange. Fado se releva, rangea son violon et entreprit de retourner à ses livres. Malon le regarda, et lorsqu’il disparut au détour d’un rayonnage, elle entendit sa voix raisonner dans la bibliothèque.
   -Et prenez garde à l’Ombre.
   Malon ne revit plus Fado durant plusieurs jours et elle s’en félicita. Elle apprit de la bouche de sa maîtresse (qui avait finalement décidé de garder la robe aux perles) que le Héros n’était plus qu’à trois jours de chevauchée du Château. La ville était en effervescence. Des centaines de villageois décoraient les rues avec des banderoles colorées, les maîtres artisans s’acharnaient jour et nuit afin de produire la meilleure marchandise possible à proposer au Héros et ses fidèles soldats, la Guilde des alchimiste avait été chargée de créer le plus beau feu d’artifice jamais vu… Rien n’était laissé au hasard. Par ordre du roi, il fallait absolument que tout soit parfait.
   Malon aurait aimé pouvoir se joindre aux préparatifs, mais elle était forcée de rester avec sa maîtresse, en sa qualité de courtisane. Depuis l’épisode de la robe, elle n’avait plus eu l’occasion de revoir Lady Saria. Alors, pendant que Zelda passait ses journées à essayer atour sur atour, bijou sur bijou, la jeune femme se laissait aller à une douce rêverie à propos du Héros. On le disait beau comme le jour, fort comme mille et précis comme la foudre. Partout on vantait ses prouesses et sa légende ne cessait de croître, toujours plus folle, toujours plus alléchante.
   Mais il y avait un autre homme dont on racontait les exploits, un homme caché dans l’ombre du Héros. On disait de lui qu’il était cruel comme un bourreau, laid comme un monstre, et fort comme un bœuf. Certains allaient jusqu’à dire qu’il n’était qu’un ogre que le Héros avait miséricordieusement épargné, et que depuis il le suivait partout et accomplissait toutes ses volontés. C’est pourquoi on l’appelait le Chien. Un homme qui avait voué sa complète existence au service d’un autre.
   Malon avait entendu le Prince Nohansen en parler avec une voix fébrile d’excitation. Elle ne comprenait pas pourquoi, si c’était vraiment le monstre qu’on décrivait? Quoiqu’il en fût, Malon espérait trouver parmi les suivants du Héros un beau soldat à épouser, qui l’emmènerait loin de cette vie et de cette maîtresse…
   -… Malon! Par les déesses, es-tu vraiment aussi stupide que tu en as l’air? Cria Zelda.
   Elle était penchée sur Malon, écarlate de colère. La jeune femme eut soudain peur. Perdue dans ses pensées, elle n’avait pas entendu la Princesse lui parler. Que lui avait-elle demandé?
   -Votre Altesse je…, commença-t-elle, et dans sa précipitation elle fit tomber son ouvrage de broderie de ses genoux.
   -Par les Déesses! Mais qui m’a fichue une idiote pareille?
   La gifle qu’asséna la Princesse à sa suivante envoya cette dernière au sol, la joue cuisante et les larmes aux yeux.
   -Dehors! Tu m’insupportes!
   Malon se releva précipitamment, fit une courbette en hâte et, la tête baissée, sortit. Elle courut au hasard le long des grands couloirs, les larmes brûlantes ruisselant sur son visage silencieux. Elle ne voulait plus de cette vie. Elle voulait redevenir une simple femme du peuple. Cette existence là était plus difficile, mais au moins vivait-elle heureuse alors. Personne ne la frappait à longueur de journée en la traitant d’idiote…
   … Toute éperdue qu’elle était, elle ne vit pas la haute silhouette avant de la percuter. Deux mains puissantes l’attrapèrent par les épaules, la sauvant d’une chute certaine. Relevant les yeux en bredouillant une excuse, elle se figea de peur en apercevant l’œil sanglant brodé sur le torse de l’homme.
   -Un problème, jeune fille?, demanda Tarquin Qu’un-Œil en la dévisageant, un trait soucieux barrant son front.
   On racontait toute sorte de chose sur Tarquin, le maître du légendaire Sheikah. Mais aucune n’était rassurante. On disait qu’on ne pouvait apercevoir cet homme qu’à deux moments : au cours d’un banquet officiel, ou à l’heure de mourir. Malon eut soudain peur que la Princesse n’ait demandé qu’on l’exécute pour son incompétence.  
   Baissant vivement la tête, elle répondit d’une voix tendue et trop rapide.
   -Pardonnez ma maladresse mon seigneur, j’étais… confuse.
   -Confuse? Quelque chose s’est passé?
   Il ne semblait pas vouloir la lâcher. Elle commença à trembler, malgré ses efforts pour arrêter.
   -Non mon seigneur, rien ne s’est passé, rien du tout. C’est juste que je pensais au sieur Link, à tous ces gens qui arriveront bientôt… Cela risque d’être grandiose, n’est-ce pas?
   -Oui, très certainement. Et maintenant, si tu me parlais de la vraie raison?
   Elle se glaça. Que voulait-il dire?
   -La… La vraie raison, mon seigneur?
   -Je ne sais pas ce que tu as entendu à mon sujet, jeune Malon, mais tu n’as pas à être effrayée. Je sais comment te traite la Princesse.
   Abasourdie, elle releva les yeux. Le visage de Tarquin était dérangeant, mais elle se fit violence pour le regarder dans l’œil. Elle y eut lu, à son grand étonnement, de la compassion.
   -Et si je peux te faire une confidence, elle a véritablement besoin que quelqu’un la remette à sa place.
   Il lui fit un clin d’œil, et malgré elle, malgré la peur qu’il lui insufflait, elle eut un petit rire. Il la lâcha.
   -Tu ne devrais pas courir comme ça dans les couloirs ça peut être dangereux.
   -Pardonnez moi, mon seigneur. Je ne le ferai plus.
   -Je le sais. Enfin, le plus important c’est que je t’ai enfin trouvée.
   -Vous… Vous me cherchiez, mon seigneur?
   -Tout à fait…
   L’Œil unique de Tarquin la dévisagea un long moment. Les larmes de la jeune fille recommencèrent à couler. Elle était tétanisée.
   -Vous… Vous allez me tuer?, demanda-t-elle d’une toute petite voix.
   La question dut prendre le Sheikah au dépourvu, car ses sourcils se soulevèrent en signe d’étonnement.
   -Te tuer? Quelle drôle d’idée!
   -Mais… Ce n’est pas… Ce n’est pas la Princesse qui vous envoie pour…
   -Ha! Je comprends maintenant. Non, non, rien de cela, tu n’as rien à craindre. Je n’ai aucun ordre à recevoir de la Princesse, et le bon roi Salomon ne tolérerait jamais un acte aussi odieux. Non, je te cherchais car je compte t’assigner ailleurs. Il n’y a que trop longtemps que tu as à subir les colères de la Princesse.
   Malon n’en  croyait pas ses oreilles. Avait-elle bien entendu? Cela pouvait-il être vrai, ou n’était -ce que son imagination qui lui jouait un tour?
   -Vous voulez dire que vous m’envoyez auprès de Lady Saria?
   -Non point.
   -De Lady Ruto, peut être?
   -Non plus.
   Tarquin secoua la tête.
   -Non, maître Baelon et moi avons d’autres projets pour toi, jeune Malon.
   Le vieil homme borgne eut un énigmatique sourire.

Great Magician Samyël:
Record personnel battu!

____________

[align=center]IV
-Le Chien-[/align]


   -Il a beau être le plus laid des animaux, je veux que mon Chien n’en soit pas moins présentable, avait dit Link en laissant tomber un paquet de vêtements propres aux pieds de son lieutenant officieux.  Ton odeur est infecte, va te laver à la rivière. Et coupe moi cette horrible tignasse pouilleuse, le chien d’un roi doit avoir le poil soigné.
   Ainsi le Chien revint-il au campement rasé de frais, ses cheveux noirs de jais dégoulinants d’eau et amputés de la moitié de leur longueur, les laissant reposer sur ses épaules. Les massives silhouettes de la Cité et de la Citadelle d’Hyrule les toisaient dans le noir de la nuit, leurs faces titanesques illuminées des feux de garde disposés le long des murailles. Le Chien n’avait jamais rien vu d’aussi beau et d‘aussi gigantesque, ayant vécu la majeure partie de sa vie sur la Plaine. Il était fourbu, physiquement las, il n’aspirait plus qu’à du repos, beaucoup de repos, et cela n’était plus qu’à une petite journée de marche. Ils auraient pu y être cette nuit là, mais Link avait préféré retarder leur arrivée d’un jour afin de pénétrer dans la Cité à midi pile.
   Le Chien comprenait, cela accentuerait son triomphe : toute la foule rassemblée pour acclamer son Héros illuminé par le soleil de la mi-journée. Cependant la chaleur risquait d’être vite incommodante sous les armures de cérémonie qu’avait faites faire le Héros.
   -Je vais te dire un truc moi, mon pote, fit Colin alors que le Chien s’installait près du feu pour prendre son tour de garde avec le lieutenant officiel. Tu vois ce gros truc là-bas? Ce machin avec des tours et tout le bazar? Et bien écoute moi bien : c’est un putain de nid à donzelles! On va pouvoir s’en foutre jusque là, yen a pour tous les goûts, toutes les envies! Le paradis, mon gars.
   -Si tu le dis.
   -Hé, tu sais ce qui va pas avec toi? C’est que t’es un foutu rabat-joie. Tu souris jamais!
   -Sourire me fait mal.
   -Ha… Ouais, pardon.
   -Ce n’est pas grave.
   Un silence s’installa entre eux, gêné pour Colin, naturel pour le Chien. La nuit était calme. Ils n’entendaient que le crépitement du feu, les premiers chants d’insectes estivaux, et les grognements de plaisir qui montaient des tentes. Malgré ses paroles, le Chien savait que Colin n’était pas un coureur de jupons. Il était au contraire un romantique dans l’âme. Ce n’est que par amitié pour Link qu’il l’avait suivi dans la voie de l’épée. Il espérait se trouver une gentille petite femme et faire un mariage tranquille et heureux. Le Chien l’appréciait pour cela. Il était l’une des rares personnes de l’armée de Link à être civilisé. Au fur et à mesure des années, les mercenaires recrutés au début de la campagne avaient tous fini par mourir, déserter ou prendre leur retraite, se faisant remplacer lentement mais sûrement par des hordes de guerriers des clans, des êtres brutaux, cruels et barbares.
   A vrai dire, maintenant qu’il y songeait, il n’y avait plus guère que lui, Colin, Link et Japas, ce dernier étant resté derrière. Le Chien était heureux de retrouver la civilisation. Il espérait qu’il arriverait à s’intégrer. Après tout, il n’avait connu que la guerre pendant près de sept ans…
   Sept longues années… De souffrance, de douleur, de peine… Trop de camarades morts, tués par des sauvages qui l’instant d’après étaient les nouveaux camarades… Les viols, les saccages, les flammes…
   -… Locke! Locke par les Déesses! L’appelait Colin d’une voix suffisamment forte pour attirer son attention mais à la fois assez basse pour ne pas alarmer le camp.
   Le Chien sursauta, cligna plusieurs fois de l’œil. Il se rendit compte qu’il était en sueur, et qu’il tremblait. Son compagnon le regardait avec un air inquiet, prêt à bondir pour le rattraper au cas où il tomberait.
   -Bon sang Locke! Tu vas bien?
   -Oui… Oui je… Je ne sais pas ce qui s’est passé.
   La main droite du Chien lui faisait atrocement mal. La douleur sous le gantelet pulsait à un rythme plus rapide que son cœur, et il sentait chacun de ses doigts brisés comme si les nerfs n’avaient pas été endommagés. Il grimaça, fait assez rare chez lui pour que Colin le remarquât aussitôt.
   -C’est ta main? T’as mal?
   -Oui…
   -Je peux faire quelque chose?
   -Non… Il faut juste… attendre que ça passe.
   Et cela passa, mais très lentement. Il avait l’impression que la chair de sa main était à vif et exposée au feu.
   -Tu sais, commenta Colin après un silence relativement long, je dois admettre que t’as du courage. Moi, je pense que je me la serais coupée depuis longtemps.
   Le Chien ne jugea pas nécessaire de répondre à cela.
   -Dis, Locke?
   -Hmm?
   -T’y penses parfois?
   -Penser à quoi?
   -A tous les types que t’as tués.
   Un silence.
   -Il ne faut pas trop y songer, sinon on n’en dort plus.
   -Ouais. Mais…
   -Mais tu y penses.
   -Ouais, souvent…
   -T’es un type bien, Colin, ne te fait pas trop de bile. Tu vas bientôt pouvoir laisser tout ça derrière toi, et te concentrer sur l’avenir.
   -J’espère.
   Un autre silence.
   -Locke?
   -Hmm?
   -Merci.
   -Bonne nuit Colin.
   Ayant compris le message, l’intéressé regagna sa tente. Le Chien contemplait les flammes avec son œil unique, perdu dans ses pensées. Il essayait de comprendre ce qu’il s’était produit, quelques minutes plutôt. Il n’avait jamais vécu cela auparavant.
   Absorbé par ses réflexions, il n’entendit rien venir, mais tout à coup, quelqu’un était collé à lui. Un parfum doux mais piquant de femme lui chatouilla les narines, et de longues mèches soyeuses lui caressèrent la nuque. La froide morsure d’une dague brilla sous son menton, tandis qu’un doigt fort et calleux lui parcourait le visage.
   -Je te préférais avec une barbe, murmura Feena Hurlebataille à son oreille. Ne bouge pas, où je te tue.
   Il obéit. Il comprenait cette femme de moins en moins. Il ne savait pas non plus ce qu’elle lui voulait au juste. Il sentit bientôt le contact de sa langue humide le long de sa mâchoire, remontant langoureusement vers son oreille.
   -Que me voulez-vous, madame?, finit-il par demander.
   Elle s’arrêta, et renifla de dédain.
   -Ne me désires-tu donc pas?
   -Le devrais-je?
   -Pourquoi pas?
   -Vous m’envoyez vos guerriers, vous me brutalisez, et maintenant vous me menacez d’une dague. J’ai déjà connu méthode de séduction plus sensuelle.
   Il entendit un petit rire.
   -Alors dans ce cas, disons que c’est moi qui te désire.
   -Il aurait été plus simple pour tout le monde de commencer par là.
   Feena lui tira violement les cheveux en arrière, exposant son cou. Leurs joues se touchaient, et il trouva ce contact particulièrement doux.
   -Tes manières sont trop nobles pour ton bien, Chien.
   -Je suis navré de ne pas être né dans un Clan.
   Alors qu’il s’attendait à recevoir un coup pour l’affront, elle passa ses jambes autour de sa taille, se serrant contre lui. Il constata qu’elle ne portait qu’une tunique.
   -Je ne suis donc que cela pour toi? Une barbare décérébrée?
   -J’ai passé les sept dernières années de ma vie à tuer des gens comme vous pour ensuite vous côtoyer. Je ne suis guère enclin à vous apprécier.
   -Oui… Sept années à tuer des gens « comme moi »… Dont mon compagnon, et mes deux fils.
   La pointe de la dague entailla la peau de son cou, et une mince goute de sang perla, filant le long de la lame. Il sentit un contact humide contre sa joue. Une larme?
   -J’aimerais vous dire que j’en suis navré. Mais je ne le suis hélas pas, et si je devais l’être, je passerais le restant de ma vie à m’excuser.
   La dague trembla contre sa peau, mais il ne broncha pas.
   -Vous allez me tuer?, demanda-t-il d’une voix parfaitement calme.
   -Pourquoi faire? Souffla-t-elle, émue. Priver le blondinet de son toutou apprivoisé m’attirerait quelques ennuis.
   Le Chien ne répondit pas. Il n’avait rien à répondre : c’était vrai.
   -Accepterais-tu de répondre à une question, Chien? Reprit-elle après un moment de silence.
   -Si je le peux, madame.
   -Comment t’appelles-tu?
   -Locke. Sanks Locke.
   -Et bien Locke Sanks… Puisses-tu être damné pour l’éternité.
   Sans prévenir elle le repoussa violement, et s’en fut dans la nuit , vers sa tente probablement. Le Chien ne se retourna même pas. Il massa son cou d’une main distraite. Feena Hurlebataille n’était plus une énigme. Il n’avait plus à s’en soucier.
   Le lendemain à l’aube, un messager à cheval fut envoyé pour prévenir de leur arrivée. Link et ses suivants passèrent une heure complète à revêtir les armures de cérémonie. Si celles destinées aux guerriers claniques comportaient essentiellement du cuir et de la maille, celles de Link, Colin et du Chien étaient de véritables forteresses d’acier, composées de lourdes plaques, de plusieurs couches de vêtements, d’un nombre incalculable d’attaches, de fixations, de sangles, de menues protections… Contrairement à ce que craignait le Chien, elles n’étaient pas trop lourdes, et ne limitaient pas de façon excessive leurs mouvements. Ils purent grimper d’eux-mêmes sur leurs montures caparaçonnées pour l’occasion. Quelques guerriers avaient passé la veille à polir les armes et les armures, aussi leur attirail n’arrêtait-il pas de briller, d’étinceler avec le moindre petit rayon de soleil.
   Ils voyageaient en une colonne de deux hommes de largeur. Link allait devant, flanqué de Colin, et juste derrière venaient le Chien et Feena, qui ne s’adressèrent pas une parole, et encore après les vingt deux guerriers qui les accompagnaient, armés jusqu’aux dents, tous des vétérans endurcis couturés de cicatrices -cicatrices dont il était la cause pour certaines, songea le Chien. Plus ils s’en approchaient, et plus le Chien trouvait la Cité fabuleuse. Elle semblait s’étirer à perte de vue, sur des kilomètres. Une rumeur sourde en provenait, et il pouvait distinguer dans le lointain la silhouette de la Citadelle, et plus à l’ouest celle d’un curieux mais non moins imposant bâtiment blanc.
   Bien avant qu’ils n’arrivassent en vue du pont-levis surplombant les douves claires, des dizaines de personnes, gardes et badauds, s’étaient massées sur le chemin de ronde pour les voir venir. Link commença à sourire à l’entente des premiers vivats, et ce sourire ne cessa de s’élargir au fur et à mesure de leur progression.
   Leur accueil fut bien plus fastueux que ce à quoi le Chien s’attendait. A peine eurent-ils franchi le pont-levis qu’une pluie de pétales de fleur s’abattit sur eux, que des trompettes jouèrent l’hymne de la victoire, que des centaines de personnes se pressèrent autour d’eux, riant, souriant, étreignant leurs mollets en d’affectueuses étreintes. Conformément aux consignes de Link, le quatuor de commandement saluaient la foule, et même le Chien se forçait à sourire, malgré la douleur lancinante que cela lui infligeait. Partout les gens se présentaient, dans les rues, aux fenêtres, sur les balcons, sur les toits… Le Chien n’avait jamais vu autant de personnes rassemblées au même endroit.
   Une haie d’honneur de soldats avaient été formée le long de la rue principale, celle qui menait vers la Citadelle. Le Chien apprécia d’un œil expert la tenue de ces hommes d’armes, leur port, leur équipement élaboré. Cela le changeait du cuir et des armes rudimentaires des barbares claniques. Il se rendit compte soudain que Feena avait rapproché sa monture de la sienne, presque jusqu’à se toucher. Il l’observa de biais, et constata qu’elle était nerveuse. Bien qu’elle sourît, toute cette foule l’intimidait.
   -Vous n’avez rien à craindre, lui glissa le Chien, vous êtes en sécurité ici, madame.
   Elle fit mine de l’ignorer. A présent la foule scandait des « Vive le Héros! Longue vie au Héros! », pour la plus grande joie de Link qui paradait en tête, triomphant. Il avait parfaitement les allures d’un conquérant pénétrant son nouveau fief. Et de fait, c’était le cas. Cependant, sa joie fut gâchée lorsque le peuple se mit à crier « Vive Link! Vive le Chien! ». Il se retourna sur sa selle, et foudroya son subalterne d’un regard si haineux que ce dernier baissa la tête.
   Le Chien était désolé. Il aurait voulu arranger la chose, mais il ne pouvait pas demander à autant de gens d’arrêter de l’acclamer.
   La suite de la procession se déroula sans anicroche. Link s’arrêtait de temps à autre pour bénir un nouveau né, serrer des mains, accepter un présent, mais d’arrêt en arrêt ils arrivèrent aux abords des jardins extérieurs, où un cordon de soldats empêcha la foule de les suivre. Link se retourna encore deux ou trois fois pour saluer, puis se désintéressa complètement du peuple. Son regard était fixé sur la Citadelle, son nouveau foyer, la raison de ces sept années de luttes incessantes, la récompense de tous les sacrifices, la réponse à tous ses rêves : la gloire, la richesse, le pouvoir.
   Le Chien s’émerveilla de la splendeur des jardins. Il avait l’impression que toutes les couleurs avaient été capturées et lâchées dans ce lieu. Il voyait des dizaines d’espèces de fleurs et d’arbres qu’il n’avait jamais vues, humait des parfums qu’il n’avait jamais sentis. L’espace d’un instant, la tête lui tourna, et il comprit que c’était à cause du silence, qui semblait assourdissant après la clameur de la foule. Il ferma les yeux pour mieux apprécier l’instant, et lorsqu’il les rouvrit, ils étaient devant les marches de la Citadelle, au sommet desquelles une prestigieuses assemblée les attendait.
   Le Chien avait réussi à mettre la main sur un vieux livre d’héraldique qu’il avait étudié durant le voyage vers la Cité. Aussi put-il reconnaître presque toutes les personnes présentes.
   Tout à gauche, un homme basané à la sombre beauté, grand et puissant, arborait le blason des Dragmir -L’Ambre ceinte d’argent sur champ de sable-, ce devait être Lord Dorf. A ses côtés se tenaient une femme magnifique à la longue queue de cheval rousse qu’il ne reconnut pas, et également deux jeunes femmes jumelles d’une beauté tout aussi frappante : Koume et Kotake, les sœurs de Lord Dorf. Ensuite venait l’emblème des Dodongo -Le Rubis couronné sur champ de gueule- arboré par deux hommes physiquement semblables, l’un plus vieux que l’autre, tous deux partageant le même embonpoint : Lord Darunia et son frère cadet Lord Darmani. Les fils du premier, Ser Allister, Ser Goro et Ser Sedrik, les flanquaient de part et d’autre, chacun partageant la même carrure de colosse. Ensuite venait l’Aigle d’écarlate coiffé de la Triforce royal, sous la bannière duquel se tenait le Roi Salomon, souriant dans sa longue barbe blanche, la Reine Ishtar, assise en raison de sa faiblesse, la Princesse Zelda dont la beauté était plus grande encore que la légende, et son jeune frère le Prince Nohansen -Le Chien remarqua d’ailleurs que le jeune garçon n’arrêtait de le dévisager, d’un air à la fois émerveillé et profondément déçu. Sous la bannière royale se tenaient également deux hommes que le Chien ne reconnut pas. L’un était un homme assez grand et puissant, vêtu d’une ample robe écarlate décorée de flammes dorées, le deuxième un vieillard habillé de noir dont le torse s’ornait d’un œil rouge pleurant une larme de sang. Ce vieil homme intrigua le Chien, à la façon dont il le dévisageait, mais également à cause de son apparence. En plus de ses vêtements singuliers, son visage était des plus… particulier. Il n’avait plus qu’un œil, et ce dernier était entièrement rouge, avec une pupille reptilienne noire. Sous cet œil il y avait un  tatouage d’un rouge sang symbolisant la même larme sanglante que celle de l’emblème sur le torse de l’homme.
   A la droite de l’inconnu se tenait la famille Zora -Le Saphir emmaillé d‘or sur champ azur- : Lady Ruto, dont la beauté naturelle était masquée par le voile noir du deuil, son jeune fils Lars et son air farouche, et une femme d’un âge avancé dont le bâton l’associait au Consortium Aedeptus. Enfin, venait le blason de la famille Mojo, arboré par Lord Dumor dit Le Lutin en raison de sa petite taille, son fils Ser Mido dont le visage était encore marqué par l’enfance, et sa jeune sœur Lady Saria à la fine chevelure feuille. Un quatrième individu se tenait à leurs côtés, un petit homme aux yeux fermés, à l’étrange chevelure jaune-verte et au sourire candide.
   Devant leur beauté, leurs beaux atours, leur prestance, leur élégance, leur noblesse à tous, le Chien se fit l’effet d’un rustre mal dégrossi. Il eut soudain honte de sa laideur, de ses handicaps. Il baissa la tête et se cacha derrière ses cheveux.
   Link leva le poing pour ordonner de faire halte. Ils descendirent de leurs montures, que des écuyers s’empressèrent d’emmener, et tandis que les guerriers formaient une ligne derrière eux, les trois officiers se tinrent derrière leur chef. Celui-ci tira son épée, imité par ses subalternes, puis mit un genou en terre, la pointe de son arme reposant sur le sol. Le Chien, Feena, Colin et les guerriers firent de même.
   -Moi, Link, votre champion dévoué, commença le susnommé, vous apporte humblement, votre Majesté, l’allégeance inconditionnelle des Clans des Plaines du Sud, et en gage de cette allégeance, un modeste trésor de guerre.
   Avec un sourire triomphant, Salomon d’Hyrule descendit d’une marche, et tendant le bras vers Link, déclara d’une voix solennelle :
   -Relève toi, Héros, et sois le bienvenu dans ton nouveau foyer.

Kyren:
J'avais dis que je posterais et bien je le fais !
J'aimerais d'abord parler du Marcherève en fait. Voir même que de cette oeuvre car étant un grand amateur de Science Fiction, ce fut une grande priorité d'en lire l'intégralité.
Dès que j'ai commencé à lire je pensais sincèrement m'être trompé de recit. On était projeté en plein XVIII eme siècle (si je me trompe faites moi signe^^) et je trouvais ça curieux de voir un texte de SF dans le passé. Enfin bref, après j'ai été encore plus embrouillé avec les cadavres qui reprenaient vie après être mis en contact avec le Marcherève. Franchement à ce moment là je me suis dis c'est pas possible, c'est pas de la science fiction, je me suis trompé. Peu après on se retrouve très vite avec des humains en blouses bleues et en possession d'étranges machines (là ça commençait à être plus dans le contexte de la SF). Mais après on retourne avec notre ami Jean et son "sauveur" qui en profite pour nous apprendre ce qui se passe réellement.
Bon je vais pas non plus raconter tous ce qui m'est passé dans la tête lorsque j'ai lu chaque ligne de ton histoire aussi. L'histoire est très originale, bien que il y a certains points que j'aimerais éclaircir. Comme par exemple la mystérieuse cité de Babylone qui ré-apparait de nulle part. L'histoire de la nature là aussi, se rapproche plus selon moi, du Fantastique et de l'Heroic Fantasy plus qu'autres chose. En réalié je ne qualifierais pas ce récit de Science Fiction bien qu'il y ait plein d'éléments prouvant le contraire biensur. Ce qui caractérise la SF avant tout ce sont les objets et technologies futuristes (ici on trouve certains objets bien qu'on ignore leurs utilités, ils sont justes décrits), des mondes ou planètes inconnues (ici on pourrait supposer que le fameux monde en question est celui de Faër), des vies organiques extra-terrestres ou étrangère à l'homme. Mais par dessus tout se qui distingue la SF du Fantastique ce sont la magie, des mondes merveilleux qui sont sensés être inexistants chez un roman de SF. Pourtant ici la fantaisie et le fantastique sont partout ! Après tout je ne vais pas te faire chier avec mon point de vue et bla bla bla parce que cela dit j'ai adoré ! (bien que pour moi ça n'est pas de la SF, mais je crois que je l'ai asser répété comme ça....)
En tout cas j'attends la suite et plus particulièrement des réponses aux questions qui me sont venus à l'esprit en lisant ton histoire.
Voilà !

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