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La Tour du Rouge : [Random | Très court] Sans titre #1

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Great Magician Samyël:

silver:
Merci beaucoup, j'adore le chapitre. Je te remercie infiniment pour ce chapitre grandiose et le retour de Samyël.

Cela faisait longtemps, ce mystère omniprésent qui réside sur ce qu'est devenu Samyël. Sa mémoire, ses déductions, l'aura de mystère qui entoure notre Samyël sont tellement d'éléments qu'on ne peut s'empêcher d'apprécier ce personnage qui ne cesse de nous étonner. J'espère qu'ils vont enfin savoir ce qui est arrivé à Samyël.

Je suis extrêmement intrigué par le personnage qui se cache sous cette partie de nom qu'est Ekt.

Vivement la suite, je suis en totale adoration du Cycle Rouge. J'ai aussi hâte de voir les prochaines aventures d'Argoth qui manque depuis le temps.

Bonne continuation.

Great Magician Samyël:
Ha! Oui... Argoth nous manque à tous. Aux dernières nouvelles ils se battaient toujours contre quelques Fëoriens belliqueux ^^ J'espère un retour rapide... Mais wait and see. Quoi qu'il en soit, merci Silver d'être toujours au rendez-vous! =)

Suite (mais non fin) du chapitre 20 du Cycle!


______________


Chapitre 20 : L'Archimage (Deuxième partie.)


***


-Suivez moi, je vous prie.
-Excusez moi... J'attends l'Archi-Mage.
-Je le sais, je vais vous mener à lui.
-Ha!
Samyël se leva d'un bond du banc et suivit l'étrange vieil homme au bâton de chêne sorti de nul part. Ils marchèrent jusqu'à la porte Ouest. Le jeune homme se pencha un peu sur le côté, croyant pouvoir admirer un sort d'ouverture de haut niveau (après tout, c'était les appartements de l'Archi-Mage!); mais fut déçu lorsque son guide sortit une clé de fer absolument banale et la fit tourner dans la serrure.
L'homme écarta le battant et pénétra dans la pièce, suivi par Samyël. C'était une simple office, un petit bureau confortable. Des tapisseries représentant des scènes de forêts ou des panoramas éblouissants pendaient aux murs, conférant à la salle une atmosphère agréable. Un feu vigoureux brûlait dans l'âtre élégant; quelques petites bibliothèques bien fournies s'alignaient de ci de là, s'agençant de manière à ne cacher aucune partie des tapisseries. Un meuble ancien en bois doré servait de bureau à proprement parlé. Dessus reposaient une bouteille d'encre noire, une fine plume d'oie, des parchemins roulés ainsi qu'un autre à demi vierge aplani face au siège à haut dossier, probablement une affaire en cours de l'Archi-Mage. Dans le coin opposé de la pièce, un escalier en colimaçon étroit montait à l'étage, certainement vers les quartiers privés du maître des lieux. Enfin, une fenêtre trouait le mur face à la porte, incrustée dans les tapisseries. Au travers l'on pouvait voir un lac dont l'eau bleue s'irisait sous l'effet du soleil. A l'horizon, l'on devinait les silhouettes ombragées et brumeuses d'arbres en fleur. La lucarne et son panorama s'harmonisait parfaitement avec les ornements muraux, de telle sorte que l'on pouvait croire qu'ils avaient été brodés comme une extension au paysage derrière le verre. La pièce dégageait une impression de sérénité et de bien être intense, et Samyël trouva que cela cadrait bien avec l'idée qu'il se faisait du bureau d'un illustre personnage.
Cependant, il fut choqué lorsque l'homme fit le tour du plan de travail, déposa son bâton contre une bibliothèque, s'arrêta un moment pour admirer le lac en se frottant le menton distraitement, puis tira le siège et y prit place, comme si c'eut été la chose la plus naturelle du monde. Il sortit d'un tiroir une petite paire de lorgnon qu'il cala sur son nez fin. Il fronça les sourcils en s'emparant de la note semi rédigée et la relut rapidement.
-Excusez moi...
Le vieil homme écarta le parchemin, retira ses lunettes qu'il déposa sur le bureau, puis croisa les mains sur l'espace ainsi libéré.
-Oui?, répondit-il.
-Êtes vous l'Archi-Mage?
-Je suis Nemerle, quarante troisième Archi-Mage de la Citadelle, en effet.
Aussitôt, Samyël posa un genoux en terre, tête baissée, le poing droit appuyé sur le sol.
-Monseigneur, je suis navré, je ne savais.
-Voyons, voyons...
Nemerle se cala un peu plus profondément dans son siège, un coude sur le bras du meuble soutenant son menton. Un sourire amusé étira ses lèvres minces et il posa un regard pétillant de malice sur le jeune homme.
-Relève toi, jeune Samyël. Réservons cet ennuyeux et pompeux protocole pour la cour et ses illustres chevaliers, veux-tu?
-Bien sûr, bredouilla Samyël en s'exécutant.
Leurs regards se croisèrent, et face à la gentillesse de celui de l'Archi-Mage, l'apprenti magicien sentit sa tension disparaître comme sous l'effet d'un enchantement.
-Ne reste pas debout comme cela, tu vas être rapidement fatigué. Prend donc un siège.
Le jeune homme acquiesça, et tourna la tête pour en repérer un. Il ne put réprimer un sursaut de surprise lorsqu'une chaise presque identique à celle de son interlocuteur jaillit du sol, juste derrière lui. Il s'y assit, et fut agréablement surpris de découvrir son confort.
-Jeune Samyël, nous devons parler, tu le sais.
Hochement de tête.
-Je ne t'ennuierai pas avec le sempiternel baratin d'usage, je crois que tes maîtres t'ont suffisamment rabâché les règles de base de l'enseignement et de la pratique de la magie, ses dangers et la prudence qu'il est nécessaire d'avoir à ce sujet.
Nouveau hochement de tête.
-Bien. Connais tu les différents rangs qui existent au sein de notre communauté?
Samyël réfléchit un moment, puis répondit:
-Oui.
-Cite les moi, je te prie.
-Un pratiquant possédant la maîtrise d'un Art est un magicien. Celui qui possède deux maîtrises est un enchanteur. Celui qui en possède trois est un Mage. Celui qui les maîtrise tous est Archi-Mage.
Nemerle pouffa de rire devant cette dernière affirmation.
-Oui, oui, c'est ce qu'on dit, en effet... Mais tu apprendras que la vérité est quelque peu différente, haha... Tu sais donc qu'un homme, ou une femme, normale ne peut étudier que trois des Arts, selon ses affinités naturelles avec ceux-ci.
-Oui.
-C'est pourquoi la première partie de notre travail, ici, est de découvrir tes propres affinités, afin d'adapter nos enseignements à tes capacités.
-Oui.
-Tu as déjà, contrairement à la majorité des jeunes gens arrivant ici, étudié la magie. Connais-tu tes propres affinités?
-J'ai des facilités avec l'Altération.
-Qu'en est-il des autres?
Samyël marqua un temps d'hésitation.
-Il n'en est rien.
-Comment cela?
-Ils me sont... interdits.
-Peux-tu expliciter?
-Et bien... Je ne sais pas trop. Je suis incapable du moindre sort issu d'une autre école que l'Altération.
Nemerle fronça fugitivement les sourcils, mais cela n'échappa pas au jeune homme. Il sentit aussitôt que cela ne devait pas être normal.
-Nous devrons analyser cela plus avant... Altération, dis-tu?
-C'est cela, oui.
-Le Maître Sörel n'est pas présent actuellement, il devrait rentrer sous peu. C'est lui qui forme les Altérants. Il sera content, il y a bien longtemps qu'il n'a pas enseigné son Art. Surtout que... (l'Archi-Mage détailla son interlocuteur avec un regard énigmatique, mais ne poursuivit pas.) En attendant son retour, les Maîtres te testeront pour voir de quoi il retourne.
Samyël acquiesça, se demandant à quoi pouvaient bien ressembler ce Sörel et les autres professeurs.
-Ta cellule a été préparée, Taenry t'y mènera. On t'y a déposé quelques vêtements, tu es libre de les porter ou non, s'ils ne te plaisent pas. Tu peux t'adresser à un des serviteurs pour laver les tiens, si besoin est. Tu trouveras également une robe à ta taille, de couleur pourpre. Il est d'usage, mais surtout de coutume, de la porter lorsque tu étudies. Tu verras que les autres étudiants en portent de similaires mais de couleurs différentes, selon leurs propres affinités. Si tu désires t'entretenir avec moi à nouveau, présente toi à la porte, frappe deux coups, puis patiente un peu, je ne serai pas très long. As-tu des questions?
-Oui.
-Je t'écoute.
-Combien y a-t-il d'élèves, en plus de moi, actuellement?
-Hum... Une trentaine, à peu près, je dirais.
-Si peu...
-Hélas. C'est une bien triste époque en vérité, jeune Samyël. De mon temps, des centaines de jeunes gens impétueux et pleins de rêves parcouraient ces couloirs dans des brouhahas de conversation. Maintenant, tout est silencieux...
Nemerle s'abîma quelques instants dans la contemplation mentale de souvenirs teintés de mélancolie.
-Mais, il faut garder espoir, je suis certain qu'un jour tout sera de nouveau comme avant.
Samyël n'osa pas répondre. "Cinq années..."
-Tu doutes des talents du Général ; tu as tort.
Le jeune homme releva vivement la tête, surpris.
-Comment...?
-Cela fait près de trente ans que Kalenz tient son fort. Jamais il n'a faibli. Je suis confiant. S'il dit cinq ans, alors il tiendra cinq ans. Je sais ce que tu penses. C'est peu. Trop peu. Mais j'ai bien peur que ce soit le maximum que nous puissions avoir. Alors, mettons ce précieux temps à profit.
Nemerle se releva et vint se positionner face à la fenêtre.
-Sais-tu, jeune Samyël, ce que tu incarnes, pour beaucoup de gens?
-De... De l'espoir, je crois.
-De l'espoir, parfaitement. Beaucoup sont convaincus que tu es celui qui nous sauvera tous, notre bon roi également.    
-Mais! C'est impossible! Comment...
-Tu as raisons, ce sont des imbéciles heureux.
L'Archi-Mage tourna la tête et vrilla son regard dans celui-ci de son élève.
-Il faut être clair tout de suite, pour éviter que cela ne parasite tes études, Samyël. N'ait surtout pas la prétention de croire que tu sauveras l'Arch'Land d'une mort certaine. Tu ne peux rien faire contre cela, ce royaume agonise, et c'est son Destin de sombrer dans le feu dévorant de l'Arch'Mark. Ce n'est pas un drame en soi. L'Histoire Continentale a toujours été écrite dans le sang des soldats et les flammes de la guerre, ainsi que dans les runes des magiciens. Et il en restera de même pour de longues années encore. C'est dans notre nature. Le souvenir du roi Aegir s'estompe dans la mémoire des hommes, ce n'est déjà plus qu'une légende que l'on raconte aux enfants. Cependant son oeuvre a perduré de très longues années, et le Continent a connu son âge d'or sous les couleurs de l'Arch'Land, pendant plus d'un demi millénaire. C'est déjà colossal. Tu dois comprendre, jeune Samyël, que le monde tel que tu le connais est voué à disparaître. Mais ce n'est qu'une évolution, cela était probablement écrit et destiné à être ainsi...
Nemerle marqua un temps d'arrêt, pour ménager son effet.
-Tout comme il est probable qu'il soit écrit que l'Arch'Land est destiné à vaincre.
Samyël releva la tête à l'entente de ces mots.
-Que voulez-vous dire?
-Ha...
Nemerle regagna son siège dans un soupir de fatalisme.
-Probablement rien, je ne suis plus qu'un vieil homme fatigué...
-Non, non, je vous en prie, continuez.
-D'un point de vu purement tactique et militaire nous sommes fichus. Nous n'avons plus d'alliés, le commerce extérieur nous est impossible... Cependant (il se releva et regagna la fenêtre), on dit toujours qu'il faut tirer des enseignements du passé. Alors dans ce cas, qui nous dit qu'un nouvel Aegir n'apparaîtra pas? Un héros jailli de nul part...
L'Archi-Mage se laissa aller à une contemplation évasive.
-Vous sous-entendez que je pourrais être cela?
-Non, du tout. Je te dis juste que, jusqu'à ce que le sort en soit définitivement jeté, il est permis de garder un peu d'espoir, un vain et fol espoir. Cela ne changera rien, mais tu verras, la vie en sera quelque peu plus simple à appréhender positivement.
-Mais vous, y croyez vous vraiment?
Un silence.
-J'aimerais te répondre d'un "oui" vigoureux, gaillard et vibrant d'ardeur...
-Ha...
Déçu, Samyël rabaissa la tête.
-Mais moi, je suis vieux, j'ai perdu mes rêves. Toi tu es encore jeune... Alors (Nemerle lui adressa un clin d'oeil complice accompagné d'un sourire) il faudra que tu aies de l'espoir pour nous deux. Ne devient pas comme nous, jeune Samyël.
-Vous êtes la seconde personne à me dire cela.
-Ho?
-Mon maître Rirjk m'avait donné le même conseil dans sa lettre d'adieu.
-Tien donc, l'impétueux et indomptable fils du grand Nord se serait finalement assagi?
-Pardon?
-Hoho... Ce n'est rien, ce n'est rien...
L'Archi-mage retourna s'asseoir, un sourire sur les lèvres. Un silence méditatif s'installa entre les deux.
-Dites...
-Hmm?
-Vous avez l'air d'en savoir beaucoup sur moi. Plus que moi même peut être...
-J'en doute.
-...C'est pourquoi je me demandais si vous ne connaîtriez pas mes parents?
-Non. J'ai bien peur que plus personne ne le sache désormais.
-Oui...
Le jeune homme leva les yeux, pensifs. L'identité de ses géniteurs n'avait jamais été un problème pour lui. Il était simplement curieux.
-Bien, il est temps de nous quitter, à présent.
Ils se levèrent. Samyël pointa le lac du doigt, derrière le vitrage.
-Comment s'appelle-t-il?
-Lac Nul Part.
-C'est un nom étrange.
-Ce n'est pas sa véritable dénomination, je le crains. J'ai cherché ce lac durant de nombreuses années de voyage à travers les dépendances, sans jamais le trouver. La réalité de ce plan est différente de celle de l'extérieur. Notre perception en est altérée. Ce qui nous apparaît comme étant derrière une simple fenêtre peut se trouver en réalité à des lieux et des lieux; et l'inverse n'est pas forcément véritable. Les Mages de jadis possédaient des pouvoirs absolument épatants... Ho, j'oubliais presque...
Nemerle retomba sur son siège, et enfila ses lorgnons. Il récupéra le parchemin à moitié griffonné, trempa la plume dans l'encre et jeta rapidement quelques mots sur le papier. Il se relut de façon brève, roula la lettre et la scella à l'aide d'un petit ruban rouge. Il la tendit ensuite à Samyël par dessus le bureau.
-Donne cela au maître Blanc-Barbe en sortant.
Le jeune homme acquiesça et s'en saisit.
-Bonne chance, jeune Samyël.
-Merci.
Sans rien ajouter, il se retourna, ouvrit la porte et sortit.  
Sitôt dehors, il se rendit compte à quel point l'atmosphère du bureau avait quelque chose de bienfaisant, de revigorant. Samyël se promit alors que plus tard, si le destin le lui permettait, il en aurait un pareil. Relevant les yeux, il aperçut la petite silhouette trapue de Taenry, assis sur le banc du cloître. Le petit homme fumait une pipe faite d'un étrange bois noir très lisse et brillant. De petits ronds de fumée parfaits s'en échappaient à intervalle régulier, embaumant l'air d'une agréable odeur de feuille à fumer. Le maître ne remarqua pas le jeune homme, perdu dans quelque pensée. Il avait l'air tellement songeur que Samyël se sentit gêné de l'interrompre.
Il se demanda s'il devait se racler la gorge, ou faire un pas bruyant pour attirer son attention. Cependant, ce fut Taenry lui même qui lui donna la réponse en l'appelant, sans se retourner.
-Viens donc t'asseoir.
Samyël hocha la tête et s'exécuta. La quiétude silencieuse du cloître les entoura comme un châle. La Citadelle aurait pu être déserte, vide ou abandonnée qu'elle n'aurait pas été plus bruyante. Le jeune homme jeta un coup d'oeil à son voisin. Il vit alors que ce qu'il avait pris pour du bois était en réalité une espèce de minerai uniforme, noir.
-C'est de l'ébène, fit le vieillard en soufflant un nouveau rond de fumée.  
Samyël leva un sourcil, mais ne fit pas de commentaire, il commençait à s'habituer à ce que ses interlocuteurs puissent, par il ne savait quel moyen, lire ses pensées.
-Ca a un rapport avec le port?
-Ca avait.
-Plus maintenant?
Taenry mit un petit temps avant de répondre.
-Un peu après la Guerre Draconique, on a découvert d'importants gisements de cette pierre dans les falaises côtières du Sud. Ca a attiré les prospecteurs de tous les horizons, et pour faciliter son acheminement le long des côtes, on a construit le port, puis on a baptisé le cap du nom de la pierre... Mais aujourd'hui, il n'y en a guère plus, les mines ont d'ailleurs été condamnées.
Samyël hocha la tête ; il avait toujours aimé l'Histoire.
-Cependant...
Blanc'Barbe tira un bouffée avant de continuer.
-Cet ébène là vient des Khaz'Khoradan.
-Qu'est-ce que c'est?
-Les monts de l'Infini, si tu préfères. C'est ce qui rend cette pipe si authentique. Le minerai pur et finement travaillé qui la compose parvient à capter toutes les fragrances de la fumée et sublime la saveur de la feuille.
Samyël remarqua qu'une pointe de fierté, ainsi qu'une flamme de vigueur étaient apparues dans la voix du vieil homme alors qu'il parlait de sa pipe.
-Ca confère le caractère de la montagne à la douceur et l'élégance des feuilles brunes. Et pas n'importe quelles feuilles brunes! Des feuilles du comté de Bouc, rien que cela.
-Qu'ont-elles de spécial?
-Il y a bien longtemps, dans le pays de Bouc, dans la forêt du même nom, se trouvait une confrérie secrète de vieillards un peu dérangés, Ils prétendaient communier avec la nature, les animaux, et toutes sortes de fadaises de ce bord là.
-Des druides?
-Non, ceux-là n'avaient aucun pouvoir véritable. Ce n'était que des illuminés. Cependant ces illuminés avaient deux qualités. Premièrement, ils appréciaient fumer. Deuxièmement, ils étaient de fins connaisseurs et aimaient la qualité. Hélas pour eux, et heureusement pour nous, -héhé- à cette époque, on ne trouvait dans les commerces communs que des feuilles de qualité moindre. Du Château-Tobil, de la Cendre-Terre, pas mal de vieille Mandracor et, avec de la chance, quelques feuilles de Précyle. Mais vraiment avec beaucoup de chance, et quelques pièces d'or. C'était encore une époque obscure et barbare, l'art de la pipe était réservé à quelques initiés. C'est pourquoi, devant pareille aberration, nos olibrius de la forêt de Bouc se sont mis en tête de fabriquer leurs propres feuilles. A force de temps, de recherches, de travail acharné, ils parvinrent à faire pousser une nouvelle variété de feuille à fumer, une variété qui alliait la fraîcheur de l'humus, la force séculaire des vieux arbres, la quiétude des sous bois, l'ombre bienfaisante de la canopée et la force de la terre humide et pleine de vie. C'a été une véritable révolution. Tu te doutes bien que cette variété se fit rapidement un nom à travers tout le Continent. Certains amateurs faisaient des lieux et des lieux pour acheter ces feuilles. Leurs géniaux créateurs les nommèrent très sobrement Feuilles de Bouc, mais dans le milieu on les connaît plus sous le nom de Vieille Boucantine. Les fameux "druides" devinrent vite riches, ils achetèrent des terres et firent construire un château, Château-Bouc, à la lisière de leur forêt. Ils restèrent longtemps une des plus grandes forces économiques du sud du Continent, rivalisant presque avec les domaines viticoles de la famille Cadeço, au nord du Hauts Pays. Qui plus est, non contents de produire les meilleures feuilles à fumer, ils taillèrent dans le bois du chêne ayant ombragé la première récolte de Boucantine très exactement vingt-et-une pipes, qu'ils numérotèrent soigneusement. Ces pipes sont devenues légendaires. Tout le monde est d'accord pour dire que ce sont tout simplement les meilleures dans la catégorie bois. Elles se sont vendues des fortunes dignes de rois, et certains ont même tué pour en avoir une. C'était vraiment une belle époque...
Taenry leva les yeux au ciel, en tirant une nouvelle bouffée. Il réfléchit un instant, tandis que Samyël attendait patiemment la suite du récit.
-Hélas, le comté de Bouc a été ravagé durant la Guerre Draconique. Face aux armées du dragon, les druides se sont retirés dans leur forêt et ont disparu à jamais, emportant avec eux le secret de leur feuille. La Vieille Boucantine est probablement l'une des denrées les plus recherchées au monde à l'heure actuelle. Elle est restée dans les mémoires, et même l'Histoire n'a pas su délogé son arôme exceptionnelle de l'esprit des authentiques fumeurs. Et pour ajouter au drame, à ce jour, seules quatre des légendaires pipes de Bouc sont encore entre les mains des Hommes, la trois, la sept, la dix neuf et la quinze, les autres ont été détruites ou bien perdues... (Une lance d'amertume perça dans la voix du petit homme) Foutue guerre...
-Mais... La guerre draconique remonte à plus de cinq cent ans... C'est étrange qu'il reste encore ne serait-ce qu'une seule feuille, et quand bien même, depuis ce temps elle aurait perdu sa saveur, j'imagine.
Taenry lui jeta un regard brillant, et un large sourire fendit sa barbe blanche.
-Ton ignorance te fait dire des âneries. C'est justement à cela qu'on reconnaît une bonne feuille d'une mauvaise. La Boucantine, qui plus est, vieillit comme le vin, elle se bonifie avec les années, et cela grâce à la technique secrète de séchage élaborée par les maîtres herbiers de la forêt de Bouc. C'est une feuille unique, et j'ai bien peur que plus jamais l'on atteindra une telle perfection...
-Dois-je en déduire que vous êtes richissime, puisque vous en possédez, ou bien êtes-vous un assassin?, fit Samyël avec une pointe d'humour.
Blanc'Barbe partit d'un grand rire.
-Rien de cela, jeune homme. J'ai la chance d'avoir pu en acquérir une liasse dans ma jeunesse. J'en fume une par cycle de lune.
Samyël leva un sourcil interrogateur, mais se contenta de formuler dans sa tête la question qui lui vint. Comme il s'y attendait, Taenry lui répondit de lui même.
-Les cycles temporels de ce plan d'existence ne sont pas les mêmes que ceux du Continent. Cependant, il est vrai que je dois probablement être l'un des derniers chanceux à pouvoir en fumer... Il ne me manque qu'une des pipes de Bouc pour goûter à la perfection...
Alors qu'il prononçait ces mots, il se laissa aller à un soupir rêveur.
-Château-Bouc existe toujours, reprit-il après un temps. C'est une ruine à demi mangée par la forêt à présent, mais l'essentiel y est toujours, le donjon, les trois tours et quelques pans de sa muraille. Les branches et les racines du bois sont devenues des éléments essentiels de sa composition. Le chevalier qui devint maître du comté de Bouc après la Guerre ne le fit pas reconstruire. Il le laissa tel quel en hommage aux Druides. Au cas où ils reviendraient, disait-il. Les années ont passé, les champs ont poussé, le seigneur fit construire un autre château, à quelques lieux de là, mais jamais les druides ne revinrent. Beaucoup d'aventuriers et d'amateurs ont fouillé les restes de Château-Bouc à la recherche de caches de feuilles, ou du secret de leur culture. Ils ont également longuement arpenté la forêt à la recherche des herbiers, en vain. Cependant... La légende dit que les vieillards n'ont pas disparu, qu'ils sont toujours là, entre leurs arbres. Ils continuent de produire la Boucantine avec amour, dans quelques prairies secrètes. Et la fragrance douceâtre qui émane de leurs pipes emplie l'atmosphère de la forêt. On dit même que, parfois, lorsqu'un voyageur s'égare dans les bois, ils le guident vers la lisière grâce à la fumée. Et le chanceux trouverait, au pied du dernier arbre, une liasse de feuilles brunes...
-C'est une belle histoire, commenta doucement Samyël.
-Si seulement elle pouvait être vraie...
-Vous en savez vraiment beaucoup, quoique, ce doit être normale pour un amateur.
-Absolument.
Ils observèrent un temps de silence, se laissant pénétrer par l'odeur de la Boucantine. Finalement, Taenry enleva l'embout de la pipe de sa bouche, l'essuya dans un ourlet de sa robe grise et la tendit à Samyël.
-Tient, essaie, lui dit-il avec un pétillement dans les yeux.
Se rendant bien compte, après ce cours magistral, de l'honneur qui lui était fait, Samyël ne put décliner l'offre. Il essaya d'imiter le petit homme dans sa manière de faire mais celui-ci secoua la tête.
-Chacun à une approche différente de l'art de fumer. Trouve ta propre voie.
Le jeune homme hocha la tête. Contrairement au vieil homme qui tenait le tube entre deux doigts, il enserra la tête de sa pleine paume. Déjà lorsqu'il glissa l'embout entre ses lèvres, le goût minéral de l'ébène lui remplit la bouche. Des montagnes brumeuses, fières, solides et belles défilèrent dans son esprit. Puis il aspira doucement, timidement. La fumée lui emplit la bouche comme une chaude caresse. Le bruissement des feuilles raisonna dans son crâne, la saveur de l'humus et de la rosée du matin envahit sa langue et son palais. Le jeune homme ferma les yeux et se laissa envahir par ces nouvelles sensations. Son plaisir était palpable. Après quelques secondes, et à regret, il relâcha la fumée en ouvrant la bouche. Les minces volutes blanches et odorantes s'étirèrent dans les airs, puis disparurent.
Samyël rendit la pipe à son propriétaire, toujours subjugué par l'expérience.
-C'est... magique, fit-il avec un sourire.  
Blanc'Barbe hocha la tête en lui rendant son sourire. Etrangement, par cette mimique et ce qu'ils venaient de partager, Samyël sut qu'un lien s'était créé entre eux. Comme pour le confirmer, Taenry récupéra les deux choppes qui traînaient à côté de lui, ainsi qu'une outre pleine. Il remplit les godets avec le contenu de l'outre, un liquide ambré et mousseux, exaltant un arôme délicat mais ferme, et en tendit un au jeune homme.      
-A la Boucantine, fit-il en levant son verre.
-A ta réussite, répliqua Taenry en choquant légèrement leurs deux choppes.
Ils burent une longue lampée. Samyël apprécia le goût de la liqueur, légère et douce.
-C'est très bon, observa-t-il.
Le petit homme lui décocha un clin d'oeil.
-Brassage artisanale.
-Ca n'en est que meilleur.
Ils rirent un peu, puis le silence revint. Etrangement, ces silences, souvent pesants et gênants dans les conversations, prenaient tout leur sens lorsque Samyël échangeait avec le vieil homme. Il les trouvait normaux, cohérents, presque logiques. D'une certaine façon cela lui rappelait son grand-père.
-Ho!, fit-il alors qu'il se rappelait sa mission. J'ai ceci pour vous.
Il lui donna le parchemin scellé d'un ruban rouge, que Taenry prit sans poser de question. Il examina rapidement le papier puis l'enfouit dans une de ses poches avec un hochement de tête entendu.  
-Comment est le maître Sorël? demanda Samyël en prenant une autre gorgée.
Blanc'Barbe prit un moment avant de répondre.
-Je ne saurais trop te le dire. Cela dépend grandement du moment. Il est d'humeur... changeante.
-Savez vous à quel moment il sera là?
-Hmm... Dans quatre jours tout au plus. Certainement moins.
Soudain, le vieillard se releva d'un bond.
-Bien!
Il vida le contenu de sa pipe sur le sol en tapotant son poignet avec, puis la coinça dans sa ceinture. Il saisit son bâton et se tourna vers Samyël.
-Assez bavasser. Je vais te mener à ta cellule. Suis moi.
Samyël s'exécuta, mais il ne sut que faire de sa choppe encore à demi pleine. Taenry lui montra l'exemple. Il en prit une dernière rasade puis jeta le reste sur le tertre.
-Ces sacrées vieilles branches ne disent jamais non à un p'tit coup pour la route, expliqua-t-il avec un sourire énigmatique.
Samyël fit de même, quelque peu étonné d'une telle pratique, puis voulu la rendre à son propriétaire. Mais celui-ci refusa.
-Garde la. Sache qu'il est très indécent de refuser un verre qu'on te propose, aussi assure toi d'avoir toujours une choppe sous la main afin que cela ne se produise jamais.
Le jeune homme resta un moment le bras tendu. Ha bon? Ho... Pourquoi pas après tout? Suivant l'exemple de son aîné il coinça  le récipient dans sa ceinture.  

La pièce était petite, à la limite de l'exigu. Quatre murs, pas de fenêtre, une paillasse propre, un pot, une minuscule table de chevet et une bougie. Voilà ce qui composait la cellule de Samyël.
"C'est donc ici que je vais passer ces prochaines années...?", se dit-il alors qu'il la parcourait des yeux.
La pièce était vraiment petite, à peine pouvait-on y faire deux pas en largeur comme en longueur. Mais d'un autre côté, après la rudesse du sol et des pierres, ainsi que la froideur des nuits à la belle étoile, c'était un luxueux palais. Il entendit dans son dos les pas de Taenry qui redescendait l'escalier. Samyël haussa les épaules. Il déposa le carnet noir sur la table et se laissa choir sur la paillasse. C'était plutôt  confortable en fait. Se relevant sur un coude, il avisa le vêtement sombre délicatement plié posé sur sa couchette. Il tendit la main et s'en empara. Pour mieux voir, il alluma la bougie avec le briquet à amadou qui traînait à côté. L'étoffe était de couleur pourpre. C'était la fameuse robe dont lui avait parlée Nemerle. Agréable au toucher, elle n'en demeurait pas moins simple et dénuée d'ornements. Cependant, il s'en dégageait une certaine richesse, une certaine noblesse. Samyël eut soudain honte de ses propres vêtements, depuis trop longtemps non lavés, déchirés... Il les enleva avec empressement et passa la soutane. Le contact sur sa peau lui était comme une caresse ; il se sentit tout de suite différent. Un véritable mage, pensa-t-il avec un sourire. La robe possédait une capuche et ses manches étaient longues et profondes. Comme il trouvait le vêtement trop ample, le jeune homme récupéra son ancienne ceinture et la boucla par dessus, ce qui lui fit comme une tunique longue.
Il aurait aimé avoir sous la main un miroir pour s'admirer ou un broc d'eau. Il se surprit à tenir quelques poses comme un vrai mage. Il rit de lui même puis entendant son estomac grogner de mécontentement il se demanda si le dîner était pour bientôt. D'un côté il avait hâte, de l'autre il redoutait l'instant. Car il allait enfin rencontrer des apprentis comme lui, mais il redoutait son savoir trop maigre.
-Hum..., commença-t-il, un peu gêné.
Il se racla la gorge et sortit dans le couloir afin de s'assurer qu'il n'y avait personne.
-Quelle... Quelle heure est-il?, demanda-t-il finalement, en se disant qu'il devait vraiment avoir l'air idiot.
-Huit heure moins le quart et quarante trois secondes.
Samyël sursauta en entendant la voix éthérée, qui semblait jaillir de nul part et partout à la fois. A vrai dire, il n'avait jamais vraiment pensé qu'on lui répondrait. Il attendit quelques instants, histoire de voir si l'étrange voix allait parler de nouveau, mais rien.
-Quelle heure est-il?, demanda-t-il une seconde fois.
-Sept heure, quarante sept minutes et deux secondes.
-Merci!
Bien sûr, on ne lui répondit pas. Le garçon se dit que vraiment, la magie c'était quelque chose! Il profita du temps qu'il lui restait pour s'allonger sur sa paillasse et se reposa un peu.

raphael14:
Après plus d'un an, j'ai finalement fini de lire le Cycle du Rouge.

J'ai du déjà le dire mais j'apprécie fortement Samyël car il est très humain, il des côtés sombres, très sombre même comme le prouve la présence du Jakuta dans l'esprit de ton héros. Mais il est aussi humain à cause de ses passions amoureuses ou autres.
J'ai franchement hâte de voir ce que le petit magicien va devenir. Je suis particulièrement impatient de voir les pouvoirs de Samyël se développer et surtout le voir donner aux fanatiques anti-magicien la bonne leçon qu'ils méritent.

Great Magician Samyël:
Mais qui voilà? Un magicien qui surgit hors de la nuit, ho ho :note:Et de son épée, il signe d'un C qui signifie 'Cycle'!  \o/

Raphaël, merci de suivre avec assiduité les errements de cette Tour du Rouge ^^


Sur ce, voici la suite et fin du 20e chapitre du Cycle. J'espère que vous le trouverez à votre goût.

Quant à moi, je vous souhaite de bonnes vacances, et je vous retrouve à la rentrée, pour de nouvelles aventures Continentales et Monarquales!

Enjoy

_______


Chapitre 20 : L'Archimage (Troisième partie.)

Les éclats de voix en provenance du rez-de-chaussée tirèrent Samyël du sommeil dans lequel il s'était réfugié. Il bâilla un long moment. Il réalisa alors qu'il était encore transis de fatigue, après cet épuisant voyage et ses diverses aventures. Au final, il était bien heureux d'avoir enfin trouvé un endroit où se poser, et retrouver un rythme de vie décent. S'asseyant sur sa couchette, il se frotta le visage avec les mains pour se réveiller, puis sorti dans le couloir. On avait allumé des torches, avec la tombée de la nuit. Se disant qu'il devait être en retard pour le dîner, Samyël pressa l'allure et descendit l'escalier en colimaçon qui menait au rez-de-chaussée. Une main posée sur le mur à sa droite, il posa les pieds sur le sol du réfectoire. Un sourire tordit ses traits à la vue de la trentaine de jeunes garçons d'âges variés, mangeant en bavardant gaiement. Les Serviteurs de la Rune s'affairaient entre les longues tables, occupés à s'assurer que personne ne manquait de rien, ou ne désirait rien de plus. Samyël remarqua que même si ils semblaient tous plus ou moins rassemblés, les étudiants étaient placés par école d'appartenance. Les robes grises des invocateurs en herbe ne se mêlaient pas aux robes rouges des apprentis telluristes et ainsi de suite. Il les observa un instant, afin de s'imprégner de l'ambiance.
Un des élèves finit par le repérer. Il se pencha vers son voisin et lui murmura quelque chose à l'oreille sans le quitter des yeux. La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre à travers les rangs. Un silence glacial se répandit dans la pièce. Plus rien ne bougea, pas même les Serviteurs qui attendaient patiemment. Une soixantaine d'yeux étaient braqués sur Samyël, le jaugeant, l'étudiant, le détaillant, le méprisant. La gorge de Samyël se dessécha. Il ne s'était pas attendu à pareil accueil ni à un pareil revirement. Il s'était imaginé naïvement arriver parmi eux, qu'ils l'accueilleraient avec joie, qu'ils riraient ensemble. Mais là, il se faisait l'effet d'un étranger déplacé et non invité. Il s'avança maladroitement dans la salle, cherchant vainement un soutient parmi la masse. Il n'y avait pas non plus de maître présent. Indécis sur la conduite à suivre, Samyël décida d'essayer de briser la glace.
-Enchanté, fit-il en s'inclinant poliment. Je m'appelle Samyël. Je viens d'arriver...
La suite de son discours mourut sur ses lèvres lorsqu'il s'aperçut que ses mots n'avaient aucun effet sur ses vis-à-vis. Il ne put s'empêcher de les comparer mentalement à un troupeau de chèvres aux yeux vides. Il frissonna. Gêné de rester debout, il s'approcha de la table. Il chercha des yeux le "clan" des robes pourpres, et suffoqua presque en réalisant qu'il était le seul de sa tribu. Quelques ricanements fusèrent lorsqu'il s'assit gauchement, un peu à l'écart. Mortifié, le pauvre garçon gardait la tête baissé, se faisant un rideau protecteur de ses cheveux. Un Serviteur posa en quelques secondes une écuelle remplit de viande et de fruit, un gobelet de vin capiteux, des couverts d'argent et une serviette élégante et finement pliée en carré. Il balbutia un vague "merci" et s'empara de sa fourchette. Au moins, la nourriture était bonne.
Les conversations reprirent, feutrées, incisives. Ils étaient clair qu'il était le centre de l'attention générale. Des rires étouffés lui parvinrent, qui le blessèrent. Qu'avait-il fait pour mériter cela? Ce n'était pas du tout ce qu'il avait prévu! Il serra le poing plus fort sur son couvert, la colère montant lentement en lui. Il essaya tant bien que mal de les ignorer. Finalement, trois étudiants se levèrent et se dirigèrent vers lui. Deux grands costauds en robe rouge et un dernier, plus fin en robe noire. Ce dernier s'assit sur la table, les pieds sur le banc à gauche de Samyël. Les deux autres se placèrent respectivement à sa droite et devant lui. Ils affichaient des mines arrogantes et cruelles.
-Alors, comme ça, c'est toi, Samyël?, fit le plus fin.
Son ton hautain dégoulinant d'autosuffisance donna la nausée à Samyël. Il prit son parti de ne pas répondre. Il désirait autant que possible éviter tout contact dans un premier temps. Le type à sa droite se leva soudainement, envoya son écuelle voler à travers la pièce et l'empoigna par les cheveux. Il le força à relever la tête à regarder le jeune homme en robe noire.
-Maître Hott t'as posé une question, p'tite tête. Alors tu réponds.
Le Hott en question avait dans les vingt ans. Son sourire de triomphe s'encastrait parfaitement bien dans ses traits fins et aristocratiques encadrés par une coupe châtaine au carré. Des bagues en or et des boucles d'oreilles du même acabit ornaient ses doigts. Il s'était poudré le visage pour le rendre plus pâle et avait accentué le rouge de ses lèvres, lui conférant une allure assez efféminée. Il posa le coude sur son genou replié, et le menton sur son poing.
-Je suis Lowyn de la prestigieuse maison d'Hott. En tant que roturier, tu dois l'obéissance à ma famille, comme le veut la loi.
Les ricanements des autres élèves attisèrent un peu plus le brasier de colère qui s'enflammait en Samyël. Il détestait déjà ce Lowyn, et tous les autres. Lowyn prit délicatement le menton de Samyël entre deux de ses doigts fins et le força à le regarder, tandis que l'autre brute le maintenait par la force.
-Je t'écoute.
-Va mourir.
le ton glacial, détaché et effrayant de Samyël ramena le silence sur l'assemblée. Lowyn fut tellement surpris qu'il se recula un peu malgré lui. Il se reprit presque aussitôt en riant.
-Ludberg, il va falloir apprendre la politesse à ce chien errant.
Le larbin s'acquitta de son devoir avec zèle. il fracassa plusieurs fois le visage de Samyël contre la lourde table de chêne, jusqu'à ce que son nez saignât et qu'il s'étourdît.
-On a beaucoup entendu parler de toi par ici, mon cher Samyël. En ce moment, ils n'ont que ton nom à la bouche. "Samyël par ci, Samyël par là..." Soi disant, tu vas nous sauver!
Lowyn se tourna vers le reste des étudiants en mimant la surprise, et les autres rirent.
-Permet nous d'en douter. Quel est le sort le plus puissant que tu connaisses?
Samyël le foudroya du regard, écumant de rage. Il serra convulsivement le poing, mais ne répondit pas, humilié. Il savait que sa magie était de loin inférieure à la leur. Lowyn éclata d'un rire aigu et agaçant.  
-Regardez moi ça! Si c'est pas mignon! Le petit bouseux sort de sa cambrousse les lèvres en coeur "pour nous sauver"!
Cette remarque déclancha l'hilarité générale. Personne ne remarqua les tremblements de Samyël.
-Regardez le! Notre grand héros surgit de nul part, arborant, ô Dieux, la glorieuse livrée de pourpre!
Les rires doublèrent d'intensité.
-Mais qu'est-ce que tu crois, mon petit?, continuait Lowyn en ricanant. Tu n'es pas un héros. Tu n'es même pas un magicien. Peuh! Un Altérant. C'est bien la dernière chose dont nous avions besoin ici. Regarde. (Il força Samyël à regarder le noir de sa robe.) Ca, gamin, c'est la couleur de l'élite. Seuls les meilleurs sont autorisés à la porter. Tout ce que le pourpre de ta soutane te permet, morveux, c'est de me m'obéir. Tu n'es rien. Non. Tu es moins que rien.
Sans crier gare, Samyël bondit, dans un silence de tombeau, et son poing se fracassa comme une massue sur le visage délicat de Lowyn qui partit en arrière en glapissant de terreur. Sans perdre de temps, Samyël pulvérisa Ludberg d'un coup de crâne rageur. Le garçon, terrassé, chut au sol comme une pierre. Aussitôt, le troisième larron jaillit par dessus la table en criant, pendant que les autres élèves se levaient précipitamment en proférant des paroles véhémentes. Souple et fort de son entraînement, Samyël pivota sur un pied et cueillit son assaillant d'un coup de genou dans l'abdomen qui le fit basculer en avant. Il se recroquevilla sur le sol en gémissant et crachant.
Ivre de fureur, Samyël se mit en tête de le frapper jusqu'à la mort. Mais alors qu'il s'apprêtait à délivrer son premier uppercut, son bras partit violement en arrière et se tordit douloureusement. Il grogna et se sentit plaqué contre la table par une force invisible. Des mains le tirèrent en arrière et le jetèrent au sol.
-Tu vas regretter ton geste, chien!, fit Lowyn d'une voix froide  en tamponnant fébrilement le sang qui s'écoulait de sa lèvre tuméfiée. Tuez le!
Une tempête de pieds et de bottes le balaya. Des avalanches de coup pleuvaient, apportant leur lot de douleur. Samyël se recroquevilla pour se protéger, mais le sort continuait de lui retirer le contrôle de ses bras. Il cracha plusieurs fois du sang, cherchant son souffle en gémissant. Il ne comprenait plus ce qui lui arrivait. On finit par le remettre à genoux. Hagard il avait du mal à rester concentré. Il ne ressentait plus que les plaintes de son corps meurtri.
-Regardez moi ces cheveux!, faisait la voix de Lowyn par dessus la cohue. Ils m'écoeurent, coupez les!
Samyël sentit qu'on lui agrippait les cheveux à nouveau, qu'on les tirait en arrière . Il voulut se débattre mais ce fut vain. Dans le même temps, on lui passa un noeud coulant autour du cou, et c'est à ce moment qu'il prit peur. On lâcha ses cheveux, mais la corde se resserra contre sa trachée, l'étouffant. Son corps fut tracté vers le plafond, ses pieds quittèrent le sol. Il chercha tant bien que mal à retrouver de l'air, mais celle-ci quittait insidieusement ses poumons. Il mourrait en éructant. Et il les voyait, qui riaient, se gaussaient de lui. Dans un ultime geste de rébellion, il propulsa ses pieds en y mettant toute sa rage et ses dernières forces. Il ravagea le visage d'un étudiant plus jeune que les autres qui s'était un peu trop approché. Le garçon chuta au sol dans un silence surréaliste et ne bougea plus. Etrangement, cela ne fit qu'accroître l'hilarité des autres. Privé de tout recours, Samyël se balança au bout de sa corde en tressautant, tandis que sa conscience glissait peu à peu vers les ténèbres. Quelques étudiants lui jetèrent des gobelets de vin, en parodiant l'extrême-onction.
Il ne bougea plus.
-Il est... mort?, finit par demander quelqu'un.
-Et il ne nous manquera pas!, scanda Lowyn.
Cependant, sa joie prit soudainement fin lorsqu'une hache de jet fendit l'air et coupa avec une précision mortelle la corde de chanvre, faisant choir le corps de Samyël sur le sol.
-J'espère pour vous qu'il n'est pas mort, bande de chiens galleux et puants que vous êtes.
Les étudiants se tournèrent comme un seul homme vers l'entrée du réfectoire. La petite silhouette trapue de Taenry se découpait dans l'encadrement de la porte. La pipe aux lèvres, il foudroyait l'assemblée de ses yeux furieux. Sa barbe lui donnait un aspect monstrueux. Il avait dans la main gauche une autre arme de jet, et quelques autres passée à la ceinture. Sa main droite portait son bâton.
Lowyn lui répondit avec une arrogance assurée que ses complices étaient loin de partager. Après tout, Taenry n'était pas que le portier. Il était avant tout l'extension de la volonté de l'archimage.
-Cela ne te regarde pas, portier. Retourne donc à...
-Silence, vermine juvénile!, brailla Taenry, si fort que Lowyn perdit un peu de sa superbe.
-Pour qui te prends-tu, vieillard? Ce que nous faisons ne te concer...
-J'ai dit silence! Puteborgne de bâtard de péon noble!
Pour illustrer son propos poétique, Taenry fit montre une nouvelle fois de son habilité. La hache frôla l'oreille de Lowyn de si près qu'une de ses boucles et quelques cheveux tombèrent au col. Le jeune héritier de la maison d'Hott pâlit encore plus et déglutit.
-Et maintenant, dans vos piaules, et plus vite que ça!, gronda le vieil homme avec un regard mauvais.
Les étudiants s'exécutèrent sans se le faire redire.
-Ramassez moi ce tas de viande de Kelly. Si il ne passe pas la nuit vous aurez des problèmes avec l'Archimage.
Lowyn fut le dernier à gravir les escaliers. Auparavant, il lança un coup d'oeil à Samyël, puis un regard venimeux à Taenry et jura :
-Tu me le paieras, vieillard.
Il déguerpit quand une troisième hache fusa vers lui.
Le petit homme attendit quelques secondes puis se précipita vers le corps inanimé de Samyël.
-Dieux! Quelle barbarie. Il y a quelques années ç'aurait été impensable! Mais regardez moi ce qu'ils lui ont fait!
Samyël gisait dans une mare de vin, de sang et de bave que les Serviteurs s'attelaient déjà à éponger. Taenry les congédia d'un geste et s'accroupit à côté du corps. Les yeux révulsés et la langue pendante, il faisait peine à voir. Taenry prit son poux, et constata avec soulagement qu'il vivait encore, quoique faiblement.
La corde magique disparut dès que le sort fut levé. La trachée contractée de Samyël se dilata et se dernier reprit violemment conscience en crachant et toussant, cherchant de l'air avidement. Il regarde autours de lui d'un air halluciné.
-C'est fini, lui dit Taenry. Tu n'as plus rien à craindre.
Le jeune homme frotta ses chaire s meurtries par le chanvre en grimaçant.
-Qu'est-ce que je leur ai fait?, croassa-t-il, la gorge sèche.
-Rien strictement rien. Tiens bois ça, répondit le petit homme en lui tendant une outre de vin.
Samyël but jusqu'à s'étrangler puis jeta la liqueur au loin d'un geste rageur.
-C'est pas de ta faute, gamin, reprit Blancbarbe. Tu sais, toutes ces histoires d'espoir sur toi, d'une espèce de héros ou je ne sais trop quoi, c'est malsain. Je ne te dénigre pas, je dis juste que c'est monté à la tête de certains. Des pires, je le crains...
Samyël ne répondit pas, encore choqué par la tournure des événements.
-Lowyn de la maison d'Hott fait parti des pires. C'est un fou vaniteux, arrogant et cruel, sans vertus morales. Mais c'est hélas un fou dangereux. Comme tu l'as vu, il porte la robe noire. C'est un rhéteur runique, et pas des moindres. Ce doit être le gamin avec le plus fort potentiel que cette vieille Citadelle ait connu en plus de deux cents ans, et je sais de quoi je parle. Si tu veux un conseil, reste loin de lui. Plusieurs élèves sont déjà morts par sa faute.
-Et vous ne faites rien contre ça?, s'indigna Samyël.
Taenry leva les mains en signe d'impuissance.
-Hélas. Il est pas protégé par une lettre de cachet du roi d'Arendia. Nous sommes impuissants à la renvoyer.
-Si vous ne pouvez pas faire cela, pour l'Archimage ne le punit pas au moins?
Taenry baissa les yeux. Soudain, il paraissait indécis.
-Et bien, c'est parce que... C'est parce que...
-C'est parce que l'Archimage est faible, voilà tout, répondit pour lui Nemerle, qui se tenait subitement derrière le petit homme, en appuie sur son bâton.
Taenry ne se retourna pas, mais se mit à fourrager dans sa barbe.
-Faible?, demanda Samyël incrédule. L'Archimage n'est pas censé être le plus fort des magiciens?
-Et bien... Hmm... Je dois dire que non, pas forcément.  Cela a souvent été le cas, je te le concède, mais la fonction de l'Archimage est avant tout d'organiser la vie au sein de la Citadelle, et de conseiller le Roi. La vérité, Samyël, c'est que je suis incapable de jeter le moindre sort. Ma magie s'est éteinte il y a de nombreuses années.
-Comment est-ce possible?!
-C'est une longue histoire. En attendant, ce que maître Blancbarbe t'a dit est vrai. N'approche plus de Lowyn. Tous les autres élèves sont avec lui. Et puisqu'il t'a pris en grippe, considère que tu n'as pas d'ami. Je suis désolé.
Samyël baissa la tête, des désillusions plein celle-ci. Il avait l'impression que tout allait de travers. Il se maudit d'avoir souhaité devenir mage, maudit tous ceux qui avaient placé en lui des espoirs futiles.
-Tout à l'heure, ils ont insulté le pourpre de ma robe. Pourquoi?
-L'Alteration a perdu ses lettres de noblesse lorsque Mac Kenick Le Bouffon a découvert le moyen de produire des illusions en utilisant cet Art. Il a d'ailleurs ensuite créé la sous-école de l'illusion, ce qui a en quelque sorte démocratisé l'altération, car la rendant accessible aux plus faibles. Et tu nous connais, nous, mages. Vaniteux et trop fiers. Mais ne te méprend pas. La véritable altération, telle que tu l'apprendras ici même, égale n'importe quelle autre école. Bien, à présent, va te reposer, il est tard. Les maîtres te testeront demain.
Samyël acquiesça et se releva lentement, en lissant les plis de sa robe. Se dirigeant vers les cellules, il serraient les poings et murmura :
-Faible ou pas, ça ne m'empêchera pas de te tuer, Lowyn de la maison d'Hott.
Nemerle et Taenry firent mine de ne pas avoir entendu.

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