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La Tour du Rouge : [Random | Très court] Sans titre #1

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silver:
Tout simplement, Magnifique! :niais:

Je ne t'en veux pas de laisser le Cycle Rouge de côté, il faut te laisser le temps pour sentir l'inspiration.

Revenons à Monarque, j'adore le développement que tu lui donnes.

L'histoire est palpitante. On sent l'aspect critique de la situation.

Je n'ai qu'une chose à dire, Bravo. Je suis déjà impatient de voir la suite.

Bonne continuation.

Great Magician Samyël:
Plop, plop,  c'est moi, fidèle au rendez-vous ^^

Merci pour le commentaire Silver! J'espère que la suite continuera à te plaire.

Sur ce, bonne lecture, et à la semaine prochaine!

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[align=center]8. [/align]


Un silence de mort régnait sur la clairière. La neige tombait lentement en spirales lumineuses. On se serait cru dans un rêve, de ceux dans lesquels tout vous parait irréel. Le sang, écarlate, tranchait nettement avec la blancheur de la poudreuse, qu'il faisait fondre en se déployant.
Sans un mot, nous contemplions les corps enlacés de Manchot et son frère, Zed.


[align=center]9.[/align]



Il fallait reconnaître que l'endroit n'était guère accueillant. La tour s'élevait dans l'air lourd du soir, et sa cime enveloppée de brume transparaissait diffusément sur la lune pleine, jaunâtre et énorme. Exactement comme dans les histoires de fantômes et de magie noire. Des pans de murs plus anciens se tenaient encore plus ou moins debout, laissant imaginer l'ancienne configuration des lieux. Seul le jardin était encore reconnaissable, mais la mauvaise herbe avait tout envahi. Un fossé relativement profond avait été creusé beaucoup plus récemment autour du donjon, une passerelle en bois rudimentaire jetée par dessus. Originellement desservie par des couloirs internes, la porte qu'on avait ajoutée à sa base ainsi que les morceaux de maçonnerie plus récents donnaient une allure pittoresque à l'édifice.
"Ca a exactement la gueule que je m'étais imaginé, a commenté Araignée, lugubre."
L'ambiance était plutôt mauvaise. On avait encore la mort de nos camarades à l'esprit. On comptait faire payer ce salaud. Cependant, nous progressions en effectif réduit. En effet, j'avais laissé au village Ken, Bière et Rose, tous blessés lors de cette terrible nuit. Teknogure avait pour mission de veiller sur eux.
"Qu'est-ce qu'on fait?, a demandé Tapinois.
-Je dois m'assurer de quelque chose, ne bougez pas."
Je suis sorti du couvert des arbres, et me suis avancé prudemment vers la tour. Plus je l'observais, pour j'avais le bide qui se serrait. J'ai progressé furtivement d'une ruine à l'autre, pour rester à découvert le moins longtemps possible. Lorsque j'ai été assez près, j'ai testé les défenses de la tour. A ma grande surprise, les protections, car il y en avait bien, n'étaient nullement destinées à repousser d'éventuels visiteurs ou voleurs. Les runes courant le long des moellons étaient les composantes d'une variante d'un charme de protection contre le mal. Nous pouvions passez sans problème. J'ai fait signe à mes compagnons de me rejoindre, puis une fois regroupés nous nous sommes élancés vers la porte.
"Vous croyez qu'il sait qu'on est là?
-Sinon tu crois que tu serais encore là pour parler?"
Tapinois a crocheté la serrure en deux coups de dague. On s'est glissé à l'intérieur aussi silencieusement que possible, puis j'ai refermé la porte et mis la barre en place. Nous étions dans une espèce de grand hall, réaménagé à cet effet. Un tapis rouge plus ou moins bien entretenu courait du seuil jusqu'au fond, puis continuait sur les marches d'un grand escaliers en colimaçon qui bien sûr desservait toute la tour. Le mobilier se résumait à un porte-manteaux, auquel pendait une cape de pluie.
"Marrant. Je me faisais une idée un peu plus sombre de l'antre d'un mage noir, a commenté Araignée.
-J'avoue, a ajouté Tapinois."
L'instant suivant, j'étais au sol, bouche ouverte, corps affreusement contracté, aphone et en proie à une névralgie poignante. Sentiment affreux de ne pouvoir rien faire contre la mort en marche. Une ombre a sauté depuis l'escalier vers nous. Son sabre fin à deux mains a fendu l'air en faisait un bruit de vent. J'ai regardé la lame sans vraiment comprendre. Heureusement pour moi, Tapinois a bondi tout aussi rapidement. Ses dagues ont dévié l'arme. La silhouette est sortie de mon champ de vision restreint, et tandis que j'agonisais par terre, des bruits diffus de bataille rangée me parvenaient. Il fallait pas être super futé pour en déduire ce qu'il était advenu du tueur de sorcier.
"Attendez, a soudain fait une voix d'outre-tombe. Vous n'êtes pas comme eux.
-Qu'est-ce que tu baves, salopard, a répondu Araignée.
-Non, attendez. Je vous en prie. C'est une méprise. Nous n'avons aucune raison de nous battre."
A peine l'inconnu avait-il prononcé ces mots que je recouvrai le contrôle de mon corps. Comme toujours dans ces cas là, le monde a tourné, tangué, disparu, reparu, une douleur effroyable a embrasé chaque nerf, chaque microfibre de chaire. Mon cerveau a fondu, s'est remodelé. J'ai sombré dans l'inconscience par intermittence durant quelques secondes. Puis tout est redevenu normal. Ciguë m'a relevé, en me palpant pour m'ausculter. Je lui ai fait signe que ça allait.  
J'ai relevé la tête pour regarder notre chasseur de sorcier, peu assuré quant à ma joie de le savoir toujours en vie, pour me rendre compte qu'il était déjà mort.
"Je suis désolé de cette méprise, fit-il en replaçant son sabre à lame fine dans son dos. Comprenez, messires, les visiteurs se font rares ces temps-ci, et avec les changeformes qui rôdent au dehors, il ne coûte rien d'être prudent."
Je n'écoutais pas ce qu'il disait. Toute mon attention était focalisé sur son oeil unique et le dernier lambeau de peau qui couvrait son crâne poli, de la tempe droite à la pommette droite. Tout aussi unique, une touffe de cheveux gras blonds délavés sortait de la capuche noire pour pendre pitoyablement sur le côté. De l'autre, sur le front et jusqu'à l'oeil, la trace incrustée d'une paire de griffes dessinait deux longues lignes parallèles. Vêtu d'un ample manteau de cuir noir à capuchon qui masquait en grande partie sa silhouette décharnée, il portait également des mitaines de cuir et des bottes à moitié pourrie de même matière. Ses doigts de pieds squelettiques en ressortaient sur le devant.
Fascinant.
"Ho, mais quel hôte déplorable je fais, continuait-il (et sa voix éthérée prenait l'accent véridique de la gêne), je ne me suis guère présentée, alors même que je vous ai injustement agressés. Encore une fois vous m'en voyez désolé, messires. Je suis Jill "au long manteau". Je suis un chasseur de sorcier renommé, comptant dans son tableau des proies prestigieuses, qui m'ont valu reconnaissance et renom à travers le monde. Voyez vous, mon père lui même était un chasseur, il m'a appris le métier, qu'il tenait lui même de son père qui lui même le tenait de son père. En réalité je pourrai remonter comme cela sur au moins sept génération, car la chasse coule dans notre sang. Un sang à l'origine d'ailleurs bien intéressante, car en effet, Bertold le hardi, mon 18e bisaïeul, qui était paysan dans le Lancaster, rencontra un jour une femme fort jolie dont il s'éprit. Lui faisant la cour avec toute l'habilité qu'on nous connaît dans la famille, il l'épousa tôt, mais eut la désagréable surprise de découvrir que sa chère et tendre était en réalité une sorcière qui conjurait des démons la nuit. Éploré, il résolut de la tuer, puis une fois sa tâche achevée troqua sa fourche contre le sabre, puis fonda la glorieuse famille Belmont, chasseurs de père en fils. Tout ça pour dire que je suis désolé de vous avoir attaqués tantôt, ce fut une regrettable erreur de jugement, si vous saviez comme je m'en veux! Vous n'êtes pas blessés au moins? Aucun d'entre vous, messires? Ha! Je suis soulagé. Oui, très bien.
-Mais... T'es mort, le coupa Araignée qui, à l'instar de nous tous, regardait Jill avec des yeux ronds et la mâchoire décrochée"
Il y eut un silence gêné.
"Certes."
Son baratin m'avait embrouillé, aussi ai-je mis un peu de temps avant de trier les informations qu'il venait de nous donner. Un Belmont? Quelle chance. Tout ce qu'il avait dit concernant sa famille était vraie, ils étaient sans conteste les meilleurs, surtout dans la traque aux nécromants. Branche assez antipathique de notre vaste famille, à nous magiciens. Ensuite, une révélation m'a frappée. (Métaphoriquement parlant.)
"Tu as parlé des changeformes.
-Oui, tout à fait.
-Tu veux dire que... Enfin que..."
Il a attendu patiemment que je daigne poursuivre. Je commençais à flairer un soupçon de paranoïa dans l'air, doublé d'une mascarade hilarante.
"Je veux dire?
-Et bien que... Qu'ils... ne viennent pas d'ici? De Kerdanac?
-Ho! Grands dieux, non!"
Il a fait le signe qui repousse le mal. La chose était assez amusante, puisqu'il était lui même, certainement, issu de quelques monstrueuses manipulations occultes, et donc forcément démoniaques.
"Pour tout dire, moi même ai été envoyé en ces lieux, de mon vivant, pour procéder à la mise à mort de maître Cyfrien. Un peu comme ce soir, c'était une lugubre nuit, propice aux ténèbres. La lune était énorme et putride dans le ciel déchiré de brumes funestes, des bruits malfaisants se répercutaient sous les branchages des arbres. Alors que je chevauchais, ces abominations m'ont tendu une embuscade au sortir des fourrées. J'ai tenté de lutter pour ma survie, mais me voyant bien malgré moi impuissant à les occire, j'ai jeté mon destrier dans un grand galop, qui me porta bon an mal an jusqu'ici. J'ai appelé à l'aide, frappé comme un dément à la porte. Mais hélas, maître Cyfrien est arrivé trop tard pour me sauver de la meute hurlante. Il a certes réussi à repousser les vilains, mais c'en était fait de moi."
Vous situez le personnage? Un discours pour me pondre un simple "non". Malgré sa condition... spéciale, il m'était assez sympathique. Il incarnait un personnage plutôt original.
"Mais... Peut-être me montrè-je un peu hardi de vous demander cela à brûle pourpoint. Cependant, puis-je savoir ce qui vous amène en cette demeure, messires?"
J'ai jeté un regard à Tapinois, qui a lui même zieuté Araignée, qui lui a miré Ciguë, qui a bouclé la boucle en me fixant. La belle affaire.
"Et bien, pour ne rien cacher, on s'était mis martel en tête de venir faire la fête à ton maître, mais il semblerait qu'on nous ait enduit en erreur.
-Ho, je vois. J'en suis fort aise. Voyez vous, je ne suis guère surpris. Vous n'êtes pas les premiers à venir dans ce but. Hélas, vos prédécesseurs se sont montrés beaucoup moins compréhensifs que vous."
Il a gloussé et ses os se sont entrechoqués.
"Souhaitez-vous que je vous mène au maître?
-Ouais. On en serait ravi, même."
-Parfait! Veuillez me suivre, messires. Son étude est située au dernier étage. Faites attentions, les escaliers sont parfois un peu traîtres."
Il a pris la tête de notre petite procession, sans cesser de babiller une seconde, sur le quotidien ici à Kerdanac, la difficulté de trouver des aliments frais etc etc. Lorsque j'ai trouvé une occasion j'ai posé une question qui me dérangeait depuis un moment.
"Jill, c'est ton vrai prénom? Pour une famille aussi illustre que la tienne, ça fait un peu campagnard...
-Ah ah! Un fin observateur, n'est-ce pas? Et bien vous avez tout à fait raison, cher monsieur. Je tiens d'ailleurs à vous féliciter, vous êtes le premier à m'en faire la réflexion. Jill n'est qu'un pseudonyme, une commodité confortable. Ma véritable dénomination est Gil'Haed Perigniac Belmont. Avouez que c'est plutôt long, bien que non dénué d'un certain caractère épique.
-J'avoue.
-Ha, si vous saviez, monsieur! Ce nom est plus qu'un nom. C'est un symbole, un hymne à la bravoure, à la droiture. Car figurez vous que Gil'Haed était un héros des Premiers Temps. Son Cycle a été le premier à parcourir le monde, alors même qu'il inscrivait ses exploits à la stèle de l'Histoire. On le connaît sous de nombreux titres, tels le Tuedragons, Mangeorks, Feryn et j'en passe. Il sillonnait les contrées à la recherche d'exploits à accomplir. A force, il aurait pu devenir roi s'il l'avait souhaité, mais c'était un homme simple, au fond, un véritable héro, il préféra se retirer à l'écart du monde, une fois le crépuscule tombé sur la rivière de sa vie, et seule sa légende perdura. Quant à Perigniac...
-C'est encore long?, a demandé Tapinois avec un air mauvais, tandis qu'Araignée baillait à s'en décrocher la mâchoire.
-Ho, non. Plus trop. Voilà, c'est ici."
Nous nous arrêtâmes devant une porte banale, qui marquait la fin de l'ascension. Gil'Haed frappa avec la discrétion d'un maître de maison accompli.
"C'est ouvert, entre.", répondit une voix étouffée.
Le revenant ouvrit puis s'écarta pour nous laisser pénétrer le domaine du sorcier, le fameux Cyfrien. Qui était penché sur une collection impressionnante d'alambics, de tubes, de tuyaux, de cornues et de toutes ces choses dont se servent les alchimistes, herboristes et autres pseudo-médecins. La pièce, relativement vaste, en était littéralement bourrée. On se demandait comment un homme saint d'esprit pouvait continuer à alimenter une bougie au milieu de pareil rassemblement hautement inflammablo-explosif.
"Maître, nous avons des invités, a déclaré Gil'Haed avec une voix aussi enjouée que sa condition de mort-vivant le lui permettait, sans s'apercevoir que ces fameux invités avaient tous les mains sur leurs armes, prêts à faire un carton à la moindre entourloupe.
-Ho?"
La silhouette intégralement noire se releva, et ce que je prenais pour un homme debout affublé d'une capuche serrée n'était autre que la moitié d'un dos, qui se dressa vers des cimes rarement atteintes par l'humanité. Sans blagues, ce type est réellement grand. Au moins 2m15. Il s'est retourné vers nous sans l'effet de théâtre auquel je m'attendais. On avait peut être été mené en bateau, mais il avait bel et bien la tête du sorcier des ombres sacrifiant chaque soir une vingtaine de vierges préalablement violées à des entités sombres avec lesquelles il déjeunait chaque semaine en mangeant des nourrissons. Pour l'apéritif.
Pourtant, à bien regarder... Outre sa taille, il présentait de nombreux signes distinctifs. Son corps, longiligne et effroyablement maigre, était entièrement caché par un amas de tissus noir rigide, qui se dressait étrangement aux épaules, et qui semblait littéralement flotter dans les airs à hauteur des chevilles, lui conférant une aura sombre. Il portait des babouches dont seules les pointes transparaissaient, toutes aussi noires que ses cheveux, masse longue et pendante qui brouillait les limites de sa tête et de son corps. Le peu qu'on distinguait de son visage était un masque de tissu noir couvrant sa bouche, se terminant en pointe sur sa poitrine. Son nez était long, extrêmement pointu et fin. Enfin, ses yeux verdâtres pâles cernés de noir (J'ai tout d'abord songé à du khôl, mais en réalité ce n'est que des cernes profondes.), renvoyant une image intense de mélancolie doublée d'une peine et d'une douleur inimaginables.
J'ai frissonné en le regardant. Certes, il avait une sacrée dégaine, qui faisait froid dans le dos, mais on éprouvait de la compassion en regardant ces yeux. Un silence embarrassé s'est installé. Même le bavard Gil'Haed ne savait que dire.
"Je suis enchanté, finit par dire Cyfrien en s'inclinant légèrement."
Il avait l'air réellement gêné. Il ne fallait pas être une flèche pour comprendre qu'il n'était pas à l'aise avec les relations sociales. C'est souvent le cas des sorciers ermites. Après tout c'est pour cela qu'ils se cloîtrent dans leurs tours. Cependant il était détendu et n'avait pas l'air de se sentir menacé le moins du monde. J'ai discrètement fait signe à ma fine équipe de se détendre.
"Nous de même, ai-je répondu en lui rendant son salut. Je suis Monarque. Voici Tapinois, Ciguë, Araignée."
L'avant dernier n'était pas du tout à l'affaire. Je le voyais jeter de grands regards dans les coins, en tripotant sa machette pour s'empêcher de toucher à tout. Pour lui, une telle étude est pareil à un antre de dragon.  
"Que... Que puis-je pour vous?, a demandé le sorcier.
-On voudrait comprendre, mon gars. (Il ne s'est pas offusqué de cette appellation, du moins n'en a-t-il rien montré.) Poser quelques questions.
-Je vous en prie... Mais... Peut-être serions nous plus à l'aise au salon, pour discuter. Jill, peut être pourrais-tu faire chauffer un peu de thé?
-Avec plaisir, maître."
Gil'Haed s'est engouffré dans l'escalier d'un pas gaillard, chantonnant. Franchement, j'avais déjà rencontré plus sinistre comme revenant.
"Je vous en prie... Le salon est à l'étage du dessous..., a dit le sorcier, semblant nous indiquer l'escalier."
Son masque le rendait difficilement audible. Sa voix se résumait à un murmure soupirant. Je l'ai observé de dos durant la descente. Assez troublant, on aurait dit qu'il flottait sur l'air plus qu'il ne marchait. J'ai tenté de faire une estimation sur l'étendu de ses pouvoirs, mais sans arriver à rien de concluant. Il devait cependant avoir un certain niveau, pour avoir réussi à disperser toute une meute de ces horreurs mutantes. Il a poussé une porte ouvrant sur une pièce confortable, et chaude grâce à l'âtre qui brûlait quiètement en crépitant. Six fauteuils vieux mais moelleux entouraient une table basse d'un style un peu vieillot. Cyfrien nous a indiqué de nous asseoir en faisant de même. "Etrange", me suis-je dit. Je n'avais toujours pas vu ses mains, ni ses bras s'agiter. Vraiment perturbant. Tapinois affichait la tête patibulaire du type qui préférait tailler dans du sorcier plutôt qu'une bavette avec ce même sorcier. Araignée se prélassait dans son fauteuil en y allant de son éternel petit commentaire tandis que le vieux muet paraissait franchement déçu d'avoir quitté si vite la salle de jeu du mage.
"Donc... Monsieur Monarque... Vous disiez vouloir me poser... quelques question?..."
Sa voix, en plus d'être faible, était traînante et donnait l'impression sérieuse que parler lui était une épreuve épouvantable.
"Ouais. A propos d'un certain type de créature mutante avec des dents comme ça.
-Ha..."
J'ai attendu en vain qu'il développe un peu.
"Vous voyez ce dont je parle?
-Oui. Les changeformes...
-Les changeformes en effet.
-Et... Que puis-je faire pour vous?
-J'aimerais comprendre. Voyez-vous, maître Tael, de la petite mais sympathique bourgade d'Ashenvâl, nous a offert une petite fortune pour vous tuer, sous prétexte que vous étiez la cause de cette épidémie. Mais votre serviteur, Jill, nous a affirmé que vous n'y étiez pour rien.
-Ha. Je vois..."
Il s'est redressé un peu plus dans son siège, droit comme un I. Il n'avait pas l'air autrement plus nerveux d'avoir en face des typés payés pour lui faire la peau.
"C'est fâcheux."
Au même moment, Gil'Haed est entré avec un plateau sur lequel reposaient cinq tasses et une théière bleue marine. Il les a posé sur la table basse et s'est installé à son tour. Je suis sûr que s'il avait encore des lèvres, ce garçon sourirait à tout bout de champ.
"Je... Vous l'affirme moi même, je n'ai rien à voir là-dedans. Pour preuve... Ces créatures m'assiègent régulièrement.
-Une idée du pourquoi? Ou du comment sont-elles arrivées dans les environs?
-Non... J'ai étudié un ou deux spécimens...
-Vous en avez capturés?!
-Non... Jill a réussi à en tuer deux. J'ai étudié les corps."
Ce même Jill m'a tendu une tasse fumante sentant bon la menthe.
"J'ai noté un organisme extrêmement résistant à tout facteur létal. Outils tranchants, contondants, perforant, poisons, acides, feu... Leur vitesse de régénération est également impressionnante. Leur système interne continue de fonctionner après le décès, et un individu bien conservé peut revenir à la vie au bout de quarante huit heures. Cependant, si la tête est coupée et ou le coeur détruit, la mort est irréversible. Je n'ai hélas, pas trouvé l'agent pathogène, si tant est qu'il en existe un. L'infection se transmet de façon inconnue. Voilà tout ce que je peux vous dire."
Après ce compte-rendu, qui pour lui devait tenir lieu de discours, il s'est retiré dans un silence profond qui nous a permis de réfléchir. L'histoire se compliquait. Si ce n'était pas lui, qui?...
"Et lui?, ai-je fait en montrant Gil'Haed pour changer de sujet.
-Moi?
-Ouais. C'est vous l'auteur? La Nécromancie n'est guère tolérée, 'savez."
Cyfrien a secoué la tête en regardant son serviteur.
"Ce n'est pas mon fait... Résurrection spontanée."
J'ai failli m'étouffer avec mon thé (délicieux d'ailleurs.). J'ai regardé le sorcier avec des yeux ronds.
"Sérieusement?
-Et bien... Oui.
-Mais... Pourquoi? La Chronique ne dénombre que 4 précédents, et tous avaient soit de super-pouvoirs soit des motifs obsessionnels démentiels."
Cyfrien a porté un regard brillant sur moi. En parlant de la Chronique, je venais de révéler mon appartenance à la caste des barbus à chapeaux pointus.
"Je l'ignore. J'ai émis l'hypothèse d'un influx de mana par les canaux frontaux périphériques, si on admet que l'origine des changeformes est magique et non biologique. Le cortex proto-génétique de Gil'Haed aurait pu absorber des résidus substantiels de magie brute, qui combinés à mes propres sortilèges et la magie volée à ses victimes antérieures auraient provoqué une injonction de mana, ancrant son esprit dans son corps. Une sorte d'auto-régénération de l'âme..."
J'ai hoché la tête, pensif. J'aime parler à des gens qui s'y connaissent.
"Cela me paraît un peu tiré par les cheveux tout de même. Gil'Haed n'ayant pas été de son vivant mage lui même."
Mis à part moi et mon nouveau copain, tout le monde dans la pièce se dévisageaient avec des grands yeux perdus. Ciguë un peu moins. Je le soupçonnais de saisir quelques notions. J'allais continuer le débat, passionnant au demeurant, lorsque que le premier coup sourd a retenti. Le bruit était trop caractéristique pour être autre chose qu'une porte qu'on enfonce. Moi, Tapinois et les autres nous sommes relevés d'un bond, prêts à tailler dans le vif. Cyfrien et Belmont gardaient leur calme.
"Ce n'est rien, messires, fit le second. Ce sont les changeformes. Vous avez du les attirer avec votre odeur. Ils seront partis bientôt."
Boom, boom. Les coups se répétaient. Sans vraiment savoir pourquoi, j'eus un mauvais pressentiment. Comme nos hôtes ne s'affolaient pas, nous les imitâmes. Un hurlement de triomphe perça la nuit.
De triomphe?
Cyfrien avait entendu la même chose que moi. Fronçant l'un de ses fins sourcils, il se leva et vint se poster devant la fenêtre. Il se pencha pour mieux voir. Rien ne trahit un quelconque changement chez lui.
"Monsieur Monarque... (Sa voix était hésitante, comme si la question qu'il allait poser le peinait par avance.) Avez-vous remis la barre en place?... Dans le hall..."
Pris au dépourvu, j'ai balbutié un "heu..." avant d'envoyer Liz me chercher l'information.
"Oui."
Dans la seconde, Perigniac s'envolait littéralement vers la porte et dévalait l'escalier dans un tourbillon de cape.
"C'est fâcheux, fit Cyfrien de sa petite voix.
-Qu'est-ce qu'il y a?, ai-je demandé en me relevant, nerveux.
-La barre était le garde fou du complexe de sortilèges... En la rabaissant, vous avez... sans le vouloir, détruit toutes mes défenses. La tour est perdue."
J'ai accouru à la fenêtre pour voir à quoi on avait à faire. Ma gorge s'est desséchée en une seconde. Une marée de ces choses prenaient le repaire d'assaut! Et nous avions eu toutes les peines du monde à en envoyer 3 ad patres  dans la forêt!
"Y a-t-il une autre issu?, voulut savoir Tapinois qui malgré tout gardait la tête sur les épaules.
-Hélas... Peut être y en a-t-il une dans les catacombes... Mais je ne les ai jamais explorés... Ce pourrait tout aussi bien un piège mortel.
-Tant pis, ai-je dit. On s'en contentera."
Nous avons rejoint Jill dans le hall. Grâce à sa rapidité de réaction, la porte tenait toujours. Mais pour combien de temps? Cyfrien a soulevé un tapis miteux, révélant une trappe en bois massif avec un gros anneau en fer forgé. Au même moment, la porte explosait dans une pluie d'échardes. Une marée puante de crocs, de yeux rouges, de griffes, de peau albinos et d'oreilles pointues s'est engouffrée en hurlant comme un choeur de damnée dans la tour. Sans perdre de temps, j'ai projeté une balle de feu dans le tas. Deux individus se sont embrasés comme des torches, mais à part les arrêter quelques secondes ce n'eut aucun effet notable.
"Chiasse, ai-je juré.
-Il faudrait m'aider avec cette trappe, a dit le sorcier. je n'y arriverai pas seul."
Sa voix ne trahissait aucune peur. Araignée et moi avons accouru à son secours. La vague de changeformes s'est brisée sur trois gros rochers. Jill en a décapité trois d'un coup de son sabre long. Tapinois a engagé un corps à corps furieux, faisant danser ses dagues comme des éclairs d'argent. Ciguë quant à lui, tranchait dans la masse, sans faire de tâches. Image assez cocasse, me suis-je dit en tirant ce fichu anneau. Un grand échalas maigre comme un clou et couvert d'un seul pagne, contre une armée de monstres avec des pattes comme des poutres.
"Aller, encore un petit effort, a éructé Araignée en bandant ses muscles de plus belle."
Sous nos assauts conjoints, la trappe a fini par s'ouvrir en poussant un soupir. Un vent vicié nous a sauté au visage, en même temps que nous avisions un escalier étroit, glauque et noir comme une tombe. (ce que c'était au demeurant.) Sans perdre de temps, je me suis engouffré dedans. Araignée sur les talons j'ai couru jusqu'à déboucher sur une salle plus vaste, même si je n'y voyais rien. Les cris des mutants se sont arrêtés lorsque la trappe fut refermée par Jill. Mon coeur battait trop vite pour qu'il n'éclate pas.
"Il doit y avoir des torches, par là..., murmura Cyfrien."
Sa voix était tellement proche, et je ne l'avais tellement pas entendu s'approcher que j'ai sursauté malgré moi. Une petite flamme a éclairé sa lugubre bobine.
"Tout le monde est là?, ai-je demandé."
On me dit que oui.
"Des blessés?"
On me dit que non. L'oeil de Gil'Haed brilla lorsqu'il alluma sa propre torche. On discernait un peu mieux les environs à présent. On ne pouvait pas à proprement parler de catacombes, mais plutôt d'un petit caveau familial. Une vingtaine de cadavres embaumés gisaient dans des alcôves le long d'un couloir assez large. L'air était à peine respirable. Nous n'eûmes guère à attendre longtemps avant que des griffes plus tranchantes que des épées n'attaquent le bois de la trappe. Heureusement pour nous, ces choses n'étaient pas assez futées pour saisir la fonction du gros truc rond en métal.
"Qu'est-ce qu'on fait?, a demandé Araignée en tripotant son épée.
-On prie pour que ce tunnel ne finisse pas en cul de sac."
Jill en arrière garde, nous nous sommes enfoncé dans le tunnel, la peur au ventre. Il semblait que ce tombeau deviendrait le nôtre. A l'avant, Cyfrien a poussé un juron tellement étouffé que je ne suis toujours pas sûr de l'avoir entendu. Notre crainte se confirmait : nous étions piégés comme des rats. Le tunnel finissait sur un salle semi circulaire, ne comportant aucune alcôve, ni rien du tout en fait. Mis à part un petit autel de pierre édifié contre le mur du fond. Une monstrueuse idole y trônait. Il faisait trop sombre pour que j'en perçoive les détails.
Les mutants ont rejoints les souterrains en poussant des hurlements victorieux. Leur charge à travers le tunnel a fait trembler les fondations de la tour. Je me suis alors demandé si... Le premier a fait irruption dans notre dernière demeure. Il ressemblait à un cervidé croisé avec un gobelin. Tapinois lui a lancé une dague de jet dans le crâne, mais ça n'eut guère d'effet. Jurant, le petit homme a roulé sur le côté pour éviter un coup de griffes. Gil'Haed s'est porté à son secours en décapitant proprement le monstre. Juste après, le gros de la meute a rappliqué et ça a dégénéré en un foutoir monumental. Notre seul réconfort était que la pièce était bien trop petite pour accueillir plus d'une dizaine de mutants en sus de nous. J'ai tiré mon épée le dernier pour ma survie. Le corps à corps était confus, de par la proximité des corps, les gesticulations incessantes des monstres et les cris, ainsi que la trop mauvaise lumière. Pour maximiser mes chances, je me suis reculé jusqu'à toucher un mur du dos. Je n'avais aucune possibilité de recours magique, car il m'était périlleux de me déconcentrer ne serait-ce qu'une seule seconde. Je m'épuisais déjà rien que pour repousser deux tronches de canard cannibales. Tapinois avait été piégé au centre de la mêlée, mais pour lui c'était un plus. Dans cet enfer, sa petite taille lui donnait un avantage considérable. Il donnait l'impression de se fondre dans les ombres et de jaillir d'elles à la vitesse de l'éclair - ce qui était peut être le cas, pour ce que j'en sais. Plus réaliste, Araignée se servait d'un corps comme d'un bouclier pour repousser ses assaillants et multiplier les estocades, souvent mortelles. Ciguë tomba le premier. Malgré son habilité à la machette, il était bien trop grand et trop faiblard pour lutter efficacement. Un des mutants lui sauta sur le dos et mordit dans son cou. Muet, Ciguë ne cria pas, mais son expression fut assez éloquente. Une marée d'animaux humanoïdes le fit ployer. Un rayon de pures ténèbres fusa depuis le mur opposé au mien. Vrombissant, il traversa la masse des corps en y laissant des trous parfaitement nets et non sanguinolents gros comme des rochers. Les monstres touchés ne se relevaient pas, ou titubaient, hagards, à la recherche d'une jambe ou d'un bras, voir des deux. Ayant rempli son office, le Rayon Chaotique d'Ulfuras, car tel était le nom de ce faisceau d'anti-matière, disparu dans les limbes. Effrayé par ce revirement soudain, les changeformes poussèrent des couinements inquiets. Rasséréné, je plantai ma lame dans le coeur d'un adversaire. J'aperçus Cyfrien, acculé contre un mur. Jill lui faisait un rempart de son sabre, pendant qu'il incantait. Une sphère invisible apparut devant lui, brouillant tout ce qu'elle reflétait. Un second rayon, beaucoup plus destructeur que le premier en jaillit, ajoutant d'autant à la panique ambiante. Mais si ce régime se montrait proprement efficace, la marée mutante ne semblait pas vouloir finir. De plus en plus de poussière, remarquai-je, tombait du plafond. Mon idée me revint en tête. Elle était peut être notre seule chance de survie, mais pouvait, au contraire, accélérer notre trépas. Décidant de jouer le tout pour le tout, je fis exploser les fondations de la tour.
Le monde sombra dans la folie.

silver:
Magnifique, j'adore tout simplement!

Bonne continuation!

Great Magician Samyël:

silver:
Magnifique, Superbe, Sensationnel! Je suis au septième ciel!

J'adore tous le développement de l'aventure, l'aspect critique de la situation. La révélation de ce qu'était le lieu où la tour se trouvait pour ces changes-formes.

enfin pour résumer, j'adore tout.

Vivement qu'on soit demain, j'ai hâte de voir ta surprise.

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