La Horde du Contrevent est un roman français écrit par Alain Damasio et qui, après sa parution en 2004, a remporté le grand prix de l'Imaginaire de 2006.
Il s'agit d'un ouvrage de science-fiction assez unique qui se distingue à la fois par son fond et sa forme, puisqu'il se fonde notamment sur le vent (et ses multiples manifestations) et est numéroté à l'envers, c'est-à-dire de ~700 à 0 pour le format de poche. D'ailleurs, je vous arrête tout de suite : si le roman a bien été estampillé "science-fiction", il ne faut pas du tout s'attendre à un contenu futuriste et robotisé. Non, ici l'accent n'est pas mis sur la technologie mais plutôt sur l'originalité de ce qu'on pourrait appeler un livre-univers.
Car ce livre est vraiment un univers à lui tout seul, et je pèse mes mots. Il est tellement à part, même, qu'on peut se retrouver complètement perdu au début. Il faut dire que l'auteur ne prend pas le lecteur par la main et le plonge
manu militari dans son monde balayé par les vents. Mais je vous rassure, il n'y a pas de crainte à avoir. La lecture nécessite un petit temps d'adaptation au début, mais une fois acclimaté, on se laisse aisément emporter ! Le contenu est tellement riche et vibrant qu'il serait dommage de se fier à ces premières impressions, aussi dissuasives soient-elles.
Bien, cet avertissement lancé, intéressons-nous maintenant un peu à l'intrigue. Et là, un premier problème se pose : que dire sans paraître évasif ou idiot ? Car l'histoire se résume en bien peu de mots, en vérité : c'est la 34ème Horde que l'on suit, composée de ses 23 membres, dont la mission est de trouver l'
Extrême-Amont en remontant à contre-courant depuis l’
Extrême-Aval les flux venteux les plus violents. Le monde ici n'est quasiment pas décrit (ou si peu) mais suggéré, volatil. On le ressent à travers la quête onirique et honorante des 23 "hordiers", qui nous font vivre à tour de rôle leurs opinions, leurs peurs et leurs espoirs. Ils se battent sans cesse contre les bourrasques, le corps et l'esprit forgés par un entraînement subi depuis l'enfance, pour un but qui paraît bien futile au premier abord, mais qui est évidemment d'une portée symbolique extrêmement forte : l'origine du vent.
Ce même vent qui façonne tout, qui tue et qui fait vivre, et qui parcourt la totalité d'un monde sans jamais s'essouffler. Ainsi, le vent détermine presque tout dans ce livre, que ce soit la technologie (des chars à voile aux hélices les plus sophistiquées), les modes de vie ou même certains noms, puisque les hordiers appellent les habitants qui se terrent dans leurs maisons en forme de goutte (pour des raisons d'
aérodynamisme) les
abrités.
C'est à travers la quête d'une horde, donc, qu'on apprend à connaître les protagonistes principaux. Et croyez-moi, cette horde a tout d'hétéroclite, et ça va vraiment loin, puisque l'auteur n'hésite pas à faire varier son style selon le personnage qui s'exprime. Ainsi, on trouve par exemple Sov, scribe de la Horde et d'un tempérament plutôt calme et réfléchi, Caracole, troubadour fantasque et loufoque à l'extrême ou encore Golgoth, "traceur" et meneur de la Horde, grand forcené au bagout certain.
Ce qu'il y a de génial avec ces personnages, c'est qu'ils sont tous différents, qu'ils ont tous une fonction bien définie au sein de la Horde et qu'ils nous exposent tous leur point de vue au fil des pages au moyen d'un procédé très bien senti. Alain Damasio fait en effet s'exprimer les hordiers à tour de rôle en faisant commencer leur récit par un symbole (comme celui-ci
¿´ ou celui-là
Ω par exemple), ce qui lui permet de faire alterner très vite les intervenants. Au début, ça laisse un peu perplexe, d'autant qu'on est obligé de chercher à chaque fois quel symbole appartient à qui, mais au final on s'habitue très vite et en plus le marque-page fourni avec le livre est justement aux couleurs de la Horde, avec les runes et les personnages inscrits dessus.
Mais ce n'est pas tout : comme je l'ai déjà mentionné, l'auteur change sa manière d'écrire selon le personnage qui raconte, et franchement, il excelle à cet exercice. Quand on passe du discours très soigné du scribe à la gouaille de Golgoth, tout en finissant la pirouette sur les envolées incroyables et drolatiques du troubadour, croyez-moi, le contraste est absolument saisissant. Jongler avec tous ces caractères et ces styles, déterminés à la fois par l'environnement, les événements et la fonction des personnages, c'est un véritable coup de maître. Et bien sûr, ça n'en rend la Horde que plus vivante et plus attachante, comme une mosaïque composée de multiples couleurs, en somme.
Bref, je ne vais pas m'étaler plus sur la présentation, je pense que vous avez compris toute l'originalité et la force du livre.
A un niveau plus personnel, je dirai que ce livre a été une véritable expérience. Je l'ai adoré et je l'adule littéralement, n'ayons pas peur des mots. La narration, l’univers, le style, l’intrigue, la dimension allégorique du récit… tout m’a plu. Rarement j'ai été aussi surpris et embarqué dans la trame d'une œuvre. Alain Damasio manie tellement bien les mots que ça en devient ahurissant (il en a attrapé la grosse tête d’ailleurs, si j’en crois les interviews que j’ai lues de lui, mais il peut se le permettre). Ses phrases sont travaillées, fluides, variées, poétiques ; elles font mouche à tous les coups. Et les personnages sont tellement humains qu'on les voit presque évoluer sous nos yeux. Je voue même un culte à Caracole, le troubadour de la bande, qui est si fantastique et dépaysant qu’il a fait vaciller le piédestal que j’ai érigé pour le fou de
L'Assassin royal, aka mon personnage préféré tous romans confondus. Non, vraiment, ce livre est incroyable et je lui connais peu de défauts, à part un sentiment de désorientation un peu trop poussé peut-être et certaines situations assez discutables, mais c'est franchement rien par rapport aux multiples qualités que l'ouvrage revêt.
Certains passages notamment sont absolument ahurissants. Je veux pas vous spoiler, donc je ne parlerai qu'en termes vagues, mais il y a un combat sur fond de discussion philosophique dans ce livre (deux scènes parallèles en fait) qui m'a fait dresser les cheveux sur la tête tellement il est dingue. Ça et une joute verbale énormissime entre le troubadour et un personnage extérieur à la Horde qui transpire le génie. Que d'émotions et d'admiration j'ai pu ressentir à ces moments-là !
Et puis la portée symbolique du bouquin est d'une immensité telle qu'il est impossible de passer à côté. Les réflexions sur le vent, le mouvement et l'origine du monde entre autres sont particulièrement intéressantes et riches. La quête d'un idéal fantasmagorique comme celle de l'
Extrême-Amont est également sous-tendue par une analogie très évocatrice, je trouve. Après, j'exagère sûrement en affirmant qu'on ressort grandi de cette lecture, mais moi ça m'a marqué à vie.
D'ailleurs, détail que j'ai oublié de mentionner dans la présentation : le vent est à ce point central dans le livre qu'il existe un système de notation pour le représenter. L'auteur l'a totalement inventé, avec les signes de ponctuation qu'on trouve sur nos claviers et des espaces. Bref, c'est génial, je vous fais pas un dessin.
Ce qui m'a énormément plu aussi, c'est que l'auteur a su s'éloigner des sentiers battus de la SF en proposant un monde terriblement original. C'est d'autant plus vrai que je ne suis pas du tout fan de SF, en temps normal. Alain Damasio a foulé du pied les partis pris et les clichés du genre pour bâtir son propre univers, et c'est tant mieux. On peut presque parler de littérature de résistance, en un sens.
Et si certains ont été déçus par la fin (la fameuse page 0 :p), moi je ne l'ai pas été, à part peut-être parce que c'était la fin, justement. Il s'agit d'un véritable aboutissement en fait et il se justifie pleinement. Sachant que le livre devait faire partie d’un dytique à la base (projet malheureusement abandonné
), l’auteur a su, selon moi, mettre le point final qu’il faut à son chef-d’œuvre.
Mon seul regret, je crois, c'est que
ça soit si court les hordiers interagissent finalement très peu avec les habitants et qu'on n'en apprenne pas plus sur leur mode de vie, leur culture etc. Pour qui a lu le livre, ça s'explique aisément, mais ça m'a tout de même manqué au fil des pages.
Bref, pour compléter le tout, j'ajouterai à l'intention des amateurs d’œuvres-univers et d'expériences nouvelles que la version de luxe du livre contient un CD audio spécialement composé pour le livre et son ambiance. Moi je ne l'ai pas, hélas, ayant opté pour la version de poche, mais je ne doute pas qu'il complète bien le livre et qu'il fasse revivre la quête de la 34ème Horde avec brio.
Et enfin, si vous voulez vous faire une idée plus précise de ce livre, je ne peux que vous conseiller le mini-site qui a été créé à l'occasion de la sortie de l'ouvrage. Il est assez rudimentaire et peu ergonomique, mais il a le mérite d'être très éclairant sur l'univers qui compose le livre :
http://www.lahordeducontrevent.org/univers/accueil.htmlBon, en fait j'ai encore une chose à dire, mais après promis j'achève mon soliloque. :o
Pour ceux que ça intéresse et/ou qui ont lu le livre, sachez qu'une adaptation cinématographique est actuellement à l’étude. Il s'agira d'un film d'animation orchestré par Jan Kounen (
99 francs) avec un budget de 18 millions de $. Le tournage n'a pas encore commencé mais bon, on verra bien. J'ai un peu peur de voir une telle adaptation voir le jour (car qui dit adaptation dit compromis) mais je suis à la fois très excité à l'idée de vivre à nouveau - et autrement - cette expérience fabuleuse qu'a constitué pour moi
La Horde du Contrevent. :niais:
Voilà, c'était mon pavé du soir. A bientôt pour de nouvelles aventures.