Je venais parler du Bruit des glaçons et dire que j'allais remplir un peu plus ce topic maintenant que j'ai enfin le temps de me mater pléthore de films (je tourne à deux films par jour depuis lundi).
Donc le Bruit des glaçons, c'est bien, c'est de l'humour bien noir avec des purs moments de tension et d'absurde, mais après, sur un plan purement cinématographique, c'est pas non plus énorme. La fin est bof.
Voilà, j'ai pas envie d'en parler plus que ça car je viens de lire le pavé de Mondaye sur 2001. C'est fou comment on peut avoir une chose différente de la chose. Je serais curieux que tu parles un peu des plus des deux hypothèses que tu aurais écrites, car tu les évoques mais tu nous les dévoiles pas, or, je vois pas comment on peut anticiper la fin de 2001 au moment du trip psychédélique.
Bref, pour moi, ce film est juste le deuxième plus grand film de tous les temps derrière Mulholland Drive et c'est bien le plus grand chef d'oeuvre de Kubrick (et je précise que j'ai dit pour moi). Et c'est en grande partie grâce à sa réalisation.
1968. C'est la date de réalisation de 2001. Alien c'est 1980, et ça a limite plus mal vieilli. Je pourrais prendre tout un panel d'environ 50 films de SF des plus cultes entre les années 60 et 90 qu'on pourrait les trouver dépassés que ce soit techniquement, esthétiquement... Mais la plus grande qualité de 2001 c'est bien d'avoir su conserver une incontestable intemporalité.
Bref, personnellement, je me fiche de l'excentricité / orgueil de Kubrick, s'il a senti qu'il était un géni, pour moi il était pas orgueilleux il était lucide, et la citation que tu as postée dans ton message, Mondaye est à mon avis largement valide. Lorsque Kubrick a eu le projet de réaliser 2001, il l'a réalisé dans l'ambition d'en faire le plus grand film de SF de tous les temps et c'est pour moi chose réussie car comme dans tous ses films, il y a un rapport et une tension entre un genre, ses codes et leurs détournements. 2001 est autant un film de SF qu'un essai philosophique, je vois pas comment on peut nier la dimension philosophique de ce film.
J'étaye un peu plus mon propos : d'abord, comment un film peut-il être philosophique ? Est-ce qu'à un moment donné le film doit dire "attention je vais faire de la philosophie" ? Genre un personnage qui commence à parler et à citer des philosophes ? Ou genre des réflexions énoncées par des personnages qui doivent se répondre et dialoguer ? (syndrome Godard) A mon avis, ce n'est pas comme cela qu'il faut faire.
Dans 2001, on nous parle jamais de la philosophie, on est dans des délires symboliques qu'il faut analyser séparément et en détail. Toutefois, le film se suffit à lui seul et ne concerne pas la philosophie à proprement parler. 2001 l'odyssée de l'espace pose des problèmes purement cinématographiques via des procédés cinématographiques. Là, c'est obscur. Mais si je parle de l'incroyable qualité du son et du rapport entre le son et l'image dans ce film on me comprendra peut-être mieux. Le rapport entre le son et l'image dans un film se nomme synergie. Selon la tonalité du film, la musique et l'image peuvent aller dans le même sens (pour un passage triste, une musique triste, c'est globalement le cinéma classique (Autant en emporte le vent...) et les comédies bateaux que l'on trouve par milliers) ; l'image et le son peuvent être dans un sens contradictoire, ce qui crée un éloignement du sujet, un certain recul, déjà grâce à cela naît un poil plus de sens en créant de l'ironie par un procédé purement cinématographique (une musique rigolote sur un moment triste peut décaler le propos, l'ironiser, ou paradoxalement l'intensifier).
Et il peut y avoir aussi une synergie un peu à part, que Michel Chion nomme contrepoint didactique. Cela veut dire que l'image et le son ne vont plus ensemble, ils sont a priori complètement étrangers, mais comme on les accole ensemble, il se passe malgré tout une synergie et cela peut avoir des répercussions assez uniques. Par exemple une valse sur des images de l'espace. Pourquoi ? Il y a un choix derrière ce qui a priori peut paraître absurde. Il faut d'abord se demander ce qu'est la musique : Le beau Danube bleu de Johann Strauss. Et puis, qu'est-ce que cela apporte aux images ? On passe de simples images de satellites dans l'espace à une chorégraphie, une véritable danse. Il se crée une expérience unique, on est dans la plus pure expression de l'expérience cinématographique, on ne peut vivre cela nulle part ailleurs (enfin depuis on le peut, et vraiment n'importe où, je pense que tout le passage dans l'espace, dans FF8 est un réel hommage par exemple).
Or, donc on a un problème étrange, que peut provoquer, sensiblement ou philosophiquement, le fait d'écouter une valse sur des images de satellites ? Est-ce un message sur la conquête de l'espace ? Est-ce un simple instant de poésie ? Là où cela devient intéressant, c'est que le traitement du son est extrêmement rigoureux chez Kubrick, et c'est donc le premier réalisateur à insister sur le silence pesant de l'espace. C'est la première fois qu'on a une véritable ambiance glaciale de l'espace, on est loin des explosions de vaisseaux de Star Wars, véritable aberration scientifique, par exemple. Kubrick est le premier à respecter dans le cinéma cette loi primordiale : l'espace c'est du néant et le son ne se propage pas dans le vide. Ainsi est née l'une des scènes les plus mémorables et marquante du cinéma de science-fiction : cette excursion hors du vaisseau avec le glacial "Open the door Hal" qui est sans appel.
Maintenant, il y a un problème purement cinématographique : pourquoi les seuls sons que l'on entend dans l'espace sont ceux relatifs au cosmonaute, et qui sont donc purement subjectifs (à l'intérieur de son petit cockpit c'est un chaos sonore), alors que le beau Danube bleu peut résonner avec force dans l'étendue vide ? Quelle est la place de la musique ? Est-elle au-delà du vide ? Est-ce qu'elle est subjective à quelqu'un ? A-t-on, l'espace d'un instant, été proche de quelqu'un sans que l'on s'en rende compte ? La musique a une place extrêmement forte dans 2001 car elle pose problème, elle pose des questions et n'apporte pas de réponses, seulement des interprétations, mais lorsqu'on entend, à la fin du film, résonner les notes de Ainsi parlait Zarathoustra, il y a un lien évident avec la philosophie de Nietzsche qui se crée (là ce n'est plus moi qui parle j'suis pas un grand connaisseur de Nietzsche même si je le souhaiterais).
Par ailleurs, il y a des tonnes de détails dans ce film. Par exemple, les deux cosmonautes qui ne feraient qu'un en réalité (ils sont toujours filmés de manière complémentaire, l'un est droitier l'autre est gaucher, etc.). Mais si je dois rester sur le son simplement, je crois que c'est un film qui apporte des tonnes de nouveauté et de réflexion comme pas d'autres. Rien que lorsque les scientifiques sont débranchés et que l'on a ses signaux d'alarme, c'est quasiment une des premières fois que l'on a ce code sonore dans le cinéma (c'est désormais un cliché), on a également d'autres questions à travers le décryptage de Hal lorsque les deux cosmonautes se parlent en aparté, nous on entend rien , on ne voit que leur bouche, mais l'ordinateur comprend tout.
Bref, je pense que je suis assez fouillis et imprécis comme ça, je vais m'arrêter là, mais voir 2001 ainsi rabaissé, désolé, fallait que je me réveille et que j'impose une nouvelle discussion dessus