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|Dans le Maelström de Krystal| - Quelqu'un a dit Yaoi ?
Krystal:
Bon, j'up un peu ce topic pour deux choses : pour vous annoncer que, enfin, la Fiction de l'Été est intégralement postée, non seulement sur le Site de Puissance-Zelda, mais également sur mon compte FanFiction.net, pour les petits curieux.
La deuxième chose est un projet que j'aimerais vous faire partager, et que j'ai commencé y a un moment déjà. Vous connaissez le film Les Cinq Légendes ? Et bien c'est l'univers de mon projet.
Il est bien entendu conseillé d'avoir vu le film pour lire ce prologue, parce que je pense que vous n'allez presque rien comprendre sinon.
Le début est un peu long, mais ça commence surtout à la fin.
Donc voilà, le prologue et le premier chapitre sont terminé, la trame d'ores et déjà décidée, il ne reste plus qu'à l'écrire. Et si je le poste aujourd'hui, c'est, je pense, pour me motiver à écrire, parce que c'est un peu la dèche en ce moment.
Voilà voilà, que pensez-vous de ce prologue, hum ?
Rise of the Guardians : Prologue
Jack n’oublia jamais cette nuit d’octobre.
Sautant d’arbre en arbre avec une aisance qui lui était propre, l’esprit de l’Hiver vagabondait près de Burgess en sifflotant une vieille comptine française. À cette heure avancée de la nuit, une bonne partie du village s’en était allée dans les bras de Morphée, et les quelques grains de sable doré qui subsistaient encore dans les airs pouvaient clairement en attester. Mais le jeune homme n’avait pas besoin qu’il fasse jour et que les rues soient bondées de monde pour s’amuser. Après tout, il avait été seul chaque nuit durant plus de trois cent longues années, et il avait vite appris à s’occuper, à défaut de pouvoir changer de continent à chaque fois. Il y avait tellement de choses à faire qu’il n’avait que l’embarras du choix pour commencer à profiter de sa nuit.
En étouffant un rire, l’adolescent atterrit sur une branche avec tellement de force que la quasi-intégralité des feuilles orangées en tomba. Il aimait bien l’automne : non seulement il annonçait le début de l’hiver – qui était pour lui une période de réjouissance – mais également parce que la nature se dépouillait de ses biens et que cela en était amusant. Les feuilles mortes, par exemple : quelle joie de les faire virevolter dans les airs après qu’un malheureux bonhomme eut passé la matinée à toutes les rassembler au prix de son pauvre dos. Le voir râler et jurer tout en maudissant le temps était tout simplement exquis et n’avait de cesse d’amuser l’esprit qui restait plié de rire de longues minutes. Il adorait également regarder les disamares s’envoler des érables et tournoyer sur elles-mêmes avant de s’échouer plus loin, ou encore la pluie s’inviter sans prévenir et les courants d’air glaciaux se lever. Et puis, il s’entendait bien avec l’esprit de l’Automne, bien que cette jeune rousse se soit montrée assez asociale au début de leur relation. Leurs rencontres étaient d’ailleurs trop rares pour qu’il la qualifie d’amie, et les brèves occasions de lui parler étaient trop courtes pour qu’il fût en mesure de nouer avec elle un quelconque lien. L’esprit regrettait amèrement ce fait, surtout qu’il ne s’entendait pas avec les deux autres saisons, qui avaient en horreur le froid.
En époussetant une feuille venue se coller à son sweat-shirt, Jack leva la tête vers le ciel, sombre. Cette grande dame était absente ce soir. Cela se produisait une fois par mois : l’Homme de la Lune se retirait, dévoilant ainsi la face cachée de sa planète et lui laissant alors une nuit de répit. D’après les dires de Fée, ce bon bonhomme devait surtout angoisser vis-à-vis des enfants, parce qu’il les laissait sans surveillance. Même en présence des Gardiens, il ne devait pas être tranquille. Et il avait toutes les raisons de ne pas l’être. Car quand son regard perçant était absent, il s’en passaient, des choses.
Ses compères avaient eu beau le prévenir, l’adolescent avait fait la sourde oreille : les nuits sans lune étaient dangereuses. Simple esprit, il n’avait rien remarqué. Jouant un rôle mineur – faire tomber la neige et verglacer les routes n’étaient apparemment pas quelque chose d’essentiel –, il avait suscité un intérêt quasi -inexistant auprès des Facétieux et avait ainsi bénéficié d’un droit à la liberté qu’il exerçait chaque jour depuis qu’il avait été créé. Mais à l’instant exact où il avait juré de protéger les enfants, se sacrant ainsi Gardien de l’Enfance, il fut considéré comme dangereux et pris pour cible.
Les Facétieux, c’est ainsi qu’ils aimaient se faire appeler. Simples élémentaires, ils avaient eu la réputation durant de nombreux siècles d’être farceurs et de ne manquer aucune occasion pour faire une petite bouffonnerie aux humains une fois la nuit arrivée. Mais l’extension du Royaume de la Lune et les réprimandes de cette dernière face à leur attitude ont changé la donne : se tapissant dans les sombres recoins, ces petits groupes évitaient aujourd’hui de sortir et préféraient quand l’astre était absent pour se glisser hors de leur trou. Au fil du temps, leurs contacts avec les esprits nés de la main de Lune s’étaient dégradés et les élémentaires vouaient à présent une aversion totale pour chaque être ressuscité au moyen des rayons lunaires. Mais malgré cette haine persistante, seuls les Gardiens devaient faire face à leurs attaques, et surtout les nuits sans lune. Le jeune esprit avait déjà eu affaire à eux, la première fois où il avait dû rejoindre l’atelier du Père Noël en urgence : d’apparence presque humaine, ils pouvaient se matérialiser et se dématérialiser à volonté en fonction de l’élément dont ils dépendaient. Il y en avait quatre principaux : les Facétieux aquatiques, les Facétieux terrestres, les Facétieux volatiles et les Facétieux incandescents. Chacun représentant l’un des quatre éléments qui régissaient l’équilibre de la Nature. Il y avait bien entendu des dérivés de chacun d’eux, ce qui faisait qu’il existait des Facétieux de glace ou des Facétieux électriques. Bien trop d’ennemis qui se terraient patiemment en attendant qu’un Gardien pointe le bout de son nez pour l’attaquer.
C’était pour cela que Nord, après lui avoir rappelé qu’il était alors trop dangereux de sortir cette nuit, et ce comme chaque nuit sans lune de chaque mois durant les deux dernières années, l’avait enfermé sans remords dans l’une des chambres du Pôle après lui avoir jovialement ri au nez à travers la porte quand il avait voulu s’enfuir. Mais loin de se décourager, Jack avait trouvé le moyen de sortir et il était actuellement en train de faire le mur. Ce n’était pas très responsable de sa part, mais qui le remarquerait s’il revenait dans sa chambre sain et sauf avant le petit matin ? Après tout, il n’était pas de nature à se laisser enfermer.
Sortant de sa rêverie, l’esprit de l’Hiver se redressa et se remit en route. Il s’éloigna de Burgess à grands sauts de puce pour s’enfoncer dans l’amas sombre que constituait la forêt et entreprit de rejoindre son lac, là où il avait vu le jour en tant qu’enfant de la Lune. Cela faisait longtemps qu’il n’y était pas retourné, il n’aurait d’ailleurs jamais cru que les Gardiens avaient autant de responsabilités aussi contraignantes. En deux ans, il n’avait pas eu un seul instant à lui, à part les quelques rares virées en hiver, sans en dire un mot à ses compères, où il prenait quelques minutes pour aller rendre visite à Jamie et ses amis. Il avait été seul durant si longtemps qu’avoir des amis – de surcroît ses premiers croyants – était quelque chose de précieux à ses yeux et ne pas les voir souvent était assez difficile. Il prenait un nouvel élan et sautait quand quelque chose attira son attention.
Apercevant de la lumière au beau milieu de la forêt, le jeune homme s’interrogea. Camping ? À cette époque-ci de l’année, c’était peu probable. Une petite balade nocturne ? Il était de notoriété publique que les loups sillonnaient souvent la forêt, personne ne s’y serait aventuré, de surcroît en pleine nuit. Stoppant sa course, l’esprit scruta ce petit point lumineux avec suspicion. Des enfants pouvaient être là-bas, et le devoir qui l’incombait ne lui laissait aucun choix : il devait aller voir de quoi il retournait. En se redressant, le jeune homme adressa une rapide prière à un dieu quelconque. Si c’était important, il devait en référer à un autre Gardien qui saurait alors qu’il s’était baladé cette nuit, et ça, il aimerait éviter.
Son affectation en tant que Gardien était assez récente : à peine deux années s’étaient écoulées depuis la chute du tristement célèbre Pitch Black, et c’était seulement maintenant que Jack arrivait à tout gérer, plus ou moins péniblement. Alors qu’auparavant, sa vie se résumait à la liberté et à la solitude, elle pouvait aujourd’hui être qualifiée de prison dorée : il avait de nouveaux amis sur qui il pouvait compter, mais cela lui avait coûté sa liberté de mouvement. Tant de charges lui étaient tombées dessus d’un coup, et il avait mis plus d’un an avant de concilier ces dernières avec le peu de temps libre qu’il arrivait à se dégager. Il fut d’ailleurs grandement impressionné que ses compères sachent, eux, effectuer leur devoir avec rapidité et efficacité, si bien qu’ils avaient bien plus de temps pour eux que pour les tâches de la Lune qui étaient réglées immédiatement. Jack avait eu beau les questionner, la seule réponse qui ressortait de leurs conseils avisés était la persévérance. Et il comprenait aujourd’hui ce que cela voulait dire.
Intrigué, le Gardien s’approcha plus près de cette source lumineuse. Plus il réduisait la distance qui le séparait de l’endroit illuminé, plus il avait la sensation de connaître les environs. C’est alors qu’il dépassait une petite bute familière que cela lui revint brusquement en tête : la clairière de Pitch n’était plus très loin. Et c’était d’ailleurs de là que provenait la lumière. Un affreux pressentiment prit l’adolescent : deux ans n’étaient pas assez suffisants pour que le Roi des Cauchemars réunisse la force nécessaire pour les affronter de nouveau, mais avec un petit coup de pouce, il pouvait aisément être remis sur pied. Sa surveillance était d’ailleurs l’une des tâches importantes dont devait s’acquitter chaque Gardien. Vérifier s’il était toujours dans son trou, regarder de près les cauchemars qui allaient et venaient, s’assurer qu’il ne trafiquait pas un autre mauvais coup. Même si sa carrure frêle et fière n’avait pas été aperçue depuis sa défaite, il n’en restait pas moins actif, et ce malgré sa faiblesse. Mais jusqu’ici, il n’y avait eu aucun problème et les quelques songes qu’il libérait servaient uniquement à le maintenir en vie. Rien qui puisse inquiéter les Gardiens de l’Enfance, en somme.
Il s’approchait de l’endroit avec une rapidité croissante. La crainte que lui inspirait le retour de son ennemi lui donnait des ailes, et il devait absolument s’acquitter de ce pressentiment qui lui tordait les entrailles. Surtout que faire son grand retour une nuit sans lune était une excellente tactique pour les prendre par surprise, étant donné qu’aucun Gardien ne devait se promener dans ces moments-là. Enfin, théoriquement. Et il était bien capable d’obtenir l’aide des Facétieux malgré son appartenance au Royaume de la Lune, au grand dam de tous. Ça pouvait devenir mauvais pour eux. Très mauvais. Atterrissant enfin aux abords de la fameuse clairière après quelques minutes de course effrénée, tous ses sens en alerte, l’esprit de l’Hiver s’immobilisa et jeta un œil confus tout autour de lui : rassemblés aux alentours de la faille qui marquait l’entrée du Royaume du Croque-Mitaine, des dizaines d’esprits discutaient joyeusement entre eux.
Ils venaient de tous les bords : des naïades chantonnaient au beau milieu d’un parterre de lutins et d’elfes, des nains agitaient leur pioche en déblatérant sur les potins des mines. Voletant au-dessus et décrivant des cercles gracieux, des fées riaient joyeusement tandis que des élémentaires inoffensifs de la forêt jouaient avec la poussière scintillante qu’elles semaient. Des minotaures étaient couchés dans un coin, plaisantant avec ce qui semblait être un vieil Atlante, il était rare d’en voir hors de leur cité mythique. Il y avait même quelques trolls – qui n’étaient pourtant pas réputés pour être de bonne compagnie – assis en dessous d’un arbre et qui sympathisaient avec des esprits. Il aperçut quelques succubes à moitié dénudées se vanter de leur dernière coucherie avec fierté, ce qui arracha à l’adolescent un imperceptible rougissement. Les esprits de l’Aube et du Crépuscule, inséparables, étaient assis côte à côte sur un rocher, silencieux, semblant attendre quelque chose : ces deux-là ne se parlaient jamais, leur présence respective leur suffisait amplement. Il crut même reconnaître l’esprit de l’Été, et aussi celui du Printemps, partageant une corbeille de fruits et une boisson chaude, au vu de la fumée qui se dégageait de leurs tasses colorées.
Jack en restait interloqué. Que venaient donc faire tous ces gens dans un endroit aussi… dangereux ? Un tel rassemblement était inhabituel et soulevait des tonnes de questions.
Il resta immobile de longues minutes, perdu, observant le petit monde qui s’épanouissait devant lui. Son entrée impromptue avait d’ailleurs attiré l’attention puisque plusieurs esprits chuchotaient entre eux en jetant à l’adolescent de petits coups d’œil furtifs, ce qui le rendait plus ou moins mal à l’aise. Il hésitait : que devait-il faire ? Rester pour voir comment allaient évoluer les choses et prévenir un autre Gardien au besoin, ou laisser tout cela en plan ? Il secoua la tête, se sortant cette dernière idée de la tête. Il y avait un rapport avec Pitch Black, le Roi des Cauchemars, il devait rester sur place et constater de lui-même se qui s’y tramait. Peut-être que, si c’était quelque chose d’important, sa petite fuite serait vite pardonnée. Il releva la tête et lorgna d’un air déterminé les personnes présentes. Il fallait qu’il leur demande ce qu’elles faisaient ici en plein milieu de la nuit – surtout une nuit sans lune – mais au vu des regards qu’il avait l’occasion de capter, il s’aperçut très vite que sa présence n’était pas désirée. On prenait d’ailleurs le soin de l’éviter quand on passait près de lui, et cela le perturbait au plus haut point. C’était un Gardien, non ? Pourquoi cette gêne si soudaine alors ?
« Tiens donc, mais regardez qui voilà. »
Perdu dans ses pensées, il n’avait pas vu qu’une silhouette s’était approchée de lui au lieu de le contourner. Sursautant, l’esprit de l’Hiver pivota vers une sublime femme aux cheveux roux et ondulés, cascadant sur ses épaules cachées par un châle sombre et épais. Elle portait ses habituelles bottes montantes noires à talons aiguille et son pantalon en cuir pourpre, tandis que sa célèbre lanterne en forme de navet pendait à ses mains habillées de vernis rouge et de diverses bagues.
« Jack O’Lantern, salua l’adolescent d’une voix morne.
— Frost, répondit la jeune femme sur le même ton. C’est un plaisir de te voir. On fait l’école buissonnière ? Tu sais que c’est dangereux pour toi, par ici.
— Vraiment ? Je ne l’avais pourtant pas remarqué, rétorqua son interlocuteur en affichant un sourire narquois. Voilà quelques heures que je me promène et je n’ai croisé aucune âme errante.
— On se demande bien pourquoi, ricana la rousse. Je ne donne pas cher de ta peau si un Facétieux te tombe dessus. »
Son sourire s’élargit à cette remarque. Bien que l’esprit dHalloween n’eût jamais attaqué celui de l’Hiver, il régnait toujours entre eux une légère animosité à chacune de leurs rencontres. Et pour cause : Jack O’Lantern avait toujours proclamé qu’elle préférait s’allier à Pitch plutôt qu’aux Gardiens, et ces derniers eurent plus vite fait de la considérer en tant qu’ennemie plutôt que d’essayer de la rallier à leur cause. Ils savaient par ailleurs que c’était peine perdue : la fidélité de la rousse envers le Croque-Mitaine semblait éternelle, et elle ne dérogeait jamais à l’un de ses appels. Enfin, c’est ce qui se racontait. Personnellement, Jack n’avait jamais vu les deux compères ensembles, toujours séparément. Il n’avait que très rarement croisé le Roi des Cauchemars avant sa confrontation deux ans plus tôt, et il s’arrangeait toujours pour aller embêter O’Lantern le jour d’Halloween, car ce n’était que durant cette journée qu’il pouvait espérer la croiser. Sa présence ce soir, même si le trente-et-un octobre n’était plus très loin, était pour l’esprit de l’Hiver une grande surprise, et il ne savait pas s’il fallait la considérer comme bonne ou mauvaise.
« Je t’utiliserais comme bouclier humain et je m’enfuirais.
— L’humour te sied si bien. »
Elle fit tourner sa lanterne en affichant un air dédaigneux, et son interlocuteur en profita pour jeter un œil aux alentours. Il ne saisissait pas encore pourquoi tant de monde était rassemblé ici, et son vis-à-vis ne l’aidait franchement pas. Voyant que la rousse n’était pas très encline à la conversation – elle regardait ses ongles d’un air indifférent – Jack tenta une approche, assez maladroite.
« Pitch reçoit, à ce que je vois. »
La femme daigna lever la tête, s’arrachant à la contemplation de ses doigts, pour fixer l’adolescent d’un regard interrogateur.
« Ça a l’air de t’étonner, fit-elle remarquer.
— À vrai dire, j’ai du mal à concevoir que toutes ces personnes aient Pitch comme ami, avoua son interlocuteur en se frottant la joue.
— Il ne l’est pas. Aucun d’entre eux ne lui adresse la parole, à part moi, bien entendu.
— J’ai compris. Ils se sont tous réunis ce soir pour le narguer de leur liberté tandis que toi, tu es venue le défendre, je me trompe ? débita-t-il en affichant un sourire goguenard.
— Absolument. Tu as des idées farfelues, tu sais ? »
Le jeune homme fit la moue. Autour de lui, les esprits commençaient à s’échauffer et les regards se firent plus insistants. Il n’aimait pas ça du tout, pourquoi mettre autant de distance entre eux et lui ? Il était un Gardien, bon sang, un Gardien ! Il veillait sur les enfants, sur leur bonheur, il ne passait pas ses journées à faire le mal, bien au contraire. Ce comportement soudain et étrange le blessait plus qu’il ne voulait l’admettre.
« Il y a quelque chose que vous me cachez ? » demanda alors de but en blanc l’adolescent d’une voix forte.
Des têtes se tournèrent subitement vers lui, des regards s’échangèrent, inquiets. Il avait touché un point sensible, apparemment. Et malgré cela, il ne comprenait toujours pas.
« Pourquoi cacherait-on quelque chose à un Gardien ? répondit théâtralement O’Lantern. Surtout en ce qui concerne le méchant et maléfique Pitch Black ! »
Des ricanements s’élevèrent. Il semblait que leur conversation était suivie avec attention si on considérait le silence d’or qui régnait maintenant dans la clairière. Il se sentait encore plus mal, d’être épié comme ça. Mais quelle idée lui était passée par la tête, de sortir cette nuit ?
« Je suis sérieux, dit le jeune homme. Pourquoi y a-t-il un tel attroupement autour du domaine de Pitch ?
— Pourquoi devrais-je te répondre, Frost ? rétorqua la femme en gardant son enthousiasme exubérant.
— Je ne comprends tout simplement pas, c’est tout. »
Le Gardien commençait à être passablement énervé que son interlocutrice élude ses questions pour les laisser sans réponse claire. O’Lantern semblait, par ailleurs, s’amuser du trouble de son cadet et n’hésita pas à en rajouter une épaisse couche qu’elle étala avec une délectation non feinte.
« Tu ne comprends pas parce que tu es un ignorant, voilà tout. Chaque personne ici sait pourquoi elle est venue ce soir et, crois-moi, ils ne perdent pas leur temps.
— Tu tournes autour du pot, cette conversation commence sérieusement à me lasser, bougonna l’adolescent en affichant une mine de plus en plus sombre.
— Tu m’en vois ravie ! »
La jeune femme lança son navet en l’air et rattrapa son anse en faisant tournoyer sa lanterne de fortune autour d’un doigt, l’air distraite, un léger sourire collé au visage. Un long silence s’installa, troublé par le regard lointain d’O’Lantern et l’œillade contrite de Jack Frost, qui s’impatientait.
« C’est d’ailleurs tout aussi bien qu’un Gardien y assiste finalement, souffla-t-elle pour elle-même au bout d’un moment.
— Assiste à quoi ? répondit son vis-à-vis, las.
— Ce ne serait plus une surprise si je te le disais », eut-il pour simple réponse avec un petit clin d’œil.
Nouvelle moue. Toujours pas de réponse, et ça devenait long. L’esprit de l’hiver jeta un énième coup d’œil à son environnement : les autres piaffaient d’impatience, et il ignorait toujours pourquoi. De plus, il sentait sur lui des regards perçants qui le gênaient. Il savait qu’il n’était pas le bienvenu ici et, en plus de le mettre très mal à l’aise, il était intrigué.
Au loin, un bruit de cloche se fit entendre. À ce son, O’Lantern se mit à sourire et pivota vers l’entrée du Royaume des Cauchemars, un regard enfantin et impatient animant son visage. Jack haussa un sourcil à cette vue inhabituelle, et il commença sérieusement à se demander si rester ici n’était pas pire que de croiser quelques Facétieux ou d’affronter la colère de Nord.
« Minuit est là, ça va commencer, souffla-t-elle.
— Qu’est-ce qui va commencer ? », ne put s’empêcher de demander l’adolescent.
Elle laissa échapper un petit rire et gratifia son voisin d’un regard amusé mais également un chouïa exaspéré.
« Mais ce qui se passe ici chaque nuit sans lune, mon petit Frost.
— Et quoi donc ? Pitch organise un pique-nique collectif ? lâcha aigrement l’esprit.
— Mieux que ça. »
Il n’eut pas le temps de répondre qu’une lente note mélancolique s’éleva dans les airs et fit taire tout le monde. Une note qui persista, réclamant le silence, avant de s’atténuer lentement. Une douloureuse mélodie débuta alors, captant l’attention de chaque esprit. Il était amusant de voir comme une simple musique pouvait faire taire toute une assemblée. Le jeune Gardien chercha une longue minute avant de réaliser que la musique venait du trou qui constituait l’entrée du domaine des Cauchemars. L’évidence vint d’elle-même : c’est Pitch qui jouait. Passée cette révélation percutante, l’esprit de l’Hiver tendit l’oreille et, à l’instar de l’assemblée, écouta attentivement. Au fur et à mesure de la mélodie, des cauchemars prirent forme et se mirent à danser, représentant le musicien et l’histoire qu’il voulait nous conter. Il regarda la silhouette du Roi des Cauchemars se matérialiser, instrument en main, et il observa ce qui suivait. Son bras allait et venait, générant un son doux et nostalgique, et le sable crépitait autour de lui. Les grains flottaient, en de fins filaments qui tournoyaient, s’entremêlaient et qui créaient des motifs jusqu’à représenter plusieurs personnages inconnus. Ils se trémoussaient, gambadaient autour du pilier d’ombre que symbolisait leur maître, ce dernier continuant de jouer, paisiblement. Puis, après quelques instants, le ton changea. C’est à ce moment que l’esprit de l’Hiver perdit le contrôle.
Archet crissant sur les cordes d’un vieux violon, notes s’envolant au gré du vent, douce harmonie s’élevant et enserrant dans ses bras mélodieux Jack qui se sentit partir loin. Il ferma les yeux et se laissa bercer par cette tendre musique qui réveillait au fond de lui des sentiments longtemps oubliés, des souvenirs ensevelis qui lui arrachèrent un long sourire béat. Il ignorait de quoi il s’agissait, il savait seulement que c’était des bribes de mémoire qui le rendaient heureux. Sautant sur les notes qui le transportaient, dansant au son qui le faisait virevolter, il n’était plus dans la clairière, il parcourait son âme de long en large tout en poussant des cris d’extase. Il n’était plus un Gardien, il n’était plus Jack Frost, il n’était plus qu’une note qui composait cette symphonie qui se jouait devant lui. Plus rien n‘avait d’importance à ses yeux, seule la musique comptait à présent.
Il perdit ses souvenirs. Il oublia pourquoi il était ici, comment il était arrivé à cette clairière, quel jour on était, que c’était dangereux de sortir cette nuit. Il se perdit dans la mélodie et s’abandonna à son écoute, loin de tout. Loin de son existence.
Il n’oublierait jamais cette nuit d’octobre.
Voilà voilà. Qu'est-ce que vous en pensez, hum ?
Gaellink:
Oh les 5 légendes !! J'adore ce film, surtout Jack Frost :R en tout cas j'ai hâte de lire la suite, espérons que tu seras assez motivée pour écrire la suite !
Cap:
Chose promise, chose due, j'ai lu ton texte, et je commente même si skrogneugneu t'as rien rendu pour le concours sale louve
C'est un joli p'tit prologue que tu nous as fait là. Tu t'appropries le personnage, l'univers, rajoutant tous ces petits détails qui l'étoffe magnifiquement. J'aime beaucoup ces ajouts d'autres esprits, je suis cependant beaucoup plus septique vis à vis des Facétieux: vu la puissance des Gardiens, je me demande comment ces petites bêtes peuvent être si dangereuses (surtout que d'après O'Lantern, un seul suffit pour que Jack soit mal).
Je n'ai pas grand chose d'autre à ajouter, l'histoire n'a pas assez démarrée pour que je me prononce dessus, et je ne suis vraiment pas assez douée (et éveillée) pour voir les fautes, si il y en a. Je compte sur toi pour que la suite arrive rapidement, et que tu ne nous laisse pas sur notre faim comme ça. Des bizoux :-*
Krystal:
Merci beaucoup, ça m'encourage toussa !
Sinon, j'ai bientôt fini le chapitre deux (j'en suis aux trois quarts quoi) et je pense très bientôt poster le chapitre un. Soyez patients mes petits, soyez patients...
Krystal:
http://www.youtube.com/watch?v=ZZ5LpwO-An4&feature=player_detailpage
Hey, je poste enfin dans ma galerie, après trois mois d'inactivité. Mais j'ai pas attendu 120 jours pour poster, c'est un progrès !
J'ai terminé de rédiger le deuxième chapitre de ma fiction Rise of the Guardians, donc je poste le premier chapitre, rien que pour vos beaux yeux. Oh, et j'ai peut-être trouvé un titre pour ce petit bijou : que pensez-vous de Au fil des notes ? Ca peut être pas mal, non ?
Bon, j'arrête mon blabla et je vous laisse lire. J'espère que j'aurais fini le troisième chapitre dans moins de 120 jours aussi. Bref, bonne lecture !
Rise of the Guardians : Chapitre 1
Le tintement des clochettes qui se balançaient l’apaisait. Quand il avait besoin de réfléchir à quelque chose, le silence ne lui suffisait plus. Depuis que les quartiers de Nord étaient, en quelque sorte, devenus les siens, il s’était habitué à son environnement et les grelots était son silence qui l’aidait quand il avait besoin de calme. Même si, pour obtenir l’ambiance qu’il souhaitait, Jack devait aller secouer quelques arbres et renverser une pile de jouets. Bien que cela énerve les yétis, mais aussi le Père Noël qui devait aller voir de quoi il retournait à chaque fois, il n’avait absolument aucun remord à mettre le bazar dans l’atelier du vieil homme pour laisser libre cours à ses pensées. Bien que cela ne lui arrive que très rarement.
A vrai dire, il avait surtout besoin de sentir de l’agitation autour de lui. Se rendre enfin compte qu’il n’était plus seul, qu’il avait enfin des personnes sur qui compter, une famille à qui parler. Ce nouveau statut, en tant que petit dernier, il avait eu beaucoup de mal à s’y faire. Pour être complètement à l’aise en leur présence, et pour leur parler sans gêne, il lui avait fallu une année entière. Les premiers mois avaient été difficiles : il avait été amené à participer à des réunions qui se produisaient bien trop souvent à son goût – le coup d’état de Pitch avait causé bien plus de dégâts qu’il ne l’aurait cru. Il y en avait environ deux par semaine le premier mois, puis elles se firent plus rares avec le temps, mais ce rassemblement était une véritable épreuve pour le plus jeune qui ne se sentait pas à sa place. Ses quatre compères discutaient vivement entre eux de choses et d’autres, abordant un sujet puis un autre sans transition, et il n’avait jamais osé les interrompre. Il restait silencieux, les observant tout en serrant contre lui son bâton crochu qui lui apportait un tant soit peu de réconfort. C’était finalement Fée qui, après avoir remarqué le mutisme prononcé du jeune homme, lui avait demandé son avis sur un sujet. Il avait répondu, timidement et avec une petite voix, avant que les quatre Gardiens ne reprennent leur conversation. Mais la jeune femme avait insisté ensuite pour que l’esprit de l’Hiver apporte un peu plus sa pierre à l’édifice et fasse connaître ses points de vue sur les sujets qui les intéressaient. C’est ainsi qu’ils s’aperçurent que leur petit dernier peinait à leur répondre et que ces réunions étaient pour lui quelque chose de difficile.
Ils avaient fait plus attention par la suite, guettant la réaction de leur cadet, s’efforçant de le faire participer, l’invitant à se rendre au Pôle ou aux Warrens plus souvent. Bizarrement, Jack avait préféré élire résidence en Arctique plutôt qu’au domaine de Bunny, ce qui était assez compréhensible étant donné leur relation tendue. Cette dernière s’était améliorée au fil du temps, bien qu’elle stagnât de longues semaines après que les plaines verdoyantes du terrier se furent recouvertes de congères et de glace suite à un petit désaccord, et le lapin vint à considérer le plus jeune comme un véritable petit frère, une évidente complicité prenant peu à peu place entre eux. Même s’ils ne pouvaient s’empêcher de se lancer quelques piques de temps à autre et de se chamailler comme de vrais gamins. Et aujourd’hui, l’esprit de l’Hiver était bien intégré à son nouveau groupe. Il avait enfin quelqu’un à qui parler, un foyer où il pouvait vivre sans problème, et ce dans une ambiance saine et équilibrée. Il avait tout pour être heureux, pour démarrer une nouvelle vie loin de la solitude – avec des obligations, certes – et de la monotonie de ses journées. Le jeune Gardien avait une famille maintenant, qui lui faisait confiance et qu’il respectait autant que possible car il les aimait beaucoup. Enfin, ce respect ne l’empêchait pas de faire l’école buissonnière.
Il n’avait pas été attaqué cette nuit-là, même s’il doutait sincèrement qu’il le soit, et pourtant, il était resté dehors jusqu’au petit matin. Il ne savait combien de temps avait exactement duré le concert, des heures et des heures sûrement, les mélodies s’étaient enchaînées, l’une après l’autre, et Jack était resté béat durant son écoute, et même après. Toujours dans les méandres de son esprit, il n’avait pas remarqué que la musique s’était tue et que tout le monde se retirait en silence, moins abruti que lui. C’était O’Lantern qui, écroulée de rire, avait ramené le jeune homme sur terre en lui tapotant l’épaule avant de disparaître tout aussi sec entre les arbres. Quand il était finalement redescendu de son petit nuage, tout heureux qu’il était, l’esprit de l’Hiver avait vite déjanté en voyant que la clairière était vide et que quelques rayons timides parvenaient à se frayer un chemin entre l’épaisse couche que constituaient les branches. En gros, le soleil se levait, et il était très mal barré. Burgess et son fuseau horaire avait été choisis par les bons soins du Père Noël pour rythmer ses journées, étant donné que le soleil ne souhaitait pas se coucher avant de longues semaines en Arctique. Voir donc les premières lueurs l’éblouir n’était donc pas de bon augure pour lui, et il avait eu tout intérêt à se dépêcher de revenir dans sa chambre avant que Nord n’y déboule, cake au poing et en affichant son habituelle bonne humeur exubérante.
Il y était finalement parvenu – le Vent l’avait d’ailleurs considérablement aidé à gagner en vitesse – et ce à la seconde près : il eut tout juste le temps de jeter son bâton en bas du lit et s’entortiller dans ses couvertures que le vieil homme déverrouillait déjà la porte en chantonnant une berceuse de Noël entêtante. Le jeune Gardien avait été chaleureusement félicité pour avoir été sage cette nuit-là et n’avoir rien tenté pour s’échapper, et ce dernier en avait largement rajouté une couche en prétendant qu’il avait très bien dormi et que cela lui avait fait le plus grand bien. Nord, bien heureusement tombé dans le panneau, en fut ravi et invita son cadet à aller prendre un petit déjeuner bien mérité. L’adolescent ne s’en serait pas aussi facilement sorti s’il avait eu affaire à Bunny ou à Sab, plus observateurs. Ces derniers auraient sûrement remarqué le visage tiré du jeune homme, trahissant sa fatigue, et ils n’auraient pas manqué de le faire remarquer, le lapin de Pâques préférant sûrement opter pour des reproches à voix haute et le Marchand de Sable pour de bref symboles qui auraient été lourds de sens. Bien heureusement, ça n’avait pas été le cas, et l’esprit avait remercié la providence de lui avoir fait un tel cadeau. Il était resté dans les ateliers par la suite, rejoint par les autres Gardiens. Bien entendu, il avait tout d’abord été mettre son petit bazar, mais les faits étaient là.
Assis confortablement dans un fauteuil en velours grenat près d’une table, une jambe repliée contre son torse, l’autre dépliée et son bâton posé à ses côtés, Jack réfléchissait. Le bruit s’était atténué, mais il ne s’en était pas aperçu tant il était plongé dans ses pensées. Machinalement, il regarda autour de lui.
L’esprit se mit à observer ses quatre amis, tous présents ce matin-là. Sab flottait paisiblement à un mètre du sol, visiblement endormi. Jack se doutait qu’il soit réellement en sommeil, mais plutôt plongé en transe, manipulant ses pouvoirs pour donner des rêves aux enfants tout en restant au Pôle. Il avait toujours intrigué par ce pouvoir, et il se demandait souvent si le Marchand de Sable dormait de temps à autre, s’il en avait la possibilité ou non. Un grand mystère pour le petit jeunot qu’il était. A la longue table rectangulaire de la pièce, à l’extrémité opposée de l’adolescent, Bunny dessinait : pour un lapin avec des pattes énormes, il avait un sacré coup de pinceau. Avec sa palette de crayons de couleur, d’une attitude sereine et concentrée, il imaginait déjà les motifs du prochain Pâque. Coloré et attrayant, le résultat restait spectaculaire, le jeune homme passait quelquefois aux Warrens rien que pour le regarder créer et éparpiller, insouciants, ses carnets tout autour de lui. L’Hiver se demandait souvent comment il arrivait à retranscrire ça sur de minuscules œufs. Près du panneau de contrôle du Globe, Nord coordonnait les Yétis, dont Phil qui était étrangement calme. Les plans des jouets de Noël et les délais à tenir étaient les principaux sujets qu’ils abordaient, mais le Père Noël ne pouvait s’empêcher de faire quelques blagues qui tombaient le plus souvent à plat. A force, les Yétis ne feignaient même plus de rire et se contentaient de lever les yeux au ciel, plus ennuyés qu’autre chose. Le pauvre vieil homme ne se rendait même pas compte que ses plaisanteries n’amusaient personne, ou alors il n’en laissait rien paraître et continuait, affichant continuellement sa jovialité et son éternel sourire. Quant à Fée, elle babillait de droite à gauche près de l’âtre avec quelques unes de ses petites fées, donnant diverses directives d’une voix stricte mais étrangement enjouée. L’adolescent avait d’ailleurs du mal à comprendre la passion que portait la jeune femme pour les dents: il l’avait déjà vu crier d’extase devant une dent sur laquelle il restait un petit résidu de sang, une chose qu’il avait en horreur. Mais il la respectait car elle effectuait un travail formidable, tout comme les autres.
Jack les fixa un à un, le cerveau en ébullition. Savaient-ils ce que Pitch faisait les nuits sans lune ? Surtout que, vu le monde présent, le Croque-Mitaine devait faire ses concerts depuis un moment déjà, quelques décennies voire quelques siècles.
Il devait s’en assurer.
« Vous saviez que Pitch donnait un concert toutes les nuits sans lune ? »
Bien qu’il ait prononcé l’intégralité à voix haute, les oreilles des quatre autres Gardiens présents dans la salle n’avaient vraisemblablement laissé passer que la toute fin de la phrase. Il s’attira les regards interloqués de ses compères qui comprirent bien vite le sens de ses paroles. Les réactions ne tardèrent pas.
« Tu es sorti cette nuit ? s’énerva le Lapin de Pâques. Bon sang Jack, combien de fois doit-on te répéter que c’est dangereux ! »
Il avait jeté le crayon qu’il tenait sur la table et fustigeait maintenant son protégé. Le Marchand de Sable était sortie de sa transe, la Fée des Dents s’était tue et le Père Noël avait congédié les Yétis. Tous les trois s’étaient rapprochés pour suivre ce qu’il se passait entre Jack et Bunny, qui d’ailleurs avait fini de hurler ses remontrances.
Le jeune esprit ouvrit la bouche, mais aucun son n’en sortit. Les regards accusateurs et les reproches en disaient long.
Ils ne savaient pas.
« Pitch, réessaya-t-il.
— Tu as été voir Pitch ! »
Bunny était reparti au quart de tour, faisant de grands moulinets de bras et haussant la voix à chaque mot prononcé alors que les trois autres Gardiens se regardaient entre eux, gênés. La réaction du Lapin de Pâques était compréhensible, après tout, Pitch avait été vaincu il y a deux ans déjà et il avait très bien pu retrouver un semblant de force, et donc de dangerosité. Aller le voir n’était pas la meilleure idée qu’il ait eu, mais pour sa défense, ce n’était que pur hasard. Mais comment raisonner son aîné qui était persuadé qu’il avait pris des risques inconsidérés simplement par inconscience ?
« Bunny, tenta-t-il, ce n’est pas ce que tu crois…
— Et donc ? Qu’est-ce que je crois ? Le fait est là, Jack ! Tu es sorti cette nuit et tu es allé traîner près du repère de Pitch ! Mais qu’est-ce t’as dans la tête, au juste ? Qu’est-ce que tu ne comprends quand on dit que c’est dangereux ! »
L’adolescent garda le silence. Insister ne ferait qu’empirer les choses, alors il se tut. Un lourd silence s’installa, ponctué par les œillades assassines que lançait Bunny et l’air légèrement contrarié qu’affichait son interlocuteur. Ce fut finalement le Père Noël qui, ne supportant plus ce blanc, prit la parole pour essayer de désamorcer les choses.
« Jack, appela Nord, il faut que tu comprennes. Les Facétieux sont dangereux pour nous, très dangereux, souviens-toi quand tu les as combattus. »
Ah ça, pour s’en souvenir ! C’était un moment de sa vie qu’il ne risquait de ne jamais oublier
C’était il y a un peu plus d’un an. Jack, en compagnie de Sab, veillait sur le sommeil des enfants dans une petite ville au nord du Canada, justement lors d’une nuit sans lune. Il aimait bien le Marchand de Sable, il ne parlait pas, mais il y avait comme une présence à ses côtés, une présence rassurante. Et puis, il adorait voir ses tentacules de sable doré se tortiller dans tous les sens et exploser en tout et n’importe quoi, allant donner des rêves à leurs protégés. Mais cela n’avait pas duré. Car une lumière reconnaissable entre mille illumina soudainement les cieux d’une lueur verte et jaune, se mélangeant au rayonnement des étoiles. Les aurores boréales avaient été activées, et ça ne sentait pas très bon. Ni une ni deux, les deux Gardiens s’élancèrent vers le Pôle, leur estomac tordus par l’inquiétude d’une nouvelle attaque ou d’une autre mauvaise nouvelle. Dans leur course, ils survolèrent une forêt à basse altitude, et ce fut à ce moment que cela se produisit.
Trop absorbé par l’appel du Père Noël, Jack ne vit pas une sombre liane sortir brusquement de la forêt et lui attraper violemment la cheville. A ce contact pour le moins visqueux, l’esprit de l’Hiver sursauta et lâcha un hurlement quand il fut tiré vers le bas d’une manière pour le moins brusque. Il s’enfonça dans les feuillages, crispant la main sur son bâton pour ne pas le lâcher, Sab disparaissant de sa vision, et fut projeté contre le sol d’où dépassait des racines noueuses et où des pierres pointaient. Il s’écorcha le visage et les avant-bras contre ces dernières, et son flanc tapa contre un gros tubercule. La douleur provoquée fusa dans tout son corps en vagues sourdes qui lui arrachèrent un gémissement de douleur. Il se releva aussi vite qu’il le put malgré ses élancements, tout en s’appuyant sur son bâton, et essaya de savoir ce qui l’avait attaqué. Ce qu’il trouva très vite : une forme se détacha littéralement d’un tronc d’arbre et s’avança vers lui.
D’apparence quasi-humaine, ne portant aucun vêtement, l’humanoïde avançait d’un pas menaçant. Son corps était sombre, et tranchait avec la translucidité de son vis-à-vis, à l’instar de ses yeux verts fluo qui lui envoyaient des œillades haineuses. A vrai dire, sa peau n’était pas vraiment de couleur noire, mais plutôt brune, de la même couleur que le tronc. Il se fondait dans les éléments. A cette brillante déduction, Jack sut qu’il était face à un Facétieux. Il avait eu le droit à tout un cours de la part de Nord et Bunny sur ces créatures étranges, sur le fait qu’elles étaient vicieuses et surtout dangereuses, insistant sur l’importance de ne pas les approcher et ainsi rester au Pôle. Mais l’esprit de l’Hiver avait toujours été curieux de les rencontrer, savoir à quoi ils ressemblaient. Sa curiosité était maintenant assouvie, et il aurait préféré que cela soit dans d’autres circonstances. Il faisait beaucoup trop sombre pour avoir d’autres détails, aussi ne s’attarda-t-il pas là-dessus.
Devant cette nouvelle menace, seul, l’adolescent brandit son bâton et descendit la température de façon significative. Il envoyait ainsi un avertissement à son adversaire, et il espérait qu’il comprenne et qu’il le laisse tranquille. Vaine tentative. Un ricanement – enfin, il déduisit que c’était un ricanement – retentit et le Facétieux continua de progresser vers le Gardien qui commençait sérieusement à s’inquiéter. Tout autour de lui, il sentait la nature se mouver en craquements sinistres. Il entendait des murmures inquiétants et percevait des ombres danser dans son dos, comme pour se moquer de lui. En tout cas, et c’était plus qu’évident, il était un peu dans la mouise.
Il fut le premier à donner l’assaut. Comme prit d’une peur inexpliquée, il lança un trait de gel sur la créature qui l’évita et qui continua tranquillement d’avancer vers lui, comme si de rien n’était. Il recommença une paire de fois, mais le résultat fut le même. Rien ne l'atteignait, et les tentatives de Jack pour le faire reculer s'avéraient infructueuses. Si bien qu'une fois que le Facétieux fut à un mètre de lui, il en fut réduit à reculer, son bâton serré contre lui, impuissant. Le dos butant contre un arbre, il essaya de le contourner mais comprit bien vite que la nature l'en empêchait : des racines s'étaient élevées et l'encerclaient maintenant, lui empêchant toute retraite. Il fut bien tenté de s'envoler, mais les branches des arbres s'agitaient elles aussi et il craignait de se faire empaler si jamais il tentait de passer en force. Réprimant un frisson, le Gardien leva le regard vers son ennemi qui s'était arrêté près de lui, et qui semblait le fixer aussi, il faisait trop sombre pour l'affirmer. Il y eut quelques secondes de blanc, durant lesquelles l'adolescent retint son souffle, avant qu'un sourire ne fende le visage alors inexpressif du Facétieux. Il n'eut pas le temps de bouger qu'un coup monumental ne lui ouvre la joue de long en large. Il fut brutalement soulevé et jeté sur sol, comme un vulgaire sac à patate, rebondissant douloureusement sur les pierres. Le jeune homme se releva difficilement, et se défendit tant bien que mal tandis que l'autre se ruait vers lui.
Le gel ne l’aidait pas. L'humanoïde évitait les lances de glace avec une souplesse inouïe et une agilité étonnante, et même la température basse ne semblait pas le déranger outre mesure. Les coups que recevait le jeune Gardien en retour le meurtrissaient de plus en plus, tellement qu'il commençait sérieusement à se demander s'il allait s'en sortir. Alors qu'il évitait une énième attaque, Jack trébucha et s'étala de tout son long par terre, sa tête cognant brusquement contre une pierre. Il vit noir durant quelques secondes, ses membres engourdis et endoloris refusant de lui répondre, et il papillonna des yeux plusieurs fois avant que sa vision, néanmoins floue, ne lui soit rendue. Il vit le Facétieux se pencher au-dessus de lui, victorieux, avant que trois autres similaires ne le rejoigne et ne le scrute avec le même sourire moqueur que le premier. L'esprit gémit de douleur, sa tête lui tournant, et il chercha à se relever quand une main crochue lui attrapa la gorge et la serra à un tel point qu'il lui fut impossible de respirer. Le jeune homme tenta de reprendre son souffle, agrippant et griffant le bras de son adversaire, mais tout ce qu'il réussit à faire, c'est resserrer la poigne qui l'étranglait déjà. Il tenta de crier, mais aucun son ne sortit de sa bouche. C'est quand il vit des points noirs danser devant lui, suffoquant, et qu'il sentit son esprit glisser doucement dans l'inconscience qu'un éclat doré éclata au-dessus de lui.
Sab surgit soudain parmi les Facétieux et les envoya valser loin de son jeune camarade, qui prit une grande goulée d'air. Machinalement, Jack agrippa son bâton et l'amena contre lui, dans un vain essai de réconfort tandis qu'il essayait tant bien que mal de rester conscient afin de riposter en cas de nouvelle attaque. Heureusement, deux lianes de sable doré le ramassèrent et le ramenèrent auprès du Marchand de Sable qui le récupéra sur son petit îlot et qui s'envola. Ils prirent de la vitesse et sortirent de la forêt, rejoignant les cieux et se réfugiant parmi les nuages, qui leur octroyèrent un camouflage suffisant pour échapper à leurs assaillants. Durant son voyage vers le Pôle Nord, l'esprit de l'Hiver put se remettre de ses émotions – maintenant qu'il avait vu un Facétieux de près, il pouvait mourir en paix – et penser à ce qui avait poussé Nord à activer les aurores boréales, parce qu'initialement, c'était pour cela qu'ils allaient vers l'Arctique.
Il s’avérait juste être un Yéti tombé sur le panneau de bord après une petite bagarre avec un de ses camarades. Fausse alerte. Il avait été sévèrement réprimandé et les deux arrivants purent souffler de soulagement avant d’aller soigner les blessures du petit dernier afin qu'il se repose. Pas question de repartir après ce qui venait de se passer.
Les autres nuits sans lune, Jack s'était bien gardé de sortir du Pôle. C'était d'ailleurs à partir de cette fameuse nuit que le Père Noël avait commencé à l'enfermer contre son gré dans une de ses chambres, avec tout un stock de lait chaud, cookies et morceaux de cake. Les premiers mois, l'adolescent était tranquillement resté au chaud, les souvenirs de la nuit de l'attaque étant encore bien trop frais dans son esprit pour qu'il se risque dehors. Mais l'enfermement commença à lui peser et il se mit à faire le mur. Les premières fois, il évita de s'aventurer près des endroits où la nature était trop présente, préférant flâner dans les villes et les villages qu'il rencontrait. Mais après plusieurs sorties sans incident, il s'aventura plus loin jusqu'à oublier la menace qui planait au-dessus de lui. Du moins, jusqu'à aujourd'hui.
Passé cette petite réminiscence, l’esprit de l’Hiver secoua la tête.
« Je n’ai pas été attaqué cette nuit, insista-t-il, et si je reste prudent, je ne le serai pas les autres nuits. »
Ce n'était sans doute pas la réponse qu'attendait Bunny car ses yeux s'étrécirent de colère et ses joues poilues se teintèrent légèrement de rouge.
« Tu n’as toujours pas compris ! éclata le Lapin de Pâques. S’ils ne t’ont pas attaqués, c’est sûrement parce qu’ils ne t’avaient pas vu ! Ressors la prochaine fois et tu y passeras !
— Et qui vous dis que je serais attaqué ! rétorqua Jack en haussant le ton. Ce n’est pas la peine que je reste ici ces nuits-là !
— Une seule nuit par mois, Jack, une seule nuit !
— Je ne supporte pas d’être enfermé comme un animal ! répliqua brusquement le jeune esprit. Le froid s’installe et j’ai d’autres choses à faire que de rester assis à me tourner les pouces une nuit entière !
— C’est pour ta sécurité ! se justifia Nord.
— Vous ne vous souciez pourtant pas de ma sécurité les trois-cent dernières années ! »
Aussitôt ces mots sortis de sa bouche, il voulut les ravaler immédiatement. Mais le mal était fait. Jack sentit la douleur lui étreindre le cœur quand il croisa les regards blessés et désolés de ses congénères. Il était allé trop loin, beaucoup trop loin. Il décida de lui-même de se calmer plutôt que de continuer cette conversation qui s’envenimait de seconde en seconde.
L’esprit de l’Hiver agrippa son bâton et s’envola brusquement, renversant son fauteuil et faisant virevolter les cahiers de Bunny. Il fuyait sa famille adoptive. Que pouvait-il faire d'autre, de toute manière.
Il disparut dans le blizzard soudain, provoqué par la douleur qu’il ressentait, se dirigeant vers un continent quelconque. Tant qu’il était loin du Pôle, cela lui importait peu.
…[ ♪ ]…
Flottant à quelques centaines de mètres du sol, se laissant balloter par les vents, Jack Frost réfléchissait. Encore.
Cela faisait maintenant quelques heures qu'il avait fui son foyer, et il tentait de trouver une solution à ses problèmes. Il savait que c'était de sa faute et que c'était à lui de résoudre tous les ennuis qu'il avait causé à sa famille, mais il restait encore des zones d'ombre qu'il devait éclaircir, et notamment concernant le Roi des Cauchemars. Tant de questions se bousculaient dans sa tête, et il ne savait malheureusement pas comment y répondre, ce qui le rendait presque fou. Sa curiosité naturelle avait grand besoin d'être assouvie, et il savait qu'il n'aurait pas la paix tant qu'il ne saurait pas de quoi il en retournait. Il allait tout faire pour découvrir la vérité !
Absorbé dans ses pensées, l'esprit remarqua à peine l’immeuble qui lui fonçait droit dessus. Ou plutôt l’inverse. Frottant sa tête douloureuse, il entendit un rire fuser d’au dessus de lui, et l’adolescent leva les yeux pour fusiller du regard le malheureux qui avait osé rire de son malheur. Un malheureux bien familier.
« O’Lantern.
— Frost. »
La jeune femme était assise sur un rebord en ciment, balançant les jambes dans le vide, insouciante. Elle avait troqué son épais châle noir contre une veste sombre – en cuir semble-t-il, elle aimait bien cette matière-là – et avait gardé son pantalon pourpre et ses bottes à talons aiguilles. Ses cheveux étaient attachés en un rapide chignon et quelques mèches folles s’y échappait, fouettant son visage. Elle fixait l’esprit de l’Hiver en affichant un air narquois, un sourire en coin. Jack lâcha un soupir et monta de quelques mètres, pour aller s’asseoir à côté de l’esprit d’Halloween. Cette dernière était silencieuse, ses yeux verts scrutant la ville avec attention. Elle cherchait un bon endroit.
« En poste pour Halloween ?
— Comme tu le vois, répondit Jack O’Lantern en haussant les épaules. Il y a tellement de petites ruelles ici, et tellement d’imprudents qui s’y aventurent. Je vais prendre mon pied ! »
Elle laissa échapper un petit rire, le regard pétillant. Elle devait être tellement impatiente. Halloween n'était qu'une soirée par an, aussi comprenait-il son attitude. Lui pouvait s'amuser toute l'année sur tous les continents ou, l'été, aux deux pôles, mais pas elle, qui devait attendre le trente-et-un octobre pour enfin honorer sa fête. Il n'irait jamais lui avouer, mais il admirait sa patience olympienne. Lui n'osait pas imaginer une seule journée sans tournoyer dans les airs et sans neige. Ça serait tellement horrible qu'il en frissonna d'horreur.
Jack regarda à son tour la ville. Plongé dans ses pensées, il n’avait pas remarqué où il avait atterri. Compte tenu de la superficie et du nombre de gratte-ciel, il devait se trouver dans une capitale, ou du moins une ville importante. Mais avec ses pauvres connaissance en géographie, il était bien incapable de dire laquelle.
« Où on est ? »
Un rire moqueur retentit.
« Sydney.
— Oh. »
L’Australie donc. C’était bien loin du Pôle Nord, il avait effectivement volé loin.
« Il ne fait pas très chaud pour cette époque de l’année…
— Peut-être parce qu’un certain esprit de l’Hiver répand le froid sans même s’en rendre compte depuis plus d’une bonne heure. »
Immédiatement, Jack cessa toute activité magique guidée par ses émotions et, effectivement, la température se mis à sensiblement remonter. Il grimaça suite à cette constatation et tourna la tête vers sa compagne, qui continuait de regarder la ville avec envie et impatience. Il avait déjà vu cette expression-là. Plus particulièrement, il avait déjà vu cette expression la veille, juste avant le concert de Pitch, au moment où minuit sonna. Il avait encore tant de questions à poser, et il profita de cette rencontre hasardeuse pour demander les réponses à ses interrogations.
« La nuit dernière… »
Il n’eut même pas le temps de commencer sa phrase que la jeune femme le coupa avec un petit rire.
« Je me doutais bien que ça allait remuer là-dedans. »
Elle changea d’appui et croisa les jambes, levant la tête vers le ciel et regardant les seuls nuages qui défilaient, silencieuse. Cette attitude indifférente énervait le jeune esprit, elle le savait et n’hésitait pas à en jouer pour titiller son gentil cadet.
« Pourquoi fait-il ça ?
— Pourquoi qui fait quoi ?
— Pitch ! Ses concerts !
— Oh, fallait être plus explicite, gamin !
— Mais… »
Il afficha un air contrit tandis que l’esprit d’Halloween s’amusait de son énervement grandissant. Quand est-ce qu'elle allait cessait ce jeu infâme et répondre à ses questions ?
« Donner des concerts, ça n’a aucun sens, enchaîna Jack. Pourquoi le Roi des Cauchemars fait… ferait ça ?
— Pourquoi il vend du rêve au lieu de vendre ses habituels cauchemars, tu veux dire ? »
La formulation était assez bizarre, mais elle était criante de vérité.
« C’est ça, admit l’adolescent.
— C’est peut-être dur à croire, mais Pitch aime la musique, révéla O’Lantern.
— Cela me semble évident, rétorqua son interlocuteur, pour jouer aussi bien. J’aimerais juste comprendre pourquoi il fait ça.
— Tu poses beaucoup de questions en ce moment, je trouve. Et pour quelle raison ne pourrait-il pas faire profiter tout le monde de son talent ?
— Il y a une raison derrière tout ça, s’entendit dire Jack. Une raison. C’est Pitch, le Croque-Mitaine. Il a sûrement dû concocter un de ses plans tordus pour étendre ses cauchemars sur le monde… »
Un reniflement dédaigneux retentit, et le jeune garçon se tourna juste à temps pour apercevoir une expression furibonde passer sur le visage de celle qui se tenait à ses côtés. En tout cas, elle n’avait pas dû apprécier ce qu’il venait de dire.
« Il faut arrêter de voir le mal partout. Pitch a une bonne raison de faire ça, laissez-le donc tranquille.
— J'aimerais savoir de quelle raison il s'agit. »
Il avait dit ça de manière si sérieuse qu'il en fut surpris lui-même. Il espéra d'ailleurs que ce sérieux soudain arrive à convaincre sa camarade de lui dire enfin les intentions du Roi des Cauchemars, mais il n'en fut rien. A son grand dam.
« Et pourquoi n'irais-tu pas lui demander ? »
Le Gardien secoua la tête. Pas que cette idée ne lui soit pas venue lors de ses séances de réflexion intense, assez furtivement d'ailleurs, mais il l'avait bien vite rangé au placard avec une grosse étiquette "Mauvaise idée" collée dessus. Si déjà, il avait déclenché une guerre civile dans sa famille adoptive pour être sorti une nuit sans lune, il n'osait imaginer la bataille qui l'attendait s'il s'aventurait dans le domaine des Cauchemars. Et il n'était pas sûr d'y être accueilli à bras ouverts. Plutôt à coups de faux.
« Très mauvaise idée.
— Dans ce cas, tu n'as qu'à rester dans l'ignorance, tout comme ta petite bande de rigolos ces dernières décennies. »
Une bouffée d'indignation saisit Jack qui devint immédiatement pivoine. Il fustigea son interlocutrice dès qu'il eut retrouvé son souffle coupé.
« Tu as un sérieux manque de respect ! s'indigna-t-il. Les Gardiens protègent les enfants depuis des millénaires, mais également le monde des menaces telles que Pitch ! Tu ne peux pas nous dénigrer de la sorte !
— Vous avez beau être les Gardiens, vous n’en restez pas moins les plus ignorants d’entre nous tous. »
Il y eut un silence glacial. Mais pas aussi glacial que le regard que capta O'Lantern. C'était rare de voir le jeune homme dans cet état.
« Tu mens, ça ne peut-être que ça. Ça t'amuse de me faire tourner en bourrique, c'est cela ? Te moquer de nous et de le défendre alors qu'il n'a fait que nuire au monde ! Que penseraient les autres esprits de tout cela, hein !
— Je ne sais pas, mais je sais que la majorité d’entre eux ont plus de respect pour Pitch que pour vous cinq réunis, Jack. »
Nouveau silence, nouvelle œillade assassine. C'est qu'il savait s'y prendre, le petit jeune ! Il ouvrit la bouche pour continuer à poser ses questions, car la dernière parole de la jeune femme avait encore plus attisé sa curiosité et sa patience atteignait ses limites. Mais ce n'était pas au goût de O'Lantern, qui laissa échapper un long soupir et qui se mit soudain debout.
« C’est pas tout ça, mais Halloween, c’est demain, et j’ai un peu de boulot. »
Elle s'étira précautionneusement et avança un pied dans le vide. L'esprit d'Halloween se laissa tomber dans le vide, sans que son interlocuteur ne puisse ajouter quoique ce soit, et poussa même l'indécence jusqu'à lui faire un petit signe de la main accompagné d'un grand sourire.
« Au plaisir, Frost ! »
Jack n'eut pas le temps de se pencher qu'elle avait déjà disparue. Bien entendu, elle qui était spécialiste pour effrayer les gens, elle savait disparaître quand cela lui chantait et être invisible aux yeux de tous. Au grand dam du Gardien qui savait qu'il ne la reverrait pas avant qu'elle ne souhaite lui parler, apparaître devant ses yeux pour l'embêter ou pour faire un brin de causette, ce qui n'arrivait jamais. A moins qu'il ne la croise par hasard, mais là aussi, il avait plus de chances de sympathiser avec Pitch que de refaire une seule rencontre hasardeuse avec O'Lantern.
Le Gardien soupira. Pas de réponses, mais plus de questions. Il n'était pas plus avancé. Il continua à réfléchir, des heures durant, échafaudant toute sorte d'idées qui expliqueraient la situation, mais elles étaient toutes aussi farfelues les unes que les autres, et aucune d'entre elles n'était plausible. Il allait se rendre malade à se triturer les méninges comme ça. Alors qu'il sentait la migraine poindre et s'amplifier, Jack décida qu'il était temps d'arrêter de se torturer. D'ailleurs, il commençait à avoir chaud, il se sentait presque fondre malgré le fait qu'il ne fasse que vingt degrés Celsius. Mais pour un esprit de l'Hiver, sous ce soleil de plomb, c'était beaucoup trop.
Jack se mit debout, jeta un dernier coup d'oeil à la ville avant de s'envoler vers le nord. Il était temps qu'il rentre.
Il revint au Pôle rapidement, soucieux. Car en effet, son trajet avait, encore, été l'occasion de se poser des questions, non pas sur le concert du Croque-Mitaine, mais bel et bien à propos de la confrontation qu'il aurait d'ici une dizaine de minutes, avec les autres Gardiens. Dire qu'il appréhendait cette discussion était un doux euphémisme. Rien que d'y penser, ses doigts se crispaient machinalement sur son bâton et il sentait ses jambes flageoler. Il avait peur, tout simplement. Peur d'avoir commis une bêtise irréparable, d'être rejeté et de finir seul, comme autrefois. Il avait envie de vomir rien que de penser à ça. Si jamais Pitch le voyait, tremblant de peur comme cela... Il ferait certainement un sacré casse-croûte !
Il arriva finalement au Pôle, et repéra une fenêtre ouverte qui donnait sur un long couloir. Il s'y engouffra , se posa doucement au sol et observa les alentours. Le couloir était vide, ce qui était assez inhabituel pour un mois d’Octobre. Quand il y était, pas plus tard que ce matin, l’endroit grouillait de Yétis, ensevelis sous une tonne de jouet, et d’elfes qui gambadaient, biscuit en main, tout en faisant tinter le grelot de leur bonnet. Ne pas voir tout ce beau monde intrigua l'adolescent qui se dirigea en trottinant vers la salle principale. Peut-être que Nord avait décidé de faire un discours. Le vieil homme aimait bien motiver ses troupes à renfort de grandes paroles et de petits mots doux, au grand dam de ses employés, qui préféraient grandement faire un petit somme ou s'avancer dans leur travail plutôt que d'écouter.
Il déboucha dans la salle du Globe, et il fut rassuré d’entendre un brouhaha plus bas, celui des Yétis abandonnés à leur dur labeur : construction, tests, peintures, les jouets étaient bichonnés à l'approche de Noël. Mais l’esprit de l’Hiver avait bien d’autres choses en tête, car le plus dur était à faire : s’excuser auprès des autres Gardiens pour son attitude irresponsable. Il avait répété durant son trajet de retour les mots qu’il allait dire, les phrases qu’il allait prononcer, tout était bien en ordre dans sa tête. Le plus dur était de le faire, et c'est cette partie qu'il craignait le plus.
Le premier qu’il vit fut Bunny, arrivant d'une entrée opposée. Ce dernier semblait d’ailleurs assez inquiet et ses bonds étaient rapides. Tellement rapides que Jack le vit à peine venir vers lui. S'inquiétait-il pour lui ? Allait-il partir à sa recherche ? A cette pensée, le cadet se sentit assez mal, et surtout coupable. Une fois qu'il l'eut rejoint, le lapin se redressa sur toute sa hauteur, et Jack ouvrit la bouche pour s’exprimer. Mais il fut devancé.
« Il s’est passé quelque chose. »
Ce furent les mots magiques. Envolé, le joli petit discours d’excuses que s’était construit l’adolescent, fini le petit air coupable qu’il devait arborer pour tromper son monde, sa fonction lui revint en pleine face avec toutes ses responsabilités. Ses doigts se resserrèrent sur son bâton, où se répandirent de petits motifs de givre, et il fronça les sourcils, soucieux.
« Que s’est-il passé ? » demanda-t-il soudain sérieux.
Son aîné secoua la tête.
« On ne sait pas, justement. »
Jack ouvrit et ferma la bouche, comme un poisson hors de l'eau. Il avait voulu répondre, mais il n'avait pas trouvé quoi. Il se sentit soudain ridicule, mais il parvint à reprendre contenance assez vite, alors que son interlocuteur lui jetait un regard interrogatif.
« Comment ça ? réussit finalement à sortir le plus jeune.
— L’Homme de la Lune s’est adressé à Nord. »
L'esprit de l'Hiver se figea, et il sentit les muscles de son dos se tendre involontairement. Ça lui faisait toujours cet effet quand on lui parlait de l'Homme de la Lune, il y avait toujours ce malaise constant qui planait dès que son nom était évoqué. Peut-être était-ce lié au fait que ce brave bonhomme s'était tut pendant plus de trois-cent ans en l'abandonnant à sa solitude, qu'il était resté sourd à ses appels implorants et qu'il avait préféré le regarder se morfondre année après année plutôt que de lui souffler un mot, un seul qui aurait pu lui rendre la vie meilleure. Oh, Jack n'était pas rancunier, ou du moins, il prétendait ne pas l'être, mais il n'arrivait simplement pas à apaiser la colère qui lui serrait le cœur à chaque fois qu'on parlait de l'Homme de la Lune devant lui. Même lorsqu'il avait été nommé Gardien, il ne lui avait pas dit un mot. Ce n'était pas à lui qu'il s'était adressé pour sa nomination, il ne l'avait pas aidé quand, désespéré, il cherchait en vain quoi faire en Antarctique, avant que Pitch ne brise son bâton, il ne lui avait destiné pas un seul félicitation quand il avait prêté serment. A part lui dire son nom, l'Homme de la Lune ne lui avait jamais parlé, et ça, il n'osait l'avouer, mais il l'avait un peu en travers de la gorge. Et il n'était pas sûr que cette rage qu'il nourrissait s'estompe avec le temps. Néanmoins, cela ne l'empêchait pas de le respecter et d'écouter les seules paroles qu'il leur adressait, bien qu'elles soient dites aux autres et non à lui.
Le cadet desserra les dents, et leva son regard vers celui de son aîné.
« Et qu’a-t-il dit ? demanda le jeune esprit.
— Il a dit qu'il y avait un problème, répondit le porteur d'Espoir.
— C’est tout ?
— Tu connais l'Homme de la Lune, il est assez avare concernant les détails. »
Jack bougonna un petit "Bien évidemment..." avant qu'ils ne se décident à bouger. Ils revinrent sur les pas du lapin, ce dernier expliquant qu'il était parti chercher le plus jeune et le ramener pour qu'ils parlent des événements récents. Il ne fit pas une seule remarque sur ce qui avait poussé son petit protégé à s'enfuir, celui-ci le remerciant intérieurement. Il supposa que le sujet était clos, ou du moins reporté, et ne préféra pas revenir dessus sans qu'ils aient réglé le problème qui préoccupait l'Homme de la Lune.
Ils débouchèrent dans un petit salon, où les trois autres Gardiens les attendaient, la mine grave. Nord était assis dans un imposant fauteuil, passant sa main dans sa barbe, tandis que Fée était agenouillée près du feu de cheminée, le regard perdu dans les flammes. Quant à Sab, il flottait dans un coin, visiblement en transe. L'arrivée des deux derniers mit un terme à leurs réflexions silencieuses et ils se redressèrent de concert pour accueillir leurs camarades.
« Des nouvelles ? demanda Bunny en s'asseyant en face du Père Noël.
— Un élémentaire vient de nous informer qu'une attaque a eu lieu il y a moins d'une heure sur l'un de leurs temples en Amazonie, lui répondit le vieil homme.
— Des blessés ?
— Non, mais le temple est entièrement détruit. Et il semblerait que celui ou celle qui a fait cela l'ait fait par pur plaisir.
— Évidemment ! coupa la Fée des Dents d'une voix aigüe. Quelle autre raison y aurait-il ?
— Une vengeance, peut-être ? émit Nord.
— Mais qui... »
La jeune femme se tut soudain, son regard s'éclairant. Ce fut le cas pour les trois autres, Jack, lui, se contentant de froncer les sourcils. Étaient-ils tous en train de penser à lui ?
« Pitch ? », demanda de but en blanc Bunny, non sans ajouter une once de haine dans sa voix.
L'esprit de l'Hiver frissonna. Il repensa à la nuit dernière, où il l’avait écouté jouer du violon, et, cela pouvait peut-être paraître étrange, mais après avoir vécu ça, il n'arrivait pas à imaginer le Croque-Mitaine faire une telle chose. Bon, d'accord, il avait menacé des millions d'enfants, presque tué le Marchand de Sable, ruiné la tournée de Fée et le Pâques du lapin et cassé son précieux bâton, mais il avait de plus en plus de mal à le voir comme quelques jours auparavant. Fier, manipulateur et maléfique. A croire que la musique l'avait hypnotisé pour qu'il ait une autre image de lui.
« Je ne sais pas… », avoua Nord en soupirant.
Cela arracha un imperceptible soulagement à l’adolescent. Il se demanda d’ailleurs pourquoi il était soulagé d’entendre que le grabuge ne venait peut-être pas de la part du Roi des Cauchemars, mais il remit ses réflexions à plus tard quand la conversation reprit.
« Dans tous les cas, l'Homme de la Lune pense que c'est grave, continua le Père Noël. S'il est venu nous le dire lui-même, c'est que c'est important.
— On peut pas non plus dire qu'il nous ait bien renseigné sur le sujet, lâcha sans le vouloir Jack.
— Il ne doit pas le savoir lui-même, défendit Fée. Je pense qu'il doit surtout le sentir. »
A ses côtés, le petit bonhomme de sable hocha vivement la tête, approuvant les paroles de sa voisine. Il fit rapidement apparaître quelques symboles que s'empressa de déchiffrer Nord.
« Sab a raison, il faut vite découvrir qui a détruit ce temple. »
Il s'enfonça dans son fauteuil et soupira un grand coup alors que les autres se jetaient quelques regards inquiets. L'esprit de l'Hiver rejoignit le lapin de Pâques et s'assit à ses côtés, sentant que la journée allait être longue.
« J'espère en tout cas que ce ne sera rien de bien méchant », soupira Bunny.
Acquiescement général. Ils avaient déjà donné il y a deux ans, ils n'avaient pas envie que cela recommence.
Au loin, à quelques centaines de mètres du Pôle, se mélangeait au vent un rire moqueur.
Et voilà, un petit commentaire ? Comment vous imaginez la suite, dites-moi. Des bisous aux lecteurs.
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