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Le topic BD [de Tintin à Blacksad]

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Guiiil:
Je zieuterai à la Médiathèque voir si je ne trouve pas les BD dont tu parles ! :) Si je les trouve, je te ferai mes retours ! ^^

Suijirest:
Urban Comics faisant une petite compil' à 4.90€, je n'allais pas passer devant sans prendre Superman : Red Son. Comment pourrais-je résister à l'opportunité de vous infliger un super post de connard fini  à nom d'animal qui n'intéresse personne. v.v

J'étais curieux depuis que j'ai appris son postulat : et si Superman n'avait pas été américain mais soviétique, qu'est-ce qui aurait changé ? Ça ouvre bien des portes comme concept. Au bout du compte... Je suis satisfait de voir qu'ils se sont pas trop plantés, mais légèrement frustré de voir qu'au final, le communisme n'est guère qu'un McGuffin. :/

Le "vrai" concept repose davantage sur "et si Superman ne croyait pas en la liberté et l'égalité des chances, mais en l'ordre et l'égalité des individus ?". Or, confier de tels idéaux à un personnage qui peut aplatir une montagne s'il trouve qu'elle le regarde de travers, on va dire que ça peut vite déraper, et c'est justement l'intérêt à lire. L'impact de l'URSS n'en finit pas de s'amenuiser avec les pages et la conclusion évoque bien autre chose que je ne nommerai pas.
L'histoire aurait pu être littéralement la même si Superman avait été un gamin harcelé au lycée, qui décide un jour de péter un câble et de créer un monde à son image, où ses valeurs et ses idéaux dominent. Ca aurait d'ailleurs pu commencer par la "juste vengeance" sur un prof abusif pour ensuite s'emparer d'une façade de bienveillante violence jusqu'à imposer ses jugements de valeur comme des décisions de bon sens, mais je m'égare (et ça aurait été très mauvais de toute façon).
J'ajoute aussi que l'insistance à caser des figures "révisées" du DCU délaye le rythme pour rien. Et encore, c'est moins pire que le Batman : Silence que j'ai acheté à côté et qui ressemble plus à un interminable catalogue de figures et de clins d’œil sur 300 pages. Plaisant d'en reconnaître la majorité, d'autant plus que l'intrigue est loin d'être bâclée, mais ce namedropping et cette exigence de connaissance est à la fois son pic et son gouffre.

Je recommande à moitié Red Son, ça vaut la peine d'être lu pour questionner la figure de l'Homme d'Acier, mais pour ce qui est des thématiques du totalitarisme réussi ou de son acceptation, mieux vaut s'en tenir au diptyque indétrônable, V pour Vendetta et Watchmen.
J'ai trouvé la dernière histoire courte inclus dans le bouquin (entre Superman et le vrai bon Joker de qualité) bien plus audacieuse et "meta" que l'intrigue principale... qui m'aura juste servi de motivation à l'acheter. :hap:

Guiiil:
J'avais lu Red Son il y a quelques années, et la lecture m'avait surtout marquée pour quelques éléments précis (la boucle, la ville réduite, Batman...). Mais oui, je trouve cette BD un brin galvaudée ! On sent qu'elle est faite par des capitalistes.

Silence avait surtout fait un bruit monstre (huhu) à l'époque à propos d'un perso qui revenait d'un endroit d'où il n'aurait pas dû sortir (alors qu'en fait c'était pas lui). C'était son passage qui avait vraiment marqué les gens, de mémoire.

Là, j'attends 3 Joker, pour voir où ils veulent aller avec ça.

Suijirest:
J'ai encore acheté pas mal de trucs récemment, dont le tome 3 de L'Arabe du Futur de Riad Sattouf et C'est quoi, un terroriste ? de Doan Bui et Leslie Plée.

Mais surtout, j'ai acheté Un peu d'amour, le nouveau tome des Nouvelles Aventures de Lapinot.
Faut savoir que, comme pas mal de bédéphiles qui se respectent, j'ai pour Trondheim un respect prononcé, depuis que je l'ai découvert en 2004 avec La Couleur de l'Enfer et qui ne s'est pas démenti avec des titres comme Slaloms ou La Vie comme elle vient.
Pourtant, il m'avait fallu du temps pour apprécier Un Monde un peu meilleur, le premier tome des Nouvelles Aventures, à sa juste valeur. Deux ou trois lectures m'avaient été nécessaires pour le décortiquer. :-|

Un peu d'amour choisit le format de la suite de strips, qui peuvent faire penser au premier abord à une série hebdomadaire. Cependant, il raconte bien une histoire assez riche et rocambolesque, ficelée de réflexions acides sur l'absurdité du quotidien comme le bonhomme sait si bien les faire. Elle serait épuisante à suivre dans un format plus classique et un rythme plus soutenu, mais la découpe des strips aide à bien respirer mentalement à chaque rebondissement. On introduit aussi quelques nouveaux personnages et on se débarrasse d'autres pour renouveler la soupe ; ainsi, même les non-habitués à l'univers Lapinot peuvent commencer par ce tome, ça ne pose pas de soucis.

Comme d'habitude, l'apogée de l'ouvrage, ce sont ses phrases-clés comme "ça serait bien si on montrait autant d'enthousiasme [quand on est champions de foot que] quand un journaliste révèle un scandale ou fait tomber un puissant". C'est simple, c'est court, mais que dire de plus à cela ? :ange:

Bref, je recommande. ;D J'étais quasi-sûr de le faire en l'achetant, mais la possibilité d'une déception, même venant d'un créateur qu'on a suivi et aimé pendant plus de dix ans, n'est jamais à exclure. :mouais:

Suijirest:
J'ai acheté le tome 4 de L'Arabe du Futur.

Pour celles et ceux qui connaissent pas, il s'agit d'une série de romans graphiques autobiographiques de Riad Sattouf, qui raconte son enfance entre la France et le Moyen-Orient.

L'histoire commence en 1978, quand un étudiant syrien (Abdel Sattouf) rencontre une étudiante française anonyme (la mère). Par on ne sait quel hasard, Abdel va décrocher un doctorat en histoire à la Sorbonne, tandis que la mère, je ne sais pas.
Afin de faciliter son départ dans la vie avec un enfant à charge (le petit Riad) Abdel va se rapprocher de ses racines arabes pour obtenir des postes de professeur. Son objectif sera de sortir le peuple arabe de l'obscurantisme et de l'ignorance pour qu'ils rivalisent par leur sagesse et leur technique avec le monde occidental.

Un simple coup d'oeil à une planche suffit à le comprendre, le trait est très innocent, enfantin, pour traiter justement de la vie d'un enfant avec des yeux et une sagesse d'enfant. Ce sont les souvenirs de Riad, tels qu'il les restitue, et non ses opinions qui s'expriment. Les couleurs et les fonds sont aussi travaillés pour exprimer le focus et les centres d'attention. Laissons donc de côté les gens dénués d'arguments pour qui "si c'est pas tout aussi joli et détaillé qu'une photo 4K ça n'est pas intéressant" (insérer référence à Emma de votre choix).

Mais pour en revenir à L'Arabe du Futur, l'action s'est passée essentiellement entre deux points : un village de Syrie, Ter Maaleh, où vit la grand-mère paternelle, et un petit coin de Bretagne, le Cap Frehel, chez la grand-mère maternelle. Et on sent bien, à travers les dessins et les anecdotes, que la Syrie des années 80 est vraiment un pays dans la misère, la corruption et le nationalisme. On y éduque les enfants à coups de bâtons, on doit payer 600% de droits de taxes pour un lecteur VHS, on passe des spots de propagande à la télé. Et forcément, il n'y a pas meilleur climat pour développer le ciment social ultime : la religion.

Riad va vivre une vie plus ou moins normale d'enfant normal. Malgré ses cheveux blonds qui lui vaudront d'être traité et frappé comme un "sale Juif", malgré ses relations parfois tendues avec sa famille, malgré les rapports entre ses parents qui se détériorent, il va rester un "simple" enfant, qui va à l'école, joue avec ses cousins, s'invente des histoires et se trouve des qualités. Il grandira avec un regard relativement neutre et lucide sur le monde qui l'entoure.
Il vivra aussi l'adolescence avec toutes les difficultés imaginables, physique ingrat, résultats peu glorifiants, trop Arabe pour être Français et vice-versa, une famille de plus en plus explosive et un climat international qui ne l'est pas moins.

Mais son père va prendre un autre chemin. Attention, à partir d'ici, non seulement ça va spoiler, mais en plus, ça risque de trigger les choquances. Allez donc lire les 4 tomes avant de poursuivre, ou même sans intention de poursuivre ce super-post de connard fini  à nom d'animal, ça sera pas perdu de toute façon.

L'essentiel, c'est qu'Abdel Sattouf avait l'intention, au départ, de devenir "quelqu'un". Il ne voulait plus être le petit frère persécuté par son aîné, il ne voulait plus être le petit miséreux qui vit dans la poussière. Alors, il a donné de lui-même, il s'est défoncé pour avoir son diplôme français qui prouverait qu'il est plus malin, plus capable, plus sage que son village de bigots. Mais il apprendra de lui-même que, son village de bigots, il n'est pas un cas isolé, il est la norme de son pays. On s'y fiche de la connaissance académique, on n'y fait pas des études brillantes. On s'y fait une place en proférant des leçons de religions, en brandissant des titres de Hadj ou de chef de famille, en achetant les gens faibles et en écrasant les gêneurs.

Abdel le vivra de première main quand son Hadj de frère lui volera des terres, croyant que jamais un docteur en histoire ne reviendrait dans son trou paumé. Il le vivra également quand sa famille assassinera sa cousine, et qu'il perdra son honneur en dénonçant son tueur qui n'aura de toute façon qu'une tapounette sur le bout du petit doigt. Il le vivra quand il constatera que seul le faste et le péché attirent les puissants, et non l'intellect ou l'honorabilité.
D'ailleurs, son épouse n'est pas en reste, puisqu'elle lui reproche à peu près tout. La vie dans la misère, leur manque de relations sociales, les cachotteries, les investissements foireux, la dépendance au cercle familial... rien de tout ça n'est épanouissant pour une Française qui a connu la liberté, les supermarchés, les rues de Paris et l'abondance pendant plus de 20 ans. Même le foyer n'est pas bien chaleureux.

Et la pente qu'empruntera Abdel, pour garder sa fierté et se convaincre d'être "quelqu'un", c'est celle de la religion qu'il avait juré de combattre.
Ça commence par quelques attaches, presque du bon sens "Dieu c'est sacré, quand même, on rigole pas avec".
Ça s'enchaîne, quand la vie au village l'exige, par des façades, des compromis, des distances. Sans être croyant, Abdel est bien forcé de laisser faire ceux qui le sont, et de s'y mettre un peu.
Et plus les difficultés s'empilent, plus les façades deviennent un réconfort. L'humanité s'entête à le trahir et le rabaisser, mais l'amour de Dieu, lui, existe et le soutient, aussi longtemps qu'il y croit.
Or, ce réconfort creuse un gouffre avec son entourage, et devient peu à peu une maison. Abdel ne vit plus avec les humains, il existe à travers "l'amour de Dieu" qui s'exprime à travers les humains : ceux qui le manifestent sont juste et bons, ceux qui ne le font pas sont mauvais et inférieurs.
Et cette maison, au final du tome 4, est devenu sa prison. Je pense que la lecture suffit à s'en rendre compte, il n'y a plus d'Abdel Sattouf docteur en histoire qui veut sortir son peuple de l'ignorance, il n'y a plus qu'un Hadj aigri, raciste et égoïste qui plastronne une fierté d'être plus saint que le Bon Dieu pour marquer sa différence et sa supériorité de tous ceux qui l'ont trahi, et ça fait un paquet de monde.

Finalement, si Abdel Sattouf a bien des torts, il ne les porte pas tous ; sa famille ne l'a pas vraiment aidé à s'en sortir, à changer les rails et à ne pas foncer dans le mur. Les textes soi-disant sacrés ne sont pas non plus responsables, ils n'ont fait que profiter d'un terrain favorable pour se planter et pousser de force. Pendant que son fils cherchait sa place, non pas dans l'hypocrisie et la discrimination justifiée de ces traditions, mais dans la recherche et l'exploitation de ses capacités, Abdel va cultiver sa haine du grand méchant monde pour s'excuser d'être plus facho que les fafs. Il n'a jamais réussi à monter très haut, mais il a été capable de tomber vraiment, vraiment très bas.

Bien triste mais compréhensible histoire que tout cela. :(

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