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La Tour du Rouge : [Random | Très court] Sans titre #1

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Nehëmah:
Salut là-dedans, say mwa :niak:

Alors, ça fait un sacré bail que j'suis venu ici, je crois que la dernière chose que j'ai commentée, c'était du Argoth, c'est pour dire... J'ai du retard sur absolument tout, mais ta galerie est une de celles qui m'intéressait le plus et pour cause : la profusion de tes écrits, leurs qualités propres, et leurs liens plus ou moins explicites. D'ailleurs, j'aurais une question : n'y a-t-il réellement aucun lien entre Monarque et Samyël ? J'espère sincèrement qu'il y en a, même des ténus, car je trouve que ce serait dommage de créer deux univers différents alors que tu peux en développer un de manière plus exhaustive. Surtout que le personnage de Monarque himself et celui de Samyël se ressemblent pas mal, en fait.

Bref, à cause de la participation à Monarque, je n'ai pu résister à la tentation de lire ce texte, quelques années après son commencement. C'est en le lisant que je trouve à la fois le jeu et le texte original de plus en plus profonds, leur relation est complexe, cohérente, et fourmille de détails savoureux. A dire vrai, j'avais une page ouverte pour ton texte et une page ouverte sur le jeu, histoire de voir les cartes, les noms, ce genre de choses, et il y a bon nombre de points qui ont retenu mon attention. J'attends d'ailleurs de voir les membres de Tempête du Chaos ressurgirent désormais dans le jeu Monarque v.v ... Bref, je crois que je pourrais te poser un millier de questions sur les relations entre le jeu et le texte initial, mais je crois que je ne resterais que sur une seule interrogation : est-ce que le jeu aura des influences sur tes futurs écrits ? Par exemple, relateras-tu, même de manière lointaine, nos exploits, nos bides et nos réflexions ? Je trouve en tout cas que ce procédé entre texte et jeu est réellement intéressant, c'est une manière très intéressante d'approfondir son propre univers.

Pour la suite, je parlerais plus principalement des qualités et défauts inhérents à Monarque. De ce que j'ai compris, d'abord ce n'est pas fini, et j'imagine que certaines remarques auront leurs réponses plus tardivement. Je remarque par les défauts histoire de :niak: ...

Tout d'abord, la gestion des personnages est bonne mais je regrette vraiment un truc : à mon avis, Liz est un personnage totalement occulté. On a l'impression qu'elle devient strictement inutile si ce n'est la putain de Monarque lorsqu'il est en manque. Toutefois, c'est un personnage qui tue littéralement Pâlot, un mec osef au début, et qui aurait pu tuer Monarque si Tapinois n'avait pas été présent. Bref, je trouve le perso carrément sous-exploité et c'est franchement le défaut qui m'a sauté aux yeux. Pourquoi dans la partie 3, dans la prison, elle n'apparaît pas, alors que c'est le moment où elle aurait été cruciale ? Perdu dans ses ténèbres intérieures, Monarque n'aurait eu qu'un seul contact : Liz. Ce personnage assez anecdotique jusque-là aurait pu prendre de l'épaisseur. C'est d'autant plus étrange que le personnage a de l'importance dès le premier chapitre et le chapitre qui la fait réellement naître est somptueux. Il y a quelques personnages comme ça qui ne prennent jamais trop de consistance, en général les femmes, qui sont de vrais combles (Rose entre autres). Bref, je trouve que certains de tes personnages manquent de consistance, peut-être car il y en a trop et qu'il y a des moments où il faut faire des choix, et je trouve qu'un personnage qui traverse le récit très rapidement et finit par crever deux chapitres plus loin, c'est juste un manque d'inspiration flagrant.

L'autre point qui m'a ennuyé, c'est le style. Pas forcément tout le style, car il y a de très bons points. Mais c'est un peu le contraste entre un style un peu pompeux style médiévaloclassique et d'un coup le style super vulgaire. Je sais que c'est dans l'esprit dark fantasy tout ça, mais ça m'a n peu gêné surtout que c'était un style finalement très contemporain, comme si Monarque avait vécu à notre époque. Ca jure avec les dialogues par moment, y a comme un décalage que je trouve assez gênant. En fait, c'est parfois juste les insultes qui sont mal choisies, car elles sonnent trop "de nos jours" alors qu'on se retrouve parfois avec des "Messire Monarque" d'un autre âge.

Pour rester du côté du style, oui, il y en a. Le cynisme de Monarque est réellement corrosif et m'a arraché des rires à plusieurs reprises. Le personnage est d'ailleurs très très intéressant, haut en couleur, et comme j'ai déjà dit, très proche de Samyël du souvenir que j'en ai (peut-être à cause de la couleur des cheveux). Il évolue au fil du temps, et ses choix influent sur le rendu du texte. J'explique : le passage du passé au présent par exemple, qui est un non-sens total mais assumé par le personnage lui-même. Je suis friand de ce genre de procédés ou le style devient l'histoire, je trouve que ça enrichit à la fois l'un et l'autre. En tout cas on souhaite en savoir encore plus, surtout que l'histoire est a priori loin d'être finie, on doit encore en savoir davantage, ne serait-ce que son nom et son passé qui paraît trouble (notamment l'épisode où il a tué ses potes avant de devenir roi d'Aethor si j'ai bien compris).

Les personnages secondaires ne sont généralement pas en reste, bien qu'on aimerait en savoir un peu plus. Ils sont surtout gênés par leur nombre, et lorsqu'un d'entre eux décède c'est souvent "osef". Je suis plus friand des personnages qui ont des apparitions bien soignées comme Ombre de Mort (en plus ce salaud nous en veut dans Monarch v.v ). Et j'aimerais aussi en connaître davantage sur les différents territoires et factions, on parle de Léofoyer très anecdotiquement, de quelques territoires de Soufflété, de certains personnages de l'Empire du Centre (ça me fait bizarre d'y voir ce Bras-de-Fer d'ailleurs), de la (Nouvelle-Wellmarch), de l'Empire Zan'Harien, mais il n'est quasiment jamais mention de Havrefeu si ce n'est à travers la mention à une reprise d'un Sangredragon. Est-ce que c'est faction était faible, effacée ? Le Conclave attire aussi ma curiosité.

Bref, j'suis un peu fatigué ce soir, je m'arrêterais donc là en tout cas j'espère que tu apporteras quelques réponses à mes questions. En attendant, je me ferais certainement les Triangle prochainement, ça m'a plu de revenir te lire, je note de gros progrès depuis tes débuts par ailleurs. D'ailleurs, ton histoire sur Samyël arrive bientôt à la fin ? Car je préfère lire une histoire terminée :niak: ...

Great Magician Samyël:
Je suis désolé mais suite à un bug avec le passage à la version 7.5 du fofo mes réponses à vos commentaires ont été supprimées. :(


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Monarque
-Les Carnets du Mercenaire-


I/ Le Lancaster

1.
   Lorsque l’on passe son temps à barouder sur les routes, pour voler d’un massacre à un autre (ou d’une déculottée à une autre, au choix), l’on se rend compte qu’il existe des choses en ce bas monde régies par des lois universelles et immuables, qui s’avéreront véridiques quelque soit la région dans laquelle vous vous trouvez. C’est le cas avec les auberges et les tavernes miteuses.
   L’un dans l’autre ça a un petit côté rassurant. C’est un peu comme des repères pour le voyageur de l’extrême. Il sait que, où qu’il aille, quelque soit la campagne pourrie qu’il parcourt, loin de toute cité un peu civilisée, il trouvera une salle commune enfumée par les pipes des vieux habitués, des tables crasseuses tâchées par des trucs un peu louches, des chaises à moitié mangées par les thermites, des paillasses miteuses dévorées partiellement par la vermine à poil ou infestées par la vermine chitineuse. Ledit voyageur trouvera en sus pour se restaurer du porridge froid ou de la bouilli d’avoine si épaisse qu’il aura mal au fondement lorsqu’il voudra s’en débarrasser, et de la pisse d’âne tellement insipide qu’il préférera peut-être s’essayer à la gnôle locale (Auquel cas notre voyageur passera dans la catégorie aventurier de l’extrême.).
   La nôtre d’auberge, était exactement comme ça. Enfin, j’ai oublié de préciser que le voyageur rencontrera toujours l’hostilité débile des gens du coin, car en tant qu’étranger il paraîtra louche et porteur d’ennuis, ce qui lui vaudra des jurons masqués, des regards obliques et des tarifs préférentiels généreusement appliqués par le brave tenancier. A noter que le voyageur paiera la somme demandée sans faire d’histoire. En effet, il est souvent plus sage de se faire plumer que de se faire tabasser à mort pour un peu d’argent.
   Si tout ceci peut paraître un peu barbare pour le citadin n’ayant jamais connu les joies du baroudage, il faut dire que c’est peut-être un peu justifié. Si si, je vous vois déjà monter sur vos grands chevaux, mais c’est la vérité. Vous vous rappelez que je parlais un peu plus haut de cette catégorie particulière de voyageur, les aventuriers? Et bien ces gens, croyez-en mon expérience, sont des gens absolument affreux. Ils débarquent souvent en groupe à des heures indues, plus armés qu’une milice royale, affichent souvent des mines patibulaires, gueulent fort et ont une tendance prononcée à réduire le mobilier à sa plus simple expression après avoir déclenché une bonne vieille rixe sanglante pour punir un paysan bouseux du regard un peu torve qu’il aura balancé au copain.
   On peut donc comprendre les taverniers et les aubergistes pour leurs pratiques douteuses et peu morales quant à leurs tarifs. Après tout, pourquoi s’ennuyer à garder des tables propres et des chaises à peu près solides quand on sait qu’à tout moment des étrangers peuvent débarquer et tout détruire avant de s’enfuir (si tant est qu’ils n’y mettent pas le feu en prime)? C’est une simple question de bon sens.
   Bon, hélas pour nous, nous faisons partie de la catégorie des aventuriers.
   C’est peut-être pour ça qu’alors que nous ne faisions rien d’autre que de déguster une bonne pinte de mousseuse (si vous avez suivi, vous aurez noté l’ironie mordante) en parlant affaires, quand la minute d’après un pauvre bige était étalé par terre et se tenait le ventre d’où ses tripes sortaient pour se répandre alentour. Il faut préciser qu’il avait énervé Tapinois, et Tapinois quand on l’énerve il a une certaine facilité de caractère à jouer du surin. Un surin dentelé et affreusement affûté, faut-il préciser.
   Ca fait parfois tout un tas d’histoires, parce qu’en général les villageois n’aiment pas trop qu’on assassine l’un des leurs sous leur propre toit. C’est d’autant plus vrai quand les meurtriers sont saouls comme des barriques et qu’ils rigolent à la vue du sang qui se répand et à l’écoute des suppliques de l’agonisant.
   C’est pourquoi assez vite je me suis retrouvé avec une épée pointée sur ma gorge, tandis que je pointais la mienne sur celle d’un inconnu rougeaud, pendant que Gratos pointait sa rapière sur les bourses d’un autre bige, que lui-même était menacé par un coutelas de boucher, tenu par un type louche qui lui aussi se trouvait tenu en fâcheuse posture par les dagues que Tapinois gardait plaquées contre le creux de ses genoux.
   Bon, il serait peut-être plus simple de commencer par le commencement.



2.

   Je m’appelle Monarque, et ceci est  ce qu’on pourrait appeler mon journal de bord, journal de route, carnet intime ou appelez ça comme vous le voulez.
   Monarque, c’est pas mon vrai nom. C’est un pseudonyme, parce que mon vrai nom, on me l’a volé. C’est un peu compliqué, alors j’y reviendrai plus tard. Et puis j’aime pas trop déballer ma vie comme ça devant des inconnus. Je préfère attendre qu’on se connaisse un peu plus, vous et moi. J’ai fait pas mal de chose dans ma vie, et présentement, du haut de mes trente ans presque révolus, je suis mercenaire dans une compagnie franche. Et pas n’importe laquelle, s’il vous plaît! La 6e Compagnie de l’Epée, rien que ça.
   Mais je préfère vous prévenir, j’ai pas choisi.
   Pour expliquer rapidement les choses, détenir le vrai nom d’une personne vous donne tout pouvoir sur elle. Donc si vous avez suivi, ça veut dire que je suis aux ordres du type qui m’a volé mon nom. Il s’appelle Jess Falkorn, surnommé « capitaine » (avec un petit « c », rapport à son engin), alors qu‘en fait il est lieutenant. Pour vous dresser le tableau le plus flatteur que je puisse en faire, je dirai que c’est un jeune con péteux et arrogant qui me doit tout. Et je suis gentil.
   C’est donc grâce à lui si depuis cinq ans je passe ma vie à courir le monde dans un sens puis dans l’autre, que je risque ma vie dans des missions suicide ou autre connerie du genre. Officiellement je suis le Porte-Etendard, ce qui me donne le grade de sergent au sein de la compagnie. Officieusement, je suis le leader de Tempête du Chaos, un petit groupuscule commando secret composé de la fine fleur du mercenariat (Les violeurs, les voleurs, les tueurs, les bouchers, les fous et les cul-de-jatte qui ont préféré tenter leur chance dans le mercenariat plutôt que de finir sans tête ou la corde au cou). Nous formons un groupe sacrifiable, car sans valeur stratégique, mais nos talents divers et pour le moins éclectiques restent utiles pour des missions douteuses, à faible taux de réussite et que personne d’autre ne veut faire.
   A vrai dire, j’ai pas plus envie qu’un autre de les faire moi non plus, mais je suis obligé. Donc c’est moi et ma fine équipe qui nous coltinons les raids suicide dans la nuit, les embuscades à un contre dix, les assassinats, les missions de reconnaissance en terrain difficile, les opérations en sous-main dans les campagnes locales… Et détrompez-vous, ça nous épargne pas les batailles rangées avec le reste de la piétaille. En fait, on est même souvent en première ligne, puisque c’est moi qui suis chargé de me trimballer le fichu étendard, un machin de deux mètres cinquante, qui pèse au moins vingt kilo et qui fait de moi une cible privilégiée et foutrement tentante.
   Je suis bien d’accord avec vous, c’est une vie de con, mais bon, comme dirait mon paternel, on choisit pas son destin, on le subit. Mine de rien, on s’y habitue. Au début c’était dur, j’ai failli perdre un bras une fois, et un type a failli m’arracher les yeux à mains nues si Tapinois l’avait pas suriné avant. Mais à force, à côtoyer la mort chaque jour, on s’endurcit, et aussi fou que ça puisse paraître, on en vient presque à rechercher le frisson que confère l’aventure et l’adrénaline hurlante qui gicle dans vos veines au cœur d’une mêlée ou pendant que vous vous infiltrez dans un château pour aller supprimer le seigneur ennemi.
   C’est par pour autant que j’apprécie ma condition, remarquez. Les compagnies franches sont une plaie purulente pour le monde, des rassemblements de raclures sans honneur qui vendent leurs âmes et leurs lames aux plus offrants. Tuer des enfants, violer des femmes, brûler vif des pauvres biges armés de fourches qui faisaient rien d’autre que défendre leurs terres, c’est du bonus pour eux. Les mercenaires c’est des gens simples dans le fond, donc ils apprécient ce genre de plaisirs tout aussi simples.
   A la réflexion, si je les déteste autant, c’est peut-être parce qu’à force de les côtoyer je deviens comme eux.
   Au début, j’étais encore pétri de principes, de valeurs, d’honneur un peu aussi. Maintenant, je ne rechigne même plus à user de la torture ou à tuer le premier péquenot qui viendrait me chercher des noises. Et c’est malheureux, ouais.
   Une des rares qualités que je peux trouver au capitaine, c’est que sa compagnie fait partie des moins pires. Il attend de ses hommes de la discipline et de la respectabilité (du moins le plus qu’ils peuvent en fournir), alors les populations civiles dont on rase les villages et brûle les champs sont relativement épargnées. Mais ne vous faites pas avoir, Falkorn se fout comme d’une guigne de ce qui peut bien arriver à ces culs-terreux, tout ce qui lui importe c’est son image. C’est que le bonhomme à de l’ambition, et qu’il ne compte pas rester toute sa vie à la tête d’un groupe de mercenaires.
   Il a bien l’intention de se faire sa place au soleil dans la noblesse de Féraldia, et il en a encore tout le temps, du haut de ses vingt-deux printemps. Il en a le moyen, en plus, puisqu’il possède une arme dévastatrice : moi.
   Ca peut paraître prétentieux mais, hé, je suis pas n’importe qui. Comme je l’ai dit, j’ai pas toujours été un mercenaire. Je suis avant tout un mage, et pas un illusionniste de foire ou un herboriste pseudo-mystique. Non, moi je joue plutôt dans la catégorie mage de guerre, spécialisation destruction massive et option annihilation biologique. Héhé. Bref, tout ça pour dire que Falkorn a un sacré avantage avec moi, un as dans sa manche, bien caché et protégé. S’il m’envoie faire ses basses besognes, c’est parce qu’il sait que j’ai une forte propension à la survie et les moyens pour me l’assurer. Et puis ça l’arrange que je sois souvent ailleurs que dans ses pattes, parce qu’il doit sentir ma haine pour lui irradier par vagues. Et puis les gens pourraient commencer à poser des questions, faire des rapprochements, et ça ce serait pas bon. Pour lui, comme pour moi.
   Le capitaine m’utilisera jusqu’à ce qu’il soit parvenu à ses fins, et même à ce moment là je suis certain qu’il me gardera comme valet de pied. C’est pas pour rien si deux mois après m’avoir volé mon nom il était catapulté lieutenant de l’une des plus prestigieuses compagnies franches. (Prestigieuse en termes de massacres, violence et efficacité militaire, j’entends.) L’Aiglon Ascendant, comme on l’appelle maintenant. Tu parles! La seule chose pour laquelle il est bon c’est séduire des putes avec son minois et manier ses deux rapières avec une certaine habileté. (Bon d’accord, une certaine et véritable habileté.)
   Tout ça nous ramène donc à l’instant présent. Pourquoi est-ce que j’écris tout ce baratin? Et bien j’en sais rien moi-même. Peut-être qu’à force de trouver des journaux de mecs morts depuis des lustres dans les tombeaux et caveaux qu’on pille, ça m’a donné l’idée. Je suis pas vraiment le genre sentimental qui a besoin de raconter tous ses malheurs au premier type qui passe. Peut-être que la vraie raison, c’est que j’ai peur.
   Depuis que mon nom m’a été volé, j’ai l’impression que mes souvenirs disparaissent petit à petit. Et j’ai l’impression que ma magie fout le camp aussi. C’est comme si… Comme si je disparaissais. Comme si ce que je suis devenu prenait le pas sur ce que je suis réellement et ce que j’ai été. Et c’est diablement terrifiant. Alors peut-être que si j’écris tout ça, ça va m’aider à me souvenir. Ca me rendra pas mon nom, mais ça j’ai plus ou moins arrêté d’y songer depuis quelques temps. A force, on se résigne.
   Au pire, avec de la chance un historien tombera dessus et l’Histoire se souviendra de moi.
   Voici donc les Carnets de Monarque.



3.

   
     Vous vous rappelez qu’au tout début de ces Carnets je vous parlais de ces choses immuables et universelles, du genre qui change pas où qu’on soit? Et bien c’est pas tout à fait vrai. Le Lancaster a cette particularité qu’il remet en cause toute vos certitudes.
   Comment expliquer ce qu’est le Lancaster? C’est un vaste sujet. Imaginez une plaine, une très, très grande plaine, qui fait passer les Contrées de l’Eté pour un bac à sable. Vous y êtes? Maintenant vous remplacez les bosquets verts touffus par des arbres rabougris et à moitié mort, la belle herbe mouchetée de fleurs sauvages par un tapis de brindilles jaunâtres, grises ou noires, complètement sec, et enfin les ruisseaux gazouillant joyeusement par des filets de liquide saumâtre et louche. Ha, et pour la faune, vous changez les aigles, les faucons, les éperviers par des vautours nains, des vautours albinos et des vautours à tête piquetée, les cervidés et les lapins par des pumas sauvages de deux mètres d’envergure et des vers fouisseurs de quarante centimètres qui vous bouffent les jambes par en dessous.
   Voilà grosso modo le Lancaster. On l’appelle pas Provinces Sauvages du Lancaster pour rien, après tout. Et sachez que cette triste lande est habitée. Ouaip. Habitée. Si vous avez le courage ou la démence (au choix) de voyager dans le Lancaster, vous croiserez des villages, des hameaux, faits de torchis et de chaume, parfois de bois si on est pas trop loin de Féraldia, parfois une ville ou une cité dont l’absurdité architecturale ne vous laissera pas de marbre, et enfin vous trouverez des forteresses et des châteaux à moitié en ruines qui vous glaceront les sangs rien qu’à les regarder. Le Lancaster, c’est un peu une joie de tous les instants.
   Parce que figurez vous en plus que si c’était pas déjà assez, la région est constamment sujette à des guerres civiles ou des règlements de compte claniques. Ici les seigneurs de guerre et les chefs tribaux font la loi (leur loi), bataillant sans cesse pour des lopins de terre que même un Kalishite rechignerait à payer un demi sou ou pour réparer une insulte imaginaire. Et au milieu, la population civile fait de son mieux pour vivre en essayant de pas crever de faim, ce qui ce fait chaque jour un peu plus dur.
   Le Lancaster n’a pas toujours été comme ça. Il y a quelques siècles, c’était une contrée prospère qui apprenait ses leçons au tout Féraldia, niveau militaire. Même les Sangredragon, à l’apogée de leur puissance, n’ont pas osé franchir la frontière pour porter leur guerre de conquête là-bas. Mais les vieilles rancœurs ont la vie dure, et les seigneurs du Lancaster finirent pas se déclarer une guerre ouverte tellement confuse qu’à la fin personne ne savait plus qui était ses alliés et qui étaient ses ennemis, si bien que ça se mettait sur la tronche à vue, et que ça discutait après, quand le vis-à-vis gisait raide mort dans son sang. Les champs ont tellement été incendiés que d’immenses parcelles de bonnes terres agricoles sont devenues totalement infertiles, et les cours d’eau ont tellement été empoisonnés délibérément que c’est de la folie de boire de l’eau qui n’a pas été traitée avant.
   Comme si ça ne suffisait pas, les plus riches de ces seigneurs guerriers ont eu la bonne idée de se payer des mages. Et ça c’est jamais une bonne idée. Je parle en connaissance de cause. Imaginez : un terrain de jeu immense, des centaines de mille d’âme à génocider, et en plus on vous paye pour ça! La pire engeance de la magie a rappliqué ventre à terre, des sorciers noirs, des alchimistes peu scrupuleux, des nécromants, des mages répudiés du Conclave ou en cavale… Et tout ce beau monde a tellement bien fait son boulot qu’à la fin, quand la poussière s’est tassée sur le sol, que les feux se sont éteints, que la pluie est redevenue de l’eau et non plus du sang, et bien du Lancaster il ne restait plus grand-chose, hormis des landes gastes et ruinées, des cratères, des populations complètes errant, hagardes, dans les décombres de ce qui avaient été des cités prospères et fières.
   Loin de calmer le jeu, cette accalmie a allumé un feu encore plus grave, et les armées de métier, décimées, ont été remplacées par des hordes de paysans en colère qui se sont éviscérés au nom de seigneurs morts depuis longtemps. Les sorciers, eux, ont assassinés leurs employeurs crédules et se sont barricadés dans les forteresses, les tours et les manoirs, pour expérimenter leurs saloperies en paix. Au final, les seigneurs de guerre ont émergé, ont calmé tout le monde à grands coups d’épée dans la tronche, et depuis la situation est calme, à défaut d’autre chose. Même s’il ne reste plus grand-chose à manger, même si la sécheresse devient chaque année plus importante, même si on ne peut presque plus rien y faire pousser, et même si le déchainement de magie qui a irradié le Lancaster pendant plusieurs années a fait apparaître des phénomènes bizarres, voire carrément terrifiants. (Un conseil : ne vous baladez pas seul la nuit en plein campagne.)
   Et voilà, je vous ai fait un cours d’Histoire, juste pour dire qu’ici, dans le Lancaster, bah rien n’est certain. C’est un endroit vraiment étrange, glauque, pas fait pour les honnêtes gens. Et après cinq mois passés à manger de la caillasse et de la poussière sur ses routes inexistantes, je commence doucement à en avoir marre. Heureusement que nos affaires ici sont enfin finies, et qu’on va bientôt pouvoir se tirer, et partir vers l’Ouest, vers Féraldia et les contrées civilisées. Ce que je donnerais pas pour un bon rôti et une bière qui mérite ce nom.

4.

   Après ce bel exposé vous devez légitimement vous demander ce qu’on pouvait bien foutre dans un endroit aussi peu sympathique. La réponse est toute simple : on était payé pour ça.
   En général les seigneurs de guerre restent entre eux, parce que c’est plus sympa de taper sur des gens qu’on connaît bien, mais il arrive parfois qu’un d’entre eux, un peu plus intelligent que la moyenne, se mette martèle en tête d’aller, pourquoi pas, piller les terres frontalières, fertiles et riches, de Féraldia. C’est  ce qui était passé dans l’esprit du seigneur Jihag von Brömstark, connu sous le sobriquet de « le Tenace ». Le brave Jihag avait donc envahi une bonne tranche de Féraldia, osant pousser ses troupes de pilleurs jusqu’aux abords de la Sinueuse. Ce qui n’avait bien sûr pas du tout plu à Tercedames et sa trinité de dirigeantes. Malheureusement, ou heureusement pour nous (ou bien est-ce le contraire?…), les éternelles escarmouches entre Tercedames et les bannerets des Anderly de Souffleté étaient particulièrement violentes à ce moment là, ce qui poussa  Jade Castillion à puiser dans ses fonds pour s’offrir les services de la 6e Compagnie de l’Epée, et celles de la 7e Compagnie de l’Epée (Tant qu’à faire, puisqu‘elle passait par là).
   Donc nous voilà à trancher dans du guerrier poilu et beuglant depuis cinq longs mois, à trainer nos bottes sur des champs de poussière et à manger du sable. Les Lancastriens crient fort, mais honnêtement ils restent des sauvages. Armés de misère, à peine protégés par leurs armures en cuir, en tissu voir sans armure du tout, montés sur des chevaux dont on peut distinguer les côtes à cent mètres. Les murailles érigées depuis la chute du Lancaster auraient aussi bien pu être faites en parchemin. Ils n’ont aucune notion de discipline ou de stratégie, et seule l’aptitude du chef à tuer ses opposants directs maintient leur cohésion.
   Enfin bon, tout aurait très bien pu se passer, après tout on était là, peinards, à attendre que ces salopards nous chargent en beuglant des insanités pour les faucher à coups de flèche sans se salir, quand soudain on s’est retrouvé à assiéger une forteresse dont les remparts devaient bien monter à quinze mètre de hauteur. C’était un peu surréaliste, de voir une citadelle presque neuve, bien construite, avec de la bonne pierre et bien entretenue, alors qu’autour tout n’était que désolation, gris et misère.
   Ca faisait désordre, et le capitaine il aime pas trop le désordre. Alors il nous a envoyé, moi et mon équipe, tendre une embuscade près d’une poterne dans la muraille Nord. On a choppé une estafette et on l’a un peu travaillé au corps (en toute amitié, bien sûr) avant de tailler le bout de gras. Il en est ressorti que ce machin énorme s’appelait Kaer’Jihag et était un « cadeau » d’un allié du Tenace, établi plus à l’est, et qui avait fourni au seigneur de guerre armes, chevaux et troupes fraîches pour aller attaquer Féraldia.
   Après avoir fait goûter les pissenlits locaux (en tout cas, ça y ressemblait un peu) par la racine à l’estafette, on est allé cafter au capitaine. Alors oui, c’était intéressant mais ça ne nous avançait pas beaucoup, parce que construire des échelles de quinze mètres sans disposer de forêts sous les mains, c’était un peu ennuyant, et que de toute façon, une échelle de quinze mètres, le temps d’arriver en haut on pouvait se prendre vingt flèches. Alors il allait falloir attendre qu’on ramène des machines de guerre, du genre catapultes, tours de siège et béliers pour pouvoir passer à l’action.
   Et puis tant qu’à faire, quitte à se tourner les pouces pendant un mois, autant envoyer le bon Monarque fureter à l’est pour en apprendre un peu plus sur ce mystérieux allié.
   Bah voyons.
   
   
5.

   -Bonne nouvelle les gars, ai-je fait en m’approchant de mes troufions après avoir eu une petite entrevue avec le capitaine. On part faire un pique-nique.
   Ils m’ont regardé avec des mines lasses et blasées. C’était compréhensible ; ça faisait un bout qu’on faisait rien d’autre que de se regarder dans le blanc des yeux en bouffant des tubercules. Le Lancaster pouvait difficilement être qualifié de champêtre.
   -Quelle est la mission?, a fait Tapinois en rangeant le couteau qu’il était en train d’affûter.
   Tapinois, c’est le pragmatique de la bande. Bon, c’est plus que ça. Tapinois c’est un peu notre homme à tour faire. C’est mon second aussi. Ca doit bien faire sept ans qu’on parcourt les difficiles chemins de la vie ensemble. Il m’a suivi dans le mercenariat, et je pense que rien de ce que je pourrais faire, ni rien de ce qui pourrait nous arriver ne l’empêchera de me suivre. Tapinois c’est mon ombre, c’est mon armure, mon ange gardien, mon as dans la manche. Peut-être vaut-il mieux que je m’attarde un peu sur lui tout de suite, car je sens qu’il occupera pas mal de place dans ces Carnets.
   Tapinois est quelqu’un d’assez… atypique, pour le moins. Imaginez un nain obèse, dont les trois quart de la face disparaissent sous une broussaille sale de barbe et de cheveux roux… non, oranges plutôt ; laissant entrevoir un nez énorme et épaté, des tâches de véroles et des yeux gris profondément enfoncés dans des orbites surmontés par des sourcils toujours froncés. Maintenant imaginez ce nain et cette sale trogne coincés dans une combinaison de cuir noir plus serrée qu’un fessier de pucelle noble, et sur laquelle on a fixé des dizaines de petits fermoirs en fer forgé où sont soigneusement rangés autant de dagues, couteaux, surins, stylets et autre machins petits, tranchants ou pointus. Vous aurez alors une assez bonne image de ce à quoi ressemble Tapinois.
   Tapinois c’est pas son vrai nom non plus, comme vous l’aurez sans doute compris. Encore un pseudonyme. A la vérité, quand quelqu’un rejoint mon unité, Tempête du Chaos, il reçoit un surnom. Parce qu’on s’en fout de son passé, et que seul le présent compte. En changeant de nom, on oublie plus facilement d’où l’on vient, et ce qu’on a fait. J’en sais quelque chose. Ca peut paraître étrange, mais en fait c’est très logique. Feriez-vous confiance à quelqu’un dont vous savez qu’il a assassiné son propre frère ou violé sa mère? Moi non en tout cas, donc leur passé, je veux pas en entendre parler. Ca marche plutôt bien.
   Pour en revenir à Tapinois, même s’il ne paie pas de mine comme ça, c’est un assassin, un voleur et un espion formidable. Ce type est plus silencieux et patient qu’un chat, il est indétectable lorsqu’il le désire, et parfois on a l’impression qu’il marche à travers les ombres tant il est rapide et efficace. Il manie ses dagues comme personne et il a sut faire de sa taille un avantage en combat rapproché. Imaginez un singe obèse et barbu qui saute partout en vous lacérant avec deux couteaux plus effilés qu’un tranchoir de boucher.
   Même moi j’en fais des cauchemars.
   -On va par là, ai-je répondu en pointant une direction vague avec le doigt. On va aller dormir chez l’habitant, et pourquoi pas parler jardinerie. J’aimerais récolter quelques petites choses.
   Inutile de préciser qu’une bonne moitié de mes homme n’a clairement pas assez de cervelle pour comprendre une métaphore… Ce qui m’empêche pas d’en faire à longueur de temps, parce que j’aime me sentir au dessus de la masse grouillante du commun. Ouais, rien que ça.
   On a sellé nos canassons et on est parti en emportant nos armes  et quelques rations. Douze fiers cavaliers chevauchant de concert sur une vaste plaine battue par les vents, la chaleur et tout un tas d’autres saloperies à ailes ou carapaces.
   Ce que je hais ma vie.
   On a du parcourir une trentaine de kilomètres avant de tomber sur un hameau paumé au milieu de nulle part. Et hameau, je pèse mes mots. Cinq bâtiments plus ou moins grands, en bois, s’entassaient les uns sur les autres de part et d’autre d’un minuscule filet d’eau qui serpentait paresseusement au milieu de la plaine. Comme la nuit tombait, on a décidé de la passer là. Mais quand on eut mis pied à terre, on se rendit assez vite compte que l’endroit était désert. Pas un chat. Certaines portes étaient grandes ouvertes, et l’intérieur des bâtisses puait la poussière et le pourri.
   -Ca commence bien, a ricané Gratos en extirpant de sous un lit un sous-vêtement féminin avec son épée.
   A la réflexion, il faudrait aussi que je parle de Gratos. En règle générale, les gars de mon unité ne survivent pas bien longtemps. Durant les périodes fastes, deux à six mois est déjà un exploit. Comme je l’ai déjà dit, nous, on se tape toutes les missions suicides et autres débilités, en plus de se farcir la première ligne dans les batailles rangées. Souvent, j’ai à peine le temps de faire connaissance avec mes recrues que la mort les fauche sauvagement. Mais Gratos, ça fait déjà un an et demi qu’il est avec nous. Clairement le plus ancien après Tapinois, et moi-même évidemment.
   Gratos, c’est un peu le mercenaire moyen, en plus intelligent. En plus brutal aussi. Il est relativement grand, musclé, chauve comme un caillou et il a un moustache épaisse et bizarre qui, couplée avec son regard borgne et un peu fou, lui confère un air de violeur (Ce  qu’il est peut-être, au demeurant.). Il est fort, le Gratos. Je l’ai déjà vu soulever un bige et le casser en deux sur son genou. Sa violence latente et sauvage (exacerbée par son alcoolisme galopant) et son mauvais caractère sont en partie balancés par son esprit relativement vif et ses bonnes idées lorsqu’il s’agit de faire parler quelqu’un en utilisant des outils. On l’appelle Gratos, parce que si vous avez un problème, il vous le règle tout de suite, sans frais. Satisfait ou satisfait.
   Bon je vous passe la nuit parce qu’il ne s’est rien passé d’intéressant. On a fait un feu et on a passé la soirée à se raconter des blagues en faisant circuler une flasque d’un truc chaud, fort et tellement mauvais que ça ne pouvait qu’être une production paysanne. Ensuite on a dormi comme des souches, et à l’aube on était reparti.
   Quelques heures et quelques dizaines de kilomètres plus loin, on s’est retrouvé dans cette fameuse auberge. Mais si, rappelez vous, celle où j’avais mon épée sur la gorge d’un type, pendant que j’avais celle d’un autre sur ma propre gorge, pendant que Gratos tenait sa rapière sur…


6.
   Non, on est pas tombé tout de suite sur cette auberge. D’abord, on est tombé sur une ferme. Une chouette ferme, avec des clôtures à moitié pourries, une étable affaissée, une écurie cramée et une habitation qui avait jadis connu du verre à ses fenêtres. Un peu de bétail maigrelet essayait de paître en se donnant un air ennuyé de tout, mais forcé à gratter désespérément le sol pour trouver le moindre bout de racine, l’effet perdait un peu de sa force. Des trucs louches aux formes intéressantes poussaient, bien alignés, dans des champs labourés de frais.
   Bref une ferme (du Lancaster).
   Le propriétaire est sorti de sa demeure tandis qu’on avançait nos canassons prudemment, les mains posées sur nos armes, prêts à nous en servir. C’était un vieux édenté à la peau toute fripée et tannée par le soleil. Ce qui ne l’empêchait pas de sourire à tout bout de champ (vous avez saisi? Tout bout de champ, ferme, champ… Héhé.). Il est venu nous accueillir avec des cris de joie dans son baragouin local en écartant grand les bras, comme si on était de la famille.
   On s’est regardé. C’était assez peu commun comme situation. Après tout, quand on voit un groupe d’envahisseurs en approche, normalement on ferme la porte, on y cloue quelques planches pour la forme, et on sort l’arc de pépé ou l’arbalète de tonton. On fonce pas droit sur douze types armés montés sur des destriers. Surtout quand onze de ces types ont une sale gueule et un air patibulaire tatoué sur la face.
   Mais il faut croire que le Lancaster influe même sur ce genre d’évidences. Le fermier m’a attrapé la cheville et m’a fait de grands signes pour qu’on le suive à l’intérieur. On comprenait rien à son baratin, puisqu’il parlait Lancastrien, cependant son message était assez clair. J’ai donné l’ordre à mes hommes de démonter, et j’ai posté deux sentinelles à l’extérieur, tandis que le reste me suivait à l’intérieur du bâtiment, sous les regards placides des bovidés.
   La bâtisse était petite, basse de plafond, chiche à la limite du vétuste. Une table et quatre vestiges de chaise occupaient le centre de la pièce principale, avec un fauteuil en ruine et un placard à vêtement. Deux portes dans le mur du fond s’ouvraient sur un garde manger désert et une chambre minuscule accueillant un lit tout aussi minuscule. On se sentait un peu à l’étroit, tous là dedans. Mais ça ne semblait pas gêner le fermier qui sortit de je ne sais où assez de choppes et de récipients pour nous servir à tous un genre de liqueur incolore.
   Vous avez peut-être remarqué que je ne porte pas les boissons du monde paysan dans le cœur. Et bien cette rancœur sauvage n’est pas totalement infondée. En règle générale, goûter une mixture issue d’un brassage occulte dans la cave humide d’un cul-terreux, c’est s’aventurer dans le bizarre, voire dans le mortel. Le truc qu’on nous avait servi était tellement violent que j’ai cru un moment, pendant que je tendais ma choppe à moitié défoncée, que l’alcool allait ronger mon gobelet comme cette saloperie chimique que les alchimistes de Fëdburg adorent produire. Sans mentir, on avait la tête qui tournait rien qu’à regarder la vapeur s’échapper de la surface.
   Le problème du mercenariat, c’est que personne ne veut passer pour une lopette auprès des copains. Parce que si ça devait arriver, si vous n’arriviez pas à prouver que vous avez la plus grosse, votre vie pourrait devenir pénible. Et boire cul sec un truc louche et fort, ça fait partie des attributs virils primaires. Honnêtement, personne n’était vraiment partant pour avaler ce machin. Ca se zieutait en coin pendant que le vieux finissait de servir tout le monde en babillant comme une vieille chèvre. Le drame est intervenu quand, sa besogne achevée, il a levé son verre et après avoir pontifié sur un point obscur dans sa langue de sauvage, il a avalé le contenu de son gobelet d’un trait.
   Alors bon, comme on est pas des lopettes, on a fait pareil.
   Je pense, sincèrement, que j’étais ivre mort avant même que le rebord de ma choppe touche mes lèvres. Imaginez qu’on vous force à avaler un sillon de lave, et vous aurez à peu près l’image de ce qui s’est passé dans mon gosier quand j’ai avalé. Ce truc était tellement fort et tellement dégueulasse qu’au final ça n’avait pas de goût (Ou bien peut-être que c’était à cause de la fonte instantanée de mes papilles et de ma langue.). J’ai eu l’impression qu’un matois s’était faufilé derrière moi pour m’asséner un coup de masse d’arme sur l’arrière du crâne. J’ai lâché mon gobelet, qui a tinté sur le sol avec un son qui m’a semblé lointain et distordu. Je suis resté prostré sur ma chaise, les yeux rivés sur le plafond sale et lézardé. J’avais la sensation de flotter à quelques centimètres de mon corps.
   A ma gauche, Gratos louchait tellement fort en fronçant les sourcils sur l’ouverture fumante de son gobelet que son visage avait viré au cramoisi et que des veines palpitaient à ses tempes sur son crâne chauve. A ma droite, Tapinois avait une main posée sur le ventre, et il regardait devant lui d’un air rêveur. En face de moi, Stein s’est effondré contre le plateau de la table. Derrière, Guilbert est tombé raide mort. (Littéralement. Son cœur qui a lâché, ou un truc comme ça.)
   Bref, en un mot comme en cent, on était fumé. Saouls. Complètement faits. Ivres morts. En toute franchise, de cet épisode j’en garde peu de souvenir. J’ai un trou de mémoire. Je pense qu’à l’heure actuelle mon corps n’a pas encore totalement éliminé l’alcool de mon sang.
   Ce qui suit sera donc le récit des événements qui se déroulèrent ensuite, tels que je pus les reconstituer grâce aux témoignages des deux personnes qui y survécurent, à savoir Gratos et Tapinois.
   J’aurais quand même du commencer à avoir des doutes quand un truc chaud et liquide m’a éclaboussé le visage, et qu’après avoir porté la main à ma figure, il s’avéra que c’était du sang. Plus précisément le sang de mes hommes, que le vieux était en train d’égorger les uns à la suite des autres. Mon cerveau était trop imbibé pour comprendre ce qui se passait. En tout cas j’ai du trouver ça drôle, d’une façon ou d’une autre, car je me suis mis à rire. Gratos aussi riait, jusqu’à ce que le fermier essaie de lui planter son surin dans la gorge. Et ça Gratos, il aime pas trop, qu‘on essaye de lui planter des trucs dans son anatomie. Il a attrapé le poignet du vieux et l’a brisé sans un effort. Il l’a pas lâché, pendant qu’il cherchait à dégainer son épée de l’autre main, en vain, et que sa proie hurlait de douleur, augmentant d’autant mon hystérie.
   J’ai basculé de ma chaise et je me suis vautré au sol, roulant de rire. Gratos a renoncé à dégainer sa lame, alors il a arraché la moitié de la gueule du vieux à coups de dent. Ca ne devait pas être franchement jolie à voir. En tout cas, peut-être était-ce le goût métallique du sang dans sa bouche, mais il a un peu dessaoulé, juste assez pour comprendre que les trois quart d’entre nous gisaient morts dans leur sang, et que le chef tapait des pieds et des poings par terre comme un gosse en s’étouffant de rire, et que le second contemplait des poneys invisibles sans bouger le moindre poil de barbe.
   Gratos a compris qu’on était tombé dans une embuscade seulement quand on a dépassé les deux sentinelles avachies contre le mur extérieur, une flèche dans le torse chacune. Des tireurs embusqués se sont mis à nous canarder, planqués derrière nos canassons. Gratos m’a tiré à l’intérieur pour échapper au déluge mortel. Il a juré un peu, puis il s’est mis à rire avec moi et il a oublié ce qu’il était en train de faire. Tapinois, lui, a surgi derrière les plaisantins, et il les a plantés proprement, avant de revenir vers nous avec un sourire de gamin.
   D’une façon ou d’une autre, on a sauté sur trois chevaux, et on s’est tiré au galops. (J’ai vomi.)
   Ce qui nous ramène dans cette fameuse auberge.






Doutchboune:
Bon ben quelque part, j'ai fait ma fan-gril, je me suis jetée sur cet écrit. Je n'avais pas lu Monarque ni rien d'autre s'y rapportant, donc je découvre cette version 2.0 comme si c'était la première !

Bon premières remarques qui vont être purement de chieuse, vu que j'ai cru déceler quelques petites fautes (mais très peu) et pour une fois, j'ai noté au fur et à mesure !
(Cliquez pour afficher/cacher)dans le chapitre 1 > 2e paragraphe, c'est "termites", et un peu plus loin, de la "bouillie" d'avoine.
dans le chapitre 3 > 6e paragraphe, j'aurais plutôt lu des "centaines de milliers d'âmes", à la place de "centaines de mille d'âme", mais c'est peut-être un effet de style volontaire.
et c'est tout, voilà, c'était vraiment pas grand chose^^

Maintenant, passons à la lecture proprement dite. J'aime beaucoup le style carnet, non seulement pour la première personne, que tu manies très bien, mais aussi pour la manière qu'à le narrateur d'apostropher son lecteur.
Et même si l'histoire n'est pas très avancée, il y a plein de petites graines déci-delà qui donnent envie d'en savoir plus sur l'univers. L'importance des noms, les pouvoirs des magiciens, le contexte géo-politique, et tout un tas de petites choses que l'ont devine en filigrane.

Après cette critique n'est pas vraiment constructive, disons que je n'apporte pas vraiment grand chose à ce niveau, parce qu'au final, je dis surtout que j'aime beaucoup ce récit, et que je suis curieuse de savoir la suite^^ (peut-être vais-je craquer et lire le 1.0 ?)

Great Magician Samyël:
Même chose :(

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7.


   Le patelin où nous débarquâmes fièrement sur nos canassons était clairement le plus gros que j’avais pu voir dans le Lancaster. On pouvait décemment le qualifier de village. Voire de petite ville. Un vestige édifiant d’une époque révolue. Les rues étaient bien dessinées, les bâtisses plutôt bien entretenues s’élevaient droitement et les villageois vaquaient paisiblement à leurs occupations, en faisant semblant que tout allait bien. (Mais rien ne va bien dans le Lancaster.)
   Je me suis salement vautré en voulant descendre de ma monture. Je me suis écrasé au sol dans un éclat de rire rapidement coupé par l’impact qui souleva un nuage de poussière. Gratos et Tapinois me relevèrent et me traînèrent par les bras jusqu’à l’auberge locale. Nous eûmes droit aux habituels regards torves et aux mines suspicieuses, mais personne ne fit aucun commentaire. Si je me souviens bien, il y avait trois hommes d’armes, ceux avec qui nous n’allions pas tarder à causer métallurgie. Mes compagnons me posèrent sur une chaise à peu près stable et commandèrent trois choppes de la gnôle du coin, en payant d’avance (Ca rassure toujours.).
   Lorsque nous eûmes été servis, nous trinquâmes en entrechoquant bruyamment nos verres.
   -Aux paysans!, éructai-je.
   -Aux bouseux!, renchérit Gratos
   -Aux vivants!, conclut Tapinois.
   Nous bûmes cul sec. Je m’étouffai presque en avalant. On devait faire trop de bruit, ou bien étaient-ce nos vêtements maculés de sang frais qui leur mirent la puce à l’oreille, mais toujours était-il que les hommes d’armes s’approchèrent de nous, les mains sur les pommeaux de leurs armes. Ils nous toisèrent quelques instants. Un grand mince avec une petite moustache, un nerveux avec trois doigts à une main et un costaud avec une trogne à fendre un rocher.
   Le moustachu m’apostropha en Lancastrien. Comme je louchais sur ses vêtements en m’exclamant :
   -Quoi qu’est-ce?
   Il poussa un juron et se tourna vers le costaud pour lui dire quelque chose.
   -Mon ami demande s’il y a problème, déclara ce dernier avec sa voix de stentor, dans un Féraldien dégoulinant d‘accent.
   -Un problème?, fis-je en regardant, incrédule, mes camarades. Vous avez un problème, vous?
   -Sûrement pas, répondit Gratos en s’adossant à sa chaise avec nonchalance. Mais si vous, vous avez un problème, moi je vous le règle. Satisfait ou satisfait. Parole de Gratos.
   La déclaration a jeté un froid de quelques secondes. Mais le grand costaud s’est remis à traduire les paroles de son copain.
   -Le nabot, pas l’air du genre causant.
   Tapinois s’est raidi sous l’insulte. Il m’a jeté un regard. J’ai cligné des yeux. L’instant d’après une gerbe de sang s’élevait dans les airs et l’interprète basculait en arrière, proprement ouvert en deux comme un cochon à l’abattoir. Il n’a pas poussé un cri, il s’est contenté de sombrer, ses yeux grands ouverts fixant ses tripes qui commençaient à se répandre. Au moment où il a touché le sol avec fracas, la panique s’est emparée de la salle commune.
   Il y eut un concert de jurons, de cliquetis métalliques, de raclements d’acier. Et on s’est retrouvé dans la situation que je vous décrivais au début de ces carnets.
   Ca n’a pas duré bien longtemps. Quelques secondes tout au plus. 
   Gratos a enfoncé son tranchoir dans la gorge du moustachu, et moi j’ai profité que Tapinois ait sectionné les tendons du genoux de mon bonhomme pour lui offrir un second sourire (Parce que le premier n’était franchement pas très avenant.). Je suis resté debout, contemplant mon œuvre, vacillant un peu sur moi-même, puis j’ai vomi une seconde fois. Croyez le ou non, ça m’a suffit pour dessaouler. Tout à coup je retrouvais ma lucidité, et c’était comme de sortir la tête de l’eau après être restée longtemps en apnée.
   Sauf que pour ce que ça m’a apporté, j’aurais peut-être préféré rester ivre. Au moins je me serais amusé.
   Le tenancier a sorti une arbalète de sous son comptoir, chargée, et m’a mis en joue. J’ai eu la présence d’esprit de me déporter sur ma droite, m’épargnant une agonie inutilement douloureuse. Je lui ai renvoyé la politesse en levant le poing et en invoquant un éclair de magie qui a fulguré à travers la pièce dans un crépitement d’énergie blanche. Le type l’a pris de plein fouet. Ses habits ont pris feu, puis ses cheveux et il s’est mis à fondre sur place en poussant des hurlements de porc. L’attitude des autres bouseux est passé de la haine farouche à la peur primale. Hé! Faut les comprendre. Chez eux, les sorciers ont une certaine réputation qu‘ils mettent du cœur à entretenir.
   Toujours était-il que ma réaction n’était peut-être pas la meilleure, puisque le bâtiment a commencé à cramer lorsque la torche vivante a renversé une bouteille de gnôle et y a bouté le feu en marchant dessus.
   -Faut s’tirer d’ici, a hurlé Gratos en joignant le geste à la parole.
   On l’a suivi au dehors, avec Tapinois, une main devant la bouche pour se protéger de la fumée. Une cloche d’alerte s’est mise à carillonner quelques part. Dans la rue, des hommes sortaient des bâtiments voisins avec des mines énervées et des armes dans les mains. J’ai rapidement évalué la situation, regardant à droite à gauche, et j’en ai conclu que nous étions un peu dans la mouise. De plus en plus de villageois affluaient, certains avec des seaux d’eau, pour voir ce qui se trimait.
   Ni une ni deux, nous avons fièrement enfourché nos montures après un bond héroïque et les avons lancées au grand galop, jouant des bottes et des épées pour nous frayer un passage dans la masse agglutinée. Certains essayaient de nous saisir les mollets au passage pour nous projeter à bas, d’autres nous jetaient des projectiles avec plus ou moins de réussite. Mais tous ont arrêté subitement, en poussant des cris de peur ou en se prosternant au sol, en se plaquant contre les murs, nous libérant une voie aussi inattendue que providentielle. J’ai songé un instant que mon charisme naturelle et ma prestance légendaire faisaient enfin leur effet, mais j’ai vite déchanté lorsque, me retournant sur ma selle, j’ai aperçu six cavaliers lourdement équipés d’armures effrayantes en plaques noires, armés d’estramaçons démesurés et montés sur des destriers de bataille d’un noir d’encre aux yeux injectés de sang. Eux-mêmes portaient des heaumes qui masquaient leurs traits.
   Quoiqu’il en soit leurs parures fonctionnaient bien, car moi aussi j’ai failli me faire dessus en les voyant. Sincèrement, ces types foutaient la chair de poule, et ce n’était pas uniquement à cause de leurs épées gigantesques. Ils avaient comme une aura maléfique, d’outre-monde. Ils nous ont pris en chasse, et par les dieux, on aurait dit la Chasse Infernale en chair et en os. Leurs montures avalaient les mètres qui nous séparaient plus rapidement qu’un mercenaire ne tire son coup après une longue campagne. Les rues défilaient à une allure folle, les bâtiments réduits à des formes floues à la périphérie de ma vision.
   Soudain la sortie de la ville était devant nous, et la plaine morne s’offrait à notre vue. Morne, et désespérément vide. Sans une grotte, sans un bosquet où se cacher. Nos canassons, déjà fatigués de notre première chevauchée de la matinée, commençaient à perdre de la vitesse alors que nous pénétrions la lande en dépassant un garde éberlué. Les cavaliers de l’enfer gagnaient de plus en plus de terrain, et je pouvais presque entendre leurs souffles lourds sous leurs casques. D’une main peu assurée, j’ai rengainé ma lame et j’ai saisi mon arbalète, accrochée à ma selle. En me servant de mes cuisses pour diriger ma monture, j’ai remonté le mécanisme et glissé un carreau.
   Juste à temps, car je perçus du coin de l’œil une silhouette noire s’approchant de moi dangereusement. Sans réfléchir, je me suis retourné sur ma selle et j’ai tiré sans même viser. Le trait a touché mon adversaire en pleine poitrine. Sans effet. La pointe métallique a rebondi sur le lourd plastron noir avec un « clic » ridicule. J’ai tiré brutalement sur mes rennes pour faire faire une embardée à ma monture et éviter un coup de tranchoir qui m’aurait proprement ouvert en deux. Un bref coup d’œil m’apprit que Gratos était déjà aux prises avec un autre cavalier, ferraillant furieusement en essayant de garder la maîtrise de son cheval d’une main nerveuse - Il n’a jamais été un grand cavalier.
   J’ai paré un coup d’épée avec mon arbalète et ai repoussé mon opposant, manquant de peu de basculer de ma selle. J’ai dégainé ma lame à nouveau, mais un autre cavalier noir s’approchait sur le flanc opposé. Ils ont levé leurs armes, prêts à raccourcir mon anatomie d’une bonne tranche. J’ai fermé les yeux et me suis concentré très fort. Le temps a paru s’allonger, s’étirer, ralentir. Je percevais le fracas des sabots, le tintement des lames qui s’entrechoquent et les jurons de Gratos, mais comme si tout cela était loin, derrière un voile.
   Je me suis focalisé sur mon esprit, essayant de le visualiser comme une sphère. Une belle sphère, bien ronde, bien polie, brillante. Une sphère qui grossissait, grossissait, et qui soudain explosait avec fracas et violence. J’ai eu un moment d’absence, comme toujours après un sort d’Onde Mentale, qui consiste grossièrement à propulser son esprit autour de soi en une vague d’énergie. Curieusement, cela n’eut guère d’effet sur mes adversaires. Mais heureusement, cela en eut sur leurs montures, qui se sont effondrées en hennissant.
   Comme la mienne.
   J’ai salué le sol poussiéreux en rebondissant dessus durement et en effectuant quelques roulades douloureuses. Je n’avais hélas pas le temps de m’attarder sur mes côtes en miette, car les guerriers noirs se sont relevés presque aussitôt et se sont approchés de moi. Je me suis remis debout aussi, les jambes flageolantes en m’aidant de mon épée.
   Bon, soyons d’accord sur une chose. Je n’ai jamais été un grand bretteur. A la vérité, je n’avais jamais touché une épée de ma vie avec l’intention de m’en servir réellement avant de devenir mercenaire. Et même après cinq ans, je ne vaux toujours pas grand-chose. Ca me coûte à le dire mais j’ai par contre quelques talents à mettre mes opposants momentanément hors combat en usant de techniques fourbes histoire de prendre rapidement la tange… Histoire d’effectuer un rapide repli stratégique.
   Alors quand j’ai vu les deux biges s’approcher dans leurs grosses armures, avec leurs gros fendoirs, j’ai réfléchi à la façon la plus simple et rapide de prendre la fuite. Gratos ayant entre temps été mis hors jeu -il gisait au sol plus loin, mort ou assommé, je ne savais dire- je ne pouvais attendre aucune aide de ce côté-là. Quant a Tapinois, il avait disparu du secteur, avec deux autres cavaliers. Alors j’ai commencé par reculer doucement, mon épée pointée devant moi par une main tremblante et peu ferme. Comme cela n’avait pas trop l’air de les dissuader, j’ai changé de tactique.
   -Je suis sûr qu’il y a un moyen de s’entendre, non?
   Puis je me suis rappelé qu’on était dans le Lancaster et qu’ils ne devaient probablement rien pané à ce que je racontais. Comme pour me le confirmer, celui de droite a levé son estramaçon et m’a frappé. J’ai tenté de dévier avec ma propre lame mais la violence du coup a failli me l’arracher de la main, et mon épaule a protesté douloureusement lorsqu’une onde de douleur s’y est propagée. J’ai préféré me jeter par terre pour éviter le coup suivant.
   Là vous me diriez sûrement que j’aurais pu utiliser la magie. Et je vous répondrais que oui, j’aurais pu. Mais quand on a vaporisé son esprit dans l’éther durant une demi seconde comme je l’avais fait tantôt, on est pas forcément très lucide. Cependant je me suis relevé en crachant de la poussière, et j’ai héroïquement fait volte-face pour m’élancer à la course vers mon canasson qui s’était relevé sur des pattes plus vacillantes qu’un ivrogne. Comme j’entendais les pas de mes ennemis derrière moi, j’ai égorgé leurs propres montures au passage, puis j’ai sauté gracieusement en travers de ma selle, fouettant sauvagement l’arrière train de mon cheval du plat de ma lame. Il a rué, m’éjectant presque, puis est reparti au galop.
   Je m’enfonçais un peu plus profondément dans le Lancaster, laissant derrière moi Gratos et Tapinois aux mains de ces effrayants guerriers noirs.



8.

   Après ce qui me parut une éternité -quelques dizaines de minutes tout au plus-, je suis arrivé en vue d’un genre de colline rocheuse dont un des flancs était percé d’une grotte miraculeuse. J’étais épuisé. Non seulement l’alcool faisait encore à moitié son effet, mais j’avais mal partout, souffrant de multiples bleus, entailles et peut-être fractures suite à mes chutes, mes combats et mes fuites aussi braves qu’haletantes.
   Je me suis effondré dans le fond de l’abris, mon épée dans la main au cas où. Ma monture me jetait un regard interrogatif depuis l’entrée, sa queue fouettant mollement l’air derrière elle. Quand elle a compris qu’il n’y avait rien à attendre de moi en l’état, elle est partie chercher sa pitance ailleurs.
   J’ai lutté contre le sommeil qui m’envahissait insidieusement pendant au moins une bonne heure. Je n’étais pas certain que les cavaliers noirs aient abandonné la poursuite, et même dans ce cas il pouvait y avoir des bandes de maraudeurs ou des groupes armés dans la région. La grotte elle-même pouvait servir de refuge occasionnel à des chasseurs ou des hors-la-loi ; et il y avait fort à parier qu’ils n’auraient pas forcément été très contents de devoir partager.
   Malgré toute ma bonne volonté, mes paupières se sont fermées et j’ai sombré dans le monde des rêves. Quand je me suis réveillé, avec un sentiment d’urgence, il faisait encore jour. Du moins est-ce ce que j’ai d’abord pensé en ouvrant un œil. Une lumière orangée et crépitante m’agressait la rétine.
   … Crépitante?
   J’ai rouvert les yeux d’un seul coup, me redressant en faisant jaillir ma lame du fourreau. Le morceau d’acier terne se stabilisa au dessus d’un feu de camp, et à sa pointe se trouvait un jeune garçon aux yeux écarquillés et louchant sur l’arme qui le menaçait. Il déglutit bruyamment mais un grand sourire étira ses lèvres, malgré son évidente nervosité.
   -Pardonnez, chef, fit-il avec une voix nonchalante, comme si l’on était des vieux amis qui s’étaient dit au revoir la veille seulement. J’ne voulais pas vous faire peur.
   Les flammes éclairaient un visage jeune, très jeune, sale mais pourtant assez beau, grâce à d’intenses yeux bleus et une tignasse de cheveux blonds clairs crasseux. Quelques poils de barbe ridicules se dressaient fièrement sur le menton et le milieu des joues. Le garçon me rendit mon regard farouchement, comme s’il voulait m’impressionner, me montrer quelque chose -ou bien se prouver quelque chose à lui-même.
   Je l’ai scruté un long moment, les yeux plissés. En vérité, je tendais l’oreille pour essayer d’entendre les sons caractéristiques d’une autre présence. Mais il semblait bien que nous n’étions que tous les deux dans cette grotte. Comme mon bras commençait à trembloter à force de tenir mon arme, je l’ai abaissé, mais sans rengainer.
   -T’es qui?, ai-je fait d’un ton mauvais. (Je suis rarement de bonne humeur au réveil, et mon esprit retrouvant sa lucidité, les détails de ma précédente aventure me revenaient douloureusement en mémoire.)
   -John. John Keyes, chef.
   -Pourquoi tu n’arrêtes pas de m’appeler chef? Je ne te connais même pas.
   -C’est vrai, chef. Mais ça ne tardera pas, vous verrez.
   -Et pourquoi cela?
   -Et bien, parce que je viens avec vous!
   -Hein?   
   -Ouais! Mon paternel, il a dit que vous êtes un de ces guerriers libres de l’Ouest.
   -Guerriers libres? Qu’est-ce que tu me chantes?
   -Bin… Vous savez, ces types qu’on paye pour aller se battre à notre place.
   -Ha. Des mercenaires, je vois. On peut effectivement dire que j’en suis un. A mon grand regret.
   -Ouais! Je veux en devenir un moi aussi! C’est pour ça que je pars avec vous! Je suis à vos ordres, chef!
   Je l’ai regardé en haussant un sourcil. A voir ses yeux brillant comme des joyaux, il avait l’air sérieux. Bon sang, il était sérieux. Tellement sérieux que j’ai éclaté de rire. Non mais franchement. Pas que je voulais briser ses rêves, mais il y a des limites. Il était épais comme du parchemin, habillé de guenilles et ses compétences devaient se résumer à cirer des bottes et traire la vache de papa.
   -Chef?, m’a-t-il fait avec un air anxieux.
   -tu sais, la vie de « guerrier libre », c’est pas de tout repos. C’est dur, tu souffres, tu te fais mal, tu es blessé, tu vois tes amis mourir sous tes yeux, tu passes ton temps à courir les routes pour un salaire de misère et où que tu ailles tu es accueilli comme un cherche-merde notoire qu’il vaut mieux chasser à grands coups de fourche dans le bide.
   -Je sais tout ça, m’a répondu John en balayant mes arguments d’un geste de la main.
   -Alors pourquoi est-ce que tu veux en devenir un?
   -Honnêtement, chef…
   Il s’est penché un peu vers moi, avec un air de conspirateur.
   -Je me suis toujours dis que j’étais fait pour quelque chose d’autre. Quelque chose de grand! Enfin, je veux dire, je ne me vois pas passer toute ma vie chez mon père, à raccommoder des bottes troués histoire de gagner juste assez pour aller me saouler à la taverne ou trousser la seule putain du village. Non! Je veux voyager, je veux découvrir le monde. L’aventure quoi! Et quand je vous ai vu tout à l’heure à l’auberge, chef… C’était incroyable. Comment vous les avez zigouillés, pouf! Comme ça! Et quand vous avez fait un éclair magique! Terrible! Quand j’ai vu ça, je me suis dit « John. Ca c’est ta chance. La chance que t’as attendu toute ta putain de vie. Alors fonce! Avec des mecs comme ça, tu pourras aller loin. ». Alors quand vous vous êtes enfuis, je vous ai suivis. Il m’a fallu du temps pour trouver cette grotte, mais c’est fait maintenant. Je suis là! Alors je viens avec vous.
   Je suis resté sans voix un moment. S’il y a bien une chose que John sait faire, c’est parler. Ca, personne ne pourra le nier. Après son discours débité d’une traite avec aisance et emphase, la seule chose qui me venait à l’esprit était « Bah oui. Après tout, il a bien raison. »
   Et donc, d’une façon où d’une autre, John a rejoint Tempête du Chaos à ce moment là.
   Une chose m’a alors frappé.
   -Tu parles diablement bien le Féraldien.
   -Ma mère était Féraldienne. Mon père l’a enlevée quand il raidait la frontière pour Gros Tyronne.
   -Je vois…
   -C’est elle qui m’a appris, même si ça faisait pas trop plaisir à mon paternel, au point qu’il la battait quand il nous surprenait.
   -Triste histoire… Bon et à part suivre des inconnus sur des kilomètres, tu sais faire quoi d’autre? Je veux dire, quoi d’autre d’utile. A la profession. Enfin tu vois ce que je veux dire.
   Il a levé les yeux vers le plafond de la grotte, en se grattant l’arrière du crâne.
   -Et bien… Honnêtement, pas grand-chose. Mais j’apprends vite! Parole!
   -T’as déjà tenu une arme comme celle-ci?
   -Non.
   -Tu sais te servir d’un arc?
   -Non.
   -Tendre une arbalète?
   -Non.
   -Monter à cheval?
   -Non.
   -Raconter des bonnes histoires?
   -Ca oui!   
   -Bon, c’est déjà un début…
   J’ai soupiré et je me suis rallongé, un bras sur les yeux.
   -Et là… On fait quoi chef?
   -Là? On pionce. J’aviserai demain. Monte la garde en attendant.
   -La garde?
   Nouveau soupir.
   -Tu te plante à l’entrée et tu surveilles ce qui se passe. Si tu vois des types s’approcher tu me réveilles.
   -Ha, d’accord. Je vois. Alors je monte la garde, chef.
   -Parfait.
   -Et pour nos compagnons, quel est le plan?
   -De quoi tu parles?
   -Vous savez? Le grand chauve et le petit homme barbu.
   -Oublie les. Ils doivent être morts à l’heure qu’il est.
   -Ca m’étonnerait, chef.
   -Et pourquoi ça?
   -La Milice n’a pas pour ordre de tuer. Seulement de ramener les prisonniers au donjon pour être interrogés.
   J’ai écarté mon bras et je me suis redressé sur un coude.
   -Qu’est-ce que tu me chantes? La Milice? Le donjon?
   -La Milice. Les types en armures noires que vous avez combattu -entre nous, chef, vous avez bien du courage. La plupart du temps les hommes condamnés se contentent de rester plantés là en appelant leur mère pendant qu’ils se font emmenés. Et bien ces types là, on les appelle la Milice Bruëghen, parce qu’ils sont à la solde de dame Van Bruëghen, et quand ils sont envoyés sur la piste de quelqu’un, ils l’amènent au donjon pour que la dame le torture et l’interroge. Je le sais parce qu’elle a emmené mon père une fois, parce qu’elle le soupçonnait d’être un espion. Alors je me disais que nos compagnons, ils sont sûrement dans le donjon à l’heure qu’il est.
   J’ai digéré toutes ces informations en restant silencieux un moment.
   -D’ailleurs c’est curieux, chef.
   -Quoi?
   Il a hésité un instant.
   -Bah… Aucun Milicien ne reste au village. Alors je trouvais ça étrange que six d’entre eux soient arrivés si vite. Ca voudrait dire…
   -Oui? Ca voudrait dire que quoi?
   -Et bien ça voudrait dire que dame Bruëghen savait que vous arriviez, et qu’elle vous veut.
   
   

    9.

   
   -C’est un sacré machin quand même, ai-je fait en déglutissant.
   Je me suis redressé sur ma selle, nerveux en contemplant le château Bruëghen, un horrible édifice décrépi sis sur une colline escarpée, à une vingtaine de kilomètres du village de John. Vous savez, c’était typiquement le genre de forteresse maléfique, froide et carrément pas avenante qu’on imagine bien lorsque les vieux nous racontent les histoires des preux chevaliers allant sauver les princesses en détresse dans les cellules puantes de l’antre du sorcier démoniaque.
   Et bien plus je le regardais, plus je me disais que mes princesses à moi n’avaient sûrement pas besoin du preux chevalier, après tout.
   -Vous avez un plan chef?, a murmuré John, installé derrière moi sur la selle.
   -Heu… ai-je brillamment répondu.
   Le truc c’est qu’on attaque pas un fort avec un demi guerrier et un chiard haut comme trois pommes même pas armé.
   -Je vais y réfléchir.
   Il n’y avait pas beaucoup d’agitation sur la route, à part un Milicien qui partait parfois sur une monture noire vers le village, ou en revenant. Aucun signe de mes acolytes, en tous les cas.
   -Et cette… heu… Dame Bruëghen… C’est un genre de sorcière?
   -Hein? Heu… J’en sais rien. Ya pas mal de rumeurs qui courent, vous voyez le genre, mais bon, personne ne l’a vue depuis des années. Elle reste cloîtrée dans son donjon sans jamais sortir, utilisant la Milice pour effectuer ses basses œuvres.
   -Je vois, je vois…
   Mais en réalité je ne voyais pas grand-chose. Ou plutôt si! Quelque chose se formait lentement dans mon esprit. Un truc qu’on pourrait qualifier de mission furtive. Du style on s’infiltre de nuit, on se glisse dans les oubliettes, on récupère les copains et on fout le feu aux écuries pour faire diversions pendant qu’on file discrètement par la poterne  est.
   Ouais. Un sacré bon plan. Un peu classique certes, mais comme disait ma grand-mère, c’est dans les vieux pots qu’on fait pousser les meilleurs champignons. Ou quelque chose comme ça.


10.

   John a dégluti en me regardant extirper ma lame du serviteur que je venais de tuer pour libérer le passage.
   -T’avais jamais vu un cadavre d’aussi près, gamin?, ai-je murmuré en essuyant l’acier sur la livret du valet.
   -U… Une fois. Ma mère, quand mon père l’a…
   -Je veux pas le savoir. Ca me regarde pas. Bon, t’as pigé comment ça marche?
   Il a acquiescé en tripotant nerveusement le manche de mon arbalète qu’il tenait serrée contre sa poitrine. Pendant ce temps là, je tirais le cadavre derrière un des buissons rabougris qui tapissait la cour intérieure. J’étais complètement en nage après l’escalade des murailles et la descente qui suivit logiquement. Et pourtant je n’étais qu’au début de mes peines. J’ai tiré John près de moi et l’ai forcé à s’accroupir pendant que j’observais les environs.
   Il n’y avait personne, hormis le type que j’avais trucidé bien sûr. Tout était calme comme une tombe, bien trop calme pour que je me sente bien. Ce qui peut paraître paradoxal lorsque l’on est en pleine mission d’infiltration, mais croyez en mon expérience, une place forte déserte, ça pue.
   L’épée fermement en main, je me suis élancé en longeant le mur, ordonnant d’un signe de main à John de me suivre. Après de longues secondes de marche rapide et silencieuse, nous sommes arrivés devant une lourde trappe en bois massif, ouverte sur un raide escalier en pierre à moitié défoncé s’enfonçant dans les entrailles de la terre. Il n’y avait aucune lumière, mais je sentais l’odeur des torches fraîchement éteintes.
   -Je vais jeter un coup d’œil, ai-je fait à John. Toi, tu restes là, et tu montes la garde. Si quelqu’un s’approche, tu le tues. S’ils sont plusieurs, t’en tues un et tu rappliques fissa en bas. Compris?
   -Compris chef!
   Je me suis servi de la noirceur de la nuit pour faire semblant de ne pas voir qu’il tremblait comme une feuille. Puis je me suis prudemment engagé dans les escaliers. Certaines marches étaient à moitié défoncées, d’autre rendues glissantes par l’humidité, me forçant à tester chaque degré du bout de ma botte. Ce fut une descente relativement éprouvante et stressante, surtout dans un noir d’encre comme celui-ci : je n’osais allumer une lueur magique de peur d’alerter quelqu’un. Au fur et à mesure de ma progression, l’atmosphère se faisait plus lourde et moite, et s’empuantissait horriblement.
   Ce qu’on peut légitiment attendre lorsqu’on pénètre dans des oubliettes. Parce que c’est bien ce que c’était : une fois arrivé en bas des marches, je faisais face à un couloir relativement long, flanqué de part et d’autre de cellules fermées par des barreaux menaçants tout rouillés. Ici quelques torches étaient restées allumées et dispensaient une lumière chiche, à peine suffisante pour percer les ténèbres profondes du lieu. Une main sur le nez pour me protéger des effluves nauséabondes, je me suis mis à arpenter la zone, passant devant chaque cellule pour en scruter les profondeurs à la recherche de Tapinois et Gratos.
   J’ai trouvé ce dernier au fond du couloir.
   Il était adossé au mur du fond, assis, les bras ballants, complètement nu. Son œil unique me fixait sans me voir et son visage était vide d’expression. Une vision des plus dérangeantes.
   -Gratos? L’ai-je appelé à voix basse.
   Sans réponse. Il n’a même pas réagi.
   -Bon sang, mais qu’est-ce qu’ils t’ont fait?
   En le voyant comme ça, je me suis souvenu de ce qu’avait dit John sur la torture. Mais le corps de Gratos ne portait aucune trace visible de sévisse récent. Sa cellule n’était même pas verrouillée. La porte a pivoté sur ses gonds pourris en grinçant atrocement. Le cœur battant, je me suis figé quelques instants, l’oreille tendue, pensant que mon raffut aurait alerté quelqu’un. Mais personne ne faisait mine de descendre les escaliers au bout du couloir, et John ne s’était pas manifesté.
   Je me suis approché de Gratos. Le sortir de là n’allait pas être une mince affaire. C’est que le bonhomme est plutôt large, et puis je n’aime pas spécialement me frotter à des hommes nus. J’étais perdu dans mes pensés lorsqu’un murmure a attiré mon attention.
   -Monarque…
   -Hein? Gratos?
   Je me suis penché sur lui, collant presque mon oreille contre ses lèvres pour mieux l’entendre. Je me suis rendu compte que son souffle était presque inexistant.
   -Monarque… Cette femme… un démon…
   -De quoi tu parles? Bruëghen, c’est ça? Qu’est-ce que tu veux dire? Putain, Gratos, c’est pas le moment de raconter des salades. Faut sortir de là. Tapinois est dans le secteur?
   -Partir, Monarque… Faut que tu te tires, chef… Pas bon, ici…
   Je l’ai observé un moment, circonspect. Malgré ce qu’il me disait, son visage n’avait toujours aucune expression, et son regard était toujours aussi fixe. Sa voix maladive était loin du Gratos habituel, gueuleur et colérique, que je connaissais. Quelque chose ne tournait franchement pas rond.
   -Bon, reste là, je vais jeter un œil, histoire de voir si je trouve pas le barbu.
   -Votre petit ami poilu n’est hélas pas parmi nous.
   Je me suis vivement retourné, une main sur la poignée de mon épée, pour faire face à une femme d’une beauté époustouflante. Plutôt grande, une peau d’albâtre, des cheveux noirs comme la nuit descendant jusqu’à ses fesses rebondies, des yeux d’un vert hypnotique, une taille de guêpe et des seins splendidement galbés à peine cachés par sa robe écarlate diablement échancrée, couverte de fourrures aux manches et aux rebords.
   Avouez que cela a de quoi surprendre, surtout dans un lieu qui sent le cadavre et l’excrément, dans une putain de forteresse en ruine qui plus est. Je me suis même demandé un instant si je n’étais pas victime d’une hallucination. Mais quand ses lèvres rouges et pleines ont esquissé un sourire pervers j’ai compris que ce n’était hélas pas une illusion.
   Ce sourire, d’ailleurs, m’a foutu une trouille pas possible. Je ne saurais pas expliquer pourquoi. Après tout, je suis un homme, j’avais une épée, et elle était juste là, menue dans sa beauté insolente, me fixant de ses prunelles scintillantes. Instinctivement, j’ai reculé d’un pas.
   -C’est bien dommage ça, ai-je répondu avec une confiance fanfaronne que j’étais bien loin d’éprouver. Je suis sûr que vous l’auriez adoré. Il est tellement mignon.
   J’ai sursauté comme un lâche lorsque Gratos m’a choppé la cheville.
   -La lutte… est futile, chef… a-t-il dit en levant lentement la tête.
   Je me suis contrôlé pour ne pas lui trancher la face avec mon épée, tellement la scène me terrorisait. La femme a poussé un petit rire, un son juste divin qui donnait envie de se jeter à ses pieds, de les embrasser, de devenir sien et de tout faire pour la rendre heur…
   Non. J’ai vivement secoué la tête pour dissiper l’insidieux sortilège de séduction qu’elle était en train de me jeter.
   -Vous devriez écouter le conseil de votre ami, mon cher Monarque, a-t-elle déclarée en effectuant deux pas vers moi. Il n’est pas besoin de rendre les choses compliquées, hmm?
   -N’approchez pas!, ai-je rétorqué en pointant ma lame vers elle, malgré les tremblement de mon bras qui trahissaient ma nervosité.
   A ce stade, il me paraissait évident que j’avais devant moi la fameuse Dame Bruëghen -ce qui était assez pénible parce que j’avais imaginé une vieille noble aigrie complètement folle, et je me trouvais devant une sculpture vivante. Ma terreur s’était d’autant intensifier que son sort avait été jeté avec une telle maîtrise et une telle subtilité…
   -Voilà ce qu’on va faire. Je vais récupérer mon pote, et vous allez nous laisser partir bien gentiment. Si vous faites ça, je jure sur mon honneur que je ne vous tuerais pas.
   Cette fois, elle a carrément éclaté de rire. En d’autres circonstances j’aurais bien sorti cette maxime de mon paternel qui dit « Femme qui rit, à moitié dans ton lit », mais curieusement je ne trouvais pas la situation bien appropriée.
   -Vous êtes plus drôle que je ne l’avais imaginé, mon tendre.
   -Tendre? Qui est tendre ici?
   -Mais vous, bien sûr…
   Son souffle a léché mon oreille lorsqu’elle a prononcé cette phrase. J’ai cligné des yeux, et elle n’était plus là. Ou plutôt, elle était derrière moi. Comme ça. Pouf. Je pouvais sentir ses excroissances mammaires contre le cuir de mon manteau. Avant que je n’ai eu le temps de réagir, elle m’a frappé dans le creux des reins avec une force qui faisait passer la plupart des mes connaissances musclées pour des petites filles. La douleur a fulguré dans tout mon corps, se propageant depuis ma colonne vertébrale.
   Ma vision a blanchi et je me suis évanoui.

Great Magician Samyël:
J'ai remis en ligne les parties 1 à 10 des Carnets du Mercenaire. J'ai pas encore regardé tout le topic mais il me semble que ce sont les seuls post qui ont été vidés de leur substance, pour d'obscures raisons. :(

Je sais pas quand je pourrais réparer le premier post, puisque je vais devoir changer mon système de renvoie via des liens et me convertir aux ancres.

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