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La Tour du Rouge : [Random | Très court] Sans titre #1

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Yorick26:

--- Citer ---(Bah oui, un Triangle ça a bien trois faces non? :p)
--- Fin de citation ---

Ah ben non, ça a trois côtés, pas trois faces. Ce qui a trois faces, c'est un cylindre par exemple. Un triangle a trois côtés.

Tout ça pour dire que tu dois mettre des chapitres sur le site fan et que PdC devait te le rappeler, mais il a oublié.

Great Magician Samyël:
Merci pour cette précision. v.v

Sinon tu fais bien de me le rappeler, je vais m'en occuper tout de suite.

______________

La Pièce d'Argent
-Prologue au Triangle de Pouvoir-


-Comment t’appelles-tu?
   Ses yeux glissèrent sur la pénombre ambiante, qu’une bougie solitaire tentait de combattre vaillamment. La pluie tambourinait sur le verre de l’unique fenêtre crasseuse, qui peinait à filtrer un peu de lumière lunaire. Les grosses gouttes éclataient sur la surface sale avec un fracas épouvantable, qui résonnait péniblement dans la petite pièce. Un éclair illumina brièvement les lieux, dévoilant l’espace d’un battement de cœur la silhouette de l’homme qui lui faisait face : une barbe taillée en pointe, des traits sévères, un turban et un œil unique, dont le rouge écœurant de l’iris luisait faiblement dans l’obscurité.
   Une longue minute s’étiola entre eux sans qu’il ne réponde rien. Il gardait le regard rivé sur le carreau et sur la nuit au dehors, noyée sous les flots de l’orage.
   -Vaati, s’entendit-il dire d’une voix éteinte.


   -Ce sera tout pour aujourd’hui, mon enfant, haleta Rauru en croisant les mains sur son ventre rebondi dégoulinant de sueur. L’argent est sur la table.
   Le Gardien du Temple poussa un soupir d’allégresse et ferma les yeux, prêt à passer une merveilleuse nuit dans ses draps en soi fine souillés, d’une douceur sans pareille, sur son tendre matelas de plumes déformés par les mouvements brusques.
   Vaati observa quelques secondes le visage du prélat, ses joues flasques, sa lippe charnue, ses traits poupins rongés par une barbe drue et grisonnante, son crâne rasé et luisant de sueur. Ecœuré, le garçon s’extirpa du lit en grimaçant et récupéra ses vêtements sans un bruit, avec des gestes lents. L’Intemporel aimait toujours le bousculer un peu lors de leurs rencontres, mais cette fois là il avait été particulièrement violent. Une douleur aiguë sourdait de ses reins à chacun de ses pas.
   Il enfila sa tunique avec précaution, et se mordit la langue pour empêcher un petit cri de franchir ses lèvres. Il écarta quelques mèches de cheveux blancs de devant ses yeux avec les doigts, puis sortit silencieusement, après avoir empoché son dû sur la table à côté de la porte. Il referma le battant sur les ronflements tonitruants de Rauru, qui avait déjà sombré dans le sommeil des justes.
   Le père Reynald occupait l’office du soir, comme de coutume, et ce dernier lisait quelques passages des écrits saints des Très-Hautes aux quelques fidèles qui s’étaient attardés là. Derrière le prêtre, les Portes du Temps étaient grandes ouvertes, et Vaati put apercevoir un reflet sur la Lame Purificatrice, dont la pointe gisait là dans son tombeau de pierre depuis l’origine du monde, disait-on, dans l’attente de la main légitime qui pourrait l’en extraire.
   Lorsqu’il n’était encore qu’un gamin, Vaati avait souvent rêvé qu’il était le Héros des prophéties, ce guerrier saint choisi par les Déesses elles-mêmes qui pourfendrait le Mal à jamais, en brandissant la Lame Purificatrice, auréolé d’une aura de feu et de lumière. Mais il avait eu beau tirer et tirer encore de toutes ses forces sur la poignée d’azur gainée de cuir filigrané d’or, la lame n’avait pas même frémi. En revanche, il avait attiré l’attention de sa Sainteté l’Intemporel, Rauru le Gardien du Temple…
   En repensant à ce jour, ses yeux descendirent jusqu’à sa paume ouverte, où s’alignaient quatre pièces : trois en cuivre et une en argent. Il cligna des yeux en apercevant cette dernière, pensant un instant à un tour de son esprit. Mais non, l’argent resta de l’argent. Fébrile, il la saisit entre deux doigts et la porta à hauteur de son œil. Il n’en avait encore jamais tenu une de sa vie. Il examina le profile sévère mais juste du roi Salomon frappé sur le verso de la pièce.
   Il s’interrogea sur sa bonne fortune. Ce porc de Rauru se serait-il trompé en prélevant de la recette de la quête son maigre salaire? Ou bien était-ce pour soulager son esprit des violences qu’il lui avait infligées, au plus fort de sa passion? A vrai dire, il s’en moquait bien. Tout ce qui importait, c’est qu’il avait une pièce d’argent. Une jolie pièce d’argent. La sienne.
   Un moment la peur le saisit lorsqu’il songea que, si Rauru s’était effectivement trompé, il la lui réclamerait. Et s’il cela devait se produire, et qu’il n’avait plus la pièce alors, il pourrait lui arriver des choses terribles. Il se demanda avec l’angoisse au ventre si Rauru irait jusqu’à l’accuser d’avoir volé l’argent de la quête. Un crime abominable, sévèrement puni par la loi hylienne.
   Il décida qu’il garderait la pièce avec lui jusqu’à son prochain… rendez-vous avec le prélat, et qu’il aviserait alors. Oui, c’était sûrement la meilleure solution.

   Un fin crachin froid, annonciateur d’orage, le trempait jusqu’aux os pendant que les ombres du Bas-Bourg étendaient sur lui leur étreinte, pareilles aux bras d’une amante dans le lit de laquelle on se glisse avec délice. Vaati leva le visage, appréciant la sensation de l’eau ruisselant sur son visage androgyne aux traits délicats, imbibant ses longs cheveux blancs et soyeux. La douleur dans le creux de ses reins s’estompait -il commençait à en avoir l’habitude- mais la sensation de souillure, elle, était tenace.
   L’eau de pluie aidait à purger son visage du souvenir écœurant de la langue avide de Rauru, à laver de son corps la sensation des mains bouffies, palpant, titillant, frappant sa chaire pâle. Mais ce n’était qu’un bref répit. L’une des premières choses qu’il avait apprise, lorsque sa mère avait compris qu’elle pourrait tirer de l’argent du corps de son fils, c’était que la saleté et la souillure ne vous quittaient plus. Vous pouviez vous laver à grandes eaux brûlantes, user un pain de savon jusqu’au dernière millimètre, il y avait toujours un relent de crasse qui vous suivait, qui vous collait à la peau.
   Il avait fini par s’y faire -avec le temps, on se faisait à tout-, mais cela ne l’empêchait pas de se laver dès qu’il le pouvait. Son corps était son outil de travail, comme disait sa mère, il se devait de l’entretenir du mieux qu’il le pouvait.
   Devant lui, les ruelles obscures du Bas-Bourg, les quartiers pauvres et désordonnés ayant poussé à l’ombre des remparts du Bourg d‘Hyrule, s’allongeaient dans les ombres, derrière le fin rideau de pluie. Les pavés défoncés faisaient des flaques dans lesquelles l’eau s’accumulait jusqu’à déborder, changeant la terre battue en boue humide. La pluie ruisselait sur les façades de crépis et de torchis sale qui s’élevaient de façon anarchique de part et d’autre de la rue. De rares lanternes murales révélaient les silhouettes chancelantes d’ivrognes errants, et des petites frappes qui composaient les bandes armées faisant la loi dans le quartier.
   Le poing fermement serré autour de sa précieuse pièce d’argent, il pénétra dans une auberge miteuse battant enseigne à « La Putain de la Reine ». Quelques regards avinés glissèrent sur lui, qui se détournèrent bien vite lorsqu’ils réalisèrent sa véritable nature. Il y avait les clients habituels, ainsi que quelques autres, notamment deux jeunes hommes, assis à un table dans le fond de la salle, trop bien habillés pour appartenir à la racaille ordinaire qui tapissait le Bas-Bourg.
   Le premier, le plus petit, avait des cheveux d’une couleur d’un bleu étrange, et semblait incapable de s’arrêter de parler, ce qui n’avait pas l’air de gêner son grand et basané compagnon qui écoutait sans jamais rien dire.
   Forley, le gérant, était campé derrière son comptoir, insultant vertement l’unique client assis sur les grands tabourets.
   -Dans tes rêves, Linebeck. Je te l’ai déjà dit, la maison fait pas crédit. T’allonges la monnaie pour chaque verre que tu siffles, sinon tu dégages de ma taverne.
   Le fameux Linebeck, un grand bige aux yeux caves cernés et à la fine moustache brune, grogna quelque chose d’inintelligible, mais finit par plier, et se dirigea vers la sortie d’une démarche peu assurée. Vaati grimpa sur le tabouret laissé vacant, sans un regard en arrière.
   -Ma mère est là?, demanda-t-il d’une petite voix, sachant d’avance la réponse.
   -A l’étage. Avec quelqu’un, répondit Forley pour confirmer ses doutes.
   Le garçon se détourna, morose. Malgré lui, son attention se reporta sur les deux hommes du fond.
   -Qui est-ce?
   Le proprio leur jeta un regard, renifla et cracha sur le comptoir.
   -Des chevaliers. Mikau Zora et Alister Dodongo, rien que ça.
   -Qu’est-ce qu’ils foutent ici?
   -J’ai une gueule à ce que des chevaliers me racontent leur vie? Non? Très bien. Tant qu’ils paient, ils peuvent bien foutre ce qu’ils veulent dans ma taverne. Je vais te dire même, s’ils me prennent une chambre, je leur permettrai de passer sur ta mère à l’œil.
   Vaati ne rétorqua rien : il savait qu’elle n’y verrait certainement aucune objection. Les yeux rivés sur une marque dans le bois du comptoir, il ne vit pas les regards nerveux que lui lançaient Forley, tout en récurant la même choppe pour la deuxième fois.
   -En parlant de ta mère, elle m’a demandé de te nourrir. Elle a déjà payé. Je t’ai préparé ça à l’arrière, tu seras peinard. Aller, vas-y.
   Vaati releva le regard sur le visage en lame de couteau de Forley. Sa moustache crasseuse frémissait bizarrement, et un peu de sueur perlait à ses tempes. Il essaya de lui sourire, mais la grimace immonde qui en résulta n’eut que pour effet de dévoiler un peu ses chicots pourris.
   Le garçon fut sur le point de dire quelque chose, mais le grondement de son ventre lui intima le silence. Sans rien ajouter, il quitta son siège et passa derrière le comptoir, jusqu’à la salle attenante. Il faisait assez sombre, aussi dut-il tâtonner jusqu’à la table collée contre le mur du fond. Ses doigts rencontrèrent le bois vermoulu, et il sonda le plateau à petits gestes prudents. Sans rien trouver.
   Il sursauta vivement lorsque le bruit d’une serrure qu’on referme retentit derrière lui. Il se retourna pour faire face à Forley, qui tenait une chandelle à la main. Le halo orangé révéla des sacs de nourriture, certains éventrés, des étagères où s’entassaient des bouteilles d’alcool et de substances plus obscures. Une lueur étrange brillait dans les yeux du tenancier.
   -Qu’est-ce… Qu’est-ce que tu fais?, demanda Vaati, qu’une peur soudaine prenait au ventre.
   -Ca me rend malade de t’imaginer avec ce gros porc de Rauru, susurra Forley en avançant d’un pas.
   Un sourire malsain tordait ses traits, et il passait régulièrement et nerveusement la langue sur ses lèvres. Vaati recula d’un pas, mais il était déjà dos au mur.
   -Alors ce soir, c’est mon tour, continuait Forley en palpant son entrejambe dure avec un geste obscène.
   -Non, souffla Vaati avec horreur en le voyant approcher.
   La scène avait quelque chose d’inexorable. Il n’était pas de taille à tenir tête au tenancier, et la porte était fermée à clé. Il pouvait hurler, mais il savait que personne ne viendrait l’aider. Une larme solitaire roula le long de sa joue.
   -Ne t’inquiète pas. Ta mère me tuerait si je ne payais pas le service, ricana Forley en finissant de délacer ses chausses.
   Il le prit à même le sol, entre deux sacs de patate, sourd à ses cris de douleur et ses sanglots. Une douleur abominable remontait de ses reins à chaque coup de boutoir de Forley, qui remplissait l’espace de ses grognements de plaisir gutturaux. Il le tenait en maintenant une main sur sa taille menue, lui caressant les cheveux de l’autre. Vaati sentait sa langue puante qui explorait ses épaules et le creux de son cou, par intermittence. Forley lâchait par moment de petits rires nerveux, qui ne faisaient rien pour diminuer l’horreur de l’épreuve.
   Durant tout le temps que Forley passa en lui, Vaati garda le poing fermement serré autour de la pièce d’argent, celle avec le profile du roi Salomon gravé sur le verso. Sa pièce. Sans qu’il sache pourquoi, et alors que des larmes de douleur ruisselaient sur ses joues, sentir le métal précieux au creux de paume le réconfortait. Un peu.
   -Qu’est-ce que tu tiens là, comme ça, hmm?, grogna Forley au bout d’un moment.
   Le cœur de Vaati loupa un battement lorsqu’il sentit la main calleuse du tenancier sur la sienne, essayant de desserrer ses doigts.
   -Non!, cria-t-il, paniqué.
   Il chercha à se débattre, à se retourner, mais Forley l’empoigna par les cheveux et lui claqua le visage contre le sol, l’estourbissant.
   -Silence!
   L’esprit embrumé, Vaati regarda impuissant le bel éclat de l’argent disparaître entre les doigts épais de Forley.
   -Et bien ça alors! C’est qu’on vole, maintenant? Ta mère sera tellement chagrinée d’apprendre ça. Ce sera notre petit secret, d’accord? En attendant, je vais garder ça. Un gamin comme toi n’a pas besoin d’autant de fric.
   Détaché, Vaati ne sentait presque plus la douleur qui irradiait dans son bassin, et ne réagit même pas lorsque Forley se cabra une ultime fois en éructant, répandant son orgasme en lui. Il fut vaguement conscient que l’homme se relevait en ricanant, tout en remettant de l’ordre dans ses vêtements.
   Cependant, lorsqu’il lui lança quelques piécettes de cuivre comme on jette un os à un chien, une colère sourde monta en lui, lui comprimant la poitrine douloureusement.
   Sur la table à côté, la chandelle s’éteignit, et le long cri d’agonie de Forley résonna à ses oreilles avec la puissance du tonnerre.


   -Vaati? C’est un joli nom.
   Deux éclairs successifs illuminèrent le ciel nocturne, éclairant les plaies et les contusions sur ses bras grêles. Il porta son attention sur l’homme à la barbe en pointe, assis de l’autre côté de la pièce ; mais dans les ténèbres, il ne distinguait que le léger rougeoiement malsain de son œil unique.
   -Je m’appelle Tarquin, reprit l’homme d’une voix sereine.
   En dehors de ses paroles, il ne produisait aucun bruit, ni respiration, ni frottements de vêtement. S’il n’y avait eu pas ce violent orage au-dehors, qui révélait la silhouette enturbannée par intermittence, Vaati n’aurait pas été certain de sa présence dans la pièce.
   Il ne savait pas ce qu’on attendait de lui, ou ce qu’il était supposé dire, aussi garda-t-il le silence. L’orage grondait épisodiquement, accompagnant le bruit de la pluie sur le carreau.
   -Tu sais pourquoi tu es ici, Vaati?
   La question, posée avec cette voix toujours aussi calme, froide, tordit de peur les entrailles du garçon. Il hésita. Il n’était pas certain de ce qui était le mieux à faire.
   -Je… Je le jure, je ne l’ai pas volée, c’est sa Sainteté qui me l’a donnée!
   Il entendit devant lui l’homme qui changeait de position. Un bruit très léger d’étoffe.
   -De quoi parles-tu donc?
   Un doute le saisit à la gorge. Venait-il de commettre une erreur?
   -Je… la pièce. Ce n’est pas…?
   -Et bien, on ne m’a pas parlé d’une pièce, non. En revanche on m’a parlé du… travail, pour lequel sa Sainteté l’Intemporel te paie.
   Vaati retint un soupir de soulagement. Des larmes remontèrent malgré tout à ses yeux gonflés. Des larmes d’épuisement. Un éclair particulièrement violent éclaira le sourire étrange qui tordait les lèvres de l’homme au turban.
   -Tu es ici, Vaati, parce que ta mère t’a vendu. Tu appartiens désormais au Sheikah.
   -Le… Sheikah?
   -Nous sommes l’œil dans les ténèbres qui observe et qui voit tout. L’Œil qui guette les périls qui menacent chaque jour la Couronne et la famille royale. Certains nous traitent d’espions, d’autres d’assassins. Nous sommes un peu des deux, et pourtant tellement plus.
   Un petit silence ponctua l’explication.
   -Nous savons au moins que tu es l’une de ces choses là, reprit le dénommé Tarquin avec comme de l’amusement dans la voix.
   Vaati écarquilla les yeux sur les ténèbres pour tenter d’apercevoir Tarquin, mais tout ce qu’il pouvait voir, c’était la rougeoyance de cet œil. Ce maudit œil.
   -Qu’attendez-vous de moi?
   -Ta mère m’a assuré que tu possédais des pouvoirs magiques. La première chose que j’attends d’un Sheikah, c’est de la loyauté. La seconde que j’attends de toi, c’est des informations. Nous allons t’introduire dans le Consortium Aedeptus, le collégium de magie, en tant qu’apprenti. Tu t’élèveras au rang de Maître, et tu me feras part de toute information concernant les plans du Consortium qui pourraient menacer l’intégrité de la Couronne, et du Royaume.
   Lui, un magicien? Alors que l’idée se formait à peine dans son esprit, il revit devant ses yeux les flammes et les corps calcinés, coincés sous les poutres effondrées de la taverne.       
   -Et si je refuse?
   -Ce n’est pas comme si tu avais le choix, mon garçon. Tu es le principal suspect dans l’affaire de pyromanie qui a ravagé un quartier du Bas-Bourg, et mis en danger la vie de deux chevaliers de la Couronne. Un crime passible de la peine capitale.
   Vaati déglutit. Puis lorsqu’un nouvel éclair zébra les nuées nocturnes, il se mit à réfléchir. Il se demanda si ce n’était pas là la chance de sa vie d’échapper à son existence de misère, d’échapper aux étreintes brutales de Rauru, et de ses autres… clients. Il allait ajouter quelques choses lorsque des bras jaillis des ténèbres le saisir aux aisselles et le relevèrent brutalement. Il poussa un cri, et essaya de se débattre, mais il était bien trop faible et fatigué pour opposer une résistance digne de ce nom.
   -Si jamais l’envie te prenait de t’enfuir pour tenter ta chance ailleurs, mon garçon, tu apprendras bien vite que chez les Sheikah il n’y pas de traîtres. Seulement des hommes loyaux, et des hommes morts.
   Un hurlement franchit ses lèvres lorsqu’une douleur infernale irradia sur son flanc droit. Une odeur pestilentielle de viande grillée, accompagnée d’un grésillement abominable emplit la pièce tandis qu’on lui appliquait un fer rouge à même la peau. Lorsque les mains le relâchèrent, il s’effondra dans son siège, hors d’haleine, les traits tordus par la douleur.
   -Combien?, croassa-t-il.
   -Plaît-il?
   -Combien… est-ce que… ma mère… m’a vendu.
   Un dernier éclair illumina la salle dans son ensemble, découpant les silhouettes des crochets de boucher pendues au plafond, et des instruments de torture proprement disposés sur des tables. L’espace d’un terrible instant, la vision de Vaati se changea en noir et blanc. Lorsque les ténèbres revinrent, l’image du sourire démoniaque de Tarquin était collée sur sa rétine.
   -Une pièce d’argent.


   Le long orage qui avait inondé Hyrule pendant quelques jours avait laissé place à un temps radieux, un ciel azuré et pur, vide de toute nuage. Vaati le contemplait sans vraiment le voir, l’esprit trop accaparé par ses soucis. Il sentait la marque du Sheikah qui palpitait douloureusement dans son dos, sous sa belle tunique mauve. On l’avait lavé, peigné, parfumé, et il se sentait propre.
   Propre pour la première fois depuis deux ans. Depuis le début de sa triste carrière.     Un serviteur en livrée vint interrompre ses pensées. Les maîtres l’attendaient. Il quitta le cloître dans lequel on lui avait demandé de patienter, un joli cloître à la pelouse bien verte, agrémentée de statues en marbre blanc d’une grande finesse. Il suivit le page à travers de grands couloirs au sol lustré, croisant des jeunes gens en pleine conversation, ainsi que des professeurs et des chercheurs, se baladant avec des tomes volumineux sous le bras.
   Le serviteur le quitta devant une lourde porte à double battant. Après avoir inspiré profondément et s’être vidé l’esprit, il entra.
   La salle était immense, mais vide. Les murs étaient peints d’un blanc éclatant, sans impureté. Le seul mobilier de la salle se composait d’une longue table en bois massif, qui faisait face directement à la porte. Derrière étaient installées six personnes, formant un assemblage assez hétéroclite.
   -Approche, mon garçon. N’aie pas peur.
   Celui qui avait parlé aurait pu être le frère de Rauru. Il partageait le même crâne chauve, la même bedaine rebondie, mais au dessus de la barbe désordonnée se trouvaient des traits avenants et chaleureux, et des yeux pétillants de gentillesse.   
   -Je suis le maître Kaepora, se présenta l’homme.    
   -Je suis la maîtresse Laruto, enchaîna une femme à la beauté mystérieuse et aux lèvres peintes en bleu.
   -On m’appelle Fado, continua un petit homme blond aux yeux fermés, qui souriait paisiblement.
   -Aghanim, lâcha laconiquement un véritable géant, dont les traits étaient en partie masqués par un voile et un turban.
   -Voici le maître Sahasrahla, fit Kaepora en désignant un très vieil homme à la peau ridée comme une pomme de terre. Et je te présente l’Archi-maître, Exelo.
   Les mains jointes sous son menton, l’homme sans âge, à la courte barbiche blanche et aux cheveux de même couleur délicatement coiffés en arrière, l’observait sans mot dire de ses yeux perturbants, d’un bleu intense. Un sourire étrange flottait sur ses lèvres.
   -Bien, commençons, voulez-vous?, demanda Kaepora en se tournant vers ses collègues.
   -Avec joie, plussoya maîtresse Laruto avec douceur.
   Mais Vaati était incapable de détourner son attention du visage d’Exelo, et du regard que ce dernier lui jetait. Il connaissait ce regard.
   C’était le regard que Rauru lui jetait, avant qu’ils ne rejoignent le lit.
   C’était le regard que Forley avait eu.
   « Tu apprendras bien vite que chez les Sheikah il n’y pas de traîtres. Seulement des hommes loyaux, et des hommes morts. »
   Vaati espéra qu’un nouvel orage arriverait vite. L’eau de pluie lui fera du bien. L’eau de pluie lui faisait toujours du bien. Elle l’aidait à se sentir plus propre. A purger la souillure.
   Dans la poche de sa tunique, ses doigts suivirent le contour du profile du roi Salomon, gravé sur la pièce d’argent, un peu noircie par les flammes.
   Sa pièce d‘argent.

Doutchboune:
Bon, j'ai dit qu'une fois que j'aurais lu le chapitre XX, je viendrai poster mon avis sur cette deuxième partie. Et vu que j'ai lu le chapitre XX, ben je viens, logique.

Déjà, je tiens à dire que j'ai beaucoup aimé, j'aime l'intrigue, j'aime comment tu es capable de rudoyer tes personnages, j'aime la consistance que tu leur a donnés, j'aime ton style d'écriture qui se lit avec facilité et d'une traite (noooon j'ai pas dévoré la fic en une aprem, même pas vrai...... :niak: )

Sinon, pour entrer plus dans les détails, et en plus de ce que je t'ai dit à côté, s'il y a un perso que j'aime beaucoup, mais qui m'intrigue aussi beaucoup, c'est Fado. Moins central et visible que beaucoup d'autres, mais... j'accroche à fond !

J'ai aussi souri à la fin du chapitre XVIII. Même si d'un point de vue de l'histoire, des persos, ça colle, le petit côté fantasme des deux belles guerrières qui se battent pour finalement passer un nuit d'amour, ça a quelque chose de... je sais pas trop quel terme donner, je veux pas être péjorative, parce que je ne le vois pas de façon péjorative, mais voilà, quoi, j'avoue que j'ai eu un petit sourire désabusé^^

Mmmhhh c'est ça le souci de tout lire d'un coup... on se rappelle plus de détails à donner en particulier^^

Enfin, bon, pour conclure, j'aime beaucoup ta fin, même si elle laisse beaucoup de choses en suspens ! Pas que ce ne soit pas une bonne chose, bien au contraire, mais..... rhaaaa j'arrête pas de suivre des trucs qui me laissent sur ma faim comme ça ces derniers temps, et je suis en mode attente de suite avec impatience un peu trop souvent pour mes petits nerfs fragiles.  :roll:

En tout cas, vivement le deuxième tome, tu as gagné une lectrice !

Ruffian:
J'aime bien ta fic ! Bonne continuation  ;)

Great Magician Samyël:
Doutchy ==> Encore une fois, je suis content que Triangle t'ait autant plu. ^^  J'espère que le tome deux se montrera à la hauteur des tes espérances. :niak:


Et sur ce, comme vous vous en doutez, voici le début du deuxième volet de la trilogie du Triangle...

________________________
[align=center]
The Legend of Zelda :


Triangle de Haine[/align]




[align=center]Prologue
-Keeta-[/align]



   Le capitaine Keeta se tenait stoïquement au bas des quelques marches de marbre qui s’élevaient vers le trône, vaste siège d’os, de roche noire et d’acier ensanglanté. Son regard ne cillait jamais. Il avait appris à voir sans voir. De même, il lui avait fallu apprendre -et vite- à occulter de son esprit les choses désagréables de l’existence ; faire une sorte de tri entre les souvenirs qu’il fallait garder et les souvenirs qu’il fallait oublier. Ce rude apprentissage avait porté ses fruits : jamais un capitaine n’était resté aussi longtemps à son poste : une décennie. Une longue, longue décennie.
   Dehors, le soleil venait mourir sur la roche dure et rougeâtre des hauts murs d’enceinte encastrés dans le flanc des montagnes. La chaleur était infernale, surtout lorsqu’on portait une lourde armure de cérémonie. Et pourtant, l’on était au seuil de l’hiver. Les ombres s’allongeant éclaboussaient le sol richement dallé de poches d’encre sanglante, qui découpaient curieusement les silhouettes des dignitaires et des généraux présents, face aux immenses fenêtres sans vitres qui s’ouvraient de chaque côté de la gallérie.
   Rien ne bougeait, et tout était silencieux. Tout hormis les grognements sourds du tortionnaire et les pitoyables gémissements de sa victime, pendant qu’il la pénétrait sauvagement par derrière, à même le sol, tirant sur ses cheveux comme on tire sur la crinière d’un cheval, exposant la nudité de la femme sans retenu, la sueur cuisante maculant sa peau, irritant les entailles à vif laissées par le fouet et les lames de couteau. Quand Keeta l’avait appréhendée, elle était jolie. Non, elle était vraiment belle. Une hylienne blonde aux formes avenantes, grande, bien dessinée, avec de beaux yeux gris pleins d’intelligence… et un tatouage fort peu approprié dans le creux des reins. Maintenant, elle inspirait la pitié, avec son visage tuméfié, ses plaies, son épaule déboîtée, son moignon au bras gauche grossièrement recousu, et la crasse qui la recouvrait comme une gangue.
   Mais Keeta ne la voyait pas. Il avait appris à voir sans voir. C’était une qualité appréciable, surtout dans sa fonction. Ses prédécesseurs manquaient de méthode. Ils étaient trop terre à terre. Une fois, Keeta avait croisé l’ancien capitaine Feris, un mois à peine après que lui-même eut pris ses fonctions. Et bien cette rencontre avec Feris faisait partie des souvenir qu’il fallait oublier. D’ailleurs, qui était le capitaine Feris?
   Le tortionnaire finit par vider ses bourses sur le dos de la prisonnière éplorée. Elle s’affala de tout son long sur le sol lorsqu‘il la lacha, sanglotant, brisée. Keeta l’avait prévenue pourtant lorsqu’il l’avait arrêtée. « Epargnez vous des souffrances veines et inutiles. Il est dans votre intérêt de tout avouer maintenant. Au moins vous pourrez bénéficier d’une mort propre et brève. » Elle ne l’avait pas écouté alors. Ni même la semaine suivante, lorsqu’il lui avait scié la main gauche avec un couteau émoussé. Cela avait été long, pénible et affreusement bruyant.
   A la réflexion, cela faisait aussi partie des souvenirs qu’il fallait mieux oublier.
   Tout comme la fois où il avait attaché son bras droit tendu à un poteau, puis frappé son épaule avec un maillet jusqu’à ce que le cartilage implose. Oui, cela aussi, il valait mieux l’oublier. Ca, et les cris. Toujours les cris. Les cris étaient le plus pénible. Le sang, encore, se lavait plutôt bien sur des tabliers en cuir. Mais les cris, ils résonnaient longtemps et fort, dans sa tête, même la nuit. Le capitaine Keeta était un homme simple ; il aspirait à manger deux fois par jour et à dormir sereinement la nuit. Mais les cris…
   Enfin, il valait mieux l’oublier.
   -Capitaine. Je crois que notre invitée désire s’exprimer.
   Keeta frissonna lorsque le timbre de la voix vint lui vriller le cerveau, écorcher son âme. C’était une voix d’outremonde, un pur concentré de noirceur et d’impérialisme insidieux. Certains murmuraient que le Roi-Sorcier Ikana n’était pas humain. Que c’était une sorte de démon sorti des mondes d’en dessous pour asservir le genre humain. A ceux-là le capitaine avait ordre de leur arracher la langue et de la clouer sur le mur du Mensonge. Keeta avait demandé à ce qu’on agrandisse le mur, car la place commençait à manquer.
   Keeta tourna sur lui-même et s’incliner face au trône. Ses yeux accrochèrent rapidement les longue jambes puissantes d’une silhouette à moitié cachée dans l’ombre. Voir sans voir.
   -A vos ordres, Votre Majesté.
   Sous le regard de la cour toute entière, le capitaine s’approcha de l’hylienne. Ses bottes ferrées produisaient un fort claquement chaque fois que ses talons frappaient le sol, brisant le silence absolu qui régnait dans la galerie. Keeta s’accroupit à côté de la femme, et lui tira les cheveux pour lui faire relever la tête.
   -Le Roi-Sorcier Ikana t’a honorée des bienfaits de l’éducation, récita le capitaine d’une voix monocorde (Voir sans voir. Oublier, après.). As-tu appris qu’il est idiot de refuser la clémence qu’autrui daigne t’accorder?
   -Pitié…
   La voix était à peine un souffle. Les cordes vocales avaient lâché à force de crier.
   -As-tu appris?, répéta Keeta après lui avoir fracassé le crâne contre le sol.
   -Oui… Pitié… Plus de douleur… Pitié…
   Un murmure parcourut la cour lorsque le Roi-Sorcier se leva de son trône et descendit lentement les marches. Le capitaine recula docilement pour laisser la place à son souverain, le regard fixé devant lui. Les robes écarlates brodées de noir du monarque faisaient penser à du sang encore frais, en cela qu’elles miroitaient bizarrement à la lumière mourante du crépuscule montant. Ses longs doigts osseux se terminaient par des ongles noirs semblables à des griffes, et ses cheveux argentés étaient comme une cape d’acier. Ses yeux jaunes et luisants n’avaient rien de… Non. Voir sans voir.
   Ikana tendit la main, et le corps de la prisonnière fut parcourut d’un soubresaut. D’un mouvement du doigt, il la releva à demi et la força à le regarder dans les yeux.
   -Comment t’appelles-tu?
   Personne ne pouvait résister aux ordres muets d’Ikana. Sa voix vous perçait comme des serres, arrachant votre courage, suçant votre âme, se gorgeant de votre peur animale.
   -Impa…
   -Dis moi, Impa. Qui t’a envoyée pour me tuer?
   Keeta fut surpris qu’elle ait encore assez de force pour résister une petite poignée de secondes.
   -Tarquin. Tarquin du Sheikah.
   -Tarquin du Sheikah.
   Ikana sembla goûter la sonorité du nom. Keeta avait déjà entendu parlé de ce Tarquin. Un homme de l’ombre à la tête du réseau d’espions d’Hyrule.
   -Général Onox!
   L’immense ombre qui se tenait coite derrière une colonnade puis le début de la scène s’avéra être un homme. Plus précisément une montagne qu’on aurait réussi par quelque miracle à comprimer dans une armure terrifiante.
   -Votre Majesté?
   La voix métallique, dure, n’évoquait rien d’humain. Keeta préféra continuer à fixer la fenêtre en face de lui. Voir sans voir.
   -Ayez l’obligeance de transmettre à votre suzerain mes sincères amitiés. Et faites lui savoir qu’il a mon soutient inconditionnel dans son entreprise. Hyrule brûlera avant la fonte des neiges.
   -Votre Majesté nous honore, répondit la créature de fer en s’inclinant grossièrement.
   -Capitaine Keeta!
   -Votre Majesté?
   -Reconduisez cette catin dans sa cellule. Et assurez-vous qu’elle souffre longtemps avant de mourir. Assurez-vous en personnellement.
   Voir sans voir. Et surtout, oublier. Les cris, principalement.
   Les cris, c’était le plus pénible.

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