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La Tour du Rouge : [Random | Très court] Sans titre #1
Great Magician Samyël:
Saku ==> Haha! Rien n'est jamais ce dont il paraît, n'est-ce pas? :3 Merci encore pour ton commentaire, en espérant que la suite te plaise!
Silver ==> Merci pour le commentaire! Bien sur que tu peux sauvegarder le Cycle, mais de toute manière je ne compte pas le retirer du topic.
Darkmikau ==> D'abord, bienvenue dans cette humble Tour du Rouge ^^ C'est toujours un plaisir d'accueillir de nouvelles têtes, surtout quand elles sont sympathiques :p Ensuite, merci de suivre Triangle de Pouvoir et d'avoir commenté! C'est toujours très agréable de se savoir lu, et surtout lorsque ce que l'on produit est apprécié ^^ N'hésite pas à revenir dans le coin aussi souvent que tu le souhaites, et en espérant que la suite te plaise!
Chose promise chose due, voici le chapitre XVIII. Parce qu'une bonne nouvelle n'arrive jamais seule, comme le découvre notre bon Linebeck. A l'occasion de ce chapitre il serait peut-être bon de relire, ou juste survoler, le chapitre VII -Kaepora-, pour saisir toutes les subtilités et tout ce qu'il y a à comprendre. Les liens de tous les chapitres se trouvent dans le sommaire, sur le premier post. :)
Sur ce, je vous souhaite une très bonne année 2011, plein de bonnes choses, et une bonne rentrée!
Ainsi qu'une bonne lecture, naturellement. ;)
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XVII
-Linebeck-
Kaepora le dévisageait durement, par-dessus la table où reposait, visiblement inoffensif, le Masque. Une veine palpitait sur la tempe du vieux mage, le seul signe extérieur de l’immense fureur qui le dévorait. Linebeck déglutit et détourna les yeux.
-Vous auriez du m’en parler! Gronda Kaepora.
-Et comment aurais-je pu savoir que vous étiez un magicien, messire Pérault?
Le manque de sommeil et la douleur rendaient Linebeck nerveux et irritable. Son épaule lui faisait un mal de chien, là où le couteau s’était profondément enfoncé -sans rien toucher de vital, par bonheur- et il était contraint de garder son bras replié contre lui. On ne lui avait permis de comater qu’un jour seulement, suite à quoi, impatient, Kaepora avait accéléré son retour à la conscience à l’aide de sa magie, pour mieux l’assommer à coup de moral.
-Idiot que je suis! Tempêta ce dernier en se levant.
Linebeck comprit alors que la colère du mage ne le visait pas. Le vieil homme se morigénait lui-même.
-Comment ai-je pu ne point le sentir? Ca empeste comme un cadavre en décomposition! A cause de moi, le pauvre Scaff est mort.
Mal à l’aise, Linebeck gesticula sur son siège. Dehors, dans les rues, la foule hurlait sa liesse tandis que Lord Link défilait sur son cheval, la Lame Purificatrice brandie. Le contrebandier avait vaguement entendu parler de cette légende, mais il n’y prêtait aucune attention. Ses problèmes étaient bien plus sérieux. Kaepora jeta un œil par la fenêtre, le front barré d’un pli soucieux, puis revint s’assoir.
-Madura avait sûrement raison, grommela-t-il. Le monde devient fou. Comme si un seul miracle n’était pas déjà suffisant.
-Un miracle?, déglutit Linebeck.
-Oui, crénom d’idiot! Fou que vous êtes! Vous n’avez pas le moindre soupçon d’idée de la chose que vous avez amenée ici.
Kaepora fit mine de s’emparer du Masque pour le lui coller sous le nez, mais il se ravisa au dernier moment. Linebeck avait mal à la tête. Une migraine affreuse qui le tenaillait depuis son réveil.
-Allez-vous me le dire, à la fin, ou allez vous continuer à radoter comme un vieux jusqu’à ce que la mort nous prenne?, rétorqua-t-il en frappant du poing le plateau de la table à l’aide son mauvais bras.
Il regretta aussitôt son geste lorsqu’un éclair de douleur fulgurant déchira son épaule. Il craignit que la blessure ne se rouvrît, mais le sang ne coula pas. La scène sembla radoucir Kaepora.
-Pardonnez moi. Vous ne pouviez pas savoir, c’est vrai. Après tout, vous n’êtes que le transporteur. Ce que vous avez devant vous est une relique datant d’une époque sombre qui coïncide avec la venue des Hyliens, lorsque des tribus païennes et barbares se réclamaient seigneurs de ces terres. L’une d’entre elles était menée par un sorcier, un chaman, dont les pouvoirs égalaient, voire surclassaient, ceux des mages Hyliens. Il s’appelait Majora, et tirait sa magie impie de sombres rituels cannibales durant lesquels il dévorait littéralement l’âme des sacrifiés. Malgré toute sa puissante magie, son clan fut anéanti par les Hyliens, mais l’esprit de Majora perdura et s’incarna dans un masque à l’effigie d’un dieu ancien que son peuple vénérait.
Kaepora marqua une pause. Linebeck se décomposait au fur et à mesure du récit, car il craignait de comprendre où le mage voulait en venir.
-Le masque fut trouvé par un jeune soldat, qui n’y voyait qu’un objet décoratif d’un goût certes douteux. Mû par un sentiment qu’il ne pouvait lui-même définir, d’après ses propres mots, il décida de garder l’objet. Ce soldat s’appelait Odolwa, et par bonheur il tenait un journal. Il y écrivit que le lendemain de sa découverte, il commençait à sentir un besoin « irrépressible » de cacher et protéger son acquisition. Il raconte qu’à cette période, il commença à souffrir de terribles maux de tête. Il entendait des voix dans son esprit, qui lui murmuraient des secrets qu’il ne pouvait pas connaître, qui lui donnaient des conseils. Ses nuits ne furent plus dès lors que cauchemars perpétuels. Il rêvait de massacres, de viols, qu’il commettait lui-même.
Kaepora s’interrompit à nouveau, et sonda Linebeck de son regard scrutateur.
-C’est votre cas aussi, n’est-ce pas?
La bouche sèche, le teint plus pâle que celui d’un cadavre, il hocha la tête.
-Que… Que lui est-il arrivé?, osa-t-il demander.
-Son état mental et physique se détériora de plus en plus, tandis que les voix gagnaient en intensité. A la fin de son journal, ses propos deviennent incohérents, et plusieurs écritures différentes s’enchainent, comme si plusieurs personnes différentes avaient écrit les unes à la suite des autres. Puis vint le moment inévitable où Odolwa coiffa le Masque. Majora s’empara de son corps et de son esprit, annihilant ce dernier pour en faire un pantin servile. Doté d’une nouvelle enveloppe, le sorcier déchaîna la mort dans le nouveau royaume d’Hyrule, provocant un massacre indescriptible jusqu’à ce qu’une ultime alliance de mages en vienne à bout. Le corps d’Odolwa fut démembré et ses restes jetés dans l’Hylia. Quant au Masque, il fut un temps conservé sous scellé magique dans les sous-sols du Consortium, mais il finit par disparaître. Depuis lors, il réapparait à peu près une fois tous les siècles, provoquant un nouveau massacre avant de disparaître pour un autre siècle.
Un silence de mort s’abattit sur la chambre. Un millier de questions tourbillonnait dans l’esprit de Linebeck, mais il avait peur de les poser.
Ne l’écoute pas. Il te ment. Ne t’ai-je pas toujours protégé?
-P… Pourquoi le Consortium voudrait-il d’une telle… chose?, articula-t-il difficilement.
-Je l’ignore. Et c’est justement ce qui m’inquiète. Mes anciens collègues préparent quelque chose d’absolument affreux.
Le mage frissonna et son regard se perdit une seconde, comme s’il se replongeait dans un souvenir.
-Mais la réapparition du Masque est un signe bien plus funeste encore. Il faut impérativement le garder hors de leur porté. Je ne sais pas comment ils ont réussi à le retrouver et à mettre la main dessus. Cela ne m’inspire que de la crainte. Avez-vous déjà songé à le porter?, demanda-t-il soudain, prenant Linebeck au dépourvu.
-Non!, se récria l’autre en pensant le contraire.
-Bien, alors ce n’est pas encore trop tard. Je vais cacher cette monstruosité, le temps que je puisse m’en occuper de façon plus permanente.
-Où… Où allait-vous le mettre?
Linebeck contemplait l’effigie de bois avec des yeux fiévreux. Il écoutait à peine ce que lui racontait Kaepora. Les grands yeux lumineux de Majora aspiraient son être dans leur étreinte salvatrice.
Ne l’écoute pas. Il te ment. Tu le sais. C’est moi qui t’ai sauvé. C’est moi qui te protège.
Oui! C’était vrai. Majora l’avait sauvé. Majora lui avait permis de rencontrer ser Mikau. Sa vie, il la devait à Majora, et personne d’autre. Cela devenait évident à présent. Kaepora voulait garder le masque pour lui. Pour lui seul. Il voulait utiliser la lumière de Majora pour son profit personnel, empêchait les sages magiciens du Consortium de s’en servir pour aider l’Humanité…
-Vous n’avez pas à le savoir, je suis désolé. C’est pour votre bien. Tant que son influence n’aura pas été totalement neutralisée, vous pourriez avoir envie de le retrouver.
Linebeck secoua la tête, et il eut l’impression que milles tessons ardents lui vrillaient le cerveau. Il perdait l’esprit. Bien sur le masque était vil, maléfique. Il avait corrompu l’esprit d’un enfant pour tenter de l’assassiner.
-Pourquoi a-t-il essayé de me tuer?, demanda-t-il en essayant d’occulter les voix qui murmuraient à ses oreilles.
-Je ne sais pas. Je pense que vous ne lui convenez plus. Peut-être êtes-vous trop combatif, trop résistant, ou bien est-ce ce résidu de magie que je perçois en vous qui l’empêche de parvenir à ses fins.
Linebeck n’entendit pas cette dernière théorie.
Ne l’écoute pas, il te ment. Réfléchis.
Oui, le vieux mage mentait, c’était évident. Pourquoi Majora aurait-il voulu le tuer après l’avoir sauvé d’une mort certaine? Cela n’avait aucun sens! Non, la vérité était ailleurs. Une vérité peu glorieuse. Kaepora était arrivé bien vite sur les lieux du crime… comme s’il s’y attendait. Il en était d’ailleurs sorti indemne, sans une égratignure. Oui, Kaepora avait envoyé le garçon contre lui, et mis en scène son sauvetage pour gagner la confiance du contrebandier, afin qu’il lui donne le masque.
Ce vieillard égoïste, sournois, vil, menteur!
Une haine ardente commençait à enflait dans le cœur de Linebeck, alors qu’il comprenait. Non, le masque était une relique sainte, investie de grands pouvoirs bénéfiques. Il ne devait pas tomber entre de mauvaises mains. Il fallait impérativement qu’il l’apporte au Consortium.
Kaepora se leva à nouveau et gagna la fenêtre, où il contempla les rues noires de monde. Le contrebandier saisit sa chance. S’emparant de l’épée de Marine posée contre la table, il se redressa sans un bruit et s’approcha du mage perdu dans ses pensées. Il y eut un bruit mat lorsqu’il abattit le plat de la lame de toutes ses forces à l’arrière du crâne. Kaepora poussa un unique grognement et s’affaissa de tout son long sur le sol, la face glissant le long de la fenêtre et du mur.
Il n’y avait pas de temps à perdre. Linebeck lâcha son arme et récupéra le masque sur la table. Il s’accorda un instant pour contempler ses lignes harmonieuses, pour sentir la douce chaleur qui en exsudait au rythme de petits battements semblables à ceux d’un cœur pur. Il le coinça sous son aisselle, à l’intérieur de son manteau, et sortit de la chambre. Il se précipita dans le couloir et ne s’arrêta pas lorsque Médolie, qui apportait le déjeuner, le héla. Dévalant l’escalier quatre à quatre, il fut soulagé de trouver la salle commune vide. Il se rua à l’extérieur du Poisson-Rêve et se fondit sans effort dans la foule amassée.
Le vacarme de la populace ajoutait à sa migraine, menaçant de faire exploser son crâne. Un instant, il fut pris de vertige et sa vision se troubla. Il était poussé de toute part, écrasé, piétiné, et il se mit à lutter pour sortir de là. Il joua des coudes, rua, cria, mais personne ne semblait lui accorder la moindre attention. Soudain, il s’écroula au sol, au beau milieu de la chaussé. Le sabot d’un cheval s’abattit à quelques centimètres de son visage.
Relevant les yeux, il fut cloué sur place par le regard abyssal de Lord Link. Il rayonnait littéralement dans son armure d’or, aveuglant le contrebandier. Il tenait dans ses mains une épée nimbée de flammes obscures et démoniaques, qui hurlaient comme un chœur de damnés. La simple vue de cette lame impie provoqua une immense frayeur chez Linebeck, une frayeur qui semblait appartenir à un autre étrangement, et il se recula promptement. Derrière le Héros, c’était toute la Cour qui se déplaçait : le Roi, la Princesse, le Prince, toutes les grandes familles nobles, des chevaliers et des courtisans… Il aperçut ser Mikau, mais par bonheur le Zora regardait ailleurs. Il scrutait la foule, la main sur le pommeau de son arme, comme s’il s’attendait à du danger. En revanche, le vieil homme qui chevauchait à ses côtés, le borgne, contemplait Linebeck d’un air soupçonneux.
Désireux de ne pas attirer d’avantage l’attention sur lui, le contrebandier se rencogna dans la foule, et fendit la cohue jusqu’à une ruelle fraîche et déserte. Il s’adossa au mur pour reprendre son souffle, et grimaça lorsqu’il sentit du sang filtrer de son bandage et imbiber petit à petit sa tunique. Il lui fallait gagner le Consortium en toute hâte, profiter de l’événement pour se faufiler et échapper à d’éventuels poursuivants.
Linebeck s’enfonça dans le Bas-Bourg, les quartiers d’habitation labyrinthiques qui avaient poussé à l’ombre des remparts de la ville. Ici, les rues étaient étroites, sombres, les bâtiments entassés les uns-sur les autres dans un embrouillamini étouffant d’architectures claustrophobes. Certaines ruelles débouchaient sur des cul-de-sac, d’autres étaient de véritable goulet d’étranglement peu rassurants. Des immondices jonchaient le sol, fouillées par des rats gris et énormes, et du sang sec était visible sur certains murs, sur certains pavés, simples gouttes issues d’une rixe ou véritables éclaboussures témoins muets d’un ancien meurtre.
Le décor rassura cependant le contrebandier. Il était un être familier de ces univers de bas-fonds miséreux, de zone de non-droit où seules les bandes pouvaient prétendre à diriger. Il se savait en sécurité ici, relative certes. Personne ne viendrait l’y trouver. La fête qui secouait la Cité avait vidé le Bas-Bourg également. Les allées ombreuses et inquiétantes l’étaient d’avantage dans le silence presque surnaturel où se trouvait plongé le lieu. Quelques enfants faméliques et crasseux jouaient avec des planches de bois pourries ou chassaient les rongeurs en leur jetant des pierres. Ils dévisageaient Linebeck lorsque ce dernier passait à leur hauteur, mais aucun ne fit mine de l’embêter.
Il marcha un long moment dans les ténèbres du Bas-Bourg. Au loin, la liesse n’était qu’une basse rumeur, comme les grognements sourds d’un monstre gigantesque prêt à s’endormir. Les habitants des bas-fonds regagnaient leurs logis, et la vie semblait reprendre possession de l’endroit. Le coucher du soleil projetait sur les pavés des ombres crépusculaires mouvantes et effrayantes, plongeait certaines bâtisses dans des flaques de noir liquide et palpable où l’esprit pensait capter quelque mouvement de bête féroce, ou d’yeux braqués sur les passants. Une peur grandissante, galopante, se propageait dans le cœur et l’âme de Linebeck. Une horreur cosmique et séculaire, primale, qui le glaçait d’effroi. Une terreur démente et matérielle qui le poussait à accélérer ses foulées. Un relent de pourriture flottait dans l’air, une odeur indescriptible qui prenait à la gorge, qui piquait les yeux. Un souffle méphitique et corrosif comme issu d’un gouffre, passage vers l’innommable de l’En-Dessous.
Linebeck avait déjà éprouvé ce sentiment, de longues années auparavant. Cette épouvante venue de l’espace et du temps, qui glaçait le cœur même des plus endurcis. A la Bataille du Carnaval, lorsque le Roi-Sorcier Ikana avait fendu la terre en deux et fait jaillir des tréfonds ardents des monstruosités d’un autre âge pour écraser la résistance futile des seigneurs rebelles. Ce jour là, Linebeck menait la lutte sur la Mer, au large de Grande Baie, à des kilomètres du champ de bataille, mais il avait ressenti dans ses os et sa chair toute l’horreur qui se déchainait, là bas sur la plaine.
Perdu dans ses pensés, il trébucha et faillit s’étaler de tout son long. Il se rendit compte que la ville s’était tue. Un silence surnaturel planait sur la Cité d’Hyrule. Une obscurité contre-nature s’étendait sur les rues comme un linceul, que les torches de la milice urbaine parvenaient à peine à percer.
Il était seul dans le Bas-Bourg.
Aucune bande n’écumait les allées enténébrées, aucun ivrogne ne déambulait en titubant, aucune putain n’essayait de vendre ses charmes. Le souffle court, Linebeck se retourna, et il faisait face à un trou de pures ténèbres dans le tissu même du monde et des dimensions. Un tunnel algide s’ouvrait dans la trame de l’univers, exsudant le Mal et la Démence. La puanteur était insoutenable, suffocante. L’oeil captait à sa périphérie des mouvements hallucinés qui semblaient jaillis d’un autre monde. Derrière cette porte béante, cette entrée vers l’inconnu horrifique, se tenait tapie dans le noir une masse gigantesque et troublée, dont le sommeil ténu semblait prêt à rompre. Linebeck ne pouvait définir en des termes humains ce qu’il contemplait, tant cela défiait toutes les lois naturelles. Il n’en voyait rien, et pourtant cela suffisait à embraser son esprit de visions d’épouvante, de terreur cosmique. Il contemplait un être issu de l’espace et des étoiles, un monstre d’un autre âge qui n’attendait que son réveil pour répandre la mort et la destruction dans le royaume des Hommes.
L’Être s’ébroua, monolithique, et il sembla faire un pas. C’était une montagne en marche, une montagne à face de porc.
Je suis là. Je vais te protéger. Fais moi confiance.
Linebeck se réveilla. Sa tête lui faisait plus mal qu’à l’accoutumée. Il était affalé dans une flaque d’eau croupie, en plein milieu d’une rue crasseuse. Autour de lui, l’activité mercantile et humaine battait son plein, dans une joyeuse cacophonie sonore, indifférente à l’homme qui dormait recroquevillé sur la chaussée, à l’instar d’une dizaine d’autres ivrognes. Il faisait jour depuis un moment, à en croire le soleil haut dans le ciel. Linebeck se leva, hébété. Il lui fallut un moment pour se remémorer les derniers événements, et quand cela arriva, ce fut comme une digue qui se brisait dans son esprit.
Des larmes d’impuissance et de déchirement ruisselèrent à foison sur ses joues encrassées, et il s’effondra, agité de convulsion tandis que toute l’horreur qu’il avait contemplé lui revenait à la mémoire. Qu’était-ce la puissance de l’humanité face à pareille créature? Comment l’homme pouvait-il croire à sa suprématie sur toutes les choses de la nature? Linebeck aurait voulu se donner la mort pour échapper à ses visions.
-Monsieur, vous allez bien?, s’enquit une voix au dessus de lui.
Il sursauta et releva la tête. Un homme entre deux âges se tenait devant lui. Il avait des traits agréables et un sourire avenant. Ses cheveux blancs étaient coiffés en arrière, et ses moustaches, fines et longues, touchaient presque le sol. L’inconnu était accompagné par un vieillard au visage tellement fripé qu’il ressemblait à une vieille pomme de terre, et un grand gaillard costaud, donc la partie inférieure du visage carré était cachée par un morceau d’étoffe rougeâtre. Leurs vêtements bien coupés détonnaient étrangement avec la pauvreté du Bas-Bourg, mais Linebeck était trop perturbé pour s’en rendre compte.
Dans un moment d’hallucination, il prit l’homme sans âge pour un quelconque envoyé des Déesses, irradiant de bonté. Il voulut parler, mais sa voix se brisa sur une nouvelle vague de sanglot.
-Allons, allons, il ne faut pas vous mettre dans cette état, mon brave Linebeck.
Le monsieur au visage souriant lui passa un bras autour des épaules, et l’aida à se relever. A ce moment là, une présence pernicieuse et glaçante commença à s’enrouler autour du cœur du contrebandier. Il le sentait palpiter dans sa poitrine. Une chose qui était là depuis longtemps, il s’en rendit compte. Exquisément familière, et terriblement effrayante.
-Nous allons vous reconduire chez vous.
L’étrange trio le fit sortir du Bas-Bourg, sans un mot de plus. Brisé, ahuri, Linebeck se laissa faire, l’esprit vide. Personne ne semblait remarquer l’étrange groupe qui se dirigeait vers l’Ouest de la ville, vers un bâtiment gigantesque et immaculé qui surplombait tout le reste. Il perdit conscience un moment.
Lorsqu’il se réveilla, on le tirait le long d’une dizaine de degrés de pierre blanche sculptée. Un homme très grand les attendait sur le seuil d’une porte monumentale. Il portait un masque de fer à l’effigie d’un démon, et un rire aussi bref que fou s’en échappa. Linebeck eut vaguement conscience qu’on tirait sur son bras blessé, et qu’il ne ressentait pourtant aucune douleur. Ses sauveteurs le conduisirent à travers de longs couloirs et d’immenses bibliothèques, jusqu’à un cloître ensoleillé, où ils firent apparaître un passage magique dans le mur. Celui-ci s’ouvrait sur un long escalier qui s’enfonçait profondément sous la terre et s’achevait sur une porte en fer noirci, minuscule vue du cloître.
Quelque chose ondulait à la lisière de sa conscience. Une présence démente et puissante qui pressait son esprit et le tordait, provoquant une migraine atroce. Le contrebandier évoluait dans un brouillard rougeâtre de douleur et de confusion, dans lequel des hallucinations fantasmagoriques côtoyaient les êtres de chair et de sang.
-Je crois que le Poisson-Rêve se trouve de l’autre côté, messieurs, parvint-il à articuler.
Il eut soudain la sensation qu’on lui enfonçait une lame dans le cœur. Et lorsqu’il se pencha, il constata que c’était effectivement le cas. Il tituba, en proie à une vive terreur hallucinée, vaguement paniqué par son instinct de survie. Il voulut prendre une grande inspiration, mais il s’aperçut que quelque chose était pressé contre son visage, occultant sa bouche et son nez. Tombant à genoux, il palpa ses traits, et ses doigts rencontrèrent le bois lisse et les piquants osseux du Masque.
-Vous êtes quelqu’un de particulièrement résistant, Linebeck, commenta l’homme sans âge, une dague ensanglantée à la main. Mais pas dans le bon sens du terme. Plutôt comme un cafard, disons. Rares sont les mortels pouvant résister à l’appel de Majora. Plus rares encore, ceux qui résistent à son ultime influence, lorsqu’ils coiffent le masque.
La présence du sorcier dans son esprit gonflait à chaque seconde, cherchant à bouter son âme hors de son enveloppe. Un ultime cri de terreur se forma dans la gorge de Linebeck, mais qui ne parvint jamais à destination. Linebeck fut arraché à son corps, et son enveloppe astrale flotta dans les airs. Il se voyait à genoux, le masque ignoble et vénéneux rivé sur le visage. Comment avait-il pu être aussi bête?
Avec horreur, il vit son cadavre s’ébrouer, puis se relever. Les yeux glaçants du masque parcoururent le cloître. Les cinq autres hommes -ils avaient été rejoint entre temps par un beau jeunot aux cheveux blancs- s’agenouillèrent devant lui, la tête baissée en signe de respect et de soumission.
-Seigneur Majora, salua l’homme sans âge. C’est un plaisir de vous avoir enfin parmi nous.
-C’est un plaisir partagé, Archi-maître. C’est toujours un immense bonheur de renaître, encore et encore, surtout après une âpre et distrayante bataille contre un hôte un peu trop revêche.
Majora s’exprimait avec la voix de Linebeck, mais on y décelait comme une énergie noire et corrompue.
-Allons, ne perdons pas de temps. Nous avons beaucoup à faire. Votre tentative de la nuit dernière était précipitée, c’est une chance que rien de catastrophique ne soit arrivé. Il va falloir reprendre depuis le début. Mais cette fois, je veillerai aux préparatifs.
-Assurément, seigneur Majora. Nous pouvons pourvoir à tous vos besoins, s’il vous faut quoi que ce soit…
-Je veux une nouvelle enveloppe. Celle-ci ne m’évoque que dégoût et répugnance. Elle ne sied pas à un homme de ma stature. Il me faudra être sous mon meilleur jour pour accueillir le Seigneur Ganon parmi nous.
-Soit. Ordonnez, et nous exécuterons.
-Je veux Tarquin d’Hyrule, le maître du Sheikah.
Linebeck poussa un cri muet lorsque son âme fut dispersé dans le néant.
sakuranbo:
J'ai relu le chapitre 7 comme tu l'as recommandé avant d'attaquer celui-ci. Rhooo ce chapitre était vraiment génial! :niais: Quelle funeste fin que celle de Linebeck! J'ai vraiment adoré, mais je me demande quel va être le rôle de Link par la suite tiens... Et puis Tarquin bien sûr!
Ce chapitre était vraiment grandiose! Vivement la suite encore une fois!!!
Great Magician Samyël:
Wow, il devenait temps que le Triangle revienne sur le devant de la scène, il était carrément passé sur la deuxième page du forum littéraire! :niak:
Merci Saku pour ton commentaire, et en m'excusant du temps qu'il m'aura fallu pour poster une suite. :/
Pour compenser un peu, voici un long chapitre XVIII. A noter que nous rapprochons de la fin de Triangle de Pouvoir, car la fiction trouvera dénouement au chapitre XX.
Sur ce, bonne lecture et à tantôt!
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XVIII
-Feena-
Au loin, sur la plaine battue par les grands vents, la bannière au Loup Noir s’agitait, comme un prédateur excité à l’idée du massacre prochain. Une ligne noire, grondante et grouillante, ondulait en assombrissant l’horizon dans sa multitude étincelante d’acier et de fer hérissé. Perchée sur sa monture, Feena Hurlebataille frissonna en contemplant le sinistre spectacle. Les tambours de guerre de son clan résonnaient sourdement, mais ce jour là, la mélodie guerrière qui d’ordinaire gonflait d’ardeur le cœur des combattants, sonnait comme une mélopée funèbre. Le monde vacilla en un déluge de sang et de fureur, un carnage de cendre et de cris, lorsque la charge fut donnée à la horde hurlante au son d’un cor de bronze ressemblant au rire d’un démon. Les sèches herbes vertes de la plaine frémirent et se teintèrent d’un rouge morbide, tandis que tout autour de leur chef, les guerriers du clan de Logre tombaient les uns après les autres sous les coups des soudards du Loup Noir.
Soudain, surgissant de la mêlée tel l’annonciateur de la Mort en personne, un géant au regard de pierre et aux traits de glace se dressa, son armure algide frappée au Loup Noir projetant de sombres éclats sur le corps-à-corps furieux. Il avançait d’un pas tranquille, faisant trembler la terre sous lui, fauchant les guerriers avec le calme de la plaine séculaire, comme s’ils n’avaient été que des fétus de paille ballotés par les vents. Tétanisée par cette vision de cauchemar, Feena poussa un cri d’horreur lorsqu’elle vit son compagnon, Kailan, et son fils, Cyrvin, se mettre travers du chemin de l’entité, les armes brandies et poussant des cris de guerre galvanisants. Mais malgré toute leur bravoure, ils ne purent tenir tête au géant, qui se changea en un immense et horrible Chien noir qui les dévora tout entier. Feena voulut courir vers eux, mais soudain un destrier se tenait devant elle. Son cavalier, un ange aux yeux de fureur et aux traits aussi beaux que maléfiques, darda sur elle la lame d’une longue épée, tandis que sur son large écu, le Loup Noir ouvrait grand la gueule comme pour la mordre.
-Soumet toi, chienne, et j’accorderais la vie sauve à tes guerriers, lui dit-il d’une voix d’outre-tombe, où perçaient la cruauté et la colère.
Elle tenta de le frapper avec ses haches, mais le cheval fit un pas de côté. Alors, le cavalier brandit son épée et la cheftaine sentit avec une terreur glacée la lame effilée se planter dans son crâne…
Feena se redressa d’un bond, réprimant un cri, et porta une main moite à son visage. Tremblante, elle parcourut d’un doigt hésitant la balafre douloureuse qui traversait son visage, du front au sommet de la pommette gauche. Frissonnante, elle s’extirpa des draps trempée de sueur, et se lova dans le fauteuil qui jouxtait l’âtre de marbre, où les restes d’une flambée continuaient à crépiter. Elle attendit un moment, faisant le vide dans son esprit, que la chaleur la regagnât. Cela faisait presque cinq années qu’elle avait juré allégeance à Link, et pourtant ce rêve récurrent ne cessait de la hanter. Il revenait par période, comme pour lui rappeler douloureusement tout ce qu’elle avait perdu ce jour là. Maudit Héros. Maudit Chien.
Elle essuya d’un revers rageur la larme silencieuse qui coula sur sa joue.
Revigorée, elle gagna la fenêtre et tira les rideaux d’un geste brusque. Le jour était à peine levé ; la Cité, encore groggy de sommeil, était bien calme. Les deux jours de liesse qui avaient suivi l’exploit de Link y étaient sûrement pour quelque chose. Il était presque certain que la fête allait reprendre. Feena se demandait parfois comment une population pouvait passer autant de temps à se dépraver, et pourtant étendre sa domination sur un royaume aussi vaste qu’Hyrule.
Elle préféra passer outre ces pensées, de peur de devenir amère. Il y avait des choses qu’elle avait acceptées depuis longtemps. Celle de faire partie des races dominées en faisait partie. Elle passa une tunique longue simple de couleur noire, frappée de l’emblème de son clan : les doubles haches croisées cramoisies. Elle enfila également des braies d’équitation et des bottes hautes en cuir solide, et attacha une rapière effilée à sa ceinture. Ce n’était certes pas son arme de prédilection, mais elle avait l’avantage de passer plus inaperçue qu’une hache de bataille. Peu soucieuse de son apparence en cette triste matinée de fin d’automne, elle laissa sa crinière roux-cendrée totalement libre et ne prit pas la peine de faire ses ablutions matinales.
Le Grand Tournoi, comme l’appelait la populace, se tiendrait dans trois jours. Feena y aurait participé avec grand plaisir, ayant compris plus ou moins qu’il y était question de se mettre sur la figure dans de vastes pugilats organisés, mais on lui avait fait savoir à demi-mots qu’elle n’était pas la bienvenue sur le champ d’honneur, à cause des deux protubérances charnues qu’elle avait sur le torse et de son absence de membre érectile entre les cuisses. Si cela l’avait frustrée, elle avait fini par passer outre. Elle espérait qu’au moins un de ces idiots pompeux allait mourir, pour la divertir.
Déprimée, le vague à l’âme, n’ayant pas le cœur à s’entraîner ou à faire la cour à Malon, qui continuait de se dérober, et ayant bien trop de temps libre pour être autre chose que désœuvrée, elle décida d’aller se prendre une sévère cuite dans un bar quelconque, et avec un peu de chance déclencher une bonne bagarre. Avec tous ces soudards venus en ville, alléchés par les promesses du tournoi, cela ne devrait pas être trop difficile.
Quittant sa chambre, elle s’engagea d’un pas rapide dans les longs couloirs, croisant par moment des serviteurs les bras chargés de plateaux ou de draps propres, mais aucun ne fit attention à elle. Elle avait beau être « l’invitée » de la Couronne, elle restait avant tout une barbare des plaines. N’y prêtant d’ordinaire aucun crédit, cette absence de considération, ce jour là, réussit à la mettre un peu plus en rogne.
En passant devant le terrain d’entraînement, elle eut la désagréable surprise d’y trouver le Chien -enfin, ser Sanks- et le jeune Lars, qui peinait à parer les assauts de son mentor. Comme à son habitude lors d’un combat, le chevalier affichait une mine totalement neutre et fermée, qui ne trahissait d’aucune façon ses prochains mouvements. Cette attitude, couplée à son escrime exceptionnelle, en faisait l’un des combattants les plus dangereux qu’elle connaissait. En les observant un moment, elle se remémora avec un frisson de mélancolie les vertes années où son jeune fils apprenait à se battre avec son père… Sanks et Lars les lui rappelaient… Mais elle secoua la tête avec hargne. Non, le Chien avait tué ces êtres chers et aimés, et voilà ce qu’il serait à jamais : un meurtrier… Même s’il les avait combattus honorablement, sur le champ de bataille… Même si c’étaient eux qui, les premiers, s’étaient jetés à deux contre lui…
Ravalant un sanglot, Feena s’éloigna avant que quiconque ait pu la voir. Elle devenait faible. La cause à la vieillesse, sûrement. Où était donc passée l’intrépide cheftaine? Endurcissant son cœur, elle accéléra le pas.
Il y avait quelqu’un dans les écuries. Non pas que cela était surprenant, il y avait naturellement des palefreniers pour s’occuper des bêtes, mais à cette heure, ordinairement on ne rencontrait que ce vieux chafouin d’Ingo et ses yeux pervers qui vous déshabillaient constamment, occupé à ronfler dans un tas de foin pour décuver. Or, là, la personne sifflotait un air gai, en étrillant un bel hongre à la robe lustrée. Il tournait le dos à Feena, assis nonchalamment sur un tabouret simple, les manches de sa chemise relevées, mais ses cheveux longs d’un bleu abysséen l’identifièrent comme ser Mikau, le dernier arrivant à la Cour.
-Madame est bien matinale, fit-il remarquer sans même se retourner.
-Je pourrais dire la même chose de monsieur, répondit-elle avec un peu plus de hargne qu’elle ne le voulait.
Le chevalier arrêta son ouvrage et se tourna vers elle, visiblement navré.
-Mes excuses, dame, si je vous ai offensée. Ce n’était pas là mon intention.
Il y avait quelque chose de particulier chez cet homme, quelque chose de surnaturel qu’on ne parvenait pas à s’expliquer. Peut-être était-ce ses prunelles, qui paraissaient trop azurées, ou son visage jeune mais dans les traits beaux et marqués renvoyaient une sagesse appartenant à un homme bien plus âgé. Il émanait de lui une grande confiance en soi, mais non pas arrogante, comme celle de Link, simplement naturelle. Feena ne le connaissait pas encore vraiment, mais il lui inspirait une confiance étrange, probablement car il était le seul qui, au premier regard qu’il avait posé sur elle, ne l’avait pas considérée comme une barbare décérébrée mais comme une femme. A ce niveau là, par ailleurs, ses yeux ne cillaient jamais et regardaient toujours leur interlocuteur en face, sans se détourner ou caresser la physionomie de son correspondant du regard. Un trait qu’elle appréciait.
-Ce n’est rien, c’est de ma faute. Je suis un peu contrariée ce matin.
-Je peux peut-être vous être utile?, proposa-t-il.
-Non, je ne crois pas. Où vous rendez-vous?
-Une affaire m’appelle au Poisson-Rêve, une taverne de bonne réputation. Je comptais, après cela, me rendre à l’extérieur de la ville, pour aviser de l’avancée des travaux, pour le tournoi.
-Vous comptez-donc y participer?
-Bien sûr! Je ne manquerais pour rien au monde une occasion de faire ravaler sa fierté à ser Allister, ou de prouver à Lord Dorf que malgré toutes ses prétentions il n’est pas de taille face à un honnête Zora, expliqua-t-il avec un sourire franc.
-Vous ne vous entendez pas avec ser Allister?
-Hélas, c’est bien tout le contraire. Voyez-vous, nous sommes un peu comme des frères, lui et moi. Nous avons eu la même nourrice, nous avons appris à monter à cheval et à nous battre ensemble, et, même si cela peut-être difficile à imaginer, maintenant qu’il est aussi bien élevé, nous avons fait les quatre-cents coups ensemble, aux dépends de nos parents, je crains.
Ser Mikau, tout en parlant, lâcha la brosse et remonta ses manches. Ensuite, il se drapa dans une cape de fourrure, frappée de l’emblème de sa maison, et passa son épée au côté.
-Si vous me permettez la question, dame, où allez-vous? Peut-être pourrions-nous chevaucher un moment de concert.
-Et bien, pour tout vous dire, j’avais la ferme intention de m’enivrer au-delà du raisonnable, et peut-être prendre part à quelques rixes dans un bar.
Loin de choquer le chevalier, ces paroles le firent rire.
-De biens nobles aspirations, j’en conviens. Je vous aurais en temps normaux accompagnée dans vos aventures mais hélas les affaires qui me pressent m’obligent à rester à peu près sobre pour les résoudre. Accompagnez-moi au Poisson-Rêve, c’est une très bonne taverne, et même si Marine ne tolère pas vraiment les bagarres, vous aurez peut-être une occasion.
-Cela me paraît équitable, répondit Feena après avoir fait mine de réfléchir.
Ils s’engagèrent côte à côte sur le chemin cavalier. Ser Mikau se révéla être un compagnon agréable, jamais à court de conversation, décelant intelligemment et rapidement les sujets qu’il fallait éviter, et ceux qui la mettaient à l’aise. Son air grave et solennel cachait une personnalité joviale mais pondérée, qui s’autorisa, à l’occasion, une boutade ou deux.
Le Poisson-Rêve était une bâtisse assez imposante, sise à un coin du carrefour le plus populeux de la Cité. L’enseigne représentait un curieux poisson gigantesque à la physionomie aussi étrange qu’onirique. L’intérieur, vaste, était plus ou moins désert en ce début de matinée. Une splendide jeune femme à la mine soucieuse frottait distraitement le comptoir avec un chiffon. Lorsqu’elle aperçut ser Mikau, son visage perdit sa gravité au profit du sourire chaleureux de la commerçante.
-Ser chevalier! C’est toujours un plaisir de vous accueillir dans notre humble établissement. Que puis-je vous offrir?
Le jeune Zora s’approcha du bar et se pencha un peu en avant.
-Je suis envoyé par les « amis de sa Majesté », pour m’occuper de votre… « affaire ».
La tenancière redevint sérieuse, et un pli soucieux barra son front.
-Je vois. Et elle?, demanda-t-elle en indiquant Feena de la tête.
-Madame souhaitait consommer, mais je suis certain qu’elle trouvera plus d’attrait à votre affaire.
-On peut lui faire confiance?
-J’en suis certain.
-Alors venez.
La jeune femme lâcha son chiffon et fit le tour du comptoir pour s’engager dans l’escalier. Feena suivit ser Mikau à sa suite, intriguée. Elle n’était pas sûre de comprendre ce qui était en train de se passer, mais cela avait eveillé sa curiosité, surtout le ton de conspirateur qu’employait le chevalier et l’expression soucieuse de la rousse.
Celle-ci les fit entrer dans l’une des chambres de l’étage, où un homme âgé, chauve et assez corpulent, consultait un étrange grimoire qu’il referma à leur arrivée. Soudain, Feena se raidit lorsqu’elle sentit le corps de Marine se plaquer contre elle, et le baiser froid d’une lame d’acier effleurer sa gorge. Feena constata avec étonnement que la prise était solide et efficace, comme si la rousse avait l’habitude de ce genre de situation, ou reçu un entrainement spécial. Bien que le moment ne s’y prêtait pas, la guerrière ne peut s’empêcher de ressentir avec une trop grande acuité la poitrine douce et généreuse de la tenancière, compressée contre son dos., et de sentir son parfum de muguet.
-Il va falloir faire la preuve de vos allégeances, susurra-t-elle, si vous ne voulez pas que votre amie y laisse la vie.
-Allons, allons, il n’est pas nécessaire d’en arriver là, répondit ser Mikau d’un ton conciliant.
Sans geste brusque, il déboutonna le bas de sa chemise et en souleva un pan, révélant sur sa peau couturée de cicatrices un tatouage étrange, de facture très récente, représentant un œil rouge pleurant une larme, et surmonté de trois triangles alignés. Aussitôt, la prise de Marine se relâcha, et elle libéra Feena, non sans, au plus grand trouble de la guerrière, avoir fait traîner ses mains sur son corps.
-Mes excuses, madame, fit la rousse en se reculant avec un sourire gêné. Mais je devais être sûre.
-Ce n’est rien, lui assura Mikau. Vous avez eu parfaitement raison. La situation est trop grave pour laisser la moindre chose au hasard.
Il se tourna vers le chauve, qui n’avait pas bougé depuis le début de la scène.
-Messire Pérault… Ou devrais-je dire Maître Kaepora?
-Je ne suis plus Maître, chevalier, rétorqua le fameux Kaepora. Et vous comprendrez aisément les raisons qui me poussèrent à voiler ma véritable identité.
-Certes. Mademoiselle, Maître, laissez moi vous présenter dame Feena Hurlebtataille du clan de Logre. Madame, voici Marine, la gérante de ce charment établissement, et accessoirement Maître-Espionne du Sheikah. Et voici Maître Kaepora, anciennement du Consortium Aedeptus.
-C’est un plaisir de vous rencontrer enfin, s’exclama Marine en lui prenant les mains à la manière d’une amie proche, j’ai tellement entendu parler de vous, madame!
Un peu perdue, Feena ne parvint qu’à lui rétorquer un sourire incertain.
-Je… Pareillement.
Marine avait la peau douce, mais ses mains aux doigts fins et graciles étaient trop calleux pour une simple gérante de taverne. C’était le genre de calles que gagnaient les guerriers à force de manier les armes… Leurs regards se croisèrent un vague instant, et un frisson s’empara de Feena lorsqu’elle scruta ces deux grands yeux émeraudes aux cils longs et élégants, deux gemmes scintillantes qui sous leur brillant avenant cachaient des éclats plus durs, plus tranchants. Un regard aussi attirant qu’effrayant. Un regard qui parlait d’histoires de sang.
Ser Mikau se racla la gorge pour attirer leur attention.
-L’affaire est pressante, je crains. Il ne faut point perdre de temps. Maître, si vous voulez bien nous raconter…
Le chevalier s’installa sur la chaise qui jouxtait le mage. Feena resta debout près de la porte, que Marine referma avant de s’y adosser.
-Il n’y a pas grand-chose à en dire, soupira le vieil homme en croisant les bras. Votre ami a amené un mal terrible dans cette Cité, un mal qui pourrait causer notre perte à tous s’il venait à tomber entre les mauvaises mains.
-Comment cela?
-Il possédait un masque étrange, que vous avez peut-être eu l’occasion d’apercevoir? (Ser Mikau dénia de la tête.) Ce masque, comme vous devez vous en douter, est plus qu’un simple masque. Il renferme l’âme d’un ancien sorcier mort il y a plusieurs siècles, à l’époque des conquêtes hyliennes. L’esprit du mage y vit toujours, et il exerce sur le possesseur du masque une influence maléfique, qui le pousse à terme à lui offrir son corps. Je crains, hélas, que c’est ce qu’il risque d’arriver à votre ami, si ce n’est pas déjà fait. La dernière fois que je l’ai vu, il était déjà presque totalement sous l’emprise de Majora.
-Je vois, hocha le chevalier avec un air grave. Que préconisez-vous?
-S’il n’en tenait qu’à moi, chevalier, répondit le chauve avec un air grave, je ferais évacuer la Cité au plus vite, et j’enverrai un contingent de mages épaulé par quelques centaines de fantassin pour expurger la vermine démoniaque qui ronge le Consortium.
-Je comprends votre point de vue. Mais je crains que l’une comme l’autre de ces solutions ne soit pas envisageable, avec l’approche du Tournoi, et la santé défaillante de sa Majesté.
-Que voulez-vous dire?, intervint Marine tout à coup.
-Sa Majesté, répondit ser Mikau en se tournant vers elle, a subi des cauchemars éprouvants la nuit dernière, le laissant fébrile et en besoin de repos. Cela dit, Maître Baelon affirme que ce n’est là rien que de très passager, et que Sa Majesté sera bientôt sur pieds. Bien!
Le chevalier se releva et épousseta machinalement son pantalon.
-Nous allons prendre congé. Je dois en référer à « notre ami commun ».
-J’espère qu’il saura prendre les bonnes décision, grommela Kaepora, sinon nous courrons tout droit à la catastrophe.
En manque de verbe, ser Mikau lui rétorqua un pâle sourire avant de sortir de la chambre, suivi par Feena et Marine. Ils croisèrent dans le couloir une adorable jeune fille, pâle comme la mort et les yeux dans le vague, qui erraient sans but apparent. Marine s’agenouilla devant elle et lui prit les épaules.
-Allons, Médolie. Retourne te coucher, il est encore tôt.
-Je veux voir Maître Kaepora, fit la fillette avec une voix à peine audible.
Marine se mordilla la lève inférieure avec une mine soucieuse, tout en passant une main dans la chevelure de l’enfant.
-D’accord, mais ne l’importune pas, d’accord? Chevalier, je crois que vous connaissez le chemin de la sortie.
-Certes, madame. Nous n’allons pas vous importuner d’avantage.
Feena fit mine d’emboîter le pas au jeune homme, quand la tenancière la retint par le bras.
-N’hésitez pas à repasser, disons ce soir. Je vous offrirai un verre, lui murmura la jolie aubergiste avec des yeux brillants.
-Il se déroule des choses qui me dépassent, attaqua-t-elle tout de go lorsqu’ils furent dans la rue.
-Alors nous sommes deux.
Les prunelles trop azurées du Zora la détaillèrent attentivement.
-La Cité, et probablement le Royaume tout entier, est au bord du gouffre, même si je vous accorde qu’il n’en paraît rien. Il se passe des choses dans l’ombre dont ni vous ni moi n’avons l’idée. Des choses effroyables, qui pourraient prendre les noms de démons, sorciers et tout autre chose d’impie.
-Vous croyez vraiment en la magie?, questionna-t-elle. Vous croyez ce que le vieux chauve nous a raconté?
-J’ai vu bien des choses dans ma vie pour encore prétendre être imbécile, rétorqua-t-il. J’ai vu un homme survivre à une immersion prolongée dans une eau qu’un seul degré séparait de l’état de glace, j’ai vu un homme sortir une épée piégée dans la pierre depuis plusieurs siècles, une épée dont j’ai moi-même plusieurs fois éprouvé la résistance, et j’ai vu des flammes danser sur la lame de cette arme. Et puis…
Ser Mikau marqua une pause, se remémorant un fâcheux souvenir.
-Et puis?
-La nuit dernière. J’ai moi aussi été en proie à de bien sombres songes. Des songes à propos d’événements que je pensais avoir oubliés et digérés, et qui soudainement ressurgissent, coïncidant étrangement avec la disparition d’une soi-disant entité magique maléfique, ainsi qu’avec la condition difficile du roi. Ceci en un laps de temps bien trop court pour n’être que de simples coïncidences. Alors oui, je porte quelque foi en ces racontars. Et quand bien même, portez le regard vers l’Est, et vous saurez qu’il se passe quelque chose de blasphématoire.
La guerrière s’exécuta. Un morceau de brume matinale s’obstinait à s’accrocher aux hauts murs du Consortium Aedeptus, qui ressortait à l’horizon comme la silhouette déchiquetée d’un sombre géant inerte prêt à écraser la ville. Elle ne put réprimer un frisson.
-Qu’allez vous faire?
-Rien! Il n’y a rien à faire. Par les Trois! Nous sommes coincés par ce maudit Tournoi. Enfin quoi, regardez! Il y a de la populace sous tous les porches. Presque tout le royaume est massé dans cette foutue cité, et l’ennemi s’apprête à nous attaquer dans le dos, à l’intérieur même de nos enceintes!
Le chevalier passa une main sur son visage, et retrouva presque instantanément son calme.
-Pardonnez moi. Allons, ne restons pas ici.
Ils enfourchèrent leur monture respective, et prirent la direction du sud, en direction du lieu du tournoi. Cependant, ils n’allèrent pas bien loin, puisqu’une estafette à cheval les rattrapa, en nage, quelques mètres plus loin.
-Ser chevalier, Son Altesse le prince Link vous mande sur le champs, ainsi qu’à tous ses chevaliers et vassaux, afin de l’assister dans la justice qu’il s’apprête à répandre, au nom du roi son père, au cours des doléances du matin.
-Qu’est-ce que cela?, s’irrita l’intéressé en claquant la langue. Je pensais les doléances suspendues jusqu’au rétablissement de Sa Majesté?
-Sa Majesté, dans sa sagesse, a insisté pour que sa maladie n’entrave en rien la justice du royaume, et a demandé nommément à son nouveau fils de s’en charger. Votre présence est requise aussi, madame.
Le messager se tapa du poing sur le torse et tourna bride pour remonter vers le château au galop.
-Quelle impudence!, fulmina le chevalier. Se vois-t-il déjà sur le trône?
-Il s’y voyait déjà au berceau, ironisa Feena avec un sourire amer.
- « Ses » chevaliers? Je ne me souviens pas lui avoir prêter une quelconque allégeance! Mais soit! Inutile de provoquer des conflits vains. Passons outre.
-Vous n’avez pas l’air de porter votre futur roi dans votre cœur, remarqua la guerrière alors qu’ils faisaient prendre à leurs montures le chemin de la citadelle.
-Tout comme vous.
-Il est déjà mon roi depuis cinq ans.
-J’oubliais, pardonnez moi. Et bien pour parler vrai, je ne vois en lui qu’un sot bouffi d’orgueil et d’arrogance. Je ne nie pas son charisme et son habileté, mais il n’a rien d’un roi. Quel sort a-t-il donc bien pu jeté pour mystifier ainsi notre bon Salomon?
-S’il n’y avait que le roi… Il a toute la noblesse dans la poche.
-Pas toute, rectifia le Zora, sans plus de précision. Hâtons le pas, je ne souhaite pas m’attirer son ire en me présentant en retard.
Lorsqu’ils pénétrèrent de concert dans la salle du trône, Lord Link siégeait sur ce dernier comme ci c’eût été là la chose la plus naturelle qu’il fût. Les poings de ser Mikau se crispèrent sur la poignée de son épée, mais il parvint à se maîtriser. Tout le monde était là, les Lord du Conseil des Sages, les chevaliers de haute naissance, les chevaliers de moins haute naissance, la Princesse Zelda et son frère, Tarquin le Qu’Un-Oeil, les conseillers du roi et des Lords ainsi qu’une foule de courtisans et courtisanes, plus la petite troupe de roturiers qui patientait en attendant leur tour. Lord Link tenait dans la main droite le sceptre en or de la fonction royale, et la Lame Purificatrice reposait en travers de ses genoux. Il portait une mince tiare d’or et d’argent, faisant ressortir la coupe simple de sa riche tunique vert forêt. Son regard scrutait tour à tour chacune des personnes présentes, et un rictus méprisant lui tordit la bouche lorsqu’il aperçut ser Mikau, mais l’oublia aussitôt.
Ce dernier et Feena prirent place parmi leurs pairs, dans l’indifférence générale. Tout le monde n’avait d’yeux que pour le sacrilège princier, mais personne n’osait s’élever en protestation. Il n’y avait bien que la Princesse pour fixer son époux d’un regard tellement amouraché que cela en était écœurant.
-Faites avancer le premier, tonna Lord Link au bout d’un certain moment.
Un garde s’approcha, traînant un jeune garçon, les mains menottées, par le bras. Il l’obligea à s’agenouiller devant le trône. Une matrone corpulente les suivait. La femme lissa nerveusement ses jupes, intimidée d’être en si illustre compagnie. Elle s’humidifia les lèvres avant de commencer d’une voix hésitante :
-Loin de moi l’idée d’importuner Votre Altesse, mais ce jeune malandrin ne cesse de causer du tracas à notre honorable établissement, et ce malgré toutes nos tentatives courtoises. C’est pourquoi nous pensions qu’une… admonestation de Votre Altesse pourrait le dissuader de continuer son commerce
La matrone se recula d‘un pas, se tordant les mains. La salle était silencieuse, tous attendant le verdict de Lord Link qui scrutait le jeune voleur avec une mine indéchiffrable.
-Quel est ton nom?, finit-il par demander d’une voix calme.
Le gamin releva nerveusement les yeux, sans oser dévisager le prince.
-Daryl, Votre Altesse.
-Daryl. Dit-elle la vérité? Et n’essaie pas de me mentir.
-Oui, Votre Altesse.
-Je vois. Ser Sanks, approchez je vous prie.
Le chevalier mutilé se détacha de la masse regroupée et gravit les quelques courts degrés de pierre pour s’agenouillez devant Lord Link.
-Mon Prince?
Le Héros saisit son épée, et posa la Lame Purificatrice sur le sommet du crâne du Chien, sous les regards intrigués de l’assemblée.
-Ser Sanks, pour vos bons et loyaux services envers la Couronne, et par les pouvoirs dont je suis investis ce jour par la grâce du roi mon père et la sagesse des Déesses, je vous nomme exécuteurs des hautes-œuvres d’Hyrule.
-C’est un honneur, mon Prince, déclara aussitôt l’intéressé d’une voix monocorde.
-Qu’est-ce que ceci?!, s’indigna Lord Darunia en se levant. De quel droit osez vous spolier ainsi Lord Hegelse de la fonction qu’il occupe depuis des décennies? Et à quel dessein?
Le Prince posa sur lui son regard abysséen embrasé d’une froide colère. Un méchant rictus lui déforma la bouche.
-Lord Hegelse est tellement vieux qu’il confond son épée et son braquemard ! Oseriez-vous, lord Darunia, contester une décision de la Couronne que vous avez juré de servir?
Décomposé, le Dodongo se rassit sans plus rien dire.
-Loin de moi cette idée, Mon Prince.
-Alors taisez-vous. Honorable matrone, reprit Link en se tournant vers la susnommée, j’ai entendu vos doléance et j’ai décidé de régler votre problème d’une manière satisfaisante et durable.
-Votre Altesse est trop bonne, s’inclina la femme avec un sourire nerveux.
-Ser Sanks. Je condamne à mort ce criminel pour sévices répétés à l’encontre d’une honorable citoyenne. Soldat! Veillez à ce qu’il ne s’échappe pas pendant que ser Sanks opère.
Des protestations véhémentes explosèrent dans la salle tandis que le bourreau se relevait. Feena observait le Chien, mais fidèle à lui-même il affichait une expression imperméable. Un seul regard de Lord Link suffit à ramener un calme relatif. A côté de son époux, Zelda jubilait. Sans théâtralité, Locke Sanks dégaina son épée dans un bruit de ferraille désagréable. Le condamné vrillait un regard de bête acculée sur la longue lame. La matrone s’était figée, bouche bée, et le soldat, un peu trop zélé, maintenait le garçon d’une main de fer.
Sanks fit mine de descendre les marches lorsque le Prince le rappela.
-Attendez, ser. Je ne puis décemment pas vous laissez exécuter la justice royale avec un aussi vilain objet. Tenez, usez de ceci.
Un murmure outré parcourut l’assistance lorsque le Héros tendit son sceptre au bourreau, mais personne n‘osa protester. S’en saisissant sans rien montrer de ses émotions, ser Sanks s’approcha du supplicié.
-Pitié, implora ce dernier, les larmes aux yeux.
-Je… Mon Prince, je… tenta d’intervenir la matrone mais elle ne pouvait détacher son regard de ser Sanks qui approchait, inexorable.
Au premier coup, le sang gicla en accompagnant le craquement sonore et les hurlements de douleur. Au deuxième coup les cris cessèrent mais point les soubresauts. Au troisième, le crâne explosa en partie, répandant une bouillie noire et rougeâtre, laissant la salle plongée dans un silence de cathédrale.
-Vous avez réclamé la justice, proclama Link d’une voix tranquille, à la matrone en état de choc. Et je vous l’ai donnée. Une justice nette et précise. Faites avancer le suivant!
L’horreur muette et stupéfaite laissa rapidement place à une crainte diffuse, tandis que deux gardes emmenaient le corps et qu’un troisième ramenait la femme, pâle et tremblante. Ser Allister se leva et quitta les lieux d’un pas furieux ; personne ne le rappela tandis qu’à côté de Feena, ser Mikau serrait les poings sur ses cuisses. Il n’y avait bien que Zelda pour apprécier le spectacle, sans se soucier de son frère au bord des larmes.
Etrangement, les cas suivants furent presque résolus avant même d’être exposés. Il y avait une tension palpable cristallisée par les murmures indignés et assourdis. Ser Sanks resta tout ce temps là debout au bas des marches, tenant d’une main statique le sceptre souillé.
Feena était plongée dans ses réflexions lorsque ser Mikau l’en tira d’un juron.
-Comment ose-t-il, ce pendard?
La guerrière releva la tête. Le Premier Conseiller Aghanim était apparu derrière le trône, certainement par une porte dérobée. La plupart des spectateurs ne l’avait pas remarqué, trop occupés à rassembler leurs effets pour partir au plus vite, mais il en allait autrement pour le vieux Tarquin, qui reculait discrètement vers les ombres d’une colonne.
Le grand mage se pencha en avant, son visage caché par le masque de tissu qu’il portait, et murmura quelque chose à l’oreille du Prince tout en lui tendant un parchemin. Ce dernier hocha la tête, et un sourire matois vint élargir ses lèvres au fur et à mesure de sa lecture. Il se leva et frappa le sol de la pointe de son épée, produisant un étrange son cristallin qui attira l’attention sur lui.
-Avant de lever cette séance, il nous reste une dernière affaire à régler. Tarquin! Où êtes-vous?
-Ici, Votre Altesse, répondit à contrecœur le vieillard en retournant vers la lumière.
-Bien. Gardes! Emparez vous de cet homme et placez le en cellule..
-Mon Prince?, s’offusqua le vieil homme en se débattant tandis que deux soldats s’emparaient de lui.
-J’ai ici une lettre signée de la main de notre bon roi et cachetée de son sceau personnel. Vous êtes accusé de complot, de meurtre, et de trahison envers la Couronne. Vous serez assigné au donjon jusqu’à ce que votre sentence soit prononcée.
[align=center]***[/align]
-Nous vivons une époque bien étrange.
Feena leva les yeux de la choppe de bière dans laquelle elle noyait sa morosité depuis plusieurs heures. Marine lui adressa un sourire sans cesser de récurer son comptoir. Depuis la fin de l’après-midi, une pluie faible mais glaçante tombait sur la Cité sans discontinuer. Une dizaine de personnes avait trouvé refuge au Poisson-Rêve, auprès de son feu et de sa bonne chère.
-A qui le dites-vous…
-C’est vrai qu’ils ont arrêté le Qu’Un-Œil?
-Faut croire.
Feena laissa une seconde s’écouler avant de demander d’une voix égale.
-Qui va vous commander maintenant?
La tenancière cessa son ouvrage et scruta le visage de la guerrière.
-Comment?
-Je suis moins stupide que je n’en ai l’air.
-Je veux bien le croire.
-Donc?
Marine releva la tête et jeta un coup d’œil à la salle commune.
-Venez avec moi.
Feena finit sa choppe d’un trait, et suivit la jeune femme derrière le comptoir jusqu’à une porte attenante au cellier. Marine lui fit signe d’entrer. La pièce était relativement spacieuse, un lit de belles dimensions occupant la majorité de l’espace, avec une armoire et une coiffeuse. Feena fit un pas, lorsqu’un coup violent vint ébranler le bas de son dos, lui coupant le souffle et la projetant en avant sur le lit. A moitié sonnée par la rudesse de l’impact, elle se retourna en cherchant d’une main la poignée de sa dague, à sa ceinture. Mais elle n’eut pas le temps de la tirer que Marine était sur elle, la chevauchant et plaquant son bras contre le lit. Elle menaçait la jugulaire de la guerrière avec la pointe effilée d’un stylet. Feena s’immobilisa instantanément.
-Mikau n’aurait pas du vous amener. Vous en savez maintenant bien trop. Bien trop pour votre propre bien.
Feena distinguait à peine le visage de Marine dans la pièce plongée dans la pénombre, mais elle sentait son regard incisif. La pointe du stylet glissa lentement, telle une caresse d’acier froid, le long de son cou, de son torse, pour s’arrêter juste au dessus de son cœur.
-Vous allez me tuer?, demanda la guerrière dans un souffle.
-Donnez moi une bonne raison de ne pas le faire.
Le mouvement de bassin de Feena fut tellement rapide qu’il déséquilibra Marine. S’ensuivit un corps-à-corps furieux et étouffé, où chacune des deux essayait de monter sur l’autre pour dominer. Le stylet changea plusieurs fois de main, et elles ne tardèrent guère à tremper les draps avec le sang suintant des nombreuses entailles qu’elles s’infligèrent. Dans un ultime mouvement de lutte, l’arme chut au sol et Marine, qui chevauchait tant bien que mal son adversaire se mit en tête de l’étrangler, tout en essayant d’entraver ses mouvements. Feena commençait à sentir l’air se raréfier dans ses poumons, des points lumineux dansaient devant ses yeux vitreux. Sa résistance se fit de plus en plus faible, les battements de son cœur ralentissaient à chaque seconde interminable qui s’écoulait…
Mais dans un dernier élan de survie, elle parvint à décocher un formidable coup de genou dans l’abdomen de Marine qui lâcha prise en s’effondrant sur elle dans une expiration douloureuse. Elles restèrent ainsi un long moment, enlacées, sanglantes, haletantes. Une foule de pensées et de sensations traversait l’esprit de Feena, comme la conscience aiguë du corps de Marine contre le sien, son odeur de fleur mêlée à celui plus métallique du sang, sa tête posée entre ses seins…
Leurs lèvres se rencontrèrent avec la violence de deux amants séparés depuis des lustres se retrouvant enfin. Leurs mains parcourraient le corps de l’autre avec avidité, palpant, découvrant chacune des courbes, glissant sur le sang qui maculait la peau nue, se mélangeant à une sueur aigre mais excitante. Elles s’étreignirent jusqu’à ce que leurs corps douloureux ne fissent plus qu’un, enchevêtrement doux et satiné de membres délicatement dessinés. Elles s’abandonnèrent chacune aux caresses de l’autre, s’offrant avec toute la rudesse dont-elles étaient capables, transformant leurs étreintes en un jeu de force et de domination. Une vague de sensations nouvelles et puissantes agitait Feena tandis que son amante lui faisait découvrir des plaisirs insoupçonnés. L’image de Malon apparut un instant dans son esprit, mais elle l’occulta très vite avant d’empoigner Marine par les cheveux pour la plaquer contre le lit et lui lécher le creux du dos.
Leur passion perdura bien longtemps après que le sang eut séché sur les draps, et l’aube les trouva nues, épuisées, échevelées, couvertes de coupures et enlacées dans un sommeil paisible.
silver:
Et bien, la fin est proche mais c'est toujours un plaisir de lire tes chapitres même si j'aimerais que ça continue à moins que tu ais prévu d'en faire une suite sous un autre nom. J'espère voir bientôt ce que tu as pu concocté d'autre que cette fiction ci. Bravo, et chapeau pour l'aspect trahison à la fin. J'attendrais patiemment la suite.
sakuranbo:
Nooooon!!! Comment ça la fin est proche??? J'aime trop cette fiction, et même si je veux en connaître la fin, je veux pouvoir lire ton histoire encore et encore :niais: J'ai adoré ce chapitre, comme toujours. Ton style m'épate toujours autant, c'est un véritable plaisir de te lire!
Le passage avec Link est terrifiant, j'en ai eu des frissons tellement c'est décrit parfaitement, vraiment! Quel sadique ce "héros"...
Vivement la suiiiite :niais:
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