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La Tour du Rouge : [Random | Très court] Sans titre #1
Great Magician Samyël:
Silver ==> Je suis content que la conclusion de Monarque t'ait plu! J'espère que la suite de ses aventures ainsi que les destins de ses autres compagnons continueront à te plaire, lorsque je les posterai une fois le Triangle achevé! Merci pour ton commentaire en tous les cas! :)
Saku ==> Et bien, je pense avoir pallié au problème de la longueur pour le chapitre suivant :niak: En espérant que cela te convienne ainsi :siffle: Il y a de grandes chances que Taya refasse surface à un moment ou un autre : ce n'est pas mon genre d'introduire un personnage qu'on ne verra qu'une fois :^p En espérant que ce long chapitre te plaise...
Sur ce, voici le chapitre XV de Triangle de Pouvoir. Un chapitre fort long, que j'ai longtemps hésité à découper en deux parties, pour finalement le poster tout entier, là, d'un coup, hop! Dites moi si un tel chapitre est trop long, afin que je segmente en cas de récidive ;p
Bonne lecture, et à la prochaine!
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XV
-Kaepora-[/align]
Kaepora s’éveilla doucement, au terme d’un long cauchemar. On avait tiré les rideaux à l’unique fenêtre de la pièce si bien que la lumière tamisée ne l’agressa pas. Il ne connaissait pas l’endroit. Au lieu du calme et de la quiétude de sa chambre du Consortium, on percevait à travers le plancher bien entretenu des rires, des cris, un peu de musique. Le mobilier se résumait au lit sur lequel il était allongé, à une petite table décorée d’un pot fleuri, et à un tabouret en bois sur lequel était assis Madura.
-Vieil ami… commença l’ancien maître avec une voix pâteuse.
-Rallonge toi, ne force pas. Tu es resté inconscient très longtemps.
-Inconscient? Répéta Kaepora en s’exécutant. Mais pourquoi?… Tout est si flou dans ma tête, je ne me souviens de rien.
-C’est peut-être mieux ainsi.
-Raconte moi. Où sommes-nous?
-Dans une chambre du Poisson-Rêve.
-L’auberge de Marine… Je crois que cela me revient. Je voulais te demander de l’aide pour une traduction, et je crois que je me suis égaré. Il y a eu cet étrange phénomène, et puis la voix…
Le vieux mage s’arrêta, pensif. Il revoyait la scène, et cela réveilla la peur en lui.
-C’est toi qui m’a sauvé, Madura?
-Non, répliqua l’autre. Pas moi. C’est l’Ombre.
-L’Ombre?
-Oui.
Madura avait toujours été ainsi. S’il jugeait qu’une information se suffisait à elle-même, il ne développait jamais. Le Prophète était grand et sec, dégingandé, la barbe hirsute et les cheveux gris tellement longs qu’il marchait presque dessus. Ses yeux creux et enfoncés étaient plus noirs que le charbon et renvoyaient un regard fou et grave. Sa bouche fine et pincée semblait hermétique, sa peau presque translucide semblable à du fragile parchemin.
-Je suis surpris de te trouver ici, vieil ami.
-Il le fallait. Il fallait que je sois le premier à te trouver, à ton réveil.
-Pourquoi cela?
-J’ai Vu.
Kaepora fronça les sourcils. Madura avait renoncé à son don de prophète des décennies auparavant.
-Quoi donc?
-Hyrule est en péril. Je l’ai vu baignant sous les flammes. Je l’ai vu croulant sous une mer de sang et de cadavres. L’Esprit qui Sait a réveillé l’Innommable et l’Ombre qui Voit et qui Pleure ne peut lutter contre. Les Trois qui furent Choisis ne pourront faire front car ils sont divisés. Le Démon aux Milles Visages approchent et le destin de ce monde pourrait dépendre du choix de Celui qui le Porte.
Madura se tut un instant.
-Il y a tant d’autres choses que j’ai Vu, mais moi-même je ne les comprends pas. Cela n’a plus d’importance, ma tâche est accomplie.
Le Prophète tenait sur ses genoux un épais volume relié de cuir rouge. Il le posa à côté de Kaepora.
-Voici ma contribution à la sauvegarde d’Hyrule. Je te le remets, mon ami, et tu devras en prendre grand soin. Libre à toi de le consulter mais il est primordial que son existence soit tenue secrète, et ce pour plusieurs générations.
-Je comprends, acquiesça gravement Kaepora, bouleversé parce qu’il venait d’entendre.
-Je pars à présent.
-Tu retournes au Consortium?
-Non. Je quitte cette ville, je quitte ce royaume. J’ai Vu que mes pas me porteront en Termina. Là-bas est mon destin, là-bas irai-je.
-Je vois… Adieu dans ce cas, vieil ami. Puisse ta route être sûre.
-Je ne te retourne pas cette formule, car je sais que la tienne sera parsemée d’embûches.
Sans autre forme d’adieux, Madura se leva et quitta la chambre. Ce troublant entretient laissa Kaepora dans une certaine apathie. Il décida de se lever pour se changer un peu les idées. Il était faible, mais il parvint à rester debout et à marcher jusqu’à la fenêtre. Il constata qu’on l’avait dépouillé de sa robe de mage pour lui enfiler une tunique ample et des braies striées de blanc et de noir retenues par une ceinture robuste. Cela lui fit un drôle d’effet, car il avait porté la toge de sa fonction plusieurs décennies d’affilées. Se retrouver ainsi accoutré comme le commun marquait assez son départ sans retour du Consortium, et cela l’ébranla plus qu’il ne l’aurait cru.
Tirant le rideau, il jeta un œil dans la grande rue en contrebas. Midi devait être passé depuis peu, à voir la position du soleil dans le ciel. La ville était en effervescence : des dizaines d’ouvriers charriaient sur leurs épaules de longues planches de bois ; on acheminait par chariots entiers des tréteaux et des tentes, des piquets et des cibles d’archeries, des caisses de fers à cheval, des lots d’épées, d’écus, de mailles et de plates, des lances de tournoi, des auvents en tissu chamarré… Des enfants couraient partout en jouant avec des lames en bois, les fourneaux semblaient tourner à plein régime à en juger par les nombreuses fumées blanches qui s’envolaient vers les nuées. La soldatesque surveillait l’activité avec attention, et Kaepora nota le brassard noir que les gardes portaient.
Quelqu’un frappa à la porte.
-Entrez! Cria Kaepora en retournant s’assoir sur le lit.
La jeune Médolie entra timidement. Kaepora mit un certain moment à la reconnaître, tant elle avait changé depuis leur dernière rencontre. Elle avait coupé sa longue chevelure châtaine dans des proportions drastiques qui lui donnaient un air de garçon manqué, et elle aussi avait troqué ses robes, pour un tablier aux manches retroussées jusqu’aux coudes et une jupe simple. La forme de son nez et la tendance de ses jours à rougir facilement n’avaient pas changé, cependant.
-Médolie, mon enfant! Je suis heureux de te revoir.
-Ho, maître Kaepora! J’étais si inquiète!
Elle se précipita vers lui et enserra son vaste ventre avec ses petits bras menus. Embarrassé, le vieux mage constata qu’elle pleurait.
-Allons, allons… Que sont-ce ces larmes? Demanda-t-il avec sa voix la plus gentille tout en lui tapotant tendrement le sommet du crâne.
-On croyait que vous ne vous réveilleriez jamais! Cela fait si longtemps que vous n’avez pas ouvert les yeux!
-Si longtemps que cela?
-Plus de deux mois, maître!
-Deux mois… répéta Kaepora avec une mine éberlué.
Comment avait-il pu rester inerte pendant autant de temps?
-Et puis il s’est passé tellement de choses!
Médolie se recula un peu en séchant ses larmes.
-Raconte moi. Et commence par le début, cela sera plus simple.
-Quand on est rentré après la fête d’arrivée de Lord Link, on vous a cherché avec Scaff mais vous n’étiez nulle part et aucun des maîtres ne semblait savoir où vous étiez. On a pensé que vous étiez parti du Consortium, sans même nous dire au revoir, comme vous nous disiez souvent que vous alliez le faire, mais le lendemain maître Vaati est venu me voir et il m’a demandé de le suivre, parce qu’il avait une mission très importante à me confier. Je lui ai demandé où est-ce qu’il voulait m’emmener et il m’a répondu que nous devions quitter le collegium, que c’était très important. Je lui ai dit que je ne pouvais pas partir sans Scaff, parce que sinon il se retrouvait tout seul, alors il m’a enjointe d’aller le chercher et qu’il nous accompagnerait.
Kaepora écoutait attentivement. Il se rappelait avoir suivi Vaati vers une salle secrète, le jour de son… accident. Nul doute que le maître était impliqué dans toute cette sombre affaire.
-Maître Vaati nous a ensuite fait sortir par une porte dérobée, à l’arrière du Consortium, et nous a mené jusqu’ici, au Poisson-Rêve. Il nous a fait monter dans cette chambre et c’est là qu’on vous a vu, tout pâle, tout tremblant, inconscient. C’était très effrayant!
-Je suis désolé que tu ais du subir cela, mon enfant.
-Ho, moi ça va, mais Scaff a mis un peu de temps à s’en remettre, répliqua bravement la jeune fille.
-Que s’est-il passé après?
-Après, maître Vaati s’est entretenu avec Marine et il nous a dit qu’à présent nous travaillerions ici pour gagner notre pitance, et qu’ainsi nous pourrions veiller sur vous et vous soigner, et que c’était très important.
-Je vois… souffla Kaepora en se frottant le menton.
Tout ceci devenait de plus en plus obscur. S’était-il trompé? En fin de compte, Vaati était-il de son côté? Pourquoi l’avoir aidé? Était-ce lui qui l’avait amené ici, ou bien l’avait-il seulement retrouvé? Tant de questions, et tant de temps à rattraper, dépitèrent le vieux mage.
-Après il ne s’est plus passé grand-chose. Vous avez retrouvé votre état normal petit à petit mais vous ne vous êtes jamais réveillé. Marine est très gentille avec nous, elle nous a offert une chambre et on mange bien tous les jours. Elle a recruté Scaff aux cuisines et moi je sers en salle. Avant maître Madura aujourd‘hui, personne n’est venu vous voir.
-Et Vaati?
-On ne l’a pas revu depuis…
-Bien. Que se passe-t-il, en ce moment? J’ai noté une certaine activité dans la rue.
-Ho! C’est parce que sa Majesté organise un tournoi qui se tiendra bientôt, en l’honneur de Lord Link et à la mémoire de la reine.
-La mémoire de la reine? Questionna Kaepora en fronçant les sourcils.
-Oui. La maladie a eu raison d’elle, il y a deux semaines.
-Il s’est passé effectivement pas mal de choses pendant mon absence, commenta le vieux mage.
-Ce n’est pas tout! Link a été lordifié, et le Chien a été adoubé!
-Adoubé? Voilà qui est curieux.
-Lord Link a épousé la princesse, et il y a eu une grande liesse. Et maintenant avec le tournoi, et tout ces gens qui affluent de partout, la cité est en effervescence!
Kaepora esquissa un sourire et prit les mains de son apprentie dans les siennes.
-Je suis désolé de vous avoir causé tant de soucis, à vous deux, fit-il.
-Ce n’est rien. Ce n’était pas de votre faute, répondit l’autre en baissant les yeux. Je dois retourner travailler. Je vais annoncer la bonne nouvelle à Scaff, il sera fou de joie.
-D’accord. Merci d’avoir veillé sur moi, mon enfant.
-Ce… Ce n’est rien, vraiment. Je suis certaine que vous en auriez fait autant.
Il la regarda partir puis poussa un soupir. Décidément, tout allait trop vite, ces derniers temps. Il ne savait plus quoi penser, ni même où il en était. Les sombres augures de Madura le perturbaient. Il n’y comprenait pas grand-chose mais les mers de sang et de cadavres étaient des images assez explicites. En soi, les prophéties n’avaient jamais rien d’inexorable. Elles n’étaient que des amalgames d’images et de métaphores de futures hypothétiques mais hélas souvent plausibles et même réalisés. Les premiers théoriciens des prophéties avaient déclaré que ces visions étaient des cadeaux des Déesses envoyés aux hommes afin qu’ils puissent lutter contre les forces du mal. Cette théorie fut longtemps admise jusqu’à ce que le dernier prophète en date ne s’arrachât les yeux et ne se coupasse la langue. A ce jour, aucune des prophéties qu’il avait consigné ne s’était encore réalisé, ou alors personne ne s’en état aperçu. Cependant, Kaepora prenait très au sérieux les avertissements de son ami. Madura avait toujours été quelqu’un d’excentrique et coupé du monde depuis son accident, aussi, qu’il ait éprouvé le besoin de venir jusqu’à cet auberge pour le rencontrer et l’entretenir de vive voix signifiait assez qu’il accordait beaucoup d’importance à ses visions.
Mais qu’est-ce que Kaepora pouvait bien faire? Qui étaient ces « Trois qui furent Choisis », cet « Esprit qui Sait » ou cet « Œil qui Voit et qui Pleure »? Le « Démon aux Milles Visages »? Toutes ces appellations ne lui évoquaient absolument rien. Et il avait passé plus de deux mois dans le coma! Comment était-il censé s’y retrouver?
De dépit, il s’empara du grimoire laissé par le prophète. Sa couverture fort simple ne comportait aucune inscription ou signe particulier. La première page s’ornait de l’écriture sèche caractéristique et l’on pouvait y lire « Le Livre de Madura ». Les pages suivantes étaient couvertes d’un embrouillamini de symboles empruntés à plusieurs langages et mis côte à côte dans un joyeux chaos. Kaepora ne parvint même pas à déchiffrer une seule phrase. Par endroit le texte était entrecoupé de symboles magiques et de divers schéma sans queue-ni-tête. Il ne voyait pas bien quel pouvait être l’intérêt de ce grimoire, mais connaissant Madura, l’ensemble devait faire sens une fois la clé de lecture trouvée. Décidant d’y revenir plus tard à tête reposée, le vieux mage cacha l’ouvrage sous son matelas.
Il constata alors qu’il mourrait de faim. Ce qui tombait plutôt bien car il était précisément dans une auberge. On avait laissé près de la porte une paire de sandales en cuir qu’il chaussa avec peine. Ainsi équipé il sortit dans le couloir et emprunta l’escalier en direction de la salle commune. Celle-ci était vaste, très propre, aux murs garnis de fenêtres, de tentures champêtres et de tableaux divers laissés là en guise de paiement ou de remerciement. Le comptoir s’alignait sur presque l’intégralité du mur du fond, une pièce de bois massif et lustré derrière lequel s’alignait sur des étagères un éventail impressionnant d’alcools et de boissons importés des quatre coins du monde. La salle était assez grande pour se payer le luxe d’une scène où, le soir tombé, des musiciens venaient se produire en échange d’une pitance et d’un lit pour la nuit. Le bâtiment en lui-même était beau et bien entretenu, et l’établissement souffrait d’une excellente réputation, mais ce qui faisait sa renommée était bel et bien sa jeune tenancière, belle à en mourir. Une rousse flamboyante à la peau de nacre, au visage avenant et aimable aux yeux semblables à des émeraudes chatoyantes. Combien de cœurs d’hommes avaient donc chaviré en contemplant la belle Marine? Kaepora avait rencontré la jeune femme à ses débuts en tant que serveuse, lorsqu’il était déjà un habitué, puis l’avait vue reprendre avec brio la taverne à la mort du précédent propriétaire.
Etrangement, étant donnée l’agitation qui régnait dans la rue, la salle commune était plutôt vide. Quelques groupes épars d’habitués ou de joueurs occupaient des tables dispersées en bavassant calmement, tandis qu’un luthiste tirait quelques accords discrets à l’écart. Médolie s’échinait à porter des assiettes pleines, pendant que sa patronne bullait tranquillement derrière son comptoir, un coude sur celui-ci et le menton posé dans la paume de la main. Kaepora reconnut la mine grave de ser Allister Dodongo, qui semblait partager en silence une pinte de bière avec un autre homme qui tournait le dos à Kaepora. L’individu portait lui aussi une épée -au côté droit, ce qui était curieux- ainsi qu’un tabard ocre doré arborant un limier noir.
Le vieux mage traversa la salle et s’installa sur un des hauts-tabourets, juste devant Marine.
-Tiens tiens… Le dormeur est réveillé, commenta cette dernière avec morgue.
-Cela n’a pas l’air de t’émouvoir plus que cela.
-Le grand type maigre qui est venu te voir m’a avertie. Ca a comme qui dirait casser l’effet de surprise.
-Certes. Je meurs de faim.
-Je me doute. C’est pas avec tout ce bouillon dont on te gave depuis ton arrivée qu’on allait pouvoir satisfaire toute cette graisse. J’ai du poulet.
-Je crois que je vais me laisser tenter, dans ce cas, fit Kaepora avec un sourire.
-Qu’est-ce que tu boiras avec ça?
-Une bonne pinte d’ambrée. J’ai l’impression que cela fait une éternité que je n’ai pas bu une bonne bière.
-Tu crois pas si bien dire…
Lorsqu’elle revint avec sa commande, il lui déclara :
-Je crains par contre de ne pas pouvoir régler tout de suite.
Marine lui décocha un sourire.
-Ce n’est pas comme si je m’en doutais pas. Mais ne t’en fais pas pour ça, mange tant que c’est chaud.
-C’est plutôt calme aujourd’hui, observa-t-il en prenant une première bouchée.
-M’en parle pas! Je me faisais déjà une joie de ce tournoi, mais voilà pas que toutes les outres à vins de cette Cité se sont mises martel en tête d’aller aider aux préparatifs ou à fourrer leur nez partout. Et les nouvelles bourses fraîchement arrivées ne connaissent pas encore l’endroit. J’imagine que ça ira mieux au fil de la semaine.
-Hmm. Dis moi, qui est donc ce chevalier attablé avec notre bon ser Allister?
-Ser Sanks, autrement connu comme le Chien.
-Ho! Je vois…
-Il a commencé à accompagner m’sire Allister ya quelques jours, et depuis je ne vois plus l’un sans l’autre.
-Comment est-il?
-Beau comme un cœur et poli comme tout, mais brr, froid comme l’hiver. Pas un mauvais bougre, c’la dit. Je te parie tout ce que tu veux qu’il est encore pucelle.
-Comment peux-tu savoir ça?
-Ya qu’à le regarder. Il est plus du genre à escalader un rempart pour voler un baiser à sa belle qu’à fourrer sa rapière dans tout ce qui bouge.
-Voilà qui est joliment dit.
-Désolée de déplaire aux chastes oreilles de messire, ironisa la tenancière avec un nouveau sourire espiègle.
-Pour parler de choses plus sérieuses, merci pour ce que tu fais, tu sais, pour les petits.
-Bah! Ne t’en fais pas pour ça, ça me fait plaisir et puis ils sont durs à la tâche et pas difficile pour deux sous. Par contre… (Elle se pencha en avant, comme pour lui faire une confidence.) Ton copain du Consortium, il m’a dit de te dire qu’il serait plus prudent de te faire oublier quelques temps, et de changer d’identité. Il a dit que tu étais comme qui dirait plus en grâce auprès de certains grands de cette cité.
-Je comprends, acquiesça Kaepora avec un poids sur le cœur. Merci.
-A ton service.
Marine retourna vaquer à ses occupations, qui consistaient plus ou moins à ne rien faire, pendant que le vieux mage finissait son repas. Rassasié, il fit descendre le tout avec une bonne rasade de bière. Puis, ne pouvant s’en empêcher, il se tourna vers la table de ser Allister. Ce dernier avait fermé les yeux et semblait écouter le luthiste, un léger sourire aux lèvres. Son compagnon observait l’agitation du dehors par la fenêtre jouxtant leur tablé. C’est à ce moment que Kaepora remarqua sa fameuse main broyée. Pris d’une pulsion soudaine, il se dirigea vers eux.
-Bien le bonjour, messers. Puis-je me joindre à vous?
Locke Sanks se tourna vers lui, et il put admirer le charnier qu’était son visage. Ayant vu bien pire au cours de son existence, Kaepora ne se laissa pas démonter et rendit son regard au chevalier.
-Je vous en prie, fit ce dernier en indiquant une chaise libre.
-C’est bien aimable à vous, messers, déclara le mage en prenant place. Je me nomme Lancel Pérault, marchand itinérant de mon état. Cela va sans dire que le tournoi attire autant les curieux que les hommes d’affaires. On dit d’ailleurs que ce tournoi là sera des plus fameux. Y participerez vous, messers?
-Je me joindrai à la mêlée, répondit ser Locke. Je suis, hélas, dans… « l’incapacité », de jouter.
-Ho, je vois, je vois… Et vous messer?
Kaepora savait pertinemment que l’aîné de Lord Darunia était muet, mais Lancel Pérault n’était pas censé le savoir, lui.
-Ser Allister ne peut malheureusement pas s’exprimer, expliqua l’autre patiemment. Il compte participer à toutes les épreuves.
-Ho, je vois, merveilleux! J’ai entendu bien des choses sur votre art de l’épée, messer Allister. J’espère que vous nous régalerez de bien des exploits.
L’intéressé hocha la tête avec un vague sourire.
-Je n’ai pas bien saisir votre nom, messer…? Reprit Kaepora en se tournant vers l’estropié.
-Locke Sanks.
-Ho! Le fameux Chi… Pardonnez moi, je ne voulais pas être insultant.
-Il n’y a pas de mal. Je sais que tout le monde m’appelle ainsi.
-Et cela ne vous fait rien?
-Au début, cela était un peu… perturbant, mais au fil du temps, on s’y habitue. Et puis, étrangement, lorsque j’écoute certains passants me haranguer de la sorte dans la rue, on dirait presque que ce titre a quelque chose de glorieux, à présent.
-Tout à fait, c’est certain. Vos exploits aux côtés de notre valeureux Héros ne sont plus à narrer.
-Libre à vous d’appeler ce massacre selon le terme de votre convenance.
Le ton du chevalier s’était durci, et son œil plus froid que jamais dardait sur Kaepora un regard l’invitant assez explicitement à ne pas continuer sur cette voix.
-Peut-être pourrais-je vous offrir à boire, messers, pour me faire pardonner.
-Une pinte ne serait pas de refus, oui. Merci.
Le vieux mage fit signe à Médolie de leur resservir trois bières. Un silence assez inconfortable s’installa entre les trois hommes, bien qu’il ne semblât gêner aucun des chevaliers. Deux hommes pénétrèrent dans l’auberge à ce moment là. Le premier était assez grand , élancé, le visage jeune mais les traits vieux, une figure belle de gravité servie par des prunelles trop azurées et des cheveux raides et bleutés. Il portait une lourde cape de fourrure et une élégante armure de cuir légère ainsi qu’une longue rapière au côté. Son compagnon était plus âgé, dans les trente ans, plus petit, plus trapu, un visage assez commun quoi que notable avec ses fines moustaches brunes, sa barbiche en pointe et ses yeux caves et cernés de noir. Il était vêtu d’un long manteau bleu marine et d’habits simples dans des tons neutres.
Le guerrier fit un pas en direction du comptoir mais se ravisa lorsqu’il aperçut la table de Kaepora. Il fixa un moment ser Allister, qui lui tournait le dos puis s’approcha.
-Allister, est-ce bien toi?
Le susnommé se retourna, et son visage s’éclaira comme il reconnaissait le nouvel arrivant.
-Allister, dans mes bras mon frère! S’écria celui-ci en lui donnant l’accolade. Laisse moi te regarder! Haha! Tu n’as pas changé. Toujours aussi fluet.
Fluet n’était pas vraiment le mot qu’aurait choisi Kaepora pour qualifier le colosse Dodongo mais il se tint tranquille.
-Si je m’attendais à te trouver dans une taverne! Le chaste Allister se serait-il un peu dévergondé? Qu’est-ce tu bois là? Du lait au miel? Haha!
Les deux chevaliers s’accolèrent une fois de plus.
-Et bien, je ne pense pas avoir eu le plaisir de rencontrer tes compagnons auparavant.
Le Chien se leva et tendit sa main valide.
-Je suis Locke Sanks.
-Ha! Notre nouveau frère, répondit le jeune chevalier aux cheveux bleus en enserrant le poignet de son vis-à-vis comme le voulait le protocole. Appelez moi Mikau Zora.
-Le frère de Lady Ruto?
-Lui-même.
-On m’a beaucoup parlé de vous.
-Et en mal j’en suis sûr. Hélas, il est parfois difficile de se défaire d’une réputation forgée à l’aulne d’une jeunesse rebelle et polissonne.
Ser Sanks et ser Mikau échangèrent un sourire. Le second ne semblait pas du tout souffrir la vue du visage ravagé. Il se tourna vers Kaepora.
-Quant à vous messire…
-Quant à moi, je me nomme Lancel Pérault, marchand de son état. Je n’ai pas la chance de rencontrer autant de beau monde en une seule fois, d’ordinaire.
-Beau, beau… Pour cela il faudrait l’avis d’une demoiselle, plaisanta le Zora. Mais hélas, messer Sanks, je crains qu’avec Allister dans les parages nos chances soient minimes.
-Je n’en doute pas, répondit l’autre avec l’ébauche d’un sourire.
-Et voici notre miraculé, messire Linebeck, qui a accompli l’exploit de survivre à un séjour prolongé dans notre bonne vieille Hylia.
Ser Mikau s’installa naturellement à la table et fit signe à tout le monde d’en faire autant pendant qu’il hélait Médolie pour quelques pintes supplémentaires.
-Ce tournoi attire du monde, c’est certain, commença-t-il. Nous avons eu toutes les peines du monde à entrer dans la cité, avec toute cette agitation, ces chariots qui entrent et qui sortent, ces marchands à la sauvette -sans offense, messire Pérault. J’espère qu’il saura se montrer à la hauteur. Vous jouterez Allister, j’espère?
L’intéressé hocha la tête.
-A la bonne heure, je tiendrai là l’occasion de me venger de la dernière fois. Ce sera votre tour, je gage, de goûter la bonne herbe d’Hyrule. Ser Sanks, vous nous ferez l’honneur d’une mêlée, n’est-ce pas?
-Naturellement.
-Fort bien ! J’ai moi aussi beaucoup entendu parler de vous : des choses… extravagantes pour la plupart, mais ce qui revenait invariablement dans tous ces racontars était assurément votre science de l’épée. Je meurs d’impatience de vous croiser l’arme au poing.
Ser Mikau ingurgita presque l’entièreté de sa pinte avant de la reposer avec force sur la table en se torcha la bouche.
-Ce voyage m’avait donné grand soif. Il y avait bien longtemps que je n’avais plus mis les pieds dans cette Cité. Je m’aperçois que beaucoup de choses ont changé. A commencer par cette taverne. Le vieux Tarkin semble avoir été avantageusement remplacé. Bon, maintenant que me voilà le gosier abreuvé, il me faut me rendre au Château pour m’annoncer et régler quelques menus détails protocolaires. Allister, accompagnez moi, je crois que nous avons du temps à rattraper, vous et moi.
Le chevalier se leva, et posa une main amicale sur l’épaule de Linebeck.
-Aux dernières nouvelles, cette auberge est la meilleure de la ville. Prenez-y une chambrée, que je sache vous trouver si le besoin s’en fait sentir - ce qui ne devrait pas être le cas, s’entend. Autrement, nous nous reverrons au tournoi, mon ami. D’ici là, prenez soin de vous. Allister, allons-y.
Les deux hommes n’avaient pas déjà mis un pied dehors que l’on entendait ser Mikau railler son vis-à-vis. Kaepora, Linebeck et Locke Sanks s’observèrent, un peu désemparés.
-Vous disiez être, messire..? Fit le mage à l’encontre du contrebandier dans l’espoir de débrider un peu la situation.
L’intéressé s’éclaircit la gorge.
-Je suis… Enfin j’étais, capitaine de navire marchand. J’avais pour habitude de négocier le long de la Ouest-Hylia et jusqu’à Mercantîle.
-Vous étiez? Ce n’est plus le cas?
-Et bien, c’est une histoire assez longue, mais pour faire bref disons que je me suis fourré dans un mauvais pas duquel messer Mikau m’a tiré. J’espère pouvoir me relancer auprès de quelques associés, ici dans la cité. Mais je dois dire que je suis assez perdu, cette ville est tellement grande, et c’est la première fois que j’y mets les pieds.
-Ha! Cela est certain! Peut-être pourrions nous vous renseigner?
Linebeck les dévisagea tour à tour, en s’humidifiant fébrilement les lèvres. Tout à coup il paraissait nerveux, et méfiant. Ce changement prompt d’attitude ne laissa pas d’étonner le vieux mage, et à voir la tête soupçonneuse que tirait ser Sanks, cela ne lui avait pas échappé non plus.
-Hé bien… Je ne sais si je peux m’en ouvrir, il y a… Hmm… Disons certains intérêts en jeu, si vous me comprenez?
-Allons! Ne faites pas tant de manière, sourit Kaepora d’une voix amicale. Nous ne voulons que vous aider, si cela est en notre pouvoir.
L’ancien capitaine sembla peser le pour et le contre une longue minute, puis décida qu’il pouvait se confier.
-Je dois m’entretenir avec une certaine personne du Consortium Aedeptus.
L’annonce laissa Kaepora perplexe. On ne faisait pas affaire avec le Consortium. Du moins pas tant qu’on pouvait l’éviter.
-Si j’étais vous, je resterais loin de ces olibrius, fit-il avec un sourire. On raconte toute sorte de choses à leur sujet, et rarement de bonnes choses, si vous me suivez.
-Cela me regarde, répliqua l’autre assez sèchement.
-Vous ne pouvez pas le manquer, c’est le grand bâtiment situé à l’opposé du Temple, intervint ser Sanks.
-Je vous remercie, messer. Sur ce, si vous voulez bien m’excuser, ce fut un plaisir de vous rencontrer.
Linebeck les quitta et monta dans sa chambre aussitôt que Marine lui eut donné les clés. Le Chien passa sa main valide dans sa tignasse noire puis finit sa pinte.
-Je vais me retirer également. Mon écuyer m’attend pour sa leçon. Messire Pérault…
Le chevalier s’inclina avoir roideur puis se dirigea vers Marine à son tour. Kaepora l’observa. Il était assez déroutant, avec son calme olympien, ses bonnes manières et son apparence si particulière. Il tira de sa bourse une poignée de pierres précieuses qu’il étendit sur le comptoir en guise de paiement. La tenancière lui fit signe de se pencher en avant, comme si elle allait lui confier un secret. Au lieu de quoi, elle l’attrapa par le devant du tabard et l’embrassa fougueusement sur la bouche. Kaepora pouffa dans sa barbe en constatant que le froid chevalier rougissait jusqu’à la racine des cheveux. Lorsque la jeune femme relâcha son étreinte, il bredouilla quelque chose, le visage caché par ses cheveux, et s’en fut promptement, en s’emparant de sa cape bordée de fourrure au passage.
-En espérant vous revoir bientôt, messer! Lança Marine derrière lui.
Hilare, le vieux mage s’approcha lui aussi, sa choppe à la main.
-Voilà qui sonnait comme une déclaration, lança-t-il en reprenant sa place sur le haut-tabouret.
-Hmm… Non, plutôt une invitation, répliqua la tenancière en se léchant les lèvres.
-Autant pour moi. Tu ne m’avais pas dit que tu avais un faible pour les estropiés. Si j’avais su je me serais amputé d’une main depuis longtemps.
-Il me fait craquer avec ses bonnes manières et son air si grave. Et puis, si on fait abstraction des balafres, il est plutôt mignon.
Kaepora la considéra un moment sans rien dire.
-Quoi? Et puis de toute façon, ça ne regarde que moi. J’ai jamais essayé un chevalier, pour l’instant, continua Marine en tirant la langue.
-Ha, ma bonne dame! Votre propos devient trop grivois pour moi, je vais devoir me retirer!
-Où comptes-tu aller?
-J’ai quelques affaires à régler. Je serai de retour sous peu. Est-ce que tu aurais une bonne cape que je pourrais t’emprunter, par hasard?
Le mage constata assez vite que l’automne était froid, cette année là. Ses vieux os hurlaient leur mécontentement, mais il se consola en songeant à ce que l’hiver était encore assez loin. Il arpenta les rues un long moment, cherchant à établir un contact mental avec son hiboux familier, Gaebora. Il s’approcha autant qu’il l’osa du Consortium, mais sans plus de succès. Il était fort probable que l’animal fut resté à l’intérieur du collegium, ou bien qu’on l’ait tué, plus radicalement. Ce constat chagrina le mage, qui avait toujours eu beaucoup d’affection pour son compagnon à plumes.
Circuler était devenu vraiment difficile, tant les allées étaient littéralement bondées de monde. Il fut régulièrement bousculé, et sentit quelques fois des mains lestes l’effleurer à la recherche vaine d’une bourse. De nombreux reîtres s’agglutinaient devant et dans les échoppes d’armurerie et de ferronnerie ; des troubadours se produisaient à chaque coin de rue en espérant glaner quelques pièces ou vantant le mérite de leur troupe ; des femmes avaient installé des étales où elles vendaient pâtisseries, sucreries et autres douceurs aux badauds curieux.
Rapidement épuisé, le mage regagna tant bien que mal le Poisson-Rêve. Une poignée d’heures à peine s’étaient écoulées depuis son départ, mais l’auberge s’était remplie de façon impressionnante. Il n’y avait presque plus de tables libres, et on ne pouvait plus s’entendre penser au milieu des rires, des cris, des exclamations, de la musique. Il aperçut Médolie, Marine et d’autres jeunes femmes occupées à servir aussi vite que possible les innombrables clients. Désireux de ne pas les incommoder, Kaepora s’éclipsa à l’étage où il retrouva le calme paisible de sa chambre. Les bruits de la salle commune lui parvenaient toujours, étouffés, entre les lattes du plancher, mais il s’en accommoda. Le vieux mage regretta de ne pas avoir un ou deux livres à étudier, maintenant qu’il avait beaucoup de temps devant lui. Il reporta son attention sur le volume de Madura qu’il tira de dessous le matelas.
Allumant une chandelle, il s’installa à la table et ouvrit le grimoire. N’ayant ni parchemin ni encre à disposition, il décida de simplement parcourir les écritures, à la recherche d’une phrase, d’un petit bout de page qui pourrait lui évoquer quelque chose, ou le mettre sur la piste d’une clé de lecture. A première vue ce n’était qu’un maelstrom sans sens réel. Il y avait des lettres Hyruliennes modernes, des runes d’ancien Hylien, des glyphes Terminiennes et des pictogrammes de Labrynna et d’Holodrum. On y trouvait aussi certaines déformations issues d’aucun langage connu de Kaepora, ainsi que des arcanes magiques et des symboles cabalistiques. Certains schémas s’intégraient directement dans le corps du texte, compliquant sensiblement l’affaire. A force de persévérance, le mage parvint à saisir quelques mots, qui n’avaient hélas pas beaucoup de signification hors de leur contexte. Le déchiffrage était d’autant plus déroutant que lorsqu’une certaine logique semblait se dessiner dans la superposition des tracés elle était mise en échec deux pages plus loin. Kaepora palpa la couverture à la recherche d’une doublure ayant pu contenir un code quelconque, mais sans succès.
Découragé, le mage se frotta les yeux et ferma le manuscrit. Il constata alors non sans surprise que la bougie était éteinte depuis longtemps, et que l’aube commencer à poindre par la fenêtre. L’auberge était parfaitement silencieuse, et pourtant il aurait juré que pas plus d’une minute auparavant il y avait encore de la musique. Il soupira et se laissa aller contre le dossier de sa chaise. Sorti de son coma de deux mois, il se sentait parfaitement reposé et n’éprouvait absolument pas le besoin de dormir. Par contre, son estomac grondait et il avait la gorge un peu sèche. Il estima que Marine ne lui en voudrait pas s’il se servait un petit encas dans ses cuisines. S’emparant de sa chandelle froide, il se glissa sans un bruit dans le couloir totalement sombre. Avec la même discrétion, il descendit dans la salle commune, qui avait quelque chose d’angoissant ainsi, immense, vide et enténébrée. Le feu dans le foyer n’était plus que braises incandescentes illuminant faiblement les contours de la cheminée. La ville semblait endormie, la rue étant parfaitement calme. Marine dormait au rez-de-chaussée, il convenait de ne pas l’éveiller. Il traversa la salle les mains tendues pour ne pas se cogner contre des tables ou des chaises, jusqu’à toucher le comptoir, qu’il suivit vers la gauche vers la porte du garde manger. Il batailla un moment pour trouver la poignée, et eut la désagréable surprise de la tourner dans le vide. Quelqu’un avait eu l’idée fameuse, mais judicieuse certes, de fermer la salle à clé.
Kaepora prononça quelques mots à voix basse en laissant le pouvoir s’écouler par ses doigts, et la serrure émit un petit chuintement plaintif avant de se débloquer dans un clic sonore qui semblait monstrueux dans ce silence de cathédrale. Le mage tendit l’oreille, le cœur battant tel un enfant craignant d’être pris la main dans le sac, mais comme personne ne faisait mine de venir, il entra dans la pièce. Une lanterne brûlait toujours faiblement ; il en profita pour allumer sa chandelle. Il y avait tout ce qu’un homme pouvait désirer de nourriture là-dedans. Des viandes, des poissons salés, des légumes, des fruits, du pain, des fûts de bière et de vin… Se sentant déjà assez coupable, Kaepora se contenta d’un petit saucisson, d’une cruche de bière et de deux belles pommes qu’il fourra dans ses poches. Sa basse besogne achevée, il ressortit et ferma la porte par le même sortilège que précédemment. Il se figea cependant lorsqu’il entendit un bruit. C’était un craquement de plancher. Ou du moins tout comme. Il crut tout d’abord que c’était un effet de son imagination, mais le phénomène se répéta, et il n’eut plus de doute : quelqu’un marchait dans le couloir à l’étage!
Le mage paniqué chercha fébrilement un endroit où se cacher, et avait presque entièrement jeté son dévolu sur le comptoir, lorsqu’il se rendit compte que les pas ne se dirigeaient pas vers l’escalier. Intrigué, il écouta plus attentivement. La personne devait être assez menue, peut-être même était-ce un enfant. Cependant sa démarche était assez inhabituelle, hachée, saccadée, sans rythme. Comme quelqu’un de ivre titubant. Cela avait quelque chose d’effrayant. Kaepora avala sa salive et remonta lentement les escaliers. Masquant la flamme de sa bougie, il passa la tête pour tenter d’apercevoir le promeneur nocturne, mais il faisait bien trop sombre. Le bruit des pas s’éloignait vers le fond du couloir, et le mage crut entendre comme des chuchotements. Au bout de quelques longues minutes passées à écarquiller les yeux dans la pénombre, il entendit une porte s’ouvrir. Une faible lumière en provenance de la chambre découpa la silhouette du vagabond en contrejour ; une silhouette d’enfant que Kaepora connaissait bien.
Mais que diable Scaff pouvait-il bien fabriquer à cette heure-ci? Souffrait-il de somnambulisme? A bien y regarder, son professeur le trouva quelque peu… « étrange ». Ses épaules étaient affaissées, ses yeux grands ouverts et il tenait… un couteau?
Plissant les yeux, Kaepora y regarda à deux fois mais Scaff avait déjà disparu. Peut-être était-il simplement descendu manger un petit quelque chose, comme lui-même? Mais dans ce cas il l’aurait forcément croisé. Parti se soulager, alors? Mais dans ce cas pourquoi avait-il besoin d’un couteau de cette taille là? Sans trop savoir pourquoi, le mage éprouvait un malaise croissant. Cela venait principalement de l’expression de son jeune apprenti. Une expression dérangeante, et dérangée… Quelque chose n’allait pas. Il décida d’aller trouver le garçon pour obtenir quelques informations.
Il n’était pas encore au milieu du couloir lorsque le cri retentit. Un cri d’homme adulte, long, déchirant, qui faisait froid dans le dos. Kaepora sursauta, et lâcha presque sa chandelle dans son affolement.
-A moi! A moi! On m’assassine! Haaaaaaaaaaa!….
N’écoutant que son courage, le vieux mage se précipita et se figea dans l’entrebâillement de la porte ouverte. Scaff se tenait à califourchon sur le capitaine Linebeck, qui essayait avec peine de maintenir à distance la main du garçon qui tenait le couteau, dont la lame dégouttait de sang frais. Le marchand était blessé à l’épaule droite et perdait beaucoup de fluide vitale. Il paraissait plus pâle encore qu’à l’accoutumée, et ses traits étaient tordus d’horreur et de douleur.
-Scaff, mon garçon! Mais enfin as-tu perdu l’esprit? S’écria Kaepora.
-Plus besoin…. Inutile… Meilleur hôte… murmurait l’apprenti magicien avec une voix d’outre-tombe qui arracha au mage un frisson d’épouvante.
-Pérault! Pour l’amour des Trois, enlevez moi cette chose! Glapit Linebeck avec un gémissement. Il va me tuer!
Kaepora se précipita et ceintura son disciple. Dans un grognement d’effort, il tenta de le tirer en arrière. L’enfant lui envoya le coude dans le visage pour lui faire lâcher prise, mais le capitaine profita de son moment d’inattention pour le repousser et rouler sur le plancher. Les deux hommes reculèrent, l’un se tenant le nez, l’autre l’épaule. Le garçon se tourna vers eux, et il fallut toute sa volonté à Kaepora pour ne pas hurler. Les yeux de Scaff étaient écarquillés de façon démentielle, le blanc devenu d’un jaune scintillant écœurant. Sa bouche s’ouvrait sur un sourire tordu et grotesque qui semblait physiquement aberrant. De petites ridules étaient apparues sur son visage, comme si la peau trop tendue était prête à craquer.
-Il n’est pas dans son état normal! Quelque chose semble le posséder! S’exclama Kaepora avec stupeur.
-Faites quelque chose Pérault! Il veut me tuer!
Comme pour lui donner raison, Scaff se jeta en avant, couteau brandi vers Linebeck. Ce dernier fit un pas de côté pour l’éviter, mais la lame l’entailla gravement au bras lorsqu’il se protégea du coup suivant. Il cria de douleur et battit précipitamment en retraite. Une bourrasque de vent digne d’une tempête se leva soudainement dans la pièce, pendant que Kaepora psalmodiait des mots de pouvoir. L’ouragan projeta Scaff contre un mur avec violence et l’y tint plaqué.
-Pérault! Glapit Linebeck. Est-ce vous qui faites cela?
-Nous n’avons pas le temps pour les histoires, Linebeck, répliqua le mage, les dents serrées. Il faut que vous…
Laisse moi tranquille, Mage!
Une onde d’énergie pure jaillit du corps de l’enfant et traversa Kaepora, lui faisant perdre le contrôle de son sort et lui vrillant le cerveau.
-Plus besoin…. Inutile… Meilleur hôte, continuait de chuchoter Scaff pendant qu’il se relevait.
Linebeck avait anticipé, et il lui fracassa un tabouret sur le crâne, sans effet probant. Le capitaine évita de justesse un coup de couteau, et ne dut son salut qu’au bouclier magique que dressa hâtivement son compagnon autour de lui. L’entité prit alors le mage pour cible et lui fonça dessus, son sourire ignoble toujours cloué au visage. Kaepora s’empara d’une pomme dans sa poche et la projeta vers l’assaillant, en hurlant une formule. Propulsé par la magie, le projectile frappa l’enfant en plein visage et sembla l’estourbir quelques instants. Le mage n’avait pas le temps pour comprendre ce qui possédait son apprenti, et tenter de l’exorciser. A son grand désarroi il dut faire le difficile choix de la survie. Profitant de l’étourdissement temporaire de son adversaire, il conjura des lames de magie pure qu’il jeta contre Scaff. Avec dégoût, il les observa déchiqueter le petit corps frêle dans des gerbes de sang, lui arrachant un bras et une partie du visage. Cependant, à la grande horreur de Kaepora, la chose se contenta d’émettre un rire spectrale sans même bouger les lèvres, et recommença à tituber vers lui.
Mais la pointe d’une épée émergea subitement de son torse. Sans effet. Le monstre s’arracha de la lame sans même sembler éprouver la moindre souffrance.
-La tête! Il faut viser la tête! Cria Kaepora en reculant.
L’épée s’abattit une fois sur le cou grêle, tranchant joyeusement dans le vif. Puis elle s’abattit une seconde, une troisième fois, dans des flots vermeilles. La tête à moitié tranchée dardaient ses yeux mauvais sur le mage. Le quatrième coup fut le bon, et le crâne s’envola à travers la chambre pour finir de rouler sur le plancher qu’il macula de sang. Le tronc fut pris d’un unique soubresaut, puis s’effondra comme une masse.
-Kaepora! Kaepora! Est-ce que tu es blessé?
Marine se tenait à ses côtés, une épée à la main, et lui secouait l’épaule avec énergie. Choqué, le mage mit un moment à répondre.
-Oui, oui, je vais bien… Mais Linebeck?
-Il s’est évanoui, il a perdu beaucoup de sang. Je vais m’occuper de lui. Mais par les Trois! Kaepora, qu’est-ce que c’était que cette chose?
-Je… ne sais pas. C’était Scaff. Je crois. Enfin, quelque chose le possédait. C’était… Ho Marine! Il est mort! On l’a tué!
-Tu n’as pas à t’en vouloir, Kaepora. C’était lui ou nous.
Ils se serrèrent dans les bras l’un de l’autre, pour se rassurer, les yeux rivés sur le cadavre de la chose. Un premier rayon de soleil timide vint frapper la flaque de sang, la faisait joliment miroiter.
sakuranbo:
Chouette, un nouveau chapitre! :<3: La longueur est parfaite ainsi je trouve, pas besoin de découper en plusieurs parties tellement c'est agréable à lire!
Enfin la fin est plus terrifiante qu'agréable on va dire lol. Je ne m'attendais pas à ce genre de retournement, c'est horrible, pauvre petit Scaff... Quel génie GMS :niais: j'ai adoré! Vivement la suite!
silver:
Triste fin pour Scaff, j'aimais le personnage mais on ne peut jamais échappé à la mort. J'adore littéralement le chapitre, très mystique et envoûtant. Je suis heureux de constater que Kapoera s'en sort même ainsi. Quant à Locke Sanks, on remarque qu'il a du succès auprès des femmes. J'espère que Médolie survivra, elle est si attachante. Je crains que l'on est un schéma désespéré pour l'intrigue, Sanks semble être bien destiné à faire l'erreur à ne pas faire mais on verra bien. Ne mettons pas la charrue avant les bœufs. Heureusement, Linebeck a l'air d'avoir plus de chances que prévu et ça peut s'avérer parfait pour la suite.
Vivement la suite dans ce cas pour revoir les nouvelles aventures de notre bon "Monarque". Bonne continuation...
Great Magician Samyël:
Saku ==> Merci! Hélas, après t'avoir habituée à une longueur de chapitre décente, je me vois contraint de revenir sur mes positions. J'espère que tu ne m'en voudras pas trop! ^x^
Silver ==> Merci pour le commentaire. En espérant que la suite continue à te plaire!
Sur ce, voici la suite de Triangle. Je ne suis pas très inspiré pour la fin de ce chapitre, et comment cela fait déjà un moment que je n'ai rien posté, je publie aujourd'hui une première partie, assez courte, juste histoire de dire que je suis toujours vivant :p J'espère que vous me pardonnerez!
Sur ce, bonne lecture!
_____________________
[align=center]XVI
-Tarquin-
(1ère partie)[/align]
La Chambre de l’Epée était plus silencieuse et plus froide qu’un tombeau. L’arme sacrée scintillait légèrement sous les rayons du soleil qui, traversant les vitraux colorés situés très haut, venaient frapper la lame selon un angle parfaitement étudié. Le Gardien du Temple était assis sur les quelques degrés de pierre du piédestal, obèse et chauve, ses gros doigts boudinés triturant calmement les triangles d’or pur qui ornaient sa large ceinture.
-Je commençais à craindre que vous n’ayez oublié mon existence, déclara-t-il.
-Je m’en voudrais d’être aussi grossier, répliqua Tarquin en jaillissant d’une poche d’ombre, au pied du mur Nord.
-J’ai beau avoir examiné moi-même ce mur minutieusement des dizaines de fois, j’avoue ne toujours pas saisir la façon que vous avez d’apparaître et disparaître ainsi.
-J’ai bien peur que certains secrets doivent rester secrets, votre Sainteté, répondit le maître du Sheikah en s’approchant.
Rauru l’Intemporel cessa de sourire et prit un air grave.
-La Reine est morte plus tôt que nous l’avions prévu.
-Sa constitution faible lui a été fatale.
-N’y avait-il vraiment aucun moyen de la sauver?
-Pas sans mettre la vie du prince et celle de la princesse en danger.
Le prêtre resta un moment songeur.
-Nous pensons d’ailleurs, reprit Tarquin, qu’ils passeront à l’acte plus tôt que prévu, également.
-En êtes vous certain? C’est votre espion qui vous l’a dit?
-Non. Il est survenu un incident fâcheux cette nuit en ville, impliquant de la magie noire. Une tentative d’assassinat a l’encontre d’un mage que nous protégeons.
-Un mage?
-Il est de notre côté. Il a été témoin et victime de leurs machinations.
-Je vois… Je suis étonné de ne pas avoir eu d’échos de cet… « incident ».
-Nous avons réussi à étouffer l’affaire.
-Suis-je bête!
-Tout est-il prêt pour demain?
Tarquin vint se placer face à l’épée emprisonnée. Une demi-année déjà s’était écoulée depuis la dernière fois où il l’avait contemplée, lors de la cérémonie de la Grâce. Il eut la curieuse impression qu’elle était légèrement plus grande qu’à l’accoutumé.
-Croyez vous qu’il a une chance? Demanda-t-il en se retournant.
-Pas la moindre, soupira Rauru. Cela fait plus de cinquante ans que je regarde des idiots tirer sur ce bidule inerte sans succès. Alors ce n’est pas un prétendu « héros » qui changera cela.
-Espérons le. Il ne faudrait pas que ce parvenu trouve le moyen d’assoir un peu plus son embryon de pouvoir.
-A son propos, devons-nous nous inquiéter?
-Non. Même s’il semble s’être parfaitement adapté à sa nouvelle vie de débauche et de luxure royale, mes Ombres ne m’ont rien chuchoté d’alarmant. Nous devrions pouvoir le ranger dans notre poche avec les bonnes promesses, en temps voulu.
-Parfait.
-Il ne faudrait pas relâcher notre vigilance pour autant. Les jours à venir vont être éprouvants, et l’hiver arrive. De plus, mes Ombres m’ont chuchoté que le seigneur d’Ikana ne semble pas se satisfaire de son nouveau Royaume, et qu’il lève en ce moment même de nouvelles armées, un œil avide dardé sur ses voisins…
-Une guerre serait bien la dernière chose dont nous avons besoin actuellement! tempêta l’Intemporel.
-Oui. C’est pourquoi j’ai déjà envoyé l’une de mes Ombres arranger la situation.
-J’espère que vous savez ce que vous faites. Ikana est un puissant mage, dois-je vous le rappeler? Si votre assassin échouait, il n’aurait pas de difficulté à le faire parler, et à tenir là un prétexte pour lancer sa guerre.
-J’en ai conscience. Mais j’ai pleine confiance en mon Ombre. J’ai de plus pris la liberté de me rapprocher de la reine Ambi, au nom de notre Roi. Je pense qu’une alliance avec Labrynna nous serait favorable, même si cela induira peut-être à long terme de porter nos bannières en Holodrum. Ce sera peut-être l’occasion d’utiliser nos fameux barbares. Maintenant qu’ils ont cessé de se battre entre eux, je gage qu’ils sont en manque de sang.
Le prêtre sourit.
-Vous avez vraiment toujours un coup d’avance, n’est-ce pas Tarquin?
Le Sheikah ne broncha pas.
-Il faut être prêt à parer toute éventualité. C’est mon devoir de protéger la Couronne et son royaume.
-Pour cela, je vous fais entièrement confiance. Votre zèle est digne de louanges. J’en viens parfois à me demander qui de vous ou de notre bon roi gouverne réellement.
-Ma position me permet une certaine liberté, mais ne faites pas l’erreur d’oublier le Premier Conseiller dans votre équation. Sa discrétion n’a d’égale que son influence auprès de sa Majesté.
-Je m’interroge depuis un certain temps : pourquoi ne l’avez vous pas encore fait disparaître du tableau?
-Toutes mes tentatives ont échoué.
-Ho. Je… Je vois.
-Notre entretient touche à sa fin. Je vous verrai demain.
-Puissent les Trois vous protéger, Tarquin.
-Puissent-elles tous nous protéger, prêtre. Je crains que nous en auront besoin. Et plus rapidement que je n’ose l’espérer.
Tarquin était anxieux. Les choses se précipitaient, et certains éléments qu’il n’avait pas considérés entraient soudainement dans le jeu. Cette attaque du Consortium au Poisson-Rêve jetait une ombre sur le tableau. Comment les sorciers avaient-ils pu localiser le vieux Kaepora? Pourquoi avoir pris le risque de l’attaquer, sous peine de s’exposer? Il était trop tôt.
La nuit n’était pas calme. Dans les rues de la Cité, de nombreux badauds, reîtres et autres petites gens déambulaient en titubant, ronds comme des queues de pelle, ou bien assistaient à des spectacles de rue à la chiche lueur des torches. Tarquin se rassura néanmoins en constatant que les patrouilles nocturnes étaient parfaitement à leur place. Il caressa un instant l’idée de se rendre au Poisson, mais il renonça : la situation était parfaitement sous contrôle.
Regagnant ses quartiers à la faveur de la lune descendante, le vieux Sheikah s’autorisa un court repos. Lorsqu’il rouvrit l’œil, l’aube effleurait la cime des arbres du jardin, qu’il pouvait apercevoir depuis sa fenêtre. Son anxiété n’avait pas disparut, et tendait même à croître. Cela le chiffonna. Son instinct paranoïaque ne l’avait presque jamais trompé. Il s’habilla à la hâte et lorsqu’il ouvrit la porte, il eut le déplaisir de tomber sur Agahnim. Fidèle à lui-même, le colosse magicien était paré de son habituelle robe rouge vif de mage, et son visage carré était à moitié caché par un genre de capuche retenue autour du crâne par un mince tiare d’or. Il toisait Tarquin de vingt bons centimètres et ses épaules massives semblaient faire deux fois le diamètre de celle du borgne.
-Premier Conseiller, s’inclina ce dernier avec roideur.
-Sheikah.
-Y a-t-il quelque chose que je puisse faire pour vous?
-Oui. Mourir.
L’attaque fut si prompte et si inattendue que Tarquin n’eut aucune chance de l’éviter. Il sentit avec douleur la lame incurvée d’une dague s’enfoncer profondément entre ses omoplates. Il s’affala sur un genou et n’eut pas le temps de se retourner qu’un coup violent lui fut assené sur la nuque, lui faisant à moitié perdre conscience.
-Adieu Tarquin. N’ayez aucun regret : vous ne pouviez gagner. Vous vous en êtes même plutôt bien tirer. Mais certaines choses dépassent votre entendement. Ce fut en tous les cas plaisant de jouer contre vous.
La voix d’Agahnim se faisait de plus en plus distante. Une douleur sourde pulsait dans le dos du Sheikah. Il sentit qu’on le traînait dans sa chambre, face contre terre pour ne pas salir le sol de traces de sang. Il sombra tout à fait quelques instants plus tard, et lorsqu’il revint à lui, il avait les poignets attachés à la chaise sur laquelle il était assis, et un individu habillé tout de noir et portant un masque sans expression nettoyait la lame de son couteau en le fixant. Tarquin sentait son fluide vital couler le long de sa nuque et dans son dos, mais il se força à faire abstraction de la douleur pour rester lucide.
-Je n’aime pas ton œil, le vieux, fit son tortionnaire avec une voix monocorde et glaciale qui fit frissonner l’intéressé.
-Pourquoi faites vous cela? grimaça le vieillard en tirant sur ses poignets.
-Le plaisir? La joie? Qu’importe. On me paie pour cela. C’est tout.
L’homme s’approcha de sa victime et se pencha vers elle, son arme pointée à quelques millimètres du globe oculaire.
-Une dernière parole, peut-être?
Tarquin réfléchissait à tout allure à un moyen de se tirer de ce mauvais pas, mais rien ne voulait venir à son esprit. Ligoté comme il l’était, il ne pouvait espérer s’en sortir. Il se tint coi.
-Bien. Je n’apprécie pas les cadavres bavards.
Le Sheikah broncha lorsque la pointe du couteau perça légèrement la peau juste sous l’œil, et qu’une larme de sang coula le long de sa joue. Instinctivement il se recula et la douleur de son dos le cloua sur place. Son cœur battait à cent à l’heure, ses pensées s’embrouillaient. Le souvenir de la perte de son premier œil lui revint en mémoire et la peur laissa place à une panique animale.
La porte de la chambre s’ouvrit soudainement à la volée.
-Château-L’Hylia! Rugit l’intrus.
A peine eut-il entendu le cri de guerre que Tarquin se rejeta vivement en arrière, se mettant ainsi hors de portée du couteau, mais au prix d’une vive douleur dans le dos qui lui arracha un cri. Ser Mikau, qui venait de pénétrer dans la pièce l’arme au poing, se jeta violement sur l’homme au masque. Bien que surpris, ce dernier parvint à parer l’attaque à l’aide de sa dague. Souple, il se glissa sous le chevalier et battit en retraite, afin de dégainer un long poignard plus adapté à la situation. Tarquin essayait de se libérer, mes ses liens étaient trop étroits, et sa position ne lui facilitait pas la tâche. Le Zora repartit à l’assaut, sa lame longue fendait l’air dans de grands moulinets adroits qui forcèrent son opposant à reculer dans une posture défensive. L’épée vint se planter dans la table près de la fenêtre, et le chevalier fut contraint de la lâcher afin de rouler hors de portée d’attaque. Ne restant pas en reste, il s’empara d’un tabouret et le propulsa en poussant un grognement. Le meuble alla s’écraser contre le mur, mais il déstabilisa momentanément l’assassin et ser Mikau en profita pour se jeter sur les lui. Les deux hommes roulèrent au sol dans un corps-à-corps âpre, renversant une table et percutant Tarquin. Après une longue minute de lutte silencieuse, le chevalier parvint à retourner l’arme contre son possesseur et la lui enfonça dans le cou en jurant, les muscles bandés et tremblants. Le sang se mit à couler de dessous le masque, et c’en fut terminé.
-Messire, êtes-vous blessé? Demanda aussitôt le Zora en se relevant.
-Légèrement, rien de grave. Détachez cette corde, voulez-vous?
Mikau s’exécuta promptement et aida le vieux Sheikah à se relever.
-Vous saignez abondamment.
-Bah! Regardez dans cette commode, il doit s’y trouver une fiole.
D’une main que l’adrénaline secouait, Tarquin essuya le sang qui gouttait petit à petit de sous son œil. Il donna un coup de pied rageur au cadavre. Il devenait vieux. Dix ans auparavant, personne n’aurait pu le surprendre comme ça.
-Tenez, fit Mikau en lui tendant une fiole remplie d’un obscur liquide rougeâtre.
Tarquin s’en empara et l’avala cul sec sans songer au goût atroce de la mixture. C’était un moindre mal : aussitôt la douleur de son dos reflua presque jusqu’à disparaître.
-Qu’est-ce?
-Vous préférez ne pas le savoir, chevalier. Croyez moi.
Se satisfaisant de cette réponse, le guerrier s’acharna à retirer sa lame de la table où elle était coincée, puis la rengaina.
-Vous m’avez comme qui dirait sauver la vie. Une minute de plus, et j’étais définitivement privé de lumière.
-Je n’ai fait que mon devoir.
-Comment avez-vous su?
-J’ai croisé le Premier Conseiller dans le couloir. Il avait une drôle d’expression et marmonnait des choses incompréhensibles. Il n’a même pas semblé me remarquer quand je l’ai hélé. Je suis donc venu m’enquérir de ce qui avait bien pu le troubler à ce point. J’ai vu le sang sur le sol, et je me suis précipité.
-Vous avez bien fait.
Cette attaque aussi soudaine que surprenante troublait Tarquin. Non pas qu’il se croyait intouchable. Mais tout ceci était trop tôt. Bien trop tôt. Un mauvais pressentiment lui nouait l’estomac. Il observa Mikau qui pestait contre le coup de couteau qui avait déchiré la manche de sa tunique. Il était arrivé de façon bien opportune, peut-être même trop. La paranoïa de Tarquin lui murmurait qu’il pouvait être de mèche avec l’ennemi, que ce « sauvetage » in extremis pouvait être un stratagème destiné à gagner sa confiance… Mais il réfuta cette idée. Ser Mikau était un modèle de chevalerie, certes plus bourru et moins fin que la représentation donnée par les contes, mais il était loyal, juste et généreux. Son service en tant que régent de Château-L’Hylia s’était avéré exemplaire et ses faits d’armes étaient nombreux. De plus, si sa sœur s’obstinait à ne pas vouloir se remarier, c’est à lui qu’échoirait le titre de Lord Zora. Enfin, il avait été trop longtemps reclus dans sa forteresse familiale pour être d’une quelconque manière mêlé aux complots de la cité.
Non, ser Mikau était digne de confiance. Hélas pour lui, il était dorénavant impliqué jusqu’au col dans la mascarade.
-Vous ne semblez pas particulièrement pressé d’apprendre ce qui vient de se passer, chevalier.
-Le sage disait : les ignorants ont le sommeil plus paisible que les têtes bien pleines.
Les deux hommes échangèrent un long regard.
-Je crains que vous ne vous soyez impliqué contre votre gré dans quelque chose qui vous dépasse.
-Je le crains aussi, hélas, soupira ser Mikau. Qu’attendez-vous de moi?
-Rien de plus qu’actuellement : de la loyauté et de la bravoure.
-Ce doit être dans mes cordes.
Tarquin arracha sa tunique poisseuse de sang et s’empara d’un habit propre dans son armoire.
-Nous savons de source sûre que le Consortium Aedeptus se prépare à attenter à la Couronne. Nous savons aussi que cela se déroulera bientôt, quand précisément, nous ne le savons pas. Cependant, l’événement qui vient de se produire me pousse à croire que les mages risquent de venir troubler la cérémonie d’aujourd’hui.
-Toute la noblesse d’Hyrule sera présente au Temple, fit remarquer Mikau.
-Parfaitement. Rien n’est sûr, néanmoins. Mes Ombres sont déjà déployées sur le site, mais les sorciers sont puissants et disposent de moyens magiques que nous ne pouvons pas prévoir.
Tarquin acheva de boutonner sa tunique et s’enroula la tête dans son fameux turban pour masquer l’hématome qui bleuissait sur sa nuque.
-Vous me suivrez et nous nous placerons au plus près de sa Majesté. Il vous faudra être sur le qui-vive. Et soyez prêt à donner votre vie pour le Royaume.
Le chevalier déglutit, mais hocha la tête.
-Bien. Vous en savez trop à présent pour que je vous laisse simplement partir. Vos serments vous poussent à défendre le royaume contre ses ennemis, intérieurs comme extérieurs. A compter de ce jour, vous faites partie du Sheikah.
silver:
Très bien retranscrit, j'adore la mise en scène. Je me suis relu les derniers chapitres de Samyël. Tu comprendras qu'il me manque... j'espère que l'on pourra en voir l'évolution pour bientôt même si je patienterais le temps qu'il faudra. Bonne continuation...
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