能
【no — faculté】
Acte Second
深井
【fukai — mère en peine】
Comme si elle avait été guidée par une corde qu'il lui suffisait de suivre pour avancer, la jeune femme avait traversé forêts, plaines et montagnes, dans un silence qui se voulait pour elle comme une coutume. Mais bientôt, cette corde lui ferait approcher une nouvelle bourgade, une nouvelle infection à traiter, de nouveaux jours. Son voyage était devenu monotone et routinier, ne la laissant même plus réfléchir ou penser. Elle agissait comme une machine programmée, dont les algorithmes tourneraient en boucle jusqu'à son dernier souffle.
Lorsqu'elle atteignit sa nouvelle escale, son ouïe fut aussitôt agressée par les marchands qui hurlaient pour attirer les passants afin de vendre ce qu'ils avaient à proposer. Tout lui paraissait atrocement insupportable, d'autant plus qu'elle savait pertinemment qu'elle devrait s'en contenter jusqu'à ce qu'elle rejoigne un lieu qui lui servirait d'hébergement. Elle s'arrêta un moment, le temps d'observer les lieux et de comprendre la structure des ruelles. Elles semblaient remonter sur une colline au loin et s'arrêter brusquement à côté d'une forêt. Les bâtiments lui paraissaient tous strictement identiques, et il n'y avait pas moyen d'en localiser un plus grand que les autres, qui aurait pu être une auberge.
« Vous avez l'air de chercher quelque chose. Puis-je vous aider ? »
C'était une voix dénuée de vie et d'émotion qui venait de s'adresser à elle, provenant d'un homme assis sur une caisse de bois — sans doute pleine de marchandise — que personne dans la rue ne semblait remarquer. Il était couvert d'un vêtement de tissu épais, entièrement noir, lui servant à la fois pour tenir au chaud ses épaules et pour masquer son visage d'une cagoule, ne découvrant que son nez droit et ses lèvres fines. Son menton et ses joues étaient recouverts d'une barbe mal rasée et ses yeux, dont l'éclat brillait parfois sous le froid soleil de début d'hiver, étaient tout aussi sombres que son vêtement, tout aussi vides de sentiments que sa voix.
« En effet, je viens d'arriver ici. Je suis une apothicaire itinérante qui échange ses services contre un peu d'hospitalité. Je cherche justement où trouver cette dernière, puis je proposerai mes services à ce village. »
Mugon avait parlé d'une traite, sans aucune hésitation. Elle avait prononcé ce discours tant de fois qu'il avait dépassé le stade d'habitude ou de routine. Il était devenu une véritable part d'elle, un fragment intégrant de son identité.
« On dirait que vous avez fait mouche en tombant sur ce village, lui répondit aussitôt son interlocuteur avec un sourire au coin des lèvres. Si vous continuez de remonter l'allée jusqu'à la colline, vous verrez une rangée d'habitations. Au bout de celle-ci, vous trouverez une maison où un forgeron fait refroidir le fer qu'il travaille sur sa terrasse. Si vous pouvez apporter de l'aide à sa femme, il vous logera sans hésitation.
— Qu'a donc cette femme ?
— Elle est enceinte. »
Mugon grimaça un peu. Elle avait du mal à saisir le problème posé ici. L'homme en noir sourit à sa réaction.
« Je ne connais pas bien les détails, mais apparemment, tel est le problème : elle est enceinte, continua l'homme. Je ne sais pas si les services d'une simple apothicaire seront suffisants, mais vous ne perdez rien à y aller, n'est-ce pas ? »
Mugon détourna un peu le regard à l'annonce des faits. Tout cela lui paraissait plutôt étrange, mais ce n'était pas très important. Dans tous les cas, elle savait à présent où se rendre et qui traiter.
« Bien. Je vais me diriger là-bas dans l'espoir d'aider cette femme. Merci beaucoup pour votre aide. »
L'inconnu se contenta de lui faire un signe d'au-revoir et de la regarder s'éloigner, pas à pas, accompagné par le cliquètement de ses getas contre le sol.
« Allez donc, ma bonne amie, murmura-t-il sans que Mugon ne puisse l'entendre. Du travail vous attend. »
⁂
Après quelques instants, elle parvint à la colline qui lui avait parue si lointaine depuis le quartier marchand. Elle n'avait pas profité de son chemin pour remettre en question l'étrange personnage qui l'avait guidée jusqu'à son prochain travail. Elle en avait croisé dans sa vie, des énergumènes. Et celui-là n'était pas aussi étrange que d'autres. Peut-être souffrait-il lui-même d'une maladie pour voiler ainsi son visage. Mais si cela avait été le cas, Mugon aurait dû le sentir, avec la même habileté qui lui avait permis de savoir que cette ville contenait un malade. Elle n'en avait perçu qu'un, pas deux — peut-être alors que cet homme n'aimait pas le soleil... Bon nombre d'hypothèses pouvaient être émises, et elles n'intéressaient pas l'apothicaire.
Elle vit bientôt se dessiner devant elle les ruelles d'habitations, telles qu'elles avaient été décrites par son guide improvisé. Et en même temps qu'elle pénétrait ces lieux bien plus calmes que le marché d'en bas, elle se rapprocha aussi d'un bruit répété de cliquètement de métal propre aux forges. Le son lui parut comme un rythme régulier et agréable, et elle en profita le temps de s'en rapprocher. Enfin, elle put apercevoir le bout de la ruelle, et avec celle-ci, la fameuse terrasse sur laquelle on pouvait voir divers outils en métal en train de refroidir et de sécher.
Le temps que Mugon se place devant, un homme aux yeux cernés de fatigue et à la coiffure courte et négligée débarqua brusquement depuis son atelier. Il tenait à la main une lame qu'il venait de tailler et qu'il accrocha afin de la faire refroidir. Il essuya son front ruisselant de sueur et attrapa une gourde d'eau accrochée à sa taille afin de se réhydrater. Il lui fallut du temps pour remarquer la femme maquillée qui se tenait devant sa demeure, et il sursauta lorsqu'il la vit enfin.
« Bonjour Monsieur, dit Mugon en s'avançant encore vers l'homme afin de créer un dialogue. Je suis une apothicaire errante qui vend ses services pour de l'hospitalité. J'ai rejoint ce village, et un homme m'a envoyée chez vous, disant que votre femme souffrait d'une condition quelque peu étrange. Je suis donc venu dans le but de l'aider. »
Le forgeron se gratta le menton face à l'annonce de l'inconnue, puis il baissa les yeux d'un air gêné.
« À vrai dire... Je ne sais pas si un apothicaire peut lui venir en aide, hélas.
— Vous ne pourrez le savoir qu'une fois que vous m'aurez décrit le problème. S'il me reste une chance d'aider votre femme, j'aimerais le savoir, insista Mugon. Et je suppose que vous aussi souhaitez la voir guérir. »
L'homme se mordit la lèvre et hésita un instant. L'apothicaire s'impatienta. Qu'avait-il donc à cacher ? Même si la maladie était gênante, elle ne méritait sans doute pas d'en faire autant.
« Je vous prie de m'excuser un instant. Je vais lui demander si elle souhaite recevoir votre visite. Puis je vous expliquerai de quoi il en retourne. Ça vous convient ? »
Mugon hocha brièvement la tête et suivit du regard l'homme qui disparut aussitôt dans sa maison. Elle attendit calmement son retour, en profitant pour admirer les outils tout juste forgés. Le temps qu'il lui fallut pour contempler les détails du travail du jeune homme fut suffisant pour lui permettre de patienter jusqu'à ce qu'il revienne. Soudain, sa tête ressortit de la porte coulissante qui restait grande ouverte sur sa forge, et il fit un geste du bras pour que Mugon le suive à l'intérieur.
Ils traversèrent l'atelier du mari, puis arrivèrent dans une grande pièce principale, de laquelle on pouvait sentir le doux parfum d'un plat en train de mijoter. Tous deux se déchaussèrent aussitôt, se débarrassant de leurs sandales respectives pour ne pas abîmer les tatamis. À en juger par la table basse située au centre et les petits coussins autour, c'était sans doute ici que la famille partageait ses repas. Deux larges portes en paille de riz se faisaient face — l'une d'entre elle était légèrement entrouverte et semblait mener à un couloir qui abritait sûrement les chambres à coucher, et de l'autre provenait l'odeur du plat en train d'être cuisiné.
« Ma femme est en train de préparer le dîner, dit enfin l'homme. Vous le partagerez avec nous. Nous allons donc vous loger le temps de votre séjour ici. Même si vous ne pouvez rien pour ma femme, il doit bien se trouver quelques malades en ville qui apprécieront grandement votre aide. »
Il invita Mugon à s'asseoir à la table, puis partit chercher du thé et des verres dans la pièce de droite. Il revint aussitôt et en servit à son invitée ainsi qu'à lui-même.
« Je ne me suis pas présenté, reprit-il. Mon nom est Sato Genkishi
1. Et vous ?
— Je me prénomme Mugon, » lui répondit l'apothicaire après avoir avalé une gorgée de thé chaud.
Genkishi marqua une pause le temps de boire un peu lui aussi, puis reprit la parole.
« Ma femme Anko et moi avons emménagé ici après notre mariage, ce qui remonte déjà à quelques années. Si notre demeure est aussi grande, c'est parce que nous voulions qu'elle puisse accueillir nos futurs enfants sans mal. Seulement, pendant longtemps, Anko n'arrivait pas à tomber enceinte. Il n'y avait rien à faire, et l'herboriste de notre village n'avait rien à nous proposer en guise de traitement. Nous en étions même venus à penser qu'elle était sans doute stérile, ce qui nous causa une grande peine... Nous ne savions vraiment pas quoi faire. Mais surtout, elle souffrait de ne pas pouvoir tomber enceinte. Elle voulait vraiment avoir des enfants. »
Mugon l'écouta calmement en sirotant son thé, attendant qu'il en vienne aux faits. Seulement, plus son récit avançait, plus il semblait balbutier tant il avait du mal à trouver ses mots.
« Eh bien... Elle a enfin réussi à tomber enceinte cette année, reprit-il. Et aussi à donner naissance. Le problème, c'est... qu'elle est toujours enceinte.
— Elle a donné naissance mais est restée enceinte ? demanda Mugon, visiblement intriguée.
— On peut dire ça comme ça. Elle a donné naissance, puis aussitôt, une autre grossesse est survenue. Dit ainsi, ça peut paraître naturel. Seulement, c'est arrivé trois fois de suite cette année. »
Mugon écarquilla les yeux et s'arrêta net. Elle fixa le forgeron, interloquée, incapable de placer une quelconque réponse.
« L'automne est presque fini, et c'est la quatrième grossesse que fait ma femme en cette année. Les trois enfants précédents sont nés sans difficulté apparente. Alors, forcément, il y a le fait que les grossesses s'enchaînent et qu'à force, ça risque de nuire à la santé d'Anko. Mais il y a aussi le fait que ces enfants... »
Il marqua une pause dans ses paroles, baissant les yeux d'un air presque gêné.
« Je les aime, évidemment que je les aime. Et je suis heureux d'être père. Mais je ne peux qu'avouer qu'il y a quelque chose qui ne va pas avec ces enfants. Mais ça, vous le remarquerez quand vous les verrez, je pense... »
L'apothicaire n'avait rien à ajouter au sujet des enfants, du moins pas tant qu'elle n'en saurait pas plus. En revanche, le problème des grossesses la troublait vraiment. Elle réfléchissait déjà à comment il lui serait possible de traiter la jeune femme. Son regard se posa sur la bague de jade qui ornait son pouce gauche, qui avait la forme d'un ongle affiné et pointu. Elle resta ainsi pendant quelques instants, perdue dans ses pensées à la recherche d'une solution.
« Je pense pouvoir aider votre femme, dit-elle enfin après avoir médité le problème. Je crois avoir une petite idée du mal qui la ronge. Je m'y prendrai avec un traitement à base d'herbes, et je devrais déjà avoir en ma possession toutes celles dont j'ai besoin. »
À peine eut-elle fini sa phrase que le visage de Genkishi lui parut s'illuminer de bonheur. Ses yeux étaient marqués d'une joie sincère tandis qu'un sourire se dessina sur ses fines lèvres.
« Si vous arrivez vraiment à guérir ma femme, je ne pourrai jamais assez vous remercier...
— Ce ne sont pas des remerciements que je désire, lui répondit Mugon d'une voix calme et bienveillante. Ce que je souhaite vraiment, c'est qu'Anko-san
2 se rétablisse pleinement. »
Elle ôta sa caisse en bois de son dos, et l'ouvrit afin de chercher dans ses nombreux compartiments ce dont elle avait besoin. Elle en attrapa quelques herbes ainsi qu'un petit bol pour les broyer.
« Je vais immédiatement me mettre à l’œuvre, et je devrais avoir de quoi lui procurer son premier breuvage d'ici demain matin au plus tard. Le traitement risque de durer quelque temps, mais je pense qu'il sera efficace.
— Merci du fond du cœur, Mugon-san, lui répondit aussitôt le mari enjoué à l'idée de savoir que sa femme pouvait être aidée. Je vais vous laisser travailler. Ce soir, nous souperons tous ensemble. Je vous laisserai alors expliquer à Anko en quoi consiste le traitement que vous avez prévu pour elle. Sur ce, je vais retourner à ma forge... »
La femme maquillée lui répondit d'un hochement de tête, puis Genkishi prit le plateau avec les tasses et la théière, les déposa dans la pièce voisine, puis retourna travailler, un sourire heureux collé sur son visage.
⁂
L'après-midi passa en un éclair, et la nuit arriva en recouvrant le village. Les commerces cessèrent leurs activités, les passants s'infiltrèrent dans des restaurants ou bien directement chez eux, et les rues se firent de plus en plus silencieuses. Le ciel, déjà couvert de gris depuis le début de la journée, s'était obscurci avec une vitesse déconcertante, et avait conservé ses nuages opaques qui ne laissaient pas même une étoile briller. Mugon avait passé ce temps dans le calme le plus absolu, et avait broyé ses herbes avec soin. Le produit n'était autre qu'une bouillie sombre et épaisse, un peu visqueuse, prête à être diluée dans de l'eau. En plus de ce breuvage à ingurgiter, l'apothicaire avait prévu quelques séances d’acupuncture pour la jeune femme. Elle n'avait jamais eu affaire à un phénomène de cette sorte, mais elle était confiante. Tant que sa bague serait avec elle, cet
étrange démon ne pourrait pas lui résister.
Le forgeron revint dans la salle, exténué après sa journée chargée de travail. Derrière lui, deux ombres semblaient se dissimuler tant bien que mal dans son dos, tirant un peu sur les bouts de son kimono. Comme lors de leur première rencontre, il sembla qu'il lui fallait un peu de temps avant de remarquer Mugon à genoux à côté de sa caisse en bois, un large morceau de tissu étalé devant elle pour ne pas tacher les tatamis en travaillant. Elle était encore en train de remuer légèrement le contenu du bol, et avait l'air intriguée par ce qui semblait se cacher derrière son hôte.
« Allez les enfants, ne soyez pas timides ! dit Genkishi en jetant un coup d’œil aux ombres derrière lui. Mugon-san va rester chez nous quelques jours. Alors soyez polis ! »
Il se gratta la nuque, visiblement embarrassé, puis s'inclina en une légère révérence à son invité.
« Je vous prie de m'excuser, Mugon-san... Quand ils sont rentrés de l'école et que je leur ai dit qu'il y avait une invitée, ils ont décidé de passer l'après-midi dans la forge avec moi. Ils sont plutôt timides...
— Aucun souci à vous faire, répondit l'apothicaire en arrêtant de malaxer son produit. La plupart des enfants ont tendance à passer par une période de timidité. »
Elle avait tenté de réagir aussi naturellement que possible au fait que ces enfants soient
rentrés de l'école. Ils avaient moins d'un an, et pourtant ils étaient allés et venus des cours du village, sans que personne n'ait à les y déposer. Et puis même s'il s'était agi d'une garderie, Genkishi n'aurait pas eu à leur parler ainsi. Elle avait beau avoir été avertie que
quelque chose n'allait pas à leur sujet, voilà qui dépassait ses attentes.
Le forgeron s'en alla dans la pièce voisine chercher sa femme, dévoilant alors les deux silhouettes qui étaient restées cachées dans son dos jusqu'alors. Mugon resta impassible au phénomène qu'elle avait sous les yeux tandis que la plupart des gens auraient manifesté un certain choc. Il faut dire que ces deux petites paires d'yeux enfantines avaient quelque chose de troublant, à fixer l'invité comme s'il s'agissait pour eux d'une peste noire. Ils semblaient non seulement timides, mais aussi pris de peur. L'apothicaire, quant à elle, se contentait de dévisager
l'unique être qui était sous ses yeux.
Mononoke, te voici donc... C'est un aspect bien original que tu auras choisi cette fois.
Sous ses yeux impassibles se tenaient deux enfants, le premier arborant un physique avoisinant la dizaine ou la douzaine d'années, et le second semblant en avoir sept ou huit. Physiquement, ils étaient exactement similaires, l'un se contentant d'être plus jeune que l'autre. Leur visage était formé de deux grandes joues rondes reliées en un petit menton. Au-dessus de celui-ci se situaient de fines lèvres, surplombées par une gouttière peu marquée et un nez en trompette. De grands yeux d'enfant scrutaient l'apothicaire de leur sombre couleur vermeille, et des sourcils épatés et épars n'arrivaient pas à en transcrire les sentiments. Une chevelure légèrement bouclée et coupée court recouvrait leurs crânes respectifs, et paraissait particulièrement singulière par le fait qu'elle était presque rousse. Leur peau avait une teinte étrange, d'une couleur chaude sans pour autant paraître bronzée. Sous leurs petits kimonos verts se dissimulait une ossature sans doute très fine et un corps particulièrement maigre pour des enfants. La seule chose qui les distinguait vraiment l'un de l'autre était sans doute leur taille — l'aîné faisait quelques centimètres de plus que le cadet. Et c'était leur unique différence.
Bientôt, Genkishi revint avec un plateau qui portait une partie du repas, et sa femme le suivit dans sa marche avec les bols manquants, tous déjà remplis de nourriture. Un petit enfant haut comme trois pommes venait clore le cortège, tenant entre ses mains une carafe d'eau comme s'il s'agissait d'un trésor précieux. Mugon se leva pour saluer sa future patiente, qui la salua à son tour et la remercia pour s'occuper d'elle. C'était là une femme que l'apothicaire ne pouvait trouver que belle, tant ses traits étaient fins et sa peau lui parut pâle. Ses longs cheveux raides caressaient ses épaules avec une grâce similaire à celle qu'ont des pétales de fleur. Et son visage ne paraissait plus aussi jeune qu'il devait l'être, marqué par quelques traits signifiant la sagesse d'une mère. Seulement, il y avait une chose qu'elle se retint de méditer : le fait qu'elle ou son mari ne possédaient pas une seule ressemblance avec leurs enfants.
Le repas prit place et les discussions habituelles de la famille débutèrent. Mugon se contenta d'écouter, mâchant ses aliments longuement et calmement. Elle semblait presque invisible tant il était impossible de la remarquer. Parfois, Anko ou Genkishi lui adressaient une remarque ou un remerciement de plus, ce à quoi elle répondait d'un hochement de tête ou par quelques mots brefs. Lorsqu'elle n'avait pas le regard perdu dans son assiette, elle jetait un coup d’œil furtif à l'un des enfants. Et à chaque fois qu'elle le fit, il lui sembla que ces derniers la fixaient déjà intensément depuis le début du repas.
Le dîner se conclut dans un calme reposant et agréable. Les enfants aidèrent leurs parents à rapporter les bols, verres et baguettes dans la pièce voisine. Puis, après avoir ri à quelques taquineries de leur père, ils disparurent tous les trois dans le couloir, regagnant leur chambre commune. Mugon n'avait pas bougé durant tout le long de cette petite cérémonie, attendant tranquillement le retour des parents. Lorsqu'ils furent sûrs que les enfants s'étaient tous les trois endormis, ils retournèrent s'asseoir autour de la table pour parler un peu avec l'apothicaire.
« Je ne saurais vous exprimer ma gratitude, Mugon-san, lui déclara aussitôt Anko d'une voix sincère. Aussi, maintenant que mes fils sont partis se coucher, j'aimerais savoir en quoi consistera le traitement.
— Trois fois rien par rapport aux grossesses continues que vous avez supportées, répondit aussitôt l'apothicaire. Je vous ai préparé un remède à base d'herbes. Vous le diluerez dans un verre d'eau chaude et en boirez le tout une fois par jour jusqu'à ce qu'il n'en reste plus. Avec cela, nous ferons une séance d'acupuncture tous les jours pendant une semaine. Après quoi votre grossesse actuelle devrait prendre fin.
— Est-ce que ce mal a une cause particulière, ou un nom ? questionna le mari. Il faut dire que je n'en avais jamais entendu parler, et pourtant ma mère était acupunctrice...
— Il n'a pas de nom à ma connaissance, lui répondit Mugon. Personnellement, il entre dans la catégorie de ce que j'aime appeler
mononoke. Quant à sa cause, elle est similaire à celle d'un parasite. »
Lorsqu'elle prononça ce mot, le visage d'Anko se tordit de colère. Elle apaisa rapidement cette grimace soudaine, puis se tourna entièrement vers son invité.
« Je vous interdis d'utiliser ce mot. Mes enfants ne sont pas des parasites. Je sais que vous les avez regardés en vous disant qu'ils se ressemblaient tous et qu'ils avaient grandi trop vite pour leurs âges respectifs. Mais ce sont mes enfants et je les aime comme toute mère se doit d'aimer ses fils. Et si votre traitement doit affecter leur santé ou leur bien-être d'une quelconque façon, je refuse de m'y prêter. »
Mugon s'était attendue à cette réaction depuis qu'elle avait commencé à broyer ses herbes pour préparer le remède de la jeune femme. Et c'est avec un calme de soldat qu'elle y fit face.
« Je n'ai rien à redire à cela. Je ne toucherai pas vos enfants, ne serait-ce que du bout d'un cheveu. Le traitement vous est destiné à vous, et à personne d'autre. »
Anko parut aussitôt soulagée. Quant à son mari, il semblait ne rien dire, laissant à sa femme le choix de s'exprimer comme elle le désirait, puisqu'après tout c'était elle la première concernée par le traitement.
« Et moi-même je n'ai rien à ajouter, répondit-elle en souriant. Cela me convient parfaitement. Sur ce, je vais vous mener à votre chambre, Mugon-san. Je vous prie de me suivre. »
Elle se leva en même temps que son invitée, et ils disparurent l'un après l'autre dans le couloir, laissant un Genkishi pensif assis devant la table.
⁂
Une semaine et demie s'écoula, rythmée par des séances d'acupuncture et des tasses de médicament à ingurgiter. Son goût âpre était infect, aussi bien pour la jeune mère que pour la chose qui la parasitait. Enfin, au bout du traitement, elle vécut un avortement inattendu, lui faisant perdre l'enfant qu'elle tenait en son sein. En réalité, il s'agissait plutôt d'un accouchement duquel aucun nouveau-né ne vit le jour. Il n'y eut que du sang et un petit caillou aux couleurs chaudes, que Mugon tâcha de récupérer sans que personne n'y fasse attention. Il s'agissait de la source même de l'être qu'elle chassait, et maintenant qu'il en était réduit à cette forme, il était hors d'état de nuire à Anko.
Encore quelques jours passèrent et la jeune mère sentit ses forces lui revenir, elle qui avait été si fatiguée par ses nombreuses grossesses en une année. Son mari et elle-même passèrent des heures entières à remercier Mugon pour ses soins et lui proposèrent de rester autant qu'elle le désirait. Elle les remercia de leur hospitalité et accepta leur offre, ce qui lui permit de passer quelques journées à s'occuper de divers malades dans le village. Aucun ne semblait avoir quelque chose de grave, et leurs infections n'avaient plus de secrets pour ses longues années de pratique.
Lorsqu'Anko se sentit complètement rétablie, son visage s'illumina d'une jeunesse nouvelle. Elle était à présent guérie et heureuse de pouvoir s'occuper de ses enfants. Après une année entière passée à la maison dans une routine de maux de ventre et de tête, elle put se permettre de revoir les ruelles et les quartiers marchands pour la première fois. Son mari l'accompagna pour profiter de son bonheur, laissant l'apothicaire en qui ils avaient désormais pleinement confiance rester avec leurs enfants en ce jour de repos. Mugon accepta, promettant de leur préparer un repas pour leur retour.
Une fois le couple parti, elle s'occupa à éplucher les légumes dont elle aurait besoin pour la soupe du dîner. Les enfants qui jouaient dans la pièce principale la regardaient parfois, comme si c'étaient eux qui la surveillaient plutôt que l'inverse. Puis, l'aîné s'approcha de l'apothicaire et la dévisagea d'un regard étrange, bien trop adulte pour son âge.
« Tu as tué notre frère... »
Mugon ne se retourna pas et resta silencieuse pendant un certain temps, continuant d'éplucher ses légumes avec soin. Elle sentait sur son dos le regard pesant de l'enfant, mais attendait qu'il dise quelque chose de plus sensé pour lui répondre.
« Tu vas nous faire du mal ? »
Elle se figea à cette interrogation, et daigna enfin regarder le gamin.
« Si je vous voulais du mal, j'aurais déjà pris les mesures nécessaires pour vous en faire, non ? lui répondit-elle comme s'il s'agissait d'une évidence.
— On ne peut plus causer de problèmes. Laisse-nous tranquilles... »
Mugon posa le couteau et la carotte qu'elle venait de finir d'éplucher, puis accorda toute son attention à l'enfant.
« Sitôt que je serai partie, cette femme sera de nouveau enceinte. Alors pour te répondre : si, vous pouvez encore causer des problèmes.
— Tu vas tuer notre mère ?
— N'importe quelle femme ferait votre affaire. Ce n'est pas une
mère à proprement parler pour vous. C'est un
œuf à féconder. En retour, elle vous aime vraiment comme si vous étiez ses fils. Je pense qu'on peut juger la situation comme étant plutôt malsaine, n'est-ce pas ? »
L'enfant recula et fronça les sourcils. Les propos de Mugon avaient semblé le dégouter un peu — pas pour ce qu'ils étaient, mais parce que le fait de les entendre sous forme de mots lui déplaisait particulièrement.
« Tu ne nous auras jamais ! »
Mugon jeta ses yeux limpides comme du cristal sur le garçon apeuré. Depuis l’entrebâillement de la porte coulissante, elle pouvait voir ses deux frères en train de jouer, sans donner l'impression d'écouter. Pourtant, elle savait très bien qu'ils entendaient la conversation : ce que l'un d'entre eux voyait ou entendait, tous le percevaient également.
« Les mesures nécessaires pour vous tuer que je t'ai mentionnées... Et si je les avais déjà prises ? »
L'enfant n'attendit pas la fin de la question de Mugon pour déguerpir en courant et chercher à s'enfuir par la porte d'entrée. Avec une synchronisation parfaite, ses deux frères firent de même, courant aussi vite que leurs jambes plus courtes le leur permettaient. Mais aussitôt qu'ils eurent franchi la cloison de papier, ils se retrouvèrent dans une autre salle de la maison. Sans réfléchir, ils continuèrent à courir, traversant ainsi une multitude de chambres, perdus dans un labyrinthe monté de toutes pièces à leur égard. Dans leur course effrénée, ils se perdirent de vue et se retrouvèrent bien vite isolés dans le fouillis des murs qui défilaient devant eux.
Mugon écouta le bruit de leurs pas affolés dans le calme le plus total. Elle plaça tous ses légumes dans de l'eau et se dit qu'il n'y aurait plus qu'à faire chauffer le tout pour que le couple puisse apprécier le dîner. Elle recouvrit la marmite avec le petit couvercle qui lui était destiné, puis se leva tranquillement, attrapa sa caisse en bois et traversa la pièce principale. À l'entrée se trouvaient encore ses getas, qu'elle n'avait chaussées que pour parcourir le village et aller aux bains depuis le début de son séjour. Elle les mit à ses pieds et passa la porte qui était censée mener à l'entrée de la maison. À la place, elle se retrouva dans une pièce rectangulaire, plutôt étroite, et se situa en son milieu. Lorsque l'un des marmots viendrait en courant vers elle, elle n'aurait qu'à lui enfoncer sa bague dans la gorge, et il en serait fini de sa misérable existence. Elle jeta un regard vers son bijou et le prépara à être pointé pour tuer. Sans lui, la procédure aurait été bien plus compliquée — mais puisqu'il était destiné à l'extermination des mononoke, autant en abuser. Et créer un labyrinthe de la sorte à partir d'une maison ou d'une forêt était un véritable jeu d'enfant pour elle.
Après quelque temps d'attente avec pour seule musique les cris des enfants qui ne savaient pas où ils étaient, elle en vit enfin un apparaître devant elle. C'était le plus jeune, dont le visage était recouvert de larmes. Lorsque son regard croisa Mugon dans les dédales qu'il parcourait, il manqua de s'uriner dessus, et fit un demi-tour brusque pour repartir dans la direction inverse. L'apothicaire, d'un geste rapide, attrapa son kimono de sa main droite, et le tira vers elle d'un mouvement sec. L'enfant hurla dans sa détresse, mais son cri prit fin lorsque la bague de jade de la jeune femme vint loger sa pointe aiguisée dans sa carotide. Lorsqu'elle fut sûre que suffisamment de sang s'était écoulé de la gorge de l'enfant, elle laissa retomber son cadavre sur les tatamis et sortit un mouchoir de son kimono pour essuyer le sang qui avait éclaboussé ses vêtements. Malheureusement, certaines taches ne seraient pas possibles à enlever. Voilà qui lui déplaisait beaucoup, attachée comme elle l'était à son kimono. Tant pis, elle trouverait bien un moyen de s'en procurer un nouveau, même s'il lui serait difficile d'en trouver un qui soit aussi beau.
Elle changea de pièce pour ne pas avoir à rester à côté du corps inerte et de la mare de sang qui l'entourait. Puis elle se posa tranquillement dans un des coins de cette nouvelle chambre et attendit patiemment qu'un autre des deux enfants restants se jette dans la gueule du loup. Elle ne tarda pas à voir l'aîné arriver en courant, couvert de sueur et terrifié à l'idée de faire face à la mort comme son frère cadet. Mugon ne perdit pas un instant et se jeta sur lui avant qu'il n'ait le temps de réagir, attrapant fermement son cou. Le gamin se débattit férocement en gigotant dans tous les sens et en essayant de frapper son agresseuse, mais une pression mortelle empêcha sa trachée de laisser passer de l'air, et il se mit rapidement à suffoquer. L'apothicaire, déjà lassée des grimaces qui défiguraient l'enfant, mit fin à ses jours en enfonçant à nouveau sa bague dans l'artère de ce dernier, et la retira rapidement afin de laisser l'hémoglobine s'écouler de la plaie. Elle ne se releva que lorsque le garçon ne donna plus aucun signe de vie.
Son vêtement s'en retrouva davantage sali, cette fois-ci surtout au niveau des jambes. Elle ne put s'empêcher d'exprimer sur son visage un sentiment de dégoût à la vue du sang qui était venu abîmer son truculent kimono auquel elle attachait beaucoup d'importance. Cette fois-ci, il n'y avait plus rien à faire, elle devrait s'en débarrasser pour de bon. Tel serait le prix à payer pour un mononoke coriace comme celui-ci. Car en effet, c'était la première fois qu'elle faisait face à un ennemi qui avait non seulement une apparence intégralement humaine, mais qui menaçait de se propager aussi dangereusement.
Elle prêta attention au silence anormal qui s'était installé. Le dernier garçon avait cessé de courir. Soit il était fatigué, soit il espérait que Mugon se perde dans son propre labyrinthe. Dans tous les cas, sa situation lui était fortement défavorable, et il ne tarderait pas à se prendre lui aussi un coup de bague dans la gorge. L'apothicaire ne put s'empêcher de sourire au triomphe qui lui tombait déjà sur les bras. Elle était maître de ces dédales : elle n'avait plus qu'à traverser les pièces qu'elle avait simulées une à une, et elle tomberait bien sur l'enfant désœuvré.
Elle avança calmement, tentant de minimiser le bruit de ses pas, et traversa la pièce pour rejoindre la suivante. Mais elle s'arrêta net sur son chemin. Ce n'était pas l'enfant qu'elle avait sous les yeux, mais un homme qu'elle avait déjà vu quelque part. Sa mémoire se brouilla soudain et tout son corps cessa de fonctionner. Qui était cet homme ?
« Ne vous souvenez-vous pas de moi ? L'amie, sans moi, vous ne seriez pas ici ! »
L'homme encapuchonné qui l'avait mené jusqu'à cette demeure. Voilà qui se trouvait devant elle avec une soudaineté déconcertante. Personne n'était censé pouvoir entrer à l'intérieur du labyrinthe que Mugon avait réservé au mononoke. Mais il n'y avait pas que ça — il y avait aussi le fait que la présence de cet homme en imposait par elle-même. C'était comme si la pression de l'air venait de monter avec une rapidité prodigieuse, étouffant presque l'apothicaire.
Tuer l'enfant et sortir d'ici. Vite.Telles furent les seules pensées que réussit à formuler Mugon dans sa tête.
L'apothicaire fit une volte-face brusque et retourna dans la pièce d'où elle venait. Sans jeter un œil derrière elle, elle sentait le regard de l'homme peser comme une pierre sur son dos. Elle traversa les deux chambres décorées de cadavres au sol, et courut en laissant défiler autour d'elle son labyrinthe. Où s'était caché ce sale gosse ?
« Oh, prenez votre temps, lui dit la voix de l'homme en noir comme s'il était à côté d'elle. Si vous pouviez m'éviter d'avoir à me débarrasser de ce cruel mononoke moi-même, vous me seriez bien utile. »
Mugon grimaça de dégoût à ces paroles. Qui était donc vraiment ce personnage ? Était-il de la même
espèce qu'elle, quelqu'un qui s'est résigné à chasser des démons pour exorciser son infâme existence ? Alors que des questions et leurs possibles réponses fusaient dans sa tête, elle retrouva enfin l'enfant, complètement abattu et épuisé dans un recoin d'une chambre.
« J'ai arrêté de courir parce que je l'ai vu... Toi aussi tu l'as vu... » balbutia le petit roux.
Mugon s'approcha du garçon. Ce dernier n'opposa aucune résistance lorsqu'elle porta sa main gauche à sa gorge. Il eut tout juste le temps de reprendre la parole.
« Il nous en voulait parce que nous étions forts... Mais toi, il t'en veut encore plus. Parce que tu es plus forte... »
L'apothicaire mit fin à ses délires en enfonçant sèchement sa bague au même endroit que pour ses deux frères. Elle patienta un instant, puis se releva brusquement et passa la porte. Elle s'y attendait évidemment — l'homme était en face d'elle.
« Qui diable es-tu ? hurla Mugon.
— Je suis la Fatalité qui mettra fin à tes jours, la Réponse aux questions que ta futile liberté te permet de te poser. Je fais partie des Entités qui régissent ce monde, et je ne laisserai pas ma Terre être souillée par ta présence. Tu n'es qu'une part infime de cet être que j'ai jadis envoyé au noyau, et tu le sais. Si je suis ici aujourd'hui, c'est pour te réduire à néant. »
Ce qu'elle avait toujours craint était enfin sous ses yeux. Une Entité, un être pouvant détruire et créer aussi facilement qu'en claquant des doigts. La puissance infinie de cet être expliquait aussi pourquoi il n'avait eu aucun mal à s'incruster dans le labyrinthe créé par l'apothicaire et pourquoi il en avait compris la structure dès qu'il avait mis le pied dedans. Les faits avaient beau être impressionnants, Mugon n'avait pas la possibilité d'être émerveillée. Sa vie dépendait du prochain geste de cet homme, et elle s'attendait évidemment à ce que celui-ci lui soit fatal. Elle resta figé de terreur pendant un certain temps, ne sachant que dire ou faire, incapable de trouver une solution à sa situation désespérée. Elle avait sous ses yeux l'un de ces êtres qui régissait le monde, ce que les humains auraient appelé avec admiration « Dieu ». Mais elle ne pouvait ni le vénérer ni l'adorer. Il ne pouvait que le haïr et le maudire.
« Ne t'en fais pas, Mugon. L'enfer que tu vis est sur le point de prendre fin. Tu n'étais pas sensée exister. Je te renverrai au néant d'où tu viens. »
L'apothicaire n'eut pas le courage d'entendre la fin de la phrase de l'Entité. Elle tourna brusquement les talons et s'enfuit en courant, tordant son labyrinthe pour créer une sortie aussitôt. Retournée dans la ruelle du quartier d'habitations, elle déguerpit avec toute la force que ses jambes avaient, poussées par un stress inégalable. Pas une seule fois elle n'eut le courage de regarder derrière elle pour voir si elle avait été suivi, que ce soit par le Dieu ou par un passant qui aurait vu ses vêtements tachés de sang. Elle s'enfonça avec hâte dans la forêt sur la colline et continua de courir sans se soucier d'où elle allait.
Mais ce ne fut pas dans son dos que vint la surprendre son bourreau. Ce fut juste devant son nez que l'homme en noir réapparut, attrapant le beau visage maquillé de sa victime dans sa main droite, tirant fermement sur son menton. Ce simple geste fut suffisant pour pétrifier l'apothicaire, qui sentait progressivement son corps s'alourdir, comme si elle était soudain devenu un rocher de plusieurs milliers de kilos.
« Allons allons... Ce n'est pas dans mes habitudes de faire souffrir les malchanceuses de ton genre. Je vous réserve à tous un sort indolore. Ne t'en fais pas. »
Les yeux de Mugon furent clos par une force qui n'était pas la sienne, et un sentiment d'étouffement s'éprit de son rythme respiratoire déjà accéléré par sa peur. Bientôt, elle sentit un engourdissement attaquer chacun de ses muscles, y compris son cœur. Mais, étrangement, comme l'avait décrit la Fatalité, elle ne ressentit aucune douleur.
Notes & lexique :* — Le
fukai est un masque propre au théâtre no japonais. Il symbolise une mère en peine ou bien une femme éprouvée par la vie.
1 — Comme le veut le format japonais, le nom de famille est situé devant le prénom.
2 — Le suffixe
-san est une marque de respect en japonais. On peut le comparer à la coutume occidentale de mettre
Monsieur ou
Madame devant le nom.