Pour des raisons qui m'échappent, j'ai acheté
OoT 3D sur un coup de tête et j'ai fait toute une partie sans aucun usage d'Internet. Avec 15 cœurs et 63 Skulltulas d'or, je suis loin d'avoir tout débloqué (j'ai pas retrouvé les upgrades de bombes ni la deuxième du carquois, j'ai zappé le gymnase Gerudo et quelques autres trucs comme la pêche) mais ça m'a surtout permis de l'apprécier d'un autre œil.
En suis-je arrivé à la conclusion, comme certains le disent ici, que le jeu est affreusement surcoté et qu'il n'a pas survécu au temps qui passe ? Ma réponse, personnelle et subjective, est plus nuancée. Sur son ambition centrale, non,
OoT n'est pas surcoté, et il ne le sera jamais. Il est même plutôt desservi par la mouture 3DS. Sur tout le reste, c'est pas qu'il est surcoté. C'est que pendant des années, on a évalué l'intelligence d'un poisson à sa capacité à grimper aux arbres.
Reprenons-nous. Comme l'a mentionné Cap et quelques autres, nombreux sont les joueurs qui entendent parler de
OoT comme du jeu ultime, le 21/20 de Big N, l'apothéose du jeu d'action/aventure, l’œuvre hors du temps par excellence. Le bébé accouché d'une gestation de 4 ans de travail acharné, le renouveau de
Zelda, l'entrée dans un nouvel âge du gaming. Bercés par cette douce mélopée venant de joueurs qui ont découvert avec ce titre les jeux en 3D, voire le jeu vidéo tout court, ils n'attendent rien de moins du titre que la perfection absolue. Or, c'est là la première erreur, répondez à cette question :
à votre humble avis, Ocarina of Time avait-il l'ambition d'être la perfection absolue ? Pour ma part, je répondrai non ! Il n'avait clairement pas cette intention. Il n'y a qu'en maths que le produit de deux négatifs est un positif. Dès lors, juger le jeu du fait qu'il n'est pas ce qu'il ne souhaitait pas être, c'est intellectuellement malhonnête.
« Mais alors, l'intention réelle de Ocarina of Time, peux-tu donc nous l'apprendre, à nous, pauvres médiocres auto-convaincus d'incarner l'élite du haut de nos superlatifs intempestifs, ô parfait connard à nom d'animal bouffi de ton goût immodéré pour l'iconoclastie narquoise ? »Bien sûr que non. C'est précisément parce que je n'en ai aucune idée que je me suis permis de juger des générations de joueurs dans un paragraphe qui empeste la condescendance du mec qui se persuade que la première chose à faire pour tout comprendre, c'est de partir du principe que les autres n'ont rien compris. Ou alors, peut-être que si, j'en ai une idée, mais je tenais à glisser une carotte au préalable.
Bref, trêve de plaisanteries douteuses qui risquent de trigger la choquance de la médiocrité, l'intention centrale de
Ocarina of Time, elle n'est pas d'être la nouvelle référence du worldbuilding, ni du scénario, ni de la narration, ni de la musique, ni de la difficulté. Une fois tout ça évacué d'une chasse d'eau bien violente, forcément, il ne reste plus au jeu de quoi prétendre être la perfection absolue. On peut même se demander ce qui lui reste pour défendre son bifteck, et j'vais te l'dire, ô lecteur qui n'a décidément pas mieux à foutre de ta vie que de lire les élucubrations d'un homme simple passionné de jeu vidéo.
Par élimination autant que par déduction, en remettant le jeu dans le contexte de sa sortie et dans la série à laquelle il appartient,
l'ambition première et dernière d'Ocarina of Time, c'est d'être un monument du game design instinctif.Partons du principe, comme certains ici l'ont mentionné, que ce jeu est l'un des premiers à vouloir populariser la 3D, exercice casse-gueule s'il en est. La bonne approche, c'est forcément de tout reprendre à la base. Tous les apprentissages du gaming 2D ne sont pas obsolètes, évidemment, mais bon nombre d'entre eux le deviennent. Considérons donc que le gamer moyen qui passe sur sa N64, il redevient un branlomane végétatif, le niveau zéro de la vie sur terre, il n'est même pas humain, l'enfoiré. Ajoutons à cet état de fait que
Zelda est une série qui a toujours voulu toucher tous les publics. Le défi d'
Ocarina of Time est donc de permettre aux joueurs de tous les âges et tous les bagages d'apprécier un jeu en 3D. Il faut donc que tout lui vienne le plus naturellement possible.
Quand on démarre l'aventure à la forêt Kokiri avec une introduction courte et concise, le joueur n'a jamais touché un stick de sa vie. Il va donc commencer par déambuler parmi les Kokiris pour s'habituer aux contrôles, à la caméra, au lock sur cible fixe.
On en est à un niveau "graeuh-groumpf" de langage.
Vient la première mise à l'épreuve du jeu : la petite ouverture pour ramper, qui nous fait découvrir l'interaction avec l'environnement, puis le rocher roulant. Celui-ci nous enseigne le temps réel, les bases du timing, l'existence des dégâts. Une fois cet examen passé, nous obtenons l'épée, qui nous servira à interagir de façon plus agressive avec l'environnement, afin de récolter les 40 rubis pour le bouclier. Nous apprenons donc l'économie et l'usage de la monnaie.
On en est à un niveau "ouga-bouga" de langage.
Le premier ennemi affronté est une plante Mojo tendue. La menace est donc très faible. Cela nous permet d'apprendre la portée de notre arme et le lock sur les ennemis. S'ensuit une plante Mojo souple, qui synthétise nos leçons précédentes : avec l'exploration, nous avons appris à locker, avec le rocher, nous avons appris à attendre que le danger soit passé (que la plante ait attaqué) et avec la plante, nous avons appris à frapper. Nous pouvons donc nous défendre face à une cible qui n'est pas mobile, mais qui a plus de portée que notre arme.
On en est à un niveau "Moi Graouh" de langage.
L'Arbre Mojo sera l'occasion d'apprendre plusieurs choses comme les effets du feu, la verticalité et l'horizontalité dans le level design, toujours de façon instinctive. Je vais pas vous faire un topo détaillé, mais vaincre Gohma est la preuve qu'on a couvert et compris les bases du jeu. Il nous reste évidemment bien des choses à apprendre, mais ces bases seront toujours plus appliquées avec le temps.
On est passé, petit à petit, à un niveau "Je s'appelle Link" de langage.
S'ensuivent des enseignements toujours intuitifs, récompensés par le sentiment de progression du joueur. Les sentinelles du château d'Hyrule sont le prolongement du rocher du départ avec pattern et couverture (elles reviendront avec les Gerudos bien plus tard), le Mont du Péril suivi de la Caverne Dodongo nous mettent face à des ennemis bien plus mobiles et menaçants, les Bois Perdus nous apprennent à ne pas négliger notre oreille, et ainsi de suite. Jamais le joueur ne doit avoir besoin d'aide, en observant et en repensant à ce qu'il a déjà fait, il peut trouver la solution. Certains passages peuvent être un peu plus délicats (comme les 7 cocottes qui sont décidément les créatures les plus débiles jamais vues dans un
Zelda) mais la récompense n'en est que plus grande (le Flacon).
Une fois fini le Ventre de Jabu-Jabu qui nous enseigne le level design de bâtard, le niveau de langage s'élève à "Je suis Link, je dois sauver Hyrule."
Le joueur est désormais considéré comme formé, rompu aux techniques basiques et avancées, on peut donc faire un big up de difficulté avec la partie adulte. Foncièrement, les choses ne changent pas, on continue d'aller de donjon en donjon en appliquant toujours plus finement les mêmes mécaniques. Mais, encore une fois, tu vas voir que tu finiras par comprendre, le rythme et la progression sont calibrés au quart de poil pour que le joueur sente que le jeu lui donne des défis à la juste mesure de ses moyens, de ce qu'il sait déjà faire et de ce qu'il veut apprendre à faire. Pour cette raison, les donjons s'enchaînent sans soucis majeurs, mais sans trop d'ennui non plus.
Quand survient le château de Ganondorf, le joueur est invité à repenser à tout ce qu'il a traversé, aux donjons qu'il a arpenté, aux mécaniques qu'il a mis en œuvre, tout ce qui fait qu'il est le sauveur du monde. La mouture 3DS ne rend d'ailleurs pas tout son honneur à ce rôle, vu qu'elle a salement raboté le challenge déjà pas très élevé du jeu de base, pour qu'aucune main ne le lâche.
Notre niveau de langage est devenu "Moi, Link, Héros du Temps, Elu de la Déesse, suis chargé par mon noble destin de pourfendre le vil Ganondorf, le seigneur du Malin ; toi qui prétends entraver ma quête, prends garde à ne point croiser ma juste lame, ou tu subiras mon implacable courroux !".
Et je n'exagère pas, car justement, cette ultime épreuve est absolument ridicule, non seulement parce qu'elle est bien trop simple par rapport au reste, mais aussi, parce qu'elle est incohérente avec le propos du jeu. Si Ganondorf voulait que la Triforce vienne à lui, poser des épreuves était stupide, il lui suffisait de l'accueillir à bras ouverts. Et si l'objectif était d'empêcher les intrus de le déranger si la barrière n'y suffisait pas, alors, il aurait dû rendre sa forteresse bien plus menaçante.
Car oui, si
Ocarina of Time est un bijou de game design, ainsi qu'une petite révolution visuelle, tout le reste oscille entre moyen et mauvais, et si on a le malheur de l'analyser sous ces angles, c'est la marche de la honte.
L'univers d'Hyrule n'est pas si bien représenté que ça, dans le sens où il est purement fonctionnel ; si c'est parfaitement raccord avec la vision du game design qu'il a, ça le plombe sur le reste. Le plus flagrant reste le domaine Zora : il est impossible de penser que cet endroit puisse être un lieu de vie. Il est trop étriqué, il n'a pas d'habitations, ni d'infrastructures, et c'est à se demander sur quoi peut bien régner le Roi.
Le scénario et le méchant n'ont pas beaucoup d'impact dès qu'on sort de leur mise en scène solennelle et de leurs arguments d'autorité. Le jeu est très peu bavard, les personnages sont peu développés, et il a sa quantité de facilités. Je me demande encore à quoi Ganondorf a occupé ses 7 ans de règne à part construire son putain de château tape-à-l’œil dont lui seul profite. La ville d'Hyrule a fui à Cocorico, qui se trouve littéralement à deux cents mètres, et ils n'ont jamais été retrouvés ni même menacés par le tout-puissant seigneur du Malin.
Mouais. Môssieur "j'ai tous les monstres du monde à mon service" voulait faire bouffer les Gorons pour dissuader toute révolte alors qu'il n'a même pas pensé à aller mater le village du coin.
Rien qu'avec ces deux points,
Ocarina of Time ne peut pas dire qu'il est la meilleure œuvre vidéoludique de tous les temps. Comble de l'ironie, c'est sur ces deux points qu'il se fait joliment atomiser en plein vol par
Twilight Princess, un jeu qui reçut un accueil en demi-teinte par la fanbase à sa sortie. Son esthétique, ses clins d’œil grossiers et son ambiance générale le destinaient à des "vieux de la vieille", des joueurs ayant joué et mûri ; or, son game design, pas honteux au demeurant, était beaucoup plus gentillet et aiguillé que son modèle
OoT, de quoi laisser la douteuse impression qu'il nous prenait pour des idiots, d'où la déception qu'il a entraîné. A force de le comparer à
OoT sur ce qu'il avait de meilleur, on a oublié de le juger sur ce qu'il a de meilleur que
OoT.
Notre heure viendra un jour, Link ! Un jour, ils comprendront qu'on vaut mieux que leur chouchou ! Tout ça pour dire,
Ocarina of Time est-il l'un des meilleurs
jeux vidéos de tous les temps ? Peut-être ! Ses mécaniques, son intrigue, sa progression n'ont pas d'âge requis ni d'âge porté. C'est un excellent jeu pour apprendre le jeu, en s'amusant et en s'améliorant constamment.
Mais
Ocarina of Time est-il l'une des meilleures
œuvres vidéoludiques qui soient, dans le sens d'un titre qui a compris et exploité toutes les possibilités de son medium ? Clairement non ! Et le juger là-dessus est une erreur !
Voilà toute la distinction que je vous appelle à faire dans ce pavé qui n'a pas parlé de tout (des quarts de coeur, de l'exploration, des musiques, du lore, etc.).