Auteur Sujet: Salon d'Ecriture Occasionnelle  (Lu 27995 fois)

0 Membres et 1 Invité sur ce sujet

Hors ligne Ravage

  • dieu des monts
  • Paraduse timide
  • *
  • Messages: 94
  • * do you wanna have a bad time?
    • SW-5842-3456-2409
    • Voir le profil
Salon d'Ecriture Occasionnelle
« Réponse #30 le: mercredi 06 mai 2020, 00:34:02 »
C'est que je dois être trop bête pour écrire comme ça, alors :^^:

Hors ligne Anju

  • Nécromancien du Déni
  • Twili maudit
  • **
  • Messages: 1465
  • Big Brother is watching you
    • Voir le profil
Salon d'Ecriture Occasionnelle
« Réponse #31 le: mercredi 06 mai 2020, 01:13:55 »
Arrête de dire ça, Ravage... Ce n'est pas une question d'intelligence. Si on a la passion et la motivation d'écrire (et qu'on lit beaucoup, en diversifiant les genres littéraires), on finit forcément par s'améliorer. C'est comme pour le dessin, la pratique d'un instrument de musique, le sport... plus on s'entraîne, plus on réussit.

C'est aussi une question d'âge. Plus on grandit, mieux on écrit. Personnellement, ça fait huit ans que j'écris, et même si mes textes sont toujours ridiculement mauvais, j'ai fait des progrès, et j'ai aussi une meilleure vision de ce que j'écris. Même ma manière d'écrire a changé. Je réfléchis plus avant d'écrire à ce que je veux faire. Et j'ai beaucoup de progrès à faire encore ! On peut toujours progresser.

Si tu aimes écrire, ne te décourage pas parce que tu trouves les textes des autres bien meilleurs. N'oublie pas que tu t'es déjà amélioré depuis tes premiers textes, et que tu vas encore t'améliorer si tu aimes écrire. Et enfin, très important : n'oublie pas d'y prendre du plaisir. Ne te focalise pas sur le fait d'écrire un texte de qualité ou très intelligent, écris juste ce que tu veux, comme tu en as envie. Et après, si tu veux, tu peux peaufiner ton texte, l'améliorer, le modifier pour qu'il soit meilleur. L'important est que tu prennes du plaisir à le faire. Enfin, c'est ma manière de voir les choses, elle ne te correspond pas forcément. Et je suis mal placé pour te donner des conseils étant donné que je fais un peu le contraire de ce que je viens de dire... Mais j'espère que ça t'aide un peu.

Voilà. C'était tout. Bonne journée à toi, et au plaisir de lire d'autres de tes textes !
« Modifié: mercredi 06 mai 2020, 01:18:06 par Anju »

Hors ligne Chompir

  • Sorcier Sheikah
  • ****
  • Messages: 7537
    • Voir le profil
Salon d'Ecriture Occasionnelle
« Réponse #32 le: dimanche 10 mai 2020, 14:03:57 »
Il n'y as pas de question de talent inné ou d'intelligence pour savoir écrire ou non. Ça s'apprend au fur et à mesure de pratique, on peut s'améliorer forcément en se penchant dans des études littéraires pour mieux maîtriser en détails les différentes formes et techniques d'écritures mais dans tout les cas on s'améliorer au fur et à mesure de ses écrits.
C'est aussi une question de culture, plus on l'éveille et on s'intéresse à différentes choses, plus on lit, plus on agrandi son univers et plus on sera à même de le développer et d'avoir des écrits plus complets et riches.

En tout cas ton poème est très beau @Ravage et tu écris déjà très bien. Te dévalorises pas du coup et continue d'écrire ! :oui:

Hors ligne Suijirest

  • Skull Kid
  • *
  • Messages: 5929
  • Ci-gît Suijirest
    • Voir le profil
Salon d'Ecriture Occasionnelle
« Réponse #33 le: samedi 19 décembre 2020, 00:41:08 »
A l'attention directe de @Chompir qui m'avait dit qu'il voulait la suite de ce texte, j'ai l'honneur de lui dire qu'il est exaucé. :niak:
Bon ça date un peu mais c'est pas nouveau que j'écris rarement. v.v



"... Comment t'as atterri dans les brigades, toi ?..."
La voix perçante émanait d'une tête posée sur deux poignets, eux-mêmes posés sur une table ronde. On y distinguait deux yeux ronds aux paupières biscornues et une bouche entrouverte, signe d'une profonde incompréhension. Face à ce visage dubitatif se tenait une carcasse nerveuse, qui n'avait pas cessé de faire les cent pas jusqu'à cette question incongrue. Autour d'eux, toutes sortes d'objets du quotidien s'entassaient dans un local trop austère pour être voué à l'habitation. Regarder le soleil gagner l'endroit n'était pas exactement un divertissement, et entendre les alentours s'emplir des bruits d'un quartier fréquenté n'avait rien de rassurant. Enfermés dans cet espace exigu, les deux garçons ne trouvaient rien pour occuper leurs esprits. Il ne leur restait donc qu'à choisir entre le dialogue et le silence.
"Tout le monde se le demande...  T'es un fils à papa bien élevé, poli et trouillard comme pas deux, alors...
-C'est pas tes affaires.
-... comment t'as atterri dans ce merdier ? Tu parles à personne, c'est pas facile de savoir.
-Je t'ai dit que c'est pas tes affaires. Moi, je te demande pas ce que tu as fait pour avoir eu une peine de trois ans.
-Je voulais juste...
-Point. Final. Je veux pas parler de ça à un... un...
-Euh, tu vas baisser d'un ton, on n'est pas copains et tu me parles pas comme ça."
Cet élan de sévérité trancha le fil de la conversation aussi nettement que le peu de sympathie qui restait entre les deux engagés-détenus, et fit tomber un silence encore plus pesant. Toutefois, le garçon trapu semblait désormais plus concentré sur le mépris de son partenaire, que sur leur avenir immédiat. Il n'était plus résigné à faire les cents pas en se triturant les mains, il était maintenant renfrogné dans un coin. Leur contact se résumait désormais à de brefs regards noirs, comme si leur échange n'avait servi qu'à réduire une source de stress pour en créer une autre. Tous deux avaient réappris qu'ils n'étaient pas du même monde, et qu'ils ne pouvaient pas s'entendre. Ils s'en doutaient depuis le départ, ce qui était une intuition était désormais une certitude. Chaque instant passé dans cette atmosphère s'était gravé dans leur souvenir, un moment qu'ils étaient voués à ne pas oublier.

(...)

"Tu veux vraiment lui faire confiance ?"
Le silence avait été brisé à nouveau. Le garçon trapu pouvait presque voir les limites de sa patience approcher. Le soleil était désormais haut, les bruits du quartier ne lui inspirait plus aucune crainte, ses narines s'étaient habituées à l'odeur mêlée de gras, de sueur et d'épices bon marché. Il ne risquait rien en ces lieux, mais cela se limitait à quatre murs et un toit. Autour de lui, un quartier l'attendait toujours. Il restait un long trajet à parcourir pour rendre compte de son enlèvement, et comment savoir ce qui l'attendait au détour de chaque rue ? D'ailleurs, son ravisseur non plus ne devait pas en mener large, sous son visage impavide. Il pouvait bien jouer au vétéran, il avait la trouille, lui aussi, comme il l'avait avoué un peu plus tôt. Avec une légère expiration, il répondit, toujours aussi maussade :
"Je sais juste que j'ai pas envie de me trimballer à Fenrir fringué comme un soldat, ni de rentrer à poil. Croire en lui, en un dieu ou au destin, ça se vaut.
-Mais... c'est juste un gamin.
-Regardez qui cause."
Un sourire sarcastique illumina ce visage jusque-là si sombre. Ratatoskr se mordit les lèvres et regretta sa phrase.
"Moi, je mise mes billes sur sa pomme. Si toi, t'as envie de faire ton grand garçon pour une fois dans ta vie, vas-y, je te regretterai pas."
Cinglant mais réaliste. C'était peut-être le pire avec lui, son talent pour dire les vérités blessantes en un minimum de mots. Peut-être était-ce pour ça que les autres détenus évitaient de le fréquenter. Son aura lugubre et tous les ragots sur son compte, ça comptait pour quelque chose, sans doute. Pourtant, on ne lui connaissait pas de protecteurs, on ne le respectait pas comme subalterne. D'ailleurs, tout isolé qu'il était, il avait quand même tendance à montrer les crocs à la moindre occasion, et bien qu'il sache se défendre, ce n'était pas un lutteur d'exception. Non, de toute évidence, ce qui lui valait sa réputation et sa solitude, c'était ce fameux coup d’œil. Il savait voir les faux-semblants et les mensonges, comment les exploiter pour faire sortir les gens de leurs gonds. Il connaissait la peur des plus grands bagarreurs, ou la faiblesse des gradés de sa brigade. Pas besoin d'enquêter sur leur passé, ni de les fréquenter. Il n'avait qu'à les observer. Comme il le disait lui-même, leur attitude parlait. Des fois, c'était à se demander si elle ne hurlait pas à en éclater les fenêtres. Il trouvait toujours les moyens d'exaspérer les gens. Mais pour son malheur, il ne planifiait pas ses saillies, il n'en prévoyait pas les conséquences. L'étincelle sur la poudre était sa raison d'être, et le moment de l'explosion, son plus grand plaisir. Aussi le voyait-on toujours seul, rejeté, toxique. A force d'être ridiculisés ou, pire encore, remis en cause, détenus et militaires avaient pris leurs distances avec lui. Peut-être était-ce pour cela qu'il donnait tant de lui-même dans les tâches ingrates qu'on réservait à son grade d'opérette. Peut-être était-ce cela qui l'avait mené là, d'ailleurs ? Nul n'en savait rien. Ironiquement, ce garçon si doué pour percer les gens à jour avait un certain talent pour garder son propre passé nimbé de mystère.
Ratatoskr encaissait encore la répartie quand la porte s'ouvrit en grinçant, ce qui le fit sursauter. Instinctivement, il se tassa contre le mur pour ne pas risquer d'être vu. Le garçon aux cheveux noirs, lui, eut l'air à peine surpris. Un petit garçon pénétra l'espace, les bras chargés de vêtements. Sans ambages, il les posa sur la table et lança :
"Je n'ai pas trouvé mieux. Mettez ça. Je vous accompagne."
Il était petit et frêle, ses cheveux fins tombaient en pagaille autour de son visage, et il portait des hardes tellement élimées qu'on pouvait voir à travers. Son teint cuivré et ses yeux bridés trahissaient ses origines davantage que la diction nette et sans accent de ses courtes phrases. Il avait été la première personne à repérer les deux intrus au petit matin, et il leur avait aussitôt ouvert sa porte. Il les avait ensuite invité à attendre qu'il leur trouve d'autres tenues, plus discrètes. Il s'était refusé à leur proposer les habits de son père, invoquant des affaires d'honneur ou de traditions. Ratatoskr avait aussitôt loué sa droiture, mais l'autre s'était moqué : des habits d'adultes seraient forcément trop grands pour eux. L'enfant n'avait pas relevé la remarque.
Ses trouvailles ne valaient pas beaucoup mieux que sa propre défroque. De vieilles culottes courtes serrées par une corde, une chemise de laine distendue, un pantalon noir délavé avec une jambe déchirée sur toute la longueur et enfin, une tunique bouffante de femme. Pas de chaussures ni de sous-vêtements. Ces oripeaux allaient probablement être la risée du quartier, mais ce serait toujours moins dur à porter que des uniformes militaires. Tandis que le blondinet s'emparait des culottes et de la chemise, tout en rougissant d'avance du spectacle qu'il allait offrir, le brun se levait et s'inclinait devant le jeune garçon :
"Je te remercie sincèrement, Susa."
Il envoya un regard éloquent à son compagnon, qui bredouilla :
"Euh, oui. Tu nous sauves la vie."
Ratatoskr se senti rougir de honte. Il s'était jeté sur son butin sans même penser à remercier son bienfaiteur. Pour lui, à part quitter Fenrir, rien ne comptait. La gratitude ou le devoir passaient au second plan. Peut-être même que ce gamin aurait pu demander absolument n'importe quoi, il aurait accepté sans conditions, et sans trop d'intention de les tenir non plus. Mais pour l'instant, le gamin ne semblait pas avoir de doléances. Il retourna à la porte en disant :
"La Gleipnir est un peu loin. Il faudra marcher longtemps. Restez près de moi."
Les deux garçons échangèrent un dernier regard et lui emboîtèrent le pas, sans un mot de plus. Mais à cet instant, Ratastokr sentit son anxiété reprendre le dessus. Ses jambes devenaient presque trop raides pour avancer, et son esprit se cherchait des raisons de ne pas tenter sa chance. Néanmoins, son ravisseur n'eut pas besoin de remettre un coup de pression. Sa raison lui hurlait suffisamment fort que ce serait une perte de temps. Rester sur place ne lui apporterait rien. Aucun secours ne viendrait d'ailleurs que d'eux-mêmes, il lui fallait donc se prendre en main. Il prit une grande bouffée d'air vicié, se donna une petite tape sur les cuisses, et se remit en route, toujours aussi peu dégourdi. Leur guide ouvrit la porte d'entrée, et les trois garçons regagnèrent la ruelle où ils avaient atterri la veille. Deux embranchements plus tard, ils avaient atteint l'avenue où le chariot les avait quittés. Désormais, ils étaient sur le chemin du retour, mais surtout, ils étaient dans la tanière du fauve.
Ratatoskr avait souvent fantasmé le quartier de Fenrir avec son esprit d'enfant bourgeois, d'après toutes les rumeurs et les faussetés qu'on lui avait rapporté. Dans de telles conditions, même avec la plus fertile imagination du monde, il n'aurait pas pu approcher la réalité. Au fil des années, à force d'entendre des lieux communs ou des concours d'exagération, son imagination avait forgé un lieu émanant d'un chaos primordial, l'extension et l'expression de la plus basse condition humaine. Il y voyait des bâtisses, des rues et des conditions de vie aussi laides et anarchiques que ses habitants, fiers de leur crasse et de leur ignorance. Il pensait tout à la fois qu'ils n'accepteraient jamais sur leur territoire quiconque menacerait leur isolement, leur fière différence, mais qu'en même temps, ils maudissaient le reste de la ville pour leur dénuement et leur injuste réclusion. Oui, Ratatoskr ne pouvait pas imaginer ce que ce lieu était, il ne pouvait qu'y projeter ses propres peurs. Pour son esprit étriqué, la Gleipnir était la frontière de l'espèce humaine. Passée cette ligne, c'était le cloaque où se concentrait toute l'immondice de Midgar, les inadaptés, les réfractaires à l'ordre et à l'harmonie, les quantités négligeables. Réceptacle des activités licencieuses, abandon de la vertu, amour du vice, tels étaient l'essence de ce lieu où jamais ne traînent les braves gens. C'était la mauvaise conscience de la ville qui avait pris forme, bruit et odeur. Ainsi se la représentait-il depuis sa prime jeunesse. Et à présent, il pensait qu'il aurait préféré s'en tenir à cette image, plutôt que d'en avoir fait l'expérience.
Le soleil était bien assez haut pour leur permettre de profiter du moindre détail de la scène, mais encore trop bas pour effacer toutes les ombres, et surtout, le froid de l'hiver qui s'installait. Les jouvenceaux frissonnèrent dans leurs tenues grotesques, l'un de froid, l'autre d'effroi. Ce qui s'offrait à sa vue était si ordinaire que c'en était à la fois décevant et angoissant. L'avenue de terre battue était bien droite, les façades des immeubles étaient jaunies par le temps, les volets à persienne accusaient leur âge. Aux bords des portes, toutes sortes de déchets s'accumulaient. Des gens aux tenues un peu usées discutaient en petit groupe, sans même leur prêter attention. Dans un angle, une charrette à bras passait, tirée par un homme criant sa marchandise. De l'eau, du grain, du bois. Finalement, Fenrir n'était pas très différent de Fafnir, à part une pauvreté plus prononcée. Partout où le regard se posait, le manque d'argent s'exprimait. L'état des murs ou des fenêtres était une chose. Les détritus omniprésents en étaient une autre. L'absence de boutiques complétait le tableau. L'endroit semblait voué à l'habitation de gens dans la gêne. Cependant, il n'était pas ce bourbier hostile que le garçon s'était représenté durant toutes ces années. Décontenancé, perdu dans sa contemplation et son ironique déception, il se fit tirer la manche par son ravisseur, qui lui lança sèchement :
"Tu feras le touriste plus tard ! Baisse la tête et lève les pieds, on va pas t'attendre."
Et là, dans un mélange de stupeur et de docilité, il s'exécuta. Sans poches pour glisser les mains, il se contenta de marcher, son petit paquet de vêtements enroulés sous le coude. Décidément, il n'aimait pas ce type. Il profitait de toutes les différences entre eux et du moindre instant de faiblesse pour devenir un vrai petit roquet. Que ce soit sur le physique ou l'attitude, s'il pouvait avoir un soupçon de supériorité, il s'en faisait un festin. Mais l'instant ne se prêtait pas aux disputes, aussi le blond serra-t-il les dents pour se forcer à garder le silence. Le jeune immigré les toisa tous deux avec un regard étrange, puis il se mit en marche.
Les rues se succédèrent, toutes comparables à la première avenue. Tout à fait normales, bâties selon des plans d'architecte, et désargentées. Des têtes aux fenêtres les fixaient parfois, des passants se retournaient. Ces frusques ne passaient vraiment pas inaperçues. Dans un élan de paranoïa, Ratatoskr avait pensé que c'était leurs chaussures de l'armée qui les trahissaient, jusqu'à ce qu'ils regardent les pieds qui l'entouraient : ce n'était pas un modèle si rare que ça. Peut-être y avait-il pas mal d'anciens soldats... ou détenus ? Impossible de le savoir. Toutefois, toujours mal à l'aise, le jeune bourgeois ne pouvait s'empêcher de raser les murs, ni de lever la main à ses cheveux par réflexe, pour abattre son chapeau. Mais il n'avait pas de chapeau, ni de veste, ni de bottines. Encore plus embarrassé, il releva le menton et croisa le regard de son compagnon. Ce dernier, de toute évidence, se retenait de lui tailler un costume de sa langue acérée. Sa posture ramollie, ses bras croisés et son regard stupide en étaient autant de signes. Comme pour se passer de mots, il secoua la tête et reprit sa route. Là-dessus, le guide se retourna, les observa, et leur dit :
"Arrêtez de marcher comme des soldats. Marchez comme des gens."
Interdit, Ratatoskr repensa à sa démarche, et il comprit qu'il avait pris un pas cadencé sans même s'en rendre compte. Cette découverte le décontenança. En quelques semaines, il avait oublié comment marcher normalement. La règle s'était gravée, à force de sanctions et de remarques, jusque dans ses muscles. Il se prit à imaginer la contrainte des militaires au quotidien, ceux qui comptaient les années de service, et cette pensée lui donna le vertige. Soucieux de conserver son anonymat, il fit quelques pas en essayant de bonne grâce d'avoir l'air naturel, et l'autre fit de même. Mais moins d'une minute plus tard, le jeune garçon reprit, l'air terriblement gêné à travers sa grimace :
"Ça ira. Marchez comme des soldats."

(...)

Comment s'était passé le reste du chemin ? Impossible de le dire. Ils avaient marché, simplement. Personne ne s'était adressé à eux, ils n'avaient rencontré aucun obstacle, ils n'avaient pas échangé une parole. Une simple promenade, qui aurait pu durer une dizaine de minutes ou une heure entière. Passée la brutale découverte du quartier, les souvenirs s'étaient faits vagues. Par contre, il se souvenait très bien de leur arrivée sur une vaste étendue longiligne, divisée par une rainure de bronze. L'air froid avait subitement disparu, mais ses entrailles s'étaient gelées. Incapable de respirer, Ratatoskr avait couru jusqu'à cette frontière, cette ultime démarcation. Dans son élan, il fit quelques pas de plus, et il s'arrêta net. Presque essoufflé d'avoir couru une dizaine de mètres, il voulut inspirer à fond, mais ses poumons refusaient d'obéir. Il dut attendre que ses bronches veuillent bien se gonfler, lentement, puis se vider, à peine plus vite, tout en regardant ses paumes rougies sur ses jambes flageolantes. Il pouvait aussi discerner son sourire, son regard trouble, et tous les signes de démence qu'il montrait. Mais par-dessus tout, il entendait cette réalité. Il la comprenait. Il l'embrassait. Il la chérissait. Son cauchemar était enfin terminé. Il était de retour à Midgar.
Cette idée avait débloqué, d'un seul coup, toutes ses fonctions vitales. Il put prendre une immense bouffée d'air frais, comme s'il émergeait du fond de la mer, la bouche ouverte en un rond parfait. Après deux appels d'air, il put se redresser, encore un peu tremblant. Le froid lui piqua les joues, les mollets et les doigts et toutes les parties nues de son anatomie. De nouveau maître de lui-même, il se retourna, et vit son ravisseur en pleine conversation avec leur secoureur. Et une fois de plus, la honte le submergea. Décidément, il était bien ingrat. Pris en faute, il prit appui contre le mur et décida d'attendre, aussi longtemps que nécessaire, que leur entretien se finisse. Cela avait d'ailleurs duré un bon moment, au point qu'il doive se lever de son poste et faire quelques exercices pour se réchauffer. Il avait aussi senti la moutarde lui monter au nez à force de les voir faire leurs messes basses sans se rapprocher. Avec le recul, pas une seule fois il n'avait envisagé de les rejoindre. La Gleipnir était redevenu ce rideau de fer invisible, cette frontière infranchissable. Et même au-delà de ça, sans son uniforme, il était redevenu un respectable citoyen. Pour un peu, ces dernières semaines à enchaîner les humiliations n'auraient jamais existé, et il allait pouvoir reprendre sa vie. Ratatoskr se sentit un peu perdu à cette idée. L'espace d'un instant, il se demanda quelle était son identité. Un fils ? Un outil ? Un bon-à-rien ? Un vagabond ? Où se plaçait-il, au juste, lui qui n'avait jamais rien fait de cette fameuse vie, qui n'avait rien accompli de lui-même, qui avait toujours fait ce qu'on attendait de lui ? Aussi loin qu'il se souvienne, il n'avait jamais travaillé en classe parce qu'il le voulait. Il le faisait parce que c'était ce que son père exigeait, de la même façon qu'il avait appris la clarinette et tout le reste. Un fils de Draupnir est forcément la fierté de ses parents, un point c'est tout. Peut-être était-ce cette incertitude qui l'avait poussé à commettre ce geste stupide, celui qui avait tout démarré. Cet insignifiant vol à l'étalage, commis dans une échoppe appartenant à sa famille, aurait pu être l'expression de sa souffrance, de son insatisfaction. Il n'arrivait pas à être heureux de cette vie, alors il voulait l'écorner, pour voir si une autre allait prendre sa place. Un acte de rébellion qui lui avait coûté bien cher. Son père n'avait pas pris sa défense. Un fils qui trahit sa famille ne méritait aucune pitié. Il l'avait traité comme le dernier des délinquants de droit commun, exigeant la plus lourde peine possible. Le jeune garçon avait donc dû choisir entre trois mois de réclusion, et six semaines de service...
Un claquement sortit l'adolescent de son introspection. Ce dernier balaya les lieux du regard, et constata que son ravisseur était à présent à genoux, les mains jointes, dans une position de supplication. Sur le coup, cette vision était hilarante, mais quand son secoureur joignit lui aussi les mains pour baisser la tête, il comprit. C'était une promesse solennelle. Ils juraient sur leur âme. Cela dura une poignée de secondes, puis le ravisseur se releva, et chacun prit une direction opposée. Le plus grand marcha vers la Gleipnir, tandis que le petit regagnait les venelles de Fenrir. Une fois la bande de métal franchie, Ratatoskr lança à son compagnon :
"Vous parliez de quoi ?"
Et celui-ci de lui répondre, les mains aux hanches, sans même s'arrêter :
-Si t'étais bien élevé, tu serais resté et t'aurais écouté."
... Bon. Celle-là, il ne l'avait pas volée.

Mille mercis à Yorick26 pour la signature !