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Écrits et tableaux
Neyrin.:
Le troisième enfant
Les femmes ressentaient, durant une période plus ou moins longue, le besoin viscéral d'enfanter. Lorsque l'amour sincère naissait et perdurait, la partenaire s'imaginait étreindre un être fragile ardemment désiré, fruit d'une association entre deux amours partagées. Un être qui l'était jusque dans l'odeur qu'il portait, jusque dans le visage qu'il arborait. Quelle fierté pour une mère que d'avoir une telle merveille dans les bras ! Certaines affirmaient que tout cela n'était que sombres bêtises, comme si elles craignaient d'être réduites au même rang que les autres espèces. Une crainte d'être humiliées par le rapprochement entre l'humain et l'animal qui semblait pourtant évident ; chaque être humain suivait un instinct inhérent même s'il pouvait lutter contre par la raison. C'était d'ailleurs la raison naturellement présente qui poussait la femme à refuser de porter la vie, par simple souci de facilité. Voilà une décision bien confortable et agréable que de ne mettre au monde aucune progéniture ; c'était défier le dessein de la nature par fierté narcissique.
C'était du moins ce qu'elle pensait, cette femme qui ne pouvait porter aucun enfant dans son utérus. Tout cela restait du domaine du fantasme malgré elle. Elle se refusait à essuyer un nouvel échec ; un échec déchirant qui ne laissait pas de cicatrices. Elle était éprise d'une terrible jalousie envers les jeunes mères, enviait l'amour maternel et pur qu'elles pouvaient offrir à leur progéniture. Jamais elle ne pourrait le déployer, cet amour, et était condamnée à errer dans une frustration couplée à un profond désespoir.
« Et si j'étais maudite ? avait-elle demandé un beau matin, alors que les rayons du soleil s'étaient à peine immiscés dans la chambre.
— Ne te rejette pas la faute. Ce n'est pas une question de malédiction, avait-il répondu. Peut-être que ça finira par marcher, peut-être que nous finirons par l'avoir, notre enfant.
— Je ne veux plus souffrir.
— Alors comment faire pour te consoler ? »
Elle ignorait le potentiel remède miracle ; il avait donc dû dénicher une solution pour panser les meurtrissures de sa compagne. Les psychiatres s'étaient révélés inefficaces pour vaincre la douleur qui l'enserrait. Ne sachant que faire, il avait rapporté un chaton minuscule. Il n'espérait rien obtenir de cet animal, mais il fut comme une révélation pour sa femme. Son instinct maternel avait jeté son dévolu sur cette pauvre bête qui poussait des miaulements désespérés, secouée par la faim et l'absence de chaleur. Elle l'avait posée sur son ventre – comme on posait un nouveau-né – pour l'apaiser tandis qu'elle soulageait son estomac qui criait famine. Ce petit animal fut un moyen d'adoucir la rancœur qu'elle éprouvait envers les jeunes mères, d'adoucir la souffrance qui la poignardait. Toute son énergie avait convergé vers lui, désirant construire un lien fort entre eux et, lorsqu'il avait atteint un âge où la curiosité mordante l'emportait sur la prudence, elle l'avait surveillé comme un enfant en bas-âge.
Les chats grandissaient bien plus rapidement que les humains, ce qui apporta une forme d’angoisse chez la mère adoptive. Comment gérer un enfant qui grandissait aussi vite ? Pauvre femme qui se créait tant de soucis ! Puis vint un jour où son mari, ayant émergé du tumulte de son travail, s’attarda sur la relation qu’elle entretenait avec sa précieuse bête. Il sentait que quelque chose n’allait pas.
« C’est un chat, tu ne peux pas l’élever comme un enfant. Tu ne peux pas le considérer comme tel.
— Mais je l’aime… Je l’aime de tout mon être.
— Je ne t’interdis pas de l’aimer, répondit-il. Je veux simplement que tu prennes conscience de la réalité. »
Ils ont parlé. Beaucoup parlé jusqu’à ce qu’elle entende raison. Elle a cessé de noyer le jeune chat sous cet amour qu’il ne rendrait jamais comme un être humain et très vite, sa rancœur endormie refit surface. Elle alimentait de nouveau le quotidien de cette malheureuse femme, ne cherchant que le bonheur d’avoir une progéniture. Elle observait désormais son animal grandir de sa terrasse. Elle l’observait devenir adulte, devenir une chatte et vivre au gré de ses envies.
La mère résignée se contentait seulement de remplir ses gamelles et changer les déjections qui venaient importuner la litière, redevenue chagrinée par l’absence d’un bébé. En cette saison qu’était l’été, la chaleur emplissait le jardin et martelait les chaises en fer forgé de la terrasse, si bien que personne ne pouvait s’y asseoir tant elles brûlaient la chair. C’était d’ailleurs pour cette raison que la femme en laissait toujours une à l’ombre ; ainsi, quand l’envie de lire et de prendre le soleil la saisissait, elle pouvait s’installer sereinement, entamer sa lecture de l’après-midi et contempler le paysage qui s’étendait face à elle. Un vaste aplat verdoyant qui trouvait sa frontière grâce au champ de tournesols qui se perdait dans l'horizon. Ces tournesols se levaient fièrement, leurs pétales jaunes déployés vers l'astre incandescent qui les galvanisait et leur conférait cette splendeur que jamais personne ne nierait.
Sous ce ciel radieux et cette température étouffante qui semblait inépuisable, la chatte avait donné naissance à trois petits. C’était une femelle avec une forte corpulence, et sa prise de poids n’avait jamais inquiété sa propriétaire jusqu’à ce qu’elle retrouve des chatons dans son séjour, dont deux décédés. Le troisième – le plus frêle et portrait craché de sa génitrice – avait survécu. La malheureuse femme comprenait bien la douleur de perdre ses enfants ; néanmoins, elle n’éprouvait aucune empathie envers son animal. La jalousie s’était même amplifiée.
(Cliquez pour afficher/cacher)Rien n'avait apaisé sa rancœur émergente, pas même cette représentation cornélienne donnée à ses yeux : celle d'une jeune mère, désemparée dont la langue s'acharnait sur les deux petits corps inertes dans l'espoir de leur insuffler la vie, d'entendre des vagissements félins. La malheureuse savait qu'elle souffrait du mutisme de ses chatons aux yeux clos pour l'éternité ; elle savait que ces coups de langue étaient une requête importante, voire vitale. Pour autant, la femme s'était contentée de regarder ce spectacle jusqu'à ce qu'elle se décide à prévenir son mari, lui priant de se débarrasser des dépouilles à sa place. Elle n'en avait plus le courage. Elle ne voulait plus toucher d'organismes éteints. Il s'en était occupé à contre-cœur, et ce pour le bien-être de son épouse.
Lorsqu'ils eurent disparus, la chatte protégea sa dernière progéniture comme son bien le plus précieux : une petite boule de mousse hirsute, douce et embaumée de l'odeur du lait maternel. Elle se blottissait contre le ventre chaud et secoué de ronronnements apaisants de sa mère. Sa gueule minuscule cherchait aveuglément la tétine enfouie sous un affleurement de poils grisâtres ; de ses pattes fragiles, le petit pressait le ballon tiède et duveteux pour en recueillir un nectar qui le nourrirait pendant environ un mois. La femme trouvait cela fort adorable, bien que sa rancœur ne tarissait pas à chaque regard posé sur cet être minuscule à l’appétit démesuré.
Un nouveau jour d’été, la chaleur se fit plus meurtrière encore et la terrasse était devenue impraticable. La mère abattue, écrasée par cette terrible température, se décida à aller se désaltérer. Elle ferma son livre en prenant soin d’y laisser un marque-page et alla s’hydrater. Lorsqu’elle eut terminée son breuvage, ses yeux bifurquèrent sur la couverture où reposait paisiblement le chaton fraîchement né. La chatte était sortie depuis plusieurs heures déjà, chose étrange car elle ne quittait jamais plus d’une heure sa précieuse progéniture. Pourtant, cette après-midi, il était seul, plongé dans un sommeil regorgeant de rêves qui rythmaient les mouvements de son corps minuscule.
La femme vint s’accroupir près du petit organisme torturé par une imagination en ébullition ; elle le caressa avec une douceur maternelle. Sa main se glissa sous la faible chose et la souleva pour la soupeser. Tiré de son sommeil et privé de son confort, le chaton se mit à pousser d’infimes miaulements plaintifs, à peine audibles à l’oreille humaine. La génitrice ne semblait pas les entendre non plus car le nouveau-né avait beau s’égosiller, cette dernière demeurait absente.
L’imposteur analysa la petite bête grise d’une légèreté irréelle, et dont les yeux étaient à peine entrouverts ; sûrement ne devait-il distinguer que des formes floues et abstraites. Encore, elle se demanda comment cette chose avait pu survivre tandis qu’elle la coucha sur le dos. Elle écarta ses pattes aussi rigides que des brindilles puis se mit à les plier dans le sens inverse de l’articulation, se disant qu’elles pouvaient rompre à tout moment. Les plaintes du chaton redoublèrent. Sa gueule minuscule s’ouvrit et téta le pouce de celle qui avait troublé sa quiétude. Il y mit tant de vigueur, que la malheureuse comprit qu’il était complètement affamé. Elle l’observa essayer d’extraire quelconque vivre de son doigt, en vain. Pourtant, il n’abandonna pas, mû par l’espoir de sentir un peu de lait emplir son ventre creux. Il cessa son oeuvre quelques minutes ensuite, mais demeura muet. Son corps, quant à lui, était pris de soubresauts. Le chaton agitait ses pattes tremblantes dans le vide, fantasmant le ventre chaud de sa mère gonflé de lait.
La femme enveloppa le petit être dans la couverture, l’emporta avec elle puis fit coulisser la baie vitrée qui donnait sur la terrasse en proie à la chaleur assassine. Elle y déposa son fardeau qui fut exposé aux rayons ardents du soleil. Une fois ceci fait, elle prit soin de refermer la vitre coulissante avant d’aller remplir son verre d’une nouvelle boisson sucrée. Elle vint ensuite s’installer dans une chaise et de là, elle contempla l’extérieur où la petite chose s’agitait désespérément.
Sentinelle:
J'aime beaucoup cette fiction, c'est très doux. Je reste un peu sur ma faim du coup. :(
Les petits chatons, c'est de la triche !
Neyrin.:
(Cliquez pour afficher/cacher) Souhaite ouvrir la poitrine, en arracher le cœur et en pleurer devant un monde impuissant. La souffrance n'est qu'une forme arborant plusieurs visages ; le cœur l'abrite désespérément et au creux d'un dernier espoir, il est perceptible, le dernier cri désespéré, celui qui implore à l'aide une dernière fois.
À l'arrière de la voiture, ils sont audibles les miaulements apeurés confinés dans une caisse ; ils résonnent dans les battements comme ils résonnent dans cette souffrance. Chaque inspiration est une contraction douloureuse. Chaque expiration est l'infâme tristesse qui peine à trouver forme dans les mots.
Quelle haine est réservée à cette enveloppe meurtrie. Encore un coup, encore une vie déchirée par les larmes et les ongles aiguisés comme des griffes. Sur la peau fragile, les cicatrices brûlantes se dessinent... Résonnent encore les miaulements apeurés et les hurlements du cœur arraché. Présente-le au monde, il bat encore faiblement des dernières cuillerées d'espoir. Lorsqu'il se sera épuisé sous les morsures de l'angoisse, il s'éteindra paisiblement guidé par la nuit fiévreuse de la fin. Résonnent encore les battements de ce cœur dans les cicatrices brûlantes... L'eau chaude ravivant la douleur dans le dos. Résonnent encore les appels à l'aide face aux impuissants. Résonne encore l'ultime pas dans la fièvre. Que la nuit s'achève sur une dernière pensée. Résonnent encore les éclats des moments heureux. Cicatrise la peur ; il n'entend jamais les esprits apaisés.
Chompir:
Bon, c'est pas l'un des textes les plus joyeux que j'ai pu lire et il est pas très agréable dans ce qu'il dit mais pourtant il est vraiment réaliste dans la description et l'explication de la souffrance. Les images utilisés pour expliquer le tout rendent le texte très intéressant et beau. Bref, c'est un très beau texte. <3
Neyrin.:
Des morceaux de mon quotidien parce que je perds l'inspiration, mais j'ai besoin d'écrire. J'espère pouvoir la retrouver un jour. Si vous le voulez, vous pouvez aussi partager des morceaux de votre propre quotidien.
Cet écrit remonte à février.
(Cliquez pour afficher/cacher)Je n’ai plus d’inspiration et cela me fait beaucoup souffrir. Où trouver l’inspiration ? Je vois des tas de choses, je m’attarde sur des tas de détails. J’observe beaucoup l’environnement autour de moi mais je n’en tire aucune inspiration. Tous les jours, je prends le bus pour me rendre à l’université. Un bus gigantesque, à accordéon, qui fait un bruit étrange. Ce bruit est indescriptible, cela ressemble à l’expiration envahissante d’un mécanisme loin de notre ère. Parfois, il semble lâcher un soupir exaspéré ; cela ressemble au soupir d’un taureau par les naseaux.
Durant le trajet, j’observe toujours par la fenêtre. Je connais le chemin par cœur et le paysage m’ennuie quelque peu. À vrai dire, je n’apprécie pas vraiment la ville. La vue se compose successivement de propriétés, de résidences, de centres commerciaux, d’un collège et de vignes. J’aime bien lorsque les vignes apparaissent car la route, peu fréquentée, s’étend et le bus s’engage en prenant de la vitesse. J’aime la sensation de vitesse.
À l’intérieur du bus, c’est chaotique. Il tremble et les pièces qui le composent, à chaque kilomètre parcouru, donnent l’impression d’être sur le point de se détacher. Une fois, j’ai entendu un passager dire à son amie que les étrangers craignent nos bus car ils renvoient un sentiment d’insécurité. Chose que je peux comprendre, mais jamais ils ne se sont détachés sur la route.
Les gens qui montent sont parfois étranges. Majoritairement, ce sont des étudiants qui s’y trouvent. Je regarde beaucoup les individus qui m’entourent, mais je ne retiens que ceux qui m’ont marquée d'une manière ou d'une autre. Aujourd’hui, une femme âgée très grosse et mal habillée — c'était un pull bleu avec des montagnes et une immense tête de loup — est montée avec son labrador noir, gros lui aussi. Sous son pantalon, on pouvait voir que la graisse de son ventre tombait jusqu’à ses cuisses et formait un amas certainement gênant. Elle peinait à marcher, tout comme son chien. Elle avait les cheveux gris en queue de cheval, un visage disgracieux et bouffi et ce qui ressemblait à des pustules ou du moins, des gros boutons sur le nez, le menton et les joues.
Hier soir, un couple à l’apparence précaire était monté. Au départ, je n’avais vu qu’un homme qui poussait un diable débordant de grands sacs plastiques. Il n’était pas entré par l’avant mais par la porte du milieu, celle destinée à sortir. Il a forcé le passage alors même que les portes se refermaient et une autre personne, plus svelte, est montée à sa suite. Ils s’étaient enfoncés dans un coin et l’homme a maugréé en se dirigeant vers le fond du bus. Seule restait cette silhouette de dos, appuyée contre le diable débordant, habillée d’une doudoune bleue. Elle avait la tête baissée et encapuchonnée ; elle semblait dans un tel malheur que son corps paraissait céder sous ce poids immense. Je l’avais regardée un moment, prise de peine pour elle. Je n’ai pas vu son visage.
Lorsque je descends à l’arrêt de l’université, je traverse une grande allée qui conduit jusqu’au premier restaurant universitaire. Les rames du tramway sont à côté ; le tramway est fluide et file comme un serpent. La terrasse qui se trouve en face du restaurant est toujours envahie d’étudiants. Les tables et les bancs sont prises d’assaut, voire les escaliers. C’est très anxiogène quand j’atteins les escaliers, de marcher au beau milieu de tous ces étudiants qui déjeunent. Je sens parfois leurs regards sur moi, alors je baisse les yeux.
Je m’ennuie à l’université. Je dois attendre que l’amphithéâtre se libère pour y accéder. Je ne sais pas quoi faire pendant ce temps. Souvent, je tourne en rond dans le campus et si j’ai la chance de croiser un ami que j’aime beaucoup, je vais lui parler. Il doit me trouver énergique.
Sur le trajet du retour, à pied pour rentrer chez moi, je traverse une rue immense composée exclusivement de propriétés. Elles sont, pour la plupart, toutes magnifiques. Certaines me sont inconnues, les murs et le portail étant trop hauts pour comprendre à quoi peut ressembler la maison. Leurs jardins arborent toujours de sublimes fleurs au printemps. Dans au moins trois d’entre eux se trouvent des magnolias de Chine ainsi que des cognassiers du Japon.
Le magnolia fait de belles fleurs ; elles sont grosses, exhalent un doux parfum et les pétales roses sont épais. Elles semblent pouvoir résister aux pluies les plus hargneuses. Le cognassier, je l’apprécie pour son tronc et ses ramifications noires de jais ainsi que ses fleurs écarlates.
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