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Écrits et tableaux
Neyrin.:
Un texte complètement inachevé qui traîne dans mes fichiers depuis plusieurs mois maintenant.
Il n'a aucun titre mais il parle d'un mouton. Enfin, d'une sorte de mouton.
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La chaleur estivale étranglait les deux silhouettes qui remuaient comme des chenilles prisonnières de leurs chrysalides. L'une se débattait, l'autre semblait lutter tel Jacob face à l'Ange ; c'était une lutte périlleuse et interminable, une nuit épuisante à supporter les affronts étouffants qui amenaient la sueur sur leurs fronts. L'indésirée s'était introduite dans cette chambre conjugale exiguë et obscure par la fenêtre ouverte, pourtant destinée à amener un peu de fraîcheur en cette redoutable saison. Les silhouettes ne cessaient de se mouvoir dans les draps imprégnés de leur sécrétion malodorante, comblant de mille joies la chaleur qui se mêlait à celle de leurs corps suintants. Épuisée, l'une finit par s'incliner, laissant sa moitié conclure l'affrontement avec leur terrible adversaire.
Elle s'extirpa du lit pour rejoindre la pièce adjacente qui n'était rien d'autre que la salle de bains, le seul endroit où elle trouverait de quoi apaiser cet organisme meurtri par la sudation. Elle croisa son reflet dans le miroir tandis qu'elle ôtait sa nuisette qui devait bien avoir vécu vingt ans désormais. Cette dernière était d'un rouge éclatant – quoique terni par les nombreux lavages – et de la dentelle ornait le décolleté, elle aussi malmenée et tirant davantage vers le gris plutôt que le blanc, malgré tous les efforts fournis par sa propriétaire pour le maintenir en bon état. La femme se glissa dans la douche et entreprit d'actionner l'eau froide ; elle la laissa parcourir son dos, ce qui lui arracha un frisson tant elle lui semblait glacée. Elle ne put tenir que de brèves minutes sous cette giboulée glaciale et une fois promptement rafraîchie, elle ne tarda pas à se revêtir pour rejoindre une fois de plus le four à pain qu'était cette chambre conjugale. Elle n'appréciait pas particulièrement de dormir aux côtés de son mari ; il arrivait même des jours où elle songeait à le mettre à la porte pour profiter d'un meilleur sommeil.
Elle prit garde à ne pas heurter son pied ou quelque autre partie de son corps contre les murs ardemment identifiables dans cette obscurité, et retourna se lover sous les draps odoriférants. Étrangement, le dos de son conjoint lui sembla poilu – il ne l'était pas pourtant. Peut-être était-ce à cause de la couette, mais cette matière lui était inconnue ; elle tenait chaud et était drue. Elle se mit sur le flanc, commença à caresser le dos de sa moitié endormie. Sa main s'enfonça dans une touffe rêche et garnie. La masse remua entre les couvertures avant de pousser un affreux bêlement qui emplit la pièce, ce qui décocha à l'autre occupante du plumard un cri terrorisé. Une tête noire d'ovidé aux petits yeux ronds et jaunes émergea.
« Dieu ! Dieu ! » s'écria-t-elle.
La bête des campagnes se débattit, les pattes prises dans les textiles et s'effondra au pied du lit dans des bêlements paniqués. La femme, tétanisée, regarda l'animal se dépétrer du piège et s'affoler dans la chambre. Elle poussa un autre cri avant de se précipiter hors de la maison, le cœur déchirant sa poitrine. Par ses égosillements, elle ameuta les demeures alentour. On se précipita jusqu'à elle en robe de chambre avec les cernes jusqu'aux commissures des lèvres.
« Mon imbécile de mari ! Le voilà devenu mouton, j'vous dis ! Mouton !
— V'là qu'elle devient folle, commenta le voisin Eugène. Il est seulement rentré ivre après le perniflard, votre zozo. Il a la piquette facile.
— Un mouton que je vous assure ! Oh ! Oh ! »
On vint la soutenir et éponger son front suintant tandis qu'elle défaillait.
« Allons, allons... dit la voisine Amandine, une charmante jeune femme. Ça vous f'ra des émotions, ma bonne. Eugène, allez donc voir ce qui se trame. Peut-être bien qu'il y a un mouton. »
Le dénommé Eugène – un homme dont le teint se faisait plus rubicond que grisonnant – entra sans concession dans la demeure qui accueillait l'ovidé sorti de nulle part. Il disparut derrière la porte et la brave Amandine qui apaisait les tremblements de sa voisine, attendit avec impatience les nouvelles. Elle aurait pu rester cloîtrée dans son séjour, profitant de la précieuse fraîcheur qui avait trouvé refuge, mais bonne qu'elle était, elle n'avait pu se résoudre à ne pas venir en aide à sa compatriote.
« Nom de nom ! C'est qu'il y a vraiment du bétail là-dedans ! » s'écria la porte ouverte.
Un affreux bêlement s'éleva puis une bête en furie se précipita dans le quartier. On poussa des cris terrifiés. Ici, on était en ville, pas au fin fond de la campagne. Le tas de laine déclencha un malaise de plus chez sa propriétaire tandis qu'il s'éclatait sur le trottoir.
Le beau petit Vincent posté aux côtés de la jeune femme, se jeta sur le mouton pour le coincer. La bestiole se laissa capturer.
« Il est bien docile, ce petit. Il est dressé.
— Moi, je reconnais ces mirettes entre mille, dit Amandine. Pas de doute, c'est Léon. »
L'épouse s'agita entre ses bras.
« Mon Léon ! Mon Léon !
— Pourquoi il est comme ça, vot' Léon ? demanda l'adonis.
— Lui pose pas de questions. Tu vois pas qu'elle frôle le coma ? »
On porta la femme jusqu'à son lit après l'avoir hydratée et débarrassée de ses vêtements détrempés. Une fois endormie — ou évanouie, on se concerta dans le jardin d'Eugène qui suait comme un bœuf. Léon s'était mis à broutailler l'herbe alentour.
« Ah là là ! J'savais que j'aurais dû rester à Paris avec mon vin blanc.
— Que le ciel ne me refile pas un type bouffi et ivrogne comme toi ! s'exclama la charmante Amandine. Plutôt finir en pâté de Léon sur le pain des militaires. »
Vincent s'agaça :
« Le problème ici, c'est le mouton.
— C'est peut-être une mauvaise farce ?
— J'crois qu'il a engrossé et qu'il est parti.
— C’est pas le genre de la maison, dit la jeune femme. C’est un fidèle. »
Excepté Eugène, ils ignoraient que Léon aimait mettre la main aux fesses des jeunes serveuses. Les clients s’étouffaient de rire quand il le faisait ; cela amusait tout le monde. Des rumeurs couraient comme quoi la belle Amandine allait travailler dans les milieux fréquentés par le mari copieusement garni de laine.
« Il est tellement fidèle qu’il est devenu du bétail. Ça ne m’étonne pas, il suit son épouse comme un vrai mouton.
— Il a mis une minette enceinte et il est parti.
— Peux pas y croire.
— On en fait quoi ? demanda Vincent.
— On va voir un médecin », proposa Amandine.
Neyrin.:
Le jeune toubib
Une nuit, j'étais venue aux urgences parce que je me sentais barbouillée, toute étrange et toute faible. Ma tête dodelinait, des petites étoiles venaient perturber ma vision et je manquais de m'effondrer chaque fois que je me levais un peu trop brusquement. Un avis extérieur m'aurait dit que ce n'était rien, qu'il aurait simplement fallu que je me couche. « Un bon sommeil, c'est la clé d'une vitalité à toute épreuve ! » me disait-on. Moi, j'avais toujours eu un bon sommeil mais je ne tenais jamais une journée complète. C'était triste, mais c'était comme ça. Le quotidien, ça se changeait pas et quand les habitudes étaient là, on peinait à s'en défaire. Bref, moi je savais que quelque chose n'allait pas. Je savais qu'il ne suffisait pas d'un petit comprimé et de quelques heures de sommeil supplémentaires.
Aux urgences, j'avais été récupérée par un jeune médecin de garde qui baillait à tout va ; je voyais plus le fond de sa gorge que son joli minois. Je lui avais expliqué mes tracas et exposé mes symptômes, puis il m'avait examinée par simple obligation. Lui, il savait que j'avais rien. « Vous mangez régulièrement ? » m'avait-il demandée. Je savais que j'étais pas très épaisse. J'avais pas su quoi répondre alors je l'avais regardé avec des yeux de merlan frit. Il m'avait sourie. Un beau sourire, je vous assure ! Il avait les cernes étendues jusqu'aux commissures des lèvres mais pour sûr, qu'il était beau et qu'il avait un beau sourire ! C'était rare, les beaux toubibs. D'habitude, c'était tout vieux, tout chauve ou tout nonchalant. 'Paraîtrait même qu'ils couchaient avec les infirmières pendant le service... Sur la table, sur le bureau, dans les petites salles chauffées entre deux opérations... Bah, fallait bien décompresser. Ils étaient toujours rattrapés par le temps, à devoir s’exécuter à la tâche sans même avoir le confort de déguster un bon café viennois. Ils faisaient comme ils pouvaient. Moi, j'allais pas leur jeter la pierre, aux toubibs, et encore moins à ce sujet-là !
Enfin enfin, ce jeune médecin de garde m'avait ensuite demandée si dans ma vie, tout se passait bien. J'avais été un peu surprise, vous pensez. Pourquoi s'intéressait-il à mon piètre quotidien de femme ? Au début, j'avais été un peu réticente mais il avait été très doux, le petit toubib au beau sourire (puis il avait de jolies mains aussi, ça se voyait qu'il était médecin !). Au fil des mots, j'avais fondu en larmes devant son minois compréhensif. Je m'en souvenais de comment j'avais tenté de m'exprimer dans cette cascade de sanglots. Il m'avait ramené des mouchoirs et un café chaud, puis dit : « Un peu de lait avec ? ». J'avais ri. Bah quoi, c'était mignon de sa part ! J'avais jamais croisé le chemin d'un homme aussi gentil. Puis moi, mon mari, il m'ennuyait alors que ça faisait que deux ans qu'on était mariés donc je l'avais embrassé, le jeune toubib mais il avait rien dit. Immobile comme une statue donc j'ai recommencé. Voilà que je m'étais prise pour les infirmières. Il avait rien dit, il s'était laissé faire (qu'il était beau ! Quelle chance !). Puis c'était agréable, puis c'était incroyable. Je faisais pas ça à mon médecin traitant, moi, celui qui me prescrivait mes antibiotiques contre mes cystites à répétition (faut dire qu'il était vieux et qu'il sentait le chamois).
Puis le jeune toubib m'avait arrêtée. Normal, normal. On faisait pas ça à ses patientes, normal, normal. « Rien de grave, vous pouvez rentrer chez vous. » m'avait-il dit ensuite, avant de me rappeler que je devais manger. Je mangeais pas beaucoup, c'était bien vrai. Il m'avait aidée à me rhabiller parce qu'il était gentil. Puis il était devenu rouge comme une écrevisse aussi. Pauvre, il avait été toute chose ! Pas étonnant. « Prenez soin de vous, madame. » puis j'avais déguerpi, parce que j'avais fait la connerie de ma vie.
Yorick26:
"C'était rare les beaux toubibs" Non mais dis donc ! Merci bien ! @Izzy Novada et @Moon qu'avez-vous donc à dire à cette mégère (c'est pour l'effet de style, ce mot n'est absolument pas une insulte envers toi. C'est juste le terme employé dans le script.) ?
Sinon c'est un joli texte. Un peu cliché quand même, mais joli. Mais surtout, bon sang, qu'est-ce qu'elle avait ? Pourquoi était-elle pas bien ? On ne le saura pas en définitive. Ou justement est-ce ça la connerie : être partie alors qu'il y avait quelque chose de grave ?
Moon:
J'ai à dire que je pleure toutes les larmes de mon corps :'(
Neyrin.:
Quelle mégère je fais... Terrible.
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