Communauté > Littérature, Fictions
Bibliothèque simiesque
Yuan:
文庫
BIBLIOTHÈQUE
Bonjour, bonsoir, et bienvenue sur ma modeste bibliothèque de textes ! Bien que je n'écrive que très peu, ce topic me servira à recueillir tout ce que produis à ce niveau là. Bien que je prenne aussi le temps de recueillir mes textes sur mes profils FanFiction et Fictionpress, je compte profiter de PZ pour les partager. Enfin, dans tous les cas, le mieux que je puisse faire est de souhaiter que cette librairie se remplisse petit à petit, et que vous passiez une agréable lecture !
Je prends en compte tous les commentaires qui me sont destinés, positifs ou négatifs. Si vous prenez le temps de m'en laisser quelques uns, je vous remercie d'abord de me lire, mais aussi de me donner la motivation de continuer. J'ai conscience que j'ai beaucoup de progrès à faire, donc n'hésitez pas à me faire remarquer mes erreurs en étant le plus violent possible, j'adore qu'on démonte ce que je fais, ça m'aide à progresser.
↘Apparatus
Un projet original de scénario. Ici encore, il ne s'agit que d'un fœtus. Mais j'espère pouvoir vous faire partager un jour sa forme finale, que je souhaite vraiment pouvoir mettre à exécution d'ici quelques années.
[*]Esquisses: I ⋅
La plupart de mes projets naissent d'idées de scènes, de circonstances. Il est très rare que l'idée d'un projet me vienne à partir d'un simple concept. Bref, Apparatus, lui aussi, existe à cause de scènes, et c'est pourquoi, malgré le fait que le projet soit encore en conception, il m'arrive d'en faire des ébauches, des schémas, des brouillons.[/list]
↘幻想魔伝最遊記 【Gensomaden Saiyuki】
[*]Volière: Première Éternité ⋅ Seconde Éternité ⋅ Troisième Éternité ⋅ Quatrième Éternité
À celui qui a commis un crime impardonnable, une punition insurmontable.[/list]
↘自分 【jibun】
La façon la plus simple de traduire 自分 est « soi ». Je trouvais ce nom approprié pour designer des textes sans réelle consistance, n'étant rien de plus que des pensées ou des observations personnelles, des bouts de moi.
[*]Le vieux matou
À force d'être toujours seul, quand un compagnon vient nous rejoindre, l'attente devient supportable. Alors maintenant qu'il a un ami, même s'il est un peu bête, il ne se sent plus seul en attendant le jeune maître.[/list]
[*]Rencontres Aléatoires
Ma participation au recueil collectif inspiré du texte de Rictus.[/list]
↘Legend of Zelda
[*]L'Épouvantail
« En fait, je ne sais pas si je crois aux Minish. Mais justement, j’aimerais en être sûr. Et pour ça, il faut que j’en voie. Ou qu’on me donne une bonne raison pour laquelle ils n’existeraient pas. Après tout, il y a bien un tas d’insectes qui existent, et ils sont tout petits eux aussi, alors pourquoi pas des Minish ? »[/list]
↘Metal Gear
[*]Coffee Cup
Si enchaîner des nuits blanches pour remplir de la paperasse est ce qu'il faut faire pour devenir sous-commandant en chef, Miller est prêt endurer le supplice, même si c'est atrocement désagréable.
(Sur le forum en VO et VF)[/list]
↘猿飛 【Sarutobi】
Un projet original de bande-dessinée. Il s'agit d'un slice-of-life dont les scènes se déroulent aux États-Unis, au Japon, ou ailleurs.
[*]Saynètes: I ⋅ II
Des bribes de scènes qui servent à m'imaginer un peu une sorte de narration avant de tenter d'esquisser les planches de BD.[/list]
↘Verhaal
Un projet original fantastique, qui met en scène un monde original.
[*]能 【no — faculté】: Acte Premier ⋅ Acte Second ⋅ Acte Dernier
Cela fait une éternité que ce petit manège se perpétue : une étrange apothicaire apparaît, traite un malade, puis disparaît après avoir fini son travail. Ses patients n'ont jamais l'occasion de la remercier ; ce n'est pas eux qu'elle soigne, mais sa colère.[/list]
LÉGENDE :
TEXTES COMPLÉTÉS — TEXTES EN COURS — TEXTES EN PROJET
Yuan:
MOT DE L'AUTEURBon, je ne pouvais pas commencer ce topic autrement qu'avec ce texte, puisque c'est le premier que j'ai écrit depuis des lustres. Il s'agit bien évidemment de ma participation au concours d'écriture de Lypphie, et du premier acte des trois parties de la compétition, qui répond au thème de genèse. Le but était de créer et d'animer un univers, et pour cela j'ai choisi de reprendre une vieille idée qui me trotte dans la tête depuis longtemps, mais que je n'avais jamais mis à exécution par le passé. No est donc une toute petite partie d'un univers plutôt immense que je projette de mettre en scène tôt ou tard. En tout cas, je remercie Lypphie et son concours, parce que le thème de celui-ci est ce qui m'a donné un coup de pied au cul pour passer à l'attaque sur cet univers.
La scène de début de ce texte est un[e tentative d']hommage au sublime anime qu'est Mononoke. Le maquillage de Kusuriuri a été une source d'inspiration pour celui de Mugon, bien qu'après de nombreux croquis, mon personnage a fini par s'en démarquer. En tout cas, dans ce texte, l'influence est plutôt forte, mais elle s'est apaisée par la suite de l'histoire. J'ajouterai aussi que la version qui se trouve dans ce post n'est pas tout à fait la même que celle que j'ai envoyé au jury : ici, Mugon est passé au féminin... Parce que l'univers que j'ai mentionné plus haut, qui comporte No, manque cruellement de personnages féminins. Mugon étant parfaitement androgyne, j'ai choisi en cours de route d'en faire une femme. Pour moi, ça ne change pas grand chose.
Bref, personnellement je n'aime pas tant que ça ce texte, mais il représente la première chose que j'ai pondue depuis un bon bout de temps, alors je compte bien le conserver. Enfin, bonne lecture !
(Cliquez pour afficher/cacher)能
【no — faculté】
Acte Premier
顰
【shikami — visage tordu】
Le soir allait bientôt recouvrir de ses sombres ailes un village de province sur lequel une pluie légère s'était abattue. Elle avait commencé aux aurores pour ne plus s'arrêter. Toutefois, c'était avantageux pour l'agriculture, alors personne ne s'en plaignait. Les rues étaient restées vides, dépourvues des quelques chiens et chats errants qui s'y promenaient parfois. Pas même un oiseau n'avait ouvert son bec aujourd'hui. Le ciel s'était grisé au lever du jour et sa teinte n'avait pas changé depuis. Lorsqu'un passant ou un travailleur avait eu besoin de traverser la modeste cité, il l'avait fait en hâte, un parapluie de paille de riz grand ouvert au-dessus de sa tête, les mains crispées si fortement autour de celui-ci que l'on aurait dit qu'il protégeait non seulement de la pluie, mais aussi des malheurs.
Les visiteurs étaient bien rares, mais lorsqu'il y en avait, leur chemin était toujours le même — ils traversaient trois ruelles en zigzag, s'arrêtant parfois pour demander à un passant où était situé le ryokan1 de la cité, puis reprenaient leur route. Mais l'étrangère d'aujourd'hui n'avait eu personne pour l'aider à trouver son chemin, aussi le fit-elle seule. Avare de ses mots, elle ne comptait de toute façon pas sur l'aide d'un inconnu pour atteindre un lieu dans lequel elle allait se retrouver tôt ou tard. C'était tardivement qu'elle avait rejoint la porte de l'auberge et plié son modeste parapluie pour y pénétrer. À peine posa-t-elle le pied dans l'entrée qu'elle eut le réflexe respectueux de se déchausser. Elle s'avança au comptoir désert et attendit patiemment que l'okamisan vienne s'occuper d'elle.
Son attente fut interrompue dès que ses yeux croisèrent une femme d'âge moyen qui s'avança vers l'entrée, un grand sourire accroché à ses lèvres gercées. D'elle émanait un aspect rond. Qu'il s'agisse de ses joues opulentes, de sa généreuse poitrine, de son ventre épais serré dans son yukata2 ou de ses mains potelées, elle était singulièrement ronde.
« J'allais vous dire que vous arrivez bien tard dans l'après-midi, mais comment faire une remarque à une femme si bien habillée ! s'exclama-t-elle en riant d'une voix forte et claire. Il nous reste encore quelques chambres, c'est avec plaisir que je vous y mènerai. Quel est votre nom ? »
Elle la fixa pendant une ou deux secondes.
« Mugon3. »
Une voix aussi limpide que de l'eau avait répondu. Elle coula si calmement entre les deux personnages que l'on aurait cru qu'elle venait d'ailleurs.
L'étrangère la dévisagea encore sans laisser transparaître la moindre émotion. Son visage était absolument vide d'expression. Elle n'avait eu aucune réaction suite aux compliments venus la charmer, comme s'il s'agissait d'une vieille habitude. La jeune femme arborait de grands yeux longs aux iris clairs comme du verre, un nez fin et pourvu d'une longueur parfaitement agencée au reste de son visage, et de jolies lèvres qui s'alliaient avec harmonie au reste. Son teint était fardé de blanc, sur lequel venaient se poser des lignes de maquillage rouge afin de souligner la ligne de son nez, sa lèvre supérieure, le haut de ses pommettes, ses paupières inférieures et ses sourcils. Ses vêtements étaient lourds et elle portait une caisse en bois sur son dos. C'était là l'accoutrement typique d'un apothicaire du pays, et pourtant, sur cette femme, il ne faisait qu'ajouter un coup de pinceau de plus la beauté naturelle de ses traits.
À peine eut-elle prononcé son nom que l'okamisan s'était mise à l'inscrire sur sa liste. Elle n'avait donc pas senti le regard insistant qui la scrutait avec attention depuis l'autre côté du comptoir. Mugon profita du silence pour reprendre la parole, de son ton toujours aussi posé :
« Avant que vous ne me comptiez parmi vos hôtes, il est important que je vous dise que je suis, malheureusement, dans l'incapacité de vous payer. Je ne vous demanderai que peu de nourriture, ne serait-ce que la moitié de chaque repas. En échange, j'accepte de m'occuper de n'importe quel malade en cette cité. Si qui que ce soit devait souffrir d'un mal, je ferai de mon mieux pour l'aider. Je ne souhaite qu'un peu de votre hospitalité en retour. »
Elle allait ajouter à cela qu'elle était prête à partir si cet accueil lui était refusé, mais l'aubergiste releva aussitôt les yeux vers elle, étirant ses lèvres en un large sourire. Des fossettes vinrent creuser ses joues sphériques.
« Sachez que moi, je ne travaille pas pour l'argent, mais par hospitalité ! Ça me fait d'ailleurs plaisir d'apprendre que vous non plus, vous ne vendez pas vos talents. Soyez la bienvenue dans ma modeste auberge, jeune fille ! Quant à vos services... »
Sa voix se baissa sur sa dernière phrase, et ses yeux en firent de même.
« Et bien... Nous logeons ici un voyageur très mal en point. Ce qu'il a n'est vraiment pas beau à voir. Nous lui apportons chaque jour les repas dans sa chambre, et il n'en sort pas. Je n'aimerais vraiment pas qu'il meure dans mon auberge, voyez-vous.
— Je peux étudier son cas dès ce soir, si cela vous rassure », répondit Mugon aussitôt que l'okamisan eut fini sa phrase.
Son visage sembla s'illuminer de nouveau, et ses yeux s'ouvrirent comme deux grandes billes.
« Merveilleux ! dit-elle. Souhaitez-vous que je vous mène dans un premier temps à votre chambre, que vous puissiez vous y reposer ? Vous avez l'air d'avoir passé une rude journée.
— Non merci. »
Elle accompagna sa réponse en baissant légèrement son visage, ses yeux toujours rivés dans ceux de l'hôtelière.
« Je préfère d'abord faire ce que j'ai à faire. »
Son interlocutrice hocha la tête. Elle passa devant le comptoir et s'en alla ranger les getas4 de l'étrangère, puis posa à ses pieds des chaussons de paille, qu'elle enfila aussitôt. Elle se plaça devant l'apothicaire, et sans avoir à lui faire un geste pour qu'elle la suive, elle se dirigea vers les chambres, avançant d'un pas décidé jusqu'au fond du couloir. Lorsqu'elle atteignit la chambre du malade, elle se tourna vers Mugon pour lui faire signe d'attendre un instant, puis pénétra dans celle-ci. Elle en ressortit à peine un instant plus tard, inclina une révérence à la jeune femme, puis disparut dans la pénombre à l'autre bout du couloir.
Mugon resta pendant un léger instant devant la porte coulissante, l'esprit vide. Elle respirait le plus calmement du monde, se concentrant sur ce qu'elle avait à accomplir. Elle essayait de distinguer les odeurs filtrées par la cloison de papier. Il y avait un certain parfum dérangeant qui ne plaisait guère à son odorat affûté. Et, outre ce que son nez lui permettait de sentir, elle comprenait que la tâche serait lourde. Mais après tout, elle n'avait pas mis le pied dans cette auberge pour se reposer. Comme elle l'avait si bien dit, elle devait faire ce qu'elle avait à faire. Et aussi brusquement qu'elle se remémora ces mots, elle poussa la porte d'un geste rapide.
L'odeur s'amplifia brutalement au point de devenir même insupportable. Elle était tout particulièrement écœurante. Mugon n'aurait su la décrire, mais il y avait quelque chose à son sujet qui était particulièrement repoussant, de la même façon que l'est la senteur d'un cadavre. Lorsqu'elle réussit à détourner son attention de ce que son odorat lui faisait part, elle se concentra sur ce que sa vue avait à lui offrir. Et à peine aperçut-elle l'homme qu'elle eut le réflexe de refermer la porte coulissante derrière elle, pour que personne d'autre n'ait à entrevoir cela.
Le malade était assis à genoux devant sa table basse et ne se tourna même pas vers sa sauveuse. Sa peau était sombre, d'une teinte presque grisâtre. Il avait des cloques immenses sur les joues, y compris sous sa barbe mal entretenue. Ses cheveux hirsutes recouvraient maladroitement son crâne qui se trouvait, lui aussi, dans un bien piteux état. Mais le pire, chez cet homme, était ses bras. Il était torse nu, sans doute à cause du tissu qui devait être douloureux contre sa peau. Cela dévoilait à Mugon l'étendue de la maladie de l'homme — des boules immondes étaient gonflées sur toute la longueur de son bras, et quelques unes décoraient même ses épaules et son torse. Elles avaient une teinte un peu plus pâle que le reste de sa peau, sans doute gonflées de pus. Et sa main droite, quant à elle, était colorée de noir, suggérant un début de gangrène.
Ce qu'il a n'est vraiment pas beau à voir. C'est ce que pensa aussitôt Mugon sans même remarquer qu'elle avait eut idée des mêmes mots que l'okamisan. Elle fronça légèrement les sourcils et plissa les yeux, puis s'avança enfin vers l'homme et s'agenouilla à ses côtés, posant la caisse qu'elle avait sur le dos. Elle ouvrit cette dernière et dévoila ainsi ses outils de travail à l'homme. Ils restèrent un temps comme cela, sans bouger, sans s'échanger un mot.
« Vous allez vous occuper de mon cas, Mademoiselle ? » questionna le malade d'une voix qui sonnait faux, un peu comme le grincement d'une porte. Elle était plus grave et éraillée, mais toute aussi chevrotante. Quelques consonnes parvenaient difficilement à se former en raison de sa dentition jaunâtre peu garnie.
« Effectivement, lui répondit aussitôt Mugon. Ça risque de ne pas être très agréable, mais c'est pour votre bien.
— Allez-y donc, ne vous ménagez pas ! rétorqua l'homme en toussotant. Ah, mais seulement, Mademoiselle... Si c'est vraiment trop désagréable, n'auriez-vous pas quelque chose à raconter, pour me faire penser à autre chose ?
— Quelque chose à raconter ? répéta l'apothicaire en appuyant sur chaque mot.
— Ah, excusez-moi, je suis bête. Vous avez sans doute besoin de vous concentrer pour travailler. Ce n'est pas grave, je pourrai très bien supporter le silence. »
Mugon retourna ses yeux cristallins vers le gangreneux en même temps qu'elle désinfectait une aiguille.
« Ne vous en faites pas, je peux vous raconter quelque chose si vous le désirez. Que souhaitez-vous entendre ? »
L'homme resta un instant à réfléchir, poussant un son indescriptible depuis sa bouche fermée.
« Vous venez de loin ?
— On peut dire ça.
— Avez-vous des quelconques croyances spirituelles ?
— Pas plus que tout le monde. »
Le malade sourit avec le peu de dents qu'il lui restait.
« Parlez-moi un peu de ça, alors ! J'adore ce genre d'histoires. »
Mugon se retourna vers le malade avec une aiguille dans une main et du tissu imbibé de médicament dans l'autre.
« Ça ne sera sans doute pas très différent de ce que vous connaissez déjà, car il n'y a qu'une seule vérité. Mais je tâcherai de satisfaire votre désir. »
L'homme étira davantage ses lèvres en un rictus heureux, puis tourna la tête pour ne pas avoir à observer la procédure qu'il allait subir. Mugon hocha la tête puis débuta son conte d'une voix aussi douce qu'un fil d'eau qui suit son cours.
⁂
« Pour exister, toute chose doit être composée de deux aspects primordiaux : une forme et une raison. Autrement dit, elle doit avoir un corps et une énergie qui lui sont propres. Retirer l'une de ces deux choses à un être ou un objet revient à le faire disparaître. C'est pourquoi elles sont à la base de tout.
Pour être à la base de ce tout, elles se doivent aussi d'être liées. Et ce ne fut pas le cas au début. Elles arboraient la forme d'entités. Leurs noms ont dû changer au fil du temps et des régions, mais dans chaque contrée où j'ai posé le pied, tout un chacun semblait convaincu de leur existence. Aussi n'ont-elles jamais été remises en cause. J'ai cru comprendre que les gens d'ici paraissaient également reconnaître ces deux êtres suprêmes. Toutefois, je ne les nommerai pas. Je pense que s'il y a une chose dont ils peuvent se passer, c'est d'un nom. »
Sans s'interrompre dans le cours de sa phrase, Mugon enfonça subitement son aiguille dans le centre d'une des boules de pus sur le poignet de l'homme. Elle avait auparavant enduit la partie gangreneuse de celle-ci d'un gel d'herbes qui avait une odeur certes forte, mais déjà plus bienveillante que celle de cadavre qui s'en émanait auparavant. Elle laissa l'aiguille reposer dans la peau gonflée pendant un bon moment, sans bouger la main, sans cligner de l’œil. Elle agissait d'une façon très professionnelle, voire presque mécanique. Comme si c'était pour elle un simple automatisme après tant d'années de pratique, malgré son jeune âge. Elle ne prêta même pas attention au visage du malade, qui s'était crispé lorsque l'aiguille était venue se loger dans sa peau. Il avait serré le peu de dents qu'il avait et n'avait pas laissé échapper le moindre son, si ce n'était un souffle un peu coupé et brusque. Mais ça, Mugon avait l'air de ne pas s'en préoccuper le moins du monde.
Après un certain temps, elle retira enfin l'aiguille de l'endroit où elle s'était profondément logée. Sa sortie fut suivie d'un fil blanchâtre de pus, qui ne sembla pas impressionner l'apothicaire alors qu'il aurait dégouté plus d'un homme. Puis, à l'aide de petits bouts de tissu sur sa main habile, elle appuya de chaque côté de la fente qu'elle venait d'ouvrir, laissant s'échapper une quantité écœurante de pus à mesure que la pustule se dégonflait. Une fois que la coulée cessa, Mugon trempa un autre morceau de tissu dans un mélange broyé d'herbes diverses, et massa délicatement la plaie qui avait saigné entre-temps. À voir la réaction de l'homme, ce traitement semblait piquer encore plus cruellement que l'aiguille. Mais là encore, Mugon n'en avait que faire.
« Avant que notre monde ne soit en état d'exister, ils étaient là, sans forme, à se faire face, plongés dans le néant. Ils sommeillaient plus profondément encore que les morts. On dit que leur repos prend place à la fin d'un monde, ce qui laisserait présager que le nôtre aussi, un jour, prendra fin. Et à chaque fois qu'ils s'éveillent, ils se redécouvrent et s'émerveillent. Ainsi, ce fut avec grâce et naïveté qu'ils parvinrent, cette fois encore, à prendre vie. Ils étaient seuls et le savaient, mais n'éprouvaient rien, si ce n'était le désir profond de rejoindre leur unique compagnon. C'est dans ce but que l'une de ces deux entités se fit apparaître de grands yeux sur le visage, dans l'espoir de communiquer. Mais la seconde avait plutôt pensé à se faire des oreilles pour cela. Afin de créer un échange, elles formèrent une bouche sur leurs visages respectifs. Mais elles n'avaient rien à se dire.
La Forme arborait de grandes oreilles, et aucun son n'y échappait. Lorsqu'elle dut s'approprier des yeux, elle les fit fins et menus. Le calme et la sérénité reposaient sur son expression inaltérable.
La Raison était caractérisée par de grands yeux ouverts, que les détails les plus infimes ne pouvaient fuir. Imitant sa sœur, elle s'offrit des oreilles, mais les fit bien plus petites et enfantines. De son visage ressortait une expression paisible et silencieuse. »
Pustule après pustule, l'avant-bras de l'homme commençait à se dégonfler. Mugon faisait preuve d'une vigilance exemplaire en traitant calmement les boules les unes après les autres. Parfois, il arrivait que l'une d'entre elles se remette à saigner alors que l'apothicaire avait déjà planté son aiguille dans la suivante. Dans ce cas de figure, sans bouger sa main droite, elle attrapait un bout de tissu propre et l'appliquait sur la blessure, en appuyant un peu pour mettre fin au saignement. Elle n'interrompait sa procédure que pour désinfecter son aiguille entre chaque pustule, sans même regarder une seule fois le visage de son patient.
Lorsqu'elle en arriva à dépasser le coude, elle fit une légère pause durant laquelle elle déroula une bandelette de tissu afin de recouvrir la partie qu'elle venait de traiter. Elle imbiba de son produit encore une fois la partie gangreneuse, puis commença à la recouvrir avec le bandage. Elle veilla à séparer chaque doigt tout en faisant en sorte qu'une quantité suffisante de tissu les recouvre, de manière à ce qu'ils ne puissent pas trop bouger non plus. Elle remonta ainsi tout le long, du poignet jusqu'au coude, veillant à bien recouvrir les parties éclatées. Une fois arrivé au coude, elle forma un petit nœud avec ce qu'il lui restait de la bandelette, puis essuya ses mains avec beaucoup d'attention. Lorsqu'elle eut fini, elle reprit son aiguille en main et s'attaqua à la pustule suivante, sur le biceps de l'homme. Ce dernier se remit à grimacer.
« Enfin, les deux êtres se touchèrent. Du bout du doigt, sans doute. Cela se fit naturellement, sans qu'aucun mot ne soit échangé. C'est ce qui créa ce que nous nommons « univers ». Ce Tout n'était qu'Un. Il apparut ainsi, dans le silence et le calme les plus absolus.
Vous me direz qu'afin de créer un univers dans une pareille harmonie, il faudrait que cette énergie et cette matière soient liées d'une façon telle qu'elles seraient impossibles à détacher ou même à distinguer, n'est-ce pas ? C'était évidemment le cas. De ce simple toucher, de cette union si anodine, s'était créé un être équivalent aux deux autres. La Vérité. Un fil qui connecterait éternellement la création à la destruction. Le présent qui se situe entre le passé et le futur. Le Tout.
Dans cet univers apparurent bien des choses — les étoiles et les planètes qui tournent autour ; les rochers et les arbres qui recouvrent notre terre ; les animaux et nous-mêmes. L'humanité diffère du reste par les deux choses qui régissent sa conscience : elle est libre de ses actes, mais fatalement liée à certains événements qu'elle ne peut contrôler. Toute stratégie tient sur une part de hasard, aussi minime soit-elle. Et c'est ainsi que l'homme avance dans ce monde, tout droit, veillant toujours à respecter l'équilibre de ce fil. »
Lentement mais sûrement, le reste du bras y passa. L'apothicaire s'était déjà attaquée à l'épaule du malade, recouverte de quelques boules de pus qui se chevauchaient les unes les autres. Elle vint à bout de chacune d'entre elles, toujours à l'aide de son aiguille et de sa pommade d'herbes. Elle avait procédé jusque-là sans imprévu ou mauvaise surprise, ce qui l'étonnait d'ailleurs un peu, puisqu'elle ne s'était jamais occupée d'un patient aussi mal en point par le passé. Mais de tout cela, elle ne laissa rien paraître sur son visage, ignorant même les petits souffles de douleur de l'homme.
Lorsqu'elle en eut fini avec les immenses pustules sur le haut de l'épaule droite et qu'elle eut pris le temps d'en extraire la masse visqueuse de pus, elle s'empara d'une autre bandelette de tissu et recouvrit le reste du bras et le haut de l'épaule. Cette fois-ci, elle sentait néanmoins que quelque chose avait changé chez le malade. Son visage s'était creusé de rides de douleurs, le déformant affreusement. Il y en avait autour de son nez et de ses lèvres, entre ses sourcils froncés, et sous ses yeux plissés. Elles étaient lourdes et profondes, lui donnant presque l'air d'un diable. Ce qui était étrange avec cette expression, ce n'était pas son intensité, mais plutôt ce qu'elle dégageait. Elle ne donnait pas l'impression d'être le résultat de la souffrance due au traitement, mais plutôt d'être liée à de la colère. Peut-être s'agissait-il de mécontentement. Comme si cet homme n'avait pas voulu qu'on lui retire ce qu'il avait.
« La Forme et la Raison n'avaient plus besoin d'interagir avec la Vérité. Tout était parfaitement équilibré et agencé. Sauf... Sauf pour un petit bourgeon qui poussait et grandissait, lentement. Lorsqu'il en vint à éclore, un être en sortit. Les Entités auraient dû le détruire tant qu'il en était encore temps, mais elles ne s'attendaient pas à ce qu'il s'avère aussi dangereux pour elles. Car en effet, il leur était en tout point similaire. Il pouvait créer et détruire de l'énergie et de la matière avec la même aisance qu'elles. Mais il avait, en plus de cela, un point commun avec tous les êtres du monde dont il était originaire : il pouvait ressentir des émotions. En cela, il était supérieur aux Entités. Et cela s'annonçait bien mauvais pour elles, surtout s'il trouvait le moyen de se reproduire.
Alors, dès qu'elles en eurent l'occasion, elles le détruisirent. Et pour s'assurer qu'il cesse de se régénérer, elles l'enfoncèrent au plus profond de notre monde, dans le noyau même. Ainsi, cet être parfait était réduit à y rester pour l'éternité, sans jamais connaître le repos. Au fil de cette éternité, il se dégradait, comme l'avaient souhaité les Entités. Il laissait s'échapper sur Terre des parts de lui sous différentes formes : les premières étaient des humains qui possédaient une toute petite partie de sa force. À notre échelle, ce n'est pas négligeable ; mais à celle de cet être, si. Il n'était donc pas un problème pour les Entités d'éliminer ces petites « erreurs » une à une, au fil de leurs apparitions.
Mais il existe une autre manifestation de la colère de cet être : des espèces d'esprits, de spectres. Ils apparaissent sous un bon nombre de formes, toutes trop anodines pour que les Entités s'en préoccupent. Ils naissent de façon aléatoire, dans des lieux divers, sans raison apparente. Mais ils ont tous la même fonction : parasiter un être humain afin de grandir en lui, de se propager, et de recréer l'être dont ils sont issus. Ils n'y sont jamais parvenus, car en ce bas-monde, certains hommes les traquent et font tout pour s'en débarrasser. Ces chasseurs les ont nommés mononoke5. »
Mugon en avait à présent fini avec le bras droit. Elle désinfectait calmement son aiguille quand l'homme lui adressa la parole :
« C'est assez proche de ce que je connaissais... » On aurait dit que sa voix avait changé. Elle était devenue plus grave, plus abîmée. « Sauf sur la fin... »
L'apothicaire ignora cette remarque et ne tourna même pas les yeux vers son interlocuteur.
« Vous avez l'air de vous y connaître, dîtes-moi... » ajouta encore l'homme, étirant ses lèvres en un sourire. Son front, toujours détruit par les lignes qui s'étaient mises à le déformer, était ruisselant de sueur. « Vous avez quelque chose d'autre à me raconter sur ces mononoke ? »
Mugon n'avait pas eu l'air d'apprécier que le malade se soit particulièrement attardé sur ce point de son récit. Elle fronça légèrement les sourcils en observant son aiguille. Elle ignora complètement la demande de son patient et allait s'attaquer à la pustule suivante quand une voix insistante l'interrompit en plein geste et la fit sursauter.
« Allez, parlez-moi de ces mononoke ! »
L'apothicaire l'ignora à nouveau et enfonça son aiguille dans la pustule. Mais le sourire de l'homme ne quitta pas ses lèvres, contrairement aux fois précédentes, où il avait grimacé à chaque piqûre.
« Vous les connaissez bien... Vous les chassez, d'ailleurs. C'est pour cela que vous êtes venu ici, dans ce ryokan. Parce que vous sentez ces choses-là. Vous êtes étroitement liées. »
L'aiguille ressortit de la plaie. Ses doigts appuyèrent contre la pustule. Le pus dur et visqueux en sortit en grosses larmes. Elle attendit que la coulée cesse pour l'essuyer. Elle appliqua la pommade, désinfecta son aiguille.
« Vous aviez promis de me raconter quelque chose ! »
L'homme paraissait en colère. Son visage s'était complètement tordu sous sa hargne.
L'aiguille prenait du temps à se nettoyer. Le pus avait été particulièrement épais cette fois. Mais Mugon se résolut à ne pas répondre. Elle n'aimait pas l'attitude de ce malade. Quelque chose venait de brusquement changer en lui, et ça ne lui plaisait pas du tout.
Elle s'avança vers le torse de l'homme et chercha à s'attaquer à la pustule au milieu de sa poitrine. Elle tenta de planter sèchement l'aiguille, comme lors des fois précédentes — mais rien n'y fit. Cette boule était dure comme un rocher. Mugon s'éloigna. Si elle essayait à nouveau, elle allait abîmer son précieux outil. Elle désinfecta à nouveau l'aiguille par précaution, puis montra sa main gauche au malade, et plus particulièrement son pouce. Celui-ci était orné d'une longue bague de jade, qui se prolongeait même après le bout du doigt, formant un ongle pointu et particulièrement aiguisé. Elle était décorée de motifs creusés dans la pierre, au creux desquels on avait fait couler de l'argent.
« Si vous voulez bien m'excuser, vous risquez d'avoir un peu mal. »
Mugon avait prononcé ces mots calmement et ne semblait pas se soucier de la douleur qu'elle était sur le point de causer.
Sans laisser à l'homme le temps de réagir, elle enfonça son bijou dans la pustule sur son torse. À peine l'ouverture fut-elle faite qu'un liquide noir en sortit. Il coulait avec abondance, comme s'il provenait d'une source extérieure. Le malade secouait la tête nerveusement, un peu comme sous l'effet d'un tremblement. Son visage était plus que jamais creusé par d'atroces lignes noires. Si on avait comparé sa tête actuelle avec celle qu'il avait lorsque Mugon était entré, on aurait cru avoir eu affaire à deux hommes complètement différents, sans même un lien de sang. Il grognait d'un air mauvais, d'une façon comparable à celle d'un démon. De la salive semblait même couler d'entre ses lèvres tordues en une grimace. Son teint était plus cadavérique que jamais. Mais, comme à son habitude, l'apothicaire y resta impassible.
« C'est pour cela que vous êtes venu ici, dans ce ryokan. Parce que vous sentez ces choses-là. Vous êtes étroitement liées. » Mugon fronça les sourcils en se remémorant cette phrase.
Tu as beau me connaître, petit Mononoke, tu restes ce que tu es. Un esprit sans défense face à ton bourreau. Je te chasse, mais ne te méprends pas. Moi aussi, je suis chassé. Je suis une erreur pour les Entités. Je sais que je ne pourrai pas les fuir éternellement, alors je me suis donné un but. En un sens, je les aide un peu. L'être qui a été envoyé dans le noyau de ce monde m'a légué, inconsciemment et involontairement, une partie de sa force. Alors je la mets à bon escient : je vous détruis, vous, parasites de l'humanité, fruits de sa hargne envers l'injustice qu'il a subi. Parce que moi aussi, j'éprouve de la colère pour le sort qui m'a été voué. Mais la mienne est plus habile. C'est pour cela qu'aujourd'hui encore, c'est toi qui as perdu. Et peu importent les formes que prendront tes semblables, je vous retrouverai, un à un, et vous exterminerai.
Je n'ai que faire de la fatalité de mon destin. Je n'ai que faire de l'être dans le noyau de la Terre qui m'a donné vie. Et si mon seul moyen de le dégrader est de vous réduire à néant, je le ferai jusqu'à ce que l'on me trouve et que je sois éliminée. Telle sera ma vengeance pour cette vie dont je ne pourrai jamais profiter.
Mugon ne retira sa bague de la plaie que lorsque le fluide noir se fit moins abondant. Puis, sans même se soucier du fait que la pierre de jade en était tâchée, elle appuya fermement de chaque côté de la fente, libérant encore et encore de cette substance sombre. Elle semblait jaillir de la pustule d'une façon de plus en plus réticente, en petits flots qui gigotaient, comme s'ils avaient une conscience propre. L'homme ne cessa de grogner tout le long, son visage défiguré par une expression haineuse. Une goutte de sang jaillit enfin de la blessure, signalant l'achèvement de la coulée de la chose noire. Les autres boules de pus avaient visiblement subi une pression étrange lors de l'élimination de cette pustule, et s'étaient ouvertes. Elles laissaient s'échapper un flot de pus dont l'odeur était particulièrement dérangeante. Le malade avait enfin cessé ses grognements, mais son expression n'avait pas changé. On aurait cru voir un masque tant sa peau était raide et tant les traits de son visage avaient l'air caricaturaux.
L'apothicaire n'y prêta pas attention et s'occupa plutôt de nettoyer soigneusement sa bague. C'était sans doute ce qu'elle possédait de plus précieux, et elle refusait de la voir plus longtemps dans un état aussi pitoyable. Elle la trempa d'eau et de gel jusqu'à ce qu'elle retrouve son éclat. Puis, elle referma sa caisse de travail et se releva, ignorant la flaque de pus qui s'était amassée autour du malade. Elle jeta un regard à son visage déformé et à la grimace qui l'animait. Une fois de plus, Mugon avait agi aussi mécaniquement qu'une pendule pour soigner cet homme du mal qui le rongeait. Après tout, ce travail était sa seule raison de vivre. Elle resta quelques instants là, à se remémorer les derniers instants passés. En dehors du son de la pluie que l'on pouvait encore entendre à l'extérieur, la pièce était absolument silencieuse.
Il n'y a qu'une seule Vérité.
⁂
Mugon émergea de la pièce avec aussi peu d'émotion que lorsqu'elle y était entrée. D'un geste de main, elle fit passer une mèche de ses longues boucles sombres hors de son visage. Elle tourna la tête et aperçut aussitôt l'okamisan. On aurait dit qu'elle avait attendu dans le couloir en faisant des allers-retours pendant tout le long de l'opération. Elle avait un regard un peu inquiet sur son visage rond, sans doute préoccupée par l'état de son hôte malade. Et puisqu'il était impossible de déceler sur les yeux de l'apothicaire si le traitement avait été possible ou non, son attente n'était pas terminée.
« Eh bien... Comment va-t-il ? » questionna-t-elle. Sa voix portait clairement la marque d'une inquiétude profonde. Mais Mugon l'ignora lors de sa réponse.
« Il se repose. Et il serait mieux qu'il ne dîne pas ce soir ou demain matin. Le traitement que j'ai utilisé est particulièrement éprouvant pour un corps aussi malade que le sien. Mais cela s'est avéré très efficace. J'irai même jusqu'à dire que le mal qui le ronge ne tardera pas à le quitter entièrement. »
L'inquiétude quitta aussitôt le visage de l'okamisan. Elle semblait entièrement réjouie d'apprendre la nouvelle.
« Merveilleux ! dit-elle aussitôt, arborant un grand sourire sur ses lèvres. Fantastique ! Bravo ! Moi qui pensais qu'on ne pourrait plus rien pour le mal de cet homme, me voilà bien rassurée !
— Ne vous en faites pas. J'ai simplement fait ce que j'avais à faire. »
L'okamisan hocha la tête.
« Je suppose que vous souhaitez vous reposer après votre travail, n'est-ce pas ? »
Mugon acquiesça.
« Je repartirai demain. Une longue journée de marche m'attend.
— Nous apporterons le repas du soir dans votre chambre. Nous vous devons bien ça après votre admirable travail, après tout ! »
Elle passa devant Mugon et lui fit signe de la suivre. Sans se retourner ne serait-ce qu'une seule fois, la jeune femme avança derrière elle jusqu'à l'opposé du bâtiment pour rejoindre la chambre qui lui était destinée. Ni elle ni l'aubergiste ne remarquèrent la flaque de liquide noir qui s'était écoulée dans le couloir depuis la porte du malade.
Notes & lexique :
* — Le no est une forme de théâtre japonais des XIVe et XVe siècles mêlant aristocratie et religion. Alliant somptueux costumes et masques, il se déroule en vers chantés et en pantomimes dansés. Le shikami, quant à lui, est un masque typique des théâtres no et kabuki. Son nom signifie littéralement « visage tordu » ou « grimace ».
1 — Auberge traditionnelle japonaise. La coutume veut que l'on s'y présente dans l'après-midi et que l'on attende l'okamisan, gérante des lieux, qui conduira l'hôte à sa chambre. Il est aussi une habitude d'enlever ses chaussures à l'entrée. Les chambres sont couvertes de tatamis et pourvues seulement d'un futon et d'une table basse au milieu de la pièce. Les gérants apprécient rarement qu'un hôte reste dans sa chambre en journée.
2 — Kimono léger porté aussi bien par les hommes que les femmes.
3 — Mugon (無言) signifie « silence, sans parole ».
4 — Chaussures traditionnelles du Japon.
5 — Mononoke (物の怪) signifie littéralement « chose étrange ». Ils jouent un rôle important dans le folklore et la mythologie japonaise, en tant qu'esprits vengeurs.
raphael14:
Comme je l'avais promis dans ma correction de ton texte, j'ai lu la première partie de ce nô.
Je n'ai décidément pas été déçu : tout ce qui m'avait charmé dans ce monde japonisant et étrange, je l'ai retrouvé. J'ai dévoré l'Acte Premier sans en détacher les yeux.
J'aimerais énormément avoir le temps de davantage développer mon commentaire, mais malheureusement je ne l'ai pas. Je te fournirai donc une analyse détaillée de mes impressions avec dissection approfondie du texte dans un prochain commentaire.
D'ici là, sache au moins que tu as un supporter enthousiaste qui ne peut que t'encourager à poursuivre sur cette voie et à nous subjuguer de ta luxuriante imagination.
Izzy Nodova:
Est-ce que ça veut dire que je dois refaire une correction détaillée de ce texte ? ;D
Je plaisante, rassure-toi ! Mais si jamais je te corrige, ça se fera par MP pour plus de discrétion ! :^^':
Concernant mon commentaire, ton texte est le seul de la première manche que je n'ai pas eu le temps de corriger et commenter personnellement. Je posterai mon commentaire de ton deuxième acte quand tu le posteras mais je tiens à dire que tu arrives très bien à me plonger dans cet univers typiquement japonais et ça montre une belle connaissance du sujet. Je lirai ton texte "féminisé" plus tard, étant en pleins examens et révisions je n'ai pas le temps pour ça mais je te dirai ce que je pense de ce changement de genre ! ;)
Yuan:
Merci beaucoup à tous les deux ! Ça me fait plaisir d'entendre que mes participations au concours vous aient plu ! (Et je m'excuse d'avance pour la troisième, qui risque de ne pas autant vous plaire, ou alors si vous l'avez déjà lu, a déjà du vous déplaire... :niak: )
Izzy, j'adore tes corrections ! Du moins, je les trouve vraiment utiles et enrichissantes, surtout pour quelqu'un comme moi qui fait pas mal de fautes dans la syntaxe, les tournures de phrase, les expressions, etc. Donc si tu te sens motivé pour ça, c'est avec plaisir que je lirai ta correction du premier acte ! Je ne t'y force pas, bien sûr :^^:
Bref, en attendant d'éditer et de poster le deuxième acte (j'avais commencé, mais suite à une mauvaise manip', j'ai perdu toutes mes corrections D: ), je partage ici un petit brouillon d'une scène pour un autre de mes projets.
MOT DE L'AUTEURCe texte appartient à un de mes projets de scénario, Apparatus, une espèce de machin à la sauce thriller/science-fiction. L'histoire mettant en scène notre monde, tel qu'on le connaît, dans environ dix ans, sous un ton de révolution (évidemment, il a connu des changements drastiques pour mettre en place cette révolution). Les deux personnages évoqués ici sont un savant fou et son disciple, tous deux alliés à la rébellion. Le premier, Faze, est réputé pour avoir tué des soldats de l'armée gouvernementale de façon particulièrement brutale, parfois même en les torturant. L'enfant à ses côtés, Wilhelm, est un gamin que Faze avait enlevé d'un orphelinat lorsqu'il était encore enfant, et qu'il a éduqué le plus sévèrement possible afin d'en faire un assistant. Ainsi, tout juste à l'âge de quatorze ans, cet enfant possède des connaissances à un niveau universitaire dans bien des domaines, sait manier des armes et se battre, et accompagne son maître partout.
Il m'est difficile d'approfondir davantage ce résumé en quelques lignes, mais je pense que ce sont les seules choses nécessaires à savoir pour comprendre cette scène. Elle me tient à cœur, donc j'ai voulu l'écrire bien qu'Apparatus soit encore en période de conception. Et c'est le cas de quelques autres scènes, mais leurs brouillons sont, à mes yeux, bien moins intéressants et je ne les ai pas tous gardés en conséquent. Bref, bonne lecture !
(Cliquez pour afficher/cacher)C'était avec un cœur serré en trois solides nœuds que l'enfant s'était avancé vers le lit du Corbeau. Il tremblait et faisait de son mieux pour se retenir de faire des gestes trop brusques, qui auraient pu réveiller l'oiseau endormi. Il ne voulait pas que celui-ci lui glisse entre les doigts et s'envole. Pas maintenant qu'il avait réussi à trouver le courage d'accomplir sa mission.
Ce n'était pas du courage qu'il lui avait fallu pour passer à l'acte. C'était de la faiblesse. Une incapacité à supporter ce qu'il avait sous les yeux maintenant qu'il les avait enfin ouverts. Rien que de voir ce nez crochu et ce visage si torturé par les grimaces qu'il affichait sans cesse, il avait envie de vomir. Cette maigreur, ces jambes couvertes de piqûres d'insectes, ces poignets trop fins, ces mains minuscules, ce genou torturé... Il avait envie d'expédier tout ça en enfer. Et c'était pour ça qu'il s'était avancé dans la pièce sans faire le moindre bruit, pas même celui de sa respiration. C'était pour servir la justice.
Ses mains, qui étaient restées cachées dans son dos, se levèrent lentement, pointant vers le bas une petite machette courte. C'était l'une des innombrables armes que le Corbeau avait collectionnées au fil des ans. Alors autant qu'elle serve pour l'achever, s'était dit le gamin. Il inspira lentement une bouffée d'air, sans que cela ne fasse le moindre bruit audible. Il fallait qu'il donne un coup sec en plein dans le thorax. Et après, si le monstre se réveillait, et ça serait sans doute le cas, il lui resterait deux solutions : soit porter d'autres coups, soit, si la bête n'a pas été suffisamment sonnée (et au vu de sa ténacité, ce n'était pas impossible), s'enfuir pour essayer de l'essouffler et de la vider de son sang aussi vite qu'il le pourrait.
Tandis qu'il s'imaginait le monstre recouvert de sang, en train de haleter et d'hurler des obscénités dans toutes les langues qu'il parlait, il revit son visage couvert de sang qui avait brutalement ouvert la porte de leur demeure, le jour de son procès. Il n'avait pas dit un mot, il avait juste brusquement poussé la porte, sans se soucier qu'elle bouscule le gamin sur le coup. Il s'était avancé en boitant douloureusement, et s'était traîné jusqu'au canapé. Puis, machinalement, Wilhelm était parti en courant pour chercher tout ce dont son maître avait besoin. Il lui avait juste dit : « Si je m'évanouis, ranime-moi. Et finis le travail si je ne suis pas en état ». Et c'était en suant et en respirant l'air à grosses bouffées qu'il retira tout seul la balle qui s'était logée dans son genou avant de raccommoder sa prothèse. Ce, sans tomber dans les pommes, sans difficulté apparente. Et si Wilhelm ne lui avait pas apporté les outils aussi machinalement ? Et s'il l'avait laissé mourir ce jour là ? On n'en serait pas là. Il n'aurait pas à lui enfoncer une machette dans le torse si sauvagement.
Et c'était justement en se rappelant cette scène qu'il porta attention au visage de la bête. Une bête, certes, mais humaine. Et endormie, ses traits étaient paisibles. Le Corbeau avait même la bouche entrouverte, respirant calmement, sur le dos, les bras écartés de façon insouciante. À cet instant là, son visage n'était pas celui de Faze. C'était celui d'un humain comme un autre, en plein sommeil, sans doute en train de rêver. Et à cet instant précis, il ne méritait pas de mourir.
Wilhelm crispa d'avantage ses mains sur l'arme blanche, puis soudain ferma les yeux. Il le sentait. Il sentait le regard de Faze sur lui. Il devait avoir les yeux entrouverts. Il allait se relever un peu brusquement, puis hurler en voyant l'arme. Il le savait, c'était prévisible. Et il lui suffirait d'une fraction de seconde, même mal réveillé, pour désarmer Wil et lui tordre le bras au passage. Il devait agir vite.
Maintenant. Il fallait enfoncer l'arme. Maintenant !
Wil ouvrit brusquement les yeux et fit un petit geste mais s'arrêta net. Non, Faze dormait toujours, sans se soucier de rien.
L'enfant eut une petite secousse dans sa respiration. Il vérifia que celle-ci n'avait pas réveillé le Démon. Mais non, toujours rien. Ses yeux étaient toujours clos, innocemment.
Le môme tenta de calmer ses battements de cœur et son tremblement, mais rien n'y faisait. Il baissa lentement l'arme et remit ses bras à ses côtés. Il regarda à nouveau son maître assoupi, et laissa une larme ou deux glisser sur ses joues rondes. Il les essuya d'un revers de main, puis recula un peu avant de tourner les talons et de s'en aller, le plus silencieusement et le plus lentement possible. Il ne pouvait pas tuer cet homme. Il était certes horrible, mais c'était un génie. Et surtout, c'était sa seule famille. Il ne pouvait pas comprendre pourquoi, mais il n'arrivait pas à s'en détacher. Il savait que la Rébellion l'accepterait facilement une fois Faze parti, mais ce ne serait pas pareil. Il n'y aurait plus personne pour faire de l'humour cynique sur tout et n'importe quoi et pour lui dire d'aller bosser d'un ton sévère. Il n'y aurait plus rien. L'homme qui l'avait tiré de son orphelinat serait perdu à jamais. Et ça, il ne le voulait pas.
Une fois Wilhelm hors de vue, deux grands yeux noirs s'ouvrirent sur le monde. L'expression paisible de ce visage si laid se fit foudroyer sur le champ. Réduite à néant, la colère habituelle qui demeurait habituellement sur ces traits était revenue à la surface. Le Corbeau tourna les yeux vers la porte ouverte de sa chambre, puis esquissa un grand sourire épris de sadisme et de moquerie.
« Wilhelm, petit con... »
Puis il fit un mouvement brusque avec son bras, et recouvrit ses yeux avec la paume de sa main avant de sombrer à nouveau dans un sommeil profond.
« On dirait que je ne t'ai rien appris. Ce n'est pas comme ça qu'on butte quelqu'un. »
Navigation
[#] Page suivante
Sortir du mode mobile