Hier, il y a eu un concert, au Zénith d'Amiens. C'était quelque chose comme 12 euros pour y entrer. 12 euros, c'est que dalle, quand on y pense... Je les ai déjà eu un faisant la manche avec un pote. 12 euros, c'est pas grand chose : on est heureux de les avoir, et on peut s'en sortir un petit moment rien qu'avec eux. Mais 12 euros, c'est aisément sacrifiable pour un évènement culturel.
Mais 12 euros, un tel investissement... Comment est-ce que j'aurais pu l'imaginer ? C'est presque le prix d'un cinéma, dans ma ville ; et autant vous dire que ça fait bien longtemps que j'ai pas eu l'impression de faire une bonne affaire en entrant dans une salle de projection. Mais là... là j'ai eu l'impression de jeter des centimes dans une fontaine et de voir mon voeu exaucé, tellement ce qu'il s'est produit tiens du miracle.
Pourtant, au début, ça n'avait l'air de rien. On est arrivé, moi, une amie et un pote, la salle était quasi vide, on a eu aucun mal à se trouver des places assises où on a été rejoint par d'autres amis. C'était... Convivial, comme un petit concert de rien du tout. Faut dire que le début de soirée avait l'air assez banale, on s'est posé sur des sièges en plastique, des gens sont arrivés, et au bout d'un moment, les lumières se sont coupés pour laisser place aux rojos et à deux DJs furieux, qui forme le duo
Turnsteak. De l'electro qui oscillait entre transe et bourrin, pas transcendant mais en rien désagréable, sur lequel les gens ne se déhanchaient pas des masses, et qui n'augurait rien de spécial. D'autant plus que ce n'était pas ce que les gens attendait :
J'avoue que le départ était aussi agréable que banal. C'est à dire franchement agréablement mais carrément banal. Et puis, les deux DJs ont largué les platines sous les applaudissements, même les miens, et on a remplacé leur tablette par des instruments auquel je suis plus habitué : guitare électrique, clavier, basse, des micros, une grosse batterie. On a fumé une clope au-dehors en se demandant ce qui nous attendait, sans savoir qu'on allait pas tarder à décoller.
Quand on est revenu, ça a été à temps pour voir un groupe d'éphèbes punky s'amener sur scène. Ils avaient pas l'air de messies, juste de jeunes branchés, sympa comme tout. Je ne connaissais pas
Juvéniles avant ce jour. Comptez moi désormais parmi les plus grands fan de l'un des meilleurs groupes que j'ai jamais eu l'honneur de découvrir. On aurait dit la fusion de Joy Division et de Metronomy, tout en n'ayant absolument rien à voir. Et c'était formidable.
La superbe Fantasy, douce comme un bain chaud plein de bulles, et qui m'a poussé à bouger comme jamais. Attention, les plus jeunes, le clip est suggestif... Vous voilà prévenu :3
Ma favorite, Strangers... La basse a failli faire exploser mon coeur, c'était juste... Waouh.
Vous savez... Depuis que je suis tout petit, je n'ai jamais vraiment dansé. A part deux trois fois, souvent parce que j'étais alcoolisé avant d'être majeur, ce qui est plus blâmable qu'autre chose. Et bien, pour la première fois de ma vie, j'ai découvert le plaisir d'enchaîner des pas au son de la musique. Parce que l'electro-rock progressif de Juvéniles m'a arraché le coeur pour l'envoyer en plein ciel comme une fusée. Ambiance enfumée et néonisée de bleu et d'orange, des voix tendres, jeunes, un brin rocailleuse, pleine d'une chaleur profonde et d'un brin de mélancolie, une basse chaude et vibrante, une batterie légère et clinquante, et des mélodies au clavier et à la guitare pleine de féérie... J'ai voyagé. Au moment où la petite bande a commencé à jouer, ce concert est devenu le meilleur de ma vie, et le serait sûrement resté rien que pour eux.
Je ne suis pas un fervent adepte de la foule ; j'ai toujours su faire exception lors des concerts, mais là, je me suis senti VRAIMENT bien. Bercé. C'était incroyable, cette envie de bouger, la joie omniptésente, cette tendresse dans la musique, cette douceur passionnée dans leurs voix... Quand la musique a cessé, j'étais complètement ensorcelé parce que je venais de vivre.
Je pense très sérieusement que je vais acheter leur(s) CDs très prochainement. Ils le méritent. Ce qu'il s'est produit cette nuit là, c'est vraiment trop précieux pour être oublié. Je me demande si son mon amie qui m'a entraîné dans la foule et fait danser avec elle, j'aurais autant apprécié... Est-ce que, plus loin de la scène, sur ma chaise, immobile, j'aurais pu savouré tout ce que j'ai senti traverser mes sens en battant du pied dans la fosse ? Je ne sais pas. Je ne pense pas. Et je crois que je l'aurais amèrement regretté, car la magie qui a opéré m'a vraiment transcendé.
Il nous a fallu un moment pour redescendre sur terre. On nous a laissé ce moment : le temps d'installer le matos de l'artiste suivant nous a suffi à profiter d'un bon bol d'air frais, et de discuter avec passion de ce qu'il venait de nous arriver. Je sais que certains des amis avec lesquels j'étais ne partageais pas mon avis, mais en ce qui me concernait, j'étais vraiment aux anges. J'étais bien loin de me douter que le miracle de ce soir allait se faire engloutir par une révélation d'une toute autre envergure.
On est retourné sur place, avec la ferme intention de s'approcher le plus possible de la scène avant qu'Il n'arrive. On voulait être LA où ça allait se passer. Après un peu d'attente, les lumières se sont éteintes. Des projecteurs blancs se sont allumés, diffusant leurs faisceaux éclatants sur la scène nimbée de fumée, et révélant d'impressionnant set de percussions et un clavier. ; des cris de surprise ont retenti dans toute la salle quand sont arrivés des roadies transportant violons, violoncelles, cors et trombones : Son orchestre était là, avec lui. On allait avoir droit à la totale. Après un temps, ils sont arrivés. Les musiciens. En silence. Ils se sont figés. Comme des statues. Il ne manquait plus que Lui. La foule entière a retenu son souffle. Et puis, Il est arrivé.
Un tout petit bonhomme. Chauve, coiffé d'une casquette, avec une barbe impressionnante et une gueule de gosse. Le maestro tant attendu, accueilli par les ovations. Yohan Lemoine. Il s'est placé, lui aussi, au coeur de la scène, devant son micro. Vous avez écouté sa musique ? On l'imagine, à sa voix, la chantait en se promenant calmement sur scène. Oubliez cette image : c'est une bête de scène. Tout au long du concert, le Woodkid a bondi d'un bout à l'autre de son terrain, faisant montre d'une passion et d'une énergie incroyable, sans pour autant perdre sa voix incroyablement grave, forte et douce, pleine de cette mélancolie douloureuse qui caractérise son chant. Sa présence était in-cro-ya-ble. Son regard, sa prestance, ses mouvements... C'était juste compètement dingue et hypnotisant. Le maestro était partout pour tout le monde, passant d'une immobilité quasi-minérale qui donnait des allures de messe pour extasié aux moments les plus ascendants du concert pour exploser en boule de nerf quand les percussions éclataient. Et les percussions... Mon dieu. Jamais tambours n'avaient autant été martelés de toute une vie. C'était un coup au coeur à chaque fois que les baguettes rencontraient la surface à frapper.
Tout était PARFAIT, harmonieux, extatique. La lumière dansait, éclatait en flash violent pour accompagner le rythme fou des percus, et sur l'écran, des images accompagnaient la musique, faisant montre de l'univers graphique propre à Woodkid. Là où le sépia est devenu une "mode pour hypster", Woodkid en a fait sa marque de fabrique, et la bichromie donnait un côté profondément minéral à l'ensemble. C'était vraiment une claque visuelle que je me suis prise, et je ne m'y attendais absolument pas, même venant de ce maître de la réalisation qui s'est illustré par la beauté de ses clips. Pas à un seul moment, je n'aurais voulu fermer les yeux, tant il y avait de quoi les régaler. Ca bougeait, ça s'immobilisait, c'était soudain, brutal, pur, lumineux.
J'ai le souvenirs de purs moment d'extase, notamment lors de l'interprétation particulièrement déchirante d'I love you, qui est l'une de mes préférées, de l'ouverture au son de Golden Age... Mais aussi lors de la surprenante irruption d'une nouvelle piste, Volcano, qui nous a tous laissé absolument et visiblement choqués : le rythme endiablé de ce morceau instrumental était juste effroyable, la foule est entré dans un long délire totale où tout le monde bondissait partout comme si leur vie en dépendait. Le groupe a enchaîné à la suite Ghost Light et Conquest of Spaces, qui comptent parmi mes coups de coeurs de l'oeuvre de Woodkid et que j'ai vu magnifiée par la puissance de la scène. Sentir le monde vibrer autour de soi, cette impression de gravité, de froid, de martialité qui s'est élevé dans la salle... C'était hallucinant. Il y a aussi eu Iron, sa piste la plus célèbre, devenu une ode au séisme tant les percussions ont explosé avec fracas, alors qu'il la chantait avec toujours cette douceur et cette tristesse caractéristique. Et puis, enfin, il y a eu ce retour fou sur Run Boy Run, qui a entendu toute la foule scander au garçon de courir, courir toujours plus, alors que le morceau s'allongeait, que le public entrait de le délire le plus total en brandissant le poing en rythme...
Waouh. Je pense que même en essayant de tout mon coeur, je ne pourrais pas retranscrire ce qu'il s'est passé. C'était juste l'une des choses les pus intenses que j'ai jamais vécu. Le concert parfait tel que je l'imaginais. Alors voilà... Pour 12 euros, j'ai eu le droit à une révélation. A une expérience quasi-mystique, comme Artaud en rêvait dans son théâtre de la souffrance.
C'était absolument fantastique.