Je suis allé en vacances dans le sud-ouest, et comme j'habite en Suisse d'habitude, où la simple action de se couper les cheveux nécessite d'hypothéquer sa baraque, sa voiture et son chien, j'ai décidé de profiter de revenir dans un pays du tiers-monde pour passer à la cisaille.
J'aime l'élégance (si si, je porte des noeufs-pap' même hors mariages et je cire mes chaussures tous les jours) mais j'ai la fâcheuse habitude d'avoir la flemme d'aller chez le coiffeur régulièrement, sans mentionner le fait que je suis aussi un peu grippe-sou et passablement pauvre. Les trois facteurs réunis font qu'un tiers de l'année environ je ressemble plus à Georges de la Jungle qu'à Georges Clooney, sauf que Georges (le premier) a moins de bide que moi et que sa tignasse de fauve n'a pas tendance à prendre la forme d'un mulet qui aurait été particulièrement dégueulasse même à l'époque où c'était la mode (si cette époque n'est pas une légende urbaine).
Je demande à un ami du coin l'adresse d'un coiffeur décent capable de me sculpter la tignasse tel Alexandros sa Venus de Milo, et il m'indique un barbier d'apparence respectable, belle devanture, vitrine soignée, lui-même m'indique avoir eu de bonnes expériences avec lui. À l'intérieur pourtant... le sculpteur se présente en marcel - claquettes. Au lecteur qui humerait le bon coup fourré à la simple lecture de ce détail, je dois avouer qu'il aurait raison, qu'il est probablement plus intelligent que moi, et que oui, j'aurais du faire demi-tour. Mais après tout, mon ami m'avait mis en confiance, puis je ne voulais pas faire de mépris de classe, et je me rappelais que Quasimodo est un bien plus grand poète et meilleur homme que Phoebus.
Ni une ni deux je m'installe et laisse le noble artisan faire sa besogne avec soin. En 10 minutes le travail était fait, la cire appliquée, Georges était rentré dans sa jungle et le dandy dans sa clarté prêt à faire rougir le Soleil, qui n'est plus qu'une ombre. Soudain je remets mes lunettes (je suis, sans elles, comme Dennis Nedry) et je vois dans le miroir le visage d'un autre homme, mais pas celui que j'attendais. Sous la surprise mon esprit se dit, dans un état proche du choc : "est-ce que ce mec vient de me dégueuler sur la tête ?". Je me surprends encore lorsque je me remémore mon stoïcisme devant la dégueulasserie sans nom de cette coupe. C'était le début d'un iroquois ! Et pas le bel iroquois des natifs d'Amérique qu'on voit dans Danse avec les Loups et qui nous fait dire à nous modernes "et ben si j'étais né à cette époque j'aurais fait les 6 mois de voyage rien que pour contempler leurs cheveux". Non, non, l'image la plus appropriée serait une touffe de poils vaguement debout sur le dessus du crâne d'un Carlin. Et le reste boule-à-Z.
(Faut imaginer un brouillon d'iroquois à la place des fruits)
Malgré le choc je garde mon sans froid et demande poliment (avec la larme à l'oeil) à mon artiste de corriger le tir. Une fois, non. Deux fois, bof. Trois fois, ah merde c'était mieux la deuxième fois en fait. Au final nous sommes arrivés à une impasse, un point de non-retour appelé dans le milieu "si je continue t'es chauve mec". Avec ma coiffure de Johnny Depp dans Fantastic Beast coupée par un Ewok épilectique je me rends dépité à la caisse. Et le pire c'est que mon plan de profiter des tarifs de pays économiquement défavorisés est tombé à l'eau, car le type ne prenait la carte, et sans lecteur de CB le retrait d'argent me faisait avoir 10 boules de frais internationaux. Sur le chemin aller et retour au DAB, les seules pensées me venant à l'esprit étaient "Putain j'ai pas envie de payer 30 balles pour cet étron" et "Putain j'espère que je vais pas tuer ma mère de chagrin". Finalement le point 1 a été résolu par mon ami (qui est moins mon ami au'avant maintenant). Le point 2 ce sera la surprise j'ai pas encore vu ma mère.
J'ose même plus marcher dans la rue sans avoir l'impression d'être une hymne au mauvais goût. J'en ai tellement pleuré que je pourrais saler une deuxième mer morte. Au moins avec mon mulet je pouvais faire un petit effet Loréal, avoir les cheveux au vent en scrutant l'horizon comme dans un clip de campagne de Marine Le Pen. Désormais tout est fini, le rideau se baisse, ma jeunesse est morte chez ce barbier, et maintenant débute ce long chemin d'épine qu'est la rééducation, qui peut être un jour me permettra de redevenir entier, de marcher la tête haute, mais comme Frodo, n'être jamais plus le même être.
Demain, j'irais chez un chapelier.