Heureux de voir que toute la famille Pézède va bien. Je me suis vite inquiété pour vous hier, avant d'avoir de vos nouvelles aujourd'hui.
C'est incroyable. Ces évènements-là on les commence par " putain " et on les finit par " merde ".
Il y a quelque chose d'à la fois horrible et intense : l'action est inhumaine, mais on se sent tous profondément humain dans ces situations.
Personnellement, on était dans un bar avec une compagnie de théâtre quand on a appris la nouvelle. On a fini par se réfugier à six dans le petit appartement d'une comédienne, tout près. On suivait l'affaire en temps réel, de minuit à l'aube. En direct, on voit les informations se clarifier peu à peu, et le compteur augmenter. 80 morts au Bataclan, trois fusillades, une quatrième fusillade, 120 morts, 124 morts, 128 morts.
À un moment ça s'arrête. Là on a envie de de s'endormir et de se réveiller pour oublier ce vilain cauchemar. Et puis 128 autres se sont endormis à notre place.
En fait ça renforce l'importance d'une vie humaine. On constate que ça tient à rien, et qu'il faut vivre tant qu'il est tant. C'est horrible, mais vivre notre vie ça doit être le meilleur hommage qu'on puisse faire aux morts.
Du coup, je ne comprends vraiment pas le délire avec la France. Tout le monde devient atrocement patriote, c'est immonde
Déjà " Je suis Charlie ", c'était très douteux de s'approprier comme ça l'identité et la souffrance de ceux qui sont morts. Mais " Je suis Paris ", ça n'a même pas de sens. C'est même pas une personne. C'est même extrêmement irrespectueux pour chaque personne morte. Elle n'a même pas l'air morte pour elle-même, mais pour Paris et pour la France.
Sans parler de la tour Eiffel.
Voilà. C'était un petit témoignage, pour avoir vécu quelque chose hier soir. Avec 24 heures de recul on ne sait pas vraiment quoi dire alors on dit un peu n'importe quoi.
Alors voilà.
Depuis dix mois on combat Daech avec des discours, des hashtags, et des filtres Facebook. Hier soir des fidèles de Daech ont abattu 128 personnes, avec des bombes artisanales et des kalachnikovs.
128 personnes ce n'est pas juste une statistique. C'est 128 fois votre frère, votre sœur, votre papa, vous-même.
Hier soir des fidèles ont été prêts à mourir pour nous inspirer une profonde terreur. Donc, ne leur accordez pas cette victoire.
Hier soir nous étions six dans un appartement de dix mètres carrés. C'était bordélique, donc plein de vie. Nous avons bu, fumé, ri à pleines dents sans regarder les heures. Nous avons vécu les évènements de près, même si d'autres les ont vécus de plus près : ils en sont morts.
Vivre un évènement comme ça, ça renforce la valeur d'une vie. Une vie, ce n’est pas rien.
Voilà. Je crois que l'important c'est de vivre. Et de vivre votre vie : pas celle de votre patrie, pas celle de votre religion, pas celle de votre parti politique.
Je ne vois vraiment pas ce que la tour Eiffel et le drapeau français viennent faire là-dedans. Il faut peut-être être français pour avoir le droit d'être pleuré. On est peut-être pas vraiment mort si on ne meurt pas avec la tour Eiffel en arrière-plan.
Je précise également qu'un des terroristes était d'origine française.
Honnêtement, je crois que votre image vaut mieux qu'un filtre bleu blanc rouge. Si vous tenez à vous définir par votre appartenance, cousez-vous une étoile sur la chemise.
Maintenant il faut faire ce qui nous rend vraiment heureux. C'est avant tout comme ça qu'on se battra. Parce que nous-mêmes c'est tout ce qu'il nous restera, un jour.
Et quand on crèvera on crèvera avec un sourire aux lèvres, un poème dans la poche, un dessin sur les mains.
Ça, ils ne nous l'abattront pas.