Vous savez à quel point la nostalgie ou l'anti-nostalgie peuvent altérer vos souvenirs d'un jeu ? Si vous avez plus de 12 ans, la réponse devrait être "bien sûr que oui". Et dans mon cas présent, j'ai décidé de refaire un jeu auquel je n'avais pas touché depuis 13 ans, un jeu très populaire auquel presque tous les joueurs de plus de 20 ans ont joué, j'ai nommé Final Fantasy VII.
Et c'est de refaire l'original, dans ce qu'il a de plus pur et immaculé (excepté sa trad FR désastreuse) qui me fait voir à quel point je me suis laissé aveugler pendant des années par une forme de "néo-bashing" totalement hors de propos. Car si son univers étendu initié en 2005 nous le ferait oublier, FF7 c'est aussi et surtout la consécration d'un certain âge d'argent du RPG japonais. Une époque lointaine, ou Squaresoft et Enix étaient deux studios qui faisaient autorité en la matière. Deux studios différents (mais pas trop) qui s'affrontaient, se jalousaient, se copiaient et s'abordaient dans une guerre n'ayant rien à envier à celle opposant Nintendo à Sega, pendant que les outsiders battaient des ramasse-miettes pour offrir aux fourmis ce que les divinités ne pouvaient offrir aux titans.
Une époque où le public était encore prêt à apprécier les contenus profonds et torturés pour ce qu'ils valaient, ni plus ni moins. Un temps où l'écriture du scénario était la seule façon de savoir où aller et que faire, un temps où les personnages n'avaient pas encore été passés à la plus sauvage des moulinettes à cliché. A cette fameuse époque, on pouvait lire au quart de l'histoire des questions philosophiques comme "si le monde est destiné à mourir, que ce soit demain, dans un an ou dans dix siècles, à quoi bon se battre pour le sauver ?" sans que ça fasse prout-prout et sans que ce soit pour la déco. FF7 était un jeu où le spleen accompagnait notre team tandis qu'elle traversait des épreuves noires comme la nuit, où l'on ressentait toute la détresse des PNJ qui ont cédé à la question précédente là où nos héros tentent de tenir. Une noirceur équilibrée par des passages burlesques et légers, sans aucune miction entre les deux ; nulle blague hors de propos lorsqu'un personnage affronte sa part sombre, nul propos déprimant quand l'heure est à la détente.
Tout ça, c'était FF7. Un jeu qui reprend à son compte les contenus alors emblématiques de Final Fantasy, une licence bien plus profonde qu'elle n'y paraît, avec des thèmes récurrents comme la mort, l'eschatologie, la fragilité morale de ceux qui veulent sauver le monde. Des thèmes portés si fièrement que le proto-scénario fut rejeté, car jugé "trop sombre" (il reviendra sous le titre Xenogears). Mais tout cela n'a aucune importance, nous sommes en 1997, et à cette époque, FF7, ça pète la classe, Cloud pète la classe, le duel entre Dayne et Barret pète la classe, l'attaque de l'Arme sur Junon est l'une des plus grandes scènes de l'histoire du jeu vidéo.
... Puis arrivèrent deux drames successifs, indépendants l'un de l'autre mais voué à entraîner une terrible réaction en chaîne : l'échec commercial du film pharaonique Final Fantasy, et l'émergence de la contre-culture gothique. Car c'est de ces deux événements pourtant sans aucun rapport direct que naîtra l'horreur. Le plus terrible coup qu'on puisse porter à un jeu culte : l'émergence d'un "univers étendu" conçu pour capitaliser à moitié sur la nostalgie des fans, à moitié sur la dernière mode porteuse des ados. La profondeur et la noirceur sincères de FF7 sont alors troqués au profit d'un contenu pour dark emo prépubères, Cloud se voit résumer à son seul rôle de personnage profondément torturé et ténébreux, et les projets s'enchaînent comme des perles sur un collier, toujours plus coûteux et tape-à-l'oeil. Que ce soit un deuxième essai au cinéma par un long-métrage qui a oublié de payer des scénaristes (Advent Children), en capitalisant sur le marché émergent du jeu sur mobile (Before Crisis) ou en misant sur la puissance de la dernière console en date (Crisis Core) quand ce n'est pas carrément débarquer dans un genre presque inconnu pour le nouveau-né Squix (Dirge of Cerberus) rien n'est trop audacieux ou hors de propos. On tient là la nouvelle devise du studio : "tout est bon pour se faire du pognon, surtout quand les gens sont cons".
S'ensuivra alors une forme de dédain outré de la part des anciens fans qui "redécouvrent" leur univers adoré entaché de la bouillie macabre et superficielle de la nouvelle époque. Le prisme des souvenirs en ressort faussé, le jeu était-il vraiment si bien ? N'étais-je pas trop jeune pour saisir cette arnaque, ne le verrais-je pas sous un jour plus favorable car j'étais moins exigeants ? FF7 était-il vraiment un bon jeu ?
A cette question, joueurs, ma réponse personnelle est définitivement "oui". A l'origine, à sa sortie, mais aujourd'hui encore, FF7 est un jeu qui a de l'audace. Celle de parler avec des mots qui parlent à tous les publics (je ne prends pas les paroles de Bugenhagen de la même façon aujourd'hui que je ne l'avais fait à ma première partie), celle de profiter de la nouvelle génération de consoles avec tout ce qu'elle offrait comme possibilité de mise en scène. Celle de rebondir sur le modèle de FF6 et ses sorts modulables pour donner naissance à un système parfaitement souple, pas dénué de profondeur (mais malheureusement jamais exploité à fond à cause du challenge trop faible du titre).
On peut être tenté de brûler l'idole de notre jeunesse, de se trouver de fausses excuses pour rejeter les jeux qui nous ont bercés, mais qu'à cela ne tienne : même si le temps a passé, même si son âge se fait sentir, quand un jeu traverse les temps et les espaces, ce n'est pas uniquement parce qu'il est tombé au bon moment, qu'il a profité d'une communication en gavage d'oie ou qu'il a eu un coup de chance. C'est parce qu'il a su trouver le public qui lui correspondait et qu'il désirait. C'est cette synergie, couplée au savoir-faire de game designers et de développeurs compétents, qui permet d'exprimer la pleine portée du travail des scénaristes, graphistes et musiciens. C'est ainsi que naît un univers immersif peuplé de personnages vivants, dont nous vivrons et éprouverons les aventures à travers un jeu aux mécaniques efficaces et agréables.
C'est ainsi qu'est né Final Fantasy VII. Et c'est ainsi qu'il vivra encore.