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La Tour du Rouge : [Random | Très court] Sans titre #1
silver:
Cela faisait longtemps que je n'ai pas rédigé d'avis ici et je vais m'empresser de corriger cette erreur sur le champ.
J'adore la tournure des événements de Triangle de Pouvoir, Locke Sanks est très intéressant mais le type de personnage qu'il est me fait un peu commun enfin ça reste que mon avis, je trouve que c'est original même si j'ai toujours eu un penchant pour des personnages qui sont en dehors du commun dans leurs façons d'agir. Feena me passionne et en plus j'ai un grand intérêt pour le yuri. Cette histoire pourrait être magnifique mais je vais tâcher de ne pas trop imaginer pour le moment. J'ai hâte de voir la suite.
Je trouve que l'histoire est bien agencée et te souhaite une bonne continuation et c'est à peu près pareil pour Monarque. Pour ma part, j'adorerais une histoire surprenante comme l'est celle de notre bon vieux chevalier dragon ou encore celle de Samyël. D'ailleurs j'espère pouvoir les revoir surtout Argoth (je suis pas sur du nom) qui commence à me manquer. Bon je vais m'arrêter là mais je te redis encore une fois, bonne continuation tu as une très bonne maîtrise de ton intrigue à mon opinion.
Great Magician Samyël:
Saku ==> Content que le chapitre t'ait plu, et de façon plus globale que la fiction continue de te distraire.^^ Merci, encore et toujours, pour ton commentaire :)
Silver ==> Bon retour dans cette humble Tour du Rouge! Ca me fait plaisir de te revoir dans les parages. :) Locke est en effet un personnage assez commun dans sa conception, mais il me plaît bien tout de même. J'espère que l'évolution de la relation Feena/Malon ne te décevra pas, mais étant moi même un grand fan de yuri, je pense qu'il ne devrait pas y avoir de problème :niak: Merci pour ton commentaire, quoi qu'il en soit, mais hélas Argoth et le Cycle sont pour le moment en pause très prolongée. Je me focalise sur Triangle et Monarque pour le moment. Je pense réécrire le Cycle intégralement, un jour. Je ne suis plus satisfait de ce que j'ai produit jusqu'ici sur cette histoire.
Sur ce, voici le chapitre XII de Triangle, et bien sûr la suite de Monarque juste après. Bonne lecture!
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[align=center]XII
-Lars-[/align]
Sitôt les yeux ouverts, Lars Zora roula de l’autre côté du lit et, pivotant promptement sur son arrière train, s’en extirpa d’un bon vigoureux. Il alla tirer les rideaux, mais la nuit n’était pas encore passée. Il contempla un court instant le dehors, mais il n’y avait rien à voir, aussi se détourna-t-il pour allumer une chandelle. Tout était comme il l’avait laissé la veille, jusqu’au brin de paille coincé dans la porte. Avec prudence, il se pencha pour vérifier le dessous du lit, mais rien non plus. Il s’autorisa un maigre soupir de soulagement, et reposa le long poignard effilé sur la table de chevet. Ce poignard, c’était tout ce qui lui restait de son père : une lame longue de vingt centimètres en bon acier gravé de l‘emblème Zora, et un manche en os poli strié de bandelettes de cuir rouge. Son dernier cadeau, quelques jours avant qu’il ne trouve la mort par une arme similaire…
Lars se frotta les yeux pour chasser ces pensées morbides et les dernières traces de sommeil. L’aube ne devait pas se lever d’ici encore une heure, estima-t-il, ce qui lui laissait amplement le temps de se préparer. D’ordinaire, il ne se réveiller pas si tôt, mais plutôt avec les premiers rayons de soleil. Cependant, ce jour là était spécial : il s’agissait de faire bonne impression à son, peut être, futur maître. Il avait ouï dire des valets et de quelques filles de cuisine que Ser Locke se levait aux aurores, et il souhaitait être là pour l’attendre sitôt qu’il aurait quitté ses appartements.
Il enfila des chausses noires confortables et une longue et sobre tunique bleu de nuit qu’il noua à la taille par sa bonne vieille ceinture en cuir élimé, avec sa boucle d’or toute rayée. Il l’aimait bien, sa ceinture, il l’avait depuis près de trois ans et refusait de s’en séparer, malgré l’insistance de Mère. « Ce sont les vieilles personnes qui s’attachent à des choses si inutiles », rouspétait-elle. « Es-tu une vieille personne, Lars? ». Ca, pour sûr que non, du haut de ses neuf années révolues. Il était à peine plus grand que le Lutin, et ses bras maigrelets peinaient à manier longtemps l’épée et le bouclier. Mais il s’en fichait. Père disait souvent, lui « On mesure la grandeur d’un homme à ses actes et sa pensée, Lars. ». Et s’il n’avait pas encore vraiment plus s’illustrer par quelque prouesse hardie, son cerveau était sans cesse en ébullition, enregistrant, digérant, formatant, réarrangeant tout ce que son regard observateur percevait, tout ce que ses oreilles fines entendaient. « On peut prendre le pouvoir par la force », avait dit une fois Maître Baelon pendant un cours d’Histoire « mais on ne peut pas garder le pouvoir sans le savoir . ». Lars comprenait parfaitement cette citation de Latouan (Maître Baelon se complaisait à lancer des maximes célèbres sans en citer la source, de manière à les faire passer pour siennes, mais Lars n’était pas dupe, et après chaque cours il se rendait à la bibliothèque où il demandait au Faiseur de Vents quelques explications.), mieux, il en avait fait sa philosophie de vie.
Lars se complaisait à croire qu’il était trop sagace pour son âge, ce qui était, de fait, le cas, le simple fait qu’il le pensait suffisait à le démontrer. S’il n’était pas le meilleur à l’épée, il analysait les situations avec vivacité et justesse ; il savait s’astreindre des puérilités de son âge pour se focaliser sur les problèmes concrets de la cour : les intrigues, les complots, les alliances. Il s’estimait comme capable, et ferait un excellent écuyer, tant par ses connaissances que son esprit, ses manières et sa loyauté.
Ser Locke Sanks ne pourrait pas le refuser.
Fort de cette pensée, il ceignit son épée courte au côté, et glissa son poignard dans sa ceinture. Il s’admira un instant dans le miroir, et se coiffa avec ses doigts jusqu’à obtenir de sa tignasse bleutée un résultat décent. Satisfait, il s’en fut chaparder quelques morceaux de nourriture en cuisine puis s’en alla se planter devant la porte du chevalier. L’aube était encore loin, aussi prit-il son mal en patience en dégustant la nourriture.
Devenir l’écuyer de Sanks, c’était une idée de Mère. « C’est un bon combattant. Il fera de toi un homme. » disait-elle. Lars voyait bien d’autres intérêts à l’affaire. Le nouveau chevalier avait des liens étroits avec le pouvoir, désormais que Lord Link allait devenir le prince héritier, et donc le futur roi. Il serait souvent amené à rencontrer des personnes importantes, et Lars serait là pour écouter, observer.
Sa main effleura légèrement le pommeau de son poignard. Le pouvoir n’intéressait pas Lars, de même que l’argent, la gloire ou les femmes. Non, ce que désirait ardemment l’héritier Zora, c’était retrouver l’assassin de son père, et son commanditaire. Être le page personnel de Sanks serait pour cela un atout considérable. Avant même que ne retentissent les cloches du beffroi, annonçant le lever du jour, la porte de la chambre du chevalier s’ouvrit doucement et sans un bruit. Lars se redressa, s’épousseta sommairement et remit son ceinturon en place. Locke se faufila en reculant et, fermant le battant de bois laqué sans bruit, se retourna. Il s’était vêtu d’un tabard à ses couleurs et arborant son blason -le limier sable sur champ ocre doré- , cadeau personnel de Sa Majesté, des braies noires et des bottes neuves et cirées. Son épée usée et en piteux état pendait sur sa hanche, et il avait essayé de coiffer sa crinière noire et emmêlée. Lars ne put empêcher un frémissement en observant les cicatrices qui couturaient le visage du chevalier, ainsi que sa main brisée et grotesque, piégée dans son gantelet de fer. Les poches profondes sous l’œil valide trahissait assez le manque de sommeil, et son perpétuel air maussade avait empiré.
-Bonjour, ser.
Sanks sursauta et se tourna vivement vers Lars. Son œil unique le détailla rapidement, puis il s’inclina roidement.
-Bonjour, messire. Je m’étonne de vous trouver ici de si bon matin…
-A vrai dire, la nuit n’est pas encore passée. Je souhaitais vous entretenir.
-M’entretenir? Répondit Locke d’un ton méfiant. A quel sujet?
-Je ne tournerai pas autour du pot : j’espérerai que vous consentiriez à me prendre comme écuyer.
La demande parut surprendre le Chien.
-Un écuyer? Pourquoi devrais-je…
Il s’interrompit, et se massa le front avec sa dernière main, en poussant un grognement.
-Vous êtes à présent chevalier, crut bon d’ajouter Lars. Il vous faut un page pour s’occuper de votre monture, entretenir votre épée et huiler votre mailles.
-Chevalier…
Dans la bouche de Sanks, ce mot sonnait comme une punition.
-Je fais un bien piètre chevalier. Vous devriez chercher ailleurs.
-J’insiste.
-Pourquoi?
-L’on ne dit que du bien de vous, et de vos prouesses.
-On dit aussi que je dévore le cœur de mes ennemis, que je me repais de leurs appâts, et que je viole les fillettes.
-Fantaisies que cela, je n’en crois pas un mot.
-Alors, dites moi pourquoi moi je voudrais de vous?
Lars prit une bonne inspiration.
-Je ne suis pas le meilleur à l’épée, loin s’en faut, mais je me débrouille. Je suis mauvais cavalier mais bon archer. Je connais la géographie, l’histoire, l’écriture et la lecture, les mathématiques et la théologie. Mais ceci n’est pas grand-chose comparé à mes véritables atouts que sont ceci (il pointa ses yeux) et cela (il pointa ses oreilles.). Sans vouloir me vanter, je suis un bon observateur, et je sais analyser la Cour et ses subtilités. Cela plus que tout fait de moi quelqu’un d’indispensable.
Un vague frémissement agita le coin droit des lèvres de Locke. Si faible que Lars crut l’avoir rêvé.
-Est-ce à dire que vous doutez de mes propres capacités politiques, messire?
Le ton était si doucereux, et le regard si froid que Lars craignit un instant d’avoir fait un mauvais pas irrémédiablement fâcheux. Il se morigéna, et se traita d’idiot. Il chercha à toute vitesse quelque chose à dire pour débloquer la situation, mais à sa surprise, ce fut le chevalier qui se porta à son secours.
-Ne vous excusez pas, vous avez raison. Je suis bien plus à l’aise une épée à la main entouré par cent barbares belliqueux qu’à faire des ronds de jambes à tous ces nobles seigneurs. Si vous êtes véritablement tel que vous le dites, vous me serez bien utile, en effet.
Lars lui rendit un sourire crispé, troublé.
-Votre serviteur, ser.
-Je ne suis pas vraiment familier de toutes les coutumes de la ville. Y a-t-il quelque chose à faire pour officialiser la chose?
-Non, ser. Cela dit, la coutume veut que vous me tutoyiez. Je m’appelle Lars.
-Dans ce cas, allons-y, Lars. J’ai grande faim.
-Désirez-vous que je fasse mander votre déjeuner dans votre chambre?
-Non. Je préfère manger en cuisines.
A cette heure-ci, aucun des serviteurs n’était encore levé. Le château tout entier était plongé dans le silence et la quiétude. Lars trouva cela apaisant. Il observa son nouveau maître se restaurer avec appétit de pain et de viande froide. Il hésita un instant avant de demander :
-Avez-vous quelque attirance envers dame Laruto?
L’abrupt de la question manqua d’étouffer Locke qui cracha un morceau de mie de pain avant de relever la tête, le rouge aux joues.
-Que voulez… que veux-tu dire?
-Vous passez beaucoup de temps avec elle, et vous la regardez comme Père regardait jadis Mère.
Comme le chevalier se contentait d’un vague grognement, Lars ajouta :
-Il n’y a pas de honte à avoir, je pense. Elle est peut être d’un certain âge, mais elle reste fort avenante, et elle est bien bonne. Elle ferait assurément une bonne épouse. C’est une magicienne, en plus!
Au mot « épouse », Sanks vira au cramoisi et toussa dans sa main.
-Cesse. J’aimerais finir de manger.
-Votre serviteur, ser.
Un silence s’installa entre les deux. Locke le brisa au bout de quelques minutes.
-Votre seigneur père est resté à Château-L’Hylia?
-Non. Il… nous a quitté.
-Ho. Je vois. Mes condoléances, je ne savais.
-Il n’y a pas d’offense, ser.
Ils échangèrent un regard.
-Aurais-je l’audace de demander comment?
-On l’a assassiné.
Disant cela, Lars serra les poings et baissa la tête. Il ne put s’empêcher de songer, une fois encore, à cette nuit terrible et funeste. Les torchères alignées le long des épais murs de Château-L’Hylia distillaient une lumière intense au cœur de la nuit, illuminant les armoiries et les tentures. Lars remontait les couloirs, la tête lourde de sommeil, quand le cri étouffé lui était parvenu, depuis les appartements de Père. S’y précipitant, il n’avait eu le temps que d’entrapercevoir une obscure silhouette bondissant par la fenêtre et disparaître dans les eaux du lac. Père, lui, gisait à terre, son manteau de fourrure souillé de son propre sang, la garde d’un poignard dépassant largement de son torse. L’expression indicible d’horreur et de douleur qu’avait figée la mort sur les traits familiers hantait encore les rêves du jeune garçon.
Locke Sanks l’observa un moment sans mot dire. Son œil vert le dévisageait, le jaugeait. Farouche, Lars lui rendit son regard sans broncher. Il s’obligea à contempler les affreuses cicatrices, la chaire boursouflée, tailladée, violacée, morte. Malgré toute sa bravoure, il ne parvint guère à tenir plus de quelques minutes. Honteux, écœuré, il détourna le regard.
-Je suis désolé d’entendre ça, Lars. Le meurtrier a-t-il été châtié?
-Non. Il… Il demeure introuvable, ser.
-Je vois.
Voyait-il vraiment? Sondant l’iris vert, Lars y chercha une étincelle de compréhension, redoutant que le chevalier ait pu saisir les véritables motivations de son écuyer. Mais l’autre ne fit aucun commentaire, se contentant de mâchonner son pain avec sa mine maussade.
Cette mine maussade, Lars s’aperçut bien vite qu’elle ne désertait jamais la face du chevalier. A l’entraînement, au souper, durant son sommeil, à l’équitation, durant les dévotions, les doléances -auxquelles il assistait désormais, en qualité de chevalier du royaume-, lorsqu’il conversait avec qui ce fut. En fait, le visage de Locke ne changeait qu’à deux moments, et deux seulement : lorsqu’il était en compagnie de Lord Link, et lorsqu’il se trouvait avec dame Laruto. Dans le premier cas, il adoptait un air d’humilité servile craintive qui tranchait nettement avec le personnage. Il n’était pas difficile de comprendre pourquoi, car le nouveau Gouverneur des Plaines ne perdait jamais une occasion de l’humilier, de le rabaisser ou de le moquer devant toute la Cour. L’aura de gloire et d’héroïsme qui entourait Lord Link lui avait valu une véritable cohorte de fidèles, qui s’extasiait de ses moindres faits et gestes, mais pour Lars il n’était qu’un fat de parvenu répugnant, ayant assis son nouveau pouvoir sur les sacrifices et les souffrances d’autrui. Il suffisait de regarder le corps marqué à jamais du Chien, et la beauté immaculée de l’Hylien pour s’en rendre bien compte.
Avec dame Laruto, Locke Sanks était presque comme une pucelle effarouchée durant son premier flirt -ce qui devait probablement être le cas, Lars finit par le comprendre. Il était gêné, maladroit, rougissait pour peu qu’elle l’effleurât, et essayait même de sourire. Le résultat était bien souvent affreux à voir cependant. Le chevalier ne perdait jamais une occasion de voir son aimée -Lars s’était fait à cette idée et n’en démordait pas, malgré les innombrables dénis de son maître.- et passait avec elle autant de temps qu’il l’osait. Dame Laruto semblait éprouver elle aussi quelques sentiments, mais c’était plutôt l’affection que porte une mère à son fils prodigue, plus que celle qu’une amante porte à son prince charmant.
Charmant, il fallait bien être aveugle pour qualifier le Chien de tel, par ailleurs. Outre sa laideur, il avait beau être d’une politesse extrême, d’un calme olympien, d’une délicatesse surprenante et d’une diplomatie extraordinaire, tout en lui était froid. Ses salutations étaient froides, ses compliments étaient froids, ses simulacres de sourires étaient froids, ses rires feints étaient froids, tout, tout était froid chez cet homme. Lars eut un jour l’image d’une tombe glacée, et il se fit la réflexion que la comparaison ne devait pas être bien loin de la réalité. Locke Sanks était mort sur les Plaines, et seule restait de lui une coquille vide et gelée, ne vivant que pour servir son maître. Il était surprenant qu’il pût éprouver n’était-ce que le début d’un sentiment pour dame Laruto. Son style de vie était discipliné et mécanique, il n’était jamais loin de son maître quand celui-ci le sifflait, il n’engageait presque jamais de conversation spontanément. Il s’acquittait de ses devoirs avec conscience et efficacité, ne rechignait jamais devant aucune des tâches qu’on lui confiait. Lars essaya plusieurs fois d’en apprendre d’avantage sur lui, sur son passé, sur la guerre, mais en vain. A peine avait-il pu apprendre qu’il avait grandi dans une ferme, et apprit l’escrime sur le tas.
Cette assertion semblait d’ailleurs bien fabuleuse, car il suffisait de le regardait combattre pour oublier qu’il était et manchot et borgne. Tout ceux qui eurent l’audace de le défier en duel amical ne tardèrent guère à mordre la poussière, après s’être fait rosser proprement et sans fioriture. La technique du Chien était exemplaire, mais comme tout le reste de sa personne, dénuée de vie, de panache, de beauté. Il maniait l’épée comme un vulgaire outil, taillant, coupant, se fendant sans ahaner ni grogner, sans s’amuser à la faire danser inutilement ; ses jambes se mouvaient comme si elles étaient mues par leur propre pensée mais là encore, aucun mouvement superflu n’était à déplorer. Les actes d’esquive, de feinte, ne dépassaient jamais le strict minimum.
Il ne semblait tirer aucun orgueil, ni aucun plaisir de son art de combattre. On avait plutôt le sentiment qu’il s’agissait pour lui d’un devoir. Le devoir, c’était d’ailleurs ce qui aurait pu résumer la vie de Locke Sanks.
Malgré tout, il était un bon parrain, assurant lui-même l’enseignement militaire à Lars, ne lui imposant que rarement des tâches fatigantes ou ingrates. Il était certes un peu sévère et parfois trop exigeant, mais juste.
-Vous avez bien de la chance, Lars, lui fit un jour Son Altesse Nohansen, les yeux brillants d’excitation.
On s’était rassemblé dans les jardins extérieurs pour profiter de la belle journée, fraîche mais agréable. L’air embaumait les senteurs piquantes ou enivrantes des fleurs, et les eaux quiètes de la mare ondoyaient sous la brise légère, déformant le reflet des trois enfants qui s’y contemplaient.
-En quoi cela, Votre Altesse?, répondit le jeune écuyer.
Nohansen fit la moue, ses joues rebondies se gonflant de façon presque comique. Il n’y avait qu’un an d’écart entre Lars et le prince, le premier étant l’aîné du second. Comment pouvons-nous être si différents? s’interrogea le jeune Zora. Il est vrai qu’il n’a pas perdu son père, lui. Noha était un petit garçon. Froussard, il n’avait aucun intérêt dans l’art de l’escrime, de la joute, du tir à l’arc ou de la lutte. Il préférait passer son temps à dévorer des livres de contes où il était question de blancs chevaliers stupides courant à la rescousse de jouvencelles idiotes prisonnières de quelque donjon. Maître Baelon avait bon espoir d’en faire un érudit, à défaut d’un chevalier décent, mais à peine savait-il situer les fiefs bannerets sur une carte détaillée là où Lars était presque capable de réciter par cœur les trois volumes du Compendium sur l’Hystorique d’Hysrule et des Tresses-Haustes de Lanelle. Il aimait les sucreries et les douceurs, passait beaucoup de temps à quémander des caresses à la Reine sa Mère, pleurait à grosses larmes pour peu qu’il s’écorchât un genou et n’avait absolument aucune conscience de la politique, et plus généralement du monde qui l’entourait.
-Je crois que Noha veut parler de ser Locke, intervint Saria.
Lady Saria Mojo était faite d’un tout autre bois. Sous ses sourires candides, ses grands yeux verts lumineux, ses fines boucles de cheveux émeraudes se cachaient une force de caractère certaine et une maturité impressionnante pour son âge, bien qu’elle fusse leur aînée à tous les deux. Elle n’aurait jamais la beauté d’une Zelda ou d’une Nabooru, songeait souvent Lars, car elle avait cet air de garçon manqué rebelle, ces traits volontaires et cette insouciance pour sa toilette, mais elle n’en serait pas moins une jolie plante, pour peu qu’on réussisse à la dompter. Saria était la gentillesse, l’altruisme et la bonté incarnés et elle avait envers son prince bien plus de patience que Lars. Ce dernier ne se cachait pas d’ailleurs une certaine attirance pour la jeune fille, et à ce moment là leurs mains posées dans l’herbe se frôlaient tel que c’en était troublant.
-Tout à fait!, acquiesça Nohansen. Être l’écuyer d’un chevalier aussi émérite, que cela doit être formidable!
-Certainement moins que d’être celui de Lord Link, mon prince.
Une lueur de désappointement passa dans le regard du garçon et il baissa la tête.
-Lord Link est assurément quelqu’un d’extraordinaire, mais… ces temps-ci il a beaucoup d’affaires à régler, et donc peu de temps à me consacrer.
Comme c’est étrange.
-Je ne doute pas que cela soit passager, Votre Altesse. Laissez-lui un peu de temps, il vient tout juste d’entrer dans ses fonctions de Gouverneur.
-Oui… Je… Vous avez raison, Lars. Je dois me montrer patient. Comment est-il? Je veux dire, ser Sanks.
-Il est… juste.
-Juste?
-Oui, sire, juste.
-Est-ce là tout?
-Non. Mon maître est un formidable bretteur.
-Je le savais déjà! Dites m’en plus, de grâce!
Les yeux vairons du prince se dardaient sur Lars, tout brillants d’impatience et d’espoir.
-Je… Hmm… C’est un homme de bien, je suppose. Il est loyal, et dur à la tâche.
-Vous a-t-il confié la manière dont il a reçu ses affreuses cicatrices? Dans quelque admirable et effroyable bataille, je gage.
-Il ne s’est pas ouvert à moi sur ce sujet, sire.
-Sur sa main, peut-être? L’on dit qu’il l’a perdu en affrontant seul une bête barbare haute de dix pieds!
-Je.. Je ne sais, Votre Altesse. Ser mon maître est assez réservé.
-Ha.
Déçu, le petit prince se mit à jeter de petits cailloux dans la mare.
-Je suis certaine que Lars restera à l’affût, et sitôt qu’il entendra quelque anecdote intéressante il s’empressa de s’en ouvrir à vous, essaya de le consoler Saria avec un sourire.
-Naturellement, ajouta l’intéressé.
Lars se détourna pour observer les alentours. Les hôtes de la Couronne s’étaient répartis autours de la mare par petits groupes. Lord Link faisait le bonheur de la Princesse, des sœurs Dragmir et d’une flopée de courtisanes de moindre rang, qui étaient suspendues aux lèvres du héros, la bouche à demi ouverte d’admiration. Le nouveau Lord racontait sans doute quelque exploit de bataille dont il avait pris part, et il détaillait ses admiratrices avec les yeux d’un prédateur, comme s’il cherchait sa proie prochaine. Un peu plus loin, sur un banc, la reine Ishtar, la mine plus maladive que jamais, conversait avec Mère, ses mains tachées par la maladie tremblotant sur la pommeau d’une canne. Les frères Dodongo séniors riaient à gorge déployée des blagues que leur racontait le jeune lieutenant Colin, tandis que ces lourdauds de Goro et Sédrik se chicanaient encore pour des broutilles, sous le regard anxieux de Mido. Ser Allister s’était isolé sous un grand chêne, où il lisait paisiblement les comptes rendus de l’aventurier Ricky sur ses voyages en Termina, Holodrum et Labrynna. Lord Dumor et Lord Dorf s’adonnaient aux échecs, et la mine irritée du second indiquait assez sa défaite imminente. Sa concubine, dame Nabooru, était lascivement accrochée à son coup, tandis que Fado le Faiseur des vents semblait observer la partie, avec son éternel petit sourire. Enfin, Ser Locke Sanks déambulait quelque part dans le labyrinthe floral, dame Laruto accrochée à son bras.
Sa Majesté Salomon était retenue par quelque affaire d’importance, de même dame Feena, souffrante, avait décliné l’invitation. Quant au Premier Conseiller Aghanim, il occupait ses fonctions auprès de son roi.
Lars fut détourné de ses pensées lorsque les doigts de Saria cherchèrent discrètement et timidement à se croiser avec les siens. Surpris, il se tourna vivement vers elle, et fut quelque peu décontenancé de la voir lui sourire, de son sourire si bienveillant. Ils attendirent un moment que Nohensen commence à s’ennuyer, puis lorsqu’il les quitta pour aller écouter les bonnes histoires de Colin, Saria entraîna Lars vers une zone isolée des jardins, près des parterres de fleurs en forme de triangle. Elle lui tenait toujours la main, et ne semblait pas vouloir la lâcher.
-Père m’a toujours dit que c’est à moi de choisir celui que je désirerai épouser, fit-elle d’un ton innocent.
-Je… Je vois, répondit Lars, quelque peu troublé.
Elle le fit assoir sur un banc à disposition des promeneurs, et prit place à côté de lui.
-Tu… Tu as déjà arrêté ton choix?, demanda-t-il avec une voix mal assurée.
-Il se trouve que oui, en fait.
Son visage était illuminé par un petit sourire espiègle qui fit battre un peu plus vite le cœur du jeune Zora.
-Qui est l’heureux élu?
-Vous, messire Zora.
Sans savoir comment, Lars se retrouva à l’enlacer et à lui baiser timidement les lèvres, comme il avait vu parfois faire Père et Mère. Elle se détacha un peu de lui pour le regarder dans les yeux.
-A condition, bien sûr, que tu le souhaites. Je n’aurai pas l’outrecuidance de t’imposer mon choix.
-Non, non. Je… Ce serait un plaisir, et un honneur.
Ce ne fut que dans la soirée, après que Saria lui eut fait promettre de ne rien révéler pour le moment, que Lars comprit qu’il venait de se fiancer. Soudainement assommé, il s’effondra sur son lit, l’esprit plein de doutes et d’angoisses. Qu’allait dire Mère? Quels étaient ses sentiments pour Saria? Voulait-il vraiment d’elle pour épouse, n’avait-il pas répondu trop vite, sur le coup de l’émotion?
Comme chaque nuit, il glissa son poignard sous son oreiller et sombra dans le sommeil.
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Monarque n'est rien, mais l'homme qu'il a été était tout. Je ne suis pas du genre à ressasser le passé en pleurant les temps meilleurs, mais ça ne m'empêche pas de regretter ma gloire passée.
Lohengrin exagère sûrement lorsqu'il dit que je dominais le monde, mais il est vrai que de la Ceinture de Bronze aux îles du Maëlstrom, les seigneurs affluaient ventre à terre pour me lécher les pieds et s'attirer mes bonnes grâces. Aethor éclipsait toutes les cités, même le Conclave lui même ; mon armée comportait les plus braves et les plus vaillants ; et mon cercle de magiciens ne souffrait aucun adversaire. A l'époque, j'étais jeune, ambitieux, et surtout, foutrement puissant.
L'empire d'Aethor n'a pas duré longtemps, mais il a brillé comme une phare en pleine nuit noire. Je regrette que sa fin fut aussi brutale et pitoyable.
Il me semble qu'au tout début de mes carnets, je me suis présenté comme le souverain de feu Aethor. Mais je n'ai pas souvenir d'avoir parlé véritablement de mon passé. Peut être est-ce le bon moment. De toute façon, ma véritable identité ne risque pas d'être découverte, vu que je mourrai avant que quiconque mette la main sur cet ouvrage et ne découvre le pot aux roses.
Sans me vanter, durant ma jeunesse tumultueuse j'ai accompli quelques exploits qui resteront gravés sur la stèle de marbre de l'Histoire. J'avais 17 ans lorsque je fis massacrer le haut conseil du Conclave, réduisant à néant la force politique et militaire la plus puissante du monde. C'est encore moi qui fit s'écraser l'île volante sur laquelle est bâtie la merveilleuse cité du Conclave. J'avais 20 ans lorsque je suis monté sur le trône d'Aethor, le royaume que j'avais bâti de mes mains. J'en avais 25 lorsque je chutai, au faîte de ma gloire et de ma puissance.
Il y aurait beaucoup à dire, car vous vous doutez bien que ce vague résumé n'entre pas dans le fond des choses. On a composé des chansons et des gestes à mon honneur. Car aux yeux du monde, je suis mort depuis 11 ans. J'ai disparu du jour au lendemain, abandonnant mon trône à la merci de la coalition qui marchait vers Aethor, au moment critique. Si mes chansons louent mes mérites, inutile de vous dire que leur fin est rarement flatteuse.
Le Roi des Lâches, le Roi Couard, le Souverain des Pleutres, je collectionne les surnoms affectifs. Au moins, l'Histoire se souviendra de la partie de cette tragédie qui m'est la moins pénible. Personne à part le capitaine et Tapinois ne sait que j'ai moi même massacré ma cour. J'ai tué de mes mains selon les ordres de mon tortionnaire mes chevaliers, mes amis, mes maîtresses, toutes les personnes qui avaient un peu d'influence ou de pouvoir au sein d'Aethor. L'armée coalisée n'avait plus qu'à entrer et faire comme chez elle : piller, torturer, violer, vandaliser. En deux semaine, il ne restait plus des tours blanches de ma cité que de misérables ruines fumantes. Je dus assister à la déchéance de mon fief, les larmes aux yeux.
Depuis lors, j'erre à travers le monde, là où le capitaine m'envoie. Mes pouvoirs se sont grandement affaiblis, pour diverses raisons que je n'expliciterai pas. Je ne vis plus que dans un but : récupérer mon nom, et tuer le capitaine, l'homme qui a détruit ce que je suis, tout ce que j'ai aimé et bâti. Vous ne pouvez sûrement pas imaginer la haine qui m'habite chaque fois que je le vois. Il faut avoir vécu ce que j'ai vécu pour le savoir. Ce qui m'enrage le plus, c'est de savoir que ce fils de putain n'avait aucune idée de ce qu'il faisait, des pouvoirs avec lesquels il jouait. Comme je l'ai déjà dit, cela l'a effrayé, mais son foutu esprit de requin a rapidement compris ce qu'il avait à présent entre les mains. A l'époque il n'était pas encore lieutenant des 7 épées, mais cela n'a pas tardé. Il a collectionné en quelques mois les exploits militaires. Inutile de vous dire que la plupart sont de mon fait. Je lui ai acheté sa place, son rang et sa puissance. J'ai risqué ma vie pour lui plus de fois que je ne peux en compter. Alors qu'il est l'homme qui m'a détruit et que j'abhorre entre tous.
Il sait parfaitement que si jamais je récupère mon nom, on se souviendra de lui comme l'homme ayant le plus souffert avant de mourir. Cela fait onze ans que j'imagine toutes les tortures que je lui ferrai subir. Croyez moi, vous n'aimeriez pas être à sa place.
Mais rassurez vous, ce n'est pas le pire. Souvenez vous : durant l'ultime bataille qui scella le siège de la Citadelle de Wellmarch, lorsque je m'effondrai dans les bras de Beryl en lui demandant de ne pas parler de moi, c'était pour une bonne raison. Le roi d'Aethor est mort, et il doit en rester ainsi. Mes pouvoirs ne sont peut être plus que l'ombre de ce qu'ils ont été, mais je n'en garde pas moins d'innombrables ennemis, ainsi que tout le savoir que j'ai pu accumulé dans ma jeunesse. Beaucoup se damneraient pour me mettre le grappin dessus, afin de m'ouvrir le crâne ou simplement pour me tuer à petit feu pour me faire payer. Les bonnes choses sont parties, la mauvaise herbe est restée. Le capitaine le sait, c'est pour ça qu'il protège mon identité. Il n'aimerait pas qu'on sache qu'il a sous sa botte le mage qui a fait tremblé toute une société. Ce n'est pas chose aisée, car toute personne qui m'a un jour rencontré ne peut pas m'oublier : mes cheveux sont rouges, et ce n'est pas une coloration. C'est le genre de détail qui ne s'oublie pas. Mon père n'a jamais su m'expliquer cette étrangeté. Tout ce que je sais, c'est que lorsque j'étais encore très petit, un vieux beau s'est présenté à mon berceau, et m'aurait jeté un sort. Mon père n'a jamais su de quoi il en retourne, cependant j'ai découvert la vérité : le charme du vieux magicien empêche tout changement de coloration de ma pilosité. Ce qui dans mon cas est assez contraignant, quoi qu'à bien réfléchir, je ne souhaite pas me teindre : mes cheveux sont d'une rare beauté et j'y suis trop attachés.
Au début de la vie de Monarque, ç'a été dur. Je devais exercer une prudence de tous les instants. Mon ancienne vie était encore bien trop présente dans l'esprit des puissants, et il y avait peu de mages capables de mes exploits. Je devais me modérer pour ne pas attirer l'attention. Cela dit, avec les années passant, le souvenir d'Aethor et de son roi s'estompe. De plus, ma position sociale ne me laisse guère l'occasion de fricoter avec les puissants et le petit peuple ne m'avait jamais aperçu. Je ne pense pas que mon secret a été éventé. Les seules personnes que je soupçonne de connaître la vérité sont des gens qui me veulent du bien. Ils se comptent sur les doigts de la main : Augustin Abbendas (même s'il ne me l'a pas avoué ouvertement) et Spektrum (mais maintenant il appartient à la deuxième catégorie.). Ceux dont je suis certain qu'ils savent tout me veulent du bien ou n'ont pas intérêt à révéler quoi que ce soit : Tapinois, Lohengrin, Kerrighton, le capitaine, Ken Percevent, Araignée et Ciguë. Les rares personnes qui se sont montrées un peu trop clairvoyantes et ont essayé d'en profiter n'ont pas fait long feu. De toute façon, je ne peux pas parler oralement de mon passé d'avant le mercenariat. Le capitaine me l'a interdit. C'est pour cette raison que Lohengrin raconte à ma place.
Enfin, je parle comme si j'avais encore de l'importance, mais il n'en est rien. Je ne suis plus que ce que je suis : un petit sous-officier dans une compagnie franche à la tête d'un groupuscule de combat d'élite. En fait, ce groupuscule ne fait même pas officiellement partie des 7 épées, et moi je ne suis de façon officielle que le porte-étendard. Ma magie a décliné pendant 8 ans, certainement en réaction à la disparition de mon nom. Elle s'est stabilisée à un niveau ridiculement faible par rapport à ce qu'elle avait été, même si je reste compétent. Disons qu'à l'époque, personne n'aurait jamais eu l'idée de me provoquer.
Cela dit, ma vie de mercenaire n'a pas été blanche de toute péripétie. J'ai vécu plus d'aventures qu'à mon tour, j'ai voyagé presque partout où il est possible à l'homme de se rendre, j'ai renversé des seigneurs et assassiné des diplomates, je me suis retrouvé pris dans d'innombrables batailles et escarmouches, dont seuls ma ruse et Tapinois ont su me sortir vivant. J'ai rencontré des tas de personnes toutes plus intéressantes les unes que les autres, toutes plus mortes les unes que les autres aussi, parce qu'on ne survit guère longtemps à mes côtés, en règle générale. Si Tempête du Chaos peut se reposer aujourd'hui sur un petit noyau dur et coriace, ça n'a pas toujours été le cas bien au contraire. Bien souvent, Tapinois et moi même nous retrouvions à deux, à enterrer nos derniers compagnons en date. Nous avons vécu à deux des aventures dignes d'engendrer des sagas, mais qui resteront à jamais dans l'ombre de nos seules mémoires. Bien sûr, chaque mission est prétexte à chercher encore et toujours le moyen de recouvrir mon nom.
Le noyau de Tempête est composé de personnes hors du commun, chacune à leur façon. C'est ce qui leur a permis de survivre aussi longtemps. Araignée a été le premier d'entre eux à nous rejoindre. J'ai déjà raconté les circonstances. Cela dit, à ses débuts il ne se distinguait pas de tous les autres paysans désireux de fuir leur petite vie étriquée. Il se révéla à la fois extrêmement doué avec son arme de prédilection, le sabre oriental, qu'avec son éloquence. Il est capable de s'infiltrer dans tous les milieux, de se faire apprécier de tout le monde et de soutirer n'importe quelle information par la diplomatie. Il ferait un excellent meneur, car il a un charisme inné. Cependant, il est encore un peu naïf et trop sentimental.
Ciguë fut le second. Raconter notre rencontre signifierait raconter une véritable saga. Brièvement, je l'ai ramené de l'Enfer Vert des Confins orientaux. Une espèce de forêt gigantesque à l'est du Lancaster, où tout n'est qu'humidité, insectes et créatures dangereuses. Les humains font partie de cette dernière catégorie. Ils y vivent en clans soudés par des croyances animistes et païennes d'une rare cruauté. Le cannibalisme et les sacrifices humains sont monnaie courante. J'ai bien failli moi même finir sur une broche. Je n'ai dû ma survie qu'à Ciguë. La première fois qu'il m'est apparu, alors que j'étais pieds et poings liés dans une cage à attendre que le feu de mon bouillon prenne, il m'a franchement foutu les jetons. Il portait une espèce de masque rituel qui lui colorait les yeux en jaune et lui donnait une tête démoniaque. Cela dit, il m'a délivré et l'on s'est enfui à deux, avec les tribalistes à nos trousses. Il ne m'avait pas révélé son but, mais j'appris peu de temps après qu'il était muet. Nous passâmes un long moment à établir une communication, de laquelle j'appris qu'il était une sorte de médecin sorcier, quelque chose que l'on pourrait rapprocher d'un clerc ou d'un chaman, mais sans en être un vraiment. Dans sa tribu, il était le roi, mais à cause de son infirmité orale, il devait être donné en offrande à ses dieux pour recevoir en échange un nouveau roi, apte et puissant. Il m'expliqua patiemment qu'il ne voulait pas mourir, et qu'il m'aiderait dans ma mission si j'acceptais qu'il m'accompagnât. Je n'ai pas refusé, d'autant plus que ses talents se révélèrent nombreux. D'après ce que j'ai compris, ne pouvant pratiquer la magie véritable de son peuple à cause de son mutisme, il se consacra plutôt à l'étude des sciences. Sa connaissance de l'anatomie humaine est parfaite (Preuve en est l'épisode d'Ashenvâl.), de même qu'il manie l'alchimie et la botanique comme personne. Il peut vous soigner aussi bien que vous tuer, de mille et une façons.
Nous fûmes rejoint trois ans plus tard par Bière. Les circonstances qui entourent son arrivée me sont incertaines, car j'étais totalement ivre mort. Il me semble que je l'ai provoqué en duel, un soir de beuverie dans une taverne, et que le pari était : si je l'emportais, il me servait, et s'il gagnait... Je ne sais plus quelle était la contrepartie en fait. Toujours est-il que le lendemain il était devant ma porte à monter la garde. J'appris plus tard qu'il est originaire d'une tribu de montagnards aux moeurs pour le moins guerrières. C'est un véritable ours, une machine à tuer. Il manie une épée à lame large ou parfois une hache de guerre avec virtuosité. Sa force physique est monstrueuse, mais son plus gros atout réside dans le fait qu'il brasse la meilleur bière au monde. Tapinois m'a dit un jour que Bière était le brasseur de son village. Lui et Ciguë sont comme deux vieux potes, mais ne me demandez pas pourquoi car tout les oppose, hormis la taille.
Quant à Ken, le dernier en date, il a offert de se joindre spontanément à nous. Il était au courant du plan d'assassinat qu'on s'apprêtait à exécuter, et se proposa de nous aider en nous fournissant les plans du château en question et en se joignant à l'expédition. Durant la mission, on tomba sur un mercenaire d'un genre spécial, dans le sens où il avait les mêmes caractéristiques physiques que Ken. Ils s'engagèrent dans un combat à mort, et il ne fallait pas être spécialement fin pour se rendre compte qu'il s'agissait d'un règlement de compte. Depuis, il nous suit sans rien demander. Je ne sais quasiment rien de lui, mis à part qu'il a une araignée à sept pattes tatouée dans le dos, qu'il manie les armes de jet et longue distance comme personne et qu'il semble immortel.
Voilà pour ce qui est de Monarque. J'espère avoir un peu éclairé votre chandelle pour ce qui est de mon passé. Il n'est pas glorieux ni même enviable, mais je fais avec. Aussi étrange que ça peut être, je me dis parfois que ç'aurait pu être pire.
Même si je ne vois guère comment.
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A présent Sélinus me fixe de ses yeux écarquillés. Sur son visage, la stupéfaction le dispute à l'ébahissement. Le match à l'air serré. En fait, de toute l'assemblée, il a l'air d'être le plus affecté. Boeuf a l'air de s'en cogner profond, j'aurais pu être un lépreux dyslexique que ça lui aurait fait le même effet. Matthew, le dernier des officiers en dehors de Kerrighton, encore plus jeune que le susnommé, secoue la tête avec incrédulité. Les autres comprennent que je dois quand même être quelqu'un, mais ils ne savent pas trop. Ce sont des braves, mais en tant qu'hommes du peuple, le jeu des puissants ne les intéresse pas : que ce soit le Roi Untel, le Seigneur Machin ou le Baron Bidule, leur vie ne changera pas significativement.
"Mais... Mais..." bafoue Sélinus, comme frappé d'hébétement "Tu es... Je veux dire vous... Vous êtes ****** !"
Ha! Il l'a dit, le malheureux. En lieu et place de mon nom, ne sort de sa bouche qu'un vide béant presque palpable. C'est comme si on aurait effacé d'un tableau un mot alors même qu'il était écrit. Le prince porte une main à sa bouche et écarquille les yeux encore un peu plus (Je n'aurais personnellement jamais pensé que c'eût été humainement possible.). Il semble réaliser. Mais du coup il ne sait plus quoi faire. Jusqu'alors, j'étais qui? Un petit magicien mercenaire qui se battait pour sa peau. J'étais son inférieur, à peine son compagnon d'arme. Seules les circonstances ont fait que nous nous parlons d'égal à égal, d'ami en ami, mais quelques mois plutôt, ne m'aurait-il pas traité par le mépris dû à mon rang?
Mais la donne a changé. Maintenant, je suis l'homme dont son père devait lui parler avant d'aller au lit avec de la crainte dans la voix, l'homme qui dominait lorsqu'il était jeune, l'homme dont on ne faisait que parler, l'homme qu'il admirait peut être, et dont il rêvait de devenir la copie! Il se rend compte, et peut être lui est-ce douloureux, que je lui suis supérieur, et par le rang et par la puissance. Aethor a été rasée, pillée, incendiée et saccagée, mais personne ne m'a ravi ma couronne. Je suis toujours, théoriquement, le roi d'Aethor, même si ce n'est plus qu'un titre pour faire jolie.
"Mais vous étiez mort!..." souffle-t-il (Et vous aurez remarqué son subit passage au vouvoiement.). "Ils le disaient tous! Mon père, mes oncles..."
Il secoue violement la tête comme pour chasser un cauchemar. Désolé mon gars, mais je suis bien réel. Je mets fin à sa prise de conscience :
"Si j'ai effectivement été l'homme que Lohengrin a décrit, il est sage d'en parler au passé. Aujourd'hui je suis Monarque, et je suis tel que tu me vois : un vieux mercenaire usé. Je n'ai plus ni titre, ni or, ni pouvoir, politique ou magique, ni influence ni quoi que ce soit. Je ne suis qu'un bige perdu dans la tourmente de la vie, comme vous tous. Il est inutile de s'attarder sur du détail."
Ce que je lui dis n'a pas l'air de lui faire plaisir, car son visage s'empourpre de colère, il serre les poings et semble prêt à exploser. D'ailleurs, il explose :
"Comment osez vous? Comment osez, après tout ce que vous avez fait, vivre comme si de rien n'était, et encore oser vous présenter sans honte?
-Et qu'est-ce que j'ai fait, gamin?"
J'insiste sur le gamin, car même si je ne suis plus roi, je suis encore son aîné et j'aspire à un peu de respect, bon sang! En tout cas je lui ai répondu d'une façon suffisamment glaciale pour qu'il retrouve un peu de sang-froid.
"Vous avez fui! Vous vous êtes enfui, et vous avez laissé votre royaume sans défense! Vous avez permis le massacre de tout un peuple, de plusieurs personnes braves et valeureuses! Vous avez détruit l'ordre mondial, et après l'avoir remodelé vous l'avez laissé s'effondré sur lui même, provoquant un chaos sans précédent!
-J'ai permis le massacre de mon peuple, tu dis?" Je souris ironiquement. "J'ai fait mieux gamin : c'est moi qui l'ai assassiné, de ses mains." Je les lui montre. "Tu vois mon épée?" Je la lui désigne, froidement. "C'est elle qui a transpercé les corps de Salem Castillon, Jeod Anderly, la reine Sophia Sangredragon et Sylvie Suzelain. C'est elle qui a moissonné les âmes de mes valets, de mes courtisans, de mes souillons et de mes amis, chevaliers et magiciens. J'ai fui, dis-tu? A la bonne heure. Moi, j'ai plutôt eu le sentiment de subir chaque mort que j'ai infligé. Comment peux-tu seulement imaginer ce que j'ai ressenti? Crois-tu vraiment que je l'ai fait de bonté de coeur? Crois-tu vraiment que j'ai eu le choix?"
A présent je crie, parce qu'il m'a mis hors de moi. Je dois en imposer car il recule un peu.
"Tu parles sans savoir, gamin" je reprends d'une voix plus posée. "Je n'ai pas choisi tout ce qui est arrivé, et je détruirai quiconque prétendra le contraire.
-Mais pourquoi? Pourquoi n'avez pas reparu plutôt!
-As-tu seulement écouté ce que l'on t'a dit, ou bien es-tu trop obtus? Je ne suis plus ni roi, ni seigneur ni rien. Je suis un pantin entre les mains d'un homme. S'il le voulait, il pourrait me demander de mourir, et je mourrai dans la seconde. Le seul libre arbitre qu'il me reste, c'est celui qu'il consent à me laisser."
A voir sa mine déconfite, j'en déduis qu'il devait m'admirer en tant que héros. Après tout, à l'époque il n'avait guère plus de 10 ans. On a tous eu nos héros. Je crois que je tirerais la même tête si l'on me disait que Merlinus le Grand n'était rien d'autre qu'une marionnette sans volonté ni dignité.
"De toute façon, ça ne change rien à la situation" dis-je pour revenir à des problèmes plus concrets. "Dois-je vous rappeler que notre situation n'est guère brillante?"
Monarque, ou l'art de casser l'ambiance. Héhé. Ils tirent tous des gueules de trois pieds de long. Sélinus ne dis plus rien, il s'est plongé dans un mutisme pensif. Spektrum m'observe d'un oeil contemplatif. J'ai beau apprécier sa compagnie, cet homme reste le type le plus impénétrable que j'ai jamais rencontré. A bien y réfléchir, je ne sais rien de lui, hormis qu'il semble souffrir à chaque seconde de son existence et qu'il n'a pas étudié au Conclave. Il est parfois difficile de suivre ses propres règles. L'une des seules règle de Tempête, c'est que le passé n'importe plus à compter du moment où vous intégrez l'unité. Interroger l'un des camarades sur son passé est un manquement à cette règle. Mais des fois, j'aimerais bien qu'il me parle de lui.
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Dieux. Ca ne fait "que" une semaine depuis la dernière fois que j'ai pris la plume, mais j'ai l'impression que l'équivalent de deux fois mon existence s'est écoulé entre deux. Pardonnez mon écriture maladroite, et certainement peu lisible, mais je dois confesser que la douleur ne rend pas la chose aisée.
Maintenant c'est une certitude, je vais mourir. Je ne sais pas quel sentiment obscur me pousse à écrire encore, alors que je ferai mieux de me tordre de douleur sur le sol de ma cellule en implorant les dieux d'achever rapidement mon agonie. Si ça continue, je vais devenir fou. Encore que, peut être le suis-je déjà...
Lorsque la vie coule tranquillement, on se dit que ça passe trop lentement. Mais quand on s'apprête à embrasser les fesses du Faucheur, on se dit que ça a été trop vite. Rah, ironie, toujours elle! Mon seul regret, au final, c'est de mourir anonyme.
Foutue fierté.
Je préfère utiliser le peu de temps qu'il me reste, ainsi que mes dernières forces pour relater ce qui nous est arrivé. Je garde espoir qu'un jour un bige quelconque, vous peut être, trouvera mes carnets, et que ma mémoire sera honorée. Par pitié, qui que vous soyez, donnez ces carnets à un historien, un célèbre si possible. J'ai déjà trouvé un endroit pour les planquer, là dans cette petite niche à la base du mur. Peut être qu'il y a moyen de l'exploiter plus en profondeur pour me tirer, mais en tout honnêteté, j'ai déjà à peine la force de tenir ma plume, alors avoir recours à la magie...
Je ne sais même pas où je suis en plus. La décrépitude de mon environnement me fait penser à de vieilles geôles, mais d'où? Une ville, une tour isolée, un château à l'abandon? Tout ce que j'entends, c'est les murmures au dessus de ma tête, les susurrations de Räj'Alh dans celle-ci, et les hurlements de quelqu'un. Je ne sais pas qui c'est, mais je table sur un de mes compagnons. Enfin, un de ceux qui restent...
Matthew me regarde avec son dernier oeil. Il est tout aussi mort que son propriétaire, et juste là, à quelques centimètres de moi. Je le ferais bien bouger pour ne plus avoir à supporter l'odeur et la vue, mais au risque de me répéter, je n'ai plus de force. Son corps nu porte encore les traces des tortures qu'il a subi toute une nuit durant. Mi magiques, mi mécaniques. Un troisième bras, grêle et vert, lui sort du bide. A bien regarder, on dirait presque qu'il remue encore. Son orbite vide est déjà infesté de vermines rampantes et gluantes. Apparemment, on l'a arraché à vif. Le nerf pend encore, pitoyablement. Sa peau est striée de plaies encore sanglantes, certaines suppurant un liquide verdâtre, tandis que d'autre sont déjà cicatrisées. Quelque chose lui a arraché la moitié du visage, exposant la partie droite de sa mâchoire, de son nez et de sa pommette. Ses cheveux ont sûrement été enflammés, à en juger par les traces de brûlures sanglantes qui ornent son crâne. Si j'avais encore quelque chose dans le ventre, j'aurais certainement vomi.
Le pire, c'est de se dire que ce qui m'attend est pire. Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça?
Et surtout, comment aurais-je pu jamais imaginer pareil scénario? Des morts sortent de leurs tombes pour venir me saluer. J'aurais pu trouver l'attention charmante, mais en toute sincérité j'aurais préféré qu'ils restent chez eux...
sakuranbo:
Toujours aussi plaisant à lire! Très bon chapitre ou on en apprend plus sur Lars, je l'aime bien ce gamin tiens, il est vraiment attachant :roll:
J'adore toujours autant ta vision de Link, c'est bien de le voir sous cet angle plutôt qu'en parfait héros. Non mais quel petit frimeur ce blondinet! xD
Le Chien... Je l'aime beaucoup ce personnage aussi. Il me fait un peu mal au coeur. J'ai beaucoup aimé cette phrase qui le décrit parfaitement d'ailleurs:
--- Citer ---Locke Sanks était mort sur les Plaines, et seule restait de lui une coquille vide et gelée, ne vivant que pour servir son maître.
--- Fin de citation ---
Quant à la fin de ce chapitre, je l'ai trouvé adorable :<3: J'attends la suite avec impatience, comme toujours!
silver:
J'adore, Saria et Lars sont tellement mignons à ce genre de cachoteries. Je suis certain qu'ils n'auront pas de problèmes pour la suite de leurs vies. J'ai hâte de voir ce qu'ils pourront faire. Je pense que pour la relation de Feena et Malon, c'est déjà plus ou moins sur que je vais adorer l'ensemble de leurs romances. Je me demande quand est ce que les actions vont être particulières... j'ai hâte...
Sinon je comprends que l'on puisse pas avoir les autres récits, j'attendrais le temps qu'il faudra mais je pense que tu trouveras de quoi relancer tes anciennes intrigues.
D'ailleurs généralement, les pouvoirs magiques ou particuliers ont toujours un lien avec l'état psychologique de la personne. Je pense que tu peux te permettre de nombreuses possibilités vu la nature du pouvoir que Samyël a. Quant à Monarque, je pense que je vais de plus en plus l'apprécier. L'histoire aurait de quoi continuer vu la psychologie de Monarque. Je te souhaite une bonne continuation.
Great Magician Samyël:
(Note : Les réponses aux commentaires précédents ont été perdus lors du passage à la version 7.5 du forum.)
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XIII
-Malon/Ishtar/Tarquin-
Malon ouvrit doucement les yeux, la rétine encore accrochée des dernières bribes d’un rêve aussi délicieux qu’aussitôt oublié. Elle étendit le bras, mais le drap était déjà froid. Ser Locke était déjà parti depuis longtemps, comme chaque jour. Elle songeait parfois avec honte à la peur grotesque qu’elle avait ressentie lors de leur première nuit. Cependant, il avait tenu sa promesse, et jamais il n’avait essayé de poser la main sur elle. Il se contentait de s’étendre à son côté, et de sombrer presque aussitôt dans le sommeil pour se lever avec l’aube.
Il leur arrivait parfois de discuter un peu, mais il n’était point loquace, et assez renfermé. Son nouveau statu de chevalier avait d’ailleurs fait empirer la chose. Même si elle ne le connaissait presque pas, et qu’il l’ignorait passablement la plupart du temps, elle l’appréciait. Du moins, elle appréciait son honneur et sa vertu. Des qualités, comprenait-elle, qu’il devenait de plus en plus difficile de trouver chez les hommes.
Le jour n’était pas levé depuis longtemps. Un soleil timide mais lumineux filtrait à travers les fins rideaux de soie ; malgré tout l’âtre rempli de cendre dispensait une froideur grelottante. En frissonnant, Malon s’extirpa des couvertures et entreprit d’allumer une bonne flambée. L’été était déjà hier, et les arbres se paraient de belles couleurs ocres, ors et rouges pour célébrer la venue de l’automne. Un automne qui s’annonçait froid, et qui présageait, hélas, d’un hiver plus rigoureux encore.
En tant que courtisane personnelle de Ser Sanks, ses obligations quotidiennes étaient presque nulles, étant donné que ce dernier ne lui demandait jamais rien. La jeune femme appréciait ce nouveau style de vie, qui tranchait nettement avec son service auprès de la Princesse. Elle pouvait se laisser aller à la paresse, dormir jusqu’à tard dans la matinée, se consacrer à ses passe-temps favoris sans se faire réprimander ni demander des comptes. Elle dispensait la majeure partie de son temps dans la bibliothèque, où elle avait trouvé un curieux ami et compagnon de lecture en la personne du Faiseur de Vents. Elle se rappelait assez bien leur première véritable rencontre, peu avant que le Qu’un-Œil ne la mette au service du Chien. Elle se souvenait de son angoisse face aux yeux clos et au sourire éternel, mais c’était bagatelle que tout cela, idioties puériles. Fado était un personnage aussi charmant qu’étrange, jamais désagréable, attentif, patient, aimant partager son savoir. Il avait cependant quelques bizarreries d’attitude, comme cette manie de répéter souvent les mots comme s’il se parlait à lui-même, ou de sembler écouter quelque chose audible de lui seul.
Leur amitié marchait sur le schéma d’un marché, aurait pu-t-on dire. Lui choisissait l’ouvrage et répondait avec gentillesse à ses questions, et elle lisait pour eux deux. Malon n’arrivait pas à déterminer si oui ou non le mage était aveugle. Tantôt il semblait tout voir, tantôt il se cognait contre les coins. Plus d’une fois elle l’avait surpris devant un livre ouvert, et rien ne trahissait sa cécité dans ces cas là que ses yeux fermés. Parfois, le jeune Lars Zora les rejoignait, non point pour lire mais pour demander aux Faiseurs de Vents des précisions sur tel sujet. La courtisane s’étonnait d’ailleurs souvent des connaissances et de la vivacité d’esprit du jeune garçon, qu’elle croisait de plus en plus souvent, eu égard à sa condition d’écuyer de Sanks.
Malon frissonna et enserra sa poitrine de ses bras pour essayer de se réchauffer un peu. Elle fit mander un serviteur pour son déjeuner et un baquet d’eau chaude. Pendant que deux servantes remplissait l’imposante cuve en bronze de la salle d’eau avec des seaux fumants, elle dévora le pain et les confitures. Une fois restaurée, elle fit glisser sa robe de chambre et se plongea avec délice dans l’eau bouillante. La vapeur faisait comme un brouillard spiralée dans la petite pièce, et elle s’amusa à la contempler, ses muscles se décontractant et sa chevelure se répandant autour d’elle à mesure qu’elle s’humidifiait. Les bains était de loin ce que l’anoblissement de Père avait amené de mieux dans la vie de Malon. Elle se demandait à chaque fois comment elle avait pu s’en passer avant. Il n’y avait rien de plus merveilleux que la sensation de se sentir propre et fraîche. Elle pouvait rester ainsi pendant des heures, jusqu’à ce que l’eau devenue glaciale ne la force à mettre un terme à ses ablutions.
Elle poussa un soupir de satisfaction et ferma les yeux. Elle les rouvrit cependant presque aussitôt en entendant la porte de la chambre s’ouvrir. Elle tourna vivement la tête, mais la vapeur empêchait de voir quoi que ce soit. La clé tourna dans la serrure en émettant un petit clic plaintif. Malon percevait des bruits de pas feutrés, dans la pièce d’à côté.
-Il y a quelqu’un?, cria-t-elle.
Elle songea à quelque servante venant remplir son office, mais la voix qui lui répondit était tout autre.
-Ce n’est que moi, ne t’en fais pas.
La silhouette souple et gracieuse de Feena Hurlebataille apparut dans le nuage de vapeur, son sourire tranquille encadré par ses magnifiques cheveux roux bouclés. A sa simple vue, le cœur de Malon s’accéléra , et elle tenta de cacher sa nudité en s’enfonçant d’avantage dans la cuve, et en plaçant un bras devant ses petits seins. La guerrière dut remarquer son manège car son sourire s’élargit. Elle était splendide. Elle avait troqué son éternelle armure de cuir pour une tunique lâche à manches larges en satin noir maintenue à la taille par une fine ceinture de cuir à boucle d’argent dans laquelle était glissée un poignard qui n’avait rien de décoratif. Ses chausses matelassées avaient quant à elles laissé leur place à une paire de bas en laine noire qui laissaient entrevoir un peu la peau du haut des cuisses. Des bottes souples et neuves en daim achevaient sa parure. Elle avait également mis de côté le bandeau noir qui d’ordinaire lui serrait les cheveux, si bien que ses boucles de feu cascadaient atour de son visage et sur ses épaules avec volupté. Ainsi accoutrée, elle était bien plus féminine qu’auparavant, et pourtant la force féline qui la caractérisait ne l’avait en rien quittée. Au contraire, le noir assombrissait ses traits et faisait ressortir plus intensément le vert pétillant et farouche de ses yeux.
Par les Trois, qu’est-ce qu’elle est belle!
-Madame? Vous ici je… heu…, balbutia Malon.
Elle fut heureuse que la chaleur de la salle d’eau dissimulât le rouge qui lui montait aux joues.
-Cela fait un moment que je ne t’ai pas vue, et ce n’est pourtant pas faute de t’avoir cherchée…
-Madame me cherchait?
-Oui. D’ailleurs, j’en suis presque venue à penser que tu m’évitais. Mais ce n’est pas le cas, n’est-ce pas?
Les prunelles émeraudes flamboyaient littéralement. Mais Malon ne parvenait pas à savoir si c’était de colère, d’amusement, de désir ou de quoique ce fut d’autre. Elle se recroquevilla un peu plus sur elle-même. Elle avait effectivement fait de son mieux pour éviter la guerrière, depuis la lordification de Link, depuis ce jour où elles s’étaient… embrassées. Rien qu’à cette pensée Malon éprouvait une brûlante sensation dans le creux de son ventre. Elle sentait encore sur ses lèvres le contact doux de celles de dame Feena, sa main posée sur sa cuisse qui…
Malon frissonna et chassa ces idées outrageuses de son esprit.
-Bien sûr que non! Je… je suis certaine que ce n’est là que l’œuvre d’un hasard bien malicieux.
-Je vois. Peut-être voudrais-tu que je te frotte le dos?
La question n’en était pas une car à peine avait-elle finie sa phrase que Feena s’avançait vers la cuve. Elle la contourna et vint s’agenouiller derrière Malon.
-Madame est trop bonne, fit la jeune femme.
Ses épaules se contractèrent et elle tressaillit malgré elle quand un doigt plein de volupté entreprit de suivre le tracé de ses omoplates.
-Tu m’as l’air bien tendue.
-Madame, c’est juste que…
-Chuuut… Laisse-toi aller.
Les longues minutes qui suivirent furent parmi les plus formidables de toute son existence. Les mains fortes et habiles de la guerrière eurent tôt fait de détendre ses épaules et sa nuque par des massages merveilleux qui lui arrachèrent des soupirs de bien-être. Feena entreprit ensuite de laver et démêlé la longue chevelure de Malon. Celle-ci était gênée de laisser une dame de son rang s’occuper de ses cheveux comme la première des courtisanes, mais dame Hurlebataille avait cette manière exquise de lui palper le crâne en la savonnant et en la rinçant qui foudroya instantanément toutes ses protestations. Elle se laissa bichonner, fermant les yeux et s’imprégnant de la bonne odeur du savon, et du parfum doux mais piquant de la guerrière.
-Il vaudrait mieux sortir à présent, murmura Feena à son oreille.
Malon sursauta légèrement, réalisant qu’elle s’était assoupie.
-Rester dans l’eau trop longtemps est mauvais pour tes cheveux et ta peau.
-Je… Oui, vous avez raison.
Feena écarta les bras en tendant une serviette, et Malon vint s’y blottir. La guerrière la sécha avec des gestes énergiques et amples. Le cœur de la jeune femme se mit à battre un peu plus vite. Elle avait une conscience aiguë de la proximité immédiate de sa compagne, son odeur, son corps contre le sien… Elle n’avait jamais rien connu de tel, et cela l’effraya. C’est pourquoi lorsque dame Hurlebataille lui saisit le menton entre deux doigts et lui releva lentement le visage pour l’embrasser, elle se recula précipitamment.
-Non!
Le dos tourné à la guerrière, le souffle court, elle attendit, n’osant se retourner.
-Pardonne moi, je ne voulais pas te brusquer. J’avais cru que…
Malon entendit ses pas s’éloigner, pour finalement quitter la chambre. De dépit, le cœur en proie à des affres inconnues, la jeune femme s’effondra sur le sol de la salle d’eau et ne put retenir quelques larmes.
***
Ishtar Parel avait perdu la maîtrise de ses jambes, et elle sentait celle de ses bras lui échapper de plus en plus. Trop débile pour se mouvoir seule, maître Baelon l’avait contrainte, pour son bien, à garder le lit jusqu’à ce qu’elle se rétablisse, mais la reine savait que rien ne pouvait plus la sauver ; rien hormis un crime trop ignoble pour être commis.
Sa chambre avait tout d’un tombeau à présent. Pour se préparer au long voyage qui ne tarderait plus à débuter, elle avait exigé qu’on retirât les tableaux, les tentures, les riches tapis et les fleurs. Les murs nus lui renvoyaient l’image des parois d’une crypte, et elle y puisait étrangement un certain réconfort. Elle avait également demandé à ce que les deux grandes fenêtres restassent perpétuellement ouvertes, même la nuit, et fit déplacer son lit afin de pouvoir contempler la Cité et les Plaines au-delà. Hyrule n’avait jamais été son foyer. Elle se souvenait avec tendresse des paysages familiers d’Holodrum, les rues tantôt cuisantes, tantôt enneigées d’Horon, les jeux avec sa sœur et leurs cousins… Cependant elle trouvait une certaine noblesse au panorama gigantesque d’Hyrule, sous le soleil levant ou à l’ombre du crépuscule. Cela avait un effet apaisant sur son vieux cœur malade.
Malgré les fenêtres, et les multiples bougies qu’elle avait fait allumées un peu partout, il y avait toujours un coin d’ombre qui s’obstinait à rester, même sous le soleil de midi. Un coin de noirceur brute, un petit morceau de ténèbres ouvrant sur des abysses de cruauté et de malignité. Exelo l’avait prévenue : la prochaine fois qu’il passerait cette arche maudite, ce serait pour lui administrer la mort. Alors elle guettait inlassablement, se fatiguant les yeux à loucher sur le noir insondable. Mais le vieux mage sadique s’obstinait à allonger son tourment. Ishtar s’était résignée à son sort. Elle l’avait accepté, et maintenant désirait en finir le plus vite possible. Ayant toujours été une femme forte, cette passivité subie la mettait en rage. Devoir appeler une femme de chambre pour répondre aux besoins de la nature était pour elle de la dernière humiliation.
Quelqu’un frappa à sa porte. S’arrachant de ses songeries, la reine se redressa un peu sur ses vastes coussins de soie.
-Entrez!
Le battant s’ouvrit sans un bruit, et son visiteur la referma avec le plus grand soin. Sur le balcon face à elle, un épervier vint se percher sur la balustrade. Il sembla l’observer un instant, puis se mit à lisser les plumes de ses ailes avec son bec. Il était magnifique. Son buste blanc tacheté d’ocre chatoyait sous la lumière dorée du soleil, qui faisait scintiller ses yeux bleus perçants. Ishtar se souvenait des longues parties de chasse qu’elle avait pratiquées dans sa jeunesse, avec son épervier personnel. Elle se remémorait les heures qu’elle pouvait passer à lui caresser tendrement le plumage en lui donnant à manger…
Le visiteur se racla doucement la gorge, pour se rappeler à son souvenir.
-Ma reine, vous m’avez fait demander?
-Oui, approchez. Prenez un siège, je vous en prie.
Ser Sanks s’exécuta, et ses bottes ferrées tintèrent sur le sol nu. Ishtar tourna la tête pour observer le fameux chevalier. Ses traits pincés trahissaient assez son mal-être. Quand la reine le regarda dans les yeux, il détourna presque aussitôt le regard. Ishtar s’attarda un moment indécent sur ses vilaines balafres et sa main broyée, et essaya de se le représenter sans. Sa figure carrée, son nez droit, sa bouche ferme et ses cheveux de jais auraient pu lui valoir quelque succès auprès des dames, jugea-t-elle.
-Je ne vais pas y aller par quatre chemins, ser. Je suis certaine que votre temps est précieux, tandis que le mien est compté.
Le ton brusque de l’assertion prit le Chien de court.
-Je.. Ma reine enfin, je veux dire, non, je vous assure que…
-Suffit.
Sur le balcon, l’épervier s’ébroua, poussa un petit piaillement et reprit son envol.
-Je serai bientôt morte, ce n’est plus qu’une question de jours. Je ne vous connais pas, si je mets de côté toutes les folles rumeurs qui courent sur vous. Cependant Tarquin m’affirme que vous êtes quelqu’un en qui on peut avoir confiance, et surtout, que vous savez-vous servir de votre lame.
-Ma reine me flatte mais…
-Allons! Cessez ces ronds de jambe. Je vous l’ai dit, mon temps est compté, je n’en ai pas à perdre avec de l’humilité mal placée.
Ser Sanks baissa les yeux, gêné.
-Ne faites donc pas cette tête, sans vouloir vous offenser. Je pensais que vous aviez côtoyé la mort suffisamment pour ne pas vous effaroucher d’une vieille femme grabataire.
-On peut avoir côtoyé la mort pendant longtemps, ma reine, ce n’est pas pour autant qu’on en vient à l’accepter, ou à la chérir.
Le ton froid du Chien irrita la reine. Ils s’observèrent un moment sans rien dire. Comme c’est curieux. Il y a plus de sagesse dans cette monstruosité de figure là que dans toutes les vantardises bouffonnes des seigneurs de mon époux.
-Vous vous oubliez, ser, répondit-elle cependant.
-Pardonnez moi. Je ne voulais pas être insolent.
-Allons, bon. C’est oublié. Si je vous ai appelé c’est pour vous formuler une requête solennelle.
-Ce sera un honneur pour moi de vous servir, ma reine.
-Je veux que vous deveniez le bouclier lige de mon fils.
Le visage du chevalier sembla se décomposer. Ishtar s’en amusa. Les paroles précédentes du Chien l’avaient plus ou moins engagé à accepter, mais cela allait à l’encontre de ses autres serments. Un chien ne peut avoir qu’une seule laisse autour du cou. Ses conflits intérieurs allaient le tarauder un moment, mais Tarquin l’avait assurée que son honneur l’empêcherait de refuser, quitte à ce que cela lui fisse trahir ses autres engagements. Pour un peu, elle en aurait souri.
Pourtant ses traits à elle se décomposèrent à leur tour lorsque ser Sanks tomba à genoux devant elle, et baissant la tête comme en attente d’un juste châtiment, déclara d’une voix ferme :
-Que ma reine me pardonne, mais c’est là l’unique requête que je ne pourrais jamais accomplir. Mes serments m’engagent auprès de mon maître.
Le laïus de cet idiot la laissa sans voix.
-Et que faites vous du serment que vous avez prêté à votre Roi?
-Ma reine me pardonne, mais ce serment ne m’engage nullement vis-à-vis du prince Nohansen. Conformément à la Loi des Trois, mon maître deviendra roi à sa place. Seuls le roi votre époux ou mon maître pourraient me lier à votre fils dans cette manière que vous me proposez. J’en suis au regret, ma reine.
La lippe inférieure d’Ishtar se mit à trembler -de rage, d’effroi.
-Mon fils est en danger. Vous n’avez aucune idée de ce qui rôde autour de lui, des menaces auxquelles il est contraint de faire face malgré son jeune âge. Et vous voudriez le laisser seul et sans défense?
-Ma reine me pardonne. Je ne doute pas qu’un autre preux n’hésiterait à…
-Sortez, ser. Sortez.
-Ma reine, je…
-Ne m’obligez pas à me répéter, ser.
Penaud, Locke Sanks se releva, s’inclina avec respect puis sortit. Elle entendit le son de ses bottes un long moment, puis le silence revint s’abattre sur son tombeau. Une larme silencieuse roula sur sa joue. Elle n’osait songer à ce que ces rapaces du Consortium feraient à son fils, une fois qu’elle ne serait plus là pour veiller sur lui. Son pauvre petit Nohansen, si plein de vie, d’énergie, d’amour. Si plein d’innocence, de bonté.
La nuit tomba, puis le jour se leva. Ses forces la quittaient de plus en plus. Elle ne mangeait presque plus, buvait peu. Maître Baelon prenait son pouls avec de plus en plus de peine. Et pourtant, le coin d’ombre restait là, immobile, imperturbable. L’esprit malade d’Ishtar trouva amusant qu’après avoir tant et tant redouté les apparitions du vieux vautour magicien, elle en était venue à désirer ardemment sa venue.
Les vents d’automne amenaient sur ses balcons des feuilles jaunes, ocres et rouges, qui tourbillonnaient joliment dans les airs avant de s’envoler vers d’autres horizons. La plaine dans le lointain se parait aussi de couleurs plus chaudes. Les fermiers amassaient les récoltes et les stockaient en prévision de l’hiver. La bise s’intensifiait et, la nuit, le froid s’infiltrait dans les os desséchés de la reine qui endurait sans mot dire.
-Le temps est décalé, murmura-t-elle un soir. Voici l’automne qui vient, quand c’est l’hiver de ma vie qui frappe à la porte.
Plus personne ne venait visiter la reine. Ni son époux, ni ses enfants, ni ses amies et dames de compagnie. Parfois elle appelait des noms qui lui passaient par l’esprit, mais personne ne lui répondait, si ce n’était le vent. Locke Sanks vint bien une fois, mais elle le congédia sans même le voir, et il ne reparut plus. Le froid devenait de plus en plus rude au fil des jours. Mais lorsque ses servantes firent mine de fermer les fenêtres, elle les congédia rudement.
A présent elle ne pouvait même plus bouger le cou. Son corps n’était plus qu’une extension inerte de sa tête. Un morceau de chair glacée et boursouflée. Mais toujours l’ombre dans le coin restait stoïque. Elle n’avait déjà presque plus la force de parler.
Un soir, elle se réveilla. Quelqu’un était assis dans le fauteuil près d’elle, mais elle ne pouvait le voir.
-Exelo?, appela-t-elle d’une toute petite voix.
-Non, ma reine. C’est moi, Tarquin.
-Tarquin… Tarquin, menez moi sur le balcon. Je veux… Je veux…
Ses paroles s’éteignirent dans sa bouche. Elle ne savait plus ce qu’elle voulait. Mais plein de sollicitude, le maître du Sheikah déplaça son fauteuil jusqu’au balcon, puis revint auprès du lit. Il prit Ishtar dans ses bras avec la plus grande des précautions, puis la souleva comme si elle n’eût rien pesé. Quand il l’installa, ses yeux furent assaillis par l’ombre gigantesque du Bourg, là en contrebas, auréolée de centaines de petites chandelles. On distinguait bien le Temple, illuminé de milles feux. L’air frais lui piqua les joues, mais lui fit du bien. Elle ferma les paupières un instant. Le bruit sourd d’une liesse lui parvint alors. Rouvrant les yeux, elle comprit que les lueurs dans la nuit étaient celles de torches, de luminaires, et qu’une fête battait son plein dans la Cité.
-Tarquin… Que fêtent-ils? Ma mort?
-Non ma reine. Ils fêtent les épousailles de votre fille.
-Ma fille s’est mariée? A qui?
-Au seigneur Link, ma reine.
-Personne n’est venu me chercher, s’insurgea-t-elle d’une voix à peine plus haute qu’un murmure.
-Maître Baelon a déclaré que vous n’étiez pas en état d’assister à la cérémonie.
Zelda, mariée. Cette idée lui plut. Sa fille avait toujours désiré être mariée à un beau chevalier, un preux héros blanc auréolé de gloire et de prospérité. Voilà qui était chose faite.
-Comment était-elle?
-Splendide, ma reine. Votre portrait craché.
-Racontez moi.
-Elle portait une robe du plus bel effet, dans un écarlate qui n’était sans rappeler les couleurs de la maison d’Hyrule. Sa coiffure était élégante et sophistiquée, la même que vous arboriez le jour de vos propres fiançailles. Ses oreilles et ses doigts étaient ornés de bagues et de boucles en jade, en hommage à son époux.
-La cérémonie?
-Grandiose, ma reine. Beaucoup prétendent que ce fut là la plus exquise que l’on eut vue depuis bien longtemps.
-Je suis contente. Zelda a toujours désiré un beau mariage.
-Je pense qu’elle a été comblée, majesté.
-Pourquoi êtes-vous ici, Tarquin?
-C’est le devoir des Sheikah de veiller sur la Famille Royale. Ma place est ici.
-Oui.
Ishtar savait qu’elle attendait quelqu’un, mais elle ne savait plus qui.
-Mon visiteur est-il venu, Tarquin?
-Ma reine attendait un invité?
-Je crois.
-Alors il n’est pas venu. Je suis ici depuis trois jours.
-Ce n’est pas grave. Dites, Tarquin.
-Ma reine?
-Veillerez-vous sur mes enfants? Sur mon fils, surtout. Il est si gentil, et si fragile.
-Comme sur la prunelle de mon dernier œil, ma reine.
-Bien. Bien…
Ses yeux fatigués naviguèrent sur l’horizon, tandis que sa vision commençait à se brouiller en un amalgame de taches colorées sur fond de ténèbres. Lorsqu’elle aperçut un certain bâtiment, quelque chose lui revint en mémoire.
-Tarquin!… Le Consortium…
Mais ses mots moururent dans sa bouche, tout comme son souffle s’épuisa. Bientôt ses yeux se fermèrent, ses pensées dérivèrent vers les nuées, et son cœurs s’arrêta.
-Je sais, ma reine. Je sais… murmura Tarquin en posant une main affectueuse sur son épaule menue et froide.
***
Trois jours s’étaient écoulés depuis l’union de Lord Link avec la princesse Zelda. Tarquin n’avait pas assisté à la cérémonie. Son devoir l’avait appelé auprès de sa reine pour ses derniers instants. Fidèle à ses serments, le vieux Sheikah l’avait regardée s’éteindre, puis veillé à ce que sa dépouille soit mise en sûreté, et apprêtée pour ses obsèques. Nul n’assistait aux funérailles des défunts royaux. Cette tâche était l’apanage des seuls Sheikah. Les rois, les reines, les princes et les princesses décédés étaient envoyés sous bonne escorte jusqu’à un lieu secret, la Vallée des Rois, où les Sheikah veillaient sur la dernière demeure de leurs maîtres.
Il était un autre devoir qui incombait aux Sheikah.
Durant le festin qu’organisa le roi pour ses invités le lendemain, Tarquin fit irruption, habillé de ses plus beaux atours. Il frappa trois fois dans un tambour de peau peint à l’effigie de la triforce. Toutes les têtes se tournèrent vers lui, des faces curieuses, soucieuses, irritées. Tarquin attendit que le silence se fit, puis mettant un genou en terre à la manière des chevaliers prêtant serment, il déclara de sa voix la plus forte.
-La reine est morte! Longue vie à la reine!
Il y eut une seconde de flottement stupéfait dans la salle, puis l’ensemble des convives se levèrent, renversant les tables dans leur précipitation.
-Longue vie à la reine! Crièrent-t-ils, une main sur le cœur.
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