Allez, je déterre un peu pour parler d'un sujet qui a été mentionné plusieurs fois autour de moi ces derniers temps.
Je suis pour la dépénalisation de toutes les substances considérées comme « drogues » (c'est à dire psychotropes). À moins de vivre dans un trou sans fond, vous devez savoir que toutes ces substances sont au cœur d'un trafic très dangereux, duquel de nombreuses personnes meurent tous les jours. C'est un monde très complexe, dans lequel on risque sa peau sur tous les fronts : vendre sur le mauvais territoire, vendre aux mauvaises personnes, ou tout simplement devoir faire face aux autorités, et ce que ça implique (les éliminer ? risquer de se faire sauter à la gorge par un chien ? tirer dessus ?). Bref, c'est un univers particulièrement hostile et nocif dans son ensemble pour la société, et dépénaliser toutes ces substances ferait sauter une grande partie de ce trafic.
Mais ce n'est pas tout. Légaliser les substances psychotropes, c'est aussi contribuer à leur déstigmatisation au sein de la société, et c'est très important. La grande majorité des gens est tout simplement mal informée sur ce que produisent réellement la majorité des drogues (douces ou dures) sur le cerveau, pour de nombreuses raisons : mauvaises représentations dans les médias, diabolisation à outrance (parfois à tort, mais pas toujours, concevons-le), et tout simplement le fait que c'est souvent un sujet tabou. Quelqu'un « sombre dans la drogue », et il aura alors deux issues : s'en sortir, auquel cas il deviendra un héros, un modèle pour la société ; ou y rester, voire y mourir, et ce ne sera qu'un déchet. Cette façon de percevoir la victime de dépendance est totalement malsaine, car elle n'incite en rien à chercher le salut. Beaucoup de consommateurs ont peur de chercher de l'aide auprès de leurs proches ou d'autorités car ils savent que, l'activité étant illégale, ils recevront autant, si ce n'est plus, de blâme que d'aide. Qui plus est, la dépendance n'est pas toujours une fatalité provenant de la substance : ça dépend bien évidemment de quelle drogue on parle (je pense que tout le monde est d'accord pour dire que l'héroïne est un cas à part), mais la dépendance résulte le plus souvent d'une prédisposition psychologique, qui a pu se développer aussi bien pour des raisons génétiques (comme certaines études tendent à penser que l'alcoolisme pourrait être génétique dans une certaine mesure) que sociales. Vouloir consommer, c'est vouloir s'exiler d'un état que l'on considère mauvais ; continuer à consommer, c'est trouver de la satisfaction dans ce que procure la substance psychotrope plutôt que dans la réalité. Et ce qui crée le dégout de la réalité, ce n'est pas une simple perspective qu'il suffirait de changer, c'est souvent bien plus que complexe que ça : dépression ou toute autre difficulté psychologique, échec scolaire, professionnel ou social, difficultés familiales, abus, etc.
Plus que d'être blâmé pour sa dépendance, le consommateur régulier de drogues a besoin d'être épaulé et pris en charge. Et ce n'est certainement pas en le foutant sous subutex en prétendant vouloir diminuer ses doses progressivement qu'on réussit à sauver ces gens. Il faut un réel soutien psychologique et moral, au même titre que pour n'importe quelle condition psychologique. Ce que notre société actuelle, en menaçant de jeter les addicts en prison, ne propose pas du tout. (Je sais qu'il existe des centres d'aide, souvent tenus par des bénévoles, et de grande qualité ; mais le fait est qu'ils sont souvent accompagnés d'une peine pour le consommateur, et ne proposent pas toujours de suivi médical en plus.)
De toute façon, la société a toujours été profondément hypocrite au sujet des substances récréatives, dans la mesure où
l'alcool a de quoi se vanter d'être une drogue aussi dure que la cocaïne. La descente de la cocaïne n'a rien à envier à la violence de la gueule de bois qu'engendre une forte consommation d'alcool ; les deux affectent profondément le cerveau et d'autres organes sur le long terme (on connaît bien les conséquences de l'alcool sur la bouche et le foie) ; ce qui crée la dépendance pour la cocaïne, c'est « ce rail qu'on prend quand on commence à descendre », et pour l'alcool, c'est « cette bière qu'on boit pour mieux faire passer la gueule de bois » ; un cocaïnomane fait parfois pâle figure à côté d'un alcoolique tant la dépendance physique de l'alcool est dangereuse ; et la seule réelle différence majeure entre les deux, c'est que l'alcool est très accepté dans la société, tandis que la cocaïne pas du tout.
Je trouve ça totalement hypocrite de coller des images gores sur des paquets de cigarette et de se limiter à un « l'abus d'alcool est dangereux pour la santé » sur les bouteilles, de vouloir interdire aux marques de cigarette d'avoir un attrait graphique alors qu'on crierait au scandale si on en venait à interdire aux étiquettes de vin d'avoir leur propre personnalité. Car en comparaison à l'alcool, le tabac est une drogue douce.
Et qu'on ne vienne pas de me parler des propriétés positives des tanins ; de nombreuses substances psychotropes n'ont rien à leur envier. La THC du cannabis fait plus que ses preuves lorsqu'il s'agit d'aider à apaiser les tensions musculaires, le stress, et à le dépression. Des recherches récentes s'intéressent de plus en plus à la psilocybine (propriété active des champignons hallucinogènes) pour aider aux troubles de l'attention. Et bien entendu, le pavot apparaît dans de nombreux aliments et médicaments, en plus d'être la source de l'opium.
L'une des critiques qui revient le plus souvent est que la société serait dégénérée si on légalisait les drogues. Pourtant, si demain l'héroïne était légale, iriez-vous vous faire piquer ? Non, puisqu'avec la légalisation de ces substances, il faudrait bien entendu mettre en garde convenablement à leur sujet (ça voudrait aussi dire lever certains mythes sur les drogues douces comme le cannabis et l'ecstasy ainsi que sur de nombreux hallucinogènes).
Certains pays sont d'ores et déjà les témoins des qualités de ce projet, d'ailleurs, à commencer par les Pays-Bas pour ce qui est du plus connu. Mais il y a surtout le cas du Portugal, où toutes les drogues sont dépénalisées, du cannabis à l'héroïne. Plutôt que de grossir les statistiques de consommateurs de drogues morts par overdose par an, cette légalisation l'a fait chuter de façon drastique.
Overdose deaths decreased from 80 the year that decriminalization was enacted to only 16 in 2012. In the US, by comparison, more than 14,000 people died in 2014 from prescription opioid overdoses alone.
Je vous laisse d'ailleurs le lien de la
source, sur laquelle je suis tombé par hasard l'autre jour, et qui est très enrichissante sur le sujet du Portugal.
Voilà voilà. Ce post n'a aucune vocation d'être un plaidoyer sur les drogues, bien au contraire, ça reste dangereux et l'abstinence est le meilleur des choix. En revanche, j'estime qu'il est d'une très grande importance de déconstruire les mythes qu'on nous inculque sur le sujet, et de chercher à s'éduquer. La société diabolise beaucoup tout ça, et c'est pas bieng.
Dans tous les cas, même si la dépénalisation de toutes les drogues mettra encore du temps à arriver, j'espère au moins voir celle des drogues douces dans les années à venir (cannabis, psilocybine, MDMA), voire des drogues dures présentant un risque très faible pour l'individu et la société (LSD, mescaline, DMT, amphétamines). D'ailleurs je vous laisse le lien de ce
graphique tiré d'une étude sur le préjudice personnel/social des drogues les plus communes, qui risque d'être surprenant pour beaucoup lorsqu'on voit où tombe l'alcool.