Après un an et demi de non-inspiration voici enfin mon chapitre 13 ! Un chapitre riche en infos !
Chapitre 13 : Douceur
Je n'ai jamais existé. Cette constatation simple m'est apparue il y a quelques temps. Évidente. Je n'ai jamais existé, tout simplement parce que je n'ai jamais maîtrisé mon existence. Peut-on dire que l'on a accompli quelque chose si cette action n'a pas été maîtrisée ? Peut-on prétendre avoir existé quand jamais notre propre destin n'a été contrôlé ? Non. On ne peut pas. Vivre c'est prouver à chaque seconde que l'on vit, et soumise à des puissances voulant ma mort, moi, Luna, du peuple des ombres, je n'ai jamais existé, et là est l'échec, non seulement de mes actes, mais aussi de la volonté des déesses. Car, ces infâmes et cruelles divinités ont voulu me détruire... Mais, détruit-on ce qui n'a jamais vécu ? - Trois jours... Et nous savons toi comme moi ce que les Sheikahs vont nous demander, Synopz.
La jeune fille rejeta la tête en arrière en soupirant avant de se tourner vers le jeune homme. Synopz sentit son cœur se serrer quand il croisa le regard de la ténébreuse Sheikah. Elle était belle, terriblement belle. De longs cheveux de neige ondoyant sous la douce brise nocturne, de profonds et brûlants yeux vermeils brillant sous les reflets de Lune et toujours cette pâleur, pure et profonde. Une princesse, une Sheikah, une tueuse. Elle était une déesse sauvage mariant ces trois aspects à la perfection, jonglant entre trois masques impénétrables. Le jeune garçon détourna les yeux, elle était inaccessible, quoiqu'elle en dise, à quoi bon y penser ?
- Oui, nous savons ce qu'ils vont exiger, car demander est un peu trop clément comme terme... Mais, nous sommes bien obligés d'accepter.
Il y avait près de trois heures qu'Impa les avait abandonnés, depuis son départ, les deux Sheikahs n'avaient pas échangé une parole. Les derniers mots d'Impa résonnaient comme une inexorable malédiction, distillant en eux une peur sourde et profonde. Ils allaient mourir, eux et tout le peuple des ombres. Pourtant, malgré la crainte qui serrait leurs cœurs, ils n'étaient pas étonnés outre mesure : ils étaient les erreurs des déesses et les divinités n'ont pas pour habitude de négliger leurs erreurs. Disparaître avait toujours été le destin du peuple des ombres.
- Et qu'est-ce qui nous y oblige, Synopz ? Qu'est-ce qui pourrait bien nous forcer à marcher vers notre propre perte ?
Le jeune Sheikah lui lança un regard dur, il ne voulait plus entendre ces questions, car elles l'avaient trop hanté, détruit, elles avaient asséché son âme, brisé ses rêves. Il ne voulait plus les entendre car il n'en connaissait que trop bien la réponse. Il répondit lentement, articulant distinctement chacune des syllabes.
- Pour l'honneur serait la réponse de bien des gens, mais pas celle d'un Sheikah. Je vais te dire la réponse d'un Sheikah, la seule qu'il jugerait vraie : pour l'insolence, pour la vertu, pour l’orgueil. Nous allons mourir, c'est une certitude inébranlable, alors mourrons avec un semblant de panache, mourrons en les défiant une ultime fois, mourrons en leur montrant que notre mort est leur plus grande erreur.
Le silence se fit durant quelques instants, le sourire de Luna s'esquissant peu à peu. Elle observa quelques instants les premières promesses de l'aube à l'Ouest avant qu'une larme solitaire glisse sur son visage toujours souriant.
- Tu es le plus grand prétentieux que je connaisse, homme des ombres, mais cela te va bien alors lève encore plus le regard, acère encore plus tes paroles, sois digne du peuple qui t'a vu naître, t'a élevé, t'a rejeté et t'a de nouveau accueilli en son sein, sois toi-même : sois un Sheikah et sois celui qui semble toucher mon cœur...
La jeune fille fit accélérer sa monture et partit quelques centaines de mètre devant, elle avait besoin de réfléchir, de faire la paix en elle-même, car l'inévitable ne lui échappait plus : il lui restait désormais trois jours et pas une minute de plus. Elle ferma les yeux plusieurs minutes s'imprégnant du monde alentour, elle le laissa l'habiter et elle l'habita elle-même. L'aurore s'étendait désormais dans le ciel et les premiers contreforts verdoyants d'Hyrule apparaissaient dans le lointain, le désert s'étendait derrière eux, tel un gardien silencieux et millénaire. Ils atteindraient le lieu de la bataille dans quelques heures. Luna n'avait pas réellement peur de la mort en elle-même, elle craignait juste l'oubli total qui en découlait. Elle craignait d'être oubliée, de disparaître des mémoires, des cœurs et même si elle savait cet oubli inévitable, elle ne pouvait s'empêcher de le craindre. Elle fut durant quelques secondes tétanisée par l'idée de sa disparition prochaine puis reprit finalement le contrôle d'elle-même à l'aide d'une profonde expiration. Mourir était la seule certitude de l'existence, alors à quoi bon se tourmenter ? Elle se retourna pour voir Synopz quelques mètres derrière elle. Une étrange sensation la toucha au moment où elle le regarda, une sensation mêlée de bonheur et de tristesse, de chaleur et froid. La question silencieuse et douloureuse qui régnait entre eux depuis le retour de Synopz en Hyrule franchit la barrière de ses lèvres avant même qu'elle puisse s'en rendre compte :
- M'aimes-tu, Synopz ?
Le jeune homme se figea quelques secondes sur sa monture, quelques larmes semblèrent un instant briller dans ses yeux vermeils mais elles disparurent si vite que Luna se demanda si elle ne les avait pas seulement rêvées. Il fit légèrement accélérer sa monture pour se mettre au niveau de la jeune fille. Luna sentit son cœur se serrer quand elle plongea son regard dans le sien. Il émanait de ce regard un surprenant mélange de bonheur intense et de détresse infinie. Un torrent d'émotions semblait jaillir des yeux rouges et pénétrants du jeune élu, un tourbillon si puissant qu'il menaçait de submerger Luna, de l'emporter, de faire céder cette froide distance qu'ils s'employaient tous les deux à maintenir depuis leurs retrouvailles. Elle réussit de justesse à se retenir, à contenir tout ce que son cœur voulait crier. Son visage demeura impassible. Les Sheikahs ne s’émouvaient pas, ne montraient rien, ils restaient toujours de marbre, tel était le caractère de leur peuple. Il s'agissait de la première chose que l'on apprenait aux jeunes enfants du peuple de l'ombre : surtout, ne rien montrer, en aucune occasion. Elle se contint encore tandis que le temps passait, interminable et pesant. Synopz observa avec douceur le vol d'un rapace dans le soleil levant puis répondit.
- Est-ce que je t'aime ? Je suppose que oui. Oui mais... Il y a toutes ces questions qui résonnent en moi, tous ces doutes. Nous avons grandi ensemble Luna, avons été élevés, nourris, éduqués ensemble. Tu es tout pour moi : à la fois l'amante, la mère et la sœur. Nous jouons au chat et à la souris depuis mon retour, sans savoir qui est le chat et qui est la souris. Je pense t'aimer, comme toi tu penses peut-être m'aimer mais je vais te confier une chose toute bête qui hante mes nuits depuis que nous nous sommes retrouvés : j'ai peur de t'aimer. J'ai terriblement peur... Peur de me tromper ? Peur de ne pas être à la hauteur pour te servir d'amant ? Peur de mal faire ? Peur de s'unir pour aller à la mort ? Je ne sais pas vraiment pourquoi mais j'ai peur.
Le Sheikah fit une pause. Le masque d'impassibilité et d'assurance que Luna s'était construit depuis l'enfance volait peu à peu en éclats. Elle pleurait à chaudes larmes, incapable de se retenir ou de formuler la moindre pensée cohérente. Elle tenta néanmoins de répondre.
- Mais... Tu...
Synopz la coupa.
- Non, laisse-moi finir, Luna. Nous filons à la mort, presque consentants, alors aujourd'hui, je suis heureux que tu m'aies posé ces questions, heureux car maintenant, je suis sûr d'une chose : ces questions n'ont plus lieu d'être, il ne nous reste que trois jours et je n'aurais pas souhaité les partager avec quelqu'un d'autre que toi. Alors, oui, Luna, oui, je t'aime.
Le silence. Encore une fois c'était le silence qui s'imposait dans une de leurs conversations. Sauf que cette fois il ne s'agissait plus d'un silence lourd de sous-entendus, mais d'un silence libérateur. Un simple silence de bonheur. Un bonheur triste, obscurci par un avenir dramatique, mais qui n'appartenait qu'à eux, à eux seuls. Luna sourit, le visage baigné de larmes.
- Je t'aime aussi Synopz, et il y a déjà longtemps que j'aurais dû te le dire, sans manières, sans faux-semblants.
Il n'y avait rien d'autre à ajouter, le silence par lequel ils communiquaient revint. Ils poursuivirent leur route, dans la lumière matinale, le désert n'était plus qu'un souvenir derrière eux. Leurs mains étaient liées.
***
Le seigneur des Gerudos avançait à pas rapides dans un des couloirs tortueux de la forteresse des voleurs. Sa tentative de coup d'état pour s'emparer du trône d'Hyrule semblait plutôt en bonne voie jusqu'à présent mais de récentes nouvelles apportées par les quelques Sheikahs renégats qui l'avaient rejoint le mettait en mauvaise posture, en très mauvaise posture. En effet, il avait appris de ceux-ci que le peuple des ombres avait été créé par les déesses afin d'empêcher la prise du royaume d'Hyrule avant l'arrivée du héros du temps. Même s'il n'avait jamais sous-estimés les Sheikahs, connus pour être des guerriers redoutables et surentrainés, il ne pensait pas qu'ils représentaient une telle menace. De plus, une partie de cette légende stipulait que naîtraient deux enfants des ombres, un garçon et une fille, destinés à repousser le dernier ennemi tentant d'assaillir Hyrule avant la naissance du Héros du temps. Ganondorf n'avait qu'une vague idée du rôle du Héros du temps, mais il savait cependant qu'il avait à voir avec la légende de la " Triforce", cette légende qu'il avait découverte enfant et qu'il n'avait eu de cesse d'interpréter et d'étudier depuis lors. Malgré toutes les complications qu'engendraient ces révélations, elles lui apportaient également un élément essentiel : il avait à voir avec la Triforce car ce dernier ennemi tentant d'assaillir Hyrule était mentionné dans la légende des ombres comme
Celui qui portera la force des Dieux. Il arriva finalement au bout de l'interminable couloir qui menait à la salle des tortures de la forteresse. Il pénétra dans la pièce et se tourna vers l'une des deux bourreaux qui s'inclina.
- Mon seigneur.
- Elle a parlé ?
La Gerudo répondit avec révérence.
- Non, elle est toutefois sur le point de craquer, seigneur. Elle parlera bientôt.
Il eût un sourire dur.
- Parfait ! Je vais m'en charger personnellement.
Il s'approcha d'une jeune fille aux longs cheveux roux et à la peau matte. Elle était retenue au mur par de lourdes chaînes qui entravaient pieds et mains. Son visage fin est délicat était parsemé d'hématomes violacés et tout son corps empestait la pourriture. Chaque plaie débordait de pus et semblait profondément infectée. Elle pendait mollement dans ses fers paraissant presque morte. Elle leva néanmoins un regard vide vers le seigneur du désert quand il se plaça en face d'elle. Elle articula péniblement quelques mots à l'aide de ses lèvres craquelées.
- Que... Qu... Que voulez-vous ?
Ganondorf éclata de rire, un rire terrifiant tant il semblait sincère et tant il était incongru en cet endroit.
- Mais tu sais très bien ce que je veux, ma jolie ! Les noms des deux élus Sheikahs, je n'ai pas très envie de les laisser gâcher la fête que j'ai prévu de donner à la citadelle d'Hyrule !
- Je... Je ne vous les donnerai pas.
Il sourit, un sourire compréhensif, presque compassionnel.
- Nabooru, ma très chère Nabooru ! Tu es de mon sang, de mon peuple, et tu es de plus celle qui doit me servir de femme à ta majorité, alors tu ne mourras pas.
Il se dirigea vers le poêle dans le fond de la pièce et en sortit une des trois barres de métal qui chauffait dedans.
- Mais je n'ai pas vraiment le temps d'employer la méthode psychologique, vois-tu ! Sache que j'en suis le premier désolé !
Il s'approcha doucement, regarda pendant une poignée de secondes la jeune Gerudo et appliqua le métal chauffé à blanc sur la longue plaie purulente qui courrait de l'épaule au coude droit de la jeune fille. Nabooru cria. Un cri qui monta de tout son être, du fond de ses entrailles. Un cri inouï, d'une violence inhumaine. Un cri qui dura de longues secondes avant de cesser si brusquement qu'on aurait pu douter de sa réalité. Nabooru pleura, haleta, gémit, puis finalement jeta quelques mots.
- Synopz... Élu des ombres... Et Luna, princesse... Des ombres.
- Tu t'es montrée coopérative, je t'en félicite.
Il se retourna, ne lui prêtant plus la moindre attention. D'un hochement de tête il désigna la prisonnière aux bourreaux qui s'empressèrent de s'occuper d'une Nabooru évanouie. Il s'engagea à nouveau dans le couloir. Synopz et Luna... Voilà qui promettait d'être extrêmement intéressant, et surtout utile, très utile.
***
Synopz offrit son visage à l'immensité du vide et au jour naissant. Ils étaient au terme de ces trois jours, Luna et lui. Trois jours d'éternité, il n'aurait pas souhaité d'avantage. Ils avaient gagné un des refuges Sheikahs situés dans les montagnes verdoyantes qui s'étendaient entre les volcans du Péril et la forêt millénaire des Kokiris. Une petite cabane en bois, nichée sur un promontoire vertigineux, qui permettait aux Sheikahs de surveiller à la fois le territoire des Kokiris et des Gorons. Là, ils s'étaient employés à exprimer ce qu'ils ressentaient l'un et l'autre depuis trop longtemps. Trois jours, c'était bien peu, mais ils avaient savouré chaque seconde, s'interdisant de songer au destin funeste qui les attendait. Luna sortit doucement du refuge et vint se lover contre lui, posant sa tête sur les genoux du jeune homme. Il caressa doucement ses longs cheveux soyeux blancs comme neige avant de parler.
- Es-tu heureuse ?
Luna sourit. Synopz était parfois déconcertant avec ses questions sibyllines.
- Je suis plus heureuse que je ne l'ai jamais été et même l'idée que je ne verrai pas le soleil se coucher ce soir ne parvient pas à briser la sérénité qui règne en moi. Cette réponse te convient-elle, élu ?
Il s'autorisa lui-aussi un sourire.
- Elle me convient pleinement, chère princesse.
Il pensa à la mort qui l'attendait et réalisa qu'il n'était pas plus effrayé que Luna alors que l'idée de connaitre à l'avance le jour de sa mort l'avait rongé durant des années. Il était profondément apaisé et serein. Les troupes de Ganondorf serait en vue de la citadelle peu avant midi, les deux Sheikahs avaient toutefois à leur disposition à proximité du refuge l'un des tunnels des fées qui permettaient de relier en quelques minutes des endroits très éloignés. Il leur restait une heure ou deux avant de rejoindre la citadelle où ils planifieraient la défense de la ville. Luna soupira avant de parler.
- Pourquoi avons-nous attendu si longtemps ?
- Parce que nous avions besoin d'attendre tant de temps, tout simplement.
Luna fit la moue.
- Tu as certainement raison...
Elle se dégagea de son étreinte et se mît debout, un sourire narquois peint sur le visage.
- En tout, grand élu et bel amant, il nous faut nous préparer à aller affronter notre destin !
Synopz sourit et lui fit signe d'approcher. Il se leva et posa un baiser furtif et léger sur ses lèvres avant de lui désigner le sol où il avait tracé quelques mots. La jeune fille se pencha pour lire.
"Deux corps et deux âmes
Liés par amour et destin
Amour fort et éternel
Destin dur et cruel
Deux ombres amantes
Bientôt disparues et oubliées
Amour et devoir."
Luna hocha la tête, les yeux brillants.
- Je t'aime déjà, dit-elle ironiquement pas la peine d'essayer de me séduire, abruti d'élu !
Ils rentrèrent tous deux dans le refuge.