Jeudi 24 Octobre, 21h35.
Je revois pour au moins la millième fois le dernier film que le regretté Sergio Leone réalisa en 1984.
En fin de projection, je réalise que je n'ai jamais pris le temps de faire une critique sur ce chef-d'œuvre qui a marqué à tout jamais mon existence.
Une chef-d'œuvre comme on n'en fait plus aujourd'hui, doté d'un casting de dingue, dont Robert de Niro, James Woods, Joe Pesci et Jennifer Connelly dans son tout premier rôle. Ce projet mastodonte dut mûrir pendant près de treize ans dans le cerveau de Leone, et Ennio Morricone, son fidèle et ami de toujours, en composa la musique dix ans avant même la première image du film. Le tournage, éreintant, y fut pour beaucoup dans la dégradation de la santé de Leone, qui décéda cinq ans plus tard.
Son héritage ? Le meilleur film de tous les temps.
Il était une fois en Amérique, qui n'est autre que le troisième volet de la grande saga de Leone portant sur plusieurs périodes-clés de l'histoire américaine et entamée avec le chef-d'œuvre culte
Il était une fois dans l'Ouest, est construit comme une série de flashbacks (et donc jadis remonté de manière chronologique par des connards véreux et avides, Dieu merci cette version est désormais quasiment introuvable). Il démarre en 1930, sur la trahison du gangster juif new yorkais David Aaronson, dit "Noodles" (
Robert De Niro). Poursuivi par ses anciens collègues de la Pègre, Noodles quitte précipitamment la fumerie d'opium dans laquelle il avait trouvé refuge. Il réussit à fuir, et en un bond futuriste, nous voilà arrivés trente ans plus tard, dans les années 60.
Loin de ses glorieuses années passées à vivre au profit de la Prohibition, Noodles est devenu un vieillard blasé, sans le sou. Invité à participer à une mystérieuse cérémonie, il est revenu dans le New York de son enfance, persuadé d’avoir en fait été retrouvé par ses anciens poursuivants et se préparant à être tué. Car, rongé par le remord et la solitude, Noodles n'a plus rien à perdre et a simplement accepté l’invitation par "curiosité". Mais Noodles est très loin de la vérité, et ne se doute pas une seconde du véritable motif de son retour.
On retourne alors quarante ans en arrière, (dans les années 20 donc, vous suivez ?) alors que Noodles et ses amis, ceux là même qu’il trahira à la fin de la Prohibition, n'ont qu'à peine treize ans. Car c’est ici que tout a commencé : la rencontre de l’amitié, la rencontre de l’amour, les premiers pas dans la délinquance, les premiers ébats sexuels, les premiers deuils aussi… Car pour bien comprendre le pourquoi d’une trahison mortelle qui n’est pas ce qu’elle semble être, il faut définir les liens intenses que Noodles tissa avec « Cockeye », « Patsy » et surtout « Max » (
James Woods), sans oublier son impossible amour de toujours, Deborah.
C'est ainsi que le film alterne entre passé, présent et futur au moyen d'ellipses fort bien trouvées, et multiplie au passage les scènes cultes...
Alors, oui,
Once upon a Time in America est très difficile à résumer, et oui,
Once Upon a Time in America est un film long (c'est une fresque de presque 4 heures). Mais pas excessivement. Car l’histoire, complexe, nécessite absolument une telle longueur. Le film est lent ? Oui et non. Ok, les caméras s’attardent sur les visages, les regards, les situations. Mais Leone raconte une histoire si forte en émotion, les psychologies des protagonistes (et de Noodles en particulier) sont d’une telle profondeur, que là aussi, c’est nécessaire. La longueur des séquences permet au spectateur de réaliser la gravité du dilemme, de comprendre parfaitement ce qu’il se trame derrière le regard de De Niro, et surtout à l’émotion de se développer à son paroxysme.
Prenons la scène de la
(bon bien sûr, il fait avoir vu le film en premier afin d'en saisir vraiment toute la subtilité). Pour qu’en une seule scène on arrive à vous faire passer des concepts comme la candeur enfantine, la puberté, la naissance de la sexualité, la gourmandise, la pauvreté, la faim, et qu'en plus au passage on a réussi à vous faire pleurer ET rire, vous n’allez quand même pas vous plaindre que c’était trop long ! Surtout quand tout ça est sublimé par la somptueuse musique de Morricone ! OUATIA est un film dense, et on en ressort éreinté, lessivé, essoré de toutes les larmes de notre corps (ou pas) (enfin tout le monde n'a pas la même sensibilité après hein). Parce que, bien entendu, c’est un film qui requiert une profonde attention et une grande empathie pour les personnages, ce n’est pas un film qui se regarde en bouffant du pop corn, ni un film où on s’arrête pour aller pisser un coup (quoique si vous avez vraiment envie, il y a un entracte au bout de 2h40 de film).
Et puis surtout, on n’est jamais allé aussi loin dans la complexité émotionnelle. OUATIA est mon film préféré et le restera sûrement jusqu’à la fin de ma vie parce qu’aucun autre film à ma connaissance n’est aussi bouleversant. C’est aussi simple que ça. Car cette fameuse trahison, au cœur de cette intrigue à la richesse inégalée, a des visages multiples, innombrables. Elle est très compréhensible de façon concrète, bien sûr. Mais ce n’est qu’à la fin qu’elle prend toute son ampleur. Alors que l’œuvre s’ouvre sur de grandes images de violence (l’interrogatoire sanglant de Fat Moe, le passage à tabac de Max et Noodles jeunes), elle se termine dans un calme mélancolique, crépusculaire, élégiaque. On ne verra pas la moitié du casting crever dans des conditions atroces comme on le verrait dans
Les Affranchis ou
Casino, par exemple. Le dialogue (de sourds) qui clôt ce chef-d’œuvre est juste le plus exceptionnel de toute l'histoire de cinéma. Aussi glacial qu’incroyablement chaleureux, il mêle rancune, remords et regrets sans qu’aucun mot ne prenne le dessus, et est empreint d'un sombre désespoir qui finalement mène à l’optimisme. Car, derrière l’apparence dépressive de OUATIA, tout ici ne parle que d’amour et d’amitié dans leurs plus bouleversantes extrémités.
Que dire encore ? Que c’est divinement interprété ? Attendez, on parle de De Niro et de James Woods ! Que la musique est merveilleuse ? Vous n’écouterez plus jamais
Yesterday des Beatles de la même manière. Que la photographie est la plus belle du monde ? Wait, tout ça, ce n’est que du bonus (et quel bonus !) par rapport à la force émotionnelle que l’on se prend dans la gueule et qui nous fait fondre en larmes à la moindre réplique («
qu’as-tu fait pendant toutes ces années Noodles ? » - «
Je me suis couché tôt »), au moindre
regard de De Niro qui intériorise une douleur immense, et à son sourire énigmatique et à jamais indéchiffrable sur le mythique plan final (d’ailleurs, on ne veut pas le déchiffrer). Que dire d'autre ?
Oui. Une dernière chose. OUATIA est un film à voir, ça, c’est évident. Car après tout, c'est un peu le meilleur film de gangsters de l'histoire (à égalité avec
Le Parrain). Mais c’est aussi un film à revoir, à re-revoir et à re-re-revoir encore, et ainsi de suite. Car il est impossible d'en saisir toute la beauté en un seul visionnage (même s’il est devenu mon film préféré instantanément). Et je ne dis pas que le film est trop cérébral pour être compris en une seule fois, car il ne l'est pas. Il est seulement trop chargé, émotionnellement encore une fois, pour pouvoir être digéré en une seule fois.
Comme tout chef-d’œuvre qui se respecte,
Once Upon a Time In America est un film qui parle aux cœurs, pas aux cerveaux.