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Communauté => Créations Artistiques => Littérature, Fictions => Discussion démarrée par: Great Magician Samyël le vendredi 16 mars 2007, 17:47:07

Titre: La Tour du Rouge : [Random | Très court] Sans titre #1
Posté par: Great Magician Samyël le vendredi 16 mars 2007, 17:47:07
La Tour du Rouge.

Ou les écrits du Great Magician Samyël.


La Tour s'élève au milieu d'une plaine poussiéreuse battue par les vents. Elle n'est pas très grande et a connu des jours meilleurs. Seul son toit d'ardoises rouges, en flèche, la distingue des autres tours de ce genre. La porte d'entrée est modeste, un unique anneau de fer l'orne. Le battant s'ouvre en grinçant mélancoliquement sur ses gonds, révélant une unique pièce abandonnée et obscure, sentant le vieux parchemin et l'encre. Un escalier en colimaçon au centre permet d'accéder aux différents niveaux, où des centaines de volumes pourrissent sur des étagères trop pleines. Un panneau, fixé au sol par quatre clous rouillés, se dresse à côté de l'escalier. Dessus est inscrit :


"Bonjour, ami voyageur.
Fais comme chez toi.
Il y a des sièges à chaque étage, et les domestiques se feront une joie de te fournir tout ce que tu demanderas.
Attention toutefois, il est interdit d'emmener un ouvrage.
Le chien pourrait devenir méchant.
Bonne lecture."

#Sommaire.

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Trilogie du Triangle
-Fan Fic Zelda-


-The Legend of Zelda : Triangle de Pouvoir : [ACHEVÉ]

Triangle de Pouvoir est un chassé-croisé de destins et de personnages hauts en couleur dans une Hyrule revisitée et totalement refaçonnée. Oubliez ce que vous saviez de la Saga, et découvrez un monde de tromperie et d'héroïsme mal placé, où personne n'est vraiment ce qu'il semble être. [Dark Fantasy]


#Table des matières.

(Liste des personnages principaux, contient du spoil pour qui n'aurait pas achevé la lecture de la première partie.) (http://forums.puissance-zelda.com/index.php/topic,2326.msg312861.html#msg312861)

-PREMIÈRE PARTIE-

Prologue -Tarquin- (http://forums.puissance-zelda.com/index.php/topic,2326.msg304023.html#msg304023)
I -Le Chien- (http://forums.puissance-zelda.com/index.php/topic,2326.msg304372.html#msg304372)
II -Kaepora- (http://forums.puissance-zelda.com/index.php/topic,2326.msg304530.html#msg304530)
III -Malon- (http://forums.puissance-zelda.com/index.php/topic,2326.msg304653.html#msg304653)
IV -Le Chien- (http://forums.puissance-zelda.com/index.php/topic,2326.msg304849.html#msg304849)
V -Linebeck- (http://forums.puissance-zelda.com/index.php/topic,2326.msg305104.html#msg305104) /!\ Présence de scènes explicites
VI -Tarquin/Le Chien/Malon- (http://forums.puissance-zelda.com/index.php/topic,2326.msg306201.html#msg306201)
VII -Kaepora- (http://forums.puissance-zelda.com/index.php/topic,2326.msg308686.html#msg308686)
VIII -Dumor- (http://forums.puissance-zelda.com/index.php/topic,2326.msg308912.html#msg308912)
IX -Le Chien/Saria/Malon/Le Chien/Ishtar- (http://forums.puissance-zelda.com/index.php/topic,2326.msg309064.html#msg309064)
X -Le Chien- (1ère partie) (http://forums.puissance-zelda.com/index.php/topic,2326.msg309898.html#msg309898)(2e partie) (http://forums.puissance-zelda.com/index.php/topic,2326.msg312548.html#msg312548)

-DEUXIÈME PARTIE-

XI -Feena- (http://forums.puissance-zelda.com/index.php/topic,2326.msg312861.html#msg312861)
XII -Lars- (http://forums.puissance-zelda.com/index.php/topic,2326.msg313783.html#msg313783)
XIII -Malon/Ishtar/Tarquin- (http://forums.puissance-zelda.com/index.php/topic,2326.msg316927.html#msg316927)
XIV -Linebeck- (http://forums.puissance-zelda.com/index.php/topic,2326.msg317238.html#msg317238)
XV -Kaepora- (http://forums.puissance-zelda.com/index.php/topic,2326.msg317462.html#msg317462)
XVI -Tarquin- (1ère partie) (http://forums.puissance-zelda.com/index.php/topic,2326.msg318749.html#msg318749)(2ème partie) (http://forums.puissance-zelda.com/index.php/topic,2326.msg320600.html#msg320600)
XVII -Linebeck- (http://forums.puissance-zelda.com/index.php/topic,2326.msg320917.html#msg320917)
XVIII -Feena- (http://forums.puissance-zelda.com/index.php/topic,2326.msg327235.html#msg327235)
XIX -Kaepora- (http://forums.puissance-zelda.com/index.php/topic,2326.msg335622.html#msg335622)
XX -Le Tournoi- (http://forums.puissance-zelda.com/index.php/topic,2326.msg348442.html#msg348442)

FIN


-The Legend of Zelda : Triangle de Haine :  [EN COURS]

Triangle de Haine est le deuxième volet de la trilogie du Triangle. Alors qu'Hyrule s'embourbe dans la crise et la guerre civile, les nations voisines ourdissent des plans d'invasions qui risquent de sonner le glas de la nation Hylienne. [Dark Fantasy]


#Table des matières.

-PREMIÈRE PARTIE-

Prologue -Keeta- (http://forums.puissance-zelda.com/index.php/topic,2326.msg351737.html#msg351737)
I -Feena- (http://forums.puissance-zelda.com/index.php/topic,2326.msg353321.html#msg353321)
II -Roy- (http://forums.puissance-zelda.com/index.php/topic,2326.msg353382.html#msg353382)
III -Mikau- (http://forums.puissance-zelda.com/index.php/topic,2326.msg376952.html#msg376952)


-La Pièce d'Argent : Prologue au Triangle de Pouvoir : [NOUVELLE]

Ecrit à l'occasion du concours d'écriture 2012 organisé par Krystal pour le premier tour, ce court texte se place dans le même univers que la Trilogie, et relate des évènements antérieurs au début de Triangle de Pouvoir. Il est recommandé d'en faire la lecture après avoir achevé Triangle de Pouvoir. [Dark Fantasy]

Texte intégral (http://forums.puissance-zelda.com/index.php/topic,2326.msg348445.html#msg348445)


-Tarquin le Tambourin : [NOUVELLE]

Sans être vraiment un prologue à la Trilogie, Tarquin le Tambourin (Initialement écrit pour le concours de l'Hyrulo-Vision organisé par GdO) n'en reste pas moins le texte fondateur de l'univers du Triangle. On y retrouve le personnage de Tarquin Qu'un-Oeil (bien que dans une version différente) ainsi que quelques thèmes évoqués dans la Trilogie. Le texte est un peu vieux, mais je pense qu'il peut être intéréssant pour ceux qui sont curieux de savoir d'où est venue la Trilogie. [Récit]

Texte intégral (http://forums.puissance-zelda.com/index.php/topic,2326.msg119787.html#msg119787)

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[align=center]Le Cycle du Rouge[/align]



Livre I : La Fin du Rêve.



Chapitre 1: Solanéa. (Première Partie)


L’automne arrivait doucement, la bise s’intensifiait, et les arbres se paraient de couleurs plus chaudes. Pourtant, si loin dans le sud, sur la petite île de Solanéa, l’été était encore bien présent. Le Soleil tapait fort et l’on  paressait à l’ombre. On tondait les moutons, pour récupérer la laine Solanéene, prisée par les grandes dames du Nord, du Continent.
Solanéa n’était pas bien grande, pour certain un simple îlot comparé à l’immensité du Continent. Il y avait sur cette île, un petit village reculé, perdu à la pointe méridionale de l’île, niché en haut d’une falaise et bordé d’une forêt de sapins. Ce n’était guère qu’un hameau, composé d’une dizaine de maisons. On appelait ce lieu la Dent d’Ours, en raison de sa position géographique. A dire vrai, seuls les gens de l’île connaissaient la Dent et les gens du Continent l’avaient depuis longtemps oubliée.

Il y avait donc une forêt de sapins, en bordure du village. Une forêt aux arbres serrés, où régnaient l’obscurité et l’humidité et avait de ce fait acquis la réputation d’être hantée par quelques esprits. Il fallait également faire attention car le bois se finissait sans crier gare sur un à-pic vertigineux à flanc de falaise qui vous entraînait vous briser sur les rochers.
Et malgré tout cela, nombre de voyageurs venaient arpenter les sentiers à peine dessinés de cette forêt. Parmi eux, se trouvait un jeune garçon, originaire de la Dent. Il ne devait avoir que six ans, ou pas loin, mais il vagabondait dans la forêt sans crainte ni peur, peut-être par inconscience… ou par courage.
En ce temps, le trafic maritime avait fortement évolué et les navires charriaient avec eux les rumeurs de la guerre, et nombre de réfugiés cherchant abris à Solanéa. Parmi eux se trouvait un homme d’âge mûr, vêtu d’une robe ample et auburn. Avec lui cheminait une jeune femme, très belle de visage et aux manières douces. Si fait, ils avaient entendus parler de la Dent de l’Ours et c’est vers ce lieu qu’ils se dirigeaient d’un pas pressé, quoique sûr. Ce faisant, ils pénétrèrent dans la forêt qui bordait la Dent. L’homme rassura sa compagne d’un murmure et ils pressèrent leur âne qui rechignait à entrer. Ils progressèrent quelques instants sans rien croiser, et au bout d’un moment ils s’assirent sur le tapis de mousse qui recouvrait le sol du bois et ils firent un repas de pain et de fromage.
-Vous qui êtes entrés en mon domaine, vous qui ne craignez pas mon courroux, acquittez-vous du droit de passage ou rebroussez chemin dans l’instant, fit soudain une voix surgie de nul part.
Elle se voulait forte et menaçante, mais le son était si aigu qu’on devinait la candeur de l’enfance. L’homme se leva, ramassa son bâton de marche et leva son autre main, souriant.
-Je vous demande pardon, messire, mais nous ignorions que cette forêt était vôtre. Nous ne sommes que de simples voyageurs sans argent et nous ralliions la Dent de l’Ours. Montrez-vous, messire, et nous pourrons parler.
Un buisson s’agita un peu à l’écart du sentier qu’ils suivaient. Un petit garçon en sortit. Il était de taille moyenne pour son âge. Ses cheveux, d’un rouge sombre comme le sang séché, lui arrivaient aux épaules en mèches indisciplinées. Son regard vert intense et résolu fixait le voyageur dans les yeux. Il était habillé d’un vêtement en toile grossière et portait au côté un long bâton droit, à la manière des chevaliers, qui devait lui peser vu qu’il se penchait un peu vers la droite.
-Je suis le Maître de la forêt, un chevalier de premier ordre, mais vous pouvez m’appeler Samyel.
L’homme s’inclina avec un sourire.
-Messire Samyel.
-Vous voulez passer …
-C’est exacte Messire.
-Messire Samyel, le corrigea-t-il. Il vous faut vous acquitter d’un droit de passage.
-Nous n’avons pas d’argent, Messire Samyel.
-Je ne vous en ai pas demandé.
-Que voulez vous, messire Samyël ?
-Battez vous contre moi.
-C’est impossible. Je ne suis pas un guerrier, messire Samyël.
Le garçon s’assit sur une souche, un peu à l’écart du sentier. Son regard intense ne quittait l’homme. « S’il avait été plus vieux, je l’aurais cru s’il m’aurait dit être chevalier », pensa-t-il. Il y avait dans son regard un éclat, une flamme de bravoure, et, malgré son très jeune âge, on l’aurait cru capable d’affronter n’importe quel adversaire.
-Dans ce cas enseignez moi quelque chose, reprit le garçon.
-Que voulez vous savoir, messire Samyël ?
-N’importe. Du moment que c’est quelques chose que je ne connaisse pas ni votre nom.
-J’ai 31 ans.
-J’en suis heureux.
-Me laisserez vous passer, messire Samyël ?
-Non.
-J’ai remplis votre condition.
-Certes non.
-Je vous ai appris quelque chose.
-Je ne le pense pas.
-Je vous ai dit mon âge, et j’aime à penser que vous ne le connaissiez pas, messire Samyël.
-Si, répondit le garçon.
-Et comment cela ?
-Je suis magicien. Ne vous l’avais-je point dis ?
-Je ne pense pas.
-Dans ce cas vous me devez une faveur.
-Pourquoi cela ?
-Je vous ai appris quelque chose. Il est donc normal que vous me donniez quelque chose en retour.
L’homme sourit devant l’intelligence poignante de l’enfant.
-Permettez moi d’insister, messire Samyël, mais comment avez vous fait pour connaître mon âge, comment vous y êtes vous pris ?
-Et bien c’est simple. Je vous ai jeté un envoûtement.
-Vraiment ? Quel genre d’envoûtement ?
-Un magicien ne révèle jamais ses secrets.
-C’est exact. Maintenant que je sais que nous sommes confrères, je me permets donc de ne plus vous donner du messire.
Le garçon en resta un moment interdit. 
 -Vous êtes magiciens ?
-C’est encore exacte.
-Vous êtes le premier que je rencontre. Mais n’allez pas croire que vous m’impressionner, je suis chevalier !
-Je n’en ai jamais douté un seul instant (et en un sens, c’était vrai…).
-Dans ce cas enseignez moi la magie.
-Je ne le puis.
-Pourquoi ?
-Je ne sais même pas si vous êtes apte à pratiquer les Arts.
-Je le suis.
-Comment le savez vous ?
-Je le sens.
-Intéressant. Il faudra que nous en reparlions dans un futur prochain. Vivez vous à la Dent ?
-Oui. Enfin non. J’habite la petite maison au bord de la falaise, tout au sud du village, avec Grand Père.
-Parfait. C’est là bas que nous nous rendons, ma femme et moi, pour emménager.
-Dans ce cas vous pourrez tenir votre promesse et vous me parlerez de la magie.
-Sans problème. Puis-je poursuivre notre route ?
-Oui.
Le mage remercia l’enfant et repris le petit sentier qui zigzaguait entre les arbres. Lorsque sa compagne voulut le suivre, le garçon l’en empêcha en lui barrant le chemin avec son bâton.
-Désolé, mais vous n’êtes pas encore autorisée à passer.
La femme parut surprise au début, puis adressa à Samyël le même sourire doux qu’aurait eu une mère pour son fils.
-Enseignez moi quelque chose, où battez vous contre moi, comme vous préférez.
Elle le prit alors dans ses bras, et le serra contre son cœur, tendrement. Le garçon en perdit tous ses moyens, et lorsqu’elle se sépara de lui, il resta debout, interdit. Le couple repartit, et lui resta ainsi un moment.
Il ne le savait pas encore mais il venait d’apprendre une chose fondamentale.[/list]
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Ganon d'Orphée le vendredi 16 mars 2007, 17:48:59
Je dois dire que ce cycle est très très bien. Vraiment je conseille aux membres de le lire, c'est très bien écrit et l'histoire vous emporte au fur et à mesure de son avancement.

Vraiment, beau boulot Samyël !
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Prince du Crépuscule le samedi 17 mars 2007, 12:55:59
C'est très bien écrit, Samyël, c'est un début très prenant et prometteur pour la suite, j'apprécie la manière dont tu plantes le décor et l'intrigue, le calme avant la tempête si l'on préfère. Je ne trouve pas ton style lent et lourd, mais je ne suis pas un très bon exemple pour juger de cela, puisque je lis beaucoup! Moi je me serais même plus appesanti sur la description, dans la retranscritption d'ambiance, quelques membres en sont témoins! ^^ Tu mènes bien le dialogue, en le faisant progresser de manière intéressante et attachante, tes personnages se démarquent dès le début, surtout Samyël, car c'est le héros bien évidemment, lui conférant une prestance et une personnalité attrayantes dès le départ. J'aurais quant à moi plus insisté sur les perceptions sensorielles et le toucher des senteurs narratives, ou alors glisser ces notions poétiques qui me sont chères, mais là n'est que mon style, je ne puis t'y contraindre, et puis j'aime bien ton récit comme il est.

C'est drôle, mais j'ai une légère impression de retrouver dans tes écrits une part à la Ganon d'Orphée, je vous trouve assez similaires, comme dans la situation initiale sur une île isolée, l'enfant vivant paisiblement loin de la guerre avec un membre autre que ses parents, le vieux magicien qui débarque sur l'île... Franchement, il faudrait que tu lises la fiction de Ganon d'Orphée, Samyël, je t'y invite fortement que tu puisses en juger de toi-même, d'autant que c'est très bien écrit et prenant! J'ai hâte de voir comment cela se démarquera, comment l'intrigue évoluera et de la manière dont tu la dépeindras, j'attends la suite avec une certaine impatience, cher confrère! Je conseille aux membres de lire ce début de fiction, c'est très plaisant! Bonne continuation, Great Magician Samyël!:)
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le samedi 17 mars 2007, 18:09:49
Merci à vous deux pour vos commentaires ^^

Ganon d'Orphée le confirmera, j'ai écrit ce chapitre avant que lui même n'écrive le début de son histoire Fortune, que j'ai lu ^^
Pour ma part, j'avoue m'être inspiré d'autres auteurs pour le début de mon histoire, en particulier Ursula.K.Leguin (une auteur americaine que j'adore^^). Et en plus, mon "vieux mage n'a moi", il a que 31 ans ^^

Place mnt au récit, avec la suite et fin du chapitre 1^^


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Chapitre 1: Solanéa. (2e partie.)


Le mage s’appelait Rirjk et sa femme Erika. Ils étaient tous deux originaires d’un petit royaume, loin dans le Nord. Si elle ne parlait pas beaucoup, lui répondait volontiers à toutes les questions qu’on lui posait.
Ils s’installèrent dans la petite hutte qu’habitait avant la veuve du tanneur, un tout petit peu à l’écart du village. . Celle-ci était morte de vieillesse, un matin d’automne, mais on avait découvert le corps qu’une semaine plus tard… La pauvre avait quitté ce monde seule et ignorée de tous…
Sur Solanéa, toutes les maisons étaient faites de torchis et de chaume, des denrées qu’on trouvait en abondance sur l’île. La Dent ne comptait que six maisons, quatorze âmes et quelques têtes de bétail. 
La femme de Rirjk, Erika, était enceinte et arrivait à son terme aussi ne tarda-t-elle guère à donner naissance à son fils. Ils le nommèrent Erik.
Dès qu’il le pouvait, Samyel se rendait chez eux, conformément à la promesse de Rirjk.
-Tu dois t’acquitter de ta dette, lui dit un jour le jeune garçon, deux ou trois jours après leur rencontre.
Rirjk alluma un feu dans le petit âtre de pierre qu’il avait construit. Puis il y mit à cuire deux lapins qu’il avait achetés et dépecés la veille.
-Très bien, fût sa réponse. Que veux-tu savoir ?
Le garçon resta un moment pensif. Il voulait tout savoir tout de suite ! Peu avant sa venue, il s’était débarbouillé à la fontaine claire qui coulait dans «sa » forêt. Et grâce à cela, Rirjk put s’émerveiller de la couleur des cheveux de l’enfant, jusque là cachée par la crasse. Un magnifique rouge sombre, semblable au sang séché….
-Parle-moi de ce que je dois savoir.
Encore une fois, Rirjk s’étonna agréablement de la finesse d’esprit de Samyel.
-Fort bien. Hum… par où commencer ? (il sortit un fin morceau de craie d’une des nombreuses bourses suspendues à la cheminée par des clous.) Fais tourner les lapins ! Bon ! Tout d’abord, tu dois savoir que l’Art se divise en sept disciplines distinctes, avec quelques ramifications pour certaines. (il commença à écrire des mots à même le sol ; Samyel s’en émerveilla car c’était la première fois qu’il voyait des lettres)
Il désigna l’un de ces mots.
-Ce sont des symboles magiques ? C’est un enchantement ?
Rirjk rejeta la tête en arrière et partit d’un grand éclat de rire. Il ébouriffa les cheveux du garçon   .
-Non, Non, rien de tout cela. C’est ce qu’on appelle «l’Ecriture ». Tu vois, chaque symbole, c’est une lettre. ( il désigna la première lettre d’un des mots) Ça, c’est un « A ».
-Aaaaa… prononça Samyel avec un rictus comique.
-Voilà ! Là, c’est un « L », ici un « T » etc… De fil en aiguille ça donne A-L-T-E-R-A-T-I-O-N. Grâce à l’Ecriture, on peut… comment expliquer… s’exprimer, au  travers d’un support visuel.
Émerveillé, mais ne saisissant pas encore toute l’ampleur de ce système, Samyel enchaîna les questions :
-Combien y-a-t-il de lettres ? Doit-on les écrire dans un ordre précis ? Comment s’écrit mon nom ?
-Holà ! Holà, calme ta fougue. Regarde. Tu as oublié les lapins. Ils vont mal cuire.
Samyel s’empourpra et bredouilla une excuse. 
-Les réponses à tes questions viendront avec le temps. Pour l’instant, réintéressons nous à nos sept Disciplines.
Le temps était doux, et le feu émettait une agréable chaleur. Dans le lointain, on entendait les cloches d’un troupeau de moutons.
-La magie se divise donc en sept disciplines, sept branches qui forment un tout, qu’on appelle l’Art ; la magie. Ici (il pointa avec sa craie l’un des mots qu’il avait écrit), nous avons l’Altération. Pour ne rien te cacher, c’est la discipline que l’on considère comme « vulgaire ». Beaucoup de mages se refusent à la pratiquer, sous prétexte qu’elle est indigne d’eux…
Rirjk n’avait pas l’air de porter ces hommes dans son cœur.
-Pourtant, enchaîna-t-il,  c’est une des discipline la plus difficile à maîtriser dans les niveaux supérieurs.
-Quelle est sa nature, à quoi sert-elle ?
-Une très bonne question. J’y venais. Par définition, c’est l’art d’influencer la matière pour modifier la réalité présente. Je sais, c’est pleins de termes compliqués mais arrête de me regarder avec ces yeux là. Concrètement, avec cette discipline, je peux changer la réalité de ce morceau de craie pour en faire quelque chose de nouveau.
Pour illustrer son propos, il prononça deux mots de pouvoir, et la craie dans un crépitement chargé d’énergie visible, se modifia et pris la forme d’un petit homme, de la taille d’un pouce. Samyël, éberlué, s’était reculé en rampant, instinctivement.
-Et bien, messire Chevalier, je pensais que rien ne vous faisait peur ?, rappela ironiquement Rirjk.
Son amour propre reprit le dessus et Samyël se rapprocha de nouveau.
-Hum…, non, non, bien sûr que non. Un moment d’égarement, sûrement.
Rirjk sourit.
-Ce n’est qu’une des propriétés de l’Altération. On peut, et c’est à cause de ça qu’on la qualifie de la sorte, on peut aussi créer des illusions, en déformant la réalité de l’air.
Le gamin hocha la tête, sans vraiment comprendre.
-La deuxième discipline, c’est l’art de l’Evocation, ou de l’invocation, les deux termes s’emploient. C’est l’art « d’appeler »… des choses.
-Quels genres de choses ?
-Mm…. Beaucoup de choses… Des animaux, des esprits de la nature, des…
Rirjk s’apprêtait à dire quelque chose mais se ravisa au dernier moment.
-Je suis désolé, mon garçon, mais je ne peux pas t’apprendre grand chose sur le sujet. Moi même je ne la pratique pas… Enfin, la leçon est finie pour aujourd’hui.
-Ho, non ! S’il te plaît, j’ai encore beaucoup de questions !
-Et moi j’ai faim, et voilà justement ma douce et tendre qui revient. Tu manges avec nous ?

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Etant donné que le texte est plus court, j'en profite pour placer une nouvelle que j'avais écrite pour un concours organisé par NicO l'année dernière. Elle met en scène un personnage, Falenz (se prononce Fa-Lé-N-Ze), qui apparaîtra dans le Cycle, beaucoup plus tard^^ (cependant, ce n'était qu'une version d'essaie de ce perso sur le plan psycologique). j'en dis pas plus... J'attends vos avis ^^ (hey une dernière chose, l'action ne se passe pas dans le monde de Samyël)
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Falenz

-Plus de puissance !, hurla Falenz pour se faire entendre dans la tourmente. Bâbord toute ! Canonniers ! A vos pièces !
Une agitation frénétique régnait sur le pont du Nostradamus II. Un bruit sourd se fit entendre tandis que des planches étaient littéralement arrachées du pont. Autour du l’immense vaisseau, une tempête se déchaînait, vrillant le ciel alentour d’éclaire. Des vents d’une extrême violence ballottaient le navire comme un fétu de paille, et cela malgré la puissance impressionnante de ses réacteurs.
Falenz s’accrocha au bastingage pour éviter de passer par-dessus bord –et une belle chute de plusieurs kilomètre avec.
Une deuxième détonation rugit dans le lointain. Une bref lueur éclaira les cieux agités, fonçant vers le Nostradamus. Une explosion ébranla le massif vaisseau et un homme se retrouva avec la moitié supérieur du corps en moins.
-On nous tire dessus Capitaine !, rugit le timonier.
-J’avais remarqué Mr Smith !, répliqua Falenz.
D’un regard noir, le capitaine sonda la masse de nuages, cherchant un ennemie sur qui décharger les réserves de munitions de son bateau.
Une tempête lumineuse éclata devant ses yeux, l’aveuglant. Un rugissement du diable lui vrilla les tympans.
-Captinaiiiiiiine !!! Baissez vous ! Vite !
L’enfer se déchaîna sur le pont du Nostradamus.

Il viendra du ciel…
Cette phrase tournait et tournait dans la tête de Denna.
La jeune femme reporta son attention sur la carte qu’elle étudiait. Bien qu’elle y soit habitué, l’immensité du monde qui l’entourait la terrorisait toujours. Sa ville n’était qu’un grain de poussière dans l’univers !
-Quelque chose te tracasse, denna ?, demanda une voix grave.
Se soustrayant à l’emprise quasi hypnotique du parchemin, elle leva la tête. L’homme qui lui avait parlé se nommer Uriel. Enfin, se nommait Uriel.
Un spectre immatériel lui rendit son regard. De couleur bleu transparent, l’hologramme avait l’apparence de l’homme de qui il avait reçu la mémoire.
-Voulez vous que nous changions de registre ? Qu’est-ce qui vous ferez plaisir ? Mon programme contient nombre de sujet. Voulez vous étudiez les épopées homérique ou bien un peu d’histoire de l’art ?
-Homérique ? Qu’est-ce que cela veut dire ?
Un léger soubresaut parcouru Uriel. Il pencha un peu la tête et une voix de machine sortit de sa bouche.
-Erreur programme, erreur programme. Question non prise en compte. Changez de requête. Effacement des fichiers système dans dix secondes… neuf…
-C’est bon c’est bon ! Changement de requête !
L’hologramme ferma les yeux. Il y eut un léger bip.
-Je suis votre fidèle serviteur. Que puis-je faire pour vous agréer ?
Denna tapota son stylo contre sa lèvre inférieur pendant quelques instants, pensive.
Il viendra du ciel…

-Eteignez moi ce feu !, tonna Falenz tout en retirant sa chemise en flamme.
L’incendie se propageait comme une traînée de poudre. Plusieurs matelots avaient trouvé la mort, instantanément carbonisés.
Le navire volant fit une embardée, sous la poussé d’un vent particulièrement violent, ce qui lui permit d’éviter de justesse un tir ennemi. Le bref flash que la détonation dispensa permit à Falenz de localiser le vaisseau adverse.
-canonnier, à vos pièces !, ordonna-t-il.
Les canons alignés le long du bastingage furent rapidement en état de marche. Leurs servants les chargèrent en boulet qu’ils enflammèrent avec de l’huile.
-Visez ! Feu !
Les obus s’élancèrent vers leur cible à une vitesse hallucinantes. Depuis sa position et malgré la tempête qui diminuait sa vue, Falenz estima les dégât plutôt important.
Se retournant vers ses hommes, il avisa ceux subît par son propre navire.
Les flammes continuaient de dévorer le pont fait de planche en bois tandis qu’elles n’entamaient pas la coque en alliage. Cette dernière était l’aboutissement de plusieurs années de travaux intensifs de la part des mineurs de Kharkag, des nains qui vouaient leur vie au culte des Dieux Machines.
-Mr Smith ! Quatre vingt dix degrés bâbord ! Armez l’Obusier de proue ! Et éteignez moi ce feu !
Aussitôt, les hommes s’exécutèrent.

-Quelque chose te tracasse, Denna ?, demanda Uriel de sa voix grave.
Ses yeux vides d’émotions fixaient la jeune fille qui s’était levée pour observer quelque chose par la fenêtre.
-La tempête sera bientôt sur nous, constata-t-elle.
De lourd nuages d’orages avançaient lentement vers la ville, obscurcissant tout ce qu’ils recouvraient. De temps à autre, de brefs éclats lumineux –qu’elle prenait pour des éclairs- illuminaient le ciel obscure.   
-Je reviens !, lança Denna à l’hologramme tout en empruntant l’escalier qui menait au rez-de-chaussée.
Ses parents se tenaient sur le seuil de leur maison, fixant les cieux l’air inquiet.
-‘man, ‘pa ! Qu’est-ce qui ne va pas ?
Les deux adultes se tournèrent vers leur fille.
-Tu as entendu parler de ces pirates des cieux venus de Westmarch ?
-Ceux qui ont traversé Bilka et Myridion en ligne droite sur un navire à la pointe de la technologie volé au Gouvernement ?
-C’est ça. Et bien figure toi que ton père pense qu’ils sont en ce moment même en train de livrer bataille à une frégate de l’armée.
Cette information parut étonner la jeune fille.
-Mais d’après le dernier rapport ils auraient dû se trouver près de Sandrosis !
Pour toute réponse, son père lui tendit une petite longue-vue. Portant la lunette à son œil, Denna la dirigea vers la source des présumés éclaires.
Elle repéra aussitôt l’énorme bâtiment en feu. Sur sa coque était peint deux dents pointus, de chaque côté de la proue et son nom était inscrit en lettre capitale rouge : Nostradamus II.

L’Obusier était la plus grosse pièce d’artillerie encore jamais conçu pour un navire volant. Fixé à l’avant du vaisseau, sur un plaque tournante lui assurant une mobilité optimale, ce canon était capable de tirer des obus de plus de cinquante millimètres à une vitesse maximale de deux cent kilomètre heure. De plus, un ingénieux système de plaque coulissantes permettait de tirer à répétition avec un intervalle de deux à trois secondes entre chaque coup.
Les yeux rivés sur le bâtiment ennemie, Falenz supervisait la mise en place du canon.
-Chargez cinq boulet de trente ! Visez leurs réacteurs, si nous les immobilisons les aborder nous sera facile !       
Depuis la dernière salve, aucune riposte n’avait été tiré du camp adverse. Cela rassurait le capitaine du Nostradamus car cela signifiait qu’ils leur avaient sûrement détruit plusieurs canons.
Ses hommes s’affairaient toujours à endiguer l’incendie. Cela s’avérait plus difficile que prévus à cause du vent qui renforçait le feu. S’ils ne parvenaient pas très vite à enrayer la catastrophe, le pont risquait de s’écrouler.
Et ça, il ne pouvait ce le permettre !
Quelque chose tira sur son bras et le visage exsangue de la vigie lui apparut. Aussitôt, Falenz su que quelque chose n’allait pas car il avait rarement vu son officier dans un tel état.
-Que se basse-t-il Mr. Zarok ?
L’homme pointa son doigt vers le navire ennemie.
-Notre ennemie est un Capitaine Corsaire…
Falenz jura entre ses dents serrés.
Un Corsaire ! Il ne manquait plus que ça !
Se reconcentrant sur la bataille, il constata avec satisfaction que le feu était maîtrisé petit à petit.
-Obusier chargé capitaine !, cria un homme de la proue.
-Parfait ! Visez leurs réacteurs ! A mon commandement… Feu !
Les canonniers enclenchèrent la mise à feu. Les boulets partirent comme des flèches.
Des explosions se firent entendrent tandis que des trous impressionnants se formaient dans la coque du navire ennemi.
Une ovation salua cette performance.

Denna se remémora sa visite à la Voyante du village, quelques heures plutôt.
-Comment sera l’homme que j’aimerais ?
-Il viendra du ciel, c’est tout ce que je vois.
La jeune fille chassa ces souvenirs.
Une détonation lui fit lever les yeux. Les deux bateaux des cieux continuaient de se battre, avançant toujours vers son village. Le Nostradamus venait d’envoyer une salve particulièrement bien centrée, qui avait visiblement infligé de lourds dégâts à son adversaire.
Les villageois s’étaient réunis sur la place du village et tenaient un conciliabule.
-Que devons nous faire ?, demanda le père de Denna.
-Il faut les abattre ! Nous avons nos propres armes !
-Mais s’ils survivent, ils descendront sur nous !
-Si l’on ne fait rien, ils survivront de toute façon !
-Parvis a raison ! Que ceux qui tiennent au village me suivent aux canons !

-Messieurs, à vos armes ! Préparez vous à l’abordage !
Pendant que son équipage s’armait, le Nostradamus avala la distance qui le séparait de son opposant.
Falenz pouvait à présent voir les combattant du Rouge de Saliblie –le vaisseau du Corsaire- qui se regroupait en ligne devant le bastingage.
Le capitaine pirate sourit : Ils étaient nettement moins nombreux !
La proue du Nostradamus percuta le flan du Rouge de Saliblie. Un tremblement furieux parcourue les deux navires tandis que le Rouge se pliait sous l’impact.
Falenz fut rapidement de nouveau sur pied.
Brandissant son arbalète de poing, il visa le premier homme qu’il vit. Le carreau partit comme le vent.
Falenz était un tireur invétéré et son trait toucha l’homme en plein entre les yeux.
Deux des ses hommes apportèrent une petite passerelle qui relia les deux vaisseaux.
Vif comme l’éclaire, Falenz sauta dessus et, tirant son épée, tua l’homme qui voulait repousser le pont. Il bondit au-dessus de son prochain adversaire et le décapita. De l’autre main, il jeta son arbalète sur l’ennemi le plus proche, qui bascula par-dessus bord. Les pirates envahissaient le pont du Rouge. Les combats éclataient partout sur le pont du navire Corsaire.
Falenz fauchait ses ennemies avec une précisions mortelle, n’accordant que quelques secondes à ses adversaires avant de les achever. Il jubilait intérieurement.
Comme cela était facile !
Soudain, un changement dans l’air attira son attention. Par réflexe, il attira son allié le plus proche devant lui, juste avant qu’un éclaire ne le frappe. Réduit à un tas de cendre pulvérulent, ce qui restait du pirate roula sur le pont puis fut emporté par le vent furieux.
« Un Psychik ! », pensa Falenz.
Des yeux il chercha sa proie. Il bondit sur le côté, évitant de justesse un autre éclaire.
Le capitaine pirate arracha son bouclier à un ennemi et fonça vers le jeteur d’éclaires. Il évita d’autres tirs surnaturels puis bondit en avant, bouclier devant le visage et épée brandit. Il sentit un résistance alors que son bouclier prenait subitement feu. Il s’en débarrassa d’une torsion du poignet et retira son épée du corps du Psychik, un homme pouvant commander aux éléments. Enfin, qui pouvait.
Une secousse particulièrement violente ébranla les navires, jetant tous les combattants au sol. Plusieurs détonations retentirent, suivit par un horrible craquement. Falenz se releva d’un bond et pâlit, assistant impuissant à la chute de son bateau, et avec lui un bon nombre de ses hommes ainsi que toute sa fortune.

Des cris de joie jaillirent de la foule massée sur la grand’place. Les canons placés à intervalles réguliers sur les fortification étaient braqués vers le ciel.
Tous les villageois regardaient avec plaisir le grand vaisseau qui chutait doucement, comme dans un cauchemar, vers le sol.
Denna ne pu s’empêcher de vomir lorsqu’elle vit les petites silhouettes qui tombaient du navire…

-Mon bâtiment…, souffla Falenz, ahurit.
Tout le monde était dans le même état d’hébétude que lui. Mais les hommes du Corsaire se reprirent vite, tout comme les pirates. Les combats recommencèrent.
Malgré les lourdes pertes dû à la chute du Nostradamus, il ne resta bientôt plus que quelques hommes pour tenir tête à Falenz et son équipage.
D’un pas furieux, il se dirigea vers la cabine du capitaine, deux hommes sur les talon. Il ouvrit la porte d’un coup de pied rageur et entra précipitamment, épée au poing.
La pièce était spacieuse et élégamment meublée. Une grande carte était étalée sur un bureau, un tapis délicat couvrait le sol et des hublots donnaient vu sur l’extérieur.
Dans une alcôve, un homme leur tournait le dos.
De taille moyenne, il caressait une statue de chat en or qui lui arrivait au niveau du torse.
Falenz pointa son arme sur lui.
-J’ai pris votre navire… Et pour la perte du mien, vous allez devoir payer de votre vie.
Le Corsaire se tourna vers lui, un sourire aux lèvres.
-Je ne vois pas de quel navire vous parlez, par contre je suis sûr d’une chose : Je ne mourrait pas seul.
Et sur ces mots il s’écarta.
Falenz écarquilla les yeux de surprise et de peur.
Une mèche sortait de la tête de la statue et elle était allumée.
Une bombe ! Le Corsaire voulait faire exploser son navire pour détruire ce qui restait des pirates !
Jurant, Falenz abattit frénétiquement son épée sur la mèche qui rétrécissait à vue d’œil. Un ting sonore répondit à son attaque. Horrifié, le pirate remarqua que sa cible était protégée par un petit tube en métal transparent –un autre alliage nain.
Faisant volte-face, il se précipita vers la sortie, tandis que le Corsaire éclatait de rire.
-Ecartez vous, bande de crétins !, hurla Falenz à ses larbins.
Comme ils ne semblaient pas comprendre la situation, il les décapita d’un coup, puis enjamba leur corps pour sortir.
Courant comme un damné, il émergea sur le pont, sous les regards de ses hommes.
Paniqué et désespéré, il chercha un moyen de sortir de ce mauvais pas. Et n’en trouva aucun. Hurlant comme un fou, il sauta par-dessus bord.
Au même moment, le Rouge de Saliblie explosa.

-Ce n’est pas la peine, soupira sa mère, il n’y plus rien ici. L’explosion était trop puissante. Personne n’aurait pu y survivre, et encore moins à une chute pareille…
Ecartant un buisson, Denna entra dans la clairière où reposaient les restes calcinés du Rouge de Saliblie. Le carnage la fit frissonner.
Des membres humains à la chair calcinée gisaient un peu partout. Des débris explosés ou encore en feu étaient profondément enfoncés dans le sol.
-Ba… ce n’est plus notre affaire… Viens, Denna, rentrons.
-Oui maman…
Alors qu’elle se retournait, un bruit attira son attention. Son cœur fit un bond lorsqu’elle s’aperçut que quelqu’un était couché dans un fourré.
S’approchant, elle découvrit un homme de grande taille, aux cheveux bruns. Une épée rougie de sang était encore dans sa main. Des branches cassées gisaient près de lui. L’inconnu remua faiblement.
Denna se jeta par terre et lui releva la tête.
L’homme rouvrit les yeux.
-ça va ?, demanda la jeune femme.
Il hocha faiblement la tête.
-Qui êtes vous ?, continua-t-elle.
-Falenz…
-Vous êtes un pirate ?
Il fronça les sourcilles, cherchant dans sa mémoire.
-Je ne sais pas, avoua-t-il.
-Ce n’est pas grave. Je vais appeler des secours. Maman ! Il y a un survivant ! Ici !
L’inconnu lui sourit tristement puis referma les yeux.
Denna aussi sourît.
Il viendra du ciel… 
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le vendredi 23 mars 2007, 18:57:42
Hop hop, petit double post discret héhé ^^ Je mets en ligne le chapitre 2!

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Chapitre 2: Grand père.



Samyël remontait la petite pente qui le ramènerait chez lui, au bord de la falaise. La senteur des sapins et de la résine qui l’entourait le mettait de bonne humeur. Il avait la tête pleine de magie, de miracles et de rêves. Rirjk lui avait ouvert la porte sur un autre monde, un monde merveilleux, et il comptait bien l’explorer ! Les lapins, bien que mal cuits par endroits, s’étaient avérés délicieux et Samyël était repus. Il s’arrêta un moment pour contempler le paysage qui s’étalait à ses pieds.
Il apercevait les villages du nord de l’île, à peine plus grands que la Dent, mais pour l’esprit simple de Samyël, qui n’avait toujours connu que la nature et la campagne, ça représentait beaucoup de monde. Le ciel était clair et il parvint à distinguer le port de l’île, le plus au nord de Solanéa. Il était installé au seul endroit où il était possible d’amarrer des bateaux, car les côtes de l’île était faites de falaises qui s’élevait jusqu’à atteindre leur point culminant, ici, à la Dent d’Ours. Elles étaient hautes d’au moins quatre cents mètres ici, mais seulement une vingtaine aux endroits les plus bas de l’île. Ce port s'appelait Gontarion. Pour Samyël, ce devait être un endroit grouillant d’animations, avec des hommes partout, affairés à retaper des bateaux, décharger les produits, commercer… Il s’imaginait un endroit merveilleux, plein de vie. Car, secrètement, et même s’il aimait beaucoup sa chère forêt, ainsi que les hautes falaises où il s’asseyait souvent pour contempler le soleil couchant embraser la mer, secrètement, il rêvait d’autre chose. D’aventures. Son esprit d’enfant l’y aidait beaucoup, stimulant son imagination.
Et puis il y avait Grand-père.
Samyël l’adorait, d’une part parce qu’il était sa seule famille, d’autre part parce que c’était un homme bon, doux, tranquille, rieur et un fabuleux conteurs. Et des histoires, il en avait tout un tas. Et un des grands plaisirs de Samyel était d’écouter son grand-père, enroulé dans une couverture, le soir près du feu, lorsqu’il lui racontait une histoire. Sa préférée était la légende d’Aegir le Brave, et de ses fidèles chevaliers. Beaucoup considéraient cette histoire comme une fable, un vieux récit bon à amuser les enfants ou être chanté par les bardes, mais son grand-père tenait un tout autre propos. Pour lui, c’était Aegir (car il croyait dur comme fer que ce personnage avait réellement existé) qui avait forgé le monde d’aujourd’hui. Et il était d’ailleurs vrai que si l’on cherchait parmi les innombrables ouvrages de la Grande Bibliothèque de la cité Royale d’Arendia, parmi quelques tomes de généalogie, l’on pouvait découvrir que l’actuel roi d’Arch’Land était de la ligné d’un certain Aegir, qui aurait vécu durant la période sombre des années onze cent du calendrier. Aegir, donc, aurait fondé l’actuel Arch’Land, et ses nombreuses baronnies, qu’il aurait attribué à ses chevaliers, une fois sa quête accomplie.
C’était de là que Samyël voulait devenir Chevalier à la court.
Mais c’était un rêve, et même si le garçon voulait vraiment le devenir, il savait au fond de lui, que c’était irréalisable. Arendia, la cité royale, était si loin, sur le Continent. Le Continent… Ce nom évoquait pour Samyël quelque chose d’inconnu et de terrifiant, une angoisse profonde qu’il ne parvenait pas à refouler. Il se traitait souvent d’imbécile, pour avoir peur pour rien, que ce n’était pas digne d’un Chevalier. Pourtant… Pourtant, chaque fois qu’il posait les yeux sur l’immense masse sombre et terrible qu’était le Continent, s’étendant sur des milliers de kilomètres à l’horizon, chaque fois qu’il posait les yeux dessus, il ne pouvait s’empêcher d’éprouver un doute, une conviction profonde… Mais ça le dépassait et il n’y prenait pas garde.
Il arriva aux abords de la hutte. Son grand-père était assis sur le perron et fixait l’horizon, avec un léger sourire sur les lèvres. Il regardait souvent vers le Nord, avec dans les yeux comme… un regret. Un peu de mélancolie ou peut être de nostalgie. Samyël ne savait pas trop.
-Grand-père, je suis rentré !, lança-t-il joyeusement dès qu’il fut suffisamment proche.
-Ha, enfin. Je t’ai attendu. Il reste de la soupe.
-Non, ça ira. J’ai mangé avec Rirjk.
-Comment va-t-il ?
-Très bien ! Il m’a parlé de la magie ! Il a transformé de la craie en un petit bonhomme ! C’était magnifique !
-Tient donc, de la magie ?
-Oui, oui ! Il est magicien, à ce qu’il dit. Il m’a parlé de sept disciplines et de l’Art.
-Et que t’as-t-il dis ?
-Heu… beaucoup de chose, mais s’était compliqué et je n’ai pas tout compris. Mais en tout cas, c’était merveilleux ! Tu crois qu’il pourrait m’apprendre ?
-hum. Sans doutes. Si tu es suffisamment poli et sage.
Samyël s’assit à côté du vieil homme et ils regardèrent l’horizon qui ne tarderait pas à se teinter d’or.
- Grand père….
-Oui ?
-Qu’est-ce qu’il y a là bas (il pointa son doigt vers le Continent) ?
-Là bas… Il n’y a rien là bas. Il y a la guerre, la mort, le malheur…
-Mais… Tu y as vécu non ?
-Oui… et je regrette.
-Raconte moi comme était ta vie là bas, s’il te plaît.
Le vieil homme garda le silence, et l’espace d’un instant, seul le chant du vent fut audible.
-Non. Je ne peux et ne veux pas. C’est la seule histoire que tu n’entendras jamais.
-Pourquoi ?
-J’essaie de l’oublier, voilà tout…
Cette nuit là, Samyël eu du mal à trouver le sommeil. Il repensait sans cesse aux propos étranges de son grand-père. Qu’y avait-il de si terrible sur le Continent ? Sûrement rien. Mais… pourquoi avait-il cette étrange sensation chaque fois qu’il posait les yeux dessus ?
Il oublia bien vite ses doutes et ses interrogations. La magie, la magie, la magie ! Ce mot tournait et tournait dans sa tête comme une douce chanson. Pourtant, même s’il se sentait instinctivement attiré par cet art, il n’en oubliait pas moins ses rêves de chevalerie, de duel et d’épée. Et c’est en pensant à cela qu’il s’endormit.

-Alors le Seigneur descendit en ces terres et Il S’adressa à nous, pauvres brebis.
La foule était massée sur la place. Il faisait froid, en raison de la bise qui venait du nord. Tout le village était rassemblé là : le tanneur, le forgeron, le tailleur, le cordonnier, les mineurs et même les bûcherons, ainsi que les femmes, les enfants et les vieillards. Tous gardaient le silence et affichaient des visages fermés.
-Ne les écoutez pas ! Aidez nous !
Le cri venait du centre de la place. Cinq croix en bois massives étaient dressées, menaçantes, et étendaient leurs ombres noires dans le crépuscule.
-Silence, engeance du Mal !
Un gantelet d’acier se leva et s’écrasa sur le visage du malheureux Todd. Il y eu un horrible craquement, et quelques dents volèrent. Le pauvre homme s’écroula sur le pavé, la bouche en sang et ne bougea plus.
Un regard bleu, froid comme l’acier, parcourut la foule. Il remarqua quelques visages choqués, d’autre larmoyant, et certains regards haineux à son encontre. Il n’en avait cure. Après tout, n’était-il pas Eratius le Juste, grand Ordonnateur du Seigneur ? Il n’avait aucun compte à rendre devant ces bouseux.
Ce qui l’ennuyait le plus, c’était que ce mage –ce démon !- était peut être mort… Non pas que cela le dérangeait, mais cela pouvait donner une image négative à la populace de la Sainte Expédition.
Eratius se pencha un peu, dans un crissement d’amure et attrapa Todd par le col. Il le secoua un peu, mais l’autre ne remua guère. Il resta un moment prostré, se demandant que faire.
-Lâchez le !, cria soudainement un brave dans la foule. Il ne vous a, ou plutôt, vous ont rien fait ! On ne vous a rien demandé. C’est vous, les monstres, et non pas ces malheureux.
Un murmure abrobatteur parcourut la masse des paysans. Eratius, qui sentait la colère lui montait à la tête, se redressa lentement. Il s’avança, traînant le corps derrière lui et s’arrêta devant le fou qui avait osé braver sa fureur.
-Vous ne voyez donc pas ?
Eratius se maîtrisait pour ne pas éclater. Il ne fallait pas faire peur à ces gens, mais leur inspirer de la confiance.
-Ces créatures… ces mages… Ils vous mentent ! Ils vous parlent de miracles mais ce sont là l’œuvre du Mal !
-Peut être est-ce le Mal, mais lui nous soigne !
-Il protége nos champs !
-Guérie nos bêtes !
-C’est vous les monstres !
Eratius senti la colère lui montait à la tête. Ces misérables… comment osaient-ils ? C’était des insultes jetées à la face du Seigneur.
Il contracta son corps, et fit le vide dans son esprit.
-Vous ne m’avez pas écouté. Vous ne m’avez pas respecté, disait-il d’une voix calme mais ô combien terrifiante.
La foule en perdit un moment de sa belle assurance.
-Vous avez ouvertement refusé les Enseignements du Seigneur, mais pire que tout… Vous l’avez insulté, humilié ! (à présent il beuglait d’une voix forte et puissante)
Une lueur de fanatisme dément s’était allumée dans son regard.
-Et pour cela, reprit-il d’une voix monocorde et très faible, vous êtes perdus, j’aurais tenté de vous sauver.
Il rejoignit son lieutenant au centre de la place et jeta Todd sur le sol.
-Crucifiez les mages, matez tout début de révolte.
-Et que faisons nous d’eux ?
Eratius tira sa lourde épée ornée du symbole du Seigneur.
-Rappelez les troupes à l’intérieur du village. Ils sont déjà perdus, le Seigneur ait pitié de leur âme.
Le lieutenant eu un sourire féroce et acquiesça.
-Nous levons le camp au crépuscule. Qu’il n’y ait pas de survivants.


Le soir était tombé. La nuit avait repris ses droits et étendu son linceul de ténèbres sur le monde. En cette saison, la nuit était ponctuée du chant incessant de plusieurs insectes estivaux : grillon, criquet… Ici, dans les hauteurs de l’île, l’air était plein de petites lucioles, qui avaient l’étrange caractéristique de se colorer de différentes teintes. Et lorsqu’elles volaient dans la nuit, cela produisait un magnifique ballet de couleurs tournoyantes qui éclairait les alentours de chaudes couleurs : bleu, vert, rouge, jaune…    
C’était le spectacle favori de Samyël. Depuis qu’il était tout petit, il passait ses soirées d’été assis dans l’herbe à observer la magnificence de la scène.
Mais ce soir là, quelque chose le dérangeait. Un petit point orangé s’était allumé à l’horizon. C’était la première fois que cela se produisait. Le garçon avait beau y réfléchir, il ne parvenait pas à donner une explication au phénomène. En tous cas, une chose était sûre, cela se passait sur le Continent…
-Samyël, rentre, il est tard !, lança son grand père depuis la fenêtre de leur petite maison.
L’enfant hocha la tête et se releva.
-Dis grand père, commença-t-il en se retournant. C’est quoi ça là…
Il vit alors quelque chose de bizarre, qui lui fit un peu peur. Le vieil homme regardait fixement le point sur l’horizon, avec les yeux écarquillés et la bouche ouverte. Il avait tout de l’homme qui a peur.
-Ainsi donc il a fallut que cela arrive ?, murmura-t-il, suffisamment fort pour Samyël l’entende.
-Qu’est-ce qui est arrivé grand père ?
-Rien, rentre à présent, va dormir.
Le jeune garçon obéit. Alors qu’il s’étendait sur sa paillasse, il entendit des bruits de courses qui se rapprochaient. Son grand père était campé sur le perron de la demeure, mais il pu apercevoir Rirjk, essoufflé. Les deux hommes tinrent conciliabule en murmurant, si bien que le jeune garçon n’entendit pas leurs paroles. Mais il sentit la tension dans leur voix. Cela dura environ une dizaine de minutes. Après cela, Rirjk repartit et son grand père rentra. Samyël faisait mine de dormir.
-J’ai parlé à Rirjk, dit soudain le vieil homme. Il accepte de te prendre pour disciple. Tu commences demain…
Ensuite, il souffla la bougie et ils se couchèrent.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Prince du Crépuscule le dimanche 25 mars 2007, 18:36:19
Eh bien, Samyël, je dois dire que ton histoire avance pas mal! ^^ C'est très plaisant en tout cas, on en apprend plus sur le méchant de ton cycle, à savoir Eratius le Juste, et sa bande de fanatiques qui sont non me rappeler un certain capitaine Tobias Brogan, chef suprême du Sang de la Déchirure, clan qui traque tous les utilisateurs de magie en prétextant leur appartenance au Mal dans le cycle L'Epée de Vérité. Mais je dois dire que j'aime bien! Aussi on en apprend un peu plus sur la magie, le mage Rirjk est attachant tout comme Samyël, de plus l'ambiance sombre et épique d'un monde en péril me plaît bien, tout comme ces mystères et l'intrigue qui se développe, l'angoisse qui se profile à l'horizon, les ténèbres qui s'appesantissent sur ces contrées fantastiques. Les dialogues sont bien construits et avancent bien, ce qui rend le texte attrayant et lui insuffle une certaine vie. L'écriture est toujours aussi juste et les effets dosés convenablement, c'est agréable à lire et accrocheur, aussi j'attends ta suite avec une certaine impatience, pour constater de la suite des évènements! ^^

Eh bien, je viens de lire ta nouvelle, et je la trouve absolument époustoufflante! Je suis transi et émerveillé, c'est vraiment du beau travail, empli d'intentions, d'effets, d'une histoire fascinante, de personnages attrayants... L'intrigue est magnifiquement dévolopée, la bataille et ce monde dont tu as inventé les règles, doublé d'une atmosphère toute guerroyante, fantastique et épique sont dépeints d'une manière très plaisante et porteuse. Je ne regrette pas d'avoir lu, sincèrement, c'est très bien écrit et intéressant! :)

Bonne continuation Great Magician Samyël! ^^
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le lundi 26 mars 2007, 18:50:42
yop yop^^ Mise en ligne du chapitre 3^^

PdC (je me permets^^), merci pour tes commentaires^^ Continue, je les adore ; )


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Chapitre 3 :  De la difficulté d’apprendre.

 
  Samyël releva la tête avec un soupir rageur. Il jeta sa plume au loin et il sentit des larmes d’impuissance lui montaient aux yeux. Il les refoula. Il en avait plus qu’assez. Il avait mal au poignet et ses doigts étaient gourds.
-C’est pas juste !, s’écria-t-il. Tu m’avais promis de m’apprendre la magie !
Rirjk regarda l’enfant avec des yeux patients et détourna son attention du manuscrit qu’il lisait pour répondre.
-Ne sois pas si impatient. C’est un passage obligé de ton enseignement. Un magicien ne peut rien faire s’il ne sait pas lire ni écrire. Maintenant reprend ta plume et remet toi au travail sinon tu n’auras pas à manger ce soir.
Samyël grommela quelque chose dans ses dents mais s’exécuta. Cela faisait deux semaines que sa formation avait commencé. Et il regrettait déjà ! De l’aube au crépuscule, il remplissait des pages et des pages de parchemin. Un jour il ne devait faire que telle lettre car son maître trouvait qu’il ne les faisait pas correctement, un autre il devait écrire les vingt six lettres dans l’ordre des centaines de fois… Et lorsque qu’il n’y avait plus de papier ou d’encre, c’est lui qui devait descendre à Vallon Brumeux, la deuxième bourgade de l’île, située à deux kilomètres plus au nord de la Dent pour acheter les fournitures. D’autant plus que Rirjk lui avait interdit de prendre le sentier, mais de s’éreinter à travers la forêt. « Un magicien doit être fort de corps et d’esprit » avait-il dit…
A cela s’ajoutait le fait qu’il devait mériter sa pitance en travaillant d’arrache-pied. Mais le pire, c’est que Rirjk ne lui avait encore rien enseigné ! Il n’avait même pas vu un seul petit éclat de magie depuis deux semaines.
Et pour couronner le tout, son grand père était complètement pour ce traitement diabolique. Le jeune garçon se demandait combien de temps il pourrait survivre à ce régime.
Cependant, au milieu de la première semaine, Erika accoucha. C’était un petit garçon que ses parents nommèrent Erik. Depuis, Samyël s’émerveillait de voir la vie aux premiers jours. Il posait plein de question à la jeune mère lorsqu’il le pouvait, auxquelles elle répondait volontiers. L’événement lui avait permis de souffler un peu car son maître avait passé plus de temps à s’occuper de son enfant que de son jeune apprenti.
Samyël se rassit sur le petit tabouret de bois et repris son travail. Cependant, sa main droite était complètement hors d’usage, il décida de ne pas se plaindre pour pouvoir manger et essaya de la main gauche. Ses débuts furent assez périlleux. Sa main tremblait toute seule et son écriture devint presque illisible. Cependant, il persévéra et en fin de journée il commença à avoir du résultat. Certes très peu, mais la différence était là.
Rirjk se pencha soudainement par-dessus son épaule pour admirer le travail de son disciple.
-hum… C’est bien ! Continue de t’entraîner avec cette main là. Lorsque tu sauras écrire aussi bien de l’une que de l’autre tu en auras fini avec l’écriture.
Cette pensée rasséréna Samyël qui travailla avec plus d’ardeur encore.
Le soir, il quittait la demeure de Rirjk pour retourner dans sa propre maison. Son grand père l’y attendait alors et lorsque le garçon n’était pas trop fatigué, il lui racontait une histoire. Après cela, il s’endormait comme une masse et son grand père le regardait dormir en souriant.      

Un jour, peu de temps après, son maître déclara que Samyël savait écrire. Après cela, il sortit un nombre impressionnant de parchemins et en étala quelques uns devant le garçon. Il les désigna ensuite un par un, indiquant les dates auxquelles Samyël les avait écrits. L’enfant en resta bouche bée. Sans le remarquer, il avait fait des progrès énormes ! D’autant plus qu’avec son entraînement des deux mains, il avait gagné en dextérité de la main gauche.
-Je te félicite, dit son maître. Tu apprends très vite. Cependant, ton apprentissage est loin d’être terminé. Il te reste encore beaucoup à apprendre. Mais que cela ne te décourage pas ! Demain, je te laisse te reposer, profite en.
Samyël se reposa donc, et il fut surpris de voir à quel point il en avait besoin. Il fit part de ses progrès à son grand père qui le félicita.
L’entraînement repris.  
Tôt le matin, Samyël se rendit chez Rirjk. Ce fut Erika qui lui ouvra, son bébé dans les bras.
-Je suis désolée Samyël mais mon mari n’est pas là. On l’a appelé tard cette nuit pour s’occuper d’un enfant malade, à Gontarion. Tiens. Il m’a demandé de te remettre ceci afin que tu le portes à Lex.
Gontarion… Le seul port de l’île, à l’extrême nord. Ainsi donc la renommée du mage s’était étendue à toute l’île ? Afin de gagner de l’argent, Rirjk utilisait ses dons afin de rendre la vie plus simple aux gens : il soignait des maladies, s’occupait des blessures, réparait des outils… Cependant, il n’utilisait sa magie que très rarement. Lorsque Samyël lui avait demandé pourquoi, il lui avait débité un discours sur l’Equilibre que Samyël ne s’était pas donné la peine de retenir –il n’y avait de toute façon pas comprit grand chose…  

Lex vivait au Vallon. C’était un petit homme, plutôt grassouillet, mais très gentil que Samyël aimait beaucoup. Ils avaient déjà cheminé ensemble plusieurs fois. Il portait en permanence un manteau en fourrure brune. Cela lui conférait un aspect un peu frustre qui déroutait la plupart des gens qui ne le connaissaient pas. Ce que Erika avait remis à samyël était un petit bout de parchemin sur lequel était juste inscrit « commande ».
Se demandant ce que pouvait bien être cette mystérieuse « commande », Samyël se mit en route pour le voyage qui allait lui prendre une grande partie de sa journée.
Il s’éloigna de la maison de son maître pour rejoindre le village d’où débutait la piste. Le village à proprement parler n’était en fait qu’un rassemblement d’une dizaine de maisons. Il possédait un petit forgeron pour répondre aux besoins courants des villageois. Le forgeron avait un fils, de sept ans l’aîné de Samyël. C’était un jeune gars robuste et musculeux, mais taciturne. On ne le voyait pas beaucoup.
A côté de leur demeure se tenait l’échoppe du tailleur. C’était un vieil homme fermé mais bon, qui avait perdu sa femme et ses deux filles au cours d’un accident.
A part cela, la populace de la Dent était uniquement constituée de bergers et de paysans. Cependant, il n’y avait presque pas d’enfants de l’âge de Samyël. Juste une fille et un garçon… Elle était plutôt mignonne, mais l’apprenti magicien la détestait, car elle ne faisait rien d’autre de le taquiner… Quant au garçon, Samyël l’appréciait, mais sans plus. C’était un jeune vif, un peu bagarreur et ils s’étaient souvent battus à deux. Cependant, depuis qu’il avait atteint ses sept années, son père le réquisitionnait pour s’occuper du troupeau familial, et donc Samyël ne le voyait plus beaucoup. Cependant, cela lui laissait le champ libre pour s’occuper des voyageurs de « sa » forêt. Même si ces derniers temps il ne pouvait plus s’occuper de cette tâche en raison de son apprentissage.
La fille, elle s’appelait Rose, était assise sur la clôture en bois à la sortie du village. Elle regarda Samyël qui arrivait avec un grand sourire. Alors qu’il passait devant elle, elle s’écria :
-Bonjours m’sieur l’Magicien !
Sur le coup, samyël rougi et jura entre ses dents. Il commença son voyage avec l’écho du rire horripilant de Rose dans son dos. Le jeune homme s’écarta très vite du sentier, comme le lui avait ordonné Rirjk. Il en profita pour admirer le paysage, car la première partie du chemin était simple, vu que ce n’était qu’une pente douce tout du long. Cependant, la remontée arrivait derrière…
Solanéa était un petit paradis de verdure. Elle était principalement composée de grands pâturages pour les troupeaux, mais quelques forêts avaient poussé çà et là. Il devait y avoir une douzaine de petits villages sur l’île. Les deux plus grands étaient bien évidemment Gontarion, le seul port de l’île et Vallon-Brumeux. A part cela, ce n’étaient que de petits hameaux de quelques dizaines d’âmes.
Solanéa avait la particularité de s’élever en altitude au fur et à mesure que l’on progressait vers le Sud. Par conséquent, si Gontarion se situé un peu au dessus du niveau de la mer, la Dent qui se trouvait à la pointe sud se trouvait à environ un kilomètre et demi d’altitude.  
Les côtes de Solanéa étaient très raides et déchiquetées, et de nombreux récifs l’entouraient, ce qui promettait une mort certaine aux malchanceux qui tombaient.
La faune se composait essentiellement de moutons, mais de nombreuses espèces d’oiseaux, des sangliers, quelques renards et de petits rongeurs avaient colonisé les bois de l’île. Quand à la flore, elle était riche et variée, et faisait le bonheur des herboristes des magiciens, bien que ces derniers temps, pas un seul n’était venu.  
Après environ une bonne heure de marche hasardeuse à travers la forêt, Samyël en émergea et combla la courte distance qui le séparait de Vallon brumeux. Quelques connaissances le saluèrent, mais la plupart des gens ne faisaient pas attention à lui. Lex vivait dans la cabane douillette un peu à l’est du Vallon, près de la falaise. Samyël frappa à la porte et après un petit moment de silence, la porte s’ouvrit sur le petit homme. Il avait l’air fatigué et il se frottait les yeux.
-Ha, c’est toi Samyël…
Silence.
-Lex ? Mon maître ne vous a pas mis au courant ?
-De quoi tu parles ?… ha si, la commande ! Ne bouge pas, je vais te la chercher…
La porte se referma et le jeune garçon entendit le fracas d’un objet en verre qui éclate sur le sol, suivi d’un juron. Peu après, Lex ressorti en tenant dans ses bras un étrange paquet enveloppé d’un linge blanc. La forme de l’objet à l’intérieur était grande, élancée, et recourbée. Samyël se demanda ce que se pouvait être. Il le prit, le cala sous son bras, remercia Lex et repris la route en sens inverse. Comme le paquet le gênait, il s’autorisa à prendre le sentier afin que les branches ne s’accrochent pas dessus.

Il pleuvait. Un orage d’été, très fort. Une silhouette sombre titubait sur le sentier. Rirjk poussa la porte de sa maison qui s’ouvrit en grinçant. Un bon feu crépitait dans l’âtre et Samyël et Erika s’occupaient du bébé. Un éclair déchira le ciel et Samyël sursauta en apercevant son maître. Il avait l’air anéanti. De profondes cernes sous ses yeux indiquaient qu’il était fatigué, ses membres tremblaient, un début de barbe recouvrait son menton et ses joues, il était trempé, mais le pire était ses yeux. Ils exprimaient une tristesse sans fin, mais il y avait une pointe de rage, d’amertume. Cela fit peur à Samyël.
-Erika, fais-moi à manger, s’il te plaît, dit Rirjk d’une voix rauque. Samyël, approche.
Le gamin obéit. Rirjk s’accroupit devant lui et posa ses deux mains sur les épaules du garçon. Puis il fixa son regard sur celui de son apprenti. C’était la première fois qu’il était aussi solennel.
-Samyël… Sache… Sache que la magie est loin d’être toute puissante. Ne te fie jamais trop à elle…
Il avait détourné les yeux, mais Samyël y avait vu des larmes.
-C’est tout ce que j’ai à te dire pour aujourd’hui. Rentre chez toi, et reviens demain. Je ne suis pas en état de t’enseigner quoi que ce soit ce soir…      
Le jeune garçon acquiesça en silence.

C’est plus tard qu’il apprit que Rirjk avait échoué à sauver une vie
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le vendredi 06 avril 2007, 20:23:01
Hi people : ) Mise en ligne du chapitre 4. A partir de maintenant, les choses sérieuses débutent, mais je n'en dis pas plus ^^ Le chapitre 5 devrait arriver dans le courant du week-end, voir fin de semaine prochaine. Enjoy!



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Chapitre 4 : Peur dans les ténèbres.



-Maître… qu’est-ce que c’est ?, demanda Samyël en levant de grands yeux interrogateurs vers son maître.
-Hé bien…c’est un arc.
Pour le jeune garçon, ce n’était rien d’autre qu’une branche de bois recourbée à laquelle on avait tendu une corde à chaque extrémité. C’était ce que renfermait le paquet de Lex. Il y avait également un carquois en cuir doublé de fourrure où une trentaine de flèches étaient rangées.
-Bon, donne moi ça, repris Rirjk en tendant la main. Tu vois, tu le tiens comme cela, tu y mets une des flèches comme ceci, tu tends la corde ainsi, tu vises… et tu relâches.
Le trait parti et se perdit dans l’herbe.
-Bon, je ne suis pas très bon. Mais tiens. La suite de ton enseignement consistera à maîtriser la pratique du tir à l’arc. Tu auras pour cela deux objectifs. Primo, tu devras tirer un sanglier et le ramener ici même. Secundo, tu devras être capable de tirer deux fois de suite au centre d’une cible. Enfin, économise tes flèches car ce sont toutes celles que tu recevras de ma part ou de n’importe qui d’autre. A partir de maintenant, tu n’auras le droit de te présenter devant moi que lorsque tu auras accomplie l’un de tes objectifs. Je te donne aussi comme consignes de devoir te débrouiller seul en journée. Par conséquent, si je te vois rôder autours du village ou près de chez moi ou de chez ton grand père, j’arrêterais aussitôt de t’initier.  Cette consigne prend fin après le crépuscule, et recommence à l’aube. Sur ce, je te souhaite bonne chance jeune disciple.
Et sur ces mots, Rirjk repartit en sifflotant, laissant un Samyël abasourdi, tentant de comprendre le flot d’informations que venait de lui débiter son maître en moins de deux minutes.
Lorsqu’il eu enfin tout compris et saisit le sens de ces paroles, il maudit son maître et son entraînement diabolique.
C’était le début de la journée, peu après l’aube. Il faisait encore un peu sombre, mais l’activité sonore de l’île avait déjà repris : bruits d’insectes, chants d’oiseaux, la mer s’écrasant inlassablement contre la falaise…
Il avait pris un solide petit déjeuner avec son maître, qui s’était totalement remis de ses émotions de la veille. D’ailleurs, Samyël aurait dû se douter de quelque chose à ce moment là : c’était la première fois que le magicien se montrait aussi généreux sur la nourriture…
Le jeune garçon soupira et saisit son arc –qui était un peu trop grand mais qui atteindrait une taille idéale lorsqu’il grandirait un peu. Il passa ensuite son carquois en bandoulière et alla récupérer la flèche que Rirjk avait tirée. Il chercha une dizaine de minutes avant de la trouver. Il se dit alors qu’il devrait faire attention afin de ne pas en perdre lorsqu’il louperait une cible.  
Il passa le reste de la journée à chercher dans les bois de quoi se faire une cible. Il dénicha de grosses branches et il ramassa quelques poignées de hautes herbes pour les lier entres elles. Cependant, il constata rapidement que ses flèches, très sommaires, guère plus que des bâtonnets taillés, ne parvenaient pas à se ficher dans le bois.
Le soir venu, il récupéra un vieux sac de blé vide qu’il bourra de paille auquel il fixa les branches grâce aux herbes. Le lendemain, il trouva une petite clairière dans la forêt où il positionna sa cible à forme humaine grâce à bâton épais.
Après cela, il décocha ses premiers traits.
Les débuts furent assez difficiles : il n’arrivait pas à tendre la corde suffisamment si bien que la flèche retombait mollement sur le sol quelques centimètres plus loin, ou bien encore que sous l’effort intense que lui demandait la corde pour rester tendue, il n’arrivait pas à viser…

En fin de journée, Samyël était épuisé. Il ne sentait plus ses bras et celui de droite était complètement rouge à cause du frottement de la corde, et ça le démangeait en plus de lui faire très mal. Il n’avait touché qu’une seule fois au but et encore, c’était dans la jambe… Des larmes de frustration et d’impuissance lui montaient aux yeux, mais il restait déterminé, prêt à montrer de quoi il était capable.
Alors qu’il ramassait ses flèches, il remarqua qu’il en avait perdu douze sur ses trente… S’il continuait à ce rythme, il viendrait rapidement à bout de sa réserve…
Le crépuscule étant tombé depuis un bon moment, Samyël se décida à rentrer.
Dans la forêt, tout était toujours plus sombre qu’à l’extérieur. Cependant, depuis le temps qu’il s’y aventurait, Samyël s’y était habitué. Ses yeux s’adaptaient d’ailleurs presque instinctivement. Alors qu’il remontait le sentier, baigné de la lumière lunaire, il entendit un bruit.
Ho, rien de bien extraordinaire, juste le léger froufroutement d’un fourré, comme lorsque le vent souffle ou qu’un animal le traverse.
Cependant, à cette époque de l’année, le vent ne soufflait quasiment plus, et la faune nocturne de Solanéa n’était composée que de chouettes à cette altitude.
Sachant cela, Samyël pris soudainement peur et s’enfonça à travers bois, à l’opposé du son. Il courut un moment, puis s’arrêta, essoufflé. Son arc qu’il avait passé en bandoulière le gênait dans ses mouvements, d’autant plus qu’il s’accrochait aux buissons.
De nouveau, le bruit.
Le cœur de Samyël s’emballa. Il avait cru distingué des yeux jaunes dans la pénombre. Aucun animal n’avait ce type d’yeux ! Son esprit s’affola, il repensa soudainement à toutes les histoires, les fables que l’on racontait sur les démons, les esprits, les racontars de paysans superstitieux…
Le bruit, plus près cette fois.
Une sourde angoisse s’empara insidieusement de lui, éclipsant sa raison. Il crut entendre une espèce de grognement, un bruit d’aille dans le noir.
Il hurla lorsque quelque chose lui frôla la jambe.
« Il y a si longtemps… »
Les paroles avaient explosé dans son esprit, masquant son regard d’un voile de douleur. Il s’écoula.
« Ceux de ton espèce… Tu vas payer pour eux… »
Chaque mot, chaque son était semblable à un coup de marteau sur son crâne. Il sentit quelque chose sur son torse, puis un éclat lumineux.
La douleur… Les ténèbres…

**

-M’sieur Jirk, m’sieur Jirk !
Rirjk leva la tête de son ouvrage. Quand allaient-ils enfin prononcer son nom correctement ?
Colin était en train de remonter le sentier en courant.
« Un brave garçon… » pensa Rirjk en refermant le livre qu’il étudiait. Colin agitait ses bras de façon frénétique «  M’sieur Jirk, m’sieur Jirk ! »
-Allons, calme-toi mon garçon, dis le mage lorsque le jeune homme se fut arrêté à son niveau, essoufflé. Raconte moi ce qui te met dans cet état.
-C’est Samyël m’sieur, il… il…
-Il… ?
-Il est mort, m’sieur !
Rirjk se pétrifia. Qu’était-il en train de lui raconter là ? Il le saisit par le collet et le souleva du sol.
-Mais qu’est-ce que tu racontes ? Explique toi ! Vite !
Colin se mit à sangloter.
-Je vous en prie, m’sieur, ne me faite pas de mal ! Je… Je remontais le sentier, comme tous les matins pour livrer mon lait, et pis j’ai vu une forme sombre, pas très loin, dans les broussailles, vous savez, dans la forêt. Alors je me suis avancé, et il était là, mort !
-Mais… Où ? Comment ? Je veux dire, tu es sûr ?
-Aussi sûr que peut l’être un homme Samyël ! Je vous le jure !
Rirjk le lâcha, et il s’effondra dans la poussière en pleurant. Rirjk rentra chez lui et en ressortit avec son bâton de marche, ainsi que quelques bourses qu’il pendit à sa ceinture.
-Conduis moi à lui, dis-t-il d’une voix calme, mais légèrement tremblante.
Colin acquiesça en reniflant, se releva en chancelant, et repartis en courant. Rirjk le suivit aussi vite qu’il pu. Ils arrivèrent bientôt à l’endroit où Colin avait laissé sa carriole pour s’enfoncer dans la forêt. Quelques personnes étaient déjà là. Lorsqu’elles virent Rirjk, elles enlevèrent leur chapeau.
Le cœur de Rirjk s’arrêta un instant lorsqu’il vit le petit corps sur le sol. Pas de doutes possibles. L’arc en bandoulière, cheveux rouges… Tremblant, il s’agenouilla près de son apprenti. Trois plaies rigoureusement parallèles barraient son torse. Cela ressemblait aux griffes d’un animal. Mais aucun animal de l’île n’avait trois doigts… Rirjk chassa ces pensées pour s’occuper de choses plus urgentes. Il posa deux doigts sur son cou. Plus de pouls. Plus de respiration non plus… Il lui ferma les yeux. C’est alors qu’il remarqua l’expression d’effroi inscrite sur son visage. Il se releva.
-Apportez le corps chez moi, je vous prie…
Les hommes présents acquièrent sans bruit, l’air grave, puis s’exécutèrent.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Prince du Crépuscule le samedi 07 avril 2007, 11:07:03
Eh bien, le début des péripéties tend à débuter, c'est très bien! L'apprentissage de la magie n'est pas chose aisée avec ce brave Rirjk, Samyël en bave on dirait. Et le pauvre qui se voit frappé par une bête sauvage et dangereuse, cette suite me plaît bien GMS (bah quoi, tu m'as bien appelé PdC! ^^). Il est un peu tôt pour que je juge, puisque ce n'est là que le départ des aventures de notre cher chevalier-magicien aux cheveux vermeil, mais ça démarre bien, c'est plaisant, et tu n'as bien sûr perdu en rien ta façon d'écrire, continue ainsi, je te surveille! :)

Mais dis moi, je me sens un peu seul à commenter ici... Bon, je sais que GdO est affairé... ^^ Mais ne te décourage pas, moi je te suis!
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le samedi 07 avril 2007, 15:39:44
Bon, je mets en ligne le début du chapitre 5 (qui est très long^^)! Un chapitre qui se veut sombre, angoissant, j'espère qu'il vous plaira. Il ouvre de plus le début des véritables hostilitées : p

PdC (vive les pseudos longs lol^^), merci pour tout tes commentaires^^ Ne t'inquiète pas, quelque soit le nombre de commentaires que je reçois, je suis determiné à aller jusqu'au bout! ^^ (mais vous pouvez quand même commenter hein!, ça fait toujours plaisir^^)



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Chapitre 5 : La bête d’Ur-Les-Ombres (première partie).


-Qu’allez vous faire ?, demanda le grand père de Samyël à Rirjk.
Le vieil homme était calme, trop calme. Il n’avait même pas cillé lorsque le mage lui avait annoncé la nouvelle.
-Vous ne devez pas être sans savoir que dans ce cas, c’est au maître qu’il revient la tâche e sauver son disciple.
-Je sais, je sais, répondis Rirjk, un brin agacé. Peut être n’en ai-je pas l’air, mais je suis Mage ! Et vous non pl…
-Nous savons tout cela. La question est : qu’allez vous faire ?
Cette question, Rirjk y avait pensé toute la nuit de la veille, alors qu’Erika préparait le corps pour l’embaument. Et la nuit il n’avait pas dormi. Mais il avait pris sa décision. Il ira jusqu’au bout, quoi qu’il lui en coûta.
-Je vais faire usage du 8ème Art, il n’est pas encore trop tard.
-Vous seriez prêt à braver l’interdit ?
-Il n’y a pas d’autre solution. Je suis prêt à payer pour ça. C’est ma faute.
Silence.
-Savez vous ce qui lui a infligé de telles blessures ?, demanda le vieillard.
-Oui. Cela me regarde aussi, j’en fais mon affaire.
Le vieil homme le regarda un instant.
-Avez vous pensé à ce qui arrivera si vous échouez ?
-Bien sûr, j’y pense sans cesse… Mais ça n’arrivera pas, vous avez ma parole de mage.
Sur ces mots, il fit voleter sa grande robe auburn et s’en détourna sur le sentier.
-Je l’espère mon ami, je l’espère…

Rirjk ouvrit la porte sans un bruit. La nuit était noire, noire comme les doutes qui hantaient le cœur de cet homme silencieux.
Erika frissonna sans son sommeil. Rirjk lui remonta la couverture jusqu’au menton. Il la regarda un instant, en souriant doucement. Puis il lui déposa un baiser sur le front. Il fit de même avec son fils.
Soudain, un éclair déchira le ciel nocturne, et une averse torrentielle éclata.
-C’est peut être mieux ainsi, murmura Rirjk.
Il ouvrit le coffre qu’il avait acheté à son arrivé sur l’île. Il en sortit le contenu : un épée courte, dans un fourreau de bonne facture, un talisman en argent, où était gravé une rune qui flamboya un instant lorsqu’il la toucha, diverses bourses de en peaux, lourdes. Alors qu’il passait l’épée à son côté, de douloureux souvenirs remontèrent à la surface. Il les refoula avec toute la volonté qu’il disposait, mais ce ne fut pas assez. Ils continuèrent de le harceler, lui renvoyant des images de son passé dont il aurait préféré ne jamais se souvenir.
-Tu connais le prix…, susurra une voix démente dans son esprit. C’est toi qui as choisi…
Une goutte de sueur perla à son front tandis qu’il fermait les yeux afin de se calmer. Il pensa à des choses agréables : la douceur d’Erika, son tout jeune fils, le rire de Samyël…
Il rouvrit les paupières, avec un regard plus déterminé que jamais. Il bloqua ses souvenirs derrière une porte de son esprit et se concentra sur la tâche qui lui incombait. Il suspendit le talisman à son cou, et accrocha les bourses à sa ceinture. Il vérifia que l’épée coulissait bien dans son fourreau, puis il se tourna vers le fond de la pièce. Le corps de son disciple gisait sous une couverture blanche. Il s’en approcha doucement, puis il se baissa. Il l’emmaillota dans la couverture et le pris dans ses bras. Il le tint un moment contre son cœur, puis il lui caressa les cheveux.
-Rassure-toi, j’arrive, murmura-t-il.
Le corps toujours dans les bras, il se dirigea vers la porte. La pluie n’avait pas cessé, et des éclaires illuminaient le ciel nocturne à intervalle régulier. Rirjk saisit son bâton derrière la porte. Il passa ses doigts sur le bois sinueux, et des runes, longtemps cachées sous la surface reparurent. Elles illuminèrent la pièce d’une chaude lumière rougeoyante.
Rirjk sourit puis franchit le seuil. L’eau glacée le cueillit aussitôt, le trempant intégralement en quelques secondes. La couverture glissa, révélant le visage pâle de Samyël. Le mage déglutit puis referma la porte. Au passage, il frôla les runes qu’il avait gravé le matin même sur le linteau: Zorund, la Défense, Lorund, le Soleil, et Ira, le Calme. Il espérait que ce serait suffisant, sans vraiment y croire. S’il avait eu plus de temps…
Il secoua la tête et d’ébroua. Il avait des choses plus importantes à faire que de se miner l’esprit avec des choses aussi futiles.
Il se mit en route dans la nuit.

Solanéa la nuit… C’était l’inverse de l’île en journée. Un lieu d’angoisse, d’ombres mouvantes, de ténèbres, de bruits inconnus émis par des choses dans le noir. La forêt, déjà peu rassurante de jour devenait un véritable lieu de cauchemar pour les âmes sensibles. Mais Rirjk n’en avait cure. Il avançait d’un pas pressé, l’œil aux aguets, sans s’occupait du reste. Il n’avait pas le temps. Il arriva bientôt dans la clairière où Samyël s’entraînait au tir à l’arc. La cible était toujours debout. Le mage en fit rapidement le tour du regard. Cela suffira.
Il déposa le corps froid de Samyël au centre. D’un coup de pied, il déracina la cible et de deux mots de pouvoir, l’envoya voler dans les hautes herbes. Il ouvrit une de ses bourses et en sortit une douzaine de bougies, qu’il disposa en cercle autour du cadavre avant de les allumer. Étrangement, la pluie ne parvenait pas à les éteindre. Loin de là. Rirjk sortie d’une autre bourse deux bâtonnets de craie, une blanche et une noire. Il dessina sur le sol deux étoiles à cinq branches des deux couleurs, qui se superposaient de manière à former une étoile à dix branches, avec Samyël au centre. Dès qu’il eu fini, un vent froid comme la mort se leva sur la clairière. Rirjk frissonna. Au bout de chacune des branches, il traça une rune différente : la Mort, l’Âme, l’Esprit, la Vie, le Cœur, la Nuit, la Lune, le Spectre, le Corbeau et le Chant Funèbre.
Chacune s’embrasa un instant avant de s’enraciner dans le sol. Le vent hurla dans les arbres.
Rirjk se positionna à l’écart. Il ficha son bâton dans le sol et dégaina l’épée. Des runes mouvantes parcouraient perpétuellement la lame. Cinq d’entre elles s’embrasèrent et se positionnèrent de façon à former : Haz’Rael, l’Honnie.
Rirjk se passa le fil de l’épée au creux du bras, et fit couler son sang au dessus de chacune des runes. Après cela, il rengaina sa lame et commença à chanter. L’averse redoubla d’ardeur. Les arbres étaient ballottés comme des herbes. Malgré cela, la voix du Mage s’éleva dans la nuit, grave, puissante, triste. C’était un très vieux chant, de ceux qui avaient été composés à l’époque Samyël Une mélopée funèbre, dans une langue depuis longtemps oubliée.
Au plein cœur de la tourmente, Rirjk ferma les yeux.
Soudain, il n’y plus rien d’autre que le silence.
Il ouvrit les yeux.
La voie lactée s’étalait devant lui dans l’air nocturne. Des étoiles que nul être humain n’avait jamais vu. Leur disposition était totalement différente de l’ordinaire. L’air, l’espace était plus sombre, comme si un voile gris y avait été apposé. Rirjk fit des yeux le tour de son environnement. Il se trouvait dans une plaine, une très grande plaine, une plaine immense. On n’en voyait pas le bout. Une herbe rase et maladive tapissait le sol, jusqu’aux rives d’une rivière aux eaux noires. De l’autre côté, ce n’était qu’un désert de poussière et de rocaille. Dans le lointain, on pouvait apercevoir la forme sombre qu’était Murmure, la ville des morts. Aucun son n’était jamais émis dans ce monde.
La Mort…
Il n’aurait jamais pensé y remettre les pieds un jour. Du moins, pas de lui même.
Son âme s’emplit d’une mélancolie profonde, trop grande. Des larmes coulèrent sur ses joues, sans raison. Le corps lourd, il se mit en marche. Ses pas ne produisaient aucun bruit, l’herbe qu’il foulait, pas plus. Ce n’était que le silence, rien d’autre. L’air était lourd, exerçait sur les corps une pression forte.
Lentement, difficilement, Rirjk avançait. Il se dirigeait vers le fleuve. S’il n’était pas déjà trop tard, c’est là-bas que devait se trouver Samyël. Dans la Mort, le Temps n’est qu’une illusion. La nuit y est perpétuelle. Difficile de jauger le temps que l’on y passe. Et pourtant, si l’on ne voulait pas y rester prisonnier à jamais, il fallait faire vite. Quelques personnes, l’air hagard, erraient de-ci de-là. Il n’avait pas vraiment de consistance, ils se contentaient de marcher, sans savoir où aller. Rirjk pria pour eux.
Il continua sa marche vers le ruban noir qu’était le fleuve à l’horizon. Soudain, il apparut devant lui.
Samyël.
Ses cheveux illuminaient l’espace autours de lui, créant un halo rougeoyant. Rirjk écarquilla les yeux. Nulle couleur ne pouvait exister dans la Mort. Il ferma les yeux un instant, face à la violence de cette image dans le monde gris qui l’entourait.
Il les rouvrit. Son disciple ressemblait à une apparition éthérée, sorti d’un rêve. Il respirait la puissance, mais une puissance tranquille, endormie. Face à cela, Rirjk pris peur.
Il l’appela, longuement, mais aucun son ne sortait de sa bouche. Samyël ne semblait pas le voir. Rirjk lui fit signe de la main.
Samyël se détourna. Il repris sa marche vers le fleuve, telle une étoile dans le ciel. Le mage le suivit, mais le jeune garçon semblait s’éloigner de plus en plus. Il le perdait.
Tout à coup, le fleuve fut devant lui. Une chape de brouillard masquait ses eaux sombres, comme un linceul. Une file d’hommes et de femmes s’étirait devant un petit ponton en bois. Ils affichaient des mines peinées, tristes. Un spectacle effroyable. Samyël se tenait devant la file, sur le ponton. Il semblait attendre. Rirjk remonta la colonne péniblement. Soudain, le son d’un carillon s’éleva dans l’air. Un son clair, vif, atrocement douloureux et plein d’amertume. Le cœur de Rirjk se pétrifia.
Le carillon continuait de sonner. Un chœur de lamentations vint s’ajouter à sa musique. Le brouillard se leva. Une embarcation noire évoluait sur le fleuve, silencieuse, inquiétante. Une grande silhouette, noire également, enveloppée d’une robe de même couleur se tenait à la proue. Elle manœuvrait une lourde rame.
Une arche en bois s’élevait sur le côté droit du bateau, face à la rive. Le carillon y était accroché. Le bateau se stoppa devant le ponton. L’arche faisait office d’entrée. La silhouette arrêta de ramer. Elle se tourna vers la file qui attendait. Un crâne grimaçant apparut sous la capuche. Ses yeux étaient comme deux puits sans fond. Elle darda un doigt squelettique sur la foule. Un murmure malsain se répandit dans l’air. On aurait dit un dialecte, mais ça vous glaçait les os, remuer les entrailles.
Rirjk repris son avancée. Il n’avait plus beaucoup de temps. Le Passeur emmenait les morts vers Murmure, leur demeure éternelle. Si Samyël monter dans le bateau, s’en était fini.
Soudain, une forme sombre apparut aux côtés de Samyël. Ce n’était qu’une masse de ténèbres, avec des ailles indistinctes Elle posa ce qui aurait pu être une patte sur les épaules du jeune garçon, qui continuait d’irradier sa lumière alentours. Deux petits yeux rouges apparurent, fixant Rirjk. Celui-ci appela Samyël.
Un ricanement s’éleva de la chose noire.
« Tu arrives trop tard, Mage… Il est à moi… Tu ne peux plus rien pour lui… »
Devant les yeux horrifiés de Rirjk, Samyël effectua un pas vers le bateau.
« Ça ne peut pas être vrai, ce n’est qu’un cauchemar, je vais me réveiller », pensait le Mage tandis que la scène se déroulait devant lui, comme au ralentit.
Tout à coup, Samyël vacilla. La lumière qui l’entourait diminua, clignota. Et il bascula dans le fleuve.
Un cri strident déchira l’air. La forme sombre se brouilla. Elle s’agitait dans tous les sens, se tordait. Elle cria de nouveau. Puis disparut.
Les yeux de mort du Passeur se fixèrent sur Rirjk. Le murmure repris. Il semblait lui être destiné. Le mage ne comprenait pas ce qui venait de se passer. Quelque chose en lui se réveilla subitement, lui faisant l’effet d’une claque. Il se boucha les oreilles pour ne pas entendre les paroles du Passeur, puis se précipita. Il se jeta dans le fleuve à son tour.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Ganon d'Orphée le samedi 07 avril 2007, 17:01:08
Voilà, entre les révisions d'Histoire et celles de Français pour mon Brevet Blanc je me permet de poster ici un commentaire, bien que je n'aie lu que les deux premiers chapitres et la moitié du troisième, ou tout le troisième ? La mémoire me fait défaut.

Commencons par les mauvais côtés et mauvais points .... Il n'y pas foule ici ^^.

Bien bien, passons maitenant aux choses positives puisqu'il n'y a pas de choses négatives. Alors premièrement l'écriture est plutôt belle, les personnages attachant (surtout le mage au nom imprononcable Rirjk), eet le monde haut en couleurs. C'est très plaisant de voir l'évolution de Samyël dans ce jolie décor !

Et secondement, enfin en français cela donne deuxièment, j'apprécie beaucoup le "mauvais" de l'histoire qui semble être un fou religieux qui se rapproche beaucoup de l'attitude des religions humaines dans les âges obscures du moyen-age.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Rodrigo le samedi 07 avril 2007, 17:28:45
Très plaisant à lire . On se laisse entrainer par les aventures du petit apprenti .Les mots sont bien choisis et on a l'impression que ça coule de source . Je trouve ton vocabulaire assez riche en expression et tu utilises des mots assez recherchés .Fais toutefois attention aux fautes d'orthographe ,sans y faire attention ,j'en ai quand meme rencontré .  Sinon sur les personnages ,je trouve Samyel sympathique mais peu charismatique . Je lui préfère son maitre qui a l'air assez classe et dont le savoir semble etre intarissable.Au niveau de l'histoire ,j'aime bien le concept d'apprenti qui s'entraine dur ,ça me fait penser aux mangas. La mort du héros montre le détachement de la vie monotone et gentille des personnages .Je suis juste déçu par le coté trop présent de la magie noire dans le dernier chapitre ,ça fait perdre un peu de charme à l'histoire je trouve . J'ai trouvé ce passage inutilement compliqué et impossible à comprendre au stade ou nous en sommes .

Voila , continue ton histoire ,c'est très bien parti . Et si tu peux ,montre la carte du monde .
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le mardi 10 avril 2007, 19:19:28
GdO===> merci^^

Floax===> Tout d'abord, merci pour le com^^ Pour les fautes, j'essaie d'en enlever un maximum, mais je suis loin d'être un expert en grammaire et en orthographe donc... ba je m'excuse pour ce point^^ Je suis content que tu aimes Rirjk (d'ailleurs, je vois qu'il a l'air plutôt populaire parmis mes quelques lecteurs :p) Pour ma part je l'aime beaucoup aussi^^ Le manque de charisme de Samyël tient du fait de son jeune âge, et de son manque d'experience de la vie, ça viendra... ; ) Pour ce qui est du chapitre 5, cela... "ouvre" en quelque sorte le début véritable du récit. Car la suite s'éloignera beaucoup de la petite vie pépère de quelques paysans sur une île reculée. Je tiens à préciser que l'ambiance générale du récit va beaucoup se noircir par la suite, désolé pour ceux qui n'aiment pas ^^' Enfin, pour ce qui est de la difficulté de compréhension de la fin de la première partie du chap' 5, je l'ai voulu. Je m'excuse si vous n'avez pas aimé. La suite directe apportera déjà quelques éléments de réponses pour eclairicir un peu tout ça^^

M'enfin, j'espère que mon histoire vous apportera toujours autant de plaisir, je m'y efforcerais^^
Je posterais la suite demain ou jeudi, voir ce week-end^^
Pour ce qui est de la carte, ce n'est pour le moment qu'une ébauche de ce qu'elle sera véritablement. Il n'y pas encore grand chose dessus, en termes de fleuves, de villes et tout le tralala. Cependant, j'y boss avec ma  cartographe attitrée (:p) donc, on fera aussi vite que possible^^
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le samedi 14 avril 2007, 14:03:34
Comme convenu, voilà la suite et fin du chapitre 5^^ Bonne lecture^^


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Chapitre 5 : La bête d’Ur-Les-Ombres. (deuxième partie)


Il pleuvait toujours, et il faisait toujours nuit. Ce furent les premières pensées qui assaillirent Rirjk lorsqu’il ouvrit les yeux. Une abominable odeur de charogne lui agressa les narines, à peine diluée par la pluie.
Il vomit.
Son corps tremblait tout seul, il se sentait épuisé, vidé de ses forces. Un horrible crissement retentit. On aurait dit des ongles raclant un tableau noir.
Rirjk releva la tête. Il remarqua que les bougies s’étaient éteintes, et que les deux étoiles à cinq branches, ainsi que les runes et le cercle avaient disparu. Une ombre plus noire que la nuit apparut alors dans son champ de vision. Elle avait vaguement forme humaine, avec des ailles déchiquetées sur les bords. Une masse de ténèbres, d’ombres. Une silhouette grotesque et difforme. Elle avait une de ses grosses pattes posées sur le torse de Samyël.
Samyël !
L’espace d’un instant, Rirjk l’avait oublié. Tout n’était pas encore très clair dans son esprit. Il se rappelait vaguement le contacte d’un élément liquide… Mais à présent tout lui revenait en mémoire. Cependant, il constata avec un sentiment mêlé de joie et d’inquiétude que, malgré qu’il soit encore inconscient, la poitrine du jeune garçon se soulevait régulièrement. Ca prouvait que Rirjk avait accompli son objectif. Mais à quel prix ?…
De nouveau, le crissement retentit. Il provenait de la forme sombre.
Un rire.
« Je te félicite, mage… » La voix parlait directement à l’intérieur de son crâne. Rirjk chancela sur ses jambes par encore tout à fait stables. Le choc mental était fort, et il usa de toute la volonté et le peu de force qui lui restait pour combattre cet assaut.
« Je ne savais que je trouverais un pratiquant du 8ème art sur cette petite île, kss kss… »
-Garde tes viles paroles pour toi démon, répliqua Rirjk avec toute la voix qu’il pu. Rend moi l’enfant.
« Toi et tes semblables, vous m’amusez beaucoup. L’enfant est à moi. C’est moi qui l’ai tué. »
-Dans ce cas je te tuerais toi.
« Je suis impatient de voir ça… Kss kss… »
Rirjk porta la main à la garde de Haz’Rael et la dégaina. Les centaines de runes qui parcouraient la lame s’embrasèrent. Le temps se figea.
-Que fais-tu ici, si loin hors les murs d’Ur-Les-Ombres finit par demander Rirjk.
« J’ai été envoyé pour l’enfant. Mais si tu veux, je peux commencer par toi… »
Rirjk glissa un regard en direction de son bâton, toujours planté dans le sol un peu plus loin. Il calcula rapidement le temps qu’il lui faudrait pour l’atteindre. La forme sombre sembla deviner ses pensées et se rua sur lui, sans un bruit, glissant dans la nuit. La vitesse et la violence de l’assaut surprirent Rirjk, qui para difficilement le coup de griffe qui visait sa tête. Au contact du monstre, des gerbes d’étincelles jaillirent de la lame. Rirjk se dégagea du corps à corps, et il tenta de lancer un sort en traçant rapidement dans l’air quelques runes. Il n’eut pas le temps. Il sauta de côté pour éviter une nouvelle attaque. Il en profita pour donner un large coup circulaire de sa lame. Le fer mordit dans les ténèbres avec une joie sauvage, vibrant de plaisir tandis que la bête hurlait de douleur, un cri terrible et horrible, qui déchira la nuit et réveilla les villages alentours.
Le monstre se replia sur lui même et s’élança dans la forêt, tentant de fuir. Sans réfléchir, Rirjk se lança à sa poursuite, toute fatigue envolée, seules restant l’adrénaline et la soif de sang que lui donnait son épée. Il courut, courut, sous la pluie, et bientôt les ténèbres de la forêt l’enveloppèrent.
Un étau glacé se referma sur son cœur, qui s’affola. La frénésie qui l’habitait s’évanouit aussitôt lorsqu’il comprit qu’il s’était stupidement piégé lui même. Il voulut faire demi tour. Une ombre passa devant lui, que suivit une vive douleur à la poitrine. Un liquide chaud lui éclaboussa le visage tandis qu’il s’agenouillait en criant sous le coup de la souffrance. Il haletait.
Le rire de la bête s’éleva de nouveau, non loin, mais sans provenance précise.
« Tu me fais rire petit homme. Tu es aussi stupide que tous tes semblables »
-Si… Silence, démon, parvint à articuler Rirjk.
Il s’aida de son épée pour se remettre debout, il chancela. Il s’adossa contre un arbre et essuya la pluie qui lui rentrait dans les yeux.
« C’est ma faute, je n’ai pas été assez prudent. » Voilà la pensée qui l’obsédait alors qu’il se savait proche de la mort –définitive cette fois. C’est peut être ce qui lui donna la force d’ordonner à ses jambes de se remettre à courir. Il sentait la présence du démon derrière lui, il entendait son abominable rire. Bientôt, la nuit s’éclaira un peu. Il s’approchait de l’orée de la forêt.
Alors qu’il croyait s’élancer sur le sentier, il s’arrêta net et adressa une prière aux dieux.
La falaise.
La falaise, là, juste devant lui. L’immensité sombre de l’océan chatoyait sous la lumière lunaire. Il était piégé.
« Au moins, c’est un bel endroit pour mourir » Se dit-il aigrement.
« Nous y voilà, mage, kss kss… »
Rirjk se retourna et fit face au monstre. Deux petites lueurs rouges s’étaient allumées là où auraient dû se trouver les yeux.
-Fais vite, démon. Je n’aime pas la douleur.
Un pâle arc de cercle s’ouvrit dans la masse sombre. Un sourire. Elle se tassa sur elle même, puis bondit. Au moment du choc, une chose incroyable se produisit. Une lumière aveuglante jaillit du torse de Rirjk, déchirant la nuit avec violence. La bête poussa un cri strident de douleur et recula vivement, se tapissant dans les ombres de la forêt. Rirjk porta une main à ses yeux pour se protéger de la vive lumière. De l’autre, il chercha sur son corps l’origine de ce prodige. Ses doigts effleurèrent des entailles assez larges, suintantes de sang, puis se refermèrent sur un petit objet métallique.
Le talisman !
Un fol espoir naquit de nouveau dans son esprit. Il arracha la chaîne qui suspendait l’artefact à son cou et la tint fermement devant lui. Le rayon de lumière balaya les ténèbres, et le démon se recroquevilla au pied d’un arbre, criant et sanglotant, réduis à l’ombre de lui même. Il implorait dans sa langue, demandant pardon, jurant sur tous les dieux qu’il se repentirait.
Rirjk le contempla un moment, l’œil dur.
-N’emploie pas des mots que tu ne comprends pas.
Il leva son épée, et embrocha la bête. Les runes sur la lame s’embrasèrent et se répandirent sur tout le corps du démon, qui hurla, se tordit, se débattit. En vain. Rirjk ferma les yeux pour ne pas assister à la scène.
Ce fut fait en quelques secondes. Lorsqu’il rouvrit les yeux, il ne restait plus que son épée, enfoncée dans le sol. Comme si rien ne s’était passé. Comme si tout cela n’avait été qu’un rêve…
Soudain pris d’une grande fatigue, il s’agenouilla et pleura en silence.

Rirjk regarda la mer avec dans les yeux de la mélancolie. La pluie avait cessé. Lui avait succédé une douce brise qui réconforta l’âme et le cœur du mage. L’aube pointait doucement, parant l’océan de couleurs miroitantes. Il sourit.
Il lui restait une chose à faire. Et tout serait terminé.
Il empoigna d’une main lourde mais ferme la poignée d’Haz’Rael. De nouveau, les souvenirs douloureux d’un passé qu’il avait oublié refirent surface. Il les ignora.
-Tu connaissais le prix, tu connaissais le prix !, susurra la même voix démente qu’il avait entendu quelques heures plus tôt –des jours !-, chez lui.
Il fixa la lame où apparut bientôt le nom de l’arme.
-Bien sûr que je le connais. Mais je l’ai payé. Au centuple. Remercie ton créateur pour moi.
Et sur ces mots, il jeta l’arme du haut de la falaise. Il la regarda tournoyer dans l’air puis disparaître sous la surface des eaux.
Avec elle disparurent les souvenirs. Libre. Il s’était enfin affranchi de son passé. Du moins il l’espérait.
Il regagna d’un pas lourd la clairière où Samyël gisait toujours. Il s’approcha de lui, mit un genou en terre et lui toucha le front. Il murmura un mot de pouvoir.
Un temps. Samyël ouvrit les yeux, ces mêmes yeux intenses qui avaient surpris Rirjk lors de leur première rencontre.
-Hum… Maître ? Qu’y a-t-il ? Quelle heure est-il ? Vous allez bien ? Pourquoi pleurez vous ? Et ce sang ? Que vous est-il arrivé ?
Le mage pris son jeune disciple dans ses bras, et éclata de rire, tandis que sur ses joues s’écoulaient doucement des larmes de joie.
-Rien. Il ne s’est rien passé. Viens, rentrons. Erika doit s’inquiéter. Aujourd’hui, tu es dispensé d’entraînement. Tu viendras chez moi. J’ai des choses à te dire. Beaucoup de choses. Oui. Beaucoup, beaucoup de choses…
-D’accord.
Main dans la main, ils entamèrent le voyage qui les ramènerait chez eux. Mais, à peine quelques pas plus tard, Rirjk s’effondra, un sourire sur les lèvres.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le mardi 01 mai 2007, 23:03:10
Yop yop^^ Voilà, après une absence de deux semaines dû au vacances, voici la suite du récit, avec la première partie du Chapitre 6! Un chapitre purement descriptif qui a pour but de décrire le monde de Samyël, ainsi que son histoire récente, dans un premier temps, puis dans la deuxième partie, se penche sur ce personnage qui apparemment plaît, j'ai nommé Rirjk^^ Bonne lecture, en espérant que cela vous plaise tjs^^
EDIT: vive les triples posts^^


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Chapitre 6 : L'approche de l'hiver. (première Partie)



-Nous serons bientôt prêts à lever l’ancre, messire.
-Fort bien. Dites aux hommes de se préparer.
Un vent froid et mordant balayait le port. C’était le début de l’hiver. La neige n’était pas encore tombée, mais ça ne saurait tarder. Le ciel était gris et bas. Ils prendraient bientôt leur quartier d’hiver. Mais il leur restait une dernière tâche à accomplir avant cela.
Solanéa.
Une petite île perdue à la pointe sud du Continent. A Des kilomètres de leur position actuelle. Le voyage leur prendrait au moins un mois, sûrement plus. Mais c’était les ordres de Sa Sainteté le Pontife d’Arch’Mark. Il le ferait.
Eratius balaya la Baie aux Sirènes de son regard bleu, tranchant comme une lame de sabre. Une agitation frénétique régnait sur les quais, et ce malgré la bise glaciale. On affrétait un énorme navire, un trois mâts, payé par les bons soins du Pontife en personne afin de faciliter les manœuvres de la Sainte Expédition. Il était suffisamment grand pour transporter cinq cents soldats, en plus de l’équipage et des nombreux rameurs nécessaires pour le maniement des lourds avirons. De petites catapultes s’alignaient le long du bastingage et un énorme pieu en bronze était dissimulé sous la coque à l’avant du navire. A la proue, une représentation en or du Seigneur Illuminant La Terre guidait ses envoyés en leur montrant le chemin de la Justice.
Eratius se sentait fière de naviguait sous cette égide. Il se recueilli un moment et adressa une prière à son Seigneur avant de se diriger vers les baraquements où étaient stationnés ses hommes. A chaque fois qu’il passait devant un honnête citoyen, celui-ci s’inclinait avec respect et prononçait la formule rituelle : « Je vous salue Messire. Puisse la Lumière du Seigneur illuminer vos pas ».    
Eratius était heureux lorsqu’il se trouvait dans sa contré natale, l’Arch’Mark. La Justice régissait la vie de chacun, et la Parole du Seigneur était respectée par tous. Et puis ici, cette engeance démoniaque qu’était la magie était bannie de ces terres sacrées. Et tout cela grâce au vénérable Pontife Arabéus II.
Eratius s’enorgueillissait secrètement du fait qu’il en était en partie responsable.
Cependant sa joie était gâchée dès qu’il songeait aux peuples Infidèles qui continuaient de pratiquer cette magie honnie, partout en dehors de l‘Arch‘Mark… Mais bientôt tout cela allait changer. Les seigneurs des baronnies et des comtés avaient juré allégeance au Pontife, instauré le culte du Seigneur, organisé des Purges et surtout renié le Roi d‘Arendia, ce pantin contrôlé par ce maudit Archimage. Il y avait bien eu certains barons, certains ducs pour se lever contre les envoyés du Seigneur.
Ils y avaient perdu la tête ou avaient rapidement fait profil bas. Tous sauf un.
Le général Kalenz de Fort-Argent. Depuis le début, il tenait tête aux hommes d’Eratius, se battant avec courage, défaisant les Armées Saintes. Le dernier des dix Chevaliers. Le dernier sur qui le roi pouvait encore compter.    
La seigneurie de Fort-Argent se situait au sud de la capitale royale d’Arendia. Elle tenait son nom du château entouré d’arbres à l’écorce d’argent qui gardait le défilé menant jusqu’à la capitale.  
Eratius pénétra dans le bâtiment où étaient stationnés ses hommes. L’ambiance était bonne, les soldats prenaient leur repas en conversant joyeusement. Si pour le paysan l’hiver était synonyme d’ennuie et de froid, pour le soldat c’était la promesse de quelques mois de tranquillité et de relatif confort. Et c’était justement ce qui motivait les hommes d’Eratius. D’autant plus que d’après la rumeur, les mers du Sud était chaudes, même à cette période de l’année.
On leva sa chope lorsqu’on aperçut le Commandeur. Eratius les salua à son tour d’un signe de main et d’un de ses rares sourires.
Quelques heures plus tard, ils embarquaient dans le brouhaha des conversations.


Rirjk fit la grimace et s’apprêta à recracher le liquide épais et malodorant. Erika posa délicatement un doigt sur sa bouche et l’obligea gentiment à tout avaler.
-La guérisseuse a dit que ça calmera la douleur, alors ne fais pas l’enfant, dit-elle en souriant.
Le mage grommela quelque chose d’incompréhensible mais s’exécuta. Il fulminait sur place. La vieille bique qui se prétendait guérisseuse lui avait ordonné de garder le lit pendant quelques jours, le temps que les plaies se referment.
Finalement, il ne s’en était pas trop mal tiré. Les plaies s’étaient avérées moins profondes que de primes abords.  
Cependant, il avait eu plus de mal à trouver une explication plausible à son piteux état de la veille, et à la résurrection miracle de son apprenti.. Il avait raconté à Samyël qu’il avait voulu grimpé à un arbre pour cueillir un fruit et était tombé, ce qui avait provoqué une amnésie partielle, et les branches lui avaient fouetté le torse, afin d’expliquer les blessures dues à sa rencontre avec le démon -épisode dont le jeune garçon n’avait curieusement gardé aucun souvenirs. Rirjk avait ensuite embobiné le reste des villageois avec un discours sur l’Equilibre, ce dont la magie était capable et ils n’avaient plus posé de question. Pour ce qui était de lui-même, il avait prétendu avoir été attaqué par un ours, le tout accompagné d’un sort de confusion de l’esprit et le tour était joué.
Mais il s’en voulait un peu d’avoir eu à mentir à ces braves gens, et surtout à sa femme. Quant au grand père de Samyël, il n’avait pas posé de question. Juste un bref hochement de tête.
Le Grand Père…
Un homme étrange, difficile à cerner, empli de mystères. Mais pourtant bon et doux, quoique sage. Lorsqu’il s’était présenté, il avait prétendu s’appeler Henry. Un faux nom, Rirjk en était sûr, sans trop savoir pourquoi. L’instinct sans doute…
Alors qu’il ressassait tout ça dans son esprit, Samyël entra dans la demeure, son arc en bandoulière. Il salua Erika à la mode mondaine du Continent, comme le lui avait appris Rirjk, incliner le buste vers l’avant, un bras sous l’abdomen, l’autre derrière le dos, en gardant la tête vers le sol.  Après quoi, il se dirigea vers le chevet de son maître. Tout comme à Rirjk, la guérisseuse lui avait bandé le torse et le bas ventre avec des bandes de tissus trempées dans une espèce de mixture censée aider à la cicatrisation. Mais elle avait comme désavantage d’empester à des lieux à la ronde…
-Bonjours maître.
-Bonjours, disciple.
Un temps.
-Vous m’avez dit hier de venir vous voir aujourd’hui, vous aviez quelque chose à me dire…, reprit Samyël.
-Ha oui, c’est exact. Prend le tabouret et installe toi. Pose ton arc là bas. Non, pas là. A côté. Bien. Hum… J’ai tellement de choses à te dire que je ne sais pas par où commencer.
-Peut être par le début mon amour, ce serait une bonne chose, intervint Erika.
-Ha oui, tu as raison, comme toujours. Merci chérie. Le début donc. Hum… Laisse moi le temps de mettre de l’ordre dans mes pensées… J’aimerais… J’aimerais te parler de moi, de ce monde qui t’entoure, et éclaircir quelques points sur ce qui est de la magie.
Samyël hocha la tête.
-Nous sommes ici sur l’Île de Solanéa, au large de la côté Sud de ce que nous appelons couramment le Continent. Ce même Continent n’est en fait rien d’autre qu’une immense étendue de terre émergée hors de la surface de l’Océan. Au nord de l’île se trouve Gontarion, notre port. Plus au nord, à l’extrémité de la Queue du Serpent -c’est ainsi que l’on homme l’extrême sud du Continent, à cause de sa forme en pointe de flèche- se trouve Port-Ebène. C’est un des grands axes de commerce maritime du monde, car c’est par là que passent tous les navires voulant se rendre d’une cote à l’autre. L’espace séparant ces deux ports est appelé le Cap Solaire. D’ailleurs, en ancien langage, Solanéa signifie littéralement la Terre du Soleil. Mais je m’égards. Tu me suis jusqu’ici?
-Oui… Oui, je crois.
-Parfait. Jusqu’à récemment, tout le Sud du Continent, de Port-Ebène jusqu’aux Montagnes de l’Infinie, n’était qu’un seul et même royaume, celui-là même qui fut fondé par Aegir durant l’âge Sombre à la suite de son combat contre Nagür le Noir et ses Seigneurs Nécromants. Mais tu connais l’histoire, ton Grand Père a déjà dû te la raconter. Le royaume était gouverné par le bon roi d’Arendia, la cité royale, qui lui-même était conseillé par l’Archimage. Afin de gérer au mieux cet immense empire, les terres furent divisées en plusieurs petits royaumes, à la tête duquel on plaça un compte, un duc ou un seigneur selon l’importance du fief. Bien évidemment les plus grandes terres revinrent aux Dix Chevaliers Servants d’Aegir et leurs lignés continuent de gouverner avec sagesse tandis que les fils jurent allégeance au roi et siègent au Conseil. Ces terres sont principalement regroupées autours d’Arendia, afin de prévenir toute attaque contre la cité mère. Il en était ainsi jusqu’à ce que le peuple du comté d‘Arch-Mark, situé dans la grande plaine d‘Arch-Land, se révolte. Un homme était à l’origine des troubles, Arabéus. Il était le créateur d’une religion basée sur la vénération d’un seul dieu, communément appelé le Seigneur. Arabéus proclamait que l’Homme se doit de se rendre maître de son destin, en destituant la place prédominante de la magie dans la vie des gens, tout bonnement en l’éradiquant, ainsi que toutes les créatures qui dépendent d’elle. (Samyël buvait les paroles de son maître, la bouche légèrement ouverte, l’air à la fois choqué et ahuri). Les Dieux seuls savent comment Arabéus parvint à convaincre autant de gens de la véracité de ses dires mais il ne tarda pas à destituer le Compte de l’époque et à prendre sa place. Arabéus était un homme dément, mais qui savait parler aux foules. Il prétendit apporter les Bonnes Paroles du Seigneur et convainquit le peuple que le Mal se tapissait derrière chaque mage, chaque magicien, derrière le moindre petit sortilège. Il mit en place les Purges, qui ne sont rien d’autre que des chasses à l’homme dont les proies sont les jeteurs de sorts. Les malheureux qui étaient pris étaient amenés en place publique où ils étaient torturés devant la foule avant d’être mis à mort. Le supplice le plus courant était le fouet, suivi d’une séance d’écartèlement. Après quoi le pauvre bougre était laissé au bon soin du bourreau qui lui arrachait les yeux avec la pointe d’un couteau consacré avant d’être pendu.
Mais Arabéus ne s’arrêta pas là. Il se proclama Pontife, et par la même chef de tout les croyants. Après avoir éradiquer la magie de son domaine, il tourna son regard vers les autres fiefs où la magie était une chose courante et où il n’était pas rare de voir un magicien à chaque coin de rue. C’est là qu’Arabéus créa la Sainte Expédition. Elle est composée des guerriers les plus pieux et les plus fanatisés. C’est une véritable armée qui n’a peur de rien, étant donné que chacun de ses soldats croie que le Seigneur veille sur eux et que rien ne peut leur arriver. A leur tête se trouve le Commandeur, le pire de tous. La sainte Expédition fut chargée de convertir les populations au culte du seigneur, tout en organisant des Purges partout où elle allait. Ses débuts furent difficiles. Aucuns dirigeants ne voulait se soumettre à l’autorité d’Arabéus. De nombreuses batailles eurent lieux, faisant beaucoup de victimes. Les armées du Pontife semblaient inépuisables, car lorsque les soldats croyants se firent rares, de nombreux mercenaires vinrent grossir les rangs, alléchés par la promesse de l’or qu’ils pourraient récupérer lors du pillage des terres. Petit à petit, l’empire d’Arabéus gagna du terrain, conquérant des terres, étendant l’influence de sa religion et des idées qu’elle véhiculait. Les peuples commencèrent rapidement à avoir peur de la Sainte Expédition. Dès qu’on voyait les étendards blancs au loin, on déposait les armes et on expulsait les magiciens hors des murs des villes. Beaucoup de seigneurs et de ducs trahirent leur serment au roi, adoptèrent la religion Seigneuriale et aidèrent à financer la Sainte Expédition. Seuls résistèrent les descendants des Dix Chevaliers Servants, fidèles à la tradition. Ils rassemblèrent une grande armée, et défièrent les forces d’Arabéus dans la grande plaine d’Arch’Land, aux portes de la capitale pontificale. La bataille dura trois jours. A l’aube du troisième, les têtes des neufs Chevaliers ayant participé à la bataille furent envoyées sous escorte au roi en personne. On nomma cette bataille les Trois Jours de la Chevalerie. A la suite de cela, l’influence d’Arabéus ne rencontra plus aucune résistance, et la race des magiciens, des gens comme toi et moi, diminua fortement en quelques années. Le dernier refuge des pratiquants des Arts se trouve désormais dans la Citadelle Blanche, à Arendia. Ce n’est autre que la seule école où l’on enseigne la magie, c’est aussi la demeure de l’Archimage, notre chef. Mis à part cela, quelques uns d’entre nous vivent encore dans leurs terres d’origines, en se cachant.
A présent, Rirjk parlait avec dans la voix de l’amertume.
-Cependant, les rêves et les plans d’Arabéus s’achevèrent brutalement lorsqu’il fut assassiné, il y de cela trois ans.  Malheureusement, son fils se révéla être un digne successeur, et il s’empressa de reprendre les activités de son père. Malgré tout, la mort subite d’Arabéus premier fit une brèche dans la foi du peuple, car si le Pontife, censé représenter le Seigneur en ces terres pouvait être tué, les pouvoirs du Dieu n’était pas aussi puissants qu’on le prétendait. C’est dans cette brèche que s’empressèrent de s’engouffrer de nombreux agitateurs, un peu partout sur le Continent. Certains royaumes trahirent une fois encore leur allégeance, renièrent les enseignement du Seigneur, et arrêtèrent de financer la Sainte Expédition Certains mages audacieux sortirent de l’ombre et prirent par au conflit.
-Et le nouveau Pontife laissa faire? demanda Samyël, subjugué par le récit.
-Bien sûr que non. Arabéus II mit à la tête de la Sainte Expedition un nouveau Commandeur. Celui-ci refit la même chose que le premier avant lui. Il parcourut le Continent, traquant les magiciens et restaurant la religion Seigneuriale. La puissance du Pontife ne tarda guère à redevenir celle qu’elle fut du temps d’Arabéus premier. Aujourd’hui, presque tout le Continent est tombé sous son joug. Seuls résistent encore Fort Argent, au Sud d‘Arendia, et Arendia elle-même. Et Solanéa, bien évidemment.
Samyël acquiesça, l’air grave. Il se sentait plus troublé qu’il ne voulait bien le reconnaître. Peut être était-ce cela l’origine de son malaise vis-à-vis du Continent…
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Prince du Crépuscule le mercredi 09 mai 2007, 22:49:07
Eh bien, eh bien... Il y a tellement de choses à dire, Great Magician Samyël (je sens que je vais encore m'égarer, moi...)! ^^ Tout d'abord, sache que j'ai autant apprécié qu'avant, ton style me plaît toujours autant, très fluide, les mots sont bien choisis, les tournures de phrase agréables, la ponctuation également, les descritions sont bien retranscrites, conférant à ton récit une dimensoin épique qui me donne toujours plus envie d'en savoir la suite. (Je sens que je vais encore m'attarder moi... ^^). J'ai beaucoup aimé le combat de Rirjk contre le démon, violent telle la tempête fait plier les navires à sa fureur, intéressant, doté d'un rythme accrocheur, avec un appel aux sens et aux images, comme pour les griffes crissant sur le tableau et les rougeoiements. Et cette magnifique retombée, pour se tourner vers un tableau crépusculaire, le soleil déclinant dardant ses rayons ensanglantés vers la mer, fidèle miroir de son agonie régalienne, se mourant dans son propre fluide vital, comme pleurant, doublé de regrets des plus sincères et profonds, alors qu'il se fait lentement, mais si douloureusement qu'il en perd son essence propre, happer par le remous du temps et des vagues... Quelle mélancolie! J'adore ce genre de thème, je crois que tu l'auras compris (Pas pour rien quand même que mon pseudo c'est Prince du Crépuscule. ^^). J'ai vraiment apprécié cette retombée, ce calme qu'habite le lendemain de tourments, même si moi j'en aurais fait trois pages (ça me fait penser à ma fiction concours tiens! Ksh! Ksh! Ksh! :) ), c'était un très bon moment, vraiment agréable, avec Rirjk voulant fuir son passé, rompre avec les angoisses tappies au fond de lui, jetant symboliquement cette épée dont on ne connaît presque rien, c'est très joli, ça me touche (en même temps, y a-t-il une chose qui ne me ravit pas ici? ^^). J'y ai distingué ta marque, tes intentions de ravir le lecteur, de le séduire au plus profond de lui-même, jusqu'à le combler entièrement de satisfaction, félicitations, c'est réussi!

Pour ta suite (et dire que je ne voulais que commenter ce passage au départ! Je me suis dit, faisons un message court, bah ouais, on vois ça hein, je suis décidément incorrigible... ^^'), j'ai également aimé la façon dont tu as introduit le personnage d'Eratius, Commandeur au service du pontife d'une secte religieuse fanatique, voulant éradiquer la magie, représentant toutes les aspérités du Continent. J'adore ce thème, mais c'est du déjà vu, comme dans La Fortune de L'Elu, par exemple, qui fonctionne exactement sur le même système (mais je pense que tu sais, puisque tu l'as lue. ^^) ou alors, encore plus flagrant dans L'Epée de Vérité, avec le Sang de la Déchirure qui a exactement la même fonction au service du Créateur et de l'Empereur Jagang, Celui qui marche dans les rêves. Enfin, il n'empêche pas que j'affectionne ce genre de personnages, qui va bientôt donner du fil à retordre aux habitants insulaires de Solanéa et en particulier à Rirjk et Samyël, je le sens déjà venir... J'ai hâte de connaître la suite tiens, et de voir comment tu te débrouilleras afin de faire évoluer ta fiction! Surtout que je sais enfin d'où vient ce cher Falenz, qui m'avait vraiment, immensémment plu, et qui n'est autre que l'un des derniers représentants d'un pouvoir juste incarnant un passé glorieux et noble, agonisant, se dressant tel le dernier obsatcle, un Chevalier de l'Ordre au service de l'archimage, déservant le Vertu que l'on ne respecte plus désormais, laissée honteusement en friche... Superbe! ;)

Encore une chose, (ouais ouais, j'ai toujours des choses à dire sur des écrits, tu voulais un commentaire? Bah fallait pas m'appeler, hein... >_>) j'ai beaucoup aimé ces passages hautement descriptifs, même si moi je ne procède pas de manière semblable (enfin chacun son style, c'est mieux ainsi! ^^), tu les manies vraiment bien, tout comme les passages sentimentaux. On en connaît désormais un peu plus sur le Continent, ses failles, son passé glorieux, son présent dont les lambeaux se détâchent peu à peu d'un souvenir mirifique, un futur incertain d'un monde qui sombre dans la démence et le doute... Tu as su insuffler toute une histoire à ce Continent qui sort de toutes pièces de ton imagintion, lui donner contenance, de la vie, comme s'il s'agissait d'un personnage à part entière. C'est un environnement en péril qui me plaît, et qui ne passionne pas que ce cher Samyël. Tu as amorcé mon désir d'élargir mes connaissances en la matière, et éveillé ma curiosité intarrissable à ce sujet.

Encore bravo, donc! (si moi je ne fais pas dans l'emphase... ^^) Voilà, maintenant tu sais, à tes dépends, ce qu'est un message dit "à la Prince du Crépuscule", long et poétique, élogieux souvent, mais réservant parfois des critiques acérées. J'espère que tu apprécieras, comme tu me l'avais demandé expressément! :)
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le jeudi 10 mai 2007, 00:07:17
Huk huk, j'ai bien fait d'attendre, je ne suis pas déçu, loin de là (je crois que je viens de voir le commentaire le plus long de ma vie, et il est pour moi X ) Nyark Nyark)

Tout d'abord, je tiens à te remercier Prince du Crépuscule (hop, une envie comme ça, de l'écrire en entier pour changer^^) pour tous tes commentaires qui me font très plaisir^^

Je suis heureux de constater que j'arrive à insufler les ambiances que j'escomptais^^ J'ai pris pour ma part beaucoup de plaisir à écrire le chapitre 5, focalisé sur l'ami Rirjk. Je suis content que tu ais pris autant de plaisir à le lire^^

Je ne mentirais pas en prétendant que je ne me suis pas fortement inspiré de l'épée de vérité pour cette nouvelle religion qui met à mal le fragile Continent^^ Malgré cela, j'ai également été influencé par les Monarchies Divines de Paul Kearney, que je vous recommande à la lecture^^

Ha, je vois que j'ai réussi à pieger ton oeil acéré de lecteur acharné huk huk (je m'aime^^). En effet, le général Kalenz de Fort-Argent n'est pas notre bon Falenz Delso, pirate convaincu^^ En effet Falenz apparaîtra bcp plus tard dans le Cycle avec notamment l'apparition d'un certain trio mais je n'en dis pas plus héhé^^

Cependant, le Continent vous réserve encore bien des surprises nyark nyark...
Nous arrivons bientôt à un tournant dans la vie de notre petit Magicien aux cheveux de flamme, et par la même, dans le récit. Mais je n'en dis pas plus, rendez vous dans le prochain chapitre héhé^^

Après avoir lu ton super commentaire, je n'ai pu m'en empêcher et j'ai fini  le chapitre 6 d'un trait^^
Une deuxième partie qui complète la première, éclaircissant un peu plus l'histoire de ce monde incertain.
Mais gare, le Destin rôde, et l'hiver approche...

Sur ce bonne lecture ; )

Ps: J'ai également changer le nom de ce chapitre, car au final, je l'ai totalement remanié par rapport à ce qu'il devait être en premiers lieux, si bien que son premier nom devenait un peu obselète^^



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Chapitre 6: L'approche de l'Hiver. (deuxième partie)



 Ce soir là, ils mangèrent dehors. Rirjk avait invité le grand père. La soirée était douce, avec une légère brise. Les fameuses lucioles Solanéènnes dansaient leur ballet lumineux dans l’air.
L’ambiance était décontractée, on parla beaucoup, on conta des histoires.
-Grand père, grand père! J’aimerais entendre la geste d‘Aegir! S’il te plaît!
-Encore? Mais tu la connais par cœur!
-C’est ma préférée!
-Oui, s’il vous plaît, intervint Rirjk. Vous racontez comme personne.
-Et bien, si vous le voulez à ce point.
Erika vint se blottir sur les genoux de son mari, leur enfant dans les bras. Samyël s’enroula dans sa couverture et s’approcha du feu. Le vieil homme se gratta la barbe un moment. Puis il leva la tête vers les étoiles, et commença à chanter d’une voix grave, puissante, qui parcouru la campagne jusqu’à Vallon-Brumeux.

Jadis,
Gouvernant les cieux et le vent,
Volaient les anciens dragons.
Jadis,
Émergeant du Chaos du Néant,
Etaient les puissants démons.

Pour la terre ils s’opposèrent,
Dans le feu ils se déchirèrent.

C’est alors qu’apparurent,
Par delà les monts,
Les hordes de Nagür,
Le noir Dragon.

Des démons il se fit allié,
Des dragons il se fit roi.
Et dans le ciel il volait,
Sombre oiseau de proie,

Et le malheur sur le monde il déversa.

Ô enfant,
Lorsque pointe la nuit,
Scrute l’horizon sans répit,
Des ténèbres jaillit l’ennui.

Ô enfant,
Reste en ces murs,
Dans la nuit rôde Nagür,
Il te cueillera comme un fruit mûr.

Le dragon était puissant,
Nord, Sud, Est, Ouest, il appela ses Servants.
Et à l’appelle répondirent les Seigneurs Nécromants.
De tous ils étaient les plus puissants.

Destruction et ruine ils apportèrent,
Et la chute des Hommes ils provoquèrent.

Ô enfant,
Toi qui attend,
Dans la nuit rôde Nagür,
Il te cueillera comme un fruit mûr.

Mais un espoir il advint,
Un champion, l’épée à la main,
Auréolé de Lumière,
Venu d’au-delà les frontières.

Aegir le Brave,
Aegir le Téméraire,
Rendons lui hommage,
Levez vous mes frères,

Nous avons un roi,
Nous avons un espoir,
Sa parole fait loi,
De son bras il nous protégera.

Dix guerriers se dressèrent,
Dix chevaliers armés,
Qui jurèrent sur la mort de leurs pères,
Qu’ensembles ils se vengeraient.

Les compagnons partirent,
Loin dans le nord,
Vers de violents conflits dont-ils ne purent se départirent,

Les Seigneurs Nécromants furent vaincus,
Au prix de nombreux sacrifices,
Mais tel était le prix de la Vertu,
Quoi qu’en dise les auspices.

Alors, de la forteresse d’Ur-Les-Ombres Nagür jaillit,
Volant vers les cieux infinis.
Et Aegir le poursuivit,
Et pour l’éternité le défît.


 La dernière note du chant s’envola doucement dans l’air du soir, laissant l’auditoire sans voix, transi et émerveillé. La campagne était silencieuse, comme saisie par la mélancolie de cette geste qui racontait la fondation du monde. Un léger souffle de vent fit bruisser les hautes herbes, et les cigales se remirent à chanter. Le feu crépitait pitoyablement, attendant désespérément un combustible pour ne pas mourir.
Samyël s’était endormi, un sourire sur les lèvres. Nul doute qu’il devait rêver une fois de plus de chevalerie et de combats épiques. Erika somnolait sur les genoux de Rirjk, berçant doucement le jeune Erik.
Le magicien sourit, embrassa les cheveux de sa femme et posa son regard sur les étoiles.
-Ils approchent, dit-il.
-Je le sais.
-Vieil homme, j’ai peur. Pour ma famille, pour vous, pour Samyël, et pour moi.
-Je le sais.
-Qu’allez vous faire?
Henry ne répondit pas tout de suite. Il remit une bûche dans le feu, et contempla les flammes un moment, l’air songeur. A ce moment là, il émanait de lui l’espèce d’aura de sagesse propre aux gens d’âge et d’expérience. Mais malgré ça, le poids des ans se faisait lourdement ressentir.
-Si le destin l’a voulu ainsi, je ne m’y opposerais pas. Je ne peux que prier pour l’avenir de mon petit fils.
-Je vois…
Les deux hommes restèrent un moment silencieux, pensifs, chacun s’interrogeant sur ce que serait la vie de demain. Quelque chose allait arriver, ils le ressentaient tout comme l’ours ressent l’approche de l’hiver. Mais ils ne dirent rien. Ce n’était pas leur genre. Deux hommes solitaires, deux hommes tristes comme le monde, avec dans le cœur plus de mélancolie qu’un barde triste jouant seul dans la rue un jour de pluie.
Rirjk coucha sa femme et son fils, puis il porta Samyël le long du sentier qui menait à leur masure. Sur le pas de la porte, Henry et lui échangèrent un regard, puis, silencieusement, le magicien repartit dans l’ombre de la nuit.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Kyren le jeudi 10 mai 2007, 11:25:50
Je viens de commencer à lire les 2 premiers chapitres et j'adore c'est vraiment écrit ! La tournure que sa prend est bien ;)
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le mardi 15 mai 2007, 22:55:30
Hi people! Quelques nouveautés débarquent (bon, disons le, deux, mais c'est déjà ça^^)! Premièrement, la carte que je vous avez annoncée au début du topic (ça remonte dis donc^^). Elle est consultable depuis le premier post!^^

Deuxièment, l'arrivé d'un second récit dont j'ai repris l'écriture. Ce n'est rien d'autre que l'histoire de Falenz, le pirate. J'avoue qu'une fois l'écriture de la nouvelle "Falenz" finie, j'avais envie d'aller plus loin avec ce personnage qui me plaisait beaucoup. Durant les dernières grandes vacances, j'avais donc entrepris la conception d'un nouveau monde (son monde), ainsi qu'un scénario et tout le tralala, ce qui avait abouti à un chapitre. Sur le coup, je n'avais pas continué (flemme peut être? :niak: ) J'avoue que je l'avais un peu oublié jusqu'à ce que récemment PdC en reparle dans son dernier commentaire et qu'une amie m'en demande des nouvelles. Sur le coup, j'ai eu très envie de reprendre l'écriture, mais me connaissant, j'hésitais, de peur  que l'écriture du Cycle en soit retardée. Cependant, j'ai retrouvé ledit chapitre dans un dossier poussièreux d'un PAD, après relecture et correction, je me suis dit "alley, au diable tout ça, je me lance". Donc je poste ici le premier chapitre d'une aventure assez particulière, car se déroulant dans un monde mélant Fantaisy et S-F. Tout ça en attendant le chapitre 7 du Cycle, que j'essairais d'écrire d'ici à dimanche^^

Je n'en dit pas plus, bonne lecture^^ (j'attends vos critiques/impressions, surtout toi PdC, me déçoit pas : p *crève*)

Kyren===> comme je te l'ai déjà dit sur MSN, merci pour le comm'^^


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Falenz


Chapitre 1: Les deux parias. Le Pirate et le Psychik.

La porte s'ouvrit dans un grincement et un bruit atroce se répercuta dans la petite pièce lorsqu'elle toucha le mur de pierre froide. La lumière crue d'une torche pénétra dans la cellule, masquant le visage de l'homme qui la tenait.
-Tiens, on t'a apporté un p'tit camarade, furent les mots qui sortirent de ses lèvres. T'as qu'à lui apprendre à prendre le vent en poupe!
Un rire gras jaillit de sa gorge puis il disparu de l'encadrement de la porte avant d'y revenir en tenant quelqu'un par le bras, qu'il jeta sans ménagement sur le sol dur de la petite cellule.
La porte se referma avec le même grincement puis claqua dans un bruit infernal.
Avec la porte disparut la lumière tel un soleil disparaissant derrière une colline pour faire place aux ténèbres les plus profondes. Aucune lucarne n'apparaissait sur les murs nus, ni aucune fenêtre pourvue de barreau. Seul le noir et le silence emplissaient la pièce à la manière d'une purée de poix.
L'homme au sol, car s'en était un, se releva et tenta de sonder les ténèbres qui l'oppressaient. Ce fut en pure perte et il s'assît sur le sol humide avec un soupir fataliste.
Il avait été pris.
Pourtant, il avait œuvré avec habilité et il avait calculé les événements à la perfection. Mais un imprévu était intervenu. Il avait été reconnu. Il avait bien tenté de résister, de fuir, mais, contraint par le nombres de ses assaillants, il s'était rendu et avait été jeter ici, dans la Citadelle Aux Milles Éclats. La prison réservée aux grands criminels et qui gardait jalousement sa réputation de n'avoir jamais perdu un de ses occupants dans une tentative de fuite.
Voilà donc où se trouvait l'homme lorsqu'un craquement d'allumette se fit entendre. Une petite flamme s'alluma dans le fond de la cellule. Momentanément aveuglé, le nouveau venu ne put tout de suite distinguer les traits de son compagnon de captivité.
-Et bien, qu'est-ce que nous avons là?
La voix était grave et légèrement pâteuse, comme celle de quelqu'un que l'on vient de tirer du sommeil -et c'était probablement le cas.
L'occupant des lieux apparut sous la lumière vacillante de l'allumette. Une tête bien faite, des yeux gris pétillants d'intelligence mais qui vous glaçaient les sangs tant ils étaient froids et durs, un nez aquilin et des lèvres sèches à cause du peu d'eau qu'elles devaient recevoir. Une crinière de cheveux roux et sales lui tombant jusqu'au milieu du dos lui encadrait le visage et une barbe très bien fournie mais tout aussi sale attestait d'une longue captivité. Il avait dans les trente cinq ans.
Il plissa les yeux pour tenter de distinguer son interlocuteur, mais celui-ci n'entrait pas dans le halo rougeoyant de la source de lumière qui déjà s'éteignait.
Ils se retrouvèrent de nouveau dans le noir.
-C'est quoi ton nom?, reprit l'homme.
Il y eu un temps de silence puis le nouveau répondit:
-Lohengryn.
-Un nom de jeune pucelle ça!
Et d'éclater de rire, un rire franc et puissant qui se répercuta sur les murs de la salle.
-Je ne vous permets pas de critiquer le nom que m'ont donner mes parents (il s'était déplacer à présent, pour s'adosser au mur et le son de sa voix provenait de la droite du prisonnier roux)
-Mille pardons, je ne voulais pas vexer mon seigneur.
Le ton de la voix était plein d'ironie et d'arrogance.
Lohengryn eut un soupir blasé.
-Ce n'est pas grave, après tout, je ne peux demander la politesse à un criminel... (Il vit les yeux de son compagnon d'infortune luirent dans le noir mais ce dernier ne dit rien) Et vous? Quel est votre nom?
-Del'so. Falenz Del'so, pour vous servir mon seigneur.
Silence.
-A.. A.. Attendez, vous voulez dire que vous êtes Falenz, Le Falenz. Le pirate?
-En personne, répondit celui-ci avec une voix amusée. Heureux de voir que ma réputation tiens toujours, même après quatre ans à vivre dans cette cellule puante.
-Mais... Je... Nous... On croyait que vous étiez mort!
-Pheu! Le jour qui verra ma mort n'est pas encore arrivé. Ils vous ont fais croire ça pour rassurer la populace.
Il eut un ricanement.
-Mais approche donc, que je vois enfin à qui je parle.
Il craqua une seconde allumette, qui lui dévoila Lohengryn.
C'était un jeune homme, dans la vingtaine. Des cheveux noirs et longs et qui lui arrivaient dans le bas du dos, des yeux verts, légèrement distants et éteints mais qui reflétaient une grande intelligence. Son menton était nu et son oreille droite percée d'un anneau doré. Une petite sphère métallique tournait autour de son crâne à la manière d'un satellite planétaire.
Falenz éteignit précipitamment sa lampe improvisée et cracha de dégoût.
-Un Psychik! Je me retrouve avec un Psychik! Par les Dieux Machines de ces satanés nains, ne devaient-ils pas t'enfermer dans un de leur centre pour débiles et mutants?
-Si, mais aucun n'a voulu de moi...
Nouveau silence.
-Je crois que je vais changer d'avis sur toi. Si ils ont fais ça, c'est que t'as fais un truc grave.
-En effet...
-Allez, dis à tonton Falenz ce que t'as fais.
-Je... Je préfère me garder cette information.
-Comme tu le sens, après tout, on a tous le droit d'avoir nos petits secrets... Bon, passons aux détails pratiques. Il n"y a qu'une couchette ici, donc on dormira dessus à tour de rôle. J'espère que t'as l'esprit à tout épreuve, mon gars.
-Pourquoi cela?
-Tes prédécesseurs n'ont pas pu supporter de sentir toutes ces choses qu'on voit pas et qui grouillent de partout sur leur corps lorsqu'ils dorment par terre, ils ont demandé l'exécution directe... Par contre, toi tu n'as pas le droit de le faire.
-Pou...Pourquoi donc? (la voix de Lohengryn était tremblante sous l'effet de l'angoisse et il s'imaginait sentir sur ses bras et ses jambes des choses qui rampaient, velues, écoeurantes ou bien flasques)
-Parce que je t'aime bien, et donc tu auras le post de commandant en second sur mon navire!
-Votre navire? Quel navire?
-Celui que je posséderais lorsque je me serais échappé de ce trou. Ne vas pas t'imaginer que je compte finir mes jours ici!
Et il se retourna sur sa couchette avant de s'endormir rapidement. Le pauvre Lohengryn, lui, ne pu dormir de la nuit, victime de l'angoisse distillée par les paroles de Falenz sur ce qui occupait la cellule avec eux...

Ils ne voyaient de la lumière que deux fois par jours, à l'heure où on leur apportait leur repas (une bouillie immonde avec un peu d'eau et un petit peu de pain), Falenz économisant ses allumettes pour d'autre occasion. A force, Lohengryn s'habitua à cette obscurité quasi permanente et il parvint à distinguer les contours de ce qui se trouvaient dans la cellule, sans parvenir à en voir les détails. Falenz parlait beaucoup, souvent tout seul car Lohengryn était plutôt quelqu'un de taciturne. Malgré ses innombrables tentatives, Falenz ne parvint pas à savoir ce qui avait valu à Lohengryn son séjour à la Citadelle. Le jeune homme restait invariablement muet comme une tombe à ce sujet.
-C'était la belle vie à l'époque, commença un jour Falenz lorsque son jeune compagnon le questionna sur sa vie antérieur. J'étais un pirate, comme tu le sais, le plus redoutable et redouté du monde connu. Mon équipage était le meilleur qui soit, tous plus habiles à l'épée les uns que les autres. Et mon bateau! Il fallait le voir! La meilleur prise de toute mon existence! Un des vaisseaux volants de Merydion. Avec des canons, des réacteurs et une coque faite d'un alliage dont seul les nains ont le secret. Nous étions invisible, aussi bien dans les airs, que sur la mer ou sur terre. J'avais les femmes que je voulais, les nobles se prosternaient devant moi lorsque je venais de décimer leur armé personnelles, et j'étais riche, riche comme personne ne l'avait été avant moi. Ha, ils sont loin ces jours heureux... (sa voix était emplie de mélancolie)
-Mais... Comment vous êtes vous retrouvé ici dans ce cas?, demanda Lohengryn (même après dix jours passés avec Falenz -donc cinq nuits de cauchemars à dormir au sol-, le Psychik ne le tutoyait toujours pas).
-C'est à cause de cette garce d'Heria... La fourbe se disait éprise de moi, et dans un moment d'imbécillité de ma part, je l'ai crue. Une escouade de miliciens m'est tombée dessus alors que je partageais sa couche avec elle. Je lui ai promis de la retrouver, où qu'elle soit, une fois que je serais sorti d'ici.
L'ancien pirate décocha un sourire féroce à son compagnon de cellule, que celui-ci ne put voir dans le noir.
-Parle moi des gens de ta race, repris Falenz après un court moment de silence.
-Des Psychiks? Et bien, il n'y a pas grand chose à dire sur nous... Nous sommes ce que les gens du peuple appellent des mutants car grâce à notre esprit, nous pouvons influencer la matière, la lumière et le son. Mais chacun d'entre nous à sa spécialité.
-Ha? Je n'étais pas au courant. Et toi? Quelle est donc la tienne?
-Je peux contrôler les esprits faibles mais seulement influencer les esprits fort et je maîtrise le feu avec facilité.
-Fort bien fort bien! Tu m'aideras mieux que n'importe qui d'autre dans ta tache de second! Mais il va falloir t'enlever ce truc qui tourne autour de la tête.
-Qu'est-ce que c'est au juste?
-Je n'en sais rien. Je sais simplement que sa t'envoie des ondes contraires à celles qui te permettent d'utiliser tes pouvoirs pour justement t'empêcher de les utiliser. Je mettrais ma main à couper que c'est une œuvre de ces fichus machinistes Merydionniens!
-Tu parles de Merydion depuis que je sui arrivé, le coupa Lohengryn. Qu'est-ce? Une ville, un pays, un empire?
-Merydion... C'est la cité aux tours d'argent. Une ville comme tu n'en as jamais imaginé de pareille. Elle s'étend sur plusieurs milliers d'hectares, et ses tours d'acier et de verre émergent du sol comme de la mauvaise herbe. L'air y est métallisé et le ciel a une couleur acier également. Les gens de là bas sont très forts. Ils construisent des merveilles, comme les bateaux volants. Seuls les nains peuvent rivaliser avec eux sur ce point.
-Où se trouve cette ville?
-Sur une grande île, à l'est, par delà la mer sans retour.
-Ca a l'air chouette.
-Plus que tu ne le crois gamin. Un jour, je t'y emmènerais, je te le promets.
Lohengryn coula un regard aveugle vers Falenz. Il parlait avec une voix vibrante. Ca ne lui ressemblait pas. Le jeune homme haussa les épaules et n'y fit plus attention.
-Et... Quand est-ce que tu comptes t'évader?
-Dans deux mois.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Nehëmah le samedi 19 mai 2007, 15:16:43
Bon, ben moi j'ai pas lu l'aventure de Falenz le pirate, je me suis contenté de lire celle de Samyël. Et j'avoue que c'est une grosse déception : OU EST LA SUITE BON SANG DE NOUILLE ? :niak:
Voilà, comme j'avais bien apprécié ton texte rendu pour le concours, je me suis dit que j'irais bien faire un petit tour du côté des Cycles du Rouge histoire de vérifier les talents d'écrivain du super magicien.
Bon, donc, par où commencer ? Un héros de six ans... Moui... Ca m'a un peu surpris au début, et puis son intelligence, ses capacités, tout ça, tout ça, bon autant dire que c'est le type de héros qui m'agace quelque peu. Heureusement, y a son grand-père et Rirjk (enfin quelque chose ocmme ça, il a un nom imprononçable le bougre). La tournure des évènements notamment dans le chapitre 4 / 5 m'a fort étonné (dommage qu'il ressuscite niark niark). Du moins, je ne pensais pas trouver ce genre d'évènements dans des récits du genre.
La magie semble être le centre de gravité de toute l'intrigue, par conséquent la manière de l'amener est mystérieuse et le lecteur ne demande qu'à en apprendre un peu plus. La cosmogonie du monde semble être par ailleurs bien étudié vu les détails qui fourmillent (comme par exemple les histoires d'altitude, ça c'est excellent !).
Aussi, les ambiances savent se faire lourde et oppressante quand il le faut (la scène de résurrection pour exemple) et ça c'est cool !
Donc, voilà, si tu pouvais te dépêcher pour la suite ça serait bien aimable :niak:
Et petit autre truc : est-ce que l'histoire de Falenz sera amené à croiser celle de Samyël ? Est-ce qu'il s'agit d'histoires complémentaires ? Si oui, alors je lirais Falenz avec plaisir xD Sinon, j'ai un peu la flemme là tout de suite :niak:
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le samedi 19 mai 2007, 19:46:40
Merci nehëmah pour ce commentaire :niak: (<==c'est officiel tu m'as convertit XP)

Pour ce qui est de Samyël, certes, je te le concède, mais ce n'est que le début du récit. Il va grandement évoluer par la suite, mais je n'en dis pas plus ^^
Et pour répondre à ta question, ui l'histoire de Falenz sera ammener à croiser celle du Super Magicien comme tu dis : p Mais c'est pas pour tout de suite alors te force pas ^^

Veualà, comme promis, et puisqu'on me réclame, le chapitre 7 qui marque la fin du court prologue du Cycle :niak:



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Chapitre 7 :
 La sombre épée de la Justice.


-Erika!
Rirjk ouvrit la porte violemment. Erik se mit à pleurer. Le mage était nerveux, ses pupilles dilatées, par la peur sans doute. Il s'approcha de sa femme et la saisit par les épaules.
-Erika! Ils arrivent. Nous n'avons plus le temps, prends le bébé et cours te réfugier dans la forêt. Ils ne te trouveront pas!
Une lueur d'inquiétude brilla dans les magnifiques yeux de la jeune femme.
-Même ici, ils ne nous laisseront donc pas en paix?
Rirjk hocha la tête avec fatalité. Les souvenirs de sa fuite précipitée du Continent étaient encore bien présent dans sa mémoire.
-Allons, dépêche toi.
Erika acquiesça et pris délicatement leur fils dans ses bras. Pour le calmer, elle commença à chantonner dans une langue gutturale, mais en même temps harmonieuse.
-Et pour Samyël? Et pour Henry?
Rirjk détourna le regard. Il enrageait contre lui même. Une fois de plus il était impuissant face à ce destin qui semblait s'amuser de ses peines.
-Je vais voir s'il est encore temps de faire quelque chose.
Erika regarda son mari un moment, puis elle l'embrassa furtivement avant de s'élancer au dehors, le petit Erik dans ses bras.  Rirjk les regarda partir, une boule dans la gorge. Il resserra les pans de son manteau en peau et se mit à courir vers la demeure de son apprenti. Dans sa tête défilaient une centaines de runes, toutes plus meurtrières les unes que les autres. Il en choisit deux, qu'il lia mentalement. Tout en courant, il les traça dans l'air. Leurs contours apparurent fugitivement dans l'air glacé de l'hiver puis disparurent. Une douce chaleur se répandit dans le corps du mage, et un halo enflammé apparut autour de son poing.
Au moins, il pourrait se défendre. Il haletait déjà lorsqu'il les entendit. Pas d'erreur possible. Le cliquetis des armures lourdes et des épées était assourdissant dans le silence hivernal dans lequel était plongée Solanéa. Rirjk s'arrêta et s'adossa à un arbre. Ils remontaient le sentier en colonne. Il les compta mentalement.
Dix. Vingt. Trente. Trente sept. Beaucoup trop. Il serra les dents et commença à les suivre, sans trop savoir pourquoi. Après tout, que pouvait-il faire?


Eratius marchait du pas sûr et arrogant du conquérant parcourant son nouveau territoire. Solanéa était un succès complet. Ils avaient mis la main sur une trentaine de mages, et ils s'étaient réchauffés grâce aux feux des bûchés. Il n'y avait eu qu'un seul épisode tragique, un magicien plus leste que les autres qui avait réussi à lancer une boule de feu sur l'infortuné Roderik, avant de se jeter du haut de la falaise. Eratius ne s'en était pas formalisé. Les martyrs servaient juste sa cause, celle de son Seigneur. A la tête de ses hommes, il avait remonté Solanéa, allant de village en village, traquant le jeteur de sort comme un chien de chasse.      
 A présent ils se dirigeaient vers la demeure du dernier représentant de cette race honnie sur l'île. Un certain Djirk, comme l'avaient appelé les habitants de... Eratius ne se souvenait plus du nom. Sûrement un de ces noms stupides que ces bouseux affectionnaient tant. Griffe du Loup? Peu importait. Dans quelques instants, un autre de ces démons allait se balancer au bout du corde, tandis que lui se délecterait du spectacle.
Ils finirent enfin par sortir de la forêt. Une petite masure se dressait devant eux. Un petit vieux était assis sur le pas de la porte, il les regardait. Eratius s'arrêta à distance respectueuse, et ses compagnons firent de même. Le Commandeur plongea son regard bleu acier dans celui du vieil homme.
-Etes vous Djirk?(Eratius détestait ces noms nordiques imprononçables...)


Henry regarda les guerriers qui émergeaient de la forêt. Les reflets de leurs armures dans la lumière vive de l'hiver lui faisaient mal aux yeux. Mais c'était le cadet de ses soucis. Étrangement, il avait des regrets. Son envie de vivre s'était accentuée avec l'arrivée de sa mort. Son seul réconfort se trouvait dans la joie qu'il éprouvait de savoir que son petit fils vivrait, même sans lui. Il comptait sur Rirjk pour s'occuper de lui.
Henry posa un dernier regard sur sa chère île qui l'avait accueilli depuis bientôt cinquante ans. Il en connaissait chaque recoin par coeur, chaque arbre, chaque rocher. C'était son foyer, et il était triste d'en partir. C'était comme de quitter le logis familial pour se faire sa place dans le monde. Déchirant et douloureux.
Le guerrier en tête de file s'arrêta. Il arborait sur son plastron une croix rouge. Henry sourit. Le Commandeur en personne. C'était trop d'honneur.
-Etes vous Djirk?, demanda-t-il.
Henry sourit de nouveau. Tout se passait comme il l'avait prévu. Les villageois avaient fait ce qu'il leur avait demandé. Braves gens.
-Oui, c'est bien moi.
-Savez-vous pourquoi nous sommes là?
Henry se leva, dignement. La scène avait quelque chose de bizarre. On aurait dit une mise en scène où chaque parole aurait été apprise par coeur. Une mascarade...
-Oui, je le sais.
Le Commandeur sourit, et ses yeux bleus brillèrent d'une lueur de fanatisme dément lorsqu'il dégaina son immense épée. Ces yeux là, Henry les avait déjà vu. Mais pas chez cet homme...


Samyël leva lentement son bras pour prendre une flèche dans son carquois. Un épais tapis de neige recouvrait le sol et les arbres, nappant le paysage d'un blanc immaculé.
Les premières neiges étaient tombées environ un mois plutôt. La température avait chuté assez rapidement. C'était la période de l'année que Samyël préférait, car c'était la plus magique. Voir toute son île couverte de neige, et le silence qui y régnait... D'autant plus qu'il n'était pas du genre frileux. Alors le froid ne le dérangeait pas.
Cela faisait quelque jour qu'un immense bateau avait accosté à Gontarion. Cela avait provoqué pas mal de remous sur l'île, il y avait longtemps qu'on n'avait plus vu un navire plus important qu'un vingt cinq rames. Depuis lors, assez régulièrement, Samyël avait aperçu des feux de joie dans les villages en contrebas. Bizarrement, ce n'était jamais au même endroit, mais toujours dans un des villages un peu plus en hauteur que le précédent. Sans trop savoir ce que c'était (sûrement une coutume dont il n'avait jamais entendu parler), il redoutait le moment où ça se produirait à la Dent. C'était un malaise assez similaire à celui qui enveloppait le Continent, il ne se l'expliquait pas.
Un nuage de buée s'échappa de ses lèvres lors qu'il expira pour reprendre son souffle. Le sanglier se trouvait là, juste devant lui, à quelques mètres. Samyël le pistait depuis l'aube. En un mois, il avait fait quelques progrès au tir à l'arc. Mais c'était son premier gros gibier. Il n'aimait pas tuer sans raison alors il s'entraînait sur la cible qu'il avait construite.  Il s'était habitué au poids de l'arc, et à la façon dont il fallait tendre la corde pour avoir un tir précis. Cependant, aux vues de son jeune âge et de la taille de l'instrument, ces "réglages" n'étaient que temporaires.
Il avait également réellement commencé son initiation à la magie. Même si pour le moment il était déçu car ce n'était pas ce à quoi il s'attendait. Il n'avait toujours pas appris la moindre petite rune, la moindre petite formule. Il ne faisait que passer ses journées assis sur un rocher devant la mer, les jambes croisée, les mains sur les genoux, paumes vers le haut, à essayer de vider son esprit de toutes pensées, faire abstraction du monde. Rirjk avait appelé cela la Position du Penseur, et quand le jeune garçon se plaignait de ne rien faire, il lui disait qu'un magicien se doit d'être maître de son esprit, car la moindre seconde d'inattention pouvait lui être fatale...
Samyël en était exaspéré, car cela faisait bientôt quatre mois qu'il avait sois disant commencé à étudier mais son maître ne lui faisait faire que des exercices bizarres dont il ne voyait pas l'intérêt...
Cependant, il se rattrapait sur le tir à l'arc, car, le temps passant, il avait appris à aimer sa pratique. Lorsqu'il avait demandé à Rirjk à quoi cela lui servirait en tant que mage, son maître lui avait répondu que cela développait son équilibre et sa concentration.
Ce qu'il allait vérifier ce jour là.
Sa proie ne semblait pas avoir remarqué sa présence, et le sanglier continuait de gratter la terre à la recherche de quelque champignon qu'il aurait pu dévorer. Samyël n'avait qu'une crainte: que ses flèches ne parviennent pas à se ficher dans la chaire. Il n'avait pas encore la force de tendre l'arc au maximum et donc la puissance du tir en souffrait. Mais comme disait souvent son grand père, qui ne tente rien n'a rien.
Si il parvenait à abattre l'animal, Henry avait dit qu'ils le porteraient jusqu'au Vallon Brumeux pour que Lex découpe sa viande et confectionne des bottes pour Samyël avec son cuir. De belles bottes à boucles comme on en portait sur le Continent.
L'apprenti magicien releva doucement son arc, et encocha sa flèche, calmement. La moindre précipitation pouvait le trahir. Il banda la corde, doucement. Il positionna la flèche à hauteur de son oeil.
Soudain, le sanglier releva la tête, et agita ses oreilles comme si il avait entendu un bruit. Samyël se stoppa. Etait-il repéré? Il ne bougea pas, une goutte de sueur coula sur sa joue, malgré le froid. L'animal grogna puis sans prévenir s'élança à travers bois en mugissant. Il avait peur, c'était évident. Mais pas de Samyël, sinon il l'aurait chargé. Dans ce cas, qu'est-ce qui...
C'est alors que Samyël entendit. C'était un son comme il n'en avait jamais entendu, on aurait dit le fracas d'un millier de rochers s'écrasant du haut de la falaise. Et ça provenait de la direction de la Dent... Le jeune garçon eu alors un mauvais pressentiment, qui lui noua les entrailles. Il rangea sa flèche et s'élança en direction de son village. Il ne fit pas attention aux innombrables branches qui l'égratignèrent au passage, toute son attention étant focalisée sur ce qui se passait là-bas.
Il bondit au dessus du ruisseau qui s'était formé avec la neige et doubla l'allure. L'orée de la forêt était toute proche, et juste au delà se trouvait leur foyer. Encore un petit peu et...
Il se stoppa net. Il lâcha son arc sans même s'en rendre compte. Il n'arrivait pas à comprendre ce qu'il avait sous les yeux. Inconsciemment, des larmes lui coulèrent sur les joues.
Un énorme et profond sillon avait été creusé dans la terre. Il partait de sa maison et s'arrêtait aux premiers arbres, qui avaient été complètement déracinés et calcinés. C'était comme si quelque chose de lourd avait été traîné. Mais ça n'avait pas de sens, qu'est-ce que cela signifiait?
Samyël se précipita vers la masure en appelant son grand père. Une partie du mur avait été défoncée, et le mobilier était renversé sur le sol, comme si une lutte avait eu lieu. Au travers de ses larmes il remarqua des traces de sang par endroit, encore fraîches. Mais pas de traces d'Henry.
Il retourna dehors et éclata en sanglot tout en tombant à genoux. Qu'est-ce qu'il se passait. Rêvait-il? Non, tout cela était bien trop réel. Qu'est-ce qui avait bien pu provoqué un tel carnage?
Il releva les yeux et remarqua alors d'autres traces d'hémoglobine sur la neige. Elles fumaient encore. On pouvait également s'apercevoir qu'on avait tiré quelqu'un sur le sol, et que les traces continuaient sur le sentier qui menait à la Dent.
Samyël se remit debout et s'engagea sur le chemin, les jambes moites. Il marcha aussi vite qu'il pu et arriva finalement aux abords du village. En chemin il rencontra quelques personnes, et lorsqu'il les appela pour leur demander des renseignements, ils tournèrent la tête, ou enfoncèrent un peu plus leurs chapeaux sur leurs têtes, mais nul ne répondit. Cela ne fit qu'accentuer le malaise qui rongeait le coeur du jeune garçon. Il passa devant quelques chaumières, mais les portes étaient closes tout comme les fenêtres. Une sale ambiance régnait sur le village. Seuls les corbeaux croassaient joyeusement dans le ciel. Il arriva aux abords de ce qui servait de place, à vrai dire ce n'était que l'endroit où se situait le puit et le vieux chêne qui était mort des années plutôt lors d'un hiver particulièrement rigoureux.
C'est là que le Destin vint frapper Samyël sauvagement.


Rirjk vomit. Violemment. Le goût de la bile et celui plus métallique du sang emplirent sa bouche. Il tremblait, mais pas de froid.
Quelle sauvagerie. Quelle cruauté.
Il avait vu toute la scène, et ce malgré lui. Il aurait voulu partir, courir loin de ces horreurs, se jeter du haut de la falaise et continuer à la nage jusqu'à ce que ses forces s'épuisent et qu'il coule profondément vers un long et doux repos. Mais il était resté planté là, tétanisé, captivé par ce spectacle morbide qui s'était déroulé sur la place. Il aurait aimé fermer les yeux et boucher ses oreilles pour se soustraire à cela. Mais il n'en avait rien fait. Il n'avait rien pu faire. Il s'en voulait. Fortement.
Rirjk avait entendu la conversation qu'il avait eu avec ces hommes. C'était pour lui, Rirjk, qu'ils étaient venus, pour lui! Cette idée le rendait malade et il vomit de plus belle. Le pauvre homme avait à peine eu le temps de lancer sa boule de feu avant d'être submergé...
Samyël...
Lui pardonnerait-il un jour?


Une forme sombre se balançait doucement dans le vent, accrochée à l'arbre grâce à une corde. Samyël porta une main à sa bouche, et ses pupilles se dilatèrent. Il se sentait nauséeux, et ses jambes tremblaient toutes seules. C'était une blague, oui, une blague, de très mauvais goût, mais une blague. Hein, grand père? Après tout, pourquoi se serait-il accroché à cet arbre sinon?
Samyël parvint à sourire mais il ne se convainquait pas lui même. Il fit quelques pas et dérapa sur quelque chose de glissant. Son visage heurta le sol avec rudesse. Il se mit à quatre pattes. Pourquoi y avait-il du sang par terre? Il y en avait tant...
Il releva la tête croisa le regard aveugle de son grand père. On lui avait arraché les yeux. Son corps était zébré de coupures en tout genre. Il lui manquait trois doigts à la main gauche. Et il continuait à se balancer au bout de sa corde. Un corbeau se posa sur son épaule, et commença à picorer sa chaire.
-Va-t-en, souffla Samyël. Va-t-en. Va-t-en!
Il avait crié. Il se releva et agrippa la jambe d'Henry. Il tenta de le soulever pour le décrocher mais il était trop petit, trop faible. Au travers du rideau que formaient ses larmes, il remarqua que les habitants de la Dent s'étaient rassemblés et le regardaient, l'air sombre.
-Mais qu'est-ce que vous foutez? Pourquoi vous ne m'aidez pas? Pourquoi vous ne le retirez pas? Si ça continue il va mourir! Il va mourir! Il va... Il va...
A quoi bon? C'était trop tard.
Son grand père était mort.
Cette réalité le frappa aussi durement qu'un coup d'épée. Il glissa sur le sol et s'effondra en pleur.


Et sur Solanéa, on entendit cette peine à travers toute la campagne. Ce n'était pas un homme qui était mort ce jour là. C'était une ère.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Nehëmah le dimanche 20 mai 2007, 11:52:27
Cool un adepte de plus :niak:
Pour l'évolution de Samyël, je pense d'ailleurs que ce chapitre risque d'être un sacré virage : va-t-il diriger sa haine contre Rirjk ? Contre Eratius ? Contre lui-même ? Va-t-il développer des complexes de culpabilité, d'infériorité ? Fort à parier que cela risque d'être intéressant !
Pour Falenz, je lirai plus tard, donc, si ça ne te dérange pas :niak:

Bon, pour ce chapitre 7 plus en détail, on a un aperçu de la bonté du grand-père qui meurt en homme parfait, qui n'hésite pas à faire le sacrifice ultime pour protéger son entourage. Peut-être découvrirons-nous un jour son passé qui avait l'air plutôt chargé ?
Rirjk, lui, a certainement dû lancer sa boule de feu et faire un peu de ménage, j'espère qu'il n'a aps tué Eratius si tôt, ce serait dommage :niak:
En parlant d'Eratius, j'aime bien les brefs passages de discours indirect libre où il fait la romaque sur les prénoms "stupides que ces bouseux affectionnaient tant" ou ben sur la "Griffe du Loup". Je crois que cela prouve hautement le peu d'intérêt qu'il porte aux autres et à la nature, la magie. Une espèce d'égocentrique bien lobotomisé à la religion apparemment. Ca me plaît beaucoup ce genre de personanges j'espère que l'on découvrira plus de subtilités par la suite histoire de nuancer un peu le personnage :niak:
Bon, ben voilà, je ne crosi pas avoir grand chose d'autre à dire, si ce n'est que l'histoire semble partir pour commencer enfin ! Allez, maintenant au boulot, je veux beaucoup de chapitres rapidement car ça a tendance à m'accrocher assez bien :niak:
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Prince du Crépuscule le dimanche 20 mai 2007, 18:28:00
Hey, Nehëmah pousse-toi, c'est moi le commentateur officiel ici! :p
Non, c'est bien que tu lises ce que fait Great Magician Samyël, il le mérite entièrement! Et je suis le premier à le dire! ^^
Sinon, moi je crois que c'est Henry qui a lancé la boule de feu sur Eratius et sa bande de fanatiques dégénérés. Car il me semble (oui, c'est ça) que c'est Rirjk qui pense "le pauvre homme avait à peine eu le temps de lancer sa boule de feu avant d'être submergé.", après l'exécution.

Alors, à moi de commenter! Ouais! :) Désolé de pas l'avoir fait plus tôt, GMS (vive les pseudos longs, pas vrai? XD), je le fais tous les deux chapitres environ. Enfin bref, je tiens à préciser que j'ai lu le premier chapitre de l'histoire de cher Falenz, il m'a beaucoup plu, ça m'a l'air d'être très intéressant! Seulement, je sais pas pourquoi, mais je n'ai pas envie de connaître sa vie tout de suite, j'ai envie qu'il reste mystérieux ce personnage, et qu'il s'inserre juste dans le Cycle du Rouge, ne le savoir qu'après son arrivée... Aussi, je suis ravi de t'avoir donné l'envie, tu m'en vois heureux, d'autant que j'en profite aussi. Sinon, ce commentaire sera moins long hein, je vais pas me forcer, ça dépend de l'inspiration! ^^

Deux mots pour commencer: plaisant, ténèbres. Effectivement, j'ai beaucoup apprécié cette suite, sombre, Eratius se dévoilant toujours un peu plus dans sa folie obsetionnelle, Henry qui meurt tragiquement en voulant sauver héroïquement son petit-fils et sûrement la destinée du monde par un noble et douloureux sacrifice, c'est magnifique! Ce passage a tout de magique, d'autant qu'il fait "vrai", comme le soulignait Nehëmah avec le discours indirect libre du Commandeur, presque cynique, la douleur de Samyël, son refus de croire à la terrible réalité, avant de finir en larmes sur le pavé, des détails sinistres, des perceptions intenses... Accrocheur, la suite promet d'être intéressante, d'autant que Samyël a pris un sacré choc... Comment va-t-il évoluer, alors que les choses s'accélèrent, que le péril s'appesantit sur ce monde, tel l'orage déployant ses lourds nuages obscurs? C'est ce qu'on verra, je te fais confiance Great Magician! Et ne te presse pas, moi j'aime attendre! ;)
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Nehëmah le dimanche 20 mai 2007, 19:50:59
Ah oui, en effet, le passage s'était révélé un peu obscur je pense que la qulification "vieil" au lieu de "pauvre" aurait mieux qualifier le grand-père et éviter les confusions hypothétiques (car pauvre, bon, Rirjk n'est pas plus heureux que le grand-père... oui, bon, ensuite on dira il a toujours sa vie pour espérer, meuh bon :niak: ). "Une douce chaleur se répandit dans le corps du mage, et un halo enflammé apparut autour de son poing. " -> Cette phrase, par ailleurs, vient encore plus foutre le bordel, car pour moi il était logique qu'il fasse quelque chose avec xD Bah oui, parce que du coup ça a servi à quoi, ça ? :niak: Une simple mesure de protection ?

Bref, maintenant réponse directe à Prince du Crépuscule -> va falloir faire un peu de place :love:
Et n'écoute pas ce bonhomme, Samyël, dépêche-toi d'écrire tout en faisant en sorte que cela reste qualitativement satisfaisant, comme tu nous y as habitué :niak:
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le dimanche 20 mai 2007, 20:01:28
LoL mille pardons pour les confusions. Pour mettre tout ça au claire, c'est PdC qui a raison, c'est bien Henry qui balance la boule de feu (de mon point de vue de créateur de ce monde, c'est logique vu que si Rirjk s'y était mêlé, il ne serait plus en ce bas monde ^^).

Et Nehëmah tu as juste aussi, Rirjk ne prépare son sort qu'au cas ou.^^

M'enfin, merci à vous deux pour vos commentaires, quoi qu'il en soit. J'essairais de pas vous decevoir à l'avenir, tout en restant sur un rythme de parution d'à peu près d'un chapitre par semaine nyark nyark (comme pour les épisodes de Bleach d'ailleur : p) :niak:


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Tarquin le Tambourin.



   La lune blafarde et effacée ne parvenait pas à percer la lourde noirceur qui sourdait des ruelles labyrinthiques du Faubourg d’Hyrule tel le pus d’une plaie à vif. Le vent hivernal mordant s’engouffrait le long des pavés défoncés, à l’image d’un dieu vengeur, fauchant sur son passage les pauvres bougres jetés dehors par leurs usuriers. Les temps étaient durs. La guerre ravageait Hyrule. Les clans du Sud avait rallié le Faux Héros, suite à sa disgrâce. Cette même disgrâce qui avait soulevé les nobles et conduit le roi à sa perte. Le régent Agahnim avait beau gouverner du mieux qu’il le pouvait en attendant que la jeune princesse soit en âge de reprendre les rennes, tout allait de mal en pis. Cependant une accalmie relative, due à l’hiver, avait permis enfin au Bourg et au Château d’arborer le noir du deuil royal. Et dans le faubourg, les bandes de pilleurs, que plus rien n’arrêtait, s’étaient dispersées après de longs jours de violence et de rapines. La ville semblait endormie, pour la première fois depuis ce qui semblait à ses habitants être des années.
   
Dans une impasse un peu plus large que les autres, une troupe hétéroclite d’hommes et de femmes malingres et en haillons s’était réunie autour d’un feu de fortune, des armes misérables à portée de main. Une des femmes touillait dans une marmite cabossée en cuivre terne ce qui semblait être une soupe de viande de rat. Ils ne disaient rien ; se contentaient de se serrer, grelottant, dans l’espoir de se réchauffer un peu. Un hurlement de femme, quelque part dans le noir du labyrinthe, les fit sursauter. Il n’était guère bon de se retrouver seul dans le faubourg…
   
Pourtant, c’est un homme seul qui soudain surgit à l’orée du cercle lumineux. Seul, et vieux. Le vieillard chétif, dont la capuche rapiécée ne laissait voir qu’une longue barbe grise et miteuse, s’approcha en claudiquant, à peine supporté par sa canne en métal toute rouillée.
   -Messeigneurs, aurez-vous la miséricorde d’aider un vieil-homme?, supplia-t-il.
   Sa voix était rauque, et il tremblait de froid. D’abord réticent, le groupe finit par l’accepter, et il porta ses mains au devant des flammes avec gratitude. Le mutisme retomba rapidement sur la bande. Les miséreux observaient le vieil homme. Ils se demandaient comment il pouvait être encore en vie et surtout en possession de sa canne. Même s’il elle n’avait guère de valeur, elle faisait un bon gourdin, et par les temps qui couraient, une bonne arme pouvait faire toute la différence entre un corps chaud et un corps froid.
   
La soupe fut enfin prête. Des écuelles et des bols fendillés, cabossés, se tendirent avec avidité. Certains n’avaient pas mangé depuis plusieurs jours, et leurs yeux rendus exorbités par la maigreur brillaient de façon malsaine sous la lumière du feu. Lorsqu’ils furent tous servis, la cuisinière s’adressa au vieil homme d’une voix éraillée.
   -Yen reste un peu, papi. T’en veux?
   -Ce serait bien bon de votre part, madame, répondit-il d’une voix à peine plus forte qu’un murmure.
   Les autres ricanèrent.
   -« Madame » . L’est bien bonne c’le-là. Si tu veux bequeter, faut donner qu’qu’chose.   
   -J’ai peur de n’avoir pas grand-chose de valeur. Ma pauvre canne, peut être…
   -Même le pire des prêteurs voudrait pas d’cet’merde là.
   -Je peux peut-être vous divertir d’une histoire pendant que vous vous régalez. Vous jugerez si mes mots valent ma pitance.
   -Bah, des histoires. Qu’est-ce que ça peut nous foutre des histoires? Shangath connaissait plein d’histoires. Il est mort la semaine dernière.
   -Connaissait-il l’histoire de Tarquin le Tambourin?, demanda le vieux.
   Ses nouveaux compagnons fouillèrent un instant dans leur mémoire, mais finirent pas répondre par la négative.
   -C’est une vieille histoire. Je suis sûr que vous ne l’avez jamais entendue.
   -Bon, ça m’va, fit la femme à la marmite. Tu causes et si ça nous plaît tu peux bouffer. Reste un morceau de viande.
   -Vous êtes bien bonne madame.
   Une dizaine de visages émaciés, crasseux et creux se tournèrent vers la capuche barbue.
   -C’était il y a bien longtemps, commença le vieillard.
   -Combien?, fut-il tout de suite interrompu par un jeunot balafré.
   -Longtemps. Des dizaines d’années.
   -C’est quoi une dizaine?
   
-C’est dix. Comme les doigts de tes deux mains… Non, comme les doigts des deux mains de ton voisin. En ces temps là, Hyrule était en paix. La guerre avait cessé des années auparavant, les clans avaient juré allégeance à la couronne et les petites gens prospéraient à l’ombre des nobles, qui étaient alors bons et justes. Le Château, qui était sublime et dont les tours intactes rivalisaient d’extravagance, était un lieu de fête permanente. Les gentilshommes faisaient galamment la cour aux nobles dames pendant que les chevaliers s’adonnaient à la joute pour les bonnes grâces du roi et de sa jeune fille. De grands marchés s’étendaient sur toute la place du Bourg, où se vendaient tout ce qu’Hyrule recèle de trésors et de jolies choses. La nourriture abondait et chacun avait un toit sous lequel s’abriter.
   « Le Roi avait une troupe de saltimbanques qui régalaient sa royale suite de bouffonneries et de spectacles. Parmi eux se trouvait un jeune garçon, presque un homme fait, qu’on appelait Tarquin. Tarquin le Tambourin, parce qu’il jouait fort bien de cet instrument. C’était un garçon fort habile, tout de cabrioles, de bons mots et de vivacité. C’était un jongleur compétent, un bon lanceur de couteau et un grand cracheur de feu. Et en plus de cela, il avait cette beauté juvénile propre aux enfants, qui faisait de lui le courtisan le plus apprécié.
   
« Mais le plus grand plaisir de Tarquin était assurément de rôder dans les grands couloirs, de longer les murs dans l’ombre afin de surprendre des conversations, des ragots, des rumeurs et découvrir tous les secrets des gens. Sa passion était candide, dirigée par nulle vilénie. C’était une curiosité pure et innocente ; il ne révélait rien de ce qu’il voyait ou entendait, et s’en amusait seul.
   « Cependant, un jour, son passe-temps lui coûta cher. Flânant comme à son habitude dans les grands corridors, il approcha des appartements de la chef du clan des Faces-Rouges qui était alors en visite de courtoisie auprès de sa Majesté. Le jeune garçon voulut alors découvrir ses secrets à elle aussi. Usant de ses dons, il se faufila à l’insu des gardes dans l’antichambre et s’approcha de la lourde porte. Il avait ouï dire que la Chef était partie à la chasse avec le roi, aussi, ne se doutant de rien, Tarquin ouvrit grand la porte. Il se pétrifia quand il aperçut sur le grand lit couvert de soie le roi en personne partageant quelques étreintes passionnées avec la chef. »
   
Le vieil homme fit soudain silence. Comme il n’avait pas l’air de vouloir ajouter quelque chose d’autre, son public se fâcha.
   -Et alors? Après, qu’est-ce qui s’passe?
   -Tu peux pas t’arrêter, maint’nant qu’t’as commencé!
   Le vieillard toussa dans sa manche, une toux grasse et vilaine.
   -Vous comprenez, mes bons sires, dit-il d’une voix faible et chevrotante, j’ai la gorge si sèche, et le ventre si creux, et je suis si vieux… Je n’ai guère la force de parler.
   Les miséreux se renfrognèrent, se mirent à l’invectiver mais il resta stoïque. Une dispute à voix basse éclata au sein du groupe, qui eut pour résultat qu’on lui tendit de mauvaise grâce un bol de liquide brunâtre au dessus duquel surnageait un maigre morceau de viande filandreuse. Le vieil homme le prit avec reconnaissance, courbant la tête en remerciement, et tandis qu’il commençait à manger avec appétit, il reprit le cours de son récit.
   
-Bien sûr, le roi et la Chef aperçurent Tarquin aussitôt. Sa Majesté bondit hors du lit, parée de sa royale nudité, et s’approcha du malheureux en trois grandes enjambées furieuses. Tarquin, tout pétrifié de terreur qu’il était, n’eut pas la présence d’esprit de s’esquiver promptement. Le roi l’empoigna à l’oreille, et lui cria si fort dessus que les gardes débarquèrent dans la chambre, les armes au clair. Il manda qu’on amène le malandrin dans la cour publique pour qu’il y reçoive son juste châtiment.
   « Ainsi Tarquin fut-il traîné, sanglotant, vers les vastes étendues de pelouse verdoyante de la cour, là où se disputaient les joutes et les concours de chant. On l’y laissa sous bonne garde pendant une journée entière, sans manger ni dormir, si bien que sa peur se changea en angoisse et son angoisse en panique alors qu’il voyait un attroupement toujours plus grand se rassembler tout autour de lui, sur les bancs ou à même le sol. Les gentes dames et les gentilshommes parlaient à voix basses en le regardant, et ils riaient ou secouaient la tête d’un air réprobateur. Le pauvre Tarquin, tout candide qu’il était, ne pouvait bien sûr pas imaginer que ce dont il avait été témoin aurait pu être la raison d’une nouvelle guerre. Le roi, le fils même des Déesses par la grâce du Triangle d’Or, trompait son épouse la reine avec une de ces sanguinaires Chef du Sud, alors même que la Chef était déjà promise à un autre.
   
« Enfin parut le roi. Le rouge de la colère maculait toujours sa face ronde, et sa lourde cape brochée de rouge et d’or ondulait derrière lui comme la queue d’un serpent furieux. Il arborait à son côté une longue rapière d’argent, qui brillait, pour Tarquin, assez sinistrement dans les lumières timides de l’aube. L’assemblée fit silence, alors que deux gardes relevaient le jeune homme sur ses genoux. Le roi se tint devant lui, les yeux fous de rage, et il lui tint ces mots. « Que voici un infâme ingrat! Regardez le, avec sa face candide et ses mains promptes, sa langue habile à la flagornerie et son esprit mesquin. Il se fait aimer de vous, il vous dit mille choses des rêves et des chansons. Vous lui donnez votre confiance, vous le nourrissez et l’hébergez! Et comment vous remercie-t-il? Il rôde dans vos couloirs, chaparde mille bagatelles et, infamie répugnante par-dessous toute, vous espionne, dans votre propre maison! »
   « Le roi criait à présent, et un murmure sourd, bas et outré parcourut la noble assemblée alors qu’elle dévisageait le pauvre Tarquin. Celui-ci était abasourdi d’incompréhension devant ces chefs d’accusation faux, inventés! Il secouait la tête en signe de déni, il voulut trouver un soutien parmi ces gens qu’il amusait tous les jours, qui l’aimaient et lui offraient mille présents, mais pas un -pas un!- ne lui fit grâce d’un peu de compassion. « As-tu quelque chose à dire pour ta défense? » fit le roi. Eperdu, Tarquin bredouilla quelque chose. « Mais, votre Majesté, je… Je ne voulais pas vous voir avec la dame Face-Rouge, je vous jure je… » Le roi le fit taire d’une gifle puissante. « Regardez le! Si prompte au mensonge et à la calomnie pour s’en tirer. Mais je t’ai cerné, et tu as bien de la chance, les Déesses m’en soient témoin, que je sois assez clément pour ne pas te faire arracher la langue. »
   
« Mais au lieu de lui arracher la langue, le roi lui arracha, de sa main propre, l’œil gauche, pour expiation de ses pêchés, trahison à la couronne et abus de confiance. Ainsi, disait-il, cela le ferait-il réfléchir avant de jeter un coup d’œil alentours. Les gardes maintinrent Tarquin droit, alors que son sang, d’un écarlate morbide, jaillissait en cascade de son orbite ravagée, maculant sa tunique, son visage, et la pelouse tout autour de lui prit une teinte sombre et horrible. Tarquin pleura et hurla de douleur et d’incompréhension, mais de son dernier œil nulle larme salée, mais des larmes sanglantes. On fit dire que cela était un signe des Déesses elles-mêmes, et que le roi avait leur bénédiction.
   « Si c’est là la justice des Déesses, se dit Tarquin alors que la nuit étendait ses ombres sur lui, et le trouvait seul dans la cour désertée, alors c’est qu’elles sont bien cruelles. L’âme de Tarquin, son cœur et son esprit, se couvrirent des ombres comme d’un bandage pour panser leurs plaies. La douceur candide fit place à une noirceur maligne. Pas une dame, pas un chevalier, pas un valet ou une souillon ne vint à Tarquin pour l’aider ou lui apporter quelque réconfort. Au matin suivant, les quelques promeneurs virent qu’il n’avait pas bougé, et trouvant le spectacle fort peu approprié, firent mander des gardes qui emmenèrent Tarquin. On le fit paraître devant le roi et sa cour, et parmi ces gens se tenaient les parents mêmes de Tarquin, les saltimbanques du roi. Même eux le regardaient avec mépris et dégoût. Le roi avait fait monté l’œil arraché en pendentif, et afin d’amuser ses gens, ordonna qu’on en pare Tarquin. Le jeune homme se laissa faire ; à dire vrai il était immobile, ne disait mot et ne bronchait de rien.
   
   « Comme il se refusait à répondre aux insultes, on décida qu’il n’était plus de bonne compagnie, et on l’envoya aux cachots. Cependant, le lendemain, le surveillant découvrit sa cellule vide, la porte toujours fermée et les barreaux bien en place aux fenêtres. L’incident fit grand bruit quelques jours, mais tout le monde trouva vite de bon ton d’oublier Tarquin, à jamais. »
   Avec un grand bruit de succion, le vieillard fit un sort aux dernières gouttes de soupe. A présent largement captivé, son public dardait sur lui des regards avides, désireux de connaître la suite.
   -Et après?
   -Après? Et bien, plus personne ne revit jamais le pauvre Tarquin.
   -Ca peut pas s’finir com’ça! C’est nulle comme fin. Qu’est-ce qu’il devient?
   -Il s’est échappé de sa prison? Mais personne n’a jamais réussi.
   Un concert de question assaillit le vieil homme qui ne dit rien pendant quelques instants. Finalement, il leva les mains pour réclamer le silence.
   -Et bien, il m’est arrivé d’entendre la suite de cette histoire. Mais celui qui m’en fit récit était passablement saoul, et son propos trop extraordinaire pour qu’on y accorde quelque crédit.
   -On s’en fout de ça! Raconte!
   Le vieillard s’emmitoufla un peu plus dans son manteau car une brise plus mordante que les autres se levait.
   -Tarquin s’était bel et bien enfui de sa cellule. Comment? Personne ne le sut jamais. Il se baigna tout entier dans les douves du château, afin de laver son corps du sang qui l’incrustait. Mais il eut beau se frotter, se frotter tant qu’il le put, une goutte de sang resta sur sa joue droite, sous son dernier œil, si bien qu’on eut dit qu’il pleurait éternellement une unique larme de sang, comme un rappel à son malheur.
   
   « Tarquin voulut éprouver son habileté, mais la perte de la moitié de sa vision l’avait rendu gauche dans la manipulation des couteaux et des balles, lui avait ravi son équilibre dans il était autrefois si fier et dont tout le monde le vantait tant. Cela plus que tout le rendit amer. Il avait tout perdu, son œil, sa vie, sa famille, son habileté. Il n’était plus Tarquin le Tambourin, mais Tarquin-le-moins-que-rien. Il continua tant bien que mal à vivre au château. Il se cachait dans les recoins, découvrait des passages dérobés, chapardait en cuisine ce dont il avait besoin pour vivre. Mais chaque nuit lorsqu’il s’endormait, il ne pouvait s’empêcher de songer à ce que le monde lui avait pris, au tort qu’on lui avait fait. Son amertume grandit, et parallèlement grandirent les ombres de son âme.
   « Au fil des ans, il devint lui-même une ombre. S’il désirait n’être vu de personne, personne ne le voyait. Il grimpait aux murs aussi prestement qu’il se dissimulait à l’ombre d’un porche, se mouvait aussi vite et silencieusement qu’un chat, tant et si bien qu’une rumeur finit par éclore selon laquelle le château était hanté par un esprit revenu d’entre les morts. Tarquin, devenu homme, découvrit bien des secrets, bien des vérités sur tous et toutes. Il ne supportait plus les mensonges, ces mêmes mensonges qui lui avait coûté son œil et sa vie, alors il mit un point d’honneur à découvrir la vérité. Toutes les vérités. Mais toutes les vérités ne sont pas bonnes à entendre, et alors qu’il se nourrissait des secrets éventés, tel un monstre noir en gestation dans les entrailles du donjon, alors qu’il faisait la lumière sur les accidents qui étaient des meurtres, sur les suicides qui étaient des assassinats, sur les mensonges qui faisaient souffrir des innocents, alors la folie vint le trouver et s’empara de lui. La vie de Tarquin s’étira tel la toile d’une araignée au travers d’un inextricable entrelacs de mensonges et de vérités, de faux semblants et d’illusions, de lumière et d’ombre.    
   
   « Un jour qu’il errait du côté des appartements royaux, il fit une découverte qui le bouleversa. Il surprit une conversation entre le roi et sa femme la reine. Il pensait tout connaître des secrets de la couronne, cependant il en ignorait un, mais qui, à ses yeux, était le plus important. La reine demanda à son époux, d’un ton qui suggérait que ce n’était pas la première fois, au contraire, pourquoi il avait laissé la vie sauve au « pauvre saltimbanque borgne ». Alors le roi, que l’âge avait rendu âpre et colérique, cédant à son humeur, lui cria qu’il ne pouvait, selon les lois les plus sacrées, qu’il ne pouvait prendre la vie d’un de ses fils, aussi bâtard fusse-t-il.
   « Ecœuré, abasourdi, Tarquin prit la fuite, et resta plusieurs jours dans le noir, à penser encore et encore à ce qu’il avait entendu, de la bouche même du roi! S’il n’y crut tout d’abords pas, au fil de sa réflexion il en vint à accepter les choses, car il ne pouvait défaire la vérité. Avec amertume, il songea que sa soif dévorante l’avait, une fois encore, rendu malheureux. Mais Tarquin n’était plus le petit garçon apeuré qui avait surpris le roi en pleine infidélité. Il était à présent un homme, un homme de l’ombre que rien n’y personne ne pouvait saisir ou arrêter. Il décida que le roi son père devait payer pour ses crimes, pour tous ses crimes, et seul l’acier avait à ses yeux assez de valeur pour cela. A la nuit tombée, il se faufila dans la chambre nuptiale. Le couple royal dormait d’un sommeil paisible sur son grand lit à baldaquins et voir un visage si serein chez un homme si abjecte ne donna que plus de courage à Tarquin. Discret comme une ombre, il s’approcha de l’homme endormi et levant haut son couteau fit mine de l’égorger.
   
   « Alors, une vive et douloureuse lumière explosa dans la pièce, aveuglant Tarquin et réveillant le roi. Ce dernier, avisant l’arme que tenait l’homme, poussa un cri et le repoussa. Un fouet d’énergie rouge cingla l’air, venu du néant, et s’enroula autour du poignet de Tarquin. D’un mouvement sec il lui fit lâcher sa lame, et d’un deuxième l’amena au pied du lit, à genoux. Trois silhouettes éthérées, féminines et lumineuses, flottaient à présent dans la chambre, et c’est d’elles que sourdait la lumière. Celle la plus à gauche tenait le fouet. Les silhouettes prirent la parole chacune à leur tour, en commençant par celle au fouet. « Moi, Din, je t’interdis de lever jamais la main sur la famille royale. » « Moi, Farore, pour te punir des crimes capitaux dont tu voulais te rendre responsable, t’ordonne de servir à jamais jusqu’à ta mort la famille royale. » « Moi, Nayru, pour te punir du régicide et du parricide dont tu voulais te rendre coupable, te fais don de cet œil, afin qu’à jamais tu contemples cette vérité dont tu es tellement obsédé. » Alors les Déesses pointèrent à l’unisson un doigt sur l’homme à genoux devant elles, et Tarquin hurla de douleur en se prenant la tête entre les mains. Leur tâche accomplie, les trois Déesses s’en retournèrent aux Cieux.
   « L’Œil de Tarquin était devenu rouge, entièrement rouge, d’un rouge vif terrifiant dont seule la pupille reptilienne noire trahissait le mouvement. Alors, découvrant son visage de ses mains, Tarquin se mit à voir. Où que se porta son regard, il vit les vérités, la vérité, et le monde lui parut alors encore plus sombre qu’il ne l’était déjà. Que parle une personne, et il savait tout de suite qu’elle mentait. Et Tarquin dut se rendre vite à l’évidence : tout le monde mentait. Il n’avait plus besoin de rôder dans les couloirs et les antichambres : il lui suffisait de poser l’œil sur une personne pour la dépouiller aussitôt de ses secrets.
   
   « Ne pouvant se soustraire aux injonctions des Déesses, Tarquin servit la famille royale, mais sans jamais oublier sa haine et sa rancoeur. Ses dons furent grandement appréciés, et il devint le maître espion du roi, ainsi que son plus fidèle protecteur. Tarquin fondit un ordre nouveau qu’il forma à la dissimulation, à la discrétion et à l’assassinat. Tous ses apprentis devaient jurer une éternelle et inaltérable fidélité à la famille royale. Cet ordre prit comme blason un œil rouge surmonté des trois triangles divins et pleurant une unique larme de sang ; il prit comme nom « Sheikah », l’œil qui pleure dans l’ombre. »
   -Bah!, cracha l’un des miséreux. Tout le monde sait bien que les Sheikahs n’existent pas. Sinon, le roi serait encore en vie.
   -Ta gueule Garett! On s’en cogne de tes réflexions politiques. Nous, on veut entendre l’histoire jusqu’au bout.
   Le vieillard attendit que la dispute se calmât, puis reprit.
   
   -Les Sheikahs, et Tarquin plus particulièrement, permirent au royaume de prospérer, en déjouant les complots, en sapant les ressources des Clans et des maisons nobles au profit de la Couronne. Le roi était pleinement satisfait de son serviteur de fils, disant à qui voulait bien l’entendre qu’il avait fait une merveilleuse affaire en laissant la vie sauve à ce petit saltimbanque. Tant et si bien qu’il ne vit pas, comme tous les autres, que Tarquin préparait sa vengeance dans l’ombre, son fief. Tarquin assassinat de ses propres mains plusieurs nobles, plusieurs Chefs de clan, et par son habilité et sa capacité à manipuler la vérité, parvint toujours à faire porter l’accusation sur d’autres, en fournissant des preuves aussi accablantes que fausses. Mais qui aurait remis en doute la parole de Tarquin? Tout le monde savait qu’il voyait la vérité, toute la vérité, et que si Tarquin vous jugeait coupable, c’est que vous l’étiez. Lorsque ses propres apprentis commencèrent à le suspecter, il se débarrassa des plus gênants, mais aucun ne parvint à fournir une seule preuve l’inculpant. Alors ses disciples se détournèrent de lui, se mirent à s’en méfier, et ils l’appelèrent Tarquin le Mesquin, Tarquin le Menteur, Tarquin le Fou. Pour détourner leur attention, il leur donnait des os à ronger, tandis que dans leur dos il déformait la vérité dans ce qu’il rapportait au roi, tant et si bien que lorsque le Héros fédérateur du Sud se présenta au Château, personne ne s’était aperçu de sa cruauté, de sa vilénie, de sa fausseté. Personne, sauf Tarquin. Lui le voyait comme il était, un monstre à visage humain, avide de pouvoir. Mais Tarquin ne dit rien. Tout cela allait servir sa vengeance.
   « Conformément aux prophéties qui l’entouraient, le Héros épousa la princesse. Tarquin s’arrangea pour qu’il goute suffisamment au pouvoir pour en vouloir plus, toujours plus, et ne plus pouvoir s’en passer. Alors Tarquin le Fourbe, Tarquin le Traître, dévoila le vrai visage du Héros au monde, à l’issu d’un Tournoi factice dont il avait soufflé l’idée au roi. Apeuré, écœuré, bouillant de rage, le roi le fit tomber en disgrâce. Mais trop loin était allé le Héros, le Faux-Héros, trop de pouvoir avait-il goûté. Il ne pouvait se résoudre à tout abandonner, aussi partit-il pour le Sud et, usant de son influence, rallia les Clans sous sa bannière en vue d’assiéger la Citadelle d’Hyrule. Pendant ce temps, Tarquin tissa une toile de mensonges et de demi-vérités dans laquelle s’engluèrent les nobles et les chevaliers. Une toile si épaisse que personne n’y résista. Il monta la roi contre les nobles, et les nobles contre le roi, tant et si bien que les premiers se soulevèrent. Le jour fatidique, les portes furent trouvées ouvertes, alors même qu’elles avaient été cadenassées par les Sheikahs. Le roi fut tué par ses nobles, ainsi que la reine son épouse et leur fils le prince. La princesse avait été contrainte de fuir avec son Héros d’époux. Alors vint la question de la succession, et tous revendiquèrent la couronne. Une guerre éclata à l’intérieur même de la salle du trône, sur le corps encore chaud du roi, et la guerre civile se répandit comme un fléau de peste, alors même que les Clans marchaient vers le château.
   
   « Les Sheikahs survivants, se réunissant autour des dépouilles royales, pleurèrent autant qu’ils jurèrent. Ils jurèrent de se venger de Tarquin, de Tarquin le Faux, Tarquin le Sournois, Tarquin le Manipulateur. Mais de Tarquin, nulle trace. Comment retrouver celui-là même qui commandait au mensonge et à la vérité, à l’illusion et à la véracité? Celui qui se faisait des ombres un manteau et de la tromperie une armure? « Il faudrait avoir son œil pour le trouver », dit un jour le plus jeune d’entre eux, de dépit. Alors, le plus vieux et plus sage, eut une idée. Ils cherchèrent durant de longues semaines le fameux pendentif sur lequel se trouvait, comme un trophée macabre, l’œil arraché à Tarquin dans sa jeunesse. Celui-ci l’avait bien caché, et les Sheikahs le trouvèrent au fin fond d’un puits truffé de pièges. Mais conformément à ce qu’ils pensaient, l’œil était devenu rouge, du même rouge que celui de leur ancien mentor. Il fondirent le bijou, et changèrent l’organe en un monocle, le Monocle de la Vérité. Il suffisait de porter cet artefact à son regard pour aussitôt démêler le vrai du faux, le mensonge de la vérité, tout comme Tarquin pouvait le faire. »
   Un relent de peur plana sur l’assemblée au fur et à mesure que l’histoire approchait de son terme. La voix du vieux avait gagné en intensité, sa silhouette semblait s’être redressée et sous les ombres de sa capuche, sa bouche ridée s’agitait avec plus d’emphase.
   
   -Forts de leur nouvelle arme, les Sheikahs parvinrent à détruire l’échafaudage d’illusions que Tarquin avait forgé dans les couloirs du Château. Ils le trouvèrent au plus profond du donjon, dans des lieux que la mémoire des hommes avait oubliés. Il riait seul dans les ombres, tandis que son œil rouge semblait flotter dans les airs. Il y eut une bataille silencieuse, brutale, atroce. Tarquin était le meilleur d’entre eux, et même à plusieurs il leur était supérieur. Alors, ne pouvant le tuer, ils se résolurent à l’emprisonner. Jugeant qu’il était peu prudent de le laisser dans le donjon, les Sheikahs l’emmenèrent à l’Est, dans le grand cimetière de Cocorico, où les morts arpentent les flancs de la chaîne du Péril, une lanterne à la main. Ils le menèrent au plus profond de la crypte royale, et plus loin encore, toujours plus profondément dans les ténèbres et les ombres. Ils construisirent un vaste labyrinthe souterrain, qu’ils remplirent de pièges et d’illusions, à la manière de Tarquin, afin que nul autre qu’eux même puisse venir l’en tirer un jour. Mais ils jurèrent que ce jour n’adviendrait jamais, tant qu’il resterait au moins un Sheikah vivant. Afin de lui rappeler à jamais ce qu’il était et ce qu’il avait fait, ils lui donnèrent un tambourin. Mais il n’en joua jamais comme il en jouait avant. Il se contenta de frapper sourdement et régulièrement sur la cuir tendu. Bong. Bong.  et le son raisonne encore dans les tombes des morts. »
   
   Le vent hurla une plainte, et une terreur glacée s’empara du public. Aucun ne voulait entendre la suite, mais aucun ne parvint à dire quoi que ce soit.
   -Les Sheikahs, leur tache accomplie, firent venir des artisans afin d’ériger, non loin du cimetière, une ville nouvelle qu’ils nommèrent Cocorico également. Ils lui donnèrent comme blason le coq, qui de son chant fait venir le jour et repousse les ombres. Au centre du village, ils creusèrent un puits profond et ténébreux, dans lequel il jetèrent le Monocle de Vérité, seule clé du tombeau de Tarquin le Dément, Tarquin l’Assassin. Et au dessus du puits, ils firent bâtirent un moulin à eau, afin que jamais le puits ne se retrouve sec. Depuis ce jour, les Sheikahs montent la garde à Cocorico, attendant le retour de la famille royale. Et de Tarquin , plus personne ne parla jamais. »
   
   Le vieux acheva son histoire sur un sourire. Le vent nouveau faisait frémir sa capuche dont les ombres restaient impénétrables. Personne ne pipa mot. Le cœur battant, les miséreux attendirent. Quelques uns osèrent porter la main à leur arme.
   -Comment… Comment tu t’appelles, l’ancien?, se risqua l’un d’entre-eux.
   -Moi? On m’appelle Bongo. Bongo Bongo.
   Une rafale de vent souleva la capuche, révélant un visage horrible dont l’œil unique brillait d’un rouge malsain et pleurait une larme. Une larme de sang.
   
   -Mais, dans le temps, on m’appelait Tarquin. Tarquin le Tambourin.

   
 
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Nehëmah le dimanche 20 mai 2007, 20:09:22
Oui, oui, de ce côté-là, après relecture, il n'y a plus aucun doute, en effet, et puis s'il avait lancé ceci, Rirjk ne serait pas dans sa position, j'ai mal lu peut-être tout simplement aussi (ça arrive quoi... je lis, je lis et pouf moment de déconcentration et je loupe quelque chose d'important xD ).
Bon, ensuite si t'arrives à tenir un chapitre par semaine comme l'épisode de Bleach, en espérant que ce soit aussi bien voire mieux, ça me va parfaitement :niak:
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le dimanche 27 mai 2007, 14:40:42
Hop, me revoilà : ) Après un attente plus qu'intolérable, voici venir le chapitre 8, ou le chapitre 1 du Livre deux, comme vous voulez :niak: Un chapitre court, qui sert principalement à faire arriver un nouveau personnage. Cependant, ne vous inquiétez pas, le chapitre 9 est déjà en cours d'écriture et arrivera ce soir (mais ne comptez pas trop là dessus^^) , lundi ou mardi grand maximum^^ Sur ce, bonne lecture^^

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Le Cycle du Rouge
Livre II : Les Prémices du Mal.


Chapitre 8 : Le Roy de Solanéa.



Le valet se dirigea d'un pas vif, quoi que sûr vers la cabine qu'occupait son maître, slalomant habilement entre les matelots, les soldats et les cordages qui jonchaient le pont du navire. Il emprunta le petit escalier qui menait aux pièces inférieures du vaisseau. Il frappa à la porte de ce qui semblait être la cabine du capitaine.
-Qu'y a-t-il?, répondit une voix légèrement agacée de derrière le battant.
-Mon seigneur, nous allons bientôt débarquer.
-Ha, bien. Merci Marco. Je me prépare.
-Sa seigneurie désirera-t-elle quelque chose d'autre?
-Non, ça ira. Tu peux disposer.
Le vieux serviteur dénommé Marco s'inclina face à la porte et repartit avec l'air digne et noble des majordomes d'expérience.
L'occupant de ladite cabine n'était autre que Ferdinand D'Alembord, maître du comté du même nom. Autrement appelé Le Vieux Lyon Assoupi. C'était un homme d'âge, environ la cinquantaine, mais qui gardait une silhouette et un visage fort jeune, au point que les autres seigneurs en venaient à le jalouser. Cependant, il avait un physique quelconque, les yeux bruns et les cheveux noir courts, des traits typiques des habitants du Sud. Il arborait une moustache fine et soignée, à la manière des gentilshommes distingués, ce qu'il était à sa manière. Il s'habillait souvent d'habits simples, qu'à la cour on qualifiait "d'inappropriés". Mais il fallait le voir sur un champ de bataille, dans son armure de plaque finement travaillée où, comme sur la garde de sa fabuleuse épée, rugissait le lion qui lui avait donné son nom. Ferdinand avait jadis été l'un des guerriers les plus redoutables et redoutés de tout le Continent. Cependant, les années passant, il avait petit à petit perdu le goût du combat ou de la joute, ceci étant en grande partie dû à la guerre qui avait secoué le Continent, quelques années plutôt. Avoir dû combattre ses frères humains sur de véritables champs de batailles, théâtres de toute la sauvagerie dont été capable l'homme lui avait montré que les Codes de la Chevalerie n'étaient rien d'autre qu'une tradition maintenant oubliée. A cause de cela, et en pensant avant tout au bien de son peuple, il avait déposé les armes devant les armées d‘Arabéus, négociant la paix. Le Commandeur de l'époque s'était montré grand seigneur, ce qui avait fortement étonné Ferdinand. Il avait pu gardé son rang et son pouvoir, en contre parti il avait dû  instauré cette religion vouée à ce "Seigneur", et renfloué les caisses de la Sainte Expédition. Pour les Purges, il avait réussi à berner le Pontife en envoyant au bûcher ou à la potence des condamnés à mort, tandis qu'il envoyait les mages et autres jeteurs de sorts de son royaume vers Solanéa, ou d'autres comtés encore libres. D'ailleurs, cette attitude passive face aux armées d’Arabéus en avait surpris plus d'un, et c'est à cette période qu'il avait perdu son surnom de Jeune Lyon Flamboyant pour celui qu'il possédait actuellement. Mais il n'en avait cure. Il n'était pas du genre à s'occuper du regard des autres et le comté D'Alembord vécut heureux  et en paix quelques années, jusqu'à ce que survienne l'assassinat du Pontife, et la prise de pouvoir par son fils. Un nouveau Commandeur était alors arrivé en Alembord. Il avait remplacé Ferdinand par l’un de ces fanatiques, enrôlé de force les jeunes hommes afin de grossir les rangs des Armées Saintes, et augmenté les impôt pour payer son entretient.
Il n'avait pas fallu longtemps pour qu'une révolte éclate. Ferdinand en était d'ailleurs à la tête. C'est là bas que le lion rugit pour la dernière fois. Après une courte mais violente bataille à l'intérieur de son propre château, Ferdinand avait reconquis ses terres et bouté les religieux dehors à coup de lame d'épée. Puis, il avait réunis tous les habitants de son royaume, tous les soldats, les montures, les chariots, les vivres, les armes, les mulets, le bétail et les avait envoyés vers Arendia, avec à leur tête son propre fils, en lequel il avait une parfaite confiance. De son côté, las de la guerre, de la sauvagerie des hommes et des complots politiques, il entreprit le voyage vers Solanéa, havre de paix où ses ancêtres avaient pour habitude de venir s'installer et mener une petite vie paysanne et tranquille une fois leur temps révolu. Se faisant passer pour un riche négociant textile, il avait réussi à se rendre à Port-Ebène avec sa petite escorte, composée des ses plus vieux compagnons d'armes et amis, où ils avaient trouvé un bateau qui faisant la jonction entre le Continent et Solanéa. Ferdinand aurait aimé être là pour voir la tête que ferait le Commandeur lorsqu'il viendrait reconquérir l‘Alembord, pour ne trouver qu'un royaume vide d'âme et dépouillé de ses richesses. Le comte d’Alembord se leva de la banquette où il était assis et se rendit sur le pont. L'air frais et vivifiant de la mer l'accueillit, l'odeur d'iode vint lui chatouiller les narines.  Il s'appuya au bastingage, et admira l'île qui se profilait devant eux.
Une véritable merveille.
Rien qu'à la pensé que les hommes d'Arabéus y étaient venus trois ans plus tôt le faisait bouillir. Maudits fanatiques!


Un attroupement de curieux se rassembla vite autours du navire de Ferdinand. Depuis le départ d'Eratius, ils n'avaient plus vu de gros bateaux, et celui-ci n'en faisait pas partit. Cependant, il arborait sur sa voile l'emblème du Lyon, le blason des Alembords. On n'en avait guère vu par ici depuis quelques années. Le père et le grand père de Ferdinand étaient morts respectivement lors d'une joute et durant une partie de chasse à l'ours.
Et sur l'île on attendait le retour de cette grande famille, avec une certaine impatience. Il était vrai que les Alembords étaient réputés pour leur sagesse et leur bonté dans le tout Solanéa, et leurs conseils avisés dans les échanges commerciaux avaient toujours été bénéfiques pour l'économie de la communauté insulaire.
Ainsi accueillit-on Ferdinand avec une certaine liesse, à son grand étonnement. On le mena dans le petit manoir qu'avaient occupé ses ancêtres avant lui, l'on prépara un banquet, et on fit fête jusqu'à tard dans la nuit.
Et, les mois passant, on le sacra roi. Roi de Solanéa la Belle, et on le surnomma le Vieux Roy des Îles...
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le mercredi 30 mai 2007, 20:20:10
Hi les gens! ^x^ Avec un peu de retard, voici venu le chapitre 9! ^^
Je préfère ne pas trop me prononcer sur la date à laquelle arrivera la suite, mais ce week-end me semble raisonnable... ^^

Sur ce, bonne lecture! :)



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Chapitre 9 :  Evolution.


Rirjk se releva péniblement, son dos craqua. Il s'épongea le front, qui ruisselait de sueur dans cette chaleur suffocante et moite d'été. Il s'assit sur le petit muret qu'il avait érigé tout autours de son champ, les mains sur le manche de sa bêche. Il contempla son travaille, l'air satisfait. Les récoltes seront sûrement bonnes, se dit-il, avec un temps pareil...
Six années s'étaient écoulées depuis ce triste hiver qui avait vu la fin d'un être cher. Rirjk avait essayé de vivre au mieux, refouler sa culpabilité en s'occupant de Samyël aussi bien qu'il le put. Il l'avait pris sous son aile et éduqué au même titre que son fils. Il avait gardé un oeil constant sur lui, le regardant grandir et évoluer. Quelque chose s'était brisé en Samyël ce jour là.
Il était resté au lit durant plusieurs jours, inconscient et délirant, cauchemardant et criant. Ca avait été une épreuve difficile pour Rirjk. Il s'en était voulu encore plus. Mais un beau matin, environ une semaine plus tard, son apprenti s'était réveillé. Il était étrangement calme. Il n'avait rien dit, n'avait pas pleuré. Il avait gardé les yeux fixés sur le plafond. Ses yeux avaient changé. Ils étaient plus... distants, plus froids. Il avait perdu sa candeur, sa joie de vivre. Il ne parlait presque plus, se contentant de répondre avec la tête ou les mains. Il passait beaucoup de temps sur la falaise, là où on avait enterré Henry. Il s'asseyait sur le rebord, les jambes dans le vide, et il regardait la mer, dos au Continent. Au début, Rirjk avait eu peur qu'il se jette dans le vide, sincèrement.
 Après tout, le choc avait dû être terrible, et il n'avait que six ans!
Rirjk avait poursuivi son enseignement. Samyël ne se plaignait plus de rien, mais s'investissait beaucoup plus dans l'apprentissage des Arts. Rirjk avait été abasourdi de la vitesse à laquelle il était venu au bout de l'exercice de la Position du Penseur. Le garçon arrivait très facilement à faire le vide dans son esprit, faire abstraction du monde pour vivre dans une bulle qui l'isolait complètement. Rirjk en était personnellement incapable. De plus, ses capacités au tir à l'arc s'étaient grandement améliorées, et il était devenu le meilleur archer de Solanéa, sans le savoir. Il avait compris le lien qui unissait tous les exercices que lui avait demandé de faire son maître. La Position du Penseur  lui avait enseigné la concentration, l'apprentissage de l'écriture des deux mains avait développé sa dextérité et les bases de l'art, qui lui serviraient pour tracer les runes complexes des sorts. Et enfin, le tir à l'arc lui avait apporté de l'équilibre, de la force et la capacité d'évaluer les distances. Autant de compétences que se doit d'avoir tout magicien qui se respecte. "Un mage doit être fort de corps et d'esprit" lui disait Rirjk. Il avait sans doute raison. C'est vers l'âge de neuf ans qu'il avait appris son premier sort. Ce n'était rien d'autre qu'un tour de passe-passe qui faisait apparaître un petit globe lumineux dans la paume de sa main. A partir de cette base, Rirjk lui avait demandé de faire évoluer ce globe. Premièrement en l'agrandissant, puis l'étirant, en lui faisant changer de forme et au final en changeant sa composition par celle du feu. Samyël avait terminé la phase finale de l'exercice un an plus tard. C'était un résultat moyen. Le record étant d'environ six mois, mais selon les annales de la Citadelle, l'auteur de cette prouesse était devenu Archimage à vingt trois ans. A partir de là , Samyël avait dû commencer par apprendre une liste de runes indigeste, leurs noms plus leurs calligraphies exacte. Rirjk lui avait dit que la moindre erreur dans le tracé pouvait fausser la rune.
Avec les bases qu'il avait acquis, Samyël apprit rapidement à lancer quelques sorts communs, comme celui pour allumer un petit feu, verrouiller une porte ou autre, apposer une marque... Même si il y mettait toute sa bonne volonté, il avait du mal, et cela l'épuisait énormément, si bien qu'il lui arrivait de dormir un jour complet afin de récupérer. Cependant, il avait l'air d'y prendre goût, même si Rirjk n'avait plus vu la joie s'inscrire sur son visage depuis ce fameux jour...



La femme rousse lui tendait la main, une fois de plus. Il l'admira, une fois de plus. Sa beauté était renversante, le fait de poser ses yeux sur elle lui procurait une sensation qu'il ne connaissait pas. Il se perdit dans l'intensité de son regard émeraude, ses cils gracieux battirent plusieurs fois, lui renvoyant un regard féerique. Son front était ceint d'un fin tiare d'argent, qui retenait ses cheveux soyeux qui cascadaient jusqu'au sol, si bien qu'elle semblait auréolée d'un halo de feu. Ses oreilles ornées d'anneaux d'or étaient longues et pointues, ce qui la rendait encore plus irréelle car cela accentuait la perfection de son visage.
Les courbes de son corps étaient parfaites, à peine cachées par la tunique verte qu'elle portait. Ses gestes respiraient la grâce et la volupté, et elle possédait un port noble, telle la princesse esseulée d'un château de conte de fée. Dans sa main gauche elle tenait une longue et magnifique lance, où deux dragons, l'un d'un blanc immaculé, l'autre d'un noir de jais, s'enroulaient autours dans une étreinte mortelle.
Un rire cristallin retentit, se répercutant à l'infinie dans la nébuleuse étoilée qui les entourait. Elle lui sourit, et un soleil s'alluma dans son coeur. Il tendit la main vers elle, avec l'espoir fou et secret de pouvoir la toucher, la serrer contre lui, la garder à jamais.
Mais elle s'éloignait. Il paniqua alors, battit des bras, des jambes, pour tenter de la rattraper, mais rien n'y fit. Il la perdait. Il voulut l'appeler, mais il ne connaissait pas son nom. Le désespoir commença à le submerger.
Le rire retentit de nouveau, plus lointain. Une pensée effleura son esprit "Viens, je t'attend...". C'était comme la caresse tiède du vent de Mars, lorsque la terre se réchauffe et reprend vie. Les étoiles happèrent son image, et elle disparu.

Samyël se réveilla en sursaut, en sueur. La vue de la mer scintillante devant lui l'apaisa aussitôt. Encore ce rêve... Toujours ce rêve.  
Il perdit son regard dans l'immensité de l'Océan, et son esprit vagabonda un instant le long des vagues, tentant vainement de rattraper l'apparition de ses rêves.
"Qui es-tu?, se demanda-t-il. Cela l'intriguait, mais sans plus. Il n'avait plus le coeur à courir après des chimères. Il se releva, s'épousseta légèrement. Il ramassa son arc, le passa en bandoulière, puis il se tourna vers la pierre solitaire qui faisait face à la falaise.
-Je repasserais te voir plus tard, grand-père, murmura Samyël avant de s'engager sur le sentier.

Bill était partagé entre la joie et l'étonnement lorsqu'il vit arriver Samyël. Par moment, il lui faisait peur, avec ses long cheveux couleur de sang, ses yeux verts, éteints, qui avaient été si intenses lorsqu'il était plus petit, l'aura de tristesse et d'amertume qui l'entourait... Mais étrangement, il le fascinait. Peut être parce qu'il s'identifiait à lui, d'une certaine façon. Bill avait été comme ça aussi, lorsque sa mère était morte. Mais pas plus de deux mois. Pour Samyël c'en était déjà à sa sixième année. Il se demandait si son ami allait un jour redevenir le petit bonhomme bon vivant qu'il avait connu...
Samyël s'arrêta à hauteur de son ami, mais il ne dit rien, se contentant de fixer le sol. Bill resta sur la souche où il s'était assis pour regarder paître les moutons de son père qu'il devait surveiller.
-Hé bien, qu'est-ce qui t'amène?, le héla-t-il.
-Je ne sais pas, répondit Samyël après un temps de silence, d'une voix faible et lente. Je crois... Je crois que je vais m'asseoir avec toi, pour regarder le troupeau.
Bill le regarda d'une étrange façon.
-Si tu veux. Mais, Firjk (même après six ans que Rirjk s'était installé sur Solanéa, très peu savaient prononcer son nom correctement) ne va pas te chercher après?
Samyël fit le tour de la barrière qui délimitait l'enclos à mouton. Il enleva son arc, qu'il posa près de lui sur le sol. Puis il se laissa tomber près de bill, adossé à la souche.
-Non. Je dois aller voir Silex. Depuis que son fils est parti pour le Continent, il a besoin d'un apprenti. Rirjk m'a proposé.
Bill acquiesça. Silex était le forgeron du village. C'était un vieil homme, mais il possédait une robustesse et une musculature digne de celle d'un jeune et fringant guerrier. Il avait tendance à babiller tout seul, mais c'était un "bon gars", comme on disait au village.
Les deux jeunes garçons restèrent ainsi sans mot dire. Ils écoutaient le doux tintement des cloches que portaient les moutons.
-Tu as faim?, finit par demander Bill.
Silence.
-Un peu.
-J'ai du fromage, c'est ma mère qui l'a fait.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Nehëmah le dimanche 03 juin 2007, 21:11:05
Ben alors ! Il est où le critique officiel de Samyël :niak: ?
Bref, que dire... Je suis pas super inspiré pour commenter, d'autant qu'il ne se passe pas grand chose dans ces deux nouveaux chapitres, c'est plutôt un "constat".
on suppose que ce Ferdinand va être amené à rencontrer Samyël, en tout cas, et on voit que l'entraînement intense de Samyël, après les évènements de son passé tragique lui ont forgé une toute autre personnalité. Complètement aseptisé, il n'a plus l'éclat de la vie. C'est bien triste quand on a connu ce bonhomme de six ans vif et malin, plein de vie et de joie de vivre. Toutefois, j'attends plus complexe que ça, hein Samyël, donc me déçois pas hein :niak: (d'toute manière je pense que tu as prévu plus complexe).
Bon, à la fin par contre, je pense que c'est Erik qui répond avecu n sourire timide et non Rirjk.
Ah oui et cette scène tellement clichée de l'attaque d'une personne faible par plusieurs personnes plus fortes, ça m'a un peu agacé. Ca navigue entre le kitsch et le parodique, et l'intervention de Samyël était forcément prévisible. Là, c'étaitu n peu décevant pour le coup, tu aurais peut-être dû appuyer l'orientation du passage clairement : soit en faireu n passage carrément pathétique mais alors insister d'avantage sur la détresse d'Erik et l'arrivée héroïque de Samyël (avec un registre épique du point de vue d'Erik par exemple), ou bien un registre plus ironique. Là, ça reste en demi-teinte résultat ça fait un peu passage vu et revu seulement trente mille fois par dix mille écrivains différentes, de toutes nationnalités et époques.

Ceci dit, sur le fond, j'ai toujours envie de connaître la suite !
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le dimanche 03 juin 2007, 21:24:55
Ouais c'est vrai ça, il est mon critique là? C'est pas sérieux! :niak:

Bon, première chose, tu supposes bien ^^ Mais bon, en même temps, c'était assez logique ^^

Pour ce qui est de Samyël, bien sûr que c'est plus complexe que cela (laisse moi le temps de metre tout ça en route^^). Sinon ça ferait vraiment stéréotype du héros blasé qui a tout perdu et qui se ratache à la vie que grâce à quelques amis... :niak:

Pour ce qui est de la scène de l'attaque, je suis plus que complètement d'accord avec toi. Je n'étais pas trop inspiré quand je l'ai écris, et donc je crois que je vais la réécrire complétement ^^

(Oui, effectivement, c'est bien Erik qui répond avec un sourire timide, mille excuses pour cette petite erreur qui a sû passer les mailles du filet de la relecture :niak:)
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Prince du Crépuscule le lundi 04 juin 2007, 11:28:44
* Arrive en trombe * Me voilà! Le commentateur officiel est arrivé! Tu croyais sincèrement que j'allais te laisser la place, Nehëmah? Sûrement pas! ;)
J'ai simplement oublié de commenter, ou je l'avais lu trop tard, ou après j'avais plus d'inspiration... Hum... Ah si je m'en souviens, j'avais des choses à dire! ^^'

Tout d'abord que j'ai beaucoup aimé l'histoire du Vieux Lyon Assoupi, ensuite Roi de Solanéa, cette intrigue triste qui l'a chassé de ses terres, à cause de fanatiques au cerveau atrophié, j'espère une belle petite fuite moi... Enfin bref, c'est toi qui décide! (se souvient de Falenz et de l'assaut entre vaisseaux, le meilleur que j'aie jamais lu chez toi, mon petit mage aux cheveux écarlates! :niais:)
Donc après, jsute quelque chose qui m'a frappé concernant Samyël, son évolution sombre très bien retranscrite, bien amenée, et qui me satisfait amplement, même si c'est vrai que tout ce passage reste plutôt statique avec pas mal de clichés... J'en reparlerai après...  Eh bien tout ça combiné à Samyël m'a fait penser à Sothe, dans Fire Emblem. Tu te souviens de lui? Je le vois exactement pareil, sauf avec des pupilles et cheveux rouge sang... Une assimilation, comme ça... Dis moi si je me trompe hein, mais c'est déjà ancré dans mon esprit, je n'y peux rien, ayant déjà fait le rapprochement. Le voilà, petit, puis plus évolué... La ressemblance m'a frappé ==>Sothe petit dans Path of Radiance (http://eaichu250.superbusnet.com/feartwork/FE9-9/sothe.png) / Sothe grand dans Goddess of Dawn (http://www.generation-snes.net/Soluces/Rpg/Fire_Emblem_IV/serie/Sothe.jpg) (pour le voir mieux que dans ma signature, je l'adore! Par contre j'ai pas réussi à le trouver vraiment bien comme je voulais petit, mais tu peux te faire une idée! ^^)

Voilà, voilà, après je reviens sur l'histoire en elle-même, le petit Samyël qui a évolué pendant six ans, se recroquevillant sur lui-même, plus de bonheur, des expressions figées et froides, il ne veut plus parler, les autres le traitent de démon, mais il est un prodige en matière de magie et de tir à l'arc, attentif à l'enseignement de ce cher Rirjk qui regrette toujours... Pas mal, même si c'est du déjà vu, moi j'aime bien... Par contre c'est fou comme Erik m'a fait penser à Colin de Twilight Princess! C'en est presque hillarant! :)  Ahlàlà... Le petit timide qui se fait martyriser par les autres de son âge, ne pouvant rien faire à part pleurer et subir, attendre Samyël qui vient héroïquement le secourir... Le petit Colin, ah non, le pauvre petit Erik... Barf, je suis d'accord avec Nehëmah sur ce coup-là, franchement. Mais si t'étais pas inspiré, je te pardonne, ça arrive!

Mais ça évolue, et c'est toujours aussi bien écrit et plaisant, donc s'il fallait en passer par là, je te fais confiance GMS! (et bravo pour ta première place dans le concours de fictions! Dire que j'ai été victime du vote utile, on me l'a dit! ^^' Tu la mettras dans ta gallerie hein, ta fiction le mérite amplement! Je veux la voir trôner parmi tous tes écrits. ;)) Et vivement la suite!

PS: Tu voulais un commentaire? T'en as un, là! Pas aussi bien que celui de la page précédente (mes commentaires arrivent toujours en première page, un signe du destin?), mais te voilà satisfait, n'est-ce pas? ^^
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Nehëmah le lundi 04 juin 2007, 17:13:54
Citer
* Arrive en trombe * Me voilà! Le commentateur officiel est arrivé! Tu croyais sincèrement que j'allais te laisser la place, Nehëmah? Sûrement pas! Clin d'oeil


Je n'aurais pas cette prétention voyons :niak: !
Mais faudra faire preuve de volonté hé hé !
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le mercredi 06 juin 2007, 23:22:43
Yop, lecteurs ^^

Bon, un peu de changement ici bas^^ Tout d'abord, vous avez sûrement dû remarquer le changement de titre du Topic. Les raisons en sont fort simples: De une, c'est un titre plus général qui englobe donc tous mes écrits, et deuxièment comme il est plus court je vais pouvoir y annoncer l'arrivée d'un nouveau chapitre^^

Ensuite, retournez faire un p'tit tour du côté du chapitre neuf. J'ai complétement supprimé la scène de l'attaque d'Erik, et j'ai complétement remanier mon chapitre. Parce qu'au final, ce n'était pas du tout ce que je voulais faire^^ Maintenant, c'est mieux^^


PdC==> Merci bien pour ton commentaire^^ Sothe? Moui, m'enfin, c'est pas le personnage qui me serait venu à l'esprit, mais pourquoi pas? ^^
Cependant, j'aimerais revenir sur un point, Samyël n'est pas un prodige de magie et de Tir à l'arc^^ En tir à l'arc, étant l'un des rares archers de Solanéa, il est le plus habile de l'île. Mais le Continent grouille d'archer beaucoup plus forts que lui.^^ Pour ce qui est de la magie, je dis rien, vous verrez bien héhé^^
Sinon, lors de cette fameuse soirée MSN (t'oublies pas notre promesse, hein? ^^), quand tu m'as parlé de Madame Delacrée, je me suis rendu compte que je ne t'avais pas adressé mes plus sincères félicitations pour ton texte ^o^ J'ai adoré! Les descritpions, la pensé de cette dame face à son monde lorsqu'elle est Nature... Brrr, je m'en suis pas encore remis^^ Alors pour répondre à la question que tu m'as posée ce soir là, à savoir "Qu'est-ce que tu penses de Mme Delacrée", je te réponds "Tu me la présente quand? ^x^".
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Guiiil le jeudi 07 juin 2007, 14:25:39
Très jolie remaniement de chapitre, mais ceci à annhilé le pôvre fils de Jrick... Pourquoaaaaaaaaa????!!!!!!

Sinon je ne crois pas avoir commenté sur le forum. Et bien.

Commentaire numéro un : C'est très bien (superbe même), tes deux histoires (même si les chrétiens en prennent plein la gueule ;-P)

Commentaire numéro deux : Je préfère les aventures de Falenz (bateau volant :niais: ).

Commentaire numéro trois : A quand la suite, Saperlipopette!!! :papy:.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le samedi 16 juin 2007, 01:03:33
Buenas tardes, People! ^o^ Voici venu le temps glorieux du chapitre 10 (c'est un cap! Que dis-je, c'est une péninsule!)! Mais avant...

Guiiil===> Merci bien pour le commentaire^^ Cependant, désolé de te decevoir, mais la suite des aventures de Falenz n'arriveront pas avant un bon bout de temps, j'ai beaucoup de texte à écrire avant cela (notamment deux textes de concours :niak:). ^^

So, have fun! (Oui je sais, vous devez vous dire que c'est pas une heure pour poster un chapitre, mais il était là, tout frais tout chaud, alors j'avais pas le coeur d'attendre demain :niak:)
 


___________


Chapitre 10:  Réveil.


Six ans. Il avait attendu six longues années, ici, tapi au fin fond des abysses ténébreux de l'Océan. Six ans à se morfondre, à ressasser encore et toujours la même idée, la même envie. Six ans à devenir plus fort, repousser encore et toujours les limites de son pouvoir. Il avait une tâche à accomplir, il n'avait attendu que trop longtemps.
"Il connaissait le prix!" Ces paroles haineuses résonnèrent dans toute la mer, envoyant des ondes gorgées de pouvoir maléfique dans toutes les molécules d'eau. Des ombres indistinctes se réveillèrent, et leurs souffles titanesques firent vibrer le sol. Des bulles d'air s'élevèrent un peu partout, l'entourant.
"Il connaissait le prix!" Hurla-t-il, d'une voix déformée qui n'avait plus rien d'humain. Des cris graves et profonds lui répondirent, et la même haine les agitait. Une nageoire monstrueuse passa au dessus de lui, silencieusement. Il ne voyait pas son possesseur, mais il le sentait. Il les sentait. Les monstres des Abysses. Les titans de l'Océans, les anciens dieux.
Ils semblaient partager sa colère, et bientôt la mer se remplit de leur chant mélancolique. Le ballet qu'ils dansèrent dans les ténèbres des abîmes déclencha des tempêtes, agita les flots.
"Il connaissait le prix!" Ils reprirent sa plainte dans leur langue archaïque, perdue depuis des millénaires.
Il était venu le temps de la vengeance, l'ultime châtiment. Les pêcheurs devront payer pour leurs crimes, telle était la sentence divine. Un rayon de lumière rouge perça l'épaisse noirceur Abyssale. Un énorme oeil rouge, sans pupille s'ouvrit doucement, flamboyant d'un feu démoniaque. La bête émergea du sommeil éternel dans lequel elle était plongée. Les chants des ses fils l'avaient réveillé. Il bougea une infime partie de son corps titanesque, et le sol trembla, se fissura, une onde envoya  les eaux dans tous les sens et une raz-de-marée se leva au beau milieu de l'Océan.
La secousse qu'avait provoquée le réveil de la bête L'avait envoyé valser. Il sentit la lente danse des monstres lorsqu'ils l'effleuraient, le propulsant toujours plus haut.
"Il connaissait le prix!"  Cette unique pensé le parcourait sans cesse alors que, lentement, sûrement, il se dirigeait vers la lumière, vers son but, entouré du maelström que provoquaient les géants marins. Le rayon rouge de l'oeil infernal se braqua sur lui, et le hurlement le plus terrifiant que la terre n'ait jamais entendu explosa du fond des abîmes. L'eau de l'Océan sembla se tasser sur elle même, puis l'oeil commença à se mouvoir, avec une lenteur infinie.
Levyathan s'était réveillé.
Ses fils entonnèrent une ode à son honneur, et le remous que provoqua leur danse L'envoya vers la surface.
"Il connaissait le prix!"
 

Il était une légende qui disait que lorsque la Lune éclairait le beffroi de l'ancien temple, les Sept se réunissaient. Ho certes, personne n'y croyait cependant elle existait tout de même. C'est ce qui intriguait la Fouine. Pourquoi diable avoir inventer une légende si personne ne se donner la peine d'y croire?
La Fouine était un jeune garçon d'une quinzaine d'année, petit, fin et qui avait une tête qui ressemblait étrangement à celle d'un rongeur. Il devait son nom de Fouine à sa manie de toujours vouloir tout savoir sur tout. Il était rusé, intelligent même pour certain.
C'était donc ce mystère qu'il ne s'expliquait pas qu'il était venu élucider ce soir là. La pleine lune éclairait de sa lumière argentée le beffroi du temple. Toutes les conditions étaient remplies, selon les dires de la légende, pour que les Sept apparaissent.
La Fouine était caché derrière un petit mausolée, non loin de l'allée centrale du cimetière. Il se l'avouait sans mal, il avait la frousse. La nuit était tombée depuis un moment, il devait être aux alentours de minuit. Un vent fort et glacé soufflait sans relâche, gelant littéralement le pauvre Fouine qui commençait à se dire qu'il ferait mieux de partir. Le temple en lui même était une immense bâtisse de plus de quatre étages, construite dans un style ancien que les historiens n'arrivaient pas à reconnaître. Elle était faite tout en arcs, en flèches et en arches, finement décorés. Cependant les ornements étaient des plus dérangeants, car ils représentaient des crânes grimaçants, des diablotins dansants, des démons cornus avec des jambes de boucs... Il y avait également d'anciennes écritures gravées sur les murs, mais dont le sens échappait même aux érudits les plus sages. L'ensemble donnait quelque chose de lugubre, malsain, de jour comme de nuit.
Le cimetière était vaste, et encerclait l'ensemble du temple. Il était gardé par des statues représentant des silhouettes encapuchonnées tenant une large faux. Elles étaient au nombre de dix. Les sépultures formaient un labyrinthe hétéroclite de cairns, de tombes, de pierre tombales, de petites cryptes...
La Fouine se raidit soudainement; le grincement horrible du vieux portail retentit dans la nuit. Le jeune homme retint son souffle. Son coeur accéléra. Il n'osait pas jeter un coup d'oeil dans l'allée pour voir ce qui avait ouvert le portail.
"C'est juste une bête, ou le vent, il y en a beaucoup ce soir..." pensa-t-il pour se rassurer.
Un frisson lui parcourut l'échine lorsqu'il entendit des pas lents dans le gravier. Il se laissa glisser sur le sol, se recroquevilla et se tint la tête des deux mains. Il ne s'expliquait pas cette peur soudaine et viscérale qui lui nouait les entrailles.
Les pas s'arrêtèrent l'espace d'une seconde lorsqu'ils passèrent devant le mausolée derrière lequel La Fouine s'était caché. L'adolescent craignait que l'inconnu n'entende les battements de son coeur affolé. Il porta une main à sa poitrine, mais déjà les pas s'éloignaient, se dirigeant vers la grande arche à moitié brisée qui faisait office d'entrée. La Fouine voulait partir, quitter cet endroit maudit, oublier cette stupide légende, courir jusqu'au village. Mais ses jambes refusèrent de lui obéir.
C'est alors qu'il l'entendit. C'était un son vague, ténu, comme un appelle, très doux, caressant, cajolant. On aurait dit un murmure spectral, tant il paraissait irréel. La Fouine ne comprenait pas les mots, mais il "saisissait" le sens de ce murmure. Ce chant étrange le fascinait, le captivait et à sa grande surprise il se leva. Il fit le tour du petit mausolée et vint se placer au milieu de l'allée. Un homme en robe noire, capuche sur la tête, marchait devant lui, lui tournant le dos. Il marchait d'un pas lent, sûr et incroyablement régulier. Sans en être vraiment sûr, La Fouine était persuadé que le murmure provenait de cet homme. Il se sentait attiré par lui, captivé. D'une démarche gauche et claudicante, il s'engagea à sa suite. Ils passèrent sous la vieille arche, et entrèrent dans le temple. L'intérieur ne ressemblait pas du tout à ce à quoi s'attendait La Fouine. Il s'était imaginé un dédale de couloirs, des corridors secrets, des autels encore maculés de sang...
Au lieu de ça, ils se retrouvèrent dans une large et haute pièce, qui s'élevait sur toute la hauteur du bâtiment. Le vent s'engouffrait dans les petites fenêtres non vitrées qui trouaient les murs un peu partout, produisant un son horrible, semblable à une plainte affreuse.  Cependant, La Fouine était apaisé par le murmure bienveillant qui continuait de le guider. Sur le sol de pierre, un immense pentagramme avait été tracé avec de la peinture rouge. Dix escaliers étroits avaient été creusés dans le marbre des murs. Ils s'élevaient en spiral, jusqu'à une espèce de plateforme où de grands fauteuils finement décorés attendaient leurs possesseurs.
L'étrange homme grimpa l'un des escalier, puis pris place dans le siège qui y était associé. La lune éclairait la salle depuis un trou béant au plafond. Mais, étrangement, les sièges avaient été placés de telle façon que le visage de ceux qui y étaient assis reste dans l'ombre.
Le silence se fit soudainement sur l'endroit, une certaine solennité s'installa. Le murmure cessa également, et la Fouine retrouva ses esprits. Cependant, il ne put s'empêcher d'assister à ce qui se produisit ensuite. Un corbeau traversa le plafond pulvérisé, et décrivit un large arc de cercle à travers toute la pièce, avant de venir se poser en croassant sur l'un des neuf sièges restants. Ses petits yeux rouges se fixèrent sur la Fouine, puis le corps de l'oiseau commença à changer, à se déformer. Les pattes s'allongèrent, les ailles se changèrent en bras, le crâne s'étira, grossit. Puis, en l'espace de quelques instants, le volatile laissa la place à un homme, habillé de la même robe noire que son prédécesseur. La Fouine ne distingua pas ses traits,  cachés dans l'ombre.
Ces mêmes ombres s'agitèrent soudainement derrière l'un des fauteuils encore libre, elles prirent peu à peu une forme humain, quoiqu'aux contours indistincts. Une main d'albâtre se matérialisa sur le dossier du meuble, suivit d'un corps vêtu de noir. Le troisième venu s'installa à son tour à sa place.
Et ils vinrent l'un après l'autre, chacun d'une façon différente. Ils étaient au nombre de sept. Trois sièges restaient inoccupés.
Le murmure retentit de nouveau, mais cette fois ci il était plus fort, et il exprimait des mots, non plus des idées.
-Messeigneurs, nous voici de nouveau réunis, sous le regard bienveillant de Dame Lune. L'heure est grave. Marche-La-Nuit va nous rappeler les ordres de cette assemblée présente.
L'homme qui avait surgis des ombres se mit à parler.
-Le monde va bientôt entrer dans une phase d'évolution intense, qui pourrait signifier sa destruction. Ur-Les-Ombres est en émoi. Des déficiences dans les courants Arcaniques ont permis à plusieurs démons mineurs de se retrouver dans le monde des mortels, sans maître pour les commander. De plus, la magie dans le Sud du Continent est en voie d'extinction, suite à l'action de cette fameuse "Sainte Expédition". Et enfin, hier soir, un pouvoir immense s'est réveillé au fin fond des océans du Bout du Monde, suite à un phénomène Arcanique, mais d'origine inconnue.
Ils parlaient tous d'une voix lente, froide, monocorde, qui évoquait à La Fouine la tristesse de la mort. La scène qui se déroulait devant lui avait quelque chose de fascinant, de malsain. Mais il était contraint au rôle de simple observateur.
Ainsi donc la légende disait vrai. Ainsi donc, les Seigneurs Nécromants étaient toujours en vie.


Arkonn se dépêcha. Il était encore en retard pour le dîner. Son père allait lui passer un savon, une fois de plus. Mais avec la tempête de la nuit dernière, il avait espéré que plusieurs gros poissons s'étaient échoués sur la plage de sable fin. C'est pourquoi il l'avait arpentée sans cesse depuis le point du jour, à ce moment là, le crépuscule.
Il courait aussi vite qu'il le pouvait, essoufflé. Il n'avait jamais été féru d'activité sportive, il manquait d'entraînement. C'est pourquoi il s'arrêta un moment afin de reprendre son souffle.
Si Arkonn avait écouté son frère, qui lui disait qu'un véritable pêcheur se devait d'être fort et robuste comme un roc, alors peut être ne se serait-il pas arrêter, et il aurait ainsi éviter le coup du Destin qui lui tomba dessus.
Le dos voûté, les mains sur les genoux, il ahanait de souffrance, un point de côté lui déchirait les flancs. C'est ainsi qu'il remarqua le scintillement qui provenait du bord de mer, un peu plus loin. Intrigué, il se releva, puis marcha jusqu'à la source de cette lumière. Il s'agenouilla dans le sable humide, puis il aperçut une sorte de pierre précieuse enchâssée dans une espèce de barre métallique. Ses yeux s'arrondirent de surprise, et il pensa que grâce à ça, sa famille pourrait vivre des années et des années dans le luxe. Alléché par l'appât du gain, il s'empara de l'extrémité de la tige, puis tira un coup sec.
"Il connaissait le prix!" Le hurlement avait éclaté dans sa tête, comme gronde l'orage les soirs d'été. Le choc mental avait été violent, chargé d'énergies démoniaques. Le système neurologique d'Arkonn ne résista pas,  et ses nerfs s'enflammèrent, provoquant une douleur infernale dans tout son corps. Dans son poing fermé se trouvait la garde d'une épée finement ciselée, à la lame d'un rouge éclatant, sur laquelle des milliers de runes grouillaient sans cesse. Cinq d'entre elle s'embrasèrent et se positionnèrent de telle façon qu'un nom se forma: Haz'Rael, L'honnie.
"Il connaissait le prix!" Le nouvel assaut envoya Arkonn en arrière, ses yeux se révulsèrent, son corps se cambra tandis que sa mémoire, ses souvenirs et ses pensées se disloquèrent pour faire place à un flot de sensations, d'odeurs, le tout empli d'une haine sans bornes. Une entité démoniaque s'empara de son corps, annihila le peu de volonté qui lui restait. Le joyau sur la garde se scinda en deux, et un oeil jaune avec une pupille rouge se darda vers le Sud.
'Et pour cela, il devra payer!"
Lentement, Arkonn se remit debout. Des arcs d'énergies violets s'allumèrent autours de lui, puis disparurent. Les yeux bleus du jeune homme se changèrent en deux brasiers ardents. Puis, sûrement, l'entité se dirigea vers le Nord.
"Il connaissait le prix!"


Quelques jours plus tard, on découvrit aux portes du petit village de Verte-Colline, loin dans le Nord, par delà les Montagnes de l'Infinie le corps de La Fouine. Il n'avait subis aucune blessure, aucun coup, rien de visible. Mais sur son visage aux yeux exorbités était inscrite une pure terreur, comme personne n'en avait encore jamais vu...  

______________

Juste une petite précision, les fautes de genre sur les actions de La Fouine sont voulues. Même si il s'appelle comme ça, ça reste avant tout un homme^^

Par contre, je ne sais pas du tout quand la suite arrivera. Comme je l'ai dit un peu plus haut, je suis assez débordé en ce moment au niveau des écrits, donc je mets le Cycle en Stand-by pour le moment ^^"


BRZ: [I (dé) love U]²
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Nehëmah le samedi 16 juin 2007, 12:46:32
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La femme rousse lui tendait la main, une fois de plus. Il l'admira, une fois de plus. Sa beauté était renversante, le fait de poser ses yeux sur elle lui procurait une sensation qu'il ne connaissait pas. Il se perdit dans l'intensité de son regard émeraude, ses cils gracieux battirent plusieurs fois, lui renvoyant un regard féerique. Son front était ceint d'un fin tiare d'argent, qui retenait ses cheveux soyeux qui cascadaient jusqu'au sol, si bien qu'elle semblait auréolée d'un halo de feu. Ses oreilles ornée d'anneaux d'or étaient longues et pointues, ce qui la rendait plus encore plus irréelle car cela accentuait la perfection de son visage.
Les courbes de son corps étaient parfaites, à peine cachées par la tunique verte qu'elle portait. Ses gestes respiraient la grâce et la volupté, et elle possédait un port noble, telle la princesse esseulée d'un château de conte de fée. Dans sa main gauche elle tenait une longue et magnifique lance, où deux dragons, l'un d'un blanc immaculé, l'autre d'un noir de jais, s'enroulaient autours dans une étreinte mortelle.
Un rire cristallin retentit, se répercutant à l'infinie dans la nébuleuse étoilée qui les entourait. Elle lui sourit, et une soleil s'alluma dans son coeur. Il tendit la main vers elle, avec l'espoir fou et secret de pouvoir la toucher, la serrer contre lui, la garder à jamais.


Que dire que dire ? En relisant le chapitre 9 qui a en effet bien changé, je suis absolument tombé amoureux de cette description. Je sais pas elle est vraiment belle, les figures de style tout ça, ça colle une sacrée personnalité au personnage (sa mère ? :niak: )

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abysses ténébreuses

-> Attention, abysse est un nom masculin ! Et abysses ténébreux c'est moyen comme terme ! Allez, tu peux mieux faire :niak:

Le réveil de Levyathan (drôle d'orthographe !) est un poil confus à mon sens même si ça a l'air fait exprès :niak:

Sinon les Seigneurs Nécromants ont pas mal de classe pour les deux que l'on a pu voir (celui avec les ombres et le corbeau je crois bien ? Plus celui qui attire la Fouine...). En tout cas j'attendais un rôle plus important pour la Fouine bah c'est raté xD
Quant à Arkonn, aps de chance non plus, et je me demande le lien qu'il y a avec Levyathan.
Enfin bref, ça fait du beau monde, trois forces auxquelles devra sûrement s'opposer Samyël ? Bref j'en peux plus de cette attente, tu as tellement bien posé les bases de l'aventure que je veux que ça pète maintenant :niak:
Allez, au boulot, on s'en fiche des concours :niak: ...
Mais non je plaisante :love:
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Prince du Crépuscule le samedi 16 juin 2007, 14:47:26
T'as regardé Cyrano de Bergerac hier, toi! ;) J'adore cette suite, mon GMS chéri!

En effet, la chapitre 9 a bien changé, il s'est transposé en qelque chose de bien meilleur à mon sens, j'ai toujours aimé ces descritptions de femmes mystérieuses, belles à en mourir, inaccessibles... Une beauté froide et parfaite comme on n'en voit que dans les rêves. Même si cette descritption est très bien amenée, hélas je dois déplorer les fautes d'accord qui viennent tout gâcher (je déteste ça, j'ai essayé d'y faire abstraction! ^^'). Je ne sais pas pourquoi, mais tu en as fait pas mal dans ce passage, dommage! Sinon j'aime beaucoup, ça me refait penser à ma chère mme Delacrée tiens... (faut que je la rappelle de sa fugue celle-là! :) ). Un remaniement empreint de talent!

Et quelle suite, quelle suite! Les choses s'accèlèrent, les ombres se détachent d'un monde qui semblait fait entièrement de lumières et qui se trouble de ces démons qui surgissent du plus profond des abysses de ton imagination. J'aime particulièrement les 7 Seigneurs Nécromants, et l'ambiance que tu as amené avec eux. Ils possèdent toute la classe qui définit ce genre d'antagonistes machiavéliques, j'adore la manière dont tu as retranscris leur arrivée et cette atmosphère glauque et oppressante. Leur façon différente d'arriver, de s'assoeir sur leur siège, cette légende accomplie, des secrets sombres, cette obscurité qui s'en dégage... Brrrr! Moi qui n'aime pas trop habituellement ce genre d'ambiance gothique, là je suis comblé, avec l'église étrange et effrayante, cette noirceur, cet innocent charmé par des méloppées funestes et trompeuses, ce meutre finalement, dont on ne saura pas tout de suite les circonstances ... Absolument délicieux, j'en veux plus maintenant! Moi qui aime le mystère et ces sensations glaciales, je suis fasciné... :niais:

Ahlàlà... Et le réveil confus du Lévyathan, tout cet envirronement magique et ténébreux, sans qu'on ne sache qu'une infime partie de ce monde et de ces règles d'anciennes légendes et d'antiques fureurs démoniaques... Toutes ces allusions à la souffrance et à la terreur, cet univers d'ombres silencieuses et terribles se réveillant dans leur haine redoublée de Dieux oubliés... Et cette épée qui ma intrigué dès le départ, qui a l'air d'être la source de tous ces murmures mortels... Je ne donne pas cher de la peau de ce brave Rirjk! :conf:


Bravo en tout cas, j'ai vivement envie de connaître tous les tenants et aboutissants de ces nouveaux arrivants majeurs! Je demande la suite! ^^ Mais prends tout ton temps, mon cher Great Magician Samyël!

Bonne chance pour le concours au fait! Tu en auras besoin... Ksh! Ksh! Ksh! ^^' Moi je n'ai pas commencé, mais bon... J'espère être assez inspiré, car je n'aime pas les suites. L'affrontement sera difficile, je sens que cette finale va être très intéressante... ;)
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le jeudi 23 août 2007, 22:34:13
Hohoh, et l'GMS est arrivéééé, sans s'presséééé hééhéé!  :note:  
J'ai honte, ça fait plus de deux mois que je vous ai laissé sans nouvelles fraiches en provenance du Continent. Je vais me morfondre dans les ombres en espérants que la lumière de votre éventuel pardon salavateur vienne m'en tirer... :niak:
M'enfin, tout ça c'est du passé! La tour du Rouge a été dépoussiérée, sortie de force de la deuxième page de ce forum littérature béni où elle gisait, inerte, dans son carcan de topic en tout genre! ^^
Car oui, réjouissez vous, c'est Noël avant l'heure! (Bien en avance d'ailleurs ^^).
Le Super Magicien que je suis enfile un manteau rouge, une chapeau à grelot et une barbe blanche à la mode naine! Avec du chapitre en veux-tu en voilà plein sa hotte à merveilles! ^^

Mais tout d'abords, les réponses à vos questions ^^ (je vais aller dans l'ordre^^)

Nehëm' (tu me permets de t'appeler comme ça? ^^" C'est plus imple à écrire :niak:) ==>

Cette beauté flamboyante tout droit sortie de mon imagination n'est pas la mère de Samyël, c'est tout ce que je peux dire :niak: Wait and See... ^^

Tu es très clairvoyant :niak: effectivement le passage lié au Levyathan (le "y" c'est ma petite patte^^) est confus, mais ce volontairement, afin d'entretenir le mystère... :niak:


Citer
Sinon les Seigneurs Nécromants ont pas mal beaucoup de classe


C'est la meilleure chose que tu pouvais me dire à leur propos, je t'en remercie :niais:
Les réponses à tes autres questions viendront bien assez tôt héhé ^^
Mais ne t'en fait pas, ça va péter très prochainement héhé :niak:

(j'aime dire héhé, héhé... :niak:)


PdC <3 ==>Merci pour ton commentaire crépusculien :<3:

Sans plus tarder, le chapitre 11 ^^



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Chapitre 11 : L'épée.

Soulever. Descendre. Expirer. Inspirer.
L'odeur âcre de sa propre sueur agaçait son odorat tandis que des gouttes du liquide acide coulaient le long de son visage, sous ses aisselles et sur son tors nu. Trois lignes rosées et rigoureusement parallèles barraient son abdomen, à l'endroit où il avait accroché les branches d'un sapin lors d'une chute, six ans plutôt.
La chaleur était étouffante, et le rougeoiement infernal du métal en fusion lui brûlait les yeux. Il contracta une nouvelle fois les muscles de ses bras et tira de toutes ses forces pour actionner le lourd soufflet qui gardait la forge à température voulue. Un peu plus loin, Silex martelait consciencieusement une barre de métal encore rouge dans le but d'en faire la lame d'une épée courte. Des gerbes d'étincelles jaillissaient à chaque contacte entre le marteau et l'enclume. Silex était concentré sur sa tâche, autant qu'un homme pouvait l'être. C'était un homme d'expérience, qui avait acquis avec l'âge la patience dans son labeur. Il pouvait travailler plusieurs jours sur une seule commande, afin d'atteindre la perfection. Un véritable maître artisan.
Depuis trois semaines que Samyël s'atteler jour et nuit à activer le grand soufflet, sa musculature s'était considérablement développée, il était devenu robuste et fort, mais gardait toujours une silhouette athlétique, limite déguindée, ceci dû au fait qu'il ne mangeait plus beaucoup. Au début, il avait eu du mal à travailler convenablement, se fatiguant vite et étant obligé de s'arrêter régulièrement à cause de crampes. Le vieux Silex s'était montré très patient, lui conseillant de ne pas se forcer de trop. A présent, il pouvait actionner le soufflet toute la journée, sans être trop fatigué.
Le forgeron avait voulu le rémunérer, mais Samyël avait refusé, l'argent ne l'intéressait pas et il ne savait pas quoi en faire de toute façon. Alors au lieu de lui donner des pièces, Silex forgeait des pointes de flèches en fer, avec les surplus qui restaient toujours d'une commande. Avec ça, Samyël avait enfin pu se confectionner des flèches dignes de ce nom, qui pouvait transpercer la chaire. De plus, le poids plus important permettait un meilleur équilibre au trait, lorsqu'il était décoché.
Silex se redressa puis trempa le fruit de son travail dans le bac d'eau fraîche posé à côté de lui. La lame se refroidit instantanément dans un geyser de vapeur d'eau sifflant. Il admira le résultat, paru content de lui, puis la reposa sur l'enclume avant de s'éponger le front.
-Parfait! Je crois qu'on mérite une petite pause mon garçon. Va te débarbouiller puis rentre chez toi, on a finit pour aujourd'hui.
Samyël lâcha le manche du soufflet avec reconnaissance. Sa poitrine se soulevait au rythme rapide et saccadé de sa respiration. Il rangea les outils de son employeur -cette tâche faisait aussi partie de son travail- puis il récupéra sa chemise en coton et ses bottes, confectionnées avec le cuir d'un daim qu'il avait abattu quelques mois auparavant. Puis il sorti de la forge non sans avoir saluer Silex au passage.

Il retira son pantalon de toile, qu'il déposa à côté de ses autres affaires. Il resta un moment ainsi, nu comme à l'aube du monde, profitant de la caresse du vent sur sa peau qui rafraîchissait son corps brûlant et sal, les yeux perdus dans le fond de la marre qui lui faisait face. Puis il pénétra dans l'eau limpide, et retira le bandeau de tissu qui retenait ses cheveux en arrière. Ils lui arrivaient à présent jusqu'aux omoplates, et la magnificence de cette étrange couleur vermeille en avait abasourdit plus d'un. Cependant, à  cause de cela, certaines personnes un peu superstitieuses le prenaient pour le fils d'un démon. Il n'y faisait pas attention, détaché du monde qu'il était. Plus grand chose ne pouvait l'atteindre à présent, et d'une certaine façon cela le chagrinait, car à part la tristesse, il ne ressentait plus d'émotion. Que de la tristesse, et un peu d'amertume.
Il plongea complètement son corps dans l'eau claire, afin de le laver des souillures de la forge. Il se délecta de la sensation revigorante que lui procurait le rafraîchissement instantané de son être. Il ferma les yeux, et se contenta de rester immobile, sous l'eau, jusqu'à ce que le souffle lui manquât.  Il creva la surface doucement, et de l'eau dégoulina de ses membres. Lorsqu'il rouvrit les yeux, il n'était plus seul.
Rose, la seule jeune fille de son âge au village, lui rendit son regard, accroupie près du bord de l'eau. Samyël ne tenta rien pour cacher sa nudité, se contentant de fixer la jeune femme de ses yeux ternes et éteints.
-Je savais que je te trouverais ici, fit-elle dans un grand sourire.
Ses yeux marrons suivait avec appétit les courbes du corps de Samyël, s'arrêtant un moment sur sa virilité. Elle ne semblait pas être mécontente du spectacle.
-Qu'est-ce que tu veux?, dit l'apprenti magicien, doucement.
Elle était mignonne, mais sans plus. Ses cheveux de jais cascadaient le long de son dos et ses yeux bruns brillaient d'un éclat de malice. Elle se releva, et fit glisser les bretelles de sa robe le long de ses bras, puis le vêtement tomba complètement. Cette fois, ce fût au tour du jeune homme de la dévorer des yeux. Elle était de taille moyenne, mais sa silhouette possédaient des courbes alléchantes, bien qu'encore marquées par l'enfance. Elle frissonna sous la caresse du vent, puis le rejoignit dans l'eau. Elle s'approcha de lui doucement, provoquant un sillon d'eau derrière elle. Elle se stoppa à quelques centimètres de lui. Ils se regardèrent l'un l'autre, la première grelottante, le deuxième aussi immobile et droit qu'une statue.
-Tu as froid, fit-il remarqué au bout d'un certain temps.
-Oui, l'eau est glaciale, je ne sais pas comment tu fais pour la supporter.
Les chants des petits oiseaux forestiers les entouraient, et un rayon de soleil darda de sous la dense voûte végétale de la forêt pour illuminer le petit plan d'eau, conférant à la scène un aspect enchanteur.
Elle fit quelques pas hésitants dans sa direction, puis elle l'enlaça de ses bras. Ses seins naissants se pressèrent contre la poitrine de Samyël, répandant dans son corps une douce sensation comme il n'en avait encore jamais connu. Il sentit dans l'aine une chaleur agréable.
-C'est toi que je veux, souffla-t-elle dans son oreille.
Puis elle releva la tête et posa ses lèvres contre les siennes. Samyël se laissa faire, puis finit par lui rendre son baiser. Sans trop savoir pourquoi, il passa ses bras autours de sa taille et l'attira tout contre lui. Leurs bouches se séparèrent un instant, où ils échangèrent un long regard. Rose se perdit dans les yeux étranges et fascinant de son compagnon, puis elle lui caressa la joue d'une main tendre. Elle se réchauffait au contacte du corps brûlant du jeune homme.
Samyël était en proie à un doux mirage. Les traits de Rose s'étaient peu à peu estompés pour faire place au visage de la femme de ses rêves. Il sentait la douce caresse de sa longue chevelure rousse sur sa peau mouillée. Il entendit son rire cristallin dans sa tête, tandis qu'il se perdait une fois de plus dans la féerie de son regard vert.
Puis, mû par quelque instinct dont il ne savait rien, il l'entraîna doucement vers la terre ferme, puis il la coucha tendrement dans l'herbe satinée où ils firent l'amour pour la première fois, sous le regard vif d'un épervier perché dans l'arbre qui les couvrait de son feuillage bienveillant...  

-Essai encore une fois, lui demanda Rirjk.
Samyël ferma les yeux, et se concentra sur son souffle régulier et calme.
-Visualise un feu, un brasier. Imagine toi sa chaleur sur ta peau, qui t'entoure de toute part. A présent, fais lui prendre la forme d'Azerioth.
La rune flamboyante apparut dans l'esprit du jeune garçon. Une goutte de sueur perla à ses tempes.
-Tend ta main, paume vers le haut. Capte les courants de magie qui t'entourent, et puises-y l'énergie nécessaire.
Samyël les sentaient, les courants de magie. Les voies des Arcanes, comme les appelaient les mages. Ils se déplaçaient sans cesse dans l'air, invisibles à l'oeil, mais qu'on pouvait ressentir avec un entraînement spécifique. Les magiciens y tiraient leur force, leurs sorts et leurs enchantements. Chaque particule de magie provenait des voies des Arcanes. Dans certaines parties du monde, elles étaient plus ou moins fortes. Ce qui expliquait certaines variations au niveau de la puissance magique que possédait chaque individu, selon qu'il venait de tel endroit ou de tel endroit.
Mais il avait beau les sentir, Samyël ne parvenait absolument pas à s'en servir, pour lancer le moindre sort qui s'apparentait à l'un des 7 Arts. Sauf pour l'Altération. Il parvenait à lancer les sorts et enchantements provenant de cette branche-ci de la magie. Ce qui étonnait fortement son maître qui n'avait jamais été confronté à pareil cas.
Samyël baissa de nouveau le bras, en secouant la tête.
-Désolé maître, je n'y arrive vraiment pas.
Rirjk se gratta la barbe, pensif. Si son jeune élève ne parvenait pas à lancer les sorts de base, ils ne pourraient pas aller plus loin dans l'apprentissage.
-Ba, finit-il par lâcher, on ne va pas te forcer... Nous nous concentrerons sur l'Altération uniquement pour le moment.
-Bien maître.
-Dis moi.. (Rirjk plissa les yeux de manière soupçonneuse avant de continuer :) Tu as fais quelque chose de particulier aujourd'hui?
Samyël leva les yeux, pour faire mine de réfléchir.
"Il va mentir", pensa son maître, qui s'était rendu compte que le jeune homme faisait fi de la vérité lorsqu'il faisait ce petit manège là.
-Hé bien, non. Je suis allé chez Silex, j'ai travaillé, comme d'habitude... Pourquoi cette question?
-Ho non, non, rien...
Mais Rirjk la voyait bien, la petite flamme qui s'était rallumée dans son regard. Cela se sentait aussi dans son parlé, plus vif et moins monocorde. Le vieil homme sourit mais ne chercha pas plus loin, c'était très bien ainsi.
Il se retourna et se dirigea vers un petit tabouret dans le fond de la pièce, où trônait un paquet entouré de linge blanc. Rirjk s'en saisit, et vacilla un peu sous le poids. Puis il revint vers son disciple et déposa son chargement sur la table qui lui faisait face. Le paquet s'écrasa dans un "clac" sonore.
-J'ai enfin reçu ça, du Continent.
-Qu'est-ce que c'est, maître?
-De longues nuits blanches pour toi, en perspectives.
Devant le regard interrogateur de son élève, Rirjk défit le linge d'un geste théâtral, révélant huit livres entassés les uns sur les autres. Sept volumes épais reliés de cuir lourd, et un petit carnet, recouvert d'un cuir plus souple, entièrement noir. Rirjk s'y appuya nonchalamment avec sur le visage le sourire radieux de l'homme content de lui.
-J'ai eu un mal fou à me les procurer. Surtout avec ses nouvelles lois sur le transport des marchandises, plus les taxes, les frais de transports, enfin, je te passe les détails.
Une certaine excitation s'empara de Samyël, alors que ses yeux parcouraient les livres posés devant lui. En plus, ils venaient du Continent! Son maître les étala devant lui, sauf le petit carnet, dont il s'empara lestement en lui disant que celui là n'était pas pour lui, et qu'il avait l'interdiction formelle d'y toucher. Samyël acquiesçait distraitement, alors qu'il touchait le cuir des couvertures. Ils avaient tous une couleur différentes, l'un vert intitulé "De l'Art d'invoquer" par Ford le Blanc; un violet intitulé "Métamorphoses de Caïm" par Caïm et qui semblait traiter d'Altération; un bleu intitulé "Les secrets de l'Enchanteur"  par Edwyck de la Tour; un orange intitulé "La Forge de Papy Marteau" par un certain "Papy Marteau" justement, et qui semblait traiter de Méta-Magie; un blanc intitulé "les Dons des Dieux" par Monseigneur de Méhorin et qui semblait traiter de la magie Divine; un rouge intitulé "Le Grand Livre des Mots (ou des Maux)" par un anonyme et qui semblait traiter de la Rhétorique des runes et enfin un marron intitulé "lorsque la foudre se déchaîne" par Baldwyck le Flamboyant et qui semblait traiter de Tellurisme.
-Et donc, poursuivait Rirjk inlassablement, ta prochaine tâche, est de lire et de retenir l'ensemble du contenu de ces ouvrages. Si tu as des questions ou si certains passages te posent problème, n'hésite pas à me questionner, je suis là pour ça après tout. Bien, à partir d'aujourd'hui, considère qu'ils t'appartiennent!

Silex s'enfonça dans la pénombre de sa forge, un immense sourire sur les lèvres.
-Par ici, par ici!, murmurait-il, comme en transe.
Samyël le suivait sans comprendre. C'était la première fois qu'il voyait son employeur comme ça.
-Ha, la voilà! Ma plus belle pièce! J'ai travaillé dessus toute la nuit, pour les finissions.. tu sais ce que c'est...
Le vieil homme s'abaissa vers l'enclume, et saisit un objet long d'environ cinquante centimètres, enveloppé dans une pièce d'étoffe. Il le caressa d'une main rêveuse, puis leva les yeux vers son employé, avant de le lui tendre.
-Tiens, prend la. Elle est pour toi!
Samyël s'en empara, non sans jeter un regard interrogateur à Silex. En palpant l'objet, il lui sembla le reconnaître, et ses yeux s'agrandirent de stupéfaction et de joie. Fébrile, il fit glisser l'étoffe le long de l'objet, révélant petit à petit la lame brillante d'une épée en acier. "Ma plus belle pièce", avait dit Silex. Il avait sûrement raison. La lame, coupante comme celle d'un rasoir, captait chaque petit éclat lumineux et semblait donc entourée d'un halo salvateur, qui soulignait la finesse du travail qui y avait été apporté. Quelques runes ainsi que l'image d'un ours redressé sur ses pattes arrières y avaient été gravées. La poignée et la garde, simples, semblaient avoir été adaptées pour sa main.  En plus d'être parfaitement équilibrée, l'arme pesait juste ce qu'il fallait.
-Pourquoi, commença Samyël, enfin je veux dire à...
-Joyeux anniversaire mon garçon!, s'écria soudainement le vieux Silex en l'empoignant par les épaules.
Et il se mit à sautiller tout autour de lui, comme un gamin heureux.
"C'était donc ça", pensa Samyël avec un sourire.
Sur le Continent, tout autant que sur Solanéa, l'anniversaire était une fête qui existait, mais que l'on ne célébrait que dans les classes élevées où l'on avait l'argent pour. Les gens issus des basses classes de la société ne le faisaient pas, ou très rarement.
Treize ans. C'était l'âge de Samyël. A présent, aux yeux du monde, c'était un homme. C'était la première fois qu'on lui offrait quelque chose pour son anniversaire. Mais, à ce moment là, serrant l'épée contre son coeur, il se promit qu'il le fêterait tous les ans.
-Alors, elle te plaît?, demanda Silex, son grand sourire ne souhaitant apparemment pas vouloir quitter son visage.
-Oui, beaucoup, elle est magnifique...
-De mon temps, dès qu'un jeune garçon atteignait l'âge de treize ans, on lui offrait une épée. Si il apprenait à s'en servir, il devenait guerrier ou soldat. S'il la cassait, il devenait magicien, ou érudit. S'il la revendait, il devenait marchand ou artisan.
-Et vous, vous l'avez revendue?
-Oui, c'est cela même.
-Et si on voulait devenir deux de ces choses là?
Silex se gratta la joue, pensif.
-Je ne me rappelle pas avoir déjà eu  à faire à pareil cas.
-Alors je serais le premier, fit Samyël avec un sourire.
Il montra du doigt les runes gravées sur la lame.
-Qu'est-ce que ça veut dire?
-C'est ton nom, enfin, d'après ton maître. Et l'ours, c'est pour que tu te souviennes de nous, finit-il, énigmatique.
Après quoi, Silex sortit deux choppes de derrière un établi, et ils burent de la bière. Sans le savoir, le vieil homme venait de développer ce qui serait le plus gros vice du garçon, l'alcool.

Cette nuit là, il reçut la visite de Rose, qui lui souhaita un bon anniversaire, à sa façon...    

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Cependant, je reste sur mon 1/chapitre semaine, pour ne pas épuiser tout le stock d'un coup^^
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Prince du Crépuscule le samedi 25 août 2007, 20:20:50
Eh bien Great Magician Samyël, ça me fait vraiment très plaisir de te voir poster l'une de tes suites que j'apprécie tant! ^^ Je sais que tu attendais une critique de ma part, et tu me connais, je n'y manquerais pour rien au monde, surtout quand il s'agit de ta chère fiction, ton cycle rougien. :)

Avant de commencer, j'ai relu le chapitre précédent pour me remettre "dans le bain", comme on dit. Et je dois dire que j'apprécie toujours autant les effets sombres et perturbants que tu as insufflé à tes lignes. Tu as l'art de savoir exprimer les sentiments et de dégager une atmosphère, aussi oppressante soit-elle, sans artifces et maints détours, c'est propre, bien amené (malgré quelques répétitions et encore et toujours des fautes, mais je ne t'en tiens pas rigueur, d'autant qu'il y en a de moins en moins.) Enfin, j'aime beaucoup ce que tu fais, petit Mage Vermeil, autant que par l'histoire, les personnages, l'ambiance que par le style, et en cela je ne te féliciterai jamais assez et ne t'encouragerai jamais assez de continuer, le plus sincèrement du monde. ^^

Dans cette nouvelle suite tant attendue (ravi que tu aies pu autant écrire pendant les vacances, tu auras le temps de trouver de meilleures idées encore :) ) j'ai retrouvé non seulement tout ce qui m'a plu, mais aussi une réelle évolution, une progression nette après le "prélude" introductif des ombres se déversant comme un flux mortel sur le Continent. Et je tiens à dire que j'ai adoré! Certes, quelques passages sont assez "torrides" si je puis m'exprimer ainsi, mais j'admire la teneur de tout l'ensemble, c'est d'une maîtrise, d'une avancée dans les effets et sentiments escomptés absolument superbes, que j'ai beaucoup apprécié et qui m'ont littéralement séduit. Et là s'insinue enfin un peu de féminité dans ce cycle de brute ( ;) ) en la personne de Rose, la découverte des sentiments amoureux, comment tu l'as retranscrite, tout en délicatesse et gradation, jusqu'au paroxysme de la passion, dans un sulfureux moment de communion... Tu as grandement réussi tout ça, vraiment, particulièrement l'ambiance féérique avant que "la magie ne s'opère"! J'ai pris grand plaisir à la lire! ^^ Peut-être est-ce un peu brutal et osé comme entrée en vigueur de la tendresse et de l'amour, surtout dans les expressions choisies, mais je trouve que ça correspond parfaitement à ton cycle et à ta manière d'écrire, moi j'ai aimé en tout cas, c'est ce qui compte à mes yeux. :)

J'ai hâte de découvrir l'évolution de Samyël, puis le véritable départ des péripéties, dangereuses et épiques! ^^ Sa formation, son apprentissage sont toujours aussi intéressants, le voir progresser, affronter les difficultés de la magie sous nos yeux est très plaisant. Et enfin, la scène du cadeau que reçoit Samyël de la part de Silex est touchante, elle m'a véritablement plu, on ne lui souhaite que du bonheur à ce petit bout d'homme! (enfin, façon de parler! Ksh! Ksh! Ksh! j'attends aussi le vrai drame moi, la vraie aventure! :niais: ).

Arf, je me suis emporté, enfin tu commences à avoir l'habitude. ( Voilà ce que c'est que d'avoir des moments de haute inspiration, je vous jure ^^") En un mot, j'aime beaucoup, continue comme ça et ne cesse pas de nous donner autant de plaisir, mister Great Magician Samyël, je ne peux que te souhaiter de poursuivre! :)

A bientôt pour la prochaine suite j'espère, un peu avant la rentrée de préférence! ^^
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le vendredi 31 août 2007, 17:19:39
Hohoho, c'est le Géant en Vert :niak:
Finalement, la Kuvett que je suis temporairement aura poster un chapitre, dans ce haut lieu de connaissance des Arcanes (auto proclamé) :niak:
Le jour où Nehëmah rentre en plus, apparemment, si c'est pas merveilleux :niak:
Bref, contrairement à la coutume, pas de palabres aujourd'hui, va falloir attendre le retour du Magicien pour ça :niak:
Place au Chapitre 13, je vous assure, il n'est pas maudit, du moins, pas trop... :niak:



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Chapitre 12: Démonologie.



"L'essence des créatures, des familiers, des esprits et des animaux se déplacent le long des courant arcaniques. Pour les appeler, le conjurateur doit projeter son esprit dans les courants, afin de tisser un lien symbiotique avec l'essence souhaitée. Pour se faire, il doit [...] En récitant la formule appropriée, le conjurateur ouvre une brèche dans les Courants, permettant à l'essence de prendre forme dans notre monde [...] L'essence y restera un temps limité par les pouvoirs du conjurateur, la qualité des ingrédients utilisés pour le sort ainsi que d'autres facteurs trop compliqués pour le novice, qui ne seront donc pas expliqués dans ce présent ouvrage. (Voir "De L'art d'Invoquer vol II") [...]"
De L'art d'Invoquer, extrait.


"Comme le disait Bertram le Métamorphe, "Altérer, c'est l'art de changer le monde, en bien ou en mal" C'est pourquoi le novice doit garder à l'esprit que si l'Altération n'a de limites que l'imagination et le savoir de l'Altérant, toutes utilisations excessive du 2e Art sera sévèrement réprimandée par l'Enclave des Mages. Ci dessous, une rapide liste d'exemples tirés de l'Histoire à ne pas suivre : [...]
Afin de pouvoir changer la réalité d'un objet ou d'un être vivant, l'Altérant doit connaître le nom véritable de sa cible (il en va de même pour un être humain). L'Altération repose sur une unique formule que l'Altérant adapte au cas auquel il est confronté. Ci dessous, ladite formule et le nom véritable de quelques éléments de base que le novice pourra s'entraîner à Altérer: [...]
L'Altération de soi est plus complexe, dans le sens ou la formule diffère et où la capacité imaginative de l'Altérant est mise à contribution [...]
A noter que si l'Altérant reste trop longtemps sous une autre forme, la transformation devient irréversible [...]"

Métamorphoses de Caïm, extrait.


"-Je suis enchanté de faire votre connaissance.
-Cette nouvelle m'enchante.
Ce sont là des phrases que vous avez déjà dû entendre. Bien, mais, qu'est-ce que l'Enchantement? L'art d'être heureux? Certes non!
D'un point de vue purement rhétorique, c'est l'Art de conférer à un support quelconque un pouvoir magique, pour une durée définie.
Concrètement, c'est l'Art d'apposer une rune sur un objet ou une surface afin de lui allouer une capacité.
Par exemple, renforcer une construction en bois, rendre permanent l'affûtage d'une lame...
Et ce ne sont que deux exemples parmi des milliers de possibilités! [...]"

Les Secrets de l'Enchanteur, extrait.


"Bien le bonjour, ami lecteur Tu viens de franchir le pas de la porte de la forge de Papy! On m'a demandé de rédiger un volume pour vous révéler tous mes secrets... Il paraît que je me fais vieux! Enfin, arrêtons de bavasser, nous avons du boulot devant nous!
Vous voici au seuil d'un monde rempli de métal, de runes et de bière, enfin je veux dire de magie! Mais, savez-vous ce qu'est la Méta-Magie? C'est très simple, c'est l'Art combiné de la forge et de la magie! L'Art d'insuffler la vie à vos créations! C'est un travail harassant et épuisant, autan que vous soyez prévenus, mais les méta-mages sont parmi les plus reconnus! Alors persévérez, vous verrez, vous n'en tirerez que des avantages! [...]"

La forge de Papy Marteau, extrait


""Lorsque Moryack apparut à l'Archimage Cantalor, celui-ci ne se doutait pas qu'il allait devenir le premier maître de la discipline la plus noble de l'ensemble de l'Art.
-Soit fier, mage, lui dit le dieu, tu vas devenir le réceptacle de mon savoir, que je te charge de transmettre à tes disciples."
C'est ainsi que commence le Sermon de Moryack, qui n'est autre que le premier traité sur le 5e Art, la magie dite Divine, car enseignée originellement par le Dieu Moryack en personne.
Son but est le plus noble qui soit, protéger, et préserver la vie d'autrui. [...]"

Les dons des Dieux, extrait.


"La Rhétorique des runes est un art complexe, réservé aux initiés. Avant de pouvoir commencer l'apprentissage, le Rhéteur doit connaître une base de runes basiques, suivant ci après: [...]"
Le Grand Livre des Mots (ou des Maux), extrait.


Samyël referma le livre et se frotta les yeux, qu'il avait fatigués. Il venait de finir le dernier livre, l'esprit plein de formules, de runes, de règles, de lois et de mises en garde. Il avait plus apprit en une semaine de lecture intensive qu'en six ans d'apprentissage. Il n'avait pas tout retenu, mais une bonne partie. Décidemment, la lecture était une chose qu'il appréciait grandement. Il regrettait à présent la quasi absence d'ouvrages sur Solanéa.
Il remonta la couverture jusqu'au menton de Rose, endormie à côté de lui, et elle bougea dans son sommeil.
Il souffla la bougie, et les ténèbres emplirent l'intérieur de l'ex maison d'Henry, où il avait continué à vivre après la mort de celui-ci.
Il s'endormit rapidement.

-J'ai fini de lire les sept ouvrages, maître.
-Ha! Parfait, en plus tu tombes bien. Aide moi avec la charrue. Elle est coincée. Mets toi de cet côté et tire quand je te le dirais. Qu'en as-tu pensé?
-Pardon?
-Les livres.
-Ha. C'était très... instructif. J'ai appris pas mal de sorts aussi. Mais...
-Tire maintenant.
-... je n'arrive pas à les lancer...
-Pourquoi cela?
-Je ne sais pas. C'est comme à l'entraînement. Je sens que ça vient, mais rien n'y fait.
Rirjk s'arrêta un moment et regarda son disciple.
-C'est un problème. Il faudra bien que nous y remédions.
Samyël acquiesça mais, étrangement, au fond de lui il se doutait que se ne serait pas possible...
-Je suis appelé à Gontarion pour une affaire urgente, et Erika et Erik sont chez la vieille guérisseuse au Vallon, il semblerait qu'il ait prit froid. Enfin bref, je veux que tu t'occupes de la maison et du potager aujourd'hui. Je suis sûr que tu t'en sortiras très bien! A ce soir! N'oublie pas de préparer le repas surtout! Huhu!
-Maître, attendez!
Mais déjà Rirjk sautait sur le dos du cheval qui l'attendais et s'éloigner sur le sentier au galop. Samyël soupira mais se résigna.
Il commença par le potager, il fallait ramasser les légumes mûrs, déraciner les mauvaises herbes, arroser, retourner la terre... Il s'empara de la bêche en soupirant à nouveau. La journée risquait d'être longue...
Il finit son labeur tard dans l'après midi, Erika n'était toujours pas rentrée. Il rangea les outils dans la petite cabane prévue à cet effet. Il rentra ensuite en traînant les pieds, pensant à l'avance à ce qui l'attendais encore. Il s'assit un moment à la table, pour récupérer un peu. C'est alors que son regard fut attiré par le noir de la couverture d'un petit carnet, posé sur le manteau de la cheminé. Le mystérieux carnet venu du Continent, que son maître lui avait interdit de toucher. Il n'y fit pas attention mais commença à balayer l'intérieur de la maison.
Alors qu'il faisait les poussières sur la cheminé, il fit tombé le carnet par terre, qui s'ouvrit sur la première page. Samyël se baissa pour le ramasser mais il se stoppa lorsqu'il lu le seul mot inscrit à l'encre rouge sur la page.
"Démonologie"
Une certaine excitation s'empara de lui à cette lecture, doublée d'une peur insidieuse qu'il ne s'expliquait pas. Il ne savait même pas ce que cela voulait dire. ¨Passant outre l'interdiction de son maître, il s'en empara et s'installa sur la table. Il tourna la page d'une main hésitante. Des centaines de runes écrites en rouge s'alignèrent sous ses yeux. Les battements de son coeurs s'accélérèrent sans raison. Sans vraiment savoir pourquoi, il se mit à les lire à haute voix. Un grand froid s'empara de lui et il eu l'impression que des serres s'étaient refermées sur son coeur. Mais il continuait à lire d'une voix tremblante, comme hypnotisé. Il entendit alors des chuchotements autours de lui. Des voix sépulcrales qui répétaient de façon angoissante tout ce qu'il lisait. Ses mains commencèrent à trembler.
Et soudain, il sut qu'il n'était plus seul dans la maison.  
Il releva vivement la tête, et renversa sa chaise en hurlant. Là, dans l'ombre devant lui, une forme sombre était tapie, dont il ne distinguait que deux yeux ronds et jaunes, sans pupilles, qui ne cillaient jamais. Ils étaient fixés sur lui. Des yeux inquiétants, inhumains. Il se dégageait de la "chose" une aura d'angoisse, accentuée par la nuit tombante. Sans s'en rendre compte, il avait dû lire le carnet au moins trois bonnes heures.
Mais qu'avait-il fait?  
Pendant un instant, le temps sembla figé. Un des derniers rayons du soleil couchant traversa l'unique fenêtre de la maison. Lorsqu'il révéla la créature cachée dans l'ombre, l'estomac de Samyël se retourna et son coeur se figea.
"Dieux, je vais mourir", pensa-t-il instantanément.
La gueule du monstre s'écarta de façon grotesque, révélant un sourire démoniaque. Lorsque la pièce se retrouva plongée dans la pénombre, il commença à se mouvoir; semblant glisser sur le sol, épousant les formes des obstacles pour les franchir. Les pupilles dilatées par la peur de Samyël suivaient chacun de ses mouvements, comme si ça vie en dépendait. Ce qui était sûrement le cas. Des paroles commencèrent alors à emplirent son crâne; des mots dits dans une langue qu'il ne connaissait pas, aux accents gutturaux et sauvages. Et lorsque ces voix éclatèrent de rire, quelque chose dans son esprit céda. Son corps se relâcha et il sentit son pantalon s'humidifier. Il commença à rire nerveusement, comme un dément, tandis que ses yeux n'étaient plus que deux petits points verts entourés de blanc nervuré de rouge.
Une langue longue, pointue et baveuse vint lui lécher la joue et dans les yeux jaunes, à quelques centimètres de son visage, il vit le reflet de sa propre mort. Cela le révolta. Il sentit naître en lui un sentiment alimenté par la peur: l'envie de vivre. Son regard se posa sur la porte, à quelques pas de lui. Mais aurait-il le temps d'y parvenir?
"Vas-y", firent les voix dans son esprit.
Sans se poser de question, Samyël leur obéit. Il se releva précipitamment, et se jeta sur la porte, qu'il ouvrit brusquement. L'air frais de la nuit lui sauta au visage. Il se mit à courir comme un fou, rythmant sa course sur les battements de son coeur. Des éclats de rires démoniaques lui parvinrent, et en jetant un rapide coup d'oeil derrière lui, il vit que la chose le poursuivait, son sourire ignoble ne le quittant pas. Elle agitait sa grande langue dans tous les sens, produisant une vision de cauchemar. Samyël s'enfonça dans la forêt sans réfléchir. Instinctivement, il avait cru qu'elle lui fournirait un quelconque secours. Mais le monstre gagnait toujours du terrain, sautant d'arbre en arbre avec l'agilité d'un singe.
Soudain, Samyël se stoppa net.
Devant lui, l'étendue infinie et noire de l'océan. La falaise. Il s'était piégé lui même.
Il n'eu pas le temps d'y réfléchir davantage car les serres du monstres se refermèrent sur ses épaules, déchirant les chairs et s'enfonçant profondément. Il hurla en s'effondrant en avant. Il eu le souffle coupé lorsque la créature atterrit sur son dos. Elle riait. Elle riait aux éclats. Elle se délectait de la peur et de la souffrance de sa proie. D'une geste rapide et violent, elle le retourna sur le dos et sa langue vint de nouveau lui lécher le visage. Son sourire atroce démontrait une joie sauvage à l'idée de tuer. Elle leva l'une de ses serres et d'un mouvement vif et précis, trancha dans la chair. Samyël hurla de plus belle, la douleur ayant atteint son paroxysme. Il sentait son sang quitter son corps et former une flaque sous lui. Il voulut se débattre mais la créature était trop forte. Elle commença à lui labourer le torse, envoyant de petits bouts de chair et du sang dans les air. De l'écume rouge se forma dans la bouche du jeune homme, et ses yeux se révulsèrent. Il sentait sa fin venir. Il eu soudainement envie de dormir. Fermer les yeux, et échapper au cauchemar...
C'est alors qu'un rayon  de lumière blanche jaillit de la forêt et vint percuter le monstre. Celui hurla et partit rouler un peu plus loin. Rirjk émergea de l'ombre. Son regard était plus noir encore que la nuit et ses traits faisaient transparaître une colère sans bornes. Alors que la créature se relevait, son sourire envolé, le mage prit une pincée d'une poudre violette dans une des bourses suspendues à  sa ceinture. Il la jeta dans les airs et incanta rapidement. Dans un hurlement de rage, le monstre se précipita sur lui. Rirjk tendit le bras vers lui en terminant d'incanter. Une explosion de lumière secoua la falaise. Samyël ferma les yeux pour s'en protéger. Lorsqu'il les rouvrit il vit son maître balancer le corps calciné de la chose dans la mer avec son pied.
Ensuite, il se retourna vers son apprenti. Et son regard le cloua sur place.
-Maître, je...
Rirjk le prit par le col, et le releva d'un geste brusque. Les pieds à quelques centimètres du sol, Samyël regarda son maître avec un regard apeuré. Le poing de Rirjk s'abattit sur le visage du jeune homme en craquant, le renvoyant à terre. Samyël haleta sous le coup de la douleur générée par ses multiples blessures.
-Considère ça comme une leçon, dit Rirjk en tournant les talons.
Samyël ferma les yeux, en gardant l'image des bottes de son maître s'éloignant de lui...
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Prince du Crépuscule le samedi 01 septembre 2007, 17:57:32
Surprise, surprise, je viens commenter ta fiction! Original n'est-ce pas? ^^

Pour commencer dans la bonne humeur : Great Magician Samyël, si tu ne réponds pas à mes commentaires, je ne vois pas pourquoi j'en ferai, moi! Tout ce temps à tapper réduit à néant, je vous jure... Je suis vexé! ><' Non, je plaisante bien entendu, je continuerai à t'encourager et à te dire ce qui m'a plu en détail, et éventuellement à souligner certains aspects qui m'ont gêné pour t'aider, même si sur ce dernier point, je n'ai pas grand chose à redire. ;)

J'éprouve toujours autant cette soif intarrisissable de suite quand je finis de lire tes écrits, c'est rageant de ne pouvoir poursuivre cette belle épopée, palpitante au possible! Mais faire attendre les lecteurs est une bonne chose, je ne dis pas le contraire, surtout quand on ressent enfin la joie de pouvoir poursuivre l'aventure aux côtés de Samyël et de son maître Rirjk. ^^
Alors, d'une part j'ai beaucoup aimé la façon introductive dont tu as commencé ce chapitre (le treizième déjà, ça passe vite! Mine de rien, ça avance, ça avance. :) ) avec ces extraits des différents livres traitant des différentes magies, tu les a excellemment découpés et présentés, en essayant de varier les styles pour que ça paraisse plus réaliste. Moi, je te l'avoue, c'est le genre de choses auxquelles je ne penserai jamais (je leur préfère de longs poèmes laborieux et décousus que je ne sais pourquoi je continue à écrire, d'ailleurs... -_-"), et j'ai apprécié. ça ne donne qu'une dimension plus réelle à ton texte, ce genre de détail compte beaucoup pour la vraissemblance et l'apparence de maîtrise de l'auteur, également (et surtout même) que pour l'immersion totale du lecteur, fasciné par tant de travail et la minutie ingénieuse, l'inventivité de l'écrivain. D'ailleurs comme je l'avais déjà dit il y a plusieurs mois, les différentes magies et les notions auxquelles elles s'appliquent sont très intéressantes, cette nouveauté concernant cet "art" maintes fois revisité est véritablement la bienvenue. ^^

Ah! Le thème de l'interdit, de la frustration et de l'apprenti qui brise l'interdiction et les secrets auxquels ils se rapportent, c'est vieux comme le monde ça! Mais toujours aussi plaisant par contre. ça fera peut-être un peu cliché, et même si on le sentait dès le chapitre précédent que Samyël allait braver les ordres du sage Rirjk, j'aime toujours autant. Encore une fois, ça n'apportera que des catastrophes, heureusement réparées et justement sanctionnées (même si c'est un peu cruel, mais il nous faut notre dose! ;) ). Les ambiances sombres et oppressantes, faire évoluer tes personnages dans une atmosphère et des circonstances particulièrement angoissantes, terrifiantes même, te sied décidément très bien, GMS, je te félicite pour ces descriptions émotionnelles en même temps que très mouvementées. J'ai adoré! Le thème du doute, de l'oscillation de la vie et de la mort, la fuite, le danger qui vous rattrappe, une notion inconnue qui vous séduit, vous hypnotise, à lauqelle vous vous frottez et qui va se révéler (presque en l'occurence, par le miraculeux sauvetage de son maître) fatale pour le curieux (comme pour La Fouine précédemment d'ailleurs ^^), les scènes de cauchemards, d'abord figées puis rapides et mortelles, tu as merveilleusement combiné tout cela, par ton style et des termes bien choisis. :)

Qu'ajouter à cela? ça sent le roussi pour notre cher mage aux cheveux écarlates, il va se prendre une bonne fessée de la part de Rirjk, et amplement méritée, je le sens!  Bon, je crois que je t'ai assez retenu comme ça, moi qui croyait que l'inspiration ne me viendrait vraiment pas pour un commentaire aujourd'hui, comme quoi... ^^' Bonne continuation, Great Magician Samyël, continue de nous émerveiller comme ça! :niais:
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le vendredi 07 septembre 2007, 19:11:01
Plop ami(s? :niak:) lecteur(s? again :niak:)! Tout d'abords, bonne rentré! ^o^
Voilà pour le sujet qui fache! =D
Enfin, malgré ces sombres jours qui s'annoncent, le Magicien reste fidèle au poste, et c'est donc avec joie que je vous délivre votre chapitre Hebdomadaire =D Enjoy it!
Je tiens également à m'excuser pour vous avoir induit en erreur (enfin, pas moi, la Kuvett V_v), car le précédent chapitre n'était pas le 13, mais bien le 12 ='D (Oui, comme tu me l'avais dit, PdC, mais il est bien connu que les Kuvett sont butées en plus de ne pas etre matheuses... V_v" [/excuse pitoyable])

PdC==> Que dire, que dire face à ce commentaire :niais: J'en veux des pareils tout le temps :niais: Oui, j'avoue, j'aime écrire ce genre de scène glauque, c'est presque comme un pêcher mignon ^^" Pour ce qui est du cliché vieux comme le monde "interdit==>bravage==>juste retour des choses" je suis d'accord, mais d'un autre côté, tellement d'idées ont déjà étaient utilisées que c'est parfois difficile de faire que de l'original, d'où ce léger cliché hukhuk^^

Enfin bref, trêve de parlote, place au récit! Bon chapitre 13, le vrai, cette fois ; )


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Chapitre 13 : Maître...


-Erika! Dis à Rirjk que j'ai ramené le bois.
Samyël déposa son fardeau à côté de la porte, et attendit une réponse.
-Erika?
Il poussa le battant du pied et jeta un rapide coup d'oeil à l'intérieur. Personne. Sans savoir pourquoi, il eu soudainement un affreux pressentiment. Il regarda tout autours de lui, mais nulles traces de son maître et de sa famille. Tout était calme. Peut être trop. Même les oiseaux ne chantaient pas.
Il mit ses mains en porte-voix:
-Maîiitre! Erriika!
L'écho de sa voix se répercuta un instant, mais toujours aucune réponse. Il rentra de nouveau à l'intérieur, pour vérifier qu'ils n'avaient pas laissé un mot à son attention. Mais aucune trace de parchemin. C'est alors qu'il remarqua que le repas était encore sur le feu, en pleine préparation. Et ça ne ressemblait pas à Erika de partir sans l'avoir finit.
Quelque chose avait été jeté dans le foyer. Samyël saisit la pince et l'en extraya. Le carnet noir. Le carnet maudit. Le coeur du jeune garçon se glaça et il le jeta loin de lui avec répugnance. En même temps, si Rirjk l'avait mis là, c'est qu'il avait eu besoin de le cacher précipitamment.  Une peur insidieuse coula dans ses veines comme un poison sournois. En regardant bien, il remarqua que tous les ingrédients magiques de son maître avaient disparus: les poudres, les herbes, et les éléments divers. La couverture du petit Erik manquait à l'appel elle aussi. Dans l'esprit de Samyël c'était à présent clair, quelque chose ne tournait pas rond. Immanquablement, son cerveau fit le rapprochement avec les événements survenus six ans auparavant. Quand son grand père avait été...
Il ressortit en vitesse, faisant tomber la pile de petit bois au passage. Sans réfléchir, il se lança comme un dément sur le sentier, courant aussi vite qu'il le pouvait. Il distingua loin en contrebas, Gontarion, et le grand navire aux voiles blanches qui y était amarré. Maintenant il en était sûr, c'était de ce bateau qu'avaient débarqués les assassins d'Henry, six ans en arrière. Et maintenant ils venaient lui prendre son maître...
-Riiirjk!!! Eriikkaa!!
Il traversa la Dent sous les regards étonnés des villageois. Eux ne semblaient n'avoir rien remarqué. C'était possible, si les assassins étaient passés par la forêt.
Toute peur envolée, Samyël ne pensait plus qu'à une chose. Sauver Rijrk, et Erika, et Erik. Sauver sa dernière famille. Tout ce qu'il lui restait.
Ses cheveux flottaient derrière lui, formant comme une traînée de feu, lui conférant. , une allure éthérée. Il coupa par les bois pour gagner du temps. Sans prêter la moindre attention aux branches et autres buissons qui lui écorchaient le visage, les mains et les jambes au passage. Il se retrouva bientôt de nouveau sur le sentier. Il sentait l'air quitter ses poumons, ses gestes devenant de plus en plus en difficiles. Il maudit sa faiblesse et puisa dans ses réserves pour continuer. Déjà il apercevait les masures de Vallon Brumeux.
C'est alors qu'une forme sombre jaillit des fourrées en bordure du  chemin et se jeta sur lui. L'impacte lui coupa le souffle et les envoya tous deux au sol, où ils roulèrent dans la poussière.
C'était Lex.
Il se positionna sur Samyël et lui attrapa les poignets pour l'immobiliser.
-Lex? Mais qu'est-ce que tu fais?!, criait Samyël en se débattant. Rirjk! Ils l'ont pris! Ils vont le tuer! Il faut aller le sauver!
-Et comment tu feras?, lui répondit le vieil homme sur le même temps. Hein? Allez, dis moi comment tu ferais pour t'en tirer contre tous ces soldats bien entraînés et armés? Tu aurais le temps de tous les tuer avec ton arc avant de te faire prendre à ton tour, pour rien au final? Où alors tu veux les combattre avec ton épée peut être? Celle dont tu ne sais même pas te servir? Non, je sais, tu vas tous les faire frire avec une boule de feu c'est ça? J'ai raison? Oublis les, ils sont déjà morts.
-Ferme là!
Samyël propulsa son genou dans l'abdomen de Lex, qui le lâcha en grognant. L'apprenti magicien en profita pour lui assener un coup de poing qui le renvoya au sol. Ainsi ils inversèrent leur position et Samyël se retrouva sur lui.
-Qu'est-ce que t'en sais? Hein?! Dis!!
Le jeune garçon hurlait, ses yeux devenus fous scrutant les lèvres de Lex en attendant une réponse. Ses poings s'écrasaient à intervalle régulier sur le visage du vieil homme qui encaissait sans pouvoir riposter.
-Tu mens! Ils ne sont pas morts! Je vais les sauver, je vais les sauver je te dis!
Les jointures de ses doigts craquèrent et du sang commença à maculer ses articulations blanchies. Il haletait, en proie à une douleur horrible. Ses récentes blessures s'étaient rouvertes suite à ses mouvements brusques, et ses bandages étaient souillés d'hémoglobine. Ses coups se firent plus lents et plus mous.
-Tu mens... Ils ne sont pas morts. Pas morts. Pas morts... Pas eux... Ce n'est pas possible, c'est un cauchemar. Je vais me réveiller.
Lex, la mâchoire brisée, le nez cassé, les lèvres explosées, sentit des larmes s'écraser sur son visage meurtri.
-Ce n'est qu'une farce, une immonde farce. Ils vont revenir, et puis on mangera, on racontera des histoires. Héhéhé. J'ai raison, n'est-ce pas?
Le vieil homme ferma les yeux, et pris le jeune garçon dans ses bras. Il se fit violence pour pouvoir murmurer  quelque chose.
"Sois fort, petit"
Samyël rejeta la tête en arrière, et hurla de toute son âme, tandis que des flots de larmes amers se répandaient sur son visage. Lex lui prit la main, et la guida vers l'une de ses poches. Les doigts de Samyël se refermèrent sur du papier. Il l'en extirpa de là et parcourut le document des yeux. Il reconnu l'écriture soignée de Rirjk. Il la lut tout en sanglotant, puis, une fois qu'il l'eu finit, il hurla de nouveau en la déchirant.  

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J'en profite pour vous prevenir qu'il me sera à présent difficile de tenir mon délai d'un chapitre/semaine dû d'un côté à la reprise, et de l'autre par mon engagement auprès de DH (allez y faire un tour d'ailleurs, c'est le Bien °3°)
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le lundi 01 octobre 2007, 19:18:30
Je profite du bide monumental provoqué par le dernier chapitre pour embrayer sur la première partie du suivant (qui fait tout de même 4,5 pages Works :niak:).

Pas de comm'= pas  de réponses à donner, donc pas de blabla cette fois-ci, place à la lecture.


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Chapitre 14 :  Mon nom est Zackary, je suis magicien. (Première Partie)


"Samyël,
si tu lis ces mots, c'est que je suis mort, où que l'on m'a emmené. Quoi qu'il en soit, voici ma dernière volonté:
Oublie nous.
Cela vaudra mieux pour toi, comme pour tous les autres. C'est mon dernier ordre, en tant que ton maître. Je sais que nous n'étions plus en très bons termes, après l'incident de la semaine dernière. Je veux que tu saches que j'en suis désolé. J'aurais voulu m'excuser, trouver ton pardon, mais ma foutue fierté m'en a empêché. Tous les mages sont comme cela, têtus et trop fiers. Ne devient pas comme nous autres. Quoi qu'il en soit, l'encre de mes mots m'aidera à exprimer ce que j'ai toujours voulu te dire depuis ce fameux jour, il y a six ans. Alors je le fais aujourd'hui. C'est peu être lâche, mais je m'en fiche, ça n'a plus d'importance désormais.
Pardonne-moi, pour tout.
J'ai essayé de prendre la relève de ton grand père au mieux de ce que je pouvais. J'espère avoir réussi, en partie du moins. Je ne sais pas si Erika et Erik auront disparus lorsque tu recevras cette lettre; cela me fait une drôle d'impression décrire cela, alors que je les regarde dormir, juste derrière moi; mais si cela devait arriver, j'aimerais que tu ériges une stèle à leur mémoire. Pas pour moi, je n'en mérite pas. Je suis probablement déjà parti en Enfer. J'ai fais beaucoup de choses dans ma vie, et j'en regrette plus de la moitié. J'aurais aimé te raconter mon histoire, même si elle n'est pas toute rose, mais quelqu'un d'autre devra s'en charger à ma place."


L'aube rougeoyante nimbait son visage d'ombres vermeilles, et faisaient flamboyer ses cheveux. Une douce brise parcourait Solanéa en murmurant doucement, veillant sur l'île qui s'éveillait petit à petit. Quelques oiseaux matinaux commençaient déjà leurs vocalises, à l'ombre bienveillante des vieux sapins, qui écoutaient attentivement, leurs racines aussi vieilles que le Continent lui même vibrant d'un plaisir lyrique.
Un papillon se posa sur sa main, et il le regarda un instant. C'était un bel insecte, avec de magnifiques ailes jaunes et blanches. Le lépidoptère remua un instant, puis reprit son envol, planant dans le vent en pilote aguerri.
Il observa son balai aérien un moment, puis reporta son attention vers le lointain, son regard englobant la totalité de cette vieille île si chère à son coeur. Il apercevait au loin les fumées blanches des fours à pains, qui montaient en panaches virevoltants dans l'air du matin. A Gontarion, l'activité avait déjà commencé, et des hommes s'affairaient à charger et décharger des bateaux, à réparer une voile, un trou dans une coque. Insouciants et souriants à la vie. A l'est, l'Océan se parait de couleurs chaudes et miroitantes, baignant l'horizon d'un halo flamboyant.

"Il y a beaucoup de choses que je n'ai pas pu t'enseigner. Mais d'autres le feront à ma place. Du moins, si l'étude des Arts t'intéresse toujours. La Citadelle Blanche, à Arendia, t'accueillera et te protégera. La magie ne doit pas disparaître; et en tant qu'un des derniers pratiquants, tu te dois de transmettre ton savoir aux générations suivantes. L'Archimage et les Maîtres Mages te formeront; j'ai confiance en toi, tu deviendras un grand mage.
N'écoute pas ce que les faibles d'esprits pourront te dire. Les Arts ne sont pas un des outils du Mal. C'est une force bénéfique, qui doit aider le peuple, et non le détruire. A cause de ton pouvoir, les gens te craindront sûrement. N'emploie pas tes sorts pour leur donner raison. N'emploie pas ta magie à faire le mal, à détruire ou à blesser. Utilise la plutôt, pour aider les personnes autour de toi, fais en une alliée de la Justice et du Bien. C'est un don des dieux. Pas une malédiction.  
Malheureusement, nous vivons une époque où être magicien est synonyme de mort. Ne montre jamais tes pouvoirs lorsque cela n'est pas strictement nécessaire, et dans tous les cas, ne les utilise jamais contre quelqu'un. Cela influencerait d'avantage l'opinion publique.
Si tu décides de garder les livres que je t'ai offerts, sois prudents, ne les montre à personne en qui tu n'as pas une confiance absolue. Ou sinon, brûle les. Sauf le carnet. Non, le feu ne lui fera rien. Ses maléfices sont insensibles à la morsure du brasier. Enterre le plutôt, ou jette le dans l'Océan. Je ne suis plus là pour te guider, mais, surtout, quoi qu'il advienne, ne l'ouvre plus tant que tu n'auras pas les connaissances nécessaires pour le manier sans risques."


Samyël se leva, et passa son sac en bandoulière, et son arc et son carquois par dessus. Son épée pendait fièrement à son côté, battant ses hanches au rythme de sa marche. Il inspira une longue goulée d'air frais en fermant les yeux.
"Dieux, comme cette île va me manquer", réalisa-t-il soudainement.
Il rouvrit les paupières et se retourna. Il balaya l'intérieure de la maison de Rirjk une dernière fois, puis il referma la porte, tout doucement, avant de la sceller par un mot de pouvoir. Il y eu un léger déclique, et Samyël eu l'impression qu'une page de sa vie venait de se tourner, alors que se fermait cette porte.
Plus de larmes; plus de regrets; plus de chagrin. Seulement de la détermination, et l'envie de vivre. De vivre pleinement, d'en profiter.
La veille, il avait enterré les ouvrages de magie dans le petit potager que Rirjk aimait entretenir. Il n'avait pas pu se résoudre à les jeter en pâture au feu. Il avait du respect pour ces reliques d'un passé glorieux et oublié.
Il avait conservé le carnet. Enveloppé dans un linge épais et fourré au fond du sac. Mais même ainsi, il sentait les émanations démoniaques qui s'en dégageaient. Samyël avait pris le minimum, quelques affaires de rechange, ses bottes, un peu de nourriture, l'argent laissé par Rirjk et une couverture.

"Les gens qui m'ont emmené, ou tué, sont les mêmes que ceux qui ont tué ton grand père; même si tu as certainement dû t'en rendre compte. N'en conçoit pas de haine. La haine obscurcie la raison, et rend un homme malheureux. Je comprends que tu puisses êtres furieux peut être même désespéré. Mais ne cherche pas à te venger, car la vengeance entraîne la vengeance, c'est un cercle sans fin. Mais si jamais tu le souhaitais vraiment -et je ne pourrais t'en blâmer-, ne te venge pas pour moi, mais fais le plutôt pour Erika et mon fils, ainsi que ton grand père.
Ton grand père... C'était un grand homme. Maintenant que je ne puis craindre ton regard, j'ai envie de me libérer d'un fardeau qui pèse sur mon coeur et mon esprit depuis six ans. Ce jour, ils n'étaient pas venus pour Henry. Ils étaient venus pour moi, et moi seul. Ton grand père s'est sacrifié afin de me sauver la vie, et par la même celle de ma femme et de notre enfant.
J'espère que tu me pardonneras. Sincèrement.
Je vais clore cette lettre ici. Tu dois sans doutes te poser moult questions. Et je souhaite que tu en trouves les réponses.
J'ai dissimulé tout l'argent que j'ai pu amasser au cour de ses six dernières année, ainsi qu'une lettre de recommandation pour l'Archimage dans le creux du vieux pin, près de la marre.
Je t'ai aimé comme un fils, au même titre qu'Erik. J'aurais voulu que tu m'appelles "père", même si ça peut paraître égoïste. Je m'en fiche. Je suis enfin libéré de mes tourments. Je peux mourir en paix à présent.
A jamais,
Rirjk"


-Je pars Grand Père.
Samyël posa sa main sur la pierre tombale qui se dressait face à l'immensité de l'océan.
-Oui, je pars. Je quitte l'île, je vais sur le Continent. Comme toi, lorsque tu étais jeune. Tu m'as dis un jour que ton histoire serait la seule que je n'entendrais jamais. Tu te trompais. Je la trouverais. Oui, je la trouverais. Et j'écrirais une geste en ton honneur. Même si cela ne te plait pas.
Il rit doucement.
-Tu vas me manquer, Grand Père. Je ne sais pas quand je pourrais venir te voir à nouveau. Mais je le ferais. C'est une promesse. Ce n'est pas un adieu, juste un au revoir. Je vais écrire mon histoire sur les pages du livre qu'on appelle Destiné. Et je te la raconterais. Celle-là, tu ne la connais pas, hein?  (Un sourire) Je deviendrais un grand mage, et je protégerais tout les autres... Non, c'est faux. Je sais que je ne le peux pas. C'est un rêve. Mais c'est si bon de rêver; je crois que c'est la plus belle chose que tu m'aies enseigné... Merci. Et au revoir.
Samyël fit glisser ses doigt le long de la pierre lisse en une ultime caresse. Sa gorge se serra mais il ne pleura pas. Il se l'était promis.
A quelques centimètres à droite de la tombe d'Henry s'élevait un petit cairn de pierre solitaire, fait de pierres empilées. Samyël mit un genoux en terre face à lui, et adressa une prière silencieuse aux dieux, afin qu'ils veillent sur Erika et Erik durant leur voyage dans l'au delà.
Puis il se releva, remonta la bretelle de son sac sur l'épaule afin que celle-ci ne le gène pas, prit une grande inspiration et enfin s'engagea sur le sentier, qui le conduirait jusqu'à Gontarion, puis de là, sur le Continent. Il marchait d'un pas sûr et brave. Il ne regarda pas une seule fois en arrière. Il n'avait pas le temps pour avoir des regrets ou du chagrin. Il avait un but, il l'accomplirait. Ses pas le menèrent tout d'abords devant la ferme de la famille de Bill. Le jeune homme était assis sur sa souche, et mangeait un quignon de pain. Lorsque Samyël s'arrêta devant lui, il releva la tête, et tendit sa nourriture  vers son ami.
-Tiens, j'ai plus faim... T'as du courage. Partir pour le Continent... D'après ce qu'on raconte, c'est l'Enfer. Mais bon, si c'est ce que tu veux... Bon vent.
Samyël sourit, prit le pain avec reconnaissance et étreignit son ami, avant de reprendre la route, sans un mot. Il traversa pour la dernière fois la Dent d'Ours. Tout le monde dormait encore. C'était sans doute mieux ainsi. Il avait l'impression de s'éclipser comme un voleur. Il se sentait vaguement honteux. Mais le vieux Silex comprendrait. Et puis Rose... Rose était intelligente, elle aussi comprendrait. Une petite vie tranquille et heureuse l'attendait ici, sur l'île du Soleil. Elle se marierait, puis élèverait ses enfants...
Samyël se mordit la lèvre inférieure. Il n'aimait pas penser à cela car ça malmenait sa détermination. Il secoua la tête et se remit en route.

-Comment va-t-il?
La vieille guérisseuse le regarda d'un oeil morne, et haussa les épaules. Elle s'écarta de lui et sortie dehors, afin d'aller remplir sa bassine d'eau au puit.
Samyël s'approcha d'un pas hésitant du lit où gisait le pauvre Lex. Il se dandinait d'un pied sur l'autre, ne sachant trop que dire. C'était de sa faute s'il était dans cet état là, après tout...
-Lex? Tu... Tu m'entends?
Le pauvre homme respirait difficilement, une respiration sifflante et irrégulière. Il ne semblait pas s'apercevoir de la présence de Samyël
-Je... Je voulais m'excuser pour ce qui s'est passé. Je regrette sincèrement... Je voulais aussi te remercier. Pour tout ce que tu as fait pour moi. Je vais faire ce que me conseille Rirjk. Je vais aller sur le Continent; et je deviendrais un grand Mage. Je te le jure!
Le silence qui s'installa, à peine troublé par les mouvements respiratoire de Lex, mit Samyël mal à l'aise.  
-Je... Je vais te laisser, tu as besoin de repos. Adieu.
Samyël n'en était pas sûr, mais, en se retournant, il avait cru apercevoir un léger sourire sur les lèvres boursouflées de Lex.
Rongé par le remord pour ce qu'il avait infligé au vieil homme, Samyël sortit.
Lex mourut trois jours plus tard de ses blessures.

Une boule se forma dans la gorge de Samyël, et ses entrailles se nouèrent. Face à lui s'étendait l'infinité du Continent, sombre, angoissant, perdu dans les brumes, et pourtant, il ne se trouvait qu'à quelques kilomètres de sa position. Il se remémora toutes les histoires qu'il avait entendues sur ce sujet, souvent funestes et terrifiantes, et la peur qu'il inspirait à son Grand Père...
Samyël secoua la tête pour chasser ces sombres pensées. Il avait pris sa décision, c'est là qu'il se rendait. Il se fit soudainement la réflexion qu'il n'avait encore jamais été aussi loin de son village. Il se retourna, et admira quelque chose qu'il n'avait encore jamais vu, Solanéa s'élevant face à lui, et non s'abaissant pour lui délivrer une vue d'ensemble de l'île. Il leva le point vers les hauteurs, dans un geste symbolique.
Puis il pénétra dans Gontarion.  
Ses premières impressions furent déception  et émerveillement.
Déception, car le port n'était pas aussi grand que ce qu'il s'imaginait. Certes il faisait près du quadruple de la Dent mais une fois dedans, on se rendait vite compte que ce n'était pas si important que ça.
Émerveillement aussi, car malgré cela, c'était un endroit bondé de gens, de bruit, d'odeurs d'iode, d'alcool, d'épices,  du cri des mouettes et de la mer.
Samyël se faisait bousculer, écarter, piétiner parfois, mais il s'en fichait. Il était grisé par la foule, et même dans ses rêves les plus fous il n'avait jamais imaginé autant de gens réunis au même endroit.
"Et je ne suis même pas sur le Continent!", pensa-t-il avec un frisson d'excitation.
Mais sa joie fut rapidement douchée lorsque deux hommes en armes, portant des tabards rouges s'approchèrent de lui et le saisirent par les épaules.  
-C'est lui?, fit le plus petit, un homme d'un certain âge portant une petite moustache gominée.
-Aucun doute, répondit l'autre, les cheveux rouges et les yeux verts. Comme il a dit.
-Mais lâchez moi!, s'exclama l'apprenti magicien en se débattant. Qui êtes vous, qu'est-ce que vous me voulez?
Ses "agresseurs" le soulevèrent du sol et commencèrent à marcher vers la sortie du port, parallèlement à la mer. Ils avançaient d'un pas tranquille et lent, comme si rien ne les pressait.
-Le seigneur Expédition désirerait vous parler, c'est pourquoi vous êtes invité dans sa demeure.
-Expédition? Qui est-ce? Je ne le connais pas!
-Certes. Il est vrai que vous venez de loin, si je puis dire. N"ayez aucune crainte, il ne vous veut aucun mal. Il souhaite juste discuter.
-Dans ce cas lâchez moi! Je crois que je suis encore capable de faire aller mes jambes moi même!
-Mille excuses.
Les deux soldats le lâchèrent et ce fut donc sous escorte que Samyël se rendit au manoir Expédition, une bâtisse de pierre, la seule de l'île, haute de deux étages mais de superficie moyenne, située un peu à l'écart de Gontarion, sur une petite colline surplombant la Mer.
-Je... Je ne savais pas que des demeures en pierre existaient. Et puis elle est si grande..., souffla Samyël avec un air admiratif.
-Vous vous y habituerais, j'en suis sûr, répondit le vieux soldat.
Ce dernier s'avança et frappa deux coups à la lourde porte de bois massif. Ils attendirent quelques instants, puis elle s'ouvrit en grand, révélant un vieil homme qui semblait les attendre sur le pas de la porte.
-Marco, ce jeune garçon est la personne que sa Seigneurerie attend.
Le dénommé Marco posa ses yeux d'aigle sur Samyël, qui le jugèrent sur place, l'examinant, le détaillant, ce qui gêna profondément le jeune homme, car en comparaison avec le luxe des habits de Marco, il semblait sortir d'un ravin crotté. Cependant, le majordome plissa le nez, mais s'écarta pour les laisser entrer. Le deuxième soldat fit signe à Samyël d'avancer, ce qu'il fit assez timidement. Ils se trouvaient dans un petit hall, sobrement mais habilement décoré de tapisseries, de portraits et de fleurs.
-Venez, fit Marco avec un claquement sec de la langue, je vous montre le chemin.
Samyël acquiesça et s'engagea à la suite du serviteur. Ils grimpèrent un escalier qui s'enroulait doucement sur lui même, franchirent deux couloirs puis Marco s'arrêta devant une porte dénuée d'ornement. Il frappa doucement.
-Qu'y a-t-il?, répondit une voix lourde et profonde de l'autre côté du battant.
-Il est là, mon Seigneur.
-Parfait, faites le entrer, et laissez nous.
Marco fit un petit signe de tête vers Samyël et ouvrit la porte. L'apprenti magicien s'avança dans la pièce, un petit cabinet meublé avec goût, et avec, sur le mur de droite, une large fenêtre donnant sur la mer qui laissait entrer un flot de soleil.
Un homme, qui semblait avoir la trentaine, mais dont la sagesse qui brillait dans son regard donnait beaucoup plus, était assis face à lui, derrière un bureau en bois. Il rédigeait une lettre, des lorgnons sur les yeux. Lorsqu'il l'eu finit, il se relut puis plia le parchemin avant de le sceller en y appliquant son sceau -Un Lion. Puis il se laissa aller en arrière sur son siège, en jouant avec sa moustache.
-Tu es Samyël n'est-ce pas?
-Que... Comment connaissez vous mon nom?
L'homme se leva, puis se dirigea vers la fenêtre.
-Rirjk m'a beaucoup parlé de toi.
-Mon maître? Vous connaissiez mon maître?
-Oui. Il soignait ma maisonnée, mais c'était avant tout un ami. Je suis désolé pour ce qui est arrivé...
Samyël baissa les yeux, préférant ne pas ressasser ces souvenirs encore trop vifs en lui. Quand il les releva, il remarqua que son interlocuteur serrait les poings fortement.
-Je n'ai rien pu faire. Ils étaient trop nombreux...
-De... De quoi parlez-vous?
-Ces hommes... Ces démons, ils étaient au courant pour Rirjk. Je ne sais pas comment ils ont appris qu'il était toujours en vie. Ils ont débarqué ici un beau matin. Ils m'ont demandé où il vivait.
-Et vous... vous le leur avait dit?, murmura Samyël, abasourdi.
-Oui. Je n'avais pas le choix. Ils étaient environ trois cents, armés et bien entraînés. Résister n'aurait servi à rien si ce n'est faire couler plus de sang que nécessaire. J'ai n'ai pu obtenir d'eux que deux choses, qu'ils accomplissent leur besogne vite, discrètement, et loin de mon île.
-Vous... Vous l'avez vendu!, s'exclama le jeune garçon en serrant les poings à son tour, de colère.
Le seigneur Expédition se tourna vers lui.
-Crois ce que tu veux. J'ai fait ce qu'il fallait, j'ai fait ce qu'il aurait voulu que je fasse. Et tu le sais tout aussi bien que moi. Trois vies ont été prises, beaucoup plus auraient pu connaître le même sort si j'avais tenté de résister. Mais je ne t'ai pas fait venir pour parler de ce tragique événement.
Il retourna s'asseoir derrière son bureau et posa ses lorgnons.
-Je suppose qu'à présent tu vas partir pour le Continent?
Samyël tremblait; mais il n'aurait su dire si c'était de rage, de dépit ou de tristesse. Il ne voulait pas parler, mais quelque chose dans l'attitude de cet homme l'y incitait.
-Oui, c'est exact.
-Bien, je ne te retiendrais pas. Je te comprends, je crois que j'aurais fait pareil si je m'étais retrouvé à ta place. Que vas-tu faire?
-Je... Je me rends à la Citadelle Blanche, pour poursuivre mes études de magie.
-Rirjk avait de bons espoirs pour toi. Il disait que tu serais sûrement amené à jouer un rôle déterminant dans la guerre qui déchire le Continent.
-Pourquoi disait-il cela?
-Je ne sais pas. Personnellement, je ne te le souhaite pas. La guerre est quelque chose d'horrible, et je parle d'expérience. Elle ne devrait pas exister. Surtout, tu devras te montrer très prudent. Tu es probablement le dernier possesseur de magie en dehors de la Citadelle. Si cela venait à se savoir, sois certain que tu aurais le monde entier à tes trousses, tant que tu n'auras pas atteint Arendia.
-Je sais tout cela.
-Fort bien, cela nous fera gagner du temps. Rirjk disait que l'un de tes rêves était de devenir chevalier à la cour.
Samyël baissa les yeux de nouveau, ne sachant trop sur quel pied danser.
-A vrai dire, je ne sais plus. Je ne sais plus où j'en suis.
-Je vois..., répondit Ferdinand en se caressant la moustache. Quoi qu'il en soit, si tu devait être amené à rencontrer le Roi, remet lui ceci de ma part.
Le Roi de Solanéa prit alors la lettre qu'il rédigeait quelques instants plus tôt et la tendit vers Samyël. Ce dernier s'en saisit avec révérence, et la plaça délicatement dans son sac.
-Tu as une belle épée.
-Merci.
-Sais-tu t'en servir?
-Malheureusement non.
-Dans ce cas tu devrais apprendre. Parfois, une bonne lame est plus efficace qu'un tour de magie, crois moi.
-Je suivrais votre conseil.
Ferdinand sourit, la première fois depuis qu'ils discutaient.
-Le bateau pour le Continent ne va pas tarder à partir. Tu devrais te dépêcher. En sortant, Marco te remettra une bourse qui contient de quoi payer ton passage. Garde le reste, il te serra utile plus tard. Non, pas besoin de me remercier. C'est un minimum pour réparer ma faute.
Ferdinand se leva alors de son siège, et s'inclina légèrement en avant.
-Jeune Maître Samyël, ce fut un plaisir de vous rencontrer. Je caresse l'idée que lors de notre prochaine rencontre, nous parlerons d'égale à égale.
Samyël fit la révérence, mais ne comprit pas le sens des dernières paroles du seigneur Expédition Il s'apprêtait à sortir de la pièce lorsque Ferdinand le rappela.
-Il y a une dernière chose que je dois te dire. L'homme qui a tué ton grand père, ainsi que Rirjk et sa famille... Il s'appelle Eratius.
"Eratius"
Ce nom se grava en lettres capitales rouges dans l'esprit de Samyël. Une lueur étrange passa dans son regard, mais il ne se retourna pas et quitta la salle en fermant derrière lui.
Marco l'attendait effectivement, un plateau d'argent dans les mains où reposait une petite bourse de cuir.
-Si monsieur veut se donner la peine...
Le jeune homme s'empara de la bourse, salua le vieux majordome d'un signe de tête, puis s'engagea dans l'escalier et sortit du manoir.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Nehëmah le lundi 01 octobre 2007, 20:05:48
Ah, je t'avais bien dit que c'est au moment où l'on s'y attend le moins que j'apparais :niak:

Quatre chapitres d'un coup donc, de longueurs plutôt inégales. On constate que l'histoire prend une fois de plus un nouveau tournant. C'est la fin d'une période et le début d'une autre. Que dire de plus ? On meurt d'envie de lire la suite, l'action est bien préparée, et la personnalité du magicien apprenti se façonne progressivement, avec la complicité du lecteur.
Les premières amours, les interdits, l'apprentissage et le développement physique sont autant de thèmes propres à l'adolescence qui sont bien retranscrits.
Bref, je suis franchement crevé et j'ai la flemme de commenter quatre chapitres à la fois, donc je m'arrête là en espérant que ça te motive xD
Vivement le nouveau chapitre !
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Prince du Crépuscule le mercredi 03 octobre 2007, 20:48:47
Eh bien, chose promise chose dûe, d'autant que j'en ai très envie! Tu as donc droit à un commentaire de ma part, dès à présent. ^^

La première chose que je dois de te dire, c'est que l'émotion des ces deux derniers chapitres (le premier étant trop court pour que je le commente, je l'ai relu dans la foulée ^^) m'a littéralement transoprtée, d'abord par la fureur de Samyël, fou d'une amère colère causée par la perte de Rirjk, frappant à s'en faire saigner le vieil hoimme qui l'empêche d'aller à la rencontre de son très cher maître. Que c'est triste, Rirjk me manquera tellement! Tu connais ma sensibilité, et tu ne sais à quel point je le suis pour ce genre de scène, pour des adieux déchirants, ça me fait toujours un grand effet, à la fois grandiose et mélancolique, c'est si évocateur! Du moins s'il ne s'en sort pas, on ne sait jamais, je garde dans l'espoir de revoir ce vieux têtu au fil de ton fabuleux cycle, ce serait bien dommage de le perdre maintenant, même si ça signe une rupture complète du début de l'aventure et lance enfin Samyël vers de nouveaux horizons, encore plus sombres et dangereux! :)

Aussi l'idée de la longue et triste lettre de Rirjk entrecoupée de belles descriptions m'a littéralement ravi. Tu t'es beaucoup amélioré dans ce domaine, et comme j'adore ça, tu me vois tout content et émerveillé du résultat. Les évocations à la nature m'ont particulièrement plu, tu sais y faire cher Mage Vermeil pour susciter mon admiration et arrêter chez moi une émotion vibrante! :niais:
En tout cas, le petit Samyël grandit à vue d'oeil et évolue de manière très intéressante. Les thèmes du pardon posthume de son maître, de ses dernières recommandations pressées par la mort qui vient le saisir et des adieux à sa chère île de Solanéa sont vraiment bien retranscrites. Tout fuit et se meurt sur la terre paisible de son enfance, entre Lex qui meurt, sa dernière famille qui le quitte à tout jamais, l'ultime lettre mélancolique de son bien aimé maître, et enfin la confrontation dernière avec le Roi, très intéressante par ailleurs. J'aime, j'aime et j'aime! Voilà qui résumerais bien ce que je ressens sans m'étendre sur une page tout entière (même si c'est déjà fait je le crains :) ) et sans me dissiper trop et t'assommer avec un long commentaire emphatique.

Le destin de Samyël est en marche, j'ai tellement hâte de poursuivre l'aventure à ses côtés sur le Continent! Continue à me ravir toujours autant GMS, je te suis déjà tout dévoué! Parachève ce magnifique cycle que j'aime de la plus belle des façons, par ta plume que j'affectionne tant! Voilà tout ce que je souhaite pour l'avenir, et ce sera déjà beaucoup m'accorder. :<3:
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le dimanche 14 octobre 2007, 12:38:58
Hohoho, je suis de retour! :niak:

Bon, tout d'abords, je vous donne une bonne occasion de relire l'ensemble du Cycle, étant donné que toute l'histoire, depuis le premier chapitre (Dieu, ça commence à remonter!) jusqu'à maintenant a subit un gros lifting orthographique! Bon, il doit surement en rester pas mal, mais une très très grosse partie, essentiellement des fautes de frappes, d'inattentions, ou simplement de pure connerie de ma part a été corrigée! :niak:

Voilà! Je pense que ça lui a fait du bien à ce cher Cycle ^^ Tout cela pour fêter ses 50 pages word! Enfin, bientôt, je n'en suis qu'à 48 pour le moment ^^

Nehëmah==> Ca me fait plaisir de te revoir dans le coin, j'attends tes commentaires au tournant donc :niak:

PdC==> ho oui <3 Content que ce chapitre t'ai autant plu^^ Mais bon, pour le parachèvement du Cycle, tu as encore le temps :siffle:

Hé oui, le petit magicien trace doucement son petit bonhomme de chemin. Les voiles d'un bateau le conduise à présent vers le Continent si redouté...

Mais voyez plutôt ça vous même dans la fin du chapitre 14, le plus long à ce jour étant donné qu'il fait 10 pages word! :) Bonne lecture!

EDIT: et c'est donc moi qui inaugure la 4ème page de la Tour ^o^



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Chapitre 14 :
Mon nom est Zackary, je suis magicien. (2ème Partie)


Le capitaine empocha les pièces avec un regard avide.
-Très bien, nous partons dans quelques instants, il y a des cabines à l'arrière, si tu désires t'isoler où déposer ton barda.
Samyël le remercia d'un signe de tête en raccrochant la bourse à sa ceinture. Il se rendit au pont inférieur, trouva une cabine libre et y stocka ses affaires -arc, épée, sac et carquois. Il se frotta le cou en pensant à ce qui l'attendait sur le Continent. Une certaine anxiété lui nouait les entrailles, il ne savait pas pourquoi. C'était toujours comme ça avec le Continent. Il n'y faisait plus attention; il s'y était habitué avec le temps.
Samyël regarda par le petit hublot. Il ne voyait rien pour l'instant, à part les petits docks de Gontarion. Il était assez excité à l'idée de partir en mer. C'était sa première fois, et il se demandait ce que cela faisait. Sentir le roulis sous ses pieds, l'air marin sur son visage...
C'est en songeant à tout cela qu'il remonta sur le pont. Des hommes finissaient de charger les marchandises que le bateau passeur acheminerait jusqu'à Port-Ebène. Il n'y avait pas beaucoup de passager en plus de lui, peut être cinq en tout. Mais le bateau n'était pas bien grand non plus, ce petit nombre de voyageur arrangeait donc le capitaine. Selon ses dires, la traversée durait environ trois heures, avec un bon vent arrière. Et justement, une brise venue du sud soufflait depuis les hauteurs de l'île.
"Tout semble être fait pour que j'aille sur le Continent", pensa Samyël tandis que la caresse du vent effleurait son visage.
Il laissa son regard vagabonder dans le bleu étincelant de la mer. A quelques kilomètres plus au nord, perdu dans sa brume, le Continent étendait sa sombre masse partout à l'horizon. C'était une vision impressionnante pour qui n'y était pas habitué.
Samyël ferma le poing. Il était prêt. Il l'avait toujours été.

   
-Dit Jorge, t'y crois toi, à ces histoires de fantômes?
-Pff, bien sûr que non. Ce ne sont que des racontars de marins ivres. Ne te prend pas le chou avec ça.
-...
-Il n'y a rien qui se ballade sur ces mers hormis des vaisseaux composés d'équipage humains rentre toi bien ça dans le crâne.
-Oui, mais comment expliques tu la disparition de l'Intrépide II le mois dernier?
-Un tempête les aura surpris et ils se seront échoués un peu plus loin sur la côte; ce sont des choses qui arrivent.
-Oui, mais quand même! Quatorze navires en un an. Ça fait beaucoup, rien que pour Port-Ebène.
-Bon écoute Tom. Tu commences à me chauffer les oreilles avec tes prétendus fantômes. Si tu as si peur que ça, tu ferais mieux de rentrer chez tes parents et cultiver tes patates.
Samyël, accoudé au bastingage, observait le lent balai des mouettes criardes en écoutant la conversation des marins d'une oreille distraite. De quoi parlaient-ils?
-Mais je te jure que c'est vrai! C'est le fantôme du vieux Barbu, il est revenu hanter les mers pour se venger.
-Et qu'est-ce que tu en sais toi? Tu l'as vu?
-Non... Mais je le sais!
-Mais oui, et moi je suis la grande tante de l'oncle du roi.
-Fais le malin, mais tu rigoleras moins quand tu l'auras en face de toi...
-Tu vas trop loin dans tes propos, fais attention ou tu pourrais le regretter...
-Ha! Ca prouve que tu y crois toi aussi.
-Ca ne prouve rien du tout. Mais tu sais très bien qu'il n'est jamais bon de parler de malheur sur un navire... Aller, aide moi plutôt avec ce cordage, au lieu de fabuler...
L'autre marin, Tom, grommela quelque chose mais s'exécuta.
Au fur et à mesure que le temps passait, le Continent se faisait de plus en plus précis. Ils ne tardèrent d'ailleurs pas à entrer dans la chape de brume qui entourait ses côtes.  Le silence se fit sur le pont, et les marins s'activaient sans un bruit.  Le Continent avait disparu de la vue de Samyël, caché par le brouillard qui ondulait doucement sur l'eau. L'apprenti magicien avait l'impression de se trouver au coeur d'un monde devenu entièrement gris.
-Impressionnant n'est-ce pas?, dit soudainement le capitaine, qui s'était rapproché discrètement, rompant par la même l'aphonie générale.
-Oui, très, répondit Samyël sans même se retourner.
-Il n'est pas courant de voir une personne de ton âge se rendre sur le Continent.
-Je le sais.
-Puis-je te demander ce que tu vas y faire?
-Je me rends à Arendia.
-Dans quel but?
-Je... Je souhaite m'enrôler dans l'armée, mentit le jeune garçon, tandis que la mise en garde de Rirjk lui revenait à l'esprit.
-Hum, intéressant....
-Dites, qu'est-ce qu'on entend là?
-Ce n'est rien, sûrement une mouette. Avec cette purée de pois le bruit de leurs battements d'aile est amplifié, n'y fais pas attention. Tu as de la famille sur le Continent?
-Non. Du moins, je n'en ai pas connaissance.
-Dans tous les cas, sois prudent. L'Arch'Land n'est plus ce qu'il était, depuis le début de cette guerre... Surtout, ne dis jamais quelque chose qui pourrait s'apparenter à un blasphème pour ces foutus fanatiques, ils y verraient une bonne occasion de...
Voyant que le capitaine ne semblait pas vouloir continuer sa phrase, Samyël se retourna vers lui dans le but de le lui enjoindre. Ses yeux s'agrandirent alors d'horreur et de stupeur; sa bouche s'ouvrit sur un cri tandis qu'un liquide chaud s'éclaboussait sur son visage. Il tomba à la renverse.
Là où quelques instants plutôt se trouvait le Capitaine, il n'y avait plus qu'une paire de jambe. Toute la partie supérieure du corps avait disparu, sectionnée proprement à partir du bassin.  Un mini geyser de sang s'échappait de la plaie béante, et les membres, encore crispés, restaient debout. Samyël contemplait cette vision de cauchemar sans comprendre, et les souvenirs de la chose qui l'avait poursuivi dans la forêt un soir lui revinrent en mémoire. Samyël les entendaient. Les battements réguliers d'ailes géantes, cachées dans la brume. A quoi pouvaient-elles bien appartenir?
Les jambes de feu le capitaine partirent en arrière, lentement, comme dans un rêve. Lorsqu'elles touchèrent le pont dans un bruit mat, un cri perça le brouillard. Une main déchiquetée voltigea dans les airs, tournoyant sur elle même, et vint s'écraser sur Samyël. Le jeune homme la repoussa au loin avec dégoût, puis la peur franchit une fois de plus la barrière de son esprit. Ses yeux se changèrent en deux pupilles démentes qui cherchaient frénétiquement un endroit ou se réfugier. Un rire nerveux le parcourut alors qu'il rampait dans les entrailles et l'hémoglobine du capitaine.
Tout était calme sur la mer. L'on n'entendait que le vol de créatures inconnues, et les lamentations des mourants. Mais tout allait bien. Oui, tout allait bien. Il allait se cacher derrière cette caisse, là, puis il se recroquevillerait, la tête dans les genoux en attendant que cela passe. Une mauvaise passade, voilà tout. Ce n'était qu'un songe, non?
Une corne de brume résonna dans ses oreilles, mais le son était flou, indistinct. Il crût entendre des rugissements, ponctués d'hurlement d'agonie. Mais ce n'était pas son problème.
Samyël les entendaient, les choses. Il ressentait leurs pas lents et lourds à travers le bois du pont. Il entendaient leurs grandes ailles battrent en rythme.
Une main attrapa son mollet. Il leva les yeux et son regard rencontra celui d'un homme dont la peau de la partie gauche du visage avait été arrachée, laissant l'oeil pendre au bout du nerf, inerte. Le marin semblait lui dire quelque chose. Mais Samyël se refusait de l'écouter. Pourquoi venait-il l'importuner? Soudain, une forme sombre apparut au dessus du blessé. Deux petites flammeroles rouges, semblables à des yeux, étaient fixées sur lui.
Samyël aimait bien le rouge. C'était une jolie couleur. La même couleur que le liquide qui forma une traîné lorsque l'inconnu fut tiré de force dans la brume.
Samyël se mordilla le pouce en remuant d'avant en arrière. Il entendait des tambours quelque part. C'était peut être son coeur. Il battait vite. Il ria de nouveau. C'était un joli son.
Des échardes de bois lui tombèrent dessus. Il ne s'en rendit pas compte. Ce sera bientôt finit de toute façon. Il n'y avait plus beaucoup de cris.
Et puis soudain, ils n'étaient plus là. Repartis dans les brumes de la mer. Envolés.
C'était fini, enfin.
Samyël s'autorisa un sourire. Une goutte de sang coula le long de son pouce. Il agita sa main afin d'atténuer la douleur. Puis il se releva. Il y avait des gens par terre, beaucoup de gens. Et puis le pont était rouge, tout  rouge. Comme ses cheveux. Oui, ses jolis cheveux...
Et il rit.
Et rit encore.  

Il ouvrit les yeux doucement. Face à lui s'étalait l'infinie bleutée du ciel. Et sous lui un sol instable, tangible. Il sentait l'iode et l'odeur de la mer. Il voyait les mouettes qui volaient là haut, en criant joyeusement. Le vent était calme, doux.
Samyël se mit sur son séant, l'esprit encore embrumé par la sieste qu'il venait de faire. La surprise s'inscrivit sur son visage lorsqu'il constata qu'il était au beau milieu de l'océan. Sur une petite barque. Son épée, son arc, son carquois et son sac traînaient sur le fond plat. Mais que faisait-il là? Il fronça les sourcils. Que s'était-il passé? Il se rappelait avoir pris le bateau à Gontarion. Puis il y avait eu le voyage, et le Capitaine qui était venu le chercher. Et une légende, sur un certain Barbu. Mais au delà, le vide mémoriel.
Finalement, il haussa les épaules. Il avait sûrement du chuter dans l'escalier menant vers le pont inférieur, et le choc l'aurait assommé, provoquant par la même une petite amnésie. L'équipage, paniqué, aurait cru qu'il était mort et l'aurait mis à l'eau. C'était sûrement ça, il ne voyait pas d'autres explications. Mais c'était curieux qu'ils aient mis ses affaires dans la barque. Avec des rames qui plus est. Et puis, pourquoi avait-il les mains pleines de peinture rouge?
-Etrange journée, souffla-t-il en s'étirant.
Il bâilla à s'en décrocher la mâchoire, puis se retourna afin de voir s'il était proche de la côte. Sa bouche resta grande ouverte, et ses yeux s'agrandirent d'émerveillement.
Face à lui, s'étalant dans l'horizon de toute leur verdoyante splendeur, les côtes Continentales. Il se trouvait à trois ou quatre kilomètre du cap d'Ebène, mais il distinguait au premier plan l'immense cité de Port-Ebène, le plus grand carrefour maritime et commercial du monde, après Arendia. Samyël pouvait voir les centaines de navires, goélettes, galions, frégates et caravelles qui mouillaient dans les eaux du port, avec leur florilège de voiles bariolées. Plus loin, il apercevait la grande plaine de l'Arch'Land, et ses forêts géantes. Et encore plus au Nord, les deux embouchures Est du fleuve Nyr.
Cette vision avait quelque chose de magique et de rassérénant.  Les angoisses liées au Continent avaient disparues. Seul restait un sentiment d'extase et d'excitation.
Sans attendre une minute de plus, il saisit les rames et les mit en mouvement afin de se rapprocher des quais du port. Le vent charriait déjà jusqu'à lui les effluves des docks où l'on déchargeait les précieuses marchandises, venues de tous les coins de l'Arch'Land: épices, herbes aromatiques, armurerie, étoffes, oeuvres d'arts, nourriture, bois, acier, pierres précieuses, or et la liste était longue encore. Un énorme navire fendit les eaux en longeant la petite barque de Samyël. Celui-ci observa le béhémot de bois et de cordages, admirant sa voilure colorées, sa figure de proue en forme de femme aux jambes de poisson, et les fiers guerriers en armures rutilantes qui se tenaient alignés le long du bastingage.
Dieux, que c'était impressionnant.  

-Salutation Messire.
Samyël finit d'enjamber le rebord de sa barque afin de prendre pied sur les quais. Il récupéra ses affaires dans la foulée puis se retourner vers son interlocuteur. C'était un petit homme d'âge mur, vêtu d'une toge orangée; il tenait un parchemin dans sa main droite, et une plume dans la gauche. Un jeune garçon le suivait, transportant une bouteille d'encre.
-Salutation, Monseigneur, répondit l'apprenti magicien en s'inclinant légèrement.
-A l'entente de votre accent, je déduis que vous n'êtes pas Arkandéen (c'est ainsi que l'on nommait les habitants de l'Arch'Land), mais Solanéen, est-ce exacte?
-Effectivement.
L'homme esquissa un petit sourire, tout en restant extrêmement courtois, chose qui étonna Samyël, du fait de la grande différence d'âge qu'il y avait entre eux.
-Êtes vous au courant des lois sur le mouillage en vigueur dans ce port?
-Et bien... Je crois que non.
-Laissez moi vous expliquez, si vous le voulez bien.
-Je vous en prie.
-Merci. Afin de contrôler le trafique maritime, je suis dans l'obligation de vous demander nom et prénom.
-Je m'appelle Samyël. Mais je n'ai pas de nom.
-Orphelin?
-Oui.
-Que venez vous faire en Arch'Land?
-Je me rends à Arendia.
-De la famille?
-Une formation.
-Quel genre?
-Militaire.
Au fur et à mesure de leur dialogue, le commissaire Docker, tel qu'on les appelait, prenait des notes sur son parchemin.
-Je vais devoir prélever de votre pécule une taxe sur le mouillage de votre embarcation.
Le jeune garçon se retourna, et regarda son "embarcation" en se grattant la tête.
-Heu... D'accord. Combien vous dois-je?
-Tout dépend du temps que vous souhaitez laisser votre esquif ici.
-Et bien justement, je ne souhaite pas le conserver. Je continuerais mon voyage à pied.
-En êtes vous sûr? Le chemin est long jusqu'à Arendia.
-Je le sais, je suis résolu.
-Bien. Dans ce cas je suis autorisé à vous racheter votre bien, au nom de Port-Ebène, si vous le désirez.
Le commissaire sortit une petite bourse des manches de sa toge, et y prit une trentaine de piécettes en argent, tout en comptant à voix haute.
-Voilà ce que je peux vous en donner.
-Vendu, annonça Samyël avec un sourire tout en empochant la monnaie.
-A présent si vous voulez bien m'excuser...
L'homme s'inclina puis reprit sa route, toujours accompagné de son jeune page.  

Les enfants le regardaient d'un air émerveillé. Leurs petites bouches béaient d'un trop plein de joie.
Le vieil homme envoya la flamme dans les airs. Puis de l'autre main, il en fit jaillir une nouvelle. C'est ainsi qu'il commença à jongler avec le feu. Les bambins qui faisaient office de spectateurs battaient la cadence avec leurs minuscules mains potelées. Les adultes regardaient de loin. Leurs visages étaient sombres.
Magie, Blasphème.
Zackary lança alors les boules, l'une après l'autre, au dessus de sa tête. Puis il ouvrit grand la bouche, et les avala, une par une, sous les applaudissements et les rires de sa jeune assistance.
-Merci, messeigneurs, vous êtes trop bons envers moi, ria Zackary en s'abaissant dans une parodie de salut. Pour mon prochain tour, j'aurais besoin de l'aide de l'un d'entre vous. Qui est intéressé?
Des dizaines de mimines se levèrent à l'unisson à grand renfort de cris d'excitation.  Le vieil homme sourit devant la fougue de la jeunesse et en choisit un au hasard.
-Viens, approche. Voilà. Comment t'appelles-tu?... Ian? Très bien. Regardez bien les enfants. Dans un instant je vais faire...
-Pas un geste de plus, engeance!, cria soudainement quelqu'un à l'autre bout de la place.
Zackary releva la tête. C'étaient deux hommes, deux soldats. Ils portaient la livrée immaculée du Corps Expéditionnaire. L'un tenait fermement une hallebarde étincelante à bout de bras, et l'autre pointait sur lui une arbalète peu engageante. Sur leur visage se lisaient une colère intense et une détermination sans faille. En quelques secondes, le silence se fit sur la place, les gens regagnaient leur maison ou l'auberge la plus proche, afin d'assister à la scène bien tranquillement. Les mères avaient rappelé leurs enfants.
-Allons bon, qu'est-ce que c'est encore?, grommela le vieillard.
-Ne fais pas un seul geste, où nous n'hésiterons pas à faire feu! Lève les mains bien haut, et pas d'entourloupe ou on te tire comme un lapin. Voilà, c'est très bien.
Les deux miliciens s'approchèrent doucement, méfiants. Zackary les regarda approcher sereinement. Que lui voulaient-ils?
-Où est votre bâton?, demanda le hallebardier quand il fut suffisamment près.
-Mon bâton, quel bâton?
-Ne faites pas le malin avec moi, démon!
-Mais qu'est-ce que vous me voulez à la fin?, s'écria le vieil homme en pointant son index.
Les deux soldats, visiblement à cran, prirent ce geste anodin comme une incantation. Ils prirent peur. Le manche de la hallebarde cogna violement contre la tempe gauche de Zackary, qui s'effondra sur le sol en gémissant. Une botte vint le frapper au visage tandis qu'une main le saisissait au collet pour le remettre à genoux. Le vieillard, sonné, se laissa faire.  
-Comment oses-tu encore te montrer? Hein? , lui cria l'homme à l'arbalète en lui pressant l'arme sur le crâne.
Le vieil homme releva la tête et ouvrit la bouche pour parler...
-Grand père?
Deux mains s'abattirent soudainement sur les épaules de Zackary. Les yeux de ce dernier s'agrandirent de surprise. Les soldats sursautèrent et levèrent leurs armes. Un étrange gamin aux cheveux rouges s'était approché sans même qu'ils ne s'en rendent compte. Le nouveau venu fixait le vieil homme avec un regard où l'on pouvait lire la colère.
-Grand père! Qu'est-ce que tu as encore fait? (Il leva les yeux vers les deux miliciens) J'espère qu'il n'a pas causé de problème à quiconque?
-Que... Mais... Qui...
L'homme à l'arbalète reprit ses esprits et braqua son arme sur le petit fils présumé.
-Silence! Tu es un parent de ce monstre, de ce... magicien! Donc tu en es un aussi!
Les yeux du garçon d'agrandirent de surprise à leur tour, puis il éclata de rire, à tel point qu'il se tint par les côtes. Les deux missionnaires se regardèrent, décontenancés.
-Allons messeigneurs, ce vieux débris n'a pas une once de magie en lui. Vous savez, il se fait vieux, (en chuchotant) et entre nous je crois qu'il n'a plus toute sa tête. Il a besoin de se faire remarquer.
-Quoi?, s'insurgea Zackary en tentant de se relever mais il se fit remballer par son petit fils.
-Papy, je t'en pris. Je crois que tu as fait suffisamment de bêtises pour aujourd'hui. On ferrait mieux de rentrer, mamie doit s'inquiéter.
Le vieil homme grommela quelque chose mais se releva docilement.
-Messieurs...
-Attend petit.
-Qui a-t-il?
-Que fais-tu, équipé comme tu l'es?
-Je... Heu... Je...
-Fi dieux garnement! Tu n'as donc pas encore été revendre cette antiquité chez le marshal ferant? Et tu iras te débarrasser de fichu arc, tu sais très bien que je n'aime pas que tu joues avec ce genre de chose!
-Mais, Papy! C'est oncle Bill qui me l'a offert le mois dernier!
-Je n'en ai que faire, tu fais ce que je te dis! Fils de malappris!
-Je le dirais à mamie, et elle te grondera!
-Quoi? (Zackary saisit son petit fils par l'oreille) Tu oses me menacer?
-Aïe, arrête, tu me fais mal!
-Stop!, cria alors l'arbalétrier. C'est bon, circuler! Mais que nous n'ayons plus d'ennuis avec vous, ou vous y aurez bon. Vu?
-Vu.
-Vu.
-Très bien. Maintenant, disparaissez.
Petit fils et grand père ne se le firent pas dire deux fois, et ils prirent le large. Ils traversèrent un dédale de rues et d'avenus, avant de finalement se stopper sur une place bondée de monde.
-Merci, jeune homme. Je crois que je te dois une fière chandelle, fit le vieil homme, en reprenant son souffle. Comment t'appelles-tu?
-Samyël.
-Samyël...
Une lueur étrange passa dans les yeux du "grand père", qui disparut aussitôt.
-C'est un nom peu courant. Mais il est beau, soit en fière.
-Ne vous inquiétez pas pour ça... Et vous, qui êtes vous?
-Mon nom est Zackary, je suis magicien. Enchanté, jeune Samyël.
-Magicien?
Le jeune homme sourit et secoua la tête.
-Je comprends mieux pourquoi vous avez eu des ennuis. Si vous mentez à tout bout de champs sur un sujet aussi sensible...
-Je ne mens pas. Ce n'est que vérité, répliqua Zackary sur un ton sec.
Samyël leva les yeux vers son nouvel ami, et révisa son jugement lorsqu'il aperçut les flammes qui dansaient dans les yeux du vieillard avant de disparaître aussi vite qu'elles n'étaient apparues.
-Que? Mais... Vous... Je veux dire vous êtes vraiment...
-Certes il m'arrive de fabuler par moment, mais jamais je ne masquerais cette vérité. Pourquoi un homme devrait craindre de vivre car il est ainsi fait?
Il retrouva son sourire habituel.
-Mais pourquoi n'avez vous rien fait tout à l'heure?
-Hum... Qui sait? Peut être ne suis-je pas vraiment ce que dis être. Et puis après tout, je me fais vieux, je n'ai probablement plus toute ma tête, conclut-il sur un clin d'oeil entendu.
Samyël sourit.
-Mais vous avez encore l'esprit vif.
-Il est vrai. Il le faut, de nos jours.
-Que comptez vous faire à présent?
-Hum, j'avoue que je ne sais pas trop. Je vais où mes pas me guident, sans trop réfléchir. Je ne sais de quoi sera fait demain, mais cela me va très bien.
-Dans ce cas, je veux que vous m'enseigniez.
Zackary le regarda d'un air étonné.
-Que veux-tu que je t'enseigne?
-Les Arts, bien sûr, murmura Samyël tandis qu'un petit globe lumineux naissait dans sa paume, pour mourir aussitôt.
-Ho. Je vois. Très intéressant. Ainsi il reste encore de l'espoir pour nous autres.
-Il semblerait.    
-Très bien, jeune Samyël. Tu m'as convaincu, j'accepte. Tu te rendais quelque part, je me trompe?
-Non. Je vais à Arendia.
-Hum... C'est un long voyage. Quel en est le but?
-Je veux entrer à la Citadelle.
-Parfait, ainsi il en sera. Le chemin vers la capitale est long, et pendant ce voyage je m'attellerais à te préparer pour tes études. Sais-tu te servir de ton épée?
-Malheureusement non...
-Dans ce cas je t'apprendrais aussi. J'étais bon escrimeur dans ma jeunesse...
-Vraiment?
-Oui oui, je ne suis pas un aussi vieux débris que tu ne le penses.
-Excusez moi, je ne voulais pas vous insulter je...
-Silence. Ce n'est rien, "fiston", le coupa Zackary avec un nouveau clin d'oeil. Mais sache que je me montrerais un professeur sévère et intrangisant.
-Cela me convient parfaitement. Combien de temps dure le voyage jusqu'à Arendia?
-Ho, environ six mois à pied, je dirais, en gardant un rythme moyen. Ce qui nous laisse amplement le temps. Il y a quelque chose qui m'intrigue chez toi.
-Oui?
-D'où te vient cette étrange teinte des cheveux?
-Je n'en sais rien. Même mon grand père n'a jamais su me répondre.
-Je vois... Ba, sûrement un caprice de dame nature. Tu as de la chance, à ce qu'il se dit, le rouge est à l'honneur chez les dames Arendiennes. En te débrouillant bien, tu pourras passer les nuits d'hiver bien au chaud.
Zackary lui adressa un petit sourire malicieux.
-Bien, assez bavasser. Va donc m'acheter une lame pour l'entraînement. Puis nous nous mettrons en route. La Nord nous attends, jeune apprenti!


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Et c'est ainsi que ce clos la deuxième partie du Cycle. Que de chemin parcouru déjà... ^^ Et moi je vous dis à la prochaine!
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Prince du Crépuscule le dimanche 14 octobre 2007, 16:01:20
Rends-nous Rirjk! On en veut pas de Zackary, ce vil usurpateur! >.<

Non, plus sérieusement je vois quez la tradition des vieux mages, enseignant à un jeune élève plein de promesse se perpétue. Je l'aime déjà ce bon vieux Zackary, (à part son nom, j'aime pas Rirjk c'était mieux m'enfin bon ^^') et à chaque fois que je rencontre un vieillard magicien comme ça, il me fait penser à Zeddicus Zull Zorander, plus communément nommé Zedd dans un cycle qu'il me semble que tu connais. ;)

En tout cas, quand je parlais de parachèvement dans mon autre commentaire, je parlais évidemment de la finition de la deuxième partie, et non du cycle en lui-même! Oh non quelle idée, j'en suis horifié! Quer ce cycle perdure et vive très très longtemps, pour nous émerveiler encre et toujours. ^^ (Vive le Roi! lol) Que dire sinon que cette partie se clot sur de nouvelles données, sur de nouveaux personnages, sur une nouvelle aventure, un tout nouveau souffle? J'attends la troisième avec on ne peut plus d'impatience, mêlée d'excitation quant à savoir ce que notre cher Samyël deviendra. J'ai dans l'idée que ça me plaira autant sinon plus, si c'est possible. Bref, en tout cas cette deuxième partie de chapitre était vraiment excellente, et malgré sa longueur, ton talent et ton habileté narrative permettent de se fondre très rapidement dans l'histoire et de toujours vouloir tourner la page, même quand on ne peut plus hélas. Ce tournant dans ta fabuleuse fiction méritait bien l'un de mes commentaires. ^^

La première partie avec ces monstres marins était un peu confuse à mon sens, néanmoins j'ai beaucoup aimé, ça clôt parfaitement le long épisode de la vie de Samyël sur Solanéa, l'île plus si paisible que ça en fin de compte. Après, la rencontre avec le vieux Zackary était des plus intéressantes, j'ai vraiment apprécié la manière dont tu as amené ce personnage, à nous le faire découvrir puis à partager la quête de Samyël. J'attends de voir ce que ça rendra et la façon dont Zackary officiera à ses côtés, mais voyons que dire... Patience! ;)

Bravo pour ce merveilleux cycle et cette deuxième partie qui se termine sous les meilleurs hospices possibles, (je parle de la qualité bien entendu ^^) déjà presque 50 pages! Tu as toutes mes sincères félicitations pour cet avènement, et que l'inspiration ne te quitte jamais, continue ainsi cher Mage Vermeil! :)
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Nehëmah le dimanche 21 octobre 2007, 11:45:24
On est parasite ou on ne l'est pas :niak:

Quoiqu'il en soit je n'allais pas t'abnadonner comme ça hu hu.
Que dire ? Cette deuxième partie se clot avec un nouveau début. L'intrigue est relancée sur trois points :

Le premier point et le plus évident est bien entendu l'arrivée sur un nouveau continent, qui implique donc de nouvelles péripéties et sûrement l'intrusion dans le vif de l'intrigue. Cela implique évidemment de nouvelles rencotnres.

Le deuxième point est donc de nouveaux personnages, avec ce Zackarry un peu sénile et téméraire, plutôt paradoxal d'ailleurs cette caractéristique chez un vieil homme. En tout cas ce nouveau maître doit avoir des choses grandioses à lui apprendre, on peut s'attendre à un Samyël de plus en plus costaud. Seulement avec cette longue route de 6 mois j'ai peur d'une chose : c'est que tu choisisses de la développer au lieu d'en faire une ellipse. Bon, je m'explique, la développer pourquoi pas, mais si ce n'est que de l'entraînement, je préfère autant l'ellipse à moins qu'il n'y ait des choses importantes concernant l'intrigue. Mais bon, je pense que tu feras le bon choix. Après tout entre la partie une et deux plusieurs années avaient été éludées.

Le troisième point et le plus important pour moi, au final, c'est la psychologie de Samyël. Depuis sa jeunesse, le garçon enchaîne les difficultés morales, orphelin en bas âge, mort de son grand-père à 8 ans, mort de Rirjk à 13 ans, puis finalement devoir s'assumer tout seul... Avec sa fascination qui lui a toujours vallu du désespoir pour les arts diaboliques... La psychologie de notre petit magicien s'en trouve considérablement affligée. Le passage du bateau en est l'exemple même. La confusion du passage n'est que le reflet de la confusion de son esprit (ensuite je sais pas si tu l'as fait exprès mais sur le plan symbolique, ce passage maritime, d'une petite île à un grand continent sur un océan mouvementé, perturbé, on peut l'interpréter comme des problèmes d'ordres affectifs et le signe que son périple pour devenir adulte sera sans douté complité).
Bref, un petit mage qui s'enfonce toujours plus dans la folie. Je prends exemple sur un certain Arthas de Warcraft 3, mais ne sommes-nous pas en train d'assister à la montée en puissance d'un personnage pourtant attachant mais qui au final pourrait devenir une menace pour ce monde ? Ceci n'est que supposition de ma part mais j'y crois dur comme fer :niak:
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le lundi 05 novembre 2007, 13:51:45
Arf, que ferais-je sans mes deux commentateurs préférés? :love: Pas grand chose je pense :niak: En tout cas, merci à vous deux de toujours suivre mon Cycle, ça me fait plaisir! ^^

PdC==> >_<" Mayheu, il est pas vieux Rirjk, il n'a que 37 ans : ) Ha, ce bon vieux Zedd, d'ailleurs on va bientôt le retrouver, vivement le 15 : ) Et oui, 50 pages, que de chemins parcourrus (avec toi à mes côtés depuis le début en plus :love: )Mais plus encore se trouve devant moi, et je compte bien finir ce voyage! Merci encore pour tes commentaires!

Nehëmah==>Bien sûr que je vais faire une ellipse, ça me brouterait d'écrire six mois d'entraînement XD M'enfin, vous verrez bien^^ Arf, tu as l'art de me percer à jour :love: Effectivement la psychologie de Samyël a prit plusieurs coups durs, je crains pour sa santé mental. Arthas? Peut être, qui sait? :love: Affaire à suivre donc, je n'en dis pas plus :niak: Enfin, continue de parasiter cette chère tour, ça lui fait du bien :niak:

Tout d'abords, je tiens à préciser que ce post n'annonce pas mon grand come-back. Je reste toujours dans ma retraite internet, comme un hermite.

Je n'ai pas non plus de suite Cyclique à vous fournir, honte sur moi. La Deuxième Partie étant close, je prends un peu de recule par rapport au Cycle, de manière à bien réfléchir à la suite, pour donner le meilleur de moi même. J'en profite également pour écrire une oeuvre annexe. Une oeuvre qui vient se placer dans la Séquence Avatarienne, qui relate l'histoire de quelques grandes figures, vues ou non, de l'histoire du Continent. Ceci se passe donc dans le même monde que celui dans lequel évolue Samyël, mais à différente époque.

La première de ces oeuvres, Le Chevalier Argoth, prend place dans l'Age Sombre qui précède l'Avénement du grand roi Aegir. Un âge dont on ne sait presque rien, et pour cause, seules nous restent de cette période des fables ou des légendes, rien de bien précis. La plus fameuse de toutes, est bien entendue la Geste du Chevalier Argoth, écrite par l'Aventurier Sandiego Di Cadeço à son retour de voyage, et qui fera du Chevalier Argoth la figure la plus populaire du Continent, jusqu'à l'arrivée d'Aegir.

Je vous laisse donc découvrir ce début, dont j'espère que vous me direz des nouvelles...

Petite précision : Au moment où s'achève la deuxième partie du Cycle, nous sommes en 1678 du calendrier Continental. L'année 1632 correspond à l'arrivée au pouvoir d'Arabéus Ier, en Arch'Mark.
Le Haut-Pays se situe dans l'Est du Continent. Cependant, ne vous reportez pas à la carte du premier post, elle n'est plus d'actualité. Une prochaine version bientôt, j'espère... ^^


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La séquence Avatarienne

I - Le Chevalier Argoth :


Introduction.

Ce qui suit est une copie du Manuscrit « Aroogway Dëo’Darak » [Le Chevalier Argoth], écrit par l’aventurier Sandiego Di Cadeço, accusé à titre posthume de Blasphème et de démence, en l‘an 1633. Ledit manuscrit fut donc brûlé lors de la grande Autodafé de l’Arch’Mark en l’an 1634 du calendrier Continental. Il fut écrit durant l’Age Sombre qui précède l’avénement d’Aegir. Cependant, certaines incohérences historiques semblent indiquer que ce récit ne serait rien d’autre qu’une fable. Ce que semble approuver l’Archimage Cantalor dans son « Traîté d’Histoire Continentale ».

Ce présent document est la dernière copie du Chevalier Argoth, conservée en l’Enclave des Mages de la Citadelle. Merci de le restituer de suite après lecture, en prenant bien soin d’y laisser cette page de garde.

Grimh.


(https://forums.puissance-zelda.com/proxy.php?request=http%3A%2F%2Fwww.tranet.org%2Frabyrinth%2Fcamposanto%2Fother3%2Fimage%2Flizardman.jpg&hash=030f2d8c996bc627bf50b1b73f304023f8ff6e6d)


I/ L’épée du Chevalier. (Première Partie)

Il est arrivé un jour d’été, lorsque le Soleil était haut.

Je me trouvais en l’auberge du Cor Argenté, qui tirait son nom de l’instrument qui ornait la robe de la cheminée. Un fort joli instrument, d’ailleurs, que je me plaisais à regarder. L’on dit de lui que sa musique divertit les Dieux eux-même, tant son son est limpide, fluide, et joyeux, à l’image des crus du Printemps. A ma table se trouvaient quelques uns de mes amis proches, avec qui je partageais bières et ragots. L’un d’eux racontait comment sa femme avait trouvé, sous la fenêtre de leur maison, un corbeau, noir comme le jaie, raide mort. En prononçant ces mots, il fit le signe qui éloigne le mal.
« Je vous jure, gros comme ça. Avec des yeux rouges, petits et sournois, qui la fixait comme la mort, la Martine. Aussitôt, elle a crié, et j’ai bien entendu accouru. Mais que pouvais-je faire? J’ai cloué la tête de l’animal sur ma porte. J’espère que cela suffira pour tenir les démons à l’écart.
-Je paris que c’est un coup des gamins Teniers, de sacrés filous. »
J’écoutai leurs conversations d’une oreilles distraites, répondant de temps à autres à l’un ou l’autre, plus intéressé par ma bière qui conservait un peu de sa fraîcheur malgré le temps caniculaire qui s’abbatait sur la région depuis quelques jours. Le liquide ambré faisait des spirales fascinantes à la surface de ma choppe, qui me captivaient littéralement.
La chaleur me pesait et semblait ralentir le temps. J’étais, à cette époque, joueur professionnel, et je ne voyais ma vie que dans la face ronde d’un écu d’or, ou sur la figure d’un roi de carte. Compter, mélanger et distribuer étaient mes seules ambitions, ainsi que celle de gagner gros à chaque coup. La chance semblait m’avoir prit sous son aile. Je n’avais pas souvent à me plaindre de mon sort. J’habitais une fort élégante maisonée, à deux lieux de l’auberge.
Cependant, la veille de ce jour là, j’avais eu les yeux plus gros que ma main, et avait perdu presque tout mon dû. Je possédais juste assez de monnai pour payer ma bière. Ceci expliquait en partie l’état semi comateux dans lequel je me trouvais.
C’est alors qu’il apparut. Tout d’abords, personne ne fit attention. L’auberge étant assez loin de la ville, à l’orée d’un bois, cela n’étonna personne d’entendre la cavalcade d’un cheval, s’arrêtant à quelques pas des écuries. Certains commencèrent à prêter oreilles, lorsque des cliquetis d’amure suivirent.
Je n’étais assûrement pas de cela. Non, j’avais beaucoup mieux à penser à mon destin, ainsi qu’aux diverses dettes que j’avais à rembourser, alors que la fortune me faisait défaut. Ce n’est que lorsque mon bon ami Lewinsky me donna un coup de coude dans les cotes, et que je remarquai que la salle était soudainement devenu silencieuse, que je consentais à lever les yeux.
Et ce pour ma plus grande surprise.
Il se tenait debout comme un homme, un peu voûtée cependant, à ceci près que ses pattes postérieures se pliaient au niveau de l’articulation de ses griffes, laissant la plante de ses pieds dans les airs. Son armures, noire comme la nuit, était faite tout en plaques savamment agencées, de manière à conserver une grande mobilité et une protection optimale, ainsi que d’une chemise de maille, passée par en dessous. Il tenait sa longue lance au manche d’ébène de sa main gauche, et je pouvais distinguer sur ses doigts des griffes plus qu’impressionnantes. J’en conclus qu’il était gaucher. Sa queue ,longue et nue, révélant une peau d’écaille couleur de feu, remuait derrière lui, non pas d’agacement, mais dans l’intention de se ventiler. Sa tête, typiquement  reptilienne, était surmontée de quatre cornes jaunies, qui s’étiraient vers l’arrière. Ses yeux, enfin, rouge comme le sang, possédaient de très minces iris noirs, à la manière des animaux sauvages.
A son entré, plus personne n’osa bouger, ni même respirer. Le temps sembla se figer. moi-même n’en menait pas large devant cette soudaine apparition, qui avait tout l’air de sortir des Royaumes Démoniaques. Etrangement, il n’entreprit aucune action envers qui que ce fut. Il déposa sa lance sur la table mise à disposition, comme il était demandé, puis se dirigea vers le bar, sans prêter la moindre attention aux regards ahuris, effrayés, ou carrément hostiles des clients.
Dans le Haut-Pays, il est un proverbe qui dit:

« Même dans l’adversité, un aubergiste reste avant tout homme d’affaire »

Et il fut une fois de plus démontré ce jour là. Car après tout, l’étranger était un client comme un autre. Etrange certes, mais client quand même. Et le Client est toujours roi, à ce qu’on dit.
« Qu’est-ce que je vous sers, étranger? »
Michel, l’aubergiste, continuait à laver ses choppes tout en parlant.
« Biièrre… 
-Et une bière, une! »
Il avait parlé avec une voix très profonde, caverneuse. Mais pourtant, elle n’avait rien d’effrayant, comme je l’avais pensé de primes abords. Comme il n’avait pas l’air méchant, les conversations reprirent vite, tournant, bien évidemment, autours de cet étranger.
« Tu l’as vu? Il est pas humain, c’est sûr! Il vient d’où à ton avis?
-J’en sais trop rien. Sûrement qu’il a à voir avec les Sorciers.
-Ha, si vous voulais mon avis, mieux vaut ne pas trop frayer avec ces gens là. Ca apporte la malédiction.
-Pour sûr.
-Ceci dit, il n’a pas l’air bien méchant. Il a juste une… apparence frustre c’est tout. »
Et ainsi de suite. Je n’aurais pas l’outrecuidance nécessaire pour prétendre qu’il ne m’intriguait pas, ni même qu’il ne m’effrayait pas, un peu pour le moins. Cela dit, il me fascinait. Il me rappelait une lointaine époque où le vieil homme du village nous racontait des histoires autour d’un feu. 
« Ohé! ‘Diego! Tu joues? »
Perdu dans mes pensées, je n’avais pas vu qu’une partie de carte s’était engagée à ma table. Joueur de métier, je ne pus refuser pareille invitation. Tout au jeu, je ne vis pas l’étranger partir. Je me rappelle m’être dit à ce moment là «Quelle étrange rencontre ». Ho, ça, je ne savais pas encore à quelle point…

La partie fut finie tard dans l’après midi, lorsque le temps se rafraîchit et que les vapeurs d’alcool dansent la farandole dans les esprits. Je remerciais Dame Chance que cette partie ne fut qu’une simple joute amicale, car je n’avais eu presque aucun jeu. Je prenai la porte de sortie, un peu grogi et chancelant sous la pression des moultes bières que j’avais ingurgitées, saluant au passage mes amis et ce brave Michel. Je m’engageai sur le sentier, celui qui longeait le bois. Je marchais ainsi sous la lune, qui éclairait mes pas de sa lueur blafarde, perdu dans les détours tortueux de mes pensées, obstrués par des litres de liqueur. Au Nord, Khaz’Khoradan1 s’illuminait d’éclairs, comme à son habitude. Le crépuscule teintait le ciel de couleur rougeoyante, qui me rappelèrent les yeux de l’étranger.
La nuit me surprit sur la route. Mon logis n’était plus bien loin à présent. Les champs d’orge se trouvaient sur ma droite.
C’est alors que j’entendis. Derrière moi, sur le sentier. Des bruits de sabots. Instinctivement, je me retournai. Un cheval, gris pierre, colla son museau contre mon visage. Ses grands yeux noirs me fixèrent avec curiosité. Je m’écartai de lui, et levai les yeux, pour apercevoir l’étranger. Je m’apprêtais à le héler, lorsque je vis son visage, sombre, le regard fixé sur l’horizon à l’ouest, comme s’il était capable de transpercer le rideau de ténèbre qui s’était étendu sur les champs. Cette face grave et sérieuse m’inquiéta. Sans vraiment savoir pourquoi, je frissonnai. Ne faisait-il pas plus frais, tout à coup? Le cavalier fit pivoter sa monture dans le sens de son regard. J’entendis au loin, l’écho d’un éclair qui descendait en cavalant du versant sud de Khaz’Khoradan.
« La nuit est fraîche, n’est-ce pas? »
Ce fut tout ce que je trouvai à dire. Je me traitai d’imbécile. Il ne me répondit pas, bien sûr. Ce n’était pas dans sa nature. Nous restâmes ainsi encore un moment. Sans que je sache vraiment pourquoi. Peut être aurait-il mieux valu que je m’écartât pour reprendre ma route. Mais le Destin sembait avoir d’autres projets pour moi.
Le cheval renâcla. Je remarquai alors la nervosité contenue dans ses mouvements et gestes. Mon sang se glaça lorsque j’entendis les rires. Des rires comme je n’en avais encore jamais entendu chez aucun homme, ni même femme. Des rires fous, des rires déments, des rires glaçées, des rires démoniaques, des rires effroyables. Il y en avait pleins. Ils provenaient des champs d’orge, et bientôt le sol vibra sous le choc de dizaines de sabots. La nuit était épaisse, je ne distinguais rien. Mon cœur se mit à battre plus fort, alors que s’intensifiaient les rires. Je jetai un regard appeuré en direction de l’étranger. Il restait calme, le regard fixe.
« Vous… Vous entendez, n’est-ce pas? »
Il acquiesça, sans mot dire.
« Qu’est-ce que c’est? Vous savez? 
-Morrrt… 
-Mort? Comment ça mort? »
Il ne me répondit pas. Sur le flanc gauche de sa monture était attaché à la selle un écu de belle taille, dont même la nuit ne parvenait à masquer la blancheur. Nul blason ne l’ornait. L’étranger s’en saisit, calmement, passant sa main griffue au travers des encoche, puis saisissant la poignée métallique. Il prit ensuite une torche, qu’il alluma en frottant la tête huilé sur le plastron de son armure. L’étincelle que cela provoqua embrasa l’étoffe, produisant un fort halo lumineux autour de nous. Il ramassa ensuite le bras vers l’arrière, puis jeta sa torche au loin, en direction des rires. J’observais sont balai aérien, gracieux, avant qu’elle ne termine sa course sur le sol et n’embrase aussitôt l’herbe sèches. Un grand incendi ne tarda guère à se déclarer se propageant à une vitesse folle. C’est alors que je les vis. Ils étaient douze. Douze cavaliers, montées sur des destriers noirs et imposants. Ils avaient l’apparence d’hommes, grands et forts, mais la vérité était tout autre. Sous leurs casques cornus, des crânes aux orbites remplis d’ectoplasmes se tournèrent vers notre position. Malgré cela, ils continuèrent de danser, en effectuant une ronde étrange en lançant leurs montures au galop. Et ils riaient, riaient. C’était épouvantable. Avec la lumière étrange du feu, et la nature tout aussi étrange de ses cavaliers surgits de nulle part, la scène prenait des dimensions cauchemardesques
Je me rappelle être tombé, le séant dans la poussière, en implorant les dieux de me sauver. L’étranger ne voyait pas les choses de cette façon là. Il s’empara de sa longue lance, bien rangée dans une encoche de la selle prévue à cette effet. De sa main protégée par l’écu il prit les rènes, et enfonça les talons dans les flancs de son cheval. Celui-ci hennit, se cabra, puis partit, bravement, vers les apparitions. Aujourd’hui encore, cette image est vive dans mon esprit. Je revois très bien cet étrange guerrier, à l’apparence de démon, levait haut sa lance, en braillant un cri de guerre incompréhensible, mais fort comme le tonnerre, tandis qu’il fonçait vers douze revenants, en armure et équipés de lourdes épées impressionnantes sur fond d’incendie apocalyptique…
Le combat fut terrible. Ils se détachèrent du cercle, un par un, lame au clair, riant comme des diables. Le cheval de l’étranger valsait dans les airs, feintant de droite et de gauche, ruant, tandis que son cavalier balayait les attaques de son bouclier, et jouait de sa lance pour garder ses assaillants en respect. Longtemps, lentement, il les transperça, changeant leurs rires en cris de damné. Aussitôt qu’ils étaient tués, leur corps squelettique tombait en poussière, et leurs montures s’en allaient dans la nuit, hennissant comme des démons.
Et moi je restais sur la route, incapable du moindre geste devant cette scène fantastique. Le combat s’acheva aux premières lueurs de l’aube. L’incendie s’était éteint de lui-même, et, chose surprenante, personne n’était venu pour essayer de l’endiguer. Autour de l’étranger, il ne restait plus que douze petits tas. Douze épées, et douze armures. Grogi, je me relevai avec peine et m’avançai dans les champs dévastés.
« Qui êtes vous? »
Il ne répondit pas de suite. Il restait immobile, fixant le soleil qui se levait à l’Est.
« Argoth… 
-Argoth… Argoth… Qui êtes vous? D’où venez vous? »
Il attendit encore un peu, avant de se retourner vers moi. Il pointa du doigt Khaz’Khoradan, au Nord:
« Chevalllierrrr… 
-Chevalier? Vous êtes Chevalier? »
Je tombai alors au sol, réalisant avec quelle familiarité je m’adressais à lui, puis je lui saisis le pied que je baisai avec force.
« Mille pardons, Messire Argoth. Mille pardons, je ne savais pas. Puis-je faire quelques choses pour vous? »
Comme à son habitude, il prit son temps avant de répondre. Il posa sa main griffue sur ma tête -je ne pus m’empêcher de frissonner à ce contacte.
« Ecuyeerrr… »
Je me pétrifiai soudain. J’avais peur de comprendre. Pourquoi moi, pourquoi si soudainement? Je n’étais nullement noble, ni même bourgeois.
« Moi? Ho, vous m’honorez Messire Argoth mais je ne peux, mon sang n’est pas bleu et je… »
Il siffla alors, comme un lézard, mais en plus fort. Comme je devais l’apprendre par la suite, cela indiquait qu’il n’en avait cure, et que cela l’agaçait. Je m’arrêtai donc de babiller, et je commençai à réfléchir. Ce qui m’arrivait était étrange. Mais d’un autre côté cela pouvait s’avérrait salutaire. Comme je l’ai dit un peu plus haut, j’étais à l’époque sous la pression de plusieurs brigands locaux à qui je devais des dettes que je n’étais en mesure de payer. Et par conséquent je pouvais fort bien me retrouver le soir même avec une flèche plantée entre les deux yeux.
Je considérai donc ma position, et après avoir assisté à ce combat, nul doute n’était permi quant à la force de ce Chevalier. Il pouvait m’offrire protection, et son titre nous permettrait de ne jamais manquer de rien. Et à la première occasion, je pourrais fuir et recommencer ma vie ailleurs.
Du moins, c’est  ce que je me disais à ce moment là. Je ne pouvais saisir la portée de ma réponse; je ne savais encore rien de ce qui nous attendait. Ainsi, je répondis:
« Comme vous le souhaitez, Messire Argoth, je vous suivrais, en qualité d’Ecuyer  »
Dieux, si j’avais sû.
 

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1:   C’est ainsi que les habitants du Haut-Pays nommait la Chaîne de L’infini en langue ancienne. Littéralement : Les Pics du Foudroyeur.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Ganon d'Orphée le lundi 05 novembre 2007, 14:38:18
Je viens de finir de lire et ne t'attends pas à un commentaire, car je n'ai ni le talent de Pdc ni celui de Nehëmah, mais à un compliment. Car véritablement autant le texte est remarquablement bien écrit (je n'en attendais pas moins), autant l'histoire est intéressante et le dessin jolie (il est de qui d'ailleurs ? de toi ?), autant ce que je préfére c'est presque la préface et tes quelques mots sur l'histoire avant le texte x-D

Je suis épaté par ce monde magnifiquement ancré dans son histoire propre, sa géographie propre, ses héros et ses "mauvais", sa littérature, ses langues même !!!

Le fils de Tolkien, Sainteté de la Plume, serait-il parmi nous ? ;)
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Prince du Crépuscule le mercredi 07 novembre 2007, 00:45:04
Bon, arrêtons un moment de bosser et de m'épuiser, rejetons la fatigue qui m'assaille et l'insomnie qui me fait plier sous son joug cruel ces derniers temps, et employons le peu d'énergie qu'il me reste pour servir une noble cause: un pavé Crépusculien, certes plus court que certains autres, mais rien que pour toi, mon amour de Mage Vermeil! :love:

Donc avant de commencer réellement, je vais me poser pour répondre un peu. Les commentaires ne sont plus trop mon habitude, depuis une semaine c'est très long pour moi vous savez? XD
Hé, qu'est-ce que tu croyais, que j'allais te laisser en chemin mon petit Samyël? Oh! C'est PdC qui commente hein, pas un de ces freluquets à peine tombés de la dernière ondée d'automne, non mais! Et puis, j'allais pas me priver de quelque chose d'aussi merveilleux non? ;)
Mais de rien très cher, et désolé pour Rirjk (que son nom soit béni par je ne sais quelle déesse -je préfère- de ton univers, amen.), tu m'avais déjà repris au tout début, à mon premier commentaire (ça remonte hein? ^^) mais pour moi c'est un vieillard magicien ce bon bougre, et puis voilà c'est triste quoi, faudrait que la vieille Chiyo rescucite et qu'elle refasse son sort de résurrection, ce serait bien. (référence pourrie liée à l'insomnie, tu vois dans quel état je suis? Tu m'étonnes que j'écrive de ces commentaires qui durent trois plombes après, c'est la fatalité je crois que veux-tu c'est comme ça... >_>).

Enfin bref, je suis heureux d'enfin te revoir un peu, surtout pour un nouvel écrit ("pour le reste tu peux crever!" J'aurais écrit ça si j'étais méchant, mais je ne le suis pas, hein? *fait son timide comme les petites filles* Tu crois que je devrais...? *appelez l'ambulance, c'est urgent* XD). D'ailleurs, comme tu n'as pas avancé dans ton fabuleux Cycle du Rouge (t'es pas le seul, bouhouhou... T-T), je vais commenter cette fraîche nouveauté, qui ne manque pas d'intérêt! J'ai sacrifié de mes questions analytiques de littérature, de mon explication de texte en philo et de mon ô combien génial DM d'histoire pour lire ceci, je spécifie car tu devras répondre des mauvaises notes! :p

Voilà donc la première partie du pavé... *le rideau tombe, entracte*

Ah, c'était bien bon ce petit mousseux! D'Allemagne dîtes-vous? De Basse-Franconie? Je connais, c'est chouette comme endroit, d'ailleurs wissen sie, dass meine Grosseltern dort wohnen? Ja, wirklich ich bin doch nicht si dumm, um so Blöde Witze zu machen! Na ja, einfach so, ich sagte es, um Spass zu machen, sie sehen so frustriert aus. Was? Sie sind die Frau von Ganon d'Orphée? Oh, entschuldigung, ich glaube ich habe leider etwas auf'm Feuer vergessen. Auf Wiedersehen, Frau d'Orphée! Haha!... :ash: *s'éclipse*

Y a des gens je vous jure, on se demande ce qu'ils font là... V_v

Tout ça pour dire que je suis content que GdO ait posté sont deuxième commentaire ici! Les parasites, c'est pas très beau à voir et en plus... c'est collant... Brrrr *frissonne*
Enfin voilà, la vie est ainsi faite, avec son lot de bonnes/mauvaises rencontres, de gens qui n'ont rien à faire là, ou qui racontent leur vie alors qu'ils étaient venus initialement commenter aussi, si si ça existe je vous jure, mais j'en ai jamais vu encore... ;-D

(ça me fait bizarre d'écrire autant de trucs moches et inintéressants après un premier chapitre aussi épique et aussi bien présenté, je suis perclus de remords désormais. é_è)

Enfin bref, commençons au commencement! ;)
Le Chevalier Argoth... Rien que le titre et l'intitulé, comme le disait si justement et avec tant de célérité d'esprit M. d'Orphée, donnent déjà plus qu'envie de lire. Et ce dessin, cette présentation, cette manière de nousintroduire dans ton monde, comme dans une bibliothèque avec une ambiance de vieux chefs-d'oeuvre entreposés qui n'attendent qu'à ce qu'on les ouvre avec la plus extrême précaution, j'adore! ^^
Honnêtement, c'est très réussi, rien que par le contexte dans lequel tu places cette première chronique des temps anciens. Toujours ce style soigné et si prompt à dévoiler intrigue et à engager l'action, mais qui sait habilement restituer une ambiance (avec son lot de fautes et d'othographiques turbulences *rime*), atmosphère presque palpable et non dépourvue de son côté épique, de même que s'arrêter un moment pour goûter au tumulte des sentiments et des réminiscences, je ne puis qu'aimer. :) (Je fais dans le baroque en ce moment, ça se voit? ;p)

Tu m'avais déjà parlé de fables, mais je ne m'attendais pas à cela, pas à cette dimension fantastique en tout cas. Excellente surprise au demeurant! Tu es habile dans tes constructions et dans ta manière de narrer, avec un enchaînement de longues et courtes phrases, de dialogues ou descriptions puis d'un bref commentaire assez drôlesque (comme la phrase finale, poiur ne citer qu'elle ^^) ponctuées de métaphores très imagées et d'expressions qu'on dirait presque populaire, mais qui n'appartiennent qu'à toi. Et c'est en ceci que tu te révèles parfaitement amène à créer une ambiance quelque peu oubliée, restituée du fond des âges, ô combien onirique et chevaleresque. ^^ Je saisis enfin ton principal atout en terme de narration, chose qui m'avait plus ou moins échappé jusqu'à lors, comment ai-je pu être aussi aveugle? Fichtre et foutre mon graçon, tu es un talentueux conteur! Zedd n'aurait pas dit mieux. ;)
Après au niveau de l'intrigue en elle-même, je te tire la révérence, là aussi je suis impressionné. Comment suspecter, sinon par l'image (et encore, je croyais que c'était un autre personnage ou simplement une illustration d'un ennemi que le héros aurait combattu) que le Chevalier Argoth avait des ascendances reptiliennes et héroïques à la fois? J'adore! Et puis ce début, la façon dont tu fais apparaître ton héros, puis la succession d'évènements avant la bataille, la peur, le caractère lacunaire du lézard, la victoire, le renversement final... Parfait, j'attends la suite avec on ne peut plus d'impatience! Tu sais que tu m'inspires? J'ai créé un nouveau personnage après avoir lu tout ça. :<3:

Un mot encore pour conclure: continues ainsi, tu as tout le soutien Crépusculien à tes côtés et même si tu le savais déjà je te le redis, au cas où tu aurais oublié. ^^

PS: Grihm. Conte. Curieux hasard, coïncidence ou clin d'oeil? Je ne m'en suis rendu compte qu'après coup mais c'était très agréable, ça m'a ait penser aux frères Grimm, je me trompe peut-être mais je crois que ce n'était pas fait exprès. Destin, destin et influences... :)
(Rayez les bouts de phrases inutiles du début, jamais Prince du Crépuscule n'aura fait si long commentaire pour une fiction! (vous voulez que j'édite pour voir? \o/ *crève*)) Et désolé pour l'heure tardive, je vais me coucher maintenant, l'insomnie m'appelle... A bientôt! :)
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le mercredi 07 novembre 2007, 15:41:57
GdO==> Ce n'est certes pas un commentaire, mais cela m'a mis le baume au coeur :niais: Surtout la dernière phrase, quand l'on connait ton adoration pour Tolkien!^^ Merci bien donc!^^ Et je suis pareil à toi, j'adore tous ce qui est texte introductif, références extérieures etc etc Alors j'adore encore plus en faire XD

PdC==> Boudiou! Bientôt cette chère Tour va se transformer en 3615 PdC's Life (http://www.prout.com) :love: Ca me fait plaisir de voir que tu sacrifies tes devoirs à ton Mage Vermeil, merci bien :love: Par contre, pourrais-je avoir la traduction du texte allemand, où est-ce estampillé "private Joke" avec GdO? =p
C'est étonnant d'ailleurs, que tu te sois à ce point attaché à Rirjk, car à la base, ce n'était qu'un bête personnage secondaire, avec certes son importance mais voilà. ^^ Mais ça me fait plaisir et puis, qui sait? Peut être le revérrons nous un jour? :niak:
Je prends sur moi pour répondre des mauvaises notes, sois sans craintes, je rédigerais une lettre pour ça, s'il le faut :love:
Arf, les fautes :love: une grande histoire d'amour. Ceci dit, j'ai relu cette première partie plusieures fois, et j'en ai enlevé pas mal. Je m'améliore, mine de rien : p
Enfin, que dire face à ce commentaire qui me comble de joie? :love: J'e veux des pareils tout le temps, même si je sais que je me répète :love:
Quoi qu'il en soit, heureux que cette histoire te plaise, car elle me plait grandement aussi :love: Et si en plus elle t'inspire, que demander de plus? :<3:
Ha, effectivement, je n'avais pas fait moi même le rapprochement avec les frère Grimm avant que tu ne me le fasses remarquer^^ J'ai souvent tendance à l'aide de mon subconscient profond à faire des raprochements sans m'en rendre compte. Donc ce nom est d'autant plus approprié, je ne le change pas :love:

Enfin, l'histoire est loin d'être terminée, de nombreux obstacles et exploits attendent encore le Chevalier Argoth. Bon retour sur le Continent. Et bonne lecture.


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I/ L'épée du Chevalier. (Deuxième partie)



Comme je m’en doutais, Messire Argoth était un Chevalier errant, sans terre ni bien, ne possédant que son écu vierge, sa monture, sa lance et son armure. Il n’avait même pas d’épée, pourtant symbole de la chevalerie. Alors que nous trotions, lui à cheval, moi à pied, vers l’Auberge du Cor une nouvelle fois, afin de se remettre des émotions de la nuit, je le lui fis remarquer.
« Sire, vous n’avez pas d’épée. »
Il me regarda et acquiesça.
« Voulez-vous que j’aille vous en achetez une au village? Le forgeron est l’un de mes amis, je pourrais avoir un prix. »
Il me fit part de son refus en secouant doucement la tête. Et je remarquai qu’il n’avait pas de heaume non plus, encore que la morphologie de son crâne pouvait expliquer cela.
Lorsque nous arrivâmes à destination, je pris les rènes de Sor‘n   -c’est ainsi que se nommait le cheval, sûrement en hommage à Shor’n, le dieu du vent et des cieux- et les attachai au poteau prévu à cet effet.
Le soleil était déjà à la moitié de son parcour, et la chaleur était déjà accablante. Je me demandai comment Messire Argoth pouvait rester aussi serein, avec sa lourde armure, noire qui plus est. Ce devait être une vraie fournaise.
« Sire, je ne voudrais pas vous offenser, mais un Chevalier se doit d’avoir une épée. Comme le Sorcier se doit d’avoir un bâton magique. 
-Je sais. »
Je l’aidai à descendre, puis seulement après je remarquai que Messire Argoth venait de parler normalement, comme un véritable humain. Sans siffler, ni allonger les mots. Craignant de le vexer je ne le lui fis pas remarquer, mais profitai de l’occasion.
« Où allez-vous vous la procurer dans ce cas, Sire?
-Siiilenceeee… »
Je me tus. Nous entrâmes à l’intérieur de l’établissement. Michel nous salua d’un geste. Mon maître resta un moment planté sur le seuil. Il semblait chercher quelqu’un qu’il trouva rapidement. Nous nous dirigeâmes vers lui, et nous asseyâmes à sa table. C’était un vieux paysan du coin, sale, le crâne chauve et ruisselant de sueur. Il ne semblait nullement effrayé de l’apparence de Messire Argoth, au contraire, il semblait heureux de le voir.
« Ho, Sire, Sire! J’ai prié les dieux pour vous toute la nuit. Et ils n’ont pas été sourds à mes vœux!
-Mais de quoi parlez vous, vieil homme?, répondis-je 
-Les Spectres! Les Spectres! Les Douze Spectres de Minuit! Ceux qui hantaient mes champs, une fois la nuit tombée, pour venir danser leur adoration aux démons! Nous n’en dormions plus, mais votre maître nous en a débarrassé! Ho, Messire, je ne sais comment vous remercier! »
Ainsi c’était donc ça. Messire Argoth était allé au devant du danger en sachant pertinemment ce qui l’attendait. En repensant à ces fameux cavaliers, je ne pus réprimer un frissonement d’angoisse, et dans le même temps je ne pouvais qu’admirer la force et le courage de mon maître.
« Nous n’avons plus grand-chose, à cause des fantômes. Mais je vois que vous n’avez pas d’épée. Je peux peut être vous aider à en trouver une. »
Messire Argoth acquiesça, pour l’inviter à poursuivre.
« Quand j’étais enfant, mon grand père me raconter souvent une histoire. Elle dit qu’au sommet du plus petit pic des Khaz’Khoradan, vit dans une grotte un grand Enchanteur. La légende dit qu’il confectionnerait une lame magique au premier héros qui sortirais vainqueur de son épreuve. Cependant, atteindre son repaire n’est pas chose aîsée, car l’on dit que de sombres créatures rôdent sur le versant des montagnes à la nuit tombée. Mais vous m’avez l’air brave et sans peur. Peut être pourriez vous essayer de trouver l’Enchanteur. »
Oui, le vieil Enchanteur du Petit Pic. Je connaissais l’histoire. Mais je ne lui accordais aucun crédit, ce n’était que fabulations de vieillards superstitieux. Du moins, l’aurais-je considéré de ce point de vue avant la nuit de la veille.
Messire Argoth se leva alors, et serra l’épaule du fermier. Puis il m’indiqua la sortie et nous quittâmes les lieux. Une fois dehors, et alors qu’il enfourchait sa monture, je lui demandai.
« Où allons nous, Sire? »
Il me considéra d’un air étonné, comme si la réponse était évidente. Il tendit le bras derrière lui, pointant du doigt la silhouettes déchiquetés des Khaz’Khoradan. Ce que je redoutais. Ainsi il avait crû à l’histoire du vieux fou. Je grimaçai; puis tentais d’en dissuader mon maître. Lorsque qu’il siffla, je me résignai.

Les Khaz’Khoradan ne se trouvaient qu’à un jour de cheval de l’Auberge du Cor Argenté, et le Petit Pic à une supplémentaire. Nous fîmes route toute la journée, ne nous arrêtant qu’à midi, lorsque la chaleur ne nous permettait plus d’avancer.
Nous traversâmes les champs, puis la campagne, et enfin nous trouvâmes à l’orée du bois de Tarask, celui où jamais personne ne s’aventure, où nul chemin n’est tracé, nul sentier dessiné. Le bois dans lequel vivait la bête de Tarask.
Il émanait de ces bois une étrange moiteur, qui vous glaçait les os et vous nouait les entrailles. Aucun animal saint n’y vivait, et on affirmait que de nombreux démons, appelés par le chant de Tarask, y résidaient, dansant la nuit au milieu des grands arbres, chantant la mort et le Mal, en échangeant maints maléfices avec les Sorciers et les Sorcières du pays.
Il y avait une source, au fin fond des bois de Tarask. Une source dont les eaux étaient si noires que nul reflet ne s’y voyait, nul poisson n’y nageait. Et dans ces eaux, dormait la Tarask. Personne n’avait jamais vu la bête, mais tous savaient qu’elle existait. La légende disait que dans l’autrefois luxuriante forêt de Disëry vivait un Magicien, bon et plus sage que le plus vieux des hommes. Il veillait sur la flore et sur la faune de son domaine, leur assurant protection et prospérité. Ce Magicien vivait seul, car malgré sa bonté, nulle femme ne l’aimait. Nul ne venait lui rendre visite, et il finit par mourir de chagrin et de solitude. C’est pourquoi un jour, une fois minuit sonnée, il se rendit à la source claire de la forêt de Disëry, et là pria les dieux de lui donner un fils. Un enfant qu’il pourrait élever et chérir, afin de ne plus jamais souffrir de la solitude. Malheureusement, le démon Daz’Raël l’entendit avant eux, et prit la forme d’un loup blanc afin de tromper le vieux Magicien. Il s’approcha de l’homme éploré, et laissa choir de sa gueule les linges d’un nouveau-né. Le vieil homme, ne voyant le mal dans la blanche fourrure de l‘animal, crû à une intervention divine et remercia mille fois, et mille fois encore le démon. Mais lorsqu’il prit le corps maigre de l’enfant dans ses bras, il remarqua alors qu’au lieu d’un beau bébé, ce n’était là qu’une créature difforme et boursouflée, parodie d’humanité. Apeuré, le Magicien noya la chose dans la source, qui aussitôt devint noir. Puis il prit la fuite. Le démon, furieux, lança à sa poursuite ses fidèles serviteurs, qui mirent le pauvre homme en pièce. Depuis ce jour, la Tarask2  hante la source, et ses pleurs, pareils à un chant merveilleux, charment les voyageurs et les attirent dans la noirceur de ses flots, où elle les dévore. La douce forêt de Disëry devint les sombres bois de la Tarask, et nul ne la traversa plus jamais. L’on dit que le Magicien, dans sa hâte, laissa derrière lui de fabuleux trésors, que la Tarask garde avec amour, en souvenir de son défunt père.
« Le chemin continue par le Sud et longe les bois, indiquai-je à mon maître »
Il secoua la tête; il semblait vouloir prendre par la forêt. Certes le chemin était plus rapide, mais seule la mort nous attendais là bas.
« Messire, vous n’y pensez pas. Aucun des guerriers, des chevaliers qui se sont aventurés par là ne sont jamais revenus! Prenons la route du Sud. Cela vaut mieux. »
Sans m’écouter, il talonna Sor’n. Je le regardais s’enfoncer sous les cimes sombres des arbres, hésitants. Ho, certes, j’aurais pu le quitter là, retourner chez moi et essayer de rembourser mes dettes. Certes cela aurait sûrement mieux valu, mais, tiré par quelque force invisible, je m’engageai à la suite de Messire Argoth. Je ne tardai guère à le rattraper, il m’avait attendu un peu plus loin. Jamais je n’ai sû pourquoi il m’avait choisi. Jamais je n’ai su ce qu’il pensait de moi. Pourtant il m’attendait, toujours, comme s’il savait que je finirais forcément par revenir vers lui. Ce que je fis à chaque fois.
Il me tendit une torche allumée, car l’obscurité s’épaississait rapidement. Sor’n, à l’aide de son buste puissant et de ses pattes robustes, traçait un chemin à travers la végétation, que je suivais d’un pas peu assuré; je regardais nerveusement partout autour de moi, m’attendant à voir surgir de derrière chaque tronc un fantôme, un démon, ou quelque monstre que ce fût. Les bois de la Tarask étaient silencieux, et nous progressâmes avec la plus grande discrétion. Il y faisait froid, très froid, et ce changement radical, après la canicule de la campagne, me surprit grandement. J’avais l’impression de sentir le souffle méphitique de la bête à chaque bouffée d’air; d’entendre des rires étouffés, des murmures étoffés, là haut, dans les ténèbres des cimes.
Messire Argoth lui, avançait, serein, calme, détendu, intouchable, comme à son habitude. Je ne pouvais que l’admirer une fois de plus.
C’est alors que nous l’entendîmes. Le Chant de la Tarask. C’était une mélopée fascinante, hypnotique, belle, douce, apaisante. Mais à quelle point triste et mélancolique. Les arbres eux même vibraient, comme répondant à cet appel. Je me souviens avoir baissé ma torche, et pivoté dans la provenance de cette complainte merveilleuse. Je n’avais plus qu’une envie, suivre ce chant, et réconforter la pauvre créature.
Le maléfice fut brisé lorsque Messire Argoth posa sa main sur mon épaule. Aussitôt, je retrouvai mes esprits. Et je me bouchai les oreilles. En vérité, le Chant de la bête n’avait rien de mélodique. Ce n’était que borborygmes, raclements, bruits fangeux et dégoûtants, viscosités sans nom. Comment avais-je pu être à ce point tromper? Une autre interrogation me vint en tête: Pourquoi Messire Argoth en était-il immunisé? Pourquoi savait-il guérir, de surcroît?
L’on dit des Chevaliers que se sont des hommes bénis des dieux, introduits sur les terres des hommes pour protéger les peuples et les rois des maléfices des entités Démoniaques. Peut être était-ce vrai après tout.
Messire Argoth me fit signe de le suivre, et nous nous enfonçâmes dans les bois vers la provenance du son, et donc de la source maudite. Étrangement, le lieu ne me paraissait plus si oppressant, ni si angoissant. Sûrement que cela avait à voir avec mon Maître. Il émanait de lui une aura de calme et de sérénité, de confiance et de force.
« Regarde, me fit-il »
Il écarta une branche d’arbre, et révéla à ma vue une petite clairière d’herbes hautes; balayée par des vent qui, en s’engouffrant dans les feuillages, produisait des bruits semblables aux plaintes de quelques malheureux. Et au fond du lieu, se trouvait une source. Quelques gros rochers recouvert de lichen et de mousse formaient les falaises miniatures d’une cascade tout aussi petite. Et à leur pied, un plan d’eau, immobile et lisse comme un miroir. Et son eau était noire, noire, d’un noir comme je n’en avais encore jamais vu.
La bête s’était tue. Tout était immobile. Tout était calme.
Messire Argoth s’avança, m’intimant d’un geste de rester à ma place. Je le regardais avancer, empli de doutes et d’angoisses. Arrivé à peu près à la moitié du chemin qui le séparait de la source, il mit pied à terre, sans prendre ni son écu, ni sa lance. Il marcha, droit et confiant, jusqu’au bord des flots.
C’est alors que Tarask apparut. Doucement, une gueule hideuse, et léonine, creva la surface. Elle surmontait un cou immense, grêle comme celui d’un poulet, mais écailleux comme le corps d’un serpent. Ses yeux fou se fixèrent sur Messire Argoth, et de sa bouche dentées de lames de poignards, sortaient miasmes et purulences, qui gouttaient dans l’eau en fumant.
« Qui ose? Qui ose pénétrer en mon domaine?
-Moi, répondit mon Maître d’une voix assurée, et pareille à celle d’un humain, comme cela lui arrivait de temps à autre.
-Et qui es-tu?  
-Je m’appelle Argoth. Je suis Chevalier.
-Chevalier? »
La bête rit, d’un rire gras et écœurant. Son cou se déplaçait le long de l’onde, sans troubler sa plate immobilité.
« Pourquoi ris-tu?
-Nombres de tes semblables se sont présentés à moi, tous prétendaient être comme toi, Chevalier. D’aucun à péri, de vouloir me défier. Et toi, Chevalier d’écaille et de maille, que me veux-tu?
-Je suis venu ici pour te défier.
-Mouharfharfharf (c’était à peu près ce que faisait Tarask quand elle riait), soit. Prépare toi à mourir.
-Ho, nul doute que je périrais face à toi. Mais regarde moi, je te pris, de plus près. Je me présente à toi sans armes ni écu. Mon destrier est plus loin. Oui, assurément tu me tuerais sans le moindre effort, et pourrais me dévorer afin d’étancher ta faim. Mais tu n’en tirerais nulle gloire.
-Je me fiche de la gloire.
-M’accorderais-tu une faveur? »
Je hoquetai de surprise. Etait-il sérieux? Tarask inclina la tête sur le côté, semblant réfléchir.
« Je t’écoute, mais fais vite, mon ventre crie famine.
-Je convoite le trésor que tu gardes. Mais pour le moment il m’est impossible de te combattre pour m’en emparer. Laisse moi franchir tes bois, ainsi qu’à mon écuyer. Je promets de revenir avant la nouvelle lune. Je te combattrais alors, et tu me tueras et me mangeras.
-Pourquoi devrais-je attendre, alors que je peux te manger tout de suite?
-Tu me trouverais indigeste.
-Et pourquoi cela?
-Car je n’aurais pas bougé, et mes muscles seront rigides et dures comme la corne. Alors que si tu accède à ma requête, je reviendrais, je te combattrais, et ma chaire sera tendre et douce comme celle d’un agneau. »
Tarask sembla considérer cette option, pesant le pour et le contre. Puis son long cou commença à s’enfoncer dans l’eau, tandis qu’elle répondait.
« Soit. J’accède à ta demande, Chevalier. Tu peux traverser mon domaine sans crainte, nul mal ne te sera fait. Mais attention, si une fois la nouvelle lune haute dans le ciel, tu n’as pas tenu ta promesse, tu seras maudit, et la meute infernale de mon père viendra te dévorer dans ton sommeil. »
Messire Argoth s’inclina, poliment, face à ce monstre épouvantable.
« Sois sans crainte, j’honorerais mon serment.
-Je te le souhaite vivement, Chevalier, je te le souhaite vivement… »
Puis la bête disparue sous la surface, sans la moindre ondulation. Messire Argoth pivota et enfourcha Sor’n de nouveau.
« Allons, Ecuyer, dépêche toi, le temps nous est compté, me dit-il »
Puis il reprit sa route, et moi derrière lui. Les Khaz’Khoradan nous attendaient.  

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2: Littéralement : "Bête Noyée"
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Ganon d'Orphée le mercredi 07 novembre 2007, 16:00:20
Hé bien, tu aurais du vivre au Moyen-Age, ainsi nous aurions à notre époque de multiples légendes estampillés Samyël, telle un légendaire Chrétien de Troyes. J'avoue que la première partie est normale, rien de bien particulier c'est juste ce chevalier sifflant qui vient dans une auberge puis paf, encore une légende (jamais vu autant de légendes moi ^^), et en plus une légende qui régle un problème cruciale : car Argoth n'a pas d'épée, et c'est très bien trouvé car un chevalier sans épée est comme un magicien sans baton magique pour citer un auteur de ma connaissance ^^.

Puis cette bête de Tarsak (on dirait que tu aime les bois sombres, car après les bois de Solenea avec les arbres sérés et les légendes ténèbreuses, on retrouve encore un bois ténèbreux ^^), la légende (+1 encore ^^) est très belle, on début on croirait que c'est une légende très naïve, puis au fur et à mesure elle devient bien trouvé puis après ... la naissance d'une nouvelle espèce de Sirène. Je ne doute pas que tu t'es inspiré du chant des sirénes pour le chant de Tarask, d'ailleurs Argoth y étant insensible me fait penser briévement à Ulysse, deux héros ^^.

Puis ce chevalier sans épée qui utilise la ruse (bon après tout sinon il se fait bouffer donc c'est compréhensible ^^) c'est malin je trouve, le chevalier Argoth est rusé, il semble donc ne pas avoir besoin d'épée. Inventerais-tu une nouvelle espèce de chevalier ? Chevaliers pacifistes, sans armes mais rusés ?

Bon, et bien vivement la suite (pour ton information, je n'ai aussi rien compris à la phrase de Pdc ^^ Pourtant je suis Germaniste).

P.S : et encore un nom "Tarsak" qui signifie quelque chose. J'avoue que cette légende me plait bien par son aspect "inscrit dans l'univers du Cycle mais indépendant".
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Nehëmah le mercredi 07 novembre 2007, 18:42:50
Ah, j'arrive enfin après mes nombreux commentaires !
Donc, donc, donc. Nous n'avons pas droit à l'histoire de Samyël... Tant pis, nous en avons une presque mieux pour compenser !

Je m'excuse d'avance du commentaire sûrement bref que je vais faire puisque j'ai déjà beaucoup donné pour les compères PDC et Gd'O (et avec GMS ça fait trois noms à rallonge qu'il est plus facile de racourcir).

Déjà le commencement : la manière d'amener l'histoire, ce que le Prince soulignait en parlant du contexte, et bien je dois avouer que c'est sacrément plaisant. Tout comme lui, je ne m'attendais pas à ce qu'Argoth soit ce lézard peu rassurant. Et c'est là-dessus que repose tout le génie ! Ce Argoth, bon sang, mais quelle classe ! T'aurais dû t'appeler Great Knight Argoth (même si GMS rend mieux que GKA) car bon sang... Un chevalier lézard c'est relativement cool (oui désolé pour le qualificatif pourri). Il déborde de classe, ce qui est d'autant plus démontré que ce brave écuyer le suite bien souvent sans raison tout en se demandant "ben zut pourquoi je le suis déjà ?". Argoth transpire la confiance, la générosité, la loyauté, l'honneur. Par ailleurs, je reste persuadé que le chevalier n'est pas forcément rusé et que sa requête présentée à la Tarask (comme dans Final Fantasy 9 ? :niak: ) n'est ni plus ni moins que d'ordre pratique. La morale de ce chevalier est à toute épreuve.
Mais alors... Avec autant d'atouts, pourquoi est-ce un lézard ? Je crois que cet Argoth cache un passé douloureux qui nous sera dévoilé en temps voulu.
Egalement, les diverses histoires qui se greffent à l'intrigue générale, elle-même greffée à ton monde si particulier donne forcément matière à l'admiration. L'histoire touchante de la Tarask notamment.
J'espère que cette histoire aura des conséquences (même implicite) sur celle du petit Samyël.

Bref, j'applaudis l'évolution de ton monde absolument maîtrisée et attends la suite de ce somptueux chevalier avec impatience !
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Prince du Crépuscule le jeudi 08 novembre 2007, 23:51:05
Ravi que mon interminable commentaire t'aie plu à ce point, ce n'était pas voulu à la base que ce soit si long, mais on ne change pas un Prince du Crépuscule je suppose, surtout quand il parle de l'oeuvre de son cher Mage Vermeil n'est-ce pas? :love:

Pour que tu comprennes (et Gd'O accessoirement, honte à lui d'ailleurs \o/), je vais traduire ce passage de mon délire (car ce n'était pas autre chose, mêlé à un enthousiasme plus que débordant et à une fatigue écrasante XD) en Allemand, dont M d'Orphée ne connaît pas les origines, et je dois dire que moi non plus... Enfin, voici que voilà la traduction:
"D'ailleurs savez-vous que mes grands-parents habitent là-bas? Mais oui, vraiment, je ne suis pas bête au point de faire de si vieilles blagues! Oh oui, juste comme ça, j'ai dit ça seulement pour amuser, vous semblez si frustrée... Quoi? Vous êtes la femme de Ganon d'Orphée? Oh, pardon, je crois que j'ai malencontreusement laissé quelque chose sur le feu. (Vraiment bête hein? XD) Au revoir, Madame d'Orphée! Haha!... :ash: *s'éclipse* "

Pitoyable je sais, j'aurais mieux fait de ne pas l'écrire, mais bon c'était une soirée spéciale on va dire... Je suppose qu'on en a rien à faire maintenant non? ;)
Et puis oui, tu m'inspires mon cher, j'ai créé un personnage (enfin plutôt à demi, puisque je savais en gros à quoi il allait ressembler) juste après avoir lu cette merveille, et quand tu connaîtras ce personnage, crois-moi tu te rendras compte que j'étais vraiment dans une soirée spéciale! ^^

Ah, et pour information, je ne sais pas si tu as remarqué, mais moi et les personnages secondaires c'est une histoire d'amour, je l'appréciais beaucoup ce cher Rirjk. Et puis n'en as-tu pas une preuve des plus flagrantes avec une certaine inconnue de mon Chant de l'Ombre hein? Non, non, tu ne la connais pas, elle se nomme Aylinn... joli prénom n'est-ce pas? ;)

Trêve de palabres, passons à un petit commentaire d'agrément (quand je dis ça, c'est toujours le moment où je m'étends le plus, je m'attends au pire ='D), parce que j'ai peur de m'épuiser au ryhtme auquel ces suites paraissent (pas que ça me dérange, juste tu me connais j'aime bien être posé tout ça ^^), et puis il y a le reste aussi. Je ne m'engage pas pour rien moi, même si je commentais déjà bien avant. ^^

Donc, que dire.... Mais que cette deuxième partie est tout aussi géniale, voire plus que la précédente! J'adore ce chevalier Argoth et son écuyer, cette histoire onirique, renvoyant à foule de références, ça me plaît au plus haut point. Je garde tout de même une préférence pour les aventures de ce cher Samyël, mais je ne m'inquiète pas trop pour ça je sais que tu poursuivras te connaissant relativement bien. Continue en tout cas, c'est tout le bonheur que je nous souhaite à tous et moi en premier! J'admire presque tout autant ta maîtrise et l'histoire de ce conte chevaleresque et original que ton Cycle du Rouge en lui-même, c'est pour dire. :)
Tu es étonnant et débordant d'imagination, ha mon instinct ne s'était pas trompé en me poussant à te lire cet heureux jour de mars je crois. Béni soit-il! Tu es tout simplement doué et tu réserves bien des surprises, certes tu as un tout autre style que moi et une autre manière d'aborder les situations et les personnages, mais c'est tant mieux! (heureusement je devrais dire, je sais pas si je te lirai dans ce cas >_> avec un brin d'orgueil je dirais que ça m'embêterais un peu de savoir que quelqu'un écrit comme moi de nos jours, enfin bref on s'en fiche, mais les divagations chez nous c'est une habitude tellement courante! :love:)

Que dire d'autre sinon que l'étendue de ton monde m'émerveille, inscrivant ses propres légendes dans d'autres mythe, eux-mêmes faisant subtilement référence à la réalité et s'insérant dans l'histoire principale? Rien, c'est génial et je ne vais pas t'assommer plus longtemps, sinon pour maintenir que cette ambiance purement épique et merveilleuse m'éblouit par son inventivité et sa maîtrise, ça sent l'inspiration brute tout ça, ces douces exhalaisons vont-elles encore me pousser à écrire jusqu'à des heures déraisonnables, comme hier et avant-hier? Ce ne serait pas judicieux, pour mon propre bien, mais que n'y suis-je poussé! Et puis ces deux personnages, ce héros débordant de classe et de sang-froid (normal pour un reptile non? ^^), cette atmosphère moyen-âgeuse... Je m'abandonnerais volontiers à me laisser voguer contemplativement dans ces eaux douces et cette légende du Tarask, c'était très beau honnêtement. Ce changement d'état, la séduction puis le repoussement, la laideur après la bauté, une certaine part d'illusion, puis la ruse du chevalier. Cette poésie faussement naïve aussi, révélant peu à peu tout sa réelle profondeur, j'en suis tout remué. :niais:

Ce ne serait peut-être que flatterie causée par mon exaltation démesurée, et je sais que je m'égare trop en ce moment sentimentalement (Aylinn, arrêtes de me déteindre dessus voyons =D), mais il me faut te le dire, et maintenant... J'en suis persuadé, tu feras un bien meilleur auteur que moi, et je suis vraiment empli de la plus grande des fiertés de t'avoir côtoyé, d'avoir pu goûter à ces oeuvres fabuleuses et d'avoir pu passer d'aussi bon moments en ta compagnie. :<3:  
Autre chose aussi... Tu me manques...
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le dimanche 11 novembre 2007, 13:39:05
GdO==>Oui, j'aime bien les bois sombres, elles ont souvent tendance à abriter moult créatures plus monstrueuses les unes que les autres, cristalisant ainsi les peurs secrètes des hommes :niak: C'est bizarre, j'ai beau avoir écrit le texte, je n'ai pas pensé une seule fois au chant des Sirènes XD Comme je l'ai déjà dit, je suis souvent aidé de mon subconscient profond qui associe des choses entre elles sans que je ne m'en rende compte :niak: Ceci dit, j'aime bien, je n'avais pas vu cela sous cet angle, mais ça me plaît :niak:

Cependant, comme Nehëmah l'a dit, Argoth ne ruse pas avec Tarask, en effet, il remet à plus tard le combat par pure nécessité, car ne possédant pas d'épée :niak:
Et effectivement, Tarask signifie quelque chose. Elle est inspirée de la Tarasque, fille du Leviathan et de la Bounge Orientale, qui vit dans les "bois noirs" de Nerluc, entre Arles et Avignon, vers le Rhône. :niak: D'ailleurs, une ville française a hérité de son nom: Tarascon :niak:

Nehëmah==>On va bientôt pouvoir monter "Le Club des Hommes de Trois Lettres" :niak:
Hé bé, ca c'est ce qu'on appelle une éloge :niak: Un grand merci donc, ça m'a fait chaud au coeur  :$
Oui, LCA aura des conséquences sur le Cycle, mais je n'en dis pas plus pour le moment :niak:

PdC==>Effectivement, je ne connaissais pas cette brave Aylinn... Tu me la présentes? :arrow:
Ne t'en fais pas, la parution de suite pour LCA devrait être plus posée à présent, j'ai sorti les deux premières assez rapidement, parce que j'ai voulu écrire un maximum avant la reprise ^^
:love: Holala, c'est trop de compliments pour moi :love: Je ne puis que dire merci :<3:
Quant à ton affirmation en fin de commentaire, permet moi d'en douter :love:

Bref, je vous sens impatients de connaître la suite, non? :niak: Alors c'est partie!


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I/ L'épée du Chevalier. (Troisième partie)


Le silence était impressionnant. Ceci était d’ailleurs d’autant plus étrange que tout autour de nous la foudre se déchaînait, les éclairs frappaient le sol en de sauvages explosions. Mais pas sur les versants du Petit Pic. Ici, tout était calme. Nul son ne venait perturber la sérénité du lieu, si ce n’était le bruit réguliers des sabots de Sor’n. Cela était sûrement l’œuvre de l’Enchanteur.
Nous grimpions avec peine, la pente était très raide, faite non de terre mais de milliers de petits cailloux qui roulaient sous nos bottes. Messire Argoth allait à pied, préférant mener sa monture par la bride plutôt que de courir le risque d’une chute.
Je ne pouvais m’empêcher d’admirer les traits foudroyants qui lardaient le ciel d’intenses lumières, sans pourtant avoir l’impression qu’ils existaient. C’était vraiment perturbant. Nous marchions en silence, de peur de briser ce silence imposant. Contrairement à ce qu’avait dit le vieil homme de l’auberge, le Petit Pic n’abritait nulle créature, pas même quelques bouquetins ou lapins.
Nous arrivâmes finalement au sommet, qui était plat. Là, nous avions vu sur tout le Haut Pays, et à l’horizon, la grande plaine de l’Arch’Land. A l’Est, l’océan. Le ciel était noir, comme toujours au dessus des Khaz’Khoradan. On disait d’ailleurs à ce propos que c’était la gueule d’une créature titanesque qui vomissait ces éclairs sur le monde.
Mais ce n’était pas là la chose la plus étrange. Devant nous, se dressait une porte. Une simple porte, à peine plus haute qu’un homme, faite de bois verni. Elle tenait dans le vide, sans murs ni sol pour la maintenir.
« Quel est donc ce sortilège!, m’écriai-je aussitôt »
Messire Argoth s’approcha. Il l’étudia un long moment, tournant autour, touchant le chambranle, le battant. Puis il me regarda, et je secouai la tête. Il frappa, doucement, sept coups.
Honnêtement, je m’attendais à ce que nous pérîmes, sous une boule de feu, un souffle glacé ou que sais-je encore. Au lieu de ça, une voix, sortie de nulle part, répondit:
« Entrez, c’est ouvert ».
Messire Argoth planta sa lance dans le sol mou, puis y attacha Sor’n. Il se saisit de son écu, puis poussa la porte vers l’intérieur. Il n’y avait rien, si ce n’était une forte lueur blanche. Sans hésiter, mon Maître s’y engouffra et disparu, en m’aillant auparavant fait signe de le suivre; ce que je fis.
Lorsque je passai dans l’ouverture, j’éprouvai une sensation étrange, comme un picotement dans tout le corps. Presque aussitôt, je me retrouvai dans une vaste salle, aux murs de pierres vertes décorés de tableaux, de tapisseries, et de moult autres choses propres aux gens de magie. Un véritable brasier brûlait doucettement dans un grand âtre, répandant une chaleur plus que bienvenue après le froid de la montagne, et nous foulions aux pieds un magnifique tapis de laine colorée, décoré d’arabesques et de symboles cabalistiques.
Dans le fond, face à nous, un homme sans âge siégeait sur un trône immense, en or et en pierreries. Il était vêtu d’une robe bleue sombre, et d’un large chapeau pointu de même couleur. Il fouraillait dans sa barbe fournie, qui lui tombait sur la poitrine. Il avait l’air intrigué, en nous observant.
« Qui êtes vous?
-Je suis le Chevalier Argoth.
-Argoth? Je ne connais pas ce royaume. Qui sers-tu?
-Personne. Argoth est mon nom.
-Tiens donc, un Chevalier Sans Terre. Voilà qui est étrange. Que viens-tu faire en ma demeure, Chevalier?
-L’on m’a parlé de vous.
-Et que t’as-t-on dit de moi?
-Que vous pourriez peut être me fournir une épée.
-Je le peux.
-Je vous le demande, donc.
-Sais-tu combien de guerrier comme toi se sont présentés à moi, tous me mandant la même chose?
-Je crains que non.
-Je dirais une bonne centaine. Tous sont repartis bredouille. Pourquoi en irait-il autrement avec toi?
-Vous seul avez la réponse.
-Certes. Je te concède cependant un avantage sur tes prédécesseurs. Tu es le seul à avoir frapper avant d’entrer. En cela tu es plus proche de ta quête que tous les autres. La politesse est une des nombreuses vertu de la chevalerie, les hommes n’ont que trop tendance à l’oublier. »
Messire Argoth s’inclina.
« Tu désires l’une de mes épées.
-Assurément.
-Fort bien. Sache cependant que mes lames ne sont faites que pour des hommes pouvant s’en montrer digne. Crois-tu être de ceux-là?
-Je le pense.
-Alors tu devras le prouver. Dans ma cave vit une bête, qui depuis trop longtemps me gène. Débarrasse m’en, et j’accéderais à ta requête. »
Mon Maître s’inclina de nouveau.
« J’ai un souci cela dit, sans vouloir vous importuner. J’ai attaché ma monture à la hampe de ma lance, et je me retrouve ainsi désarmé.
-Et tu espères donc que je vais te fournir une arme?
-C’est cela même.
-Tu es audacieux, Chevalier… Tiens, voilà pour toi.
-Un couteau?
-te plains tu?
-Non, non, mille excuses, je ne voulais pas paraître grossier. Cela me convient parfaitement. Où se trouve votre cave? »
L’Enchanteur se leva, puis se dirigea vers le mur de gauche, sur lequel il passa la main un bref instant. Une porte dérobée se révéla dans un crépitement d’étincelles mauves.  C’était une porte toute simple, sans ornements. Messire Argoth l’ouvrit, découvrant un escalier de pierre qui s’enfonçait en tournoyant dans les profondeurs de la montagne. Enfin, si toute fois nous y étions toujours. Aussitôt, des râles d’une extrême violence nous parvinrent.
« Je vous souhaite bien du plaisir, dit l’Enchanteur avec un petit sourire. »
Mon Maître hocha la tête, puis m’intima de le suivre en me jetant un regard. Il récupéra la torche qui flambait sur le mur, puis commença la descente. L’escalier était étroit, raide et glissant. Au fur et à mesure que nous nous enfoncions, les cris de la bête s’amplifiaient. Messire Argoth tenait fermement son arme de fortune, et gardait son flambeau à bout de bras pour bien éclairer le chemin.
« Messire, quel peut bien être ce monstre, pour faire pareille cacophonie, demandai-je »
Il secoua la tête sans répondre, comme à son habitude.
Je perdis vite la notion du temps. Les marches se succédaient avec une lente monotonie. Des dizaines, des centaines, des milliers. Plus nous approchions de notre but, plus la chaleur s’intensifiait. Soudain, Messire Argoth se stoppa,
« Sommes nous arrivés? »
Il me fit signe que oui. En effet, je n’entendais plus les cris de la choses. Face à nous s’étendait une très vaste salle, littéralement plongée dans les ténèbres. On n’y voyait goutte, une fois le regard en dehors de la sphère de lumière qu’émettait le flambeau.
Je la percevais. La respiration lente et puissante de la bête. Elle se tapissait dans le noir, sûrement attendait-elle le bon moment pour fondre sur nous. Malgré moi, je reculai de quelques pas. Messire Argoth agita la torche devant lui, essayant tant bien que mal d’y voir un peu plus. Sans succès. Alors il rejeta le bras en arrière, et, comme pour son combat avec les Spectres, lança loin la torchère. Elle voleta un moment dans les airs, perçant les ombres, puis retomba sur le sol nu en roulant un peu.
Le monstre, car s’en était vraiment un, était immense. J’estimais à [à] peu près deux mètre quatre vingt sa hauteur. Il possédait un long corps de serpent, couvert d’écailles verdâtres et répugnantes, suintantes une liquide ignoble et épais. Sa tête oblong se finissait par un bec d’oiseau encore maculé de sang et garni de crocs monstrueux. Ses yeux, petits et vicieux, rougeoyaient dans la pénombre. Sa queue fouettait l’air, terminée par un dard impressionnant d’où s’écoulait un poison mortel. Ses pattes puissantes étaient celles d’un aigle, et ses serres raclaient la pierre avec impatience. La bête n’avaient pas de pattes à l’avant, mais une paire d’ailles membraneuses, à la manière des chauve-souris.
Elle rugit alors, secouant les fondations de l’endroit où nous nous trouvions. Messire Argoth s’avança. Il inspira profondément, puis cria à son tour, mais ce n’était pas là le cri d’un homme, ni celui d’un monstre, mais celui d’un animal, noble et fier, sans peur ni vices. Je craignais pour mon Maître. Malgré toute sa vaillance, je doutais que sa malheureuse dague puisse entailler la peau épaisse du monstre.
Lui ne se posait pas autant de questions. Il se mit à courir vers son adversaire, son écu devant lui. Le combat s’engagea ainsi. Ce fut une lutte acharnée, brutale, nerveuse et sanglante. Messire Argoth se déplaçait vivement afin d’éviter les morsures, les griffes, les piqûres, et les flots de miasmes que la créature inhalait à chaque souffle. Il dut souvent utiliser son bouclier, qui s’endommageait un peu plus à chaque choc. Son armure également reçut de nombreux coups, qu’elle absorba. Jouant habilement de son arme, Messire Argoth infligea blessure sur blessure, entaille sur entaille, et la bête ne tarda guère à saigner abondamment, en poussant des cris de douleurs abominables. Finalement, voyant sa fin proche, elle tenta de s’envoler vers les hauteurs de la salle, pour se mettre à l’abris. Mon maître s’agrippa à l’une de ses pattes, et escalada petit à petit le corps reptilien du monstre, se protégeant de la queue empoisonnée à l’aide de son écu. Lorsqu’il fut sur sa tête, il leva haut son couteau, puis le planta avec force. La créature hurla une seule fois, et de sa gueule jaillirent des torrents de muqueuses, de boue, et d’autres choses encore plus ignobles. Puis, lentement, elle bascula dans le vide, et s’écrasa sur le sol, soulevant un nuage de poussière.
Messire Argoth était victorieux. Nous entendîmes alors des applaudissements. L’Enchanteur était là, assis sur son trône, et souriait. Nul doute qu’il avait usé de magie pour arriver ici en aussi peu de temps.
« Je suis impressionné, Messire Argoth. C’était un beau combat. Vous m’avez donné la preuve que j’attendais. Je forgerais votre épée. »
Mon Maître se tapa la poitrine du poing en s’inclinant.
« Ce monstre s’appelait Wyvern. Cela faisait des années qu’il m’importunait, saccageant ma demeure, troublant mon sommeil et dévorant mes gens. A présent tout va rentrer dans l’ordre. »
L’Enchanteur frappa dans ses mains. Aussitôt, des centaines de torches apparurent sur les murs, inondant la salle d’une lumière orangée. Sous nos yeux ébahis, ce qui n’était qu’une vaste cave vide et froide se changea en une bibliothèque somptueuse. Les grandes étagères jaillissaient des murs, les longues tables d’étude poussaient du sol, recouvertes d’un fatras de parchemins et de vieux ouvrages reliés de cuir, les alambics et les fioles colorées voletaient dans les airs pour venir atterrir dans de grands coffres finement travaillés. Un forte et plaisante odeur de papier vint rapidement agréer nos narines. Des armures décoratives s’assemblèrent d’elle-même pour venir se placer le long des murs. C’en était merveilleux, un véritable prodige de magie.
« Monseigneur, sans vouloir paraître grossier, dis-je, pourquoi ne pas vous en être débarrassé vous-même, vos pouvoirs sont immenses!
-Je ne pouvais pas. Ma magie n’avait nulle emprise sur lui. Toutes mes belles arcanes ricochaient sur son corps.
-Comment est-il arrivé ici?
-Wyvern était le fils du grand dragon Sigür, qui dort dans les profondeurs des Khaz’Khoradan. C’est lui que me l’a envoyé pour me punir d’avoir élu domicile sur son territoire. Mais n’en parlons plus, tout cela est fini à présent. »
L’Enchanteur se leva de son trône puis se dirigea vers le corps encore fumant de la bête occise. Il fit quelques gestes étranges dans les airs, et une hache énorme apparue dans ses mains, qu’il tendit à Messire Argoth.
« J’ai besoin du bec de Wyvern pour votre épée. »
Mon Maître se dépêcha de découper le précieux ingrédient à grands coups de hache.

« Du Minerai de Naïn pour une lame fine et éternellement tranchante.
De l’Alliage de roches pour sa résistance et son équilibre.
De l’or pur, pour une garde sans faille qui éclaire les ténèbres.
Un rubis pour une parure qui canalise les Arcanes.
Et de l’Ivoire de Dragon pour un manche solide et fidèle, qui guide le bras et l’esprit. »
Devant nous, sur un établi de fer, s’étalaient tous ces matériaux, plus rares les uns que les autres. L’Enchanteur les désignaient un à la fois, pour nous expliquer leur fonction. Puis il commença la fabrication. A l’aide de quelques mots de pouvoir, il fit apparaître un petit marteau duquel émanait une lueur orangée. Sa tête et son manche étaient couverts de runes et de symboles.    
Le mage travailla d’abords longuement le minerai, à grand coup de son marteau, qui projetait de nombreuses étincelles colorées à chaque choc. Tout en s’agitant, l’Enchanteur psalmodiait une lente litanie, et ses yeux se teintèrent d’orange et d’or. De ses mains experte ne tarda guère à naître une lame d’une perfection inouïe, longue d’environ un mètre soixante, fine et plate, et également acérée comme nulle autre pareille.
Fidèle à la vieille tradition, Messire Argoth ne perdait pas une miette de la fabrication de son épée -qui l’accompagnerait toute sa vie- les bras croisés.
Après quoi, l’Enchanteur fusionna l’Alliage à la lame, lui conférant une couleur un peu vermeil. La résidence de notre hôte résonnait de la lutte entre l’enclume et l’outil. Saisissant la lame chauffée au rouge à main nue sans même se brûler, le mage la refroidit dans un tonneau d’eau glacée, qui s’évapora dans une tourbillon de vapeur. Puis il prit l’or et recommença son labeur, pour lui conférer la forme stylisée de la garde, sur laquelle il greffa le Rubis qui s’illumina subitement.
Enfin, il réduit le bec de la Wyvern en une très fine poudre. A l’aide de sa magie, il l’a fit s’enrouler autour de son doigt tendu, puis il força la voix alors qu’il in[cantait]. La poudre s’assembla de nouveau, se solidifiant au contacte, adoptant la forme effilée du manche, terminée par une pointe que l’Enchanteur rehaussa d’une fine feuille d’argent. Puis il assembla chaque partie à l’aide de ses sortilèges, faisant une colle magique toute en runes qui s’unifièrent, assurant à l’ensemble une cohésion parfaite. L’épée se souleva alors d’elle-même, et vint flotter jusque dans la paume ouverte de Messire Argoth. Il l’a brandit devant lui, pour la saluer, la caressant du regard, faisant connaissance avec sa nouvelle compagne. Il plaqua la lame contre son front et ferma les yeux, selon un ancien rite de la Chevalerie, communiant avec son arme pour créer un lien symbiotique qui ne se briserait jamais.
« Quelle nom dois-je inscrire dessus? »
Messire Argoth reposa l’épée sur l’enclume, et réfléchit quelques instants.
« Arrrendia, finit-il par lâcher. »
L’Enchanteur le regarda en souriant, puis, à l’aide d’un très fin burin et du marteau, grava avec une minutie extrême deux runes, calligraphiées de fort jolie façon.
« Qu’est-ce que cela signifie?, demandai-je »
-Pureté, me répondit-on. 
-C’est un jolie nom. »
Les runes, une fois leur inscription finie, brillèrent d’une très forte lumière, puis s’apaisèrent. Messire Argoth possédait enfin une épée, et pas n’importe laquelle.

L’Enchanteur donna à Messire Argoth un fourreau qu’il créa à l’aide des écailles de Wyvern, pour lui assurer une grande résistance. Puis, sur demande de mon Maître, il lui remit également un flacon fait d’un métal magique. Messire Argoth trancha alors le dard de Wyvern, et recueillit son poison dans la fiole. Il en versa également quelque gouttes sur la lame d’Arendia, afin de la protéger de toute corrosion. Il conserva le reste dans un sac, qu’il me remit, avec également l’aiguillon de la bête, comme trophée de victoire.
« Brave Chevalier, tu m’as rendu un très grand service en occitant la bête de tous mes tourments. En cela je te serais éternellement redevable. Voici un petit cadeau, pour te remercier. »
L’Enchanteur tendit le bras vers l’écu de Messire Argoth et agita les doigts. En quelques instants, il n’y eu plus aucune traces des dommages causés par le combat. Puis une fine bande mauve emplie d’arabesques d’or colora le contour du bouclier, débutant ainsi le blason de Messire Argoth. Celui-ci s’inclina pour le remercier. Après quoi, le mage nous renvoya à la surface dans une spirale de magie. Nous franchîmes la porte solitaire dans l’autre sens, et nous nous retrouvâmes de nouveau sur les hauteurs des Khaz’Khoradan. Cependant, derrière nous, une grande tour d’ivoire s’élevait dans les nuées, où sa flèche de tuiles bleues piquait les nuages chargés de foudre. Messire Argoth récupéra sa lance, passa Arendia à sa ceinture, battant sa cuisse gauche, puis nous entamâmes la descente du Petit Pic…
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Nehëmah le mardi 13 novembre 2007, 19:45:53
Etant amorphe ce soir, telle une larve, je n'aurasi pas grand chose à dire j'en suis fort désolé :niak:
Je tiens d'abord à te préciser qu'il y a pas mal de fautes dans ce texte quand même (enfin pas non plus trois tonnes mais une petite dizaine mettons) dont la plus importante à te faire part est la suivante : "arcane" n'est pas un nom féminin malgré les apparences. On parle d'un arcane et non d'une arcane (et attention au sens, un arcane signifie un mystère et non une technique par ailleurs, même si ça peut désigner en effet un sortilège... Cependant je pense que ça vaut plus pour un sortilège interdit que pour des sortilèges rudimentaires).
A part ça un bien chouette combat, bref, efficace, en un mot : concis. Argoth est toujours aussi classe et possède enfin son épée : l'heure d'aller occire la Tarask et après ceci d'en apprendre sûrement davantage sur sa quête et son passé :niak:
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le jeudi 29 novembre 2007, 21:41:13
Comme disait un vieil ami "Un Magicien n'est jamais en retard, ni en avance. Il arrive à point nommé" , du moins, quelque chose dans le genre. :niak:

Voici donc le début de la deuxième partie de la Geste du Chevalier Argoth, rien que pour vous :niak:

Ceci dit, je ne vous cache pas que j'ai repris l'écriture du Cycle en parallèle, et que donc je pense qu'une fois cette deuxième partie d'Argoth achevée je ferais un p'tit break pour mettre la suite du Cycle... ou pas :niak: enfin je verrais, je voulais juste vous prevenir :niak:

Sur ce, bonne lecture!



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II/ Premiers exploits (Première Partie)


« Tu es revenu Chevalier.
-Je suis revenu.
-Quel est tom nom déjà ?
-Argoth. Messire Argoth.
-Messire Argoth… Et ton écuyer ?
-Je ne sais pas. »
           La réalité me frappa en entendant ces mots. C’était vrai. Mon Maître ne connaissait pas mon nom.
« Tu ne sais pas ? Hahaha… Comment peux-tu faire confiance à un homme que tu ne connais pas ?
-Je ne sais pas. »
Et moi non plus, je ne savais pas.
La Tarask s’agita dans son bassin. Ses yeux fous fixaient Messire Argoth avec appétit.
« Bien, Chevalier. Assez parler. Il est venu le temps d’honorer ton serment.
-Soit »
Mon Maître revint quelque peu sur ses pas, et enfourcha  Sor’n, qui piaffait d’impatience. Il attacha son écu à son bras, et prit sa lance dans l’autre main. Tarask étendit son cou par dessus la prairie, la souillant de l’infection qui écumait de sa gueule. Elle s’apprêtait à sortir de l’eau.
Le monstre ne ressemblait à rien de ce qu’il m’avait été donné de voir jusqu’à maintenant. Il avait six pattes d’ours, puissantes et courtes, de par et d’autre d’un corps chevalin. Sa queue de loup était hérissée de pointes acérées qui suintaient un poison mortel. Etrangement, son émergence ne troubla en rien le calme surnaturel de l’onde noire.
« Prépare toi à finir déchiqueter par mes crocs.
-J’en suis honoré »
Les adversaires se firent face un moment. Puis Messire Argoth talonna les flancs de Sor’n en poussant un cri de guerre. Il brandit haut sa lance, et passa sous la tête de Tarsak avec agilité. Arrivé à hauteur du côté droit de la bête, il y planta avec force son arme, qui se ficha dans un bruit mat. Puis il repartit au galop en sens inverse.
Tarask hurla en s’ébrouant. Elle cracha des torrents de miasmes épais qui répandirent une fumée âcre sur la clairière.
« Argoth ! »
Tout en prononçant le nom, elle chargea avec une vitesse impressionnante pour sa morphologie. Elle ondulait du corps dans son mouvement, à la manière des serpents. La bête frappa Sor’n de plein fouet, l’envoyant voltiger dans les airs. Messire Argoth retomba durement sur le sol, et roula vite sur le côté pour éviter la gueule avide qui tentait de se saisir de lui. Trouvant une occasion, il déferra Arendia, et d’un geste prompt trancha net dans la chair. Le monstre recula en hurlant, la moitié gauche de sa mâchoire pendant dans le vide, et d’où un sang obscur et épais s’écoulait lentement.
Alors que mon Maître se relevait, j’eu l’impression que l’endroit se faisait moins menaçant, moins sombre. On aurait dit que Arendia dissipait quelque peu les ténèbres.
Tarask repartit à l’assaut. Messire Argoth se jeta en avant, roula pour éviter les dents pointues, se releva et *tenta d’embrocher la bête. Malheureusement, le monstre, à une vitesse fulgurante détendit son cou comme un ressors, et parvint à capturer le Chevalier entre ses crocs. Par bonheur, l’armure de Messire Argoth était résistante, aussi ne finit-il proprement coupé en deux. S’avisant de cela, Tarask projeta sa proie dans les airs, l’envoyant voltiger contre un arbre. La force du choc fut telle que le végétal se déracina et tomba lourdement sur le sol, provoquant un vent qui fit voltiger un paquet de feuilles mortes et d’humus pourri. Messire Argoth se redressa vaillamment, sa longue queue rouge fouettant l’air derrière lui. Il releva la lame d’Arendia, se tassa sur lui même puis bondit en avant. Sprintant à une vitesse plus que rapide, il bondit au dernier moment pour éviter la mâchoire grande ouverte qui fonçait sur lui. Il se réceptionna souplement, et s’élança afin de récupérer son écu, tombé un peu plus loin sur le sol. Ainsi équipé, il se retourna et repartit batailler. Ecartant la tête de lion d’un revers puissant de son bouclier, il courut vers la flanc ainsi découvert. Cependant, la bête fit un écart, et son corps monstrueux percuta le Chevalier avec assez de force pour l’envoyer bouler dans l’herbe. Vive comme l’éclaire, la Tarask commença à enrouler son cou immense autours de la taille de Messire Argoth, comme un serpent, l’étouffant.
« Où sont donc passés ta force et ton courage Chevalier ?, susurrait la bête. Voilà donc tout ce dont tu es capable.
-Sache… Monstre… Qu’un Chevalier… ne renonce… Jamais ! »
Argoth se pencha en arrière, puis projeta son crâne avec le maximum de force qu’il put mettre dans le mouvement. L’impacte arracha un cri de douleur à Tarask, qui relâcha son étreinte, permettant ainsi à son adversaire de se dégager et de chuter au sol. Messire Argoth roula sur le côté pour se mettre à l’abri puis se releva. Les duellistes se dévisagèrent, puis d’un accord tacite chargèrent l’un vers l’autre. Alors même qu’ils allaient se percuter, le Chevalier réalisa une prouesse digne de lui. Il sauta au dernier moment, retombant souplement sur le cou tendu du monstre, puis courut le long du membre grêle. Saisissant son épée à deux mains, il bondit une dernière fois et larda le flanc découvert du monstre d’un coup d’épée fulgurant. La bête s’écarta promptement en criant. Elle essayait de couvrir la blessure de ses pattes, mais celles-ci étaient trop courtes.
Mon Maître pointa sa lame vers la tête de Tarask, et déclara :
« Je t’ai vaincu. Jure de partir et de ne jamais plus paraître sur la terre des hommes, et tu pourras vivre.
-Sois maudit, Chevalier. Toi et tous les tiens. Jamais mon trésor ne sera tien, jamais ! »
Alors Tarask bondit gueule grande ouverte. Argoth plaça Arendia bien droite devant lui, juste entre les yeux. Le salut Chevaleresque.
Puis, dans un éclair de lumière, il trancha la tête du monstre, qui partit tournoyer quelques instants dans l’air.
« Mon père viendra. Oui, il viendra. Il me vengera, Chevalier, il me vengera ! Sois en certain ! »
Et c’est ainsi que périt la légendaire bête de Tarask. Un rayon de soleil solitaire vint illuminer mon Maître, dans ton sa gloire.
Il était victorieux, une fois de plus.

« Ecuyer, aujourd’hui est un jour glorieux. J’ai vaincu l’une des bêtes les plus effroyables de la contrée. Voici le point de départ de ma légende. Oui de ma légende. Et cette légende, je veux que ce soit toi qui l’écrives. Je suis pareil à Tristïus, j’ai peur de mourir sans que personne ne me connaisse. J’ai besoin que l’Histoire se souvienne de moi. Je suis spécial. Je suis différent. C’est ce qui fait ma force. »
Je l’écoutais, captivé. Sa grandeur impalpable me fascinait. Oui, il était différent. Il était fort, il était brave, il était bon. Il était Chevalier.
« Je suis destiné à devenir un héros. Mais pour cela il me faut accomplir une quête. Une quête que nul encore n’a eu le courage d’accomplir. Par exemple, Tristïus défit le géant Kor’Gath à l’aide d’une simple dague ; Falawÿn le Mage apprivoisa le Dragon Auswÿn en lui racontant des histoires ; Galariade d’Esboni luta seul contre cent hommes dans le Défilé D’Argent et vainquit. Tous ont fait de grandes choses. Je suis le prochain.
-Messire, puis-je vous poser une question ?
-Je t’en pris.
-Quelle est votre quête ?
-Je recherche la Faërite Ecuyer. La Faërite… »
La Faërite. La Pierre des Fées. La Magy’Pierre. Le Roc des Dieux.
« Qu’en ferais-vous, Messire ?
-Je la détruirais. Et sa magie sera mienne, à jamais.
-Personne ne sait où elle se trouve.
-Je la trouverais.
-Beaucoup y ont consacré leur vie.
-J’y mettrais la mienne s’il le faut. Je parcourais le monde à sa recherche. J’ai confiance Ecuyer. J’ai confiance. »
Messire Argoth enleva sa ceinture, son armure, et posa Arendia dessus. Après quoi, il plongea dans la marre que gardait Tarask. Quant à moi je réfléchissais. Tout cela me paraissait bien étrange. Une entreprise folle et sans espoir.

Nous contemplions le véritable trésor que Messire Argoth avait remonté des profondeurs de la mare, qui était en réalité beaucoup plus profonde qu’on ne se l’imaginait. Il y avait là des bijoux, de l’or, des pierreries, de l’argent, des objets d’arts, des reliques oubliées, des armes étincelantes, épées, haches, lances, arcs, des pièces d’armures polies… Je n’avais jamais osé rêver pouvoir tenir entre mes mains le centième de tout cela.
« Ce trésor n’était pas le bon. Je ne vois trace de la Faërite, Et je suis sûr d’avoir tout rapporté.
-Qu’allons-nous faire de tout cela ?
-Je n’en ai que faire. Rien de ceci ne m’intéresse. A l’exception peut être de ces choses là… »
Messire Argoth se pencha et ramasser un arc de chêne, de bonne facture, mais pourtant rien d’exceptionnel en comparaisons de ses homologues qui se trouvaient toujours sur le sol. Mon maître remplit le carquois associé de bien curieuse façon : Il y inséra trois flèches de frêne, trois de cuivre, trois de bronze, trois d’argent et trois d’or.
« Bien, nous avons assez traîné par ici Ecuyer. Le destin nous appelle, et il ne se trouve pas ici. Prend de quoi acheter des vivres et un cheval pour toi lorsque nous ferons halte dans le prochain village. »
Alors qu’il enfourchait Sor’n, il se stoppa soudainement et regarda autour de lui.
« Regarde, me dit-il »
Le spectacle me laissa sans voix. Les sombres bois de Tarask étaient méconnaissable. Le soleil s’infiltrait avec force dans les frondaisons, baignant la clairière d’une lumière aveuglante après l’obscurité du bosquet. Les oiseaux chantaient, les insectes bruissaient gaiement, et l’on pouvait entendre le pas de plusieurs animaux dans les fourrés. La forêt de Disëry était enfin libérée de sa malédiction. L’onde noire qui servait d’antre à Tarask commença doucement à se clarifier, le phénomène se propageant comme un remous lorsqu’une pierre vient troubler la surface. L’eau qui en résulta était la plus pure qu’il m’ait été donné de voir. Messire Argoth s’en approcha, et y remplit son outre. Après quoi, il jeta le reste du trésor dedans, m’assurant mystérieusement qu’il serait bien gardé. Puis nous reprîmes la route, après que j’eus récupéré la tête de Tarask, qui alla rejoindre le Dard de Wyvern…
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Nehëmah le jeudi 29 novembre 2007, 22:03:34
Je te hais ! Je te hais presque autant que je t'aime !

Au moment même où j'allais me déconnecter je me suis permis un petit tour supplémentaire sur le forum. Bien entendu, loin de moi l'idée de trouver un chapitre supplémentaire de ce brave Argoth... Et pourtant... Mais tu n'imagines donc pas qu'à cause de ça, je suis resté une dizaine de minutes voire un quart d'heures de plus sur l'ordinateur ? Certes, le commentaire prend plus de temps que la lecture, assurément, puisque le lecteur passe du statut de passif à actif, ce qui, si l'on en croit les hautes instances, demande plus de travail et donc de temps. A préciser : les hautes instances semblent être celles de mon cerveau.

Donc voilà, je m'égare, je m'égare et Argoth ne s'égare pas, ça non. Il achève la Tarask en deux temps trois mouvements au sein d'une lutte acharnée qui aurait mérité à être plus significative, plus longue (mais pas plus anecdotique, un simple combat pour du combat n'a, à mon sens, que peu d'intérêt). Il se trouve que ce combat pour du combat a un intérêt certain : l'affirmation de la force d'Argoth. Le combat en lui-même me semblait anecdotique, du genre grands films d'action ("là, Argoth fait une roulade puis embroche Tarask") bon, ça fait un peu holywoodien mais à bien y repenser, il y avait-il d'autres choix ? Ce qui est le plus à critiquer est peut-être la rapidité du combat et un manque d'implication qui fait qu'il paraît plat et exprimé en termes purement techniques. Un peu plus de détails sur chaque action, un développement, plus de style pour expliquer que Argoth ne faisait pas une roulade pour le simple plaisir d'esquiver la Tarask mais aussi car il a choisi la roulade et non le pas de côté, par exemple. Enfin, peut-être dis-je ça car mon cerveau est parti pour s'imaginer un combat dantesque que peut-être personne (ni moi qui l'imagine) ne serait capable de rédiger. Les mots sont bien peu de choses, finalement, mais la dimension nouvelle qu'ils dépeignent est de loin plus intéressante encore.

Et voilà, je me perds en réflexions presque philosophiques (mais qui n'en sont pas) et j'oublie de dire que la quête d'Argoth est enfin éclairée par ses paroles ! De plus, l'origine du conte, à savoir le narrateur, c'est à dire l'écuyer est enfin révélé, ainsi qu'un pan de l'Histoire de ton univers. Qui sait, peut-être retrouverons-nous bientôt Le Mage Falawÿn au même titre que Le Chevalier Argoth dans cette Tour du Rouge ?

Bref, bref, que de bonnes choses annoncées, avec, toujours cependant, cette réserve sur le combat. M'enfin, que cela ne t'mepêche pas de continuer à écrire des textes de combats, il n'y a que comme cela que l'on s'améliore !
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le jeudi 29 novembre 2007, 22:49:40
Moi aussi je te hais :niak: En lisant ton commentaire, plus particulièrement la partie sur le combat, je n'ai pas pu m'empêcher d'éprouver des remords, et j'ai donc développer ledit combat un peu plus, que j'ai ensuite rajouté au texte. La nouveauté commence à partir du petit astérix en gras.

Certes après une nouvelle relecture, je l'ai trouvé également un peu maigrichon. Ceci dit, Argoth est un texte assez différent de ce qui se fait d'habitude dans la mesure ou c'est une légende racontée par un conteur, et donc dans un certain sens, j'ai trouvé logique de ne pas m'attarder sur les combats autant que je l'aurais dans le Cycle du Rouge par exemple :niak: Mais bon, j'avoue que pour un combat annoncé depuis un moment, je me suis pas trop foulé. Mea culpa :niak:

Quant au reste, j'ai déjà de nombreux projets d'écriture dans l'univers du Continent et autours de Samyël, ceci dit l'histoire du Mage Falawÿn n'en fait malheureusement pas parti =p du moins pas encore... :niak:
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Kyren le dimanche 02 décembre 2007, 20:03:38
Tout simplement magnifique ! Ca fait très longtemps que cette fiction a commencé et elle continue encore, c'est vraiment un chef d'oeuvre elle est devenue culte dans le fofo. Continue, c'est toujours aussi génial ! :yeah:
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Prince du Crépuscule le vendredi 07 décembre 2007, 00:53:07
Ahlàlà, que dire, que dire en cette heure tardive et initimiste qui une fois de plus va me plonger dans un lyrisme démesuré? Je ne sais... Ce que je sais en revanche, c'est que ce dernier chapitre m'a beaucoup plu, et celui d'avant aussi, puisque je ne l'avais pas commenté. Mais permets-moi de me concentrer sur le dernier; je dirais juste que l'affrontement entre le notre Chevalier favori et la Wyverne, les discussions avec l'Enchanteur, l'obtention de la légendaire Arendia... Tout cela est vraiment beau, c'est tout ce que je dirai au risque de répéter le scénrio qu'on a pu voir quelques messages plus haut (des messages d'agrément, vraiment trois fois rien n'est-il pas?... XD)

Alors, pour commencer je suis désolé de ne pas avoir commenté plus tôt, mais tu connais ma situation actuelle, hélas. (d'ailleurs la semaine qui vient je n'aurai même plus de connexion...) Bref, du coup je ne peux me référer entièrement au commentaire de Nehëmah, puisque je n'ai pas vu la version d'origine. Néanmoins, je dois dire que cette extension a grandement prouvé que tu l'as amélioré jusqu'à atteindre ton niveau habituel d'écriture, qui demeure d'une excellence redoutable pour mes sens de romantique en furie (PdC ou le n'importe quoi, surtout nocturne c'est encore pire ='D). Tu as su allier le trait du conteur à une narration habilement détaillée, presque romanesque, d'une dimension épique, chevaleresque véritablement merveilleuse. Je suis tombé sous le charme de ce cher Argoth et de son écuyer, comme un témoin extérieur de ce qui deviendra plus tard une légende (fabulée) du Continent. Ceci dit, je m'impatiente quant au sort de ce brave et tourmenté Samyël, pour qui je garde toujours ma préférence.  

Il n'empêche pas que ce combat final entre le Chevalier et la Tarask était de toute beauté, cet affrontement est superbement retranscrit à mon sens où tu as su préserver l'aspect un peu concis et naïf du conte mais aussi insuffler à tes lignes un épique des plus gratifiants. Moi qui suis amateur de concilliances de genre, (parole de ficeur fantastico-romantico-lyrico-dramatico-épico-tragico-poète <3) je me vois comblé d'un mélange ô combien habilement mené, même si j'aurais aimé qu'il soit encore plus long. Enfin, moi je demande toujours plus quand il s'agit de ce que j'aime, passionné comme je suis; on ne s'en doutait pas de tout manière, donc je vous le signifie. ;)
Bon après certes on s'y attendait, mais moi non plus je ne vois pas réellement d'autre issue possible sans trop alambiquer et surtout sans sortir de la dimension contée, à l'aspect un peu ancien, de ton oeuvre. Je te félicite sincèrement pour ce que tu as fait, tu m'as ravi de bout en bout, vraiment. ^^

Mais... allons dormir maintenant, je vais sûrement rêver de Samyël en perspective de ses prochaines aventures. En espérant ne pas m'être trop embrouillé suite aux brumes éparses de la cruelle fatigue, j'attends la suite avec beaucoup d'impatience. Continue comme cela, mon Mage Vermeil national, je ne puis que t'encourager dans cette voie, comme je l'ai toujours fait! A bientôt! :)
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Ganon d'Orphée le vendredi 07 décembre 2007, 22:54:28
:<3: Quel beau combat :<3:

Je dois dire que ce combat est éblouissant, contrairement à Pdc je ne le trouve pas trop court (ni trop long d'ailleurs), tout au contraire il est construit si finement (sans vaine flaterie aucune), le rythme est si bien donné que l'on suit ce combat digne d'un mythe grec à chaque pas d'un des adversaires. On commence avec au début la description de ce monstre digne d'une chimère (pour faire encore une liaison avec la mythologie grecque/latine) puis ensuite : COMBAT. On lit, on lit, on lit et de surcroît de belles phrases (c'est bien plus plaisant) et on lit, on lit et on ne s'en lasse pas. J'avais vanté tes mérites de Tolkienistes la dernière fois, ici je vais vanter tes talents primaires d'écrivains : tu donne un rythme fou à tes scènes avec des mots pas trop lourd, des phrases très fluides et un tout très plaisant à lire.

Recette du jour
Ingrédients : 1 combat depuis longtemps attendu / 1 monstre / 1 chevalier / 1 rythme décoiffant / Des retournements de situation (autant que vous le voulez, néanmoins attention à ne pas trop en mettre ou alors le taux calorique est fort. Suivez les conseils du chef-cuisinier Samyël, des retournements de situation ancrés dans la scène d'une façon très fluide) / 1 écriture légére / 1 vocabulaire adapaté et léger.

Mélangez le tout, vous obtiendrez un combat ... mythologique !!!

 :<3: Quel beau combat quand même :<3:  :<3:  :<3:

Le reste est comme toujours très bien écrit, plaisant à lire, superbe (parfait !). On attends la suite, et j'attends impatiement que les ultimes menaces du monstre se dévoilent devant nos yeux : que le père de ce Tarsak vienne !!! La Tarsak est déjà horrible, effrayante, cauchemardesque ... quelle créature infernale a pu enfanter cette chimère ? J'en frémit d'avance.

 :arrow: Bravo mon cher Samyël.

 :arrow:  :arrow:  :arrow: Et voici mon cadeau pour ce grand écrivain que tu es : mon 1000ième message servira à commenter tes magnifiques textes (et quel beau combat !!!).
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le dimanche 09 décembre 2007, 15:06:14
Plop, je profite d'un Dimanche relativement tranquille pour clore la deuxième partie de LCA. Comme annoncé dans mon avant dernier post, je fais un break avec ce récit, pour revenir sur le Cycle. Attendez vous à voir apparaître un très long chapitre 15 dans le courant de la semaine :niak: Et oui, première entorse à la règle, je ne le fragmenterais pas. Peut être qu'il en ira de même pour tous les autres. Je verrais.

Kyren=> Merci pour ce commentaire =^^= Culte sur le fofo? J'aimerais bien, mais je crois pas lol

PdC=> Ho oui, merci pour ce commentaire <3 Décidement, ce combat fait des émules, dirait-on :niak: Enfin, rassure toi, la suite des périples de Samyël arrive bientôt. :niak:

GdO=> Hé bé, quel commentaire =^^= Merci bien. Tu devrais écrire un livre sur les recettes d'hier et d'ajourd'hui, ça marcherait XD

Bref, trêve de palabres, bonne lecture!^^



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II/ Premiers exploits (Deuxième Partie)


Nous commençâmes à voyager à travers le monde en quête de la pierre. La tâche n’était pas aisée, car si tout le monde connaissait la légende, bien peu possédait des informations à ce propos. Nous quittâmes le Haut Pays, errant de villages en villages dans le but d’en découvrir un peu plus. Nous traversâmes de profondes forêts, parcourûmes de vastes plaines puis longeâmes les Khaz’Khoradan sur un bout de chemin. Un beau jour, alors que le soleil descendant à l’horizon annonçait la fin de la journée, nous nous retrouvâmes devant un étroit défilé qui s’enfonçait au cœur des montagnes. Les parois étaient si rapprochées que deux chevaux montés avaient peine à se tenir debout de front. A l’entrée du défilé, nous fîmes la rencontre d’un homme seul. Il avait établi son camp là, allumé un petit feu. Son cheval broutait l’herbe grasse un peu plus loin.
« Halte là !, s’écria l’inconnu en se redressant. Où allez-vous ? »
Comme mon Maître ne faisait mine de répondre –il s’était de nouveau emmuré dans une bulle de mutisme une fois que nous eûmes quitté la forêt de Disëry -, je le fis à sa place.
« Nous voyageons dans la contré.
-Où allez vous ?
-Là où nos pas nous porteront.
-Vous voulez traverser mon défilé.
-Votre défilé ? Et en quel honneur ?
-Le mien ! Je suis Hektor, fils de Tharn, Chevalier au service de sa majesté le roi. Par décret royal, ce défilé est mien, et quiconque voudra le traverser devra faire montre de bravoure mêlée de hardiesse, car je le défendrais au péril de ma vie. Et qui ose ainsi dénigrer ma parole ?
-Je suis Argoth, fit soudainement mon maître, fils d’Ekt…[Une tache d’encre cache la suite du mot] …valier au service de personne. Et voici mon écuyer.
-Argoth, veux-tu traverser mon défilé ?
-Que trouve-t-on au delà ?
-Nul ne le sait, car de tous les braves qui s’y sont aventurés, aucun n’en est jamais revenu. L’on dit que le dragon Sigür s’y terre, caché dans quelque grotte monumentale, et qu’il garde jalousement son trésor d’un œil ensommeillé.
-Quel trésor garde-t-il ?
-Un magot immense d’or et d’argent, d’émeraudes, de topazes, de saphirs, de rubis, de bronze, et de tout ce qu’un homme peut vouloir de richesse.
-Sais-tu si la Faërite s’y trouve ?
-Comment puis-je le savoir ? Je garde ce défilé, par le trésor du dragon. Vas-tu traverser mon défilé ?
-Non. Du moins pas pour l’instant. Nous nous reverrons, Hektor, fils de Tharn. Affûte ton épée et brique ton écu pour ce jour qui te verrat défait. »    
Nous tournâmes le dos au chevalier solitaire puis nous prîmes la route du Sud.

Le voyage se déroula sans embûche. Nous progressions à un rythme soutenu, quoique peu éprouvant. Les vastes terres reculées du Nord firent bientôt place aux terres cultivées dans grandes villes méridionales. Notre route croisa rapidement celle d’un château de pierre, qui s’élevait fièrement au sommet d’une colline, entouré d’un amas de masures. Nous poussâmes nos montures jusqu’à l’écurie d’une authentique auberge de pays, où ils reçurent soin et nourriture.
L’apparence quelque peu atypique de Messire Argoth lui valait toujours des regards de suspicion, de peur, de curiosité, plus rarement de haine. Les habitants de la bourgade ne faisaient pas exception. Lorsque nous entrâmes dans l’auberge, les conversations cessèrent aussitôt. Seuls les bruits émis par l’équipement de mon maître brisaient le silence.
« Hahaha ! Mes yeux me tromperaient-ils ? Non, je crois que non ! Vous êtes bien lui ! Vous êtes bien lui, n’est-ce pas ? »
C’était un vieil homme, vêtu d’une ample robe bleue et d’un chapeau à large bord. Il tenait un bâton de marche dans sa main droite et jouait avec sa longue barbe blanche de sa main gauche. Il s’adressait à Messire Argoth.
« Alors, êtes vous lui ?, pressa-t-il avec un sourire
-Cela dépend de l’identité de « lui », répondit mon Maître.
-Ho… Mais voyons, je parle bien sûr de ce mystérieux chevalier à l’apparence d’un démon, le Chevalier Argoth ! Celui qui leva la malédiction qui pesait sur les bois de Tarask en tuant la bête qui y vivait.
-Les nouvelles vont vite.
-Hoho, j’ai de très bons informateurs. Laissez moi vous offrir une bière. »
Quelque chose chez ce vieil homme me chiffonnait. Je n’aurais su dire quoi exactement. Nous nous installâmes à une table près de l’âtre. Nous ne tardâmes pas à être servis.
« Qui êtes vous ?, demanda Messire Argoth.
-Ho, je ne suis qu’un vieil homme, je voyage au grès du vent sans véritable but. »
Il sortit d’une petite besace une pipe en terre cuite qu’il bourra avec du tabac qu’il prit dans une blague suspendue à sa ceinture de corde.
« J’ai dit : qui êtes vous ? »
Surpris, je regardai mon maître. Il avait durci la voix, et ses yeux exprimaient une fureur difficilement contenue. Je ne l’avais encore jamais vu comme cela. Le vieil homme se stoppa. Il jeta un regard en biais à Messire Argoth, puis un sourire satisfait vint étirer le coin de sa bouche.
« Vous êtes quelqu’un d’étrange et fascinant Chevalier.
-Gardez vos compliments pour vous, vous n’avez toujours pas répondu à ma question.
-Je suis le magicien Nymérius. Le conseiller du roi. »
La stupeur qui suivit cette révélation me laissa sans voix. Un mage royal, ici ?
« Que me voulez-vous ?
-Sa majesté est très intéressée par vos récents exploits. Elle désirerait vous rencontrer.
-Moi je n’en ai pas envi. »
Cette fois, ce fut au tour du magicien de rester sans voix.
« Je n’ai que faire de votre roi. Je ne compte servir personne, quand bien même cette personne fut un roi ou empereur ! »
Messire Argoth avait élevé la voix jusqu’à crier. Ses yeux foudroyaient son interlocuteur sur place, et il semblait prêt à découper le vieil homme. Ce comportement étrange ne fit rien pour me rassurer. Très calme, le magicien tira une bouffé de sa pipe.
« Voyons, ne vous mettez pas dans ces états là. J’ai un marché à vous proposer.
-Lequel ?
-Battons nous. Si je gagne, vous viendrez avec moi jusqu’à la capitale, si je perds, je vous laisserais tranquille et vous n’entendrez plus jamais parler de moi.
-Et si je refuse ?
-Je vous changerais en lézard, à quatre pattes. Amusant n’est-ce pas ? »
Messire Argoth grogna en découvrant ses crocs impressionnants.
« Très bien, mais à une condition.
-Laquelle ?
-Si je gagne, vous me direz tout ce que savez à propos de la Faërite. »
Le magicien plissa ses yeux et réfléchis quelques instants. Il semblait prendre cela très à cœur.
« Fort bien Chevalier, j’accepte.
-Alors ne perdons pas une minute »
Messire Argoth se leva et se dirigea vers la sorti. Le duel se déroulerait donc dehors.
« Voyons, Chevalier, où allez vous ? Comment ? Un duel ? Hoho, dieux, non. Je n’aurais aucune chance. Nous nous affronterons aux Aycheks1 . »
Le vieillard fit apparaître sur la table le plateau traditionnel noir et blanc.  Des pièces en bois finement détaillées apparurent également, en ordre de bataille, au deux extrémités du plateau. Le mage désigna la place en face de lui d’un petit signe de main. Messire Argoth se rassit, de mauvaise humeur. Savait-il jouer à ce jeu ? Moi même en était bien incapable. L’on disait que les plus grands stratèges apprenaient leur art grâce aux Aycheks. La tactique et l’intelligence devaient être deux éléments importants.
« Noir commence. Je vous en pris. »
Mon maître avait les pièces sombres, le magicien les pièces blanches. J’observais avec attention ce qui allait se produire.
Les deux adversaires avancèrent leurs armées, d’abords prudemment, comme se jaugeant l’un l’autre, puis des escarmouches violentes éclatèrent de part et d’autre du plateau, une première citadelle tomba, détruite par l’espion adverse, puis vengée par un Chevalier bondissant. Petit à petit, le rythme s’essouffla, les pertes s’intensifièrent. La partie était encore serrée, ni l’un ni l’autre ne souhaitant laisser l’ombre d’un avantage à son adversaire. Le magicien fumait sa pipe en réfléchissant, tandis que Messire Argoth tapotait la garde d’Arendia. Jouant une tactique osée, Messire Argoth sacrifia un conseiller pour permettre à son ultime Chevalier de s’approcher suffisamment pour mettre le roi en échec.
« Le roi est mort, son royaume s’effondre. Noir l’emporte, annonça mon Maître. »
Le vieil homme réfléchissait, fixant le plateau intensément.
« Oui, j’ai perdu. Je n’étais pas à la hauteur. Votre dernier coup était osé, mais diablement efficace. Qui vous a enseigné ?
-Ekt… Non, aucune importance. Seul le résultat importe.
-Hum… Ici, blanc aurait pu jouer ceci, menaçant noir sévèrement.
-Mais en plaçant ce Chevalier comme cela, Noir pouvait contre-attaquer violemment.
-Oui, je n’y avais pas pensé. Vous avez une excellente lecture du jeu.
-Il est l’heure d’honorer votre engagement.
-Ha, oui… Mon engagement… La Faërite ? Laissez moi une minute pour mettre de l’ordre dans mes idées, après cette superbe partie, je me sens un peu faible. »
Messire Argoth semblait pressé d’en apprendre davantage sur sa quête, aussi parvenait-il seulement difficilement à masquer son impatience.
« Même nous autres, mages, ne savons presque rien à ce sujet. Pour beaucoup, ce n’est rien d’autre qu’une légende. Vous perdez votre temps à poursuivre une chimère.
-Cela me regarde.
-Je n’ai pas grand chose à vous apprendre à ce sujet. La Faërite est du domaine du divin. Seuls les dieux ou les anciens démons pourraient vous en apprendre plus à ce propos.
-Savez vous où je puis trouver l’un ou l’autre ? »
Nymérius en resta sans voix. Véritablement, il prenait Messire Argoth pour un fou.
« Suivez les vieilles légendes, peut être contiennent-elles une part de vérité ? J’ai entendu parler d’un autel obscur dans l’Est où l’on vénère les Anciennes Puissances2 . Vous avez l’air si sûr de vous, commencez par là. »
Mon Maître se leva, s’inclina, puis se dirigea vers la sortie. Alors que je le suivais, je remarquai que Nymérius continuait à observer le plateau de jeu en tirant une bouffée.    


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1: Outre un nom habilement modifié, le jeu d’Aychek du Continent est un peu différent de nos échecs. La première particularité vient des pièces qui ne portent pas le même nom. Ainsi la dame devient l’espion, le fou devient le conseiller, le cavalier devient le Chevalier, la tour la Citadelle et les pions les écuyers. Seul le roi reste identique. Il y a également des différences dans les mouvements des pièces et certaines autres règles.

2: Les Anciennes Puissances font références aux Démons Originels
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Nehëmah le dimanche 09 décembre 2007, 15:38:41
Boarf, tu arrives toujours au mauvais moment, décidément, tu m'as coupé dans mon processus d'élaboration sur une synthèse que je dois faire en Littérature (Quel est le sens du voyage ?, le voyage étant celui de Jacques et son maître dnas le roman Jacques le fataliste et son maître de Diderot). Heureux d'avoir entamé ma première partie et d'avoir trouvé un cheminement heureux, me voici à faire une pause et parcourir rapidement Puissance Zelda et voilà que je trouve un récit de brave Argoth. Que dire ? Ce chapitre valait le coup bien entendu, et je ne regrette pas d'avoir lâché Jacques, pour la peine.

En premier lieu, donc, un brave homme, chevalier fier, qui oppose la traversée de son défilé, apparemment davantage pour protéger ceux qui iront ou du moins pour démontrer qu'il est nécessaire d'avoir au moins sa force pour espérer survivre un tant soit peu de l'autre côté.
Ainsi, un dragon est-il caché et qui dit dragon dit forcément trésors vertigineux. Le ton est toutefois donné : Argoth y reviendra plus tard. On peut se demande si la Faërite y est cachée, mais pour une raison ce ne semble pas le cas : Argoth serait pressé de la récupérée au vu de son tempérament quelque peu explosif même s'il est pourtant doté d'un sang froid mental et physique. Il est patient, pourtant, mais pas assez pour complètement le cacher (cf : la conversation avec le mage, juste après). Ainsi, le simple fait de dédaigner cette épreuve me laisse au choix trois conséquences : la première, la Faërite ne s'y trouve pas, point. La deuxième : elle s'y trouve mais Argoth attend d'autres choses ; plus de pouvoirs ? Plus de matériel ? Enfin la troisième : elle ne s'y trouve pas mais en plus de cela Argoth n'attend rien. Ainsi, ce serait un habile procédé qui viserait à montrer qu'Argoth ne souhaite véritablement pas tous les trésors du monde, ni la gloire, mais simplement récupérer la Faërite. Même des trésors pour lesquels tout homme se damnerait n'intéressent pas Argoth.

Petit détail très intéressant : le système de la tâche d'encre, qui cache évidemment le nom du père d'Argoth. Encore une fois plusieurs hypothèses : est-ce car son père est un humain, et que nous ne le saurons pas dans ce livre, mais sûrement dans un autre livre de la Tour du Rouge ? Est-ce car son père n'est pas humain et qu'il est connu de beaucoup de mondes, et donc, qu'ainsi on lui reconnaîtrait aisément une lignée monstrueuse ? Est-ce simplement pour le suspense du lecteur ? En effet, ce dernier rencontrera peut-être le père dans d'autres histoires, encore une fois, et ne fera les liens qu'à partir de ce moment ?

Par la suite, Nymérius fait son entrée. Il tient en lui quelque chose de (Tenessee) Gandalf. La pipe, le magicien, le style grand sage... Un personnage peu intéressant, donc (et oui, je conclus par quelque chose de méchant en avançant des qualités, quelle fourberie !). Toutefois, il apprend encore deux choses : Argoth est espionné, et enfin, on s'intéresse à Argoth. Ce dernier, bien entendu, ne s'intéresse pas à la gloire et poursuit presque aveuglément son objectif premier : la Faërite.

Pour départager qui aura son avantage, une partie d'échecs subtilement renommée "Aychek" :niak: . La manière de se dérouler, tout du long comparée à une bataille est un bon retour aux sources du jeu : ce dernier éxistait en effet pour préparer des tactiques militaires, et donc des stratégies pour tuer le plus de monde possible, ou, à défaut, pour remporter des victoires sur le champ de combats. Un combat fort intéressant, donc, au moins pour le soulèvement de l'intérêt originel qu'il comporte.


Evidemment, Argoth n'est pas qu'un brave combattant il est aussi fin stratège. Que de qualités ! Son statut d'hybride compense, fort heureusement et laisse présager bien des défauts quand même, sinon, ce personnage perdrait sa saveur.
Ainsi donc le fait-on partir à l'Est, où l'on vénère les Anciennes Puissances. Est-ce un message stipulant que le communisme c'est mal ? *private joke avec moi-même*.

Bien, en tout cas, tu nous laisses sur un moment où l'action n'est pas au plus fort de son moral, par conséquent, je pense que c'est une bonne chose de repartir sur notre cher petit Samyël qui devient grand. De plus, tu t'es arrêté dans des circonstances quasiment identiques : un voyage à faire vers quelque part pour Samyël et pour Argoth. Jonglons !
Et quand t'auras fini la prochaine partie de Samyël tu nous gratifieras peut-être d'un nouveau personnage ? :niak:
Bref, j'attends toujours impatiemment la suite de ton monde !
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le mercredi 12 décembre 2007, 13:14:41
Plop ami(e)s lecteurs(trices) ^^ Voilà donc comme annoncé un peu plus haut, je reprends le Cycle là où je l'y avais laissé :niak: Que les fans du Chevalier-Lézard se rassurent, je n'abandonne pas son écriture, loin de là, mais j'ai besoin de continuer le Cycle en ce moment :niak: Votre cadeau de noël sera sûrement la troisième partie d'Argoth, soyez patients :niak:

Nehëmah ==> Tu m'excuseras auprès de ce brave Jacques donc :niak:
Je laisse tes doutes en suspend quant à ce défilé et ce qu'il s'y trouve derrière, pour laisser le mystère entier ^^
Effectivement, habile procédé que la tache d'encre :niak: Cette fois je peux répondre, ce n'est que pour laisser le suspens au lecteur, car la vérité quant aux origines d'Argoth sera révélée dans... Le Cycle! :niak: Quoi que, pas pour tout de suite, mais ça y sera ^^
Pour l'affaire Nymérius, je partage entièrement ton avis. Je ne me suis pas cassé la tête pour ce personnage, car il n'est que de second plan et sert juste à faire avancer l'intrigue. L'archétype du vieux sage/magicien me paraissait judicieux pour ce genre de personnage ^^
Effectivement, Argoth semble exempt de défauts... Mais n'est-ce pas l'une des caractéristiques des Chevaliers de jadis? Huk huk ^^ Droiture, justice, art de l'épée et de la stratégie, et une poèsie à fleur de peau pour ces dames... Enfin, je vois difficilement Argoth faire des courbettes, mais sur le principe... :niak: Voyons donc comme il évoluera, certains mystères seront levés au cours de l'histoire... :niak:
Bref, encore merci pour ce commentaire :love:

Place maintenant au texte, et bon retour sur le Continent, sortez couverts, l'hiver est rude... :niak:



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Le Cycle du Rouge

Livre III : Arendia.



Chapitre 15 : Le Général Kalenz.


Le frère en robe blanche se déplaçait aussi vite que la décence le permettait dans ce haut sanctuaire. Ses pas résonnaient doucement dans les grands couloirs du palais pontifical de l’Arch’Mark. A chaque fois qu’il arrivait au niveau d’une statue, d’une peinture ou d’une icône représentant le Seigneur, le prêtre s’agenouillait un moment, et récitait une prière, les mains jointes.
Le palais était peut être le lieu le plus beau du Continent. Erigé sur une haute colline, il surplombait l’ensemble du compté de sa bienveillante présence. L’architecture se développait autour d’un immense bâtiment principal, qui abritait les salles du culte, les bibliothèques et les appartements du Pontife. Le reste des édifices, qui s’agençaient avec merveille entre eux recelait les quartiers des moines, les réfectoires, les scriptoriums, les salles de lectures, le Saint Cimetière, les casernes de l’Armée Sainte. Les résidants et les voyageurs pouvaient rechercher la paix et la sérénité en se promenant au milieu des magnifiques jardins qui agrémentaient les chemins menant aux différentes structures. L’ensemble était ceint d’une impressionnante muraille reflétant la puissance du Seigneur et permettant de contrer toute attaque d’infidèles.
Les murs étaient construits en pierre blanche et souvent décorés de fresques à la gloire du Dieu suprême. Les hautes colonnades dorées à l’or fin s’élevaient dans les hauteurs pour soutenir les élégantes arches qui délivraient le passage entre les différentes salles. Les hauts plafonds en voûtes étaient peints de différentes scènes de culte, tout comme les riches vitraux colorés qui laissaient entrer la lumière divine à flot. Nul ne pouvait rester insensible face à la beauté mystique du palais.
Le frère arriva finalement face à la grande et lourde porte en bois massif qui marquait les appartements du Pontife. Il salua les deux gardes, qui le reconnurent et le firent entrer. Un prêtre en robe noire vint vers lui.
-Bonjours, frère. Vous désirez vous entretenir avec sa Grâce ?
-Oui, mon père. J’ai un message pour lui.
-Dites, je me ferais une joie de le lui transmettre.
-Merci mon père. Le Commandeur est arrivé.

Eratius mit pied à terre, rapidement imité par ses valeureux soldats. Une cohorte de moines vint récupérer les chevaux pour les mener aux écuries. Les hommes franchirent la grande herse relevée du palais et pénétrèrent dans les premiers jardins. Le Commandeur fit signe à ses compagnons de rejoindre les casernes pour se restaurer et se reposer après le long voyage. Quant à lui, il continua son chemin et pénétra dans le bâtiment principal. L’écho de ses pas et les cliquetis de son armure se répercutèrent dans la haute et vaste salle qui abritait une statue en bronze immense du Seigneur. Eratius s’arrêta à ses pieds, mit un genou en terre, dégaina sa formidable épée et en posa la pointe sur le sol, puis son front sur la garde, en une posture de prière.
Il pria un long moment, avec ferveur et piété, sous les regards bienveillants des moines et des prêtres. Puis, lorsqu’il se releva, un homme chétif qui semblait flotter dans sa robe vint le chercher pour le conduire chez le Pontife.
Eratius était toujours heureux lorsqu’il devait faire son rapport à Arabéus. Il était toujours fier d’énumérer le nombre d’infidèles, de magiciens, de sorcières et autres possédés qu’il avait envoyé rejoindre leurs sombres maîtres via le bûcher. Nulle pitié pour cette engeance. Seules les flammes divines de la justice pouvait en débarrasser le monde. La joie que lui procurait les cris d’agonies, les suppliques qui se transformaient bien vite en malédictions effroyables le comblait littéralement. Il ne vivait que pour ces moments de satisfaction, du devoir accompli. Il savait que depuis son Saint Royaume le Seigneur le regardait avec bienveillance, l’encourageant dans son entreprise honorable.
Il franchit à son tour la grande porte en bois, après avoir été salué par ses deux soldats en factions devant les appartements, une des tâches les plus prestigieuses auxquelles pouvait aspirer un soldat Arch’Markien. L’homme en robe noire l’accueillit, et lui fit passer l’antichambre luxueusement décorée. Eratius se baissa pour passer sous une porte un peu basse puis se retrouva dans un grand bureau, très sombre à cause des rideaux tirés devant les fenêtres. Arabéus aimait se plonger dans l’obscurité silencieuse pour mieux méditer. Le feu vigoureux qui flambait dans la grande cheminé arrivait à peine à éclairer un coin de la pièce. Le reste restait insondable.
-Bonjours, mon fils, fit soudain une voix.
Eratius s’agenouilla avec humilité. Il mesurait fort bien l’immense honneur qu’il avait de pouvoir s’adresser au Pontife en personne. 
-Bonjours mon Père.
-Quelles nouvelles m’apportes-tu, mon fils ?
-De très bonnes nouvelles, votre Grâce. Je peux affirmer que l’île de Solanéa est définitivement purgée du mal qui la rongeait.
-Fort bien, le Seigneur en soit remercié. Ferdinand D’Alembord t’a-t-il posé des problèmes ?
-Aucun, mon père. Il s’est montré très… coopératif.
-Oui, c’est un homme intelligent… Le Seigneur m’est apparu hier dans mon sommeil. Il m’a fait part des projets qu’il a pour toi, son fils le plus loyal…
Le cœur d’Eratius se réchauffa d’une infinie joie. Le Seigneur l’aimait ! Il l’appelait son fils le plus loyal ! Qu’est-ce qu’un homme pouvait vouloir de plus que cela ?
-Il veut que tu conquières Arendia pour chasser une bonne fois pour toute le mal qui gangrène le Continent.
Le commandeur se releva, et se tapa la poitrine à l’aide de son poing. Le bruit métallique du choc résonna un moment.
-Si telle est Sa volonté, alors ainsi il en sera fait. Je me mets en route dans l’heure.
-Non, mon fils. Le temps ne presse pas. Il est venu pour toi le moment d’accomplir ton Passage. Le Seigneur veut t’accompagner personnellement dans cette épreuve. Soit fier, mon fils.
Eratius retomba sur les genoux, le visage ruisselant de larmes de joie. Enfin ! Enfin ! Après tant d’années, tant d’effort… Il était enfin venu l’heure de sa consécration !

***

Samyël ouvrit péniblement les yeux. Les rafales de vent et de neiges vinrent lui cingler le visage. Le monde était blanc et gris. Au-dessus de lui, ce n’était que fureur immaculée et aveugle. Le ciel et la terre étaient connectés.
Le jeune garçon se leva sur son séant avec encore plus de difficultés. Sa couverture était rigide, glacée. Pourtant, il ne ressentait pas le froid. Tout semblait aller au ralentit. Samyël n’avait plus qu’une envie : dormir, dormir, pour l’éternité. Cependant, au fond de lui, une petite voix presque inaudible lui disait de lutter. Il fallait qu’il se relève, qu’il récupère ses affaires et se mette en route. S’il attendait de trop, il mourrait probablement dans la tempête.
Avec toute la volonté qu’il pouvait déployer, le jeune homme se mit debout. Le feu de camps n’était plus qu’un lointain souvenir, complètement recouvert de neige. Il resserra les pans de son épais manteau pour essayer de conserver un maximum de la maigre chaleur qui l’habitait encore. Il regarda autour de lui.
A sa gauche, le fleuve Nyr était complètement gelé, sa surface transformée en une glace épaisse et praticable. Il se dirigeait toujours vers le Nord, vers Arendia, presque en ligne droite. Tout autour, le bois s’étendait dans la plaine sur plusieurs kilomètres.
Samyël récupéra son sac, fourra difficilement sa couverture dedans, puis passa son arc en bandoulière et sa lame à la ceinture. Puis il se remit en route vers le nord. Ceci dit, il lui semblait oublier quelque chose. Il se souvint de quoi lorsqu’il passa devant le corps gelé et bleui de Zackary, dans le visage à moitié enseveli sous la neige avait été proprement déchiqueté. Le pantalon du vieil homme était encore sur ses talons. Samyël se demanda vaguement s’il y avait des loups dans le coin. Il n’en avait encore jamais vu de ses yeux. Cela devait être beau.

Avancer dans le blizzard était une tâche qui révélait du quasi surhumain. La haute couche de neige ralentissait vos pas, et le vent glacial s’infiltrait dans chaque ouverture pour vous emprisonner le cœur dans un carcan de glace. A chaque fois qu’il trébuchait et s’affalait sur le sol mou, Samyël s’étonnait de trouver assez de force en lui pour se relever et continuer. Zackary lui avait dit la veille qu’ils ne se trouvaient plus qu’à une journée de marche de Fort-Argent, le fief du Général Kalenz. C’était le seul itinéraire possible pour Arendia.
Arendia…
Bientôt la cité royale s’étendrait à l’horizon, au terme d’un voyage de plus de six mois à travers le vaste Continent. L’hiver avait surpris les voyageurs bien plus tôt qu’ils ne le croyaient, ralentissant leur progression et allongeant la durée de leur entreprise. Oui… Bientôt, très bientôt…

-Tu crois qu’il est mort ?
-Non, regarde, il respire.
-Il a l’air mal en point.
-Tu m’étonnes, il doit être complètement gelé. Ramenons-le au chariot. On l’emmène.
-A vos ordres, sergent !

-Hey ! Garçon ! Tu m’entends ? Ca va ?
Samyël parvint approximativement à hocher la tête. Cela ressemblait plus à un tremblement plutôt qu’à autre chose. Où était-il ? Il était allongé, et pourtant il sentait que son corps se déplaçait. Le sol était dur sous lui, il tanguait un peu. Un bateau ? Non, il n’entendait pas les bruits de la mer. Le temps s’était calmé, le blizzard était passé. Le ciel était uniformément blanc.
-Comment tu t’appelles ?
-Sssaammyalll.
Sa bouche et sa langue étaient littéralement pétrifiées par le froid. Il ne pouvait quasiment plus parler.
-Sanyal ? Tiens, c’est original comme nom ça ! Vous avez entendu Sergent ?
-Oui, j’ai entendu Tom…
-Alors, Sanyal, qu’est-ce que tu faisais tout seul sur cette route en pleine tempête ?
Samyël secoua la tête.
-Ho, excuse moi ! Attend un moment, j’ai exactement ce qu’il te faut !
Le dénommé Tom lui ouvrit la bouche, et un liquide chaud vint remplir sa gorge. Cela le réchauffait instantanément, et lorsque le breuvage dévala son œsophage, il laissa une traînée de chaleur qui fit tousser Samyël.
-Hahaha, comme je le dis toujours, un p’tit coup de gnole ça vous requinque un homme en deux secondes ! Z’en voulez Sergent ?
L’alcool avait contribué à faire repartir le cerveau de Samyël à plein régime. Une foule d’information l’assaillit : Il se trouvait dans un chariot, avec deux inconnus en armes, Zackary était mort et il ne savait pas où il était !
La panique commença à s’emparer de lui, mais il se ressaisit vite.
-Qui êtes vous ?, commença-t-il par demander.
Le sergent, qui menait l’attelage depuis le siège du conducteur, lui répondit sans se retourner.
-Nous sommes des soldats du Fort D’argent. Nous rentrons de mission.
-Fort Argent ? C’est là bas que vous vous rendez ?
-C’est ce que j’ai dit, oui.
La Providence existait-elle ?
-C’est parfait, c’est là que je me rends également.
-Qu’est-ce que tu faisais seul en pleine nature par temps de tempête ?, redemanda Tom.
-Je me rends à Arendia, avec Zackary.
-Qui est Zackary ? Il n’y avait que toi, sur la route…
-Je sais, je crois qu’il… Je crois qu’il est mort.
A présent, la scène lui revenait en mémoire, et avec tous les détails sanglants. Peut être était-ce parce qu’à ce moment là il était complètement groggy, mais étrangement Samyël n’en éprouva pas beaucoup de peine.
-Il a été dévoré par des loups.
-Ho… Je suis désolé…
Un silence pesant s’installa entre les trois hommes. Ils suivaient le cours du Nyr à une allure rapide et régulière. Le chariot était tiré par deux puissants chevaux d’attelage robuste et endurant.
-D’ où… D’où tu viens ?, demanda timidement Tom pour briser ce silence qui le rendait mal à l’aise.
-De Solanéa.
-Je ne connais… Ca se situe où ?
-C’est une petite île, tout au Sud du Continent.
-Tout au Sud ? Mais c’est à des Kilomètres, même des centaines de kilomètres !
-Oui, je sais.
Les jambes de Samyël s’en rappelaient très très bien…     
-Ba ça alors…
-On m’a dit que Fort Argent est la dernière défense d’Arendia, c’est vrai ?
La mine des deux soldats s’assombrit soudainement. Ca avait l’air d’être un sujet très sensible.
-Malheureusement oui, répondit quand même Tom sur un ton lugubre.
-Ces chiens de fanatiques… On leur ferra payer tout ça, un jour !
-Et… Vous combattez même par ce temps ?
-Non, non, bien sûr que non ! A cette période de l’année, les armées prennent du repos, ce qu’on appelle les quartiers d’Hiver, car le sol et le temps ne permettent pas de combattre correctement. C’est une règle immuable de la guerre, qu’on respecte depuis le commencement du monde !
-Mais les camps du Commandeur ne sont pas très loin du fort. Nous devons rester vigilants, ils prévoient certainement une attaque dès le début du printemps.  Quoi que, j’ai l’impression qu’ils se sont relâchés ces derniers temps.
-Après tout ce temps, peut être qu’ils renoncent !
-Cela m’étonnerait, Arabéus n’aura de cesse tant que le monde ne lui appartiendra pas.
Les deux militaires crachèrent sur le sol à l’unisson.
-Mais ils pourront essayer autant de fois qu’ils voudront, l’unique passage pour Arendia restera définitivement clos. A ce propos… (Le sergent tourna la tête et scruta attentivement Samyël, soudainement soupçonneux) Pourquoi te rends-tu là bas ?
Le jeune homme réfléchit à toute allure. Il ne savait pas trop quoi répondre. Les ultimes avertissements de Rirjk défilèrent devant ces yeux, mais ces deux hommes ne faisaient-ils pas partis de la dernière armée libre du Continent ? Ne devait-il pas leur faire confiance ?
-Je vais à la Citadelle. Pour devenir Mage.
Les yeux de ses compagnons s’agrandirent de stupeur, et des sourires immenses leur fendirent la bouche. Tom le prit par les mains, tremblant de joie.
-C’est vrai ? C’est vrai ?
-Ou.. Oui, pourquoi vous mentirais-je ?, répondit Samyël, surpris par leur réaction.
-Vous avez entendu ça Sergent ? Il reste de l’espoir ! De l’espoir !

Les paroles de Tom hantaient Samyël. Il ne se les expliquait pas. Qu’avait-il voulu dire par « il reste de l’espoir » ? Pour masquer son trouble et se calmer les idées, il but une longue rasade de cet alcool fort. Il commençait à l’apprécier. L’élixir le réchauffait, et le rendait étrangement euphorique. C’était une drôle de sensation.
-Nous y voilà… Dhaz’Dorath, Fort d’Argent…
Samyël releva la tête, et sa bouche s’agrandit de stupeur lorsqu’il aperçut le paysage qui s’offrait à lui.
La citadelle était comme un magnifique bijou d’argent étincelant qui se nichait dans un défilé étroit dont les parois rocheuses s’élevaient très haut. De part et d’autre de la route principale qui menait au pont-levis s’alignaient d’impressionnant arbres à l’écorce d’un blanc immaculé. Le fort était construit en pierre de couleur gris-clair, et alliait excellemment esthétisme et efficacité, en une perle de génie architecturale. Des meurtrières étroites fleurissaient un peu partout sur la muraille et les tours élégamment crénelées étaient surmontées d’oriflamme portant le blason de Kalenz, un arbre d’Argent sur fond rouge. Samyël pouvait distinguer des centaines de soldats sur le chemin de ronde, prêts à donner l’alerte à la moindre menace. Le jeune homme distingua également plusieurs machines de guerre dont il n’aurait su dire les noms. Des espèces d’arcs géants braqués sur la route. Il n’était pas bien difficile de s’imaginer les ravages que de telles armes pouvaient provoquer dans les rangs ennemis. Vu comme ça, il paraissait impossible de s’emparer du château. Et pourtant, Arabéus et son commandeur s’y échinaient depuis plusieurs années.
-C’est vraiment… impressionnant…, souffla Samyël, admiratif.
Remplis de fierté, les deux soldats sourirent d’un air entendu. Puis Tom brandit un drapeau rouge et l’agita au dessus de lui après s’être mis debout.
Le signal fut bien reçu, et le pont-levis commença doucement à s’abaisser dans un bruit infernal de chaîne.

Depuis le chemin de ronde, Samyël pu enfin avoir une vue plus globale du Continent, et de tout le chemin qu’il avait parcouru en six mois en compagnie du vieux Zackary –les Dieux aient pitié de son âme. Cette terre était d’une beauté saisissante, surtout couverte de son blanc manteau de neige. L’hiver était la période préférée de Samyël. Le temps de la pureté immaculée venue du ciel. Quand tout était calme, serein, spirituel. Mais d’un autre côté, cela lui rappelait la triste fin de son grand père, survenue à cette période de l’année… Déjà sept ans depuis le terrible événement. Samyël avait plus ou moins déjà fait son deuil. La tristesse et le chagrin ne lui apportaient rien, il avait appris à ne plus les éprouver. Ceci dit, quand il avait appris la capture de Rirjk, il n’avait pas été capable de retenir ces deux sentiments. Mais un nouveau s’était formé à ce moment là, la rage. Rage de vivre, rage d’exister, rage de vaincre. Devenir le meilleur. Il s’était rendu compte au cours des six derniers mois que dans ce monde seule la force avait une quelconque importance. Les faibles servaient d’esclaves ou d’exutoires aux forts, et pas l’inverse. Il n’y avait que l’argent pour rivaliser avec la force.
Lors du voyage, Samyël avait également assisté à quelques bûchers. Il avait vu des gens de sa race brûler vif en hurlant de douleur pour le seul crime d’exister en tant que magiciens. Les ecclésiastiques et les soldats fanatisés ne pardonnaient rien. Le mal devait être purger par le feu et la violence. Seule une justice expéditive pouvait préserver le peuple des « démons » qui hantaient le Continent. Ces images restaient gravées dans l’esprit du jeune magicien, et un nom venait souvent s’y transposait, un nom qu’il hurlait toutes les nuits dans ses plus sombres cauchemars, Eratius.
Devant ces sombres spectacles, Samyël avait pris une décision. Il ne pouvait supporter de vivre dans un tel monde. Il devait le changer. Mais la tâche était ardue. Il lui fallait une armée, de l’or, des terres. Il devait devenir quelqu’un. Une personne crainte et respectée, connue de tous, un héros qui délivrait le peuple oppressé. La magie l’y aiderait. Les mages de la Citadelle comprendraient sûrement également. Ils l’aideraient sans aucun doute. Puis il tuerait Eratius et son Pontife dément, et le monde serait sauvé. Grâce à lui.
Cette idée était vraiment séduisante.
Mais son esprit vif et intelligent, savait que ce n’était encore une fois rien d’autre que des rêves de gamins. Si c’était si facile, pourquoi personne ne l’avait-il déjà fait ? Non, l’évidence s’imposait. Il ne pouvait rien faire. Cette triste fatalité lui arracha un sourire ironique.
-Jeune homme ? Jeune homme ?
Une voix un peu timide le tira de ses pensées. Il se tourna vers le soldat qui lui faisait signe d’approcher depuis le pas de la porte qui menait aux escaliers. Il se dandinait d’un pied sur l’autre, visiblement gêné.
-Le général va te recevoir. Suis moi.
Samyël obtempéra. Le militaire se retournait assez fréquemment vers le jeune homme, et lançait de rapides regards sur la chevelure vermeille. Samyël ne s’en formalisa pas. Certes cela l’avait déstabilisé initialement lors de ses premiers jours sur le Continent, où tout le monde se taisait à son passage, et fixait intensément ses cheveux rouges, contrairement à Solanéa où chaque habitant le connaissait. Mais il avait apprit à ne plus y faire attention. Cependant, quand les gens insistaient vraiment, cela avait tendance à l’agacer. Samyël avait également appris que les différences rendaient les gens nerveux ou gênés, voir violents.
Ils traversèrent la cour enneigée puis pénétrèrent dans le donjon.

Une fois arrivés devant les portes de la Salle du Trône, les deux gardes en factions devant celles-ci confisquèrent les armes de Samyël en lui promettant de les lui rendre une fois l’entretient fini. Le jeune garçon comprit parfaitement qu’en temps de guerre, on ne pouvait pas laisser n’importe qui s’approcher du général juste car il prétendait vouloir devenir magicien. Puis les soldats saisirent chacun un des battants et tirèrent afin d’ouvrir un passage dans lequel Samyël s’engouffra.
La Salle était assez vaste, quoi qu’assez vide. Les murs de pierre étaient recouverts de tableaux, de blasons, d’armes finement travaillées, d’étendards et bien d’autres. Un tapis de soie rouge menait jusqu’au pied d’un grand siège sur lequel était assis le général Kalenz en personne.
Le général ne ressemblait pas du tout à l’image que s’en faisait le jeune homme. Il se l’était imaginé grands, forts, avec des bras et des cuisses comme des poteaux, un cou de taureau, le crâne rasé et un regard furieux. Un guerrier, en fait.
Or Kalenz n’était rien de ceci. De taille moyenne, il était élancé mais athlétique. Il avait des traits aristocratiques fins, qui lui conféraient une beauté surprenante, mais qui respiraient la douceur mêlée à une autorité sans appel, quoique juste. Ses yeux verts en amande fixaient son jeune invité avec un mélange de gêne et de surprise. Ses cheveux mi longs plaqués en arrière ainsi que sa fine moustache de gentilhomme étaient roux. Une couleur que Samyël n’avait encore jamais vu chez un être humain, il en avait seulement entendu parlé au travers des récits de son Grand Père. Car la rousseur était une caractéristique propre à la lignée des Hÿalenz, dont été issu le général, le dernier descendant des dix chevaliers originels qui avaient lutté au côté du roi Aegir.
Etrangement, Samyël se sentit diminué face à cet homme, qui n’avait pourtant rien d’inquiétant. Il émanait de lui une étrange aura de force sereine, d’autorité tranquille qui forçait le respect. Arrivé suffisamment près, Samyël détourna le regard et s’agenouilla.
-Général Kalenz, c’est un ho…           
-Qui es-tu ?
-Pa… Pardon ? (Samyël se sentit idiot, il bafouillait ridiculement, et son cœur cognait fort dans sa poitrine.)
-J’ai dit, qui es-tu ?
-Je m’appelle Samyël.
-Je le sais. Ma question est, qui es-tu ?
Le jeune garçon regarda son interlocuteur sans comprendre. Se moquait-il de lui ?
-Sire, je vous l’ai dit, je m’appelle Samyël.
-Oui, oui je sais tout cela. Mais un nom n’est rien d’autre qu’un nom. La chose qui m’intéresse est de savoir qui tu es. Pas qui tu prétends être.
La confusion de l’adolescent s’accentua.
-Je… Je crains de ne pas vous suivre, sire.
-Je crains de ne pas me suivre moi même… Cette guerre nous rend tous fous. Enchanté de te rencontrer, jeune Samyël. Ta venue est providentielle. Tout n’est peut être pas perdu.
-Que voulez-vous dire ?
-Quand j’étais jeune, un peu moins que ton âge, voir des garçons sillonnaient les routes pour se rendre à la Citadelle dans le but d’entreprendre des études de magie était monnaie courante. Maintenant, cela doit bien faire trente années que je n’avais plus vu quelqu’un comme toi. Au rythme ou vont les choses, la magie risque de disparaître purement et simplement. Ainsi, te voir debout face à moi, le regard déterminé et me dire avec résolution que tu t’apprêtes à devenir mage me redonne de l’espoir. Oui, tout n’est pas perdu.
Le général se leva de son siège, et avança de quelques pas. Tapotant l’épaule de Samyël, il lui fit comprendre qu’il pouvait se relever.
-Quoi qu’il en soit, pour toi, et ce sera la première fois depuis de longues années, j’ouvrirais la porte qui garde la route jusqu’à Arendia. Tu n’auras plus qu’à suivre le Nyr et tu arriveras à la capitale.
-Merci, général.
-Cessons ces règles de protocoles futiles, appelle moi simplement Kalenz. Tu ne t’en rends peut être pas compte, mais le simple fait que tu puisses contrôler les Arts, certes pour le moment de bien maigre façon, fait de toi mon égal sur le plan politique et sociale. Peut être même plus.
Samyël fut abasourdi par cette information. Jusqu’à présent il ne s’était jamais interrogé sur cet aspect de son apprentissage. D’ailleurs cela lui semblait tout bonnement surréaliste. Parce qu’il savait faire apparaître un globe lumineux dans sa main cela faisait de lui un grand de la société ?
-Ceci dit, le temps reste encore indécis, une tempête risque d’éclater avant la nuit. Reste ici ce soir prend un peu de repos. Le voyage a dû t’épuiser.

-Cela fait à peu près trente ans que je tiens ce fort contre les hommes d’Arabéus. Crois moi, il ne tombera pas de sitôt. Tant que je serais vivant en tout cas.
-Kalenz, il y a quelque chose que je ne comprends pas.
-Oui ?
-Et bien… Comment dire… Le Continent est vaste… Et… Comment se fait-il que le défilé d’Argent soit le seul endroit où les armées du Pontife puissent passer pour atteindre Arendia ?
-Car ils ont peur.
-Peur ? Peur de quoi ?
-De vieilles légendes mentionnent l’existence d’anciennes reliques magiques disséminées aux points stratégiques de la Plaine de L’Arch’Land, que les magiciens de la Citadelle pourraient réactiver pour couper court à toute tentative d’invasion.
-Et c’est vrai ?
-Bien sûr que non. Mais les gens croient ce qu’ils ont envi de croire. Et malgré toutes leurs belles paroles, ce qu’Arabéus et ses hommes redoutent le plus c’est bien évidemment la magie. C’est en partie pour cela qu’ils veulent l’éradiquer. Par conséquent, leur dernière possibilité est de passer par le Fort Argent, tenu non pas par des créatures et des boules de feu, mais par des hommes mortels équipés de fer et d’acier.
-Je vois…
Cela paraissait vraiment étrange à Samyël. Il trouvait cette histoire bancale et tirée par les cheveux. Ceci dit, les faits étaient là. Alors qu’ils avaient tout le loisir d’encercler la capitale de tous côtés, les Arch’Markiens préféraient envoyer leurs troupes s’écraser contre les hautes murailles du Fort.
-Sais-tu te servir de ton épée ?, demanda soudainement le général, tirant Samyël de ses pensées.
-Un peu, Zackary m’a enseigné les bases.
Pour souligner son propos, Samyël fit coulisser la lame hors du fourreau.

« -Vois-tu, l’art de l’épée est l’équivalent physique de la magie. C’est une manière d’être, une manière de vivre. Elle demande autant d’efforts et de concentration que l’étude magique. Cela requiert un corps fort et un esprit vif mais paisible. Dix centimètres d’acier peuvent tuer plus vite qu’un éclair ou une sphère de flammes. Maîtrise ton épée, fait tienne sa force et sa volonté, et tu seras un bon combattant. Lorsque tu te bats, tu ne dois penser à rien d’autre qu’à ton adversaire, focalise toute ton attention sur lui, observe le, analyse le, anticipe le, et bat le. Ce sont les préceptes de l’escrime. »

-Que dirais-tu de participer à quelques duels amicaux ? Avec ce froid, il faut se maintenir en forme, et l’exercice réchauffe.
-Oui, pourquoi pas. Je suis curieux de voir ce que je vaux à l’épée.
-Bien, dans ce cas suis moi.
Kalenz guida Samyël au travers des longs couloirs du Fort jusqu’à une petite cour centrale qui servait de terrain d’entraînement. Plusieurs soldats étaient à pied d’œuvre et s’affronter avec des armes émoussées. Lorsqu’ils s’aperçurent de la présence de leur général, ils s’arrêtèrent et le saluèrent en se tapant le poing sur le cœur.
-Messieurs, que diriez-vous de vous mesurer à notre invité ?
Les hommes regardèrent Samyël avec surprise, puis éclatèrent de rire.
-Bien, c’est réglé, dit Kalenz avec un sourire malicieux. L’équipement d’entraînement est par là.

« -Le physique ne fait pas tout. Un colosse de deux mètres avec des bras comme des poteaux et ne se reposant que sur sa force n’a aucune chance contre un adversaire agile. Un bon escrimeur allie force, vitesse et technique. Si tu doutes de tes muscles, sert toi de ta tête et de tes jambes. Bouge toujours, ne laisse aucune faille dans ta défense. La moindre petite brèche peut se révéler fatale. Dans le même ordre d’idée, ne laisse pas à ton adversaire l’occasion de t’attaquer. Lance assaut sur assaut, enchaîne les bottes et les feintes, sois agressif. Souviens toi toujours que lors d’un combat, tu mets ta vie en jeu. Alors défend la de toutes forces. »

Samyël posa sa main sur la garde de son épée. Il mit une jambe en avant et positionna son corps en biais. Une posture classique. Le soldat qu’il avait en face de lui, croyant avoir à faire à un gosse n’ayant jamais touché une lame de sa vie, fonça sans se soucier de rien. Sereinement, Samyël attendit le bon moment, se décala un peu puis déferra sa lame aussi vite qu’il le put, la positionnant sous le cou de son adversaire.
Le public resta sans voix. Kalenz sourit. Le soldat, médusé, recula un peu, puis s’effondra sur les fesses, regardant le jeune garçon avec des yeux ronds.
-Finalement, l’entraînement du vieux ne devait pas être si mauvais que ça, dit simplement Samyël en rengainant son arme.

« -Samyël, surtout, ne tire aucun orgueil de ton épée. Sois toujours humble. Car il y aura toujours un homme pour te dépasser et te vaincre. Si cela arrive un jour, n’en tire aucune rage, ne te blâme pas ou que sais-je encore. Prend plutôt cela comme une leçon et tire en des conclusions. C’est ainsi que tu progresseras toujours plus dans l’art de l’épée. Un bon guerrier fait davantage confiance à sa lame qu’à son habilité. En maniant longuement la même arme, le combattant tisse avec elle des liens forts qui l’aident à se battre. Changer d’épée comme de chemise n’est jamais bon. Un escrimeur peut avoir une épée forgée par le plus grand maître forgeron du monde, il n’aura aucune chance face à une lame de moindre qualité si elle est maniée par une personne la manipulant depuis de longues années. Considère ton arme non comme un outil, mais comme une entité, comme une amie. Une compagne qui t’épaule et qui t’aide. On dit que si les liens sont vraiment forts, l’esprit de l’épée apparaît à son possesseur. Met en pratique tout ce que je t’ai appris, entraîne toi régulièrement et tu deviendras un redoutable combattant. »

Transpirant abondamment, Samyël massa son épaule meurtrie. Il tomba à genoux, déclarant sa défaite. Kalenz sourit, rengaina sa lame puis aida le jeune homme à se relever.
-Ta technique est intéressante, mais tu as encore de gros progrès à faire.
Samyël acquiesça. Après s’être fait rosser proprement, le doute n’était pas permis. Il ferma un moment les yeux, et repassa mentalement le combat qui venait de se dérouler. Non, vraiment, la différence de niveau était beaucoup trop importante. 
-Est-ce que le Commandeur est fort ?
Réalisant la stupidité de sa question alors même qu’elle franchissait sa bouche, Samyël grimaça en se traitant d’idiot. Kalenz le regarda, pensif, puis perdit son regard dans le ciel.
-Oui, il est fort. Pour l’avoir vu de près, je mettrais ma main à couper que je n’aurais aucune chance contre lui en combat singulier.
Cette nouvelle dépita Samyël. Il serra le poing de rage. Eratius était très fort à l’épée ? Aucune importance, il comblerait le manque de force par sa magie. Etrangement, Samyël se mit à souhaiter de rencontrer le Commandeur en personne. Peut être pour mieux lui passer sa lame au travers du corps…
Un rictus dément tordit ses traits.
Nul ne le vit, mis à part le général Kalenz. Une boule se forma dans sa gorge, et il sentit une sueur brûlante descendre subitement le long de sa colonne vertébrale. Un étrange pressentiment le saisit alors qu’il contemplait le visage du jeune homme.
« Est-il vraiment celui que l’on attendait ? », ne pu-t-il s’empêcher de penser.
Mal à l’aise, il déclara soudainement d’un ton faussement enjoué.
-Aller, assez combattu pour aujourd’hui. Le repas doit être prêt, tu dînes à ma table ce soir. Je te présenterais à Marron, notre mage.
Samyël releva la tête. Son sourire fou avait disparu, il arborait à nouveau le visage expressif et heureux d’un adolescent normal –outre cette teinte de cheveux bizarre.
-Je ne savais pas qu’il y avait un magicien ici !
Kalenz avait-il rêvé ? Sûrement. Pourtant… Pourtant il était sûr d’avoir vu un tout autre visage quelques instants plutôt.
-Et comment aurions nous pu tenir si longtemps sans un soutient magique ?
Allons bon. Ce n’était sans doute rien. La lumière était mauvaise, cela avait dû fausser son jugement. Il devenait vieux, tout simplement…

Marron était un homme avoisinant la quarantaine, mais qui était perpétuellement agitée d’une bonne humeur contagieuse. Il remontait sans cesse ses lorgnons le long de son nez, et tenait toujours un livre, comme si c’eût été un besoin vital. Plutôt ventripotent, il se vêtait souvent d’une ample robe auburn, ne démentant pas ainsi la tradition voulant qu’une personne de magie porte une robe.
Samyël le rencontra brièvement lors de la soirée. Le mage fit un rapide détour par la salle à manger pour saluer leur hôte, puis il repartit presque aussitôt à ses livres, comme si il était sur le point de découvrir quelque chose de capital.
-Ne t’en fais pas, dit le Général avec un sourire, il est toujours comme ça. Tu auras sûrement l’occasion de le voir un peu plus tard.
Samyël acquiesça distraitement en hochant la tête. Il savourait le repas exquis, servi dans des assiettes dorées. Cela le changeait de la viande séchée, du fromage et des fruits secs qu’il avait mangé durant tout le voyage. La viande juteuse fondait littéralement dans sa bouche ; les légumes cuits à la perfection croquaient sous ses dents… Il se régala plus que de raison.
-Parle moi un peu de toi, continua Kalenz en buvant un peu de vin.
-Que voulez vous savoir ?, répondit le jeune homme en relevant vaguement les yeux.
-Je ne sais pas… Tu as de la famille ?
-Je n’ai jamais connu mes parents. Mon grand-père m’a recueilli très tôt après ma naissance et il m’a élevé seul. Eratius l’a assassiné, il y a sept ans.
-Ainsi donc il était magicien ?
-Non, pas vraiment. Il s’est sacrifié pour sauver la vie de mon maître.
-Une noble fin. Ce devait être un grand homme.
-Oui, un très grand homme. Plus grand que je ne puis l’imaginer.
-Et ton maître ? Parle moi de lui.
-Rirjk ? C’était quelqu’un de bien aussi. C’était un bon maître, il m’a élevé à la mort de mon grand père.
-Rirjk ? Tu as dit Rirjk ?
-Oui, en effet, c’est ce que j’ai dit. Il y a un problème ?
-Non, non, aucun, pardonne-moi. J’ai cru me souvenir de quelque chose, mais ce n’est pas possible. C’est lui qui t’a envoyé vers la Citadelle ?
-En quelque sorte. Du moins c’est ce qu’il me conseillait de faire dans sa lettre.
-Dans sa lettre ?
-Les Arch’Markiens l’ont enlevé il y a six mois. Il semblait s’y attendre, il m’avait écrit une lettre au cas où cela se produirait. Je ne sais pas s’il est encore en vie, quelque part…
-C’est peu probable, je sais ce que ces foutus fanatiques infligent aux gens de magie…
-Je le pense également…
Sur l’arbre auquel Henry était pendu, une deuxième silhouette apparut dans l’esprit de Samyël. La silhouette de Rirjk, se balançant doucement au bout d’une corde.
-Ton grand père avait également les cheveux rouges comme toi ?, fit Kalenz, désireux de changer de sujet.
-Non, il était brun. Personne ne sait d’où ils me viennent. Sûrement de ma mère.
-Je vois, je vois…
Le général porta sa coupe à ses lèvres, et but une gorgée de liqueur.
-Tu sais gamin, dans le fond, je t’admire. Tu es plus courageux que moi.
Samyël releva la tête cette fois-ci. Kalenz le regardait fixement, une étrange lueur dans le regard.
-Que voulez-vous dire ? 
-Tu te diriges vers une vie vouée aux études de la magie. Dans un monde devenu complètement fou et qui ne désire que son éradication. Dans quelques années, tu seras l’un des ennemis publics numéro un. Tu seras traqué, chassé, sûrement assassiné. Mais sachant tout cela, tu continues bravement ta route. Oui, je t’admire.
Une boule se forma dans la gorge de Samyël. Il n’avait jamais envisagé les choses sous cet angle. Son esprit était encore enchaîné par les grives de l’enfance. Il baissa les yeux vers son assiette. Il n’avait plus faim tout à coup. Il commença à s’imaginer que derrière chaque colonnade, chaque porte, à chaque détour d’un couloir, il y avait un homme, attendant le bon moment pour lui planter une dague entre les omoplates. Une sueur âcre glissa le long de son dos. Son futur lui parut soudainement beaucoup plus incertain.
-J’ai pris une décision, là, dans l’instant. ‘Sûrement aidé par cet excellent vin. Je te fais une promesse. Je tiendrais ce fort pour cinq ans encore, au moins. En échange, tu dois me promettre quelque chose.
-Quoi donc ?
-Lorsque tes pouvoirs auront suffisamment grandi, tu prendras part à la guerre.
Le général semblait très sérieux. Ses yeux légèrement rouges à cause de l’alcool ne cillaient pas. Il attendait une réponse. Samyël réfléchit juste un moment aux conséquences qu’aurait cette promesse. Mais après tout, dans le fond, après la mort d’Henry, pourquoi avait-il continué l’apprentissage des Arts ? Pour finir illusionniste de rue, comme le vieux Zackary ? Pour mourir pendu au bout d’une corde ou brûlé vif en place publique sous les hués d’un peuple aveuglé ? Non. Il voulait se battre. Il voulait prendre sa revanche. C’était clair comme de l’eau de roche. Nulle hésitation ne pouvait ralentir sa parole.
-Je vous le promets, général.

-Général, puis-je vous parler ?
Kalenz abaissa le bras, signalant aux sentinelles d’activer les systèmes d’ouverture de la Porte de la Lune. Après quelques instants, les lourds battants commencèrent doucement à s’ouvrir.
-Bien sûr, mon cher Marron, je vous en pris.
Le temps était radieux, le ciel d’une bleuté immaculée. Seul le froid mordant et le paysage enneigé signalaient la présence de l’hiver.
-Il y a quelque chose qui me trouble à propos de maître Samyël.
Le magicien se plaça à côté de Kalenz, et tous deux, depuis les créneaux, regardèrent la petite silhouette rougeâtre qui entamait le voyage final jusqu’à Arendia.
-Je vous écoute.
-Mon général, c’est assez difficile à expliquer. J’ai pu m’entretenir avec lui. Je ne doute nullement de ses intentions et de ses dires. Seulement, j’ai eu l’occasion de tester son pouvoir, et il m’est apparu que ce garçon ne possède aucune once de magie en lui.
Kalenz fronça les sourcils mais ne quitta pas Samyël des yeux.
-C’est faux, il a fait apparaître une sphère de lumière dans sa paume hier au dîner.
-Je le sais, et c’est justement cela la source de mon trouble.
Un silence méditatif s’installa entre les deux hommes. En contre-bas, la porte de la Lune se refermait aussi doucement qu’elle ne s’était ouverte. Quelques années seraient sûrement nécessaires avant que ses battants ne bougent de nouveau.
-Êtes vous sûr de ce que vous avancez ?
-Sûr, mon général, autant qu’un magicien peut l’être.
Sans trop savoir pourquoi, Kalenz revit dans son esprit le visage illuminé d’un sourire dément de Samyël, la veille sur le terrain d’entraînement. Il chassa cette idée d’un revers de la main.
-Mais sera-t-il apte à apprendre vos Arts ?
-Il semblerait que oui, au vue de ce qu’il est déjà capable de faire.   
-Dans ce cas oubliez vos troubles. Nous en avons moins besoin que de sang neuf dans les rangs des vôtres.
Marron acquiesça en se caressant le menton.
-A vos ordres mon général.
En silence, les deux hommes rentèrent à l’intérieur, chacun ruminant ses pensées, partagées en espoirs et incertitudes.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Prince du Crépuscule le jeudi 13 décembre 2007, 17:40:27
... Comme promis, j'ai défié certaines foudres que tu connais pour venir ici te commenter. Je suis désolé d'avoir été autant absent, ma connection ne me pardonne pas ces derniers temps, et le manque de sommeil non plus d'ailleurs. Profitons donc de ces jounées banalisées bien méritées suite au bac blanc (on devrait en faire plus souvent rien que pour cette récompense je trouve *-*) pour venir faire un tour dans l'antre de son Mage Vermeil et de ses magnifiques écrits! :<3:

Ha, eh bien! Enfin les aventures de ce cher Samyël reprennent, tu m'en vois fou de joie, je n'attendais plus que ça! Et pour l'occasion Nehëmah m'a généreusement laissé la première place derrière ce looooong post pour accueillir mon retour à bras ouvert, je t'aime toi aussi! =3 (enfin parfois seulement... les parasites, ça te suce le sang jusqu'à la moëlle et ça dissèque des souris marmotte en plus, mieux vaut ne pas trop s'y attacher... XD)

Alors, par où commencer, y a tellement à dire que j'en ai déjà oublié la moitié. Alors, première note positive, Samyël est de retour! Pas que j'appréciais pas la reptilienne compagnie de ce cher Argoth, mais bon disons que j'ai toujours gardé quelques préférences pour l'oeuvre originale et sa dimension complète, et pour les cheveux rouges aussi. ^^ Magnifique et long chapitre donc, deux qualités essentielles selon moi. Il est vrai qu'à la fin on commence à s'épuiser et à relire plusieurs fois la même ligne, mais quel bonheur! J'ai été emporté par cette suite aux nobles épopées de notre apprenti mage préféré, et à son intrusion au sein de Fort-Argent. Et pour commencer fort, outre ton style toujours aussi admirable et soigné, ce vocabulaire riche et précis et cette belle syntaxe conférant à tes écrits un grand souffle épique, comme l'herbe des grandes plaines ployant en un murmure charmé aux avances du langoureux zéphir, et se laissant totalement séduire en une vague de plaisir double, (PdC, calme tes ardeurs, on t'a retrouvé on a compris... v_v") on découvre le personnage intéressant que constitue Eratius.

Oui, l'ennemi de Samyël lui-même, celui qui a fait exécuter de sang froid son grand-père puis Rirjk (j'espère tant qu'il revienne, ta mise en doute quant à sa mort nourrit mes espoirs, je veux savoir! é_è), on en apprend plus sur lui en une belle scène dans le grand palais pontifical d'Arch'Mark, dont la belle description m'a tout de suite plongé dans le flot chrameur de tes écrits. Personnage fanatique s'il en est, imposant mais aveuglé par son fanatisme exubérant et ses fausses lumières, jouant d'ombres sur la pureté de ses convictions. Rien n'est pire que la religion pour cela, et sa totale foi en Arabéus le confirme dangereusement pour notre mage vermeil (mais non pas toi, celui que t'as créé voyons! \o/). La magie, ce noble art, est traqué de toutes parts et seule Arendia résiste à cette déferlante de folie. Il est évident que ce dernier rempart de la raison serait sa cible utlime. On a un bel aperçu de fanatisme qui se développe tout le long de ta première partie, jusqu'au point ultime où il exulte de sa consécration, au point de fondre en larmes. Encore une fois j'ai envie de le comparer à Thomas Brogan, du Sang de la Déchirure dans l'Epée de Vérité, car il est vrai que ce thème est largement repris à travers les épopées de Fantasy, mais bon j'aime et tu y réussis parfaitement, les méchants garçons de ton cycle sont parfaitement crédibles! ;)

Et voilà que la deuxième partie débute, après une grande ellipse narrative (Nehëmah, c'est à cause de toi tout ça je te hais, profondément... >w<' non je plaisante ;p) nécessaire il est vrai, même si j'aurais bien voulu quelques petits chapitres transcrivant cette longue route vers Fort-Argent. Enfin je vais pas me plaindre, mais six mois balayés comme ça, pfiou ça en fait du temps et des kilomètres racourcissant mon cycle préféré. M'enfin, ça aura permis quelque chose de grandiose, de fabuleux, d'aussi précieux que le ciel... Rirjk est vengé, et Zackary est mort! Ouaaaiiiisss!! ^o^  ... Ah non, je voulais dire, on en aura su que peu concernant ce gentil mage, c'est tellement dommage ( :p ) même si l'on pouvait aisément pressentir qu'il ne serait pas important et qu'il servirait uniquement à compléter autant que faire ce peut la formation de Samyël avant d'entrer dans la cour des grands barbus en robe. Et aussi de ne pas le laisser sombrer dans cette douce folie qui semble l'habiter, peut-être.

Bon, ensuite la rencontre avec les soldats, blabla, on en apprend un peu plus sur la situation, et surtout ils révèlent ce qui fait l'unicité de Samyël, outre ses cheveux rouges: la magie, qui est en pleine décrépitude. Encore une fois, je te félicite quant à la qualité de tes dialogues et de la narration, que tu manies à merveille. ^^
Vient la belle description de Fort-Argent, joyau d'argent serti dans les hautes falaises le ceinturant. Elle suscite autant l'admiration de Samyël que la mienne je crois. Je décèle une forte ressemblance avec Minas-Tirith d'ailleurs, j'ai pensé d'emblée à cette merveille et au film, à ces fiers remparts, ces trébuchets (remplacés par des balistes mais bon customisation samyëlienne on va dire ^^) j'ai pensé à la grandiose guerre qui allait s'en suivre, destinée que Fort-Argent lui partage en plus de son apparence (enfin c'est l'impression que j'en ai eu, je parie que c'est encore faux ce que je raconte >_>).

Puis enfin surviennent la belle rencontre avec Kalenz, une figure que j'aime beaucoup et à laquelle je me suis attaché dès que je l'ai vu (avant dans le cycle, même que je l'avais confondu je crois fufu). Je sens que ça veut dire qu'il va mourir vite, comme tous les personnages secondaires qui me plaisent plus que les autres... (alias Rirjk, Haku dans Naruto et une foule d'autres...) T-T Il en impose je trouve, il me rappelle Sildinn d'ailleurs (un peu), haut compliment que je te fais là! :)
Ils parlent de l'avenir, etc... puis la scène de l'entraînement arrive (la tirade de Kalenz sur l'épée et la rencontre de son âme même m'ont fait penser au zanpakutô de Bleach ^^), pour déboucher sur la folie incertaine de Samyël. Côté sombre intéressant au demeurant, comme un germe qui croîtrait en lui pour usurper sa raison et son statut d'apprenti classique, pour rendre dans l'original. ça me plaît et j'ai hâte de voir comment les choses évolueront! Je prédis un gros barbare sanguinaire qui s'abeuvrait du sang de ses ennemis. XD

La scène finale conclut sur la promesse de Samyël de combattre au nom d'Arendia et des utilisateurs de magie, puis sur les paroles échangées entre Marron et Kalenz en haut des remparts de la fière cité, mettant en cause les fondements du don du petit mage, alors que cet être, ultime espoir, s'en va dans la neige. :niais: ça fait très mélancolique je trouve, comme si quelque chose de terrible allait arriver, comme un bond dans le futur avant l'heure, juste avant la bataille, ou un grand regret embrassant un passé révolu bien trop tôt. Je m'égare peut-être, mais bon sans sentiments chez moi on arrive à rien, je t'offre ma propre vision des choses en des petits commentaires se résumant en deux mots: j'aime! ;)

Pour conclure... Je veux la suite! Bonne continuation GMS, j'espère que cette légère impression personnelle occupera un peu de ton temps et éclairera ce que je pense de tout cela. Bonne soirée! =D

PS: Quand j'ai commencé à écrire, il faisait encore jour, je comprends pas... :niak:
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Nehëmah le jeudi 13 décembre 2007, 21:41:01
Et bien, nous sommes civilisés, très cher confrère du forum littéraire :niak: Ainsi, c'est avec grande joie que je te laisse t'emparer de la première place du podium des commentaires pour ce tour-ci :niak: Remarque, c'est soit toi, soit moi, ; dois-je en effet rappeler que nous sommes, quasiment, les deux lecteurs réguliers de Samyël ? (et tout au moins ses deux commentateurs officiels adorés, je te laisse allègrement la première place, tu la mérites, si, si j'en suis sûr !). Bien sûr, des fois Ganon d'Orphée fait des apparitions, mais il faut approfondir les efforts :niak:
Bref. Si ça continue comme ça, je deviendrais presque pire que toi, Prince du Crépuscule, au niveau de l'égarement des commentaires. cependant, nous le faisons de deux manières différentes, ce qui fait c'est chouette (oui j'avoue j'étais pas inspiré pour finir ma phrase).

Du coup, j'en viens à m'excuser, Samyël, puisque j'ai introduit quasiment en répondant à Prince du Crépuscule xD D'ailleurs, je veux savoir si ce dernier m'aime ou me haït, puisqu'il m'a dit qu'il m'aimait, puis, plus tard, qu'il me haïssait , tout ça dans un même commentaire. Par conséquent, je doute profondément. Car comme en plus il a dit qu'il ne fallait pas trop s'accrocher aux parasites... Bon... Il a pas tort :niak: M'enfin pas grave, j'achève là ma digression refoulée et pourtant non-contenue.

Bon. Procédons à la dissection *et oui, un parasite reste un parasite*.
Que nous as-tu donc servi de bon ? Pour l'entrée, un peu d'Eratius, tout fou-fou. Ce personnage me fait penser un peu à Kefka dans Final Fantasy 6 : un illuminé qui boit les paroles de son supérieur (avant de se rebeller et de le tuer, dans une passe de folie qu'il gardera jusqu'à sa mort, une année plus tard). Bref, tu vois tout de suite le parallèle que je compte faire ? Je pense qu'Eratius est un illuminé profond, qui a une foi inébranlable, et croit trop d'ailleurs. Ben tiens, le Seigneur l'a élu... J'suis pas sûr que son dieu existe vraiment, mais il risque d'y croire vraiment, et Eratius pourrait fortement faire glisser cette relation de Dieu - croyant à Dieu lui-même. Vous voyez, la folie, c'est forcément une affaire d'inconscient qui bouffe le conscient. Et dans le conscient on retrouve des tas de saloperie du genre du complexe de supériorité, caché par une profonde humilité.
Ensuite, sûrement que tout ce que j'ai dit n'est que palabres inutiles et j'aurais tout simplement l'air d'être un psychanaliste en herbe. Bah... Normal, j'en suis un, et même pas en herbe, en graine si possible.

Là où je suis heureux et fier de moi, c'est dans ma lecture fine et perspicace du personnage de Samyël (hein ? Je me jette des fleurs ? Ben oui...). Ce que je pensais, à savoir l'évolution de sa folie, est en bonne voie. Je dirais même que ce chapitre confirme ce que je pensais, et pire encore, que ça risque d'être au-delà de mes croyances. Un Arthas en puissance ? Je ne mise même pas sur le barbare sanguinaire mais sur l'espèce de paladin déchu, ravagé par sa folie et ses doutes qui n'ont trouvé écho qu'en la facilité de destruction.
Samyël est là, au moment où tout se joue. Il a en lui les potentialités d'un futur dangereux. Il ne le sent même pas. Mais pourtant, c'est clair. Et ce qui m'a franchement mais franchement éclairé, c'est quand il s'imagine dans plusieurs années, en proie à des tueurs et tout et tout. Et puis, il veut devenir le meilleur. Il se cache cette possibilité, quoi ! Il se dit qu'il ne doit pas le faire, car il ne peut pas, comme s'il pratiquait une auto-humilité. Franchement, tout ce maelström de paranoïa et de complexe de supériorité.... Avec la référence aux cheveux rouges, je pourrais presque croire que ce brave Josef Staline, excellent dirigeant de l'URSS de 1924 à 1953 t'a inspiré, mais bon... Donc, je vois franchement Samyël devenir chef d'un Etat totalitaire, pire encore que ce peut pratiquer Eratius et ses acolytes... Une sorte de vengeance, mais en ultra-pire (ouais, terme pourri à deux balles). Par ailleurs, je crois que dans le futur, Samyël n'aura rien à envie à Eratius.
Par ailleurs, notons qu'à cette période de la vie, tout peut se jouer. Il peut se transcender tout ocmme il peut sombrer. A la manière de la famille Skywalker. Sombrer, comme Anakin, ou lutter et se transcender pour Luke. Lequel sera Samyël ?
Une dernière chose à dire, c'est que j'adore vraiment ce personnage dans le sens où c'est maintenant qu'il révèle son potentiel et que nous sommes en train de lire ses aventures tout comme nous sommes peut-être en train d'assister à l'ascension d'une terrible menace pour cet univers dans les décennies à venir. Peut-être le héros d'une histoire sera l'ennemi public numéro 1 d'une autre ? Bref, cette désagréable sensation de voir un tyrant évolué et de mettre sur le compte de son hypothétique future tyrannie, toutes les souffrances qu'il a dues endurer.

Je passe rapidement à Zackary.Bon, concrètement il a pas servi à grand chose le pépé. Je me demande même si c'est pas Samyël à la limite qui l'a tué (notamment à cause du décallage : "Samyël se demanda vaguement s’il y avait des loups dans le coin." et le ton de certitude "Il a été dévoré par des loups. "... un peu comme une sorte de mensonge). A vrai dire, ça peut paraître absurde mais je ne fais absolument pas confiance à ce mage vermeil.
Pour conclure sur Zackary; il a enseigné les rudiments du combat à l'épée de Samyël, mais c'est bien sa singulière utilité. Pour le reste, on repassera. J'avais trouvé une itnerprétation pour ce personnage maisje ne m'en rappelle même plus, signe qu'il m'a franchement marqué.

Enfin, Kalenz. Bon, n'y allons pas par quatre chemins : il se fera tuer par Eratius ou Samyël... Je sais pas, honnêtement mais je le vois mal passer le cap de ces cinq années. Au pire, il sera une perte qui fragilisera un peu plus Samyël, mais honnêtement je le vois plutôt mort que vivant. Et c'est bien dommage car il dégage un certain style, mais paraît un peu trop lisse une fois encore. Par ailleurs, le Fort d'Argent donne un petit côté Gouffre de Helm qui semble encore une fois un peu repompé. Simple clin d'oeil ? Réminiscence purement fortuite ? Faiblesse d'imagination ? J'opte plutôt pour la une et la deux, je doute beaucoup que tu sois un faible d'esprit :love:
Bref, ce qui me met sur la voie de son trépas certain, autre que par mort naturelle, c'est le fait qu'il ait vu le visage de Samyël, le véritable, celui qu'il cache, qu'il cache à la fois de son entourage mais aussi de lui-même. Kalenz a vu son visage. Un peu une sorte de malédiction. De la superstition peut-être. Mais je pense qu'il a déjà des doutes sur Samyël, confirmés par Marron (heureusement qu'il y a des personnages aux airs inutiles afin de simuler l'impression de peuplade immense :niak: xD Bon, c'est dit sur le ton cynique, mais c'est un compliment hein !). Bon, et puis le fait qu'il se pense moins fort que Eratius, c'est bien le signe d'une impuissance et donc d'une inutilité certaine. C'est à Samyël qu'il appartient de se venger d'Eratius et sûrement que le mage pourrait tuer n'importe qui pour achever Eratius.
Ce n'est sûrement pas la bonne réflexion, mais j'aime le penser.

Bon, ai-je vu d'autres choses qui méritent d'être signalés ? Ah oui, je pense comme Prince du Crépuscule, après ce qu'il en a dit ça m'a paru évident : Rirjk n'est pas mort. On ne le voit pas mourir, et son ombre plâne encore sur la fiction. Si, si, il reviendra plus tard. Et sera sûrement très fâché de voir que son brave petit Samyël est devenu un monstre fou à lier (oui là je me projette dans mes hypothèses ah ah).

Bref. Je te remercie pour cette lecture, ce fut tellement intense de retrouver Samyël dans de telles conditions ! Ca faisait un mois ou deux qu'il avait disparu mais il était toujours aussi frais... Voire plus que d'habitude... Ah... Vivement la suite !
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Red ink le dimanche 16 décembre 2007, 15:10:09
Analyse detaillée du premier chapitre :

Il y avait donc une forêt de sapins, en bordure du village. Une forêt aux arbres serrés, où régnaient l’obscurité et l’humidité et avait de ce fait acquis la réputation d’être hantée par quelques esprits. Il fallait également faire attention car le bois se finissait sans crier gare sur un à-pic vertigineux à flanc de falaise qui vous entraînait vous briser sur les rochers.


Pour la première phrase : la virgule n'est pas nécessaire mais bon tu peux la garder à la limite.

Pour la deuxième phrase : évite la répétition de forêt et utilise une belle figure de style. Par exemple : Une montagne verte où régnait une humide obscurité xD / Au fait tu as utilisé deux fois la conjonction "et", une fois cela suffit. De plus ta phrase n'a plus de sens enfin je bloque quand je la lis.

Pour la troisième phrase : Je bloque encore ><


Et malgré tout cela, nombre de voyageurs venaient arpenter les sentiers à peine dessinés de cette forêt. Parmi eux, se trouvait un jeune garçon, originaire de la Dent. Il ne devait avoir que six ans, ou pas loin, mais il vagabondait dans la forêt sans crainte ni peur, peut-être par inconscience… ou par courage.

Première phrase : "Et malgré tout cela" fait trop simple je trouve ^^ (exemple : Et malgré ces nombreux dangers)
Deuxième phrase : t'as du mal avec les virgules xD
Troisième phrase : si il vagabonde sans crainte c'est qu'il le fait sans peur, donc le deuxième adjectif est complétement inutile et ne fait qu'allourdir la phrase (oh un premier vrai commentaire xD) / Pour la fin de la troisième phrase, elle pourrait bien conclure le paragraphe mais je bloque encore une fois (exemple : Etait-ce son inconscience ou sa témérité qui guidaient ses pas ?)

En ce temps, le trafic maritime avait fortement évolué et les navires charriaient avec eux les rumeurs de la guerre, et nombre de réfugiés cherchant abris à Solanéa. Parmi eux se trouvait un homme d’âge mûr, vêtu d’une robe ample et auburn. Avec lui cheminait une jeune femme, très belle de visage et aux manières douces. Si fait, ils avaient entendus parler de la Dent de l’Ours et c’est vers ce lieu qu’ils se dirigeaient d’un pas pressé, quoique sûr. Ce faisant, ils pénétrèrent dans la forêt qui bordait la Dent. L’homme rassura sa compagne d’un murmure et ils pressèrent leur âne qui rechignait à entrer. Ils progressèrent quelques instants sans rien croiser, et au bout d’un moment ils s’assirent sur le tapis de mousse qui recouvrait le sol du bois et ils firent un repas de pain et de fromage.

Première phrase : encore une fois tu as utilisé trop de fois la conjonction "et"

Troisième phrase : 'Avec lui cheminait une jeune femme, très belle de visage et aux manières douces"
Très belle de visage ... Mouais xD (remaniement proposé (à toi de voir hein xD) : une charmante jeune femmes aux douces manières.

Dernière phrase : Encore ce deuxième "et" ><

-Vous qui êtes entrés en mon domaine, vous qui ne craignez pas mon courroux, acquittez-vous du droit de passage ou rebroussez chemin dans l’instant, fit soudain une voix surgie de nul part.
Elle se voulait forte et menaçante, mais le son était si aigu qu’on devinait la candeur de l’enfance. L’homme se leva, ramassa son bâton de marche et leva son autre main, souriant.
-Je vous demande pardon, messire, mais nous ignorions que cette forêt était vôtre. Nous ne sommes que de simples voyageurs sans argent et nous ralliions la Dent de l’Ours. Montrez-vous, messire, et nous pourrons parler.
Un buisson s’agita un peu à l’écart du sentier qu’ils suivaient. Un petit garçon en sortit. Il était de taille moyenne pour son âge. Ses cheveux, d’un rouge sombre comme le sang séché, lui arrivaient aux épaules en mèches indisciplinées. Son regard vert intense et résolu fixait le voyageur dans les yeux. Il était habillé d’un vêtement en toile grossière et portait au côté un long bâton droit, à la manière des chevaliers, qui devait lui peser vu qu’il se penchait un peu vers la droite.
-Je suis le Maître de la forêt, un chevalier de premier ordre, mais vous pouvez m’appeler Samyel.
L’homme s’inclina avec un sourire.
-Messire Samyel.
-Vous voulez passer …
-C’est exacte Messire.
-Messire Samyel, le corrigea-t-il. Il vous faut vous acquitter d’un droit de passage.
-Nous n’avons pas d’argent, Messire Samyel.
-Je ne vous en ai pas demandé.
-Que voulez vous, messire Samyël ?
-Battez vous contre moi.
-C’est impossible. Je ne suis pas un guerrier, messire Samyël.
Le garçon s’assit sur une souche, un peu à l’écart du sentier. Son regard intense ne quittait l’homme. « S’il avait été plus vieux, je l’aurais cru s’il m’aurait dit être chevalier », pensa-t-il. Il y avait dans son regard un éclat, une flamme de bravoure, et, malgré son très jeune âge, on l’aurait cru capable d’affronter n’importe quel adversaire.
-Dans ce cas enseignez moi quelque chose, reprit le garçon.
-Que voulez vous savoir, messire Samyël ?
-N’importe. Du moment que c’est quelques chose que je ne connaisse pas ni votre nom.
-J’ai 31 ans.
-J’en suis heureux.
-Me laisserez vous passer, messire Samyël ?
-Non.
-J’ai remplis votre condition.
-Certes non.
-Je vous ai appris quelque chose.
-Je ne le pense pas.
-Je vous ai dit mon âge, et j’aime à penser que vous ne le connaissiez pas, messire Samyël.
-Si, répondit le garçon.
-Et comment cela ?
-Je suis magicien. Ne vous l’avais-je point dis ?
-Je ne pense pas.
-Dans ce cas vous me devez une faveur.
-Pourquoi cela ?
-Je vous ai appris quelque chose. Il est donc normal que vous me donniez quelque chose en retour.
L’homme sourit devant l’intelligence poignante de l’enfant.
-Permettez moi d’insister, messire Samyël, mais comment avez vous fait pour connaître mon âge, comment vous y êtes vous pris ?
-Et bien c’est simple. Je vous ai jeté un envoûtement.
-Vraiment ? Quel genre d’envoûtement ?
-Un magicien ne révèle jamais ses secrets.
-C’est exact. Maintenant que je sais que nous sommes confrères, je me permets donc de ne plus vous donner du messire.
Le garçon en resta un moment interdit.
-Vous êtes magiciens ?
-C’est encore exacte.
-Vous êtes le premier que je rencontre. Mais n’allez pas croire que vous m’impressionner, je suis chevalier !
-Je n’en ai jamais douté un seul instant (et en un sens, c’était vrai…).
-Dans ce cas enseignez moi la magie.
-Je ne le puis.
-Pourquoi ?
-Je ne sais même pas si vous êtes apte à pratiquer les Arts.
-Je le suis.
-Comment le savez vous ?
-Je le sens.
-Intéressant. Il faudra que nous en reparlions dans un futur prochain. Vivez vous à la Dent ?
-Oui. Enfin non. J’habite la petite maison au bord de la falaise, tout au sud du village, avec Grand Père.
-Parfait. C’est là bas que nous nous rendons, ma femme et moi, pour emménager.
-Dans ce cas vous pourrez tenir votre promesse et vous me parlerez de la magie.
-Sans problème. Puis-je poursuivre notre route ?
-Oui.
Le mage remercia l’enfant et repris le petit sentier qui zigzaguait entre les arbres. Lorsque sa compagne voulut le suivre, le garçon l’en empêcha en lui barrant le chemin avec son bâton.
-Désolé, mais vous n’êtes pas encore autorisée à passer.
La femme parut surprise au début, puis adressa à Samyël le même sourire doux qu’aurait eu une mère pour son fils.
-Enseignez moi quelque chose, où battez vous contre moi, comme vous préférez.
Elle le prit alors dans ses bras, et le serra contre son cœur, tendrement. Le garçon en perdit tous ses moyens, et lorsqu’elle se sépara de lui, il resta debout, interdit. Le couple repartit, et lui resta ainsi un moment.
Il ne le savait pas encore mais il venait d’apprendre une chose fondamentale.


Je n'ai rien à signaler ici, quoique essaye d'aerer le texte
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le vendredi 04 janvier 2008, 20:28:33
Hop, bientôt la rentré, et toujours pas de cadeau de noël/nouvel an? Roo, c'est impardonnable :niak: Bon, pour atténuer quelque peu votre courroux justifié, voici le chapitre 16, que j'ai pris énormément de plaisir à écrire ^^
Mais avant, répondons à ces deux pavés  :bav: (à noter que c'est un compliment, hein? ^^)

PdC==> Ha Eratius, je l'aime bien celui là. D'ailleurs, pour la petite anécdote, originellement, il s'appelait Konan le bougre :niak: Mais une personne avisée de mon entourage (GdO quoi :niak:) m'a fait remarqué que ça faisait un petit décalage... Bref^^
Alors, effectivement, il ressemble assez à Thomas Brogan, je ne le nie pas, car l'épée de Vérité fait partie de mes nombreuses sources d'inspirations ceci dit, cette impression devrait s'estomper au fur et à mesure de ses apparitions, j'ai des projets intéressants pour lui, mais vous verrez ^^
Bon, je répète ici ce que je t'avais dit en privé, cette grande ellipse ne se retrouvera pas dans la version finale du Cycle. En effet, il devrait normalement y avoir quelques chapitres relatant le voyage et développant le personnage de Zackary, ainsi que leur entraînement aux armes^^ Mais pour le moment, je ne me sentais pas encore suffisament expérimenté pour écrire des chapitres comme ça tout en les rendant intéressants ^^
C'est pourquoi ça a pu paraître un peu brutale comme reprise =p
Sildinn? Effectivement, haut compliment que voilà, je t'en remercie ^^ Roo, pourquoi devrait-il forcément mourir? ^^ Je l'aime bien moi ce Kalenz...
Attention par contre, même si je reconnais que cela peut ne pas être claire, la tirade sur l'art de l'épée est en fait une leçon qu'a donnée Zackary à Samyël durant leur voyage, d'où ce découpement. Heureux que la folie grandissante de Samyël te plaise, j'avoue que je craignais que cela déplaise ou passe mal ^^ Sûrement à tord d'ailleurs =p Un gros barbare sanguinaire s'abreuvant du sang de ses ennemis...? xD J'aime bien l'image, mais ce n'est pas vraiment ce que j'ai imaginé pour lui =p
Bref, encore merci pour ce superbe commentaire :niais:

Nehëmah==>LowL, je te pardonne v_v (oui je suis de bonne humeur en ce moment xD) Toujours est-il que les sentiments d'un Prince sont souvent difficiles à interpréter... :niak: Wait and see :niak:
Je ne connais pas plus en détail ce Kefka, n'ayant joué à FF6 que très rapidement sans jamais allé plus loin qu'après le premier boss (l'espèce d'escargot =p), ceci dit, la description que tu en fais résume assez bien Eratius :) Sauf ce qui est entre parenthèse =p Comme je disais à PdC, j'ai des projets pour lui, regardons comment il évoluera ^^
Ha, j'aime quand tu t'interroges comme ça sur Samyël, ça me permet de voir comment vous ressentez les choses, et de comparer avec ce que j'ai prévu^^ C'est vraiment instructif ^^ Etant donné que ce thème est l'un des thème principal du récit, je ne dirais trop rien, je préfère que vous découvriez tout au fur et à mesure des chapitres^^ Par contre, je n'ai pas trop saisi le raprochement avec Staline et l'URSS mais c'est pas grave =p
Pour Zackary, effectivement il ne sert pas à grand chose, voir ce que j'en dis à PdC un peu plus au dessus ^^
Rooo, décidément mon brave Kalenz, personne ne croit en ta sruvie mdr Bref, je crois que c'est pas la peine de le cacher, en effet il mourra. Ceci dit je garde le secret sur les circonstances ^^
Bref, merci pour ce super commentaire *o*


Citation de: "PdC"
Je décèle une forte ressemblance avec Minas-Tirith


Citation de: "Nehëmah"
le Fort d'Argent donne un petit côté Gouffre de Helm


\o/ Faudrait vous mettre d'accord. =p Bref, c'est ni l'un ni l'autre, ma description est peut être pas assez poussée (j'ai toujours du mal pour les longues descriptions ^^"), mais l'idée que j'ai du Fort d'Argent est très éloignée et de Minas-Tirith et du Gouffre de Helm ^^ Donc Nehëmah, ni clin d'oeil, réminescence fortuite peut être (mais alors vraiment pas voulue ^^"), ni faiblesse d'imagination, quoique cela m'arrive parfois mais ce ne fut pas le cas ici :)

Quand à Rirjk... Mouahaha, doute, doute, que je t'aime. lowl Je garde cette info' pour moi, vous verrez bien   :gnark:

Red Ink==> Bon, je crois qu'on a assez parlé de ces commentaires :p

Bref, sans plus attendre, le chapitre 16 ^^ Il est possible qu'il contienne plus de fautes que d'habitude, j'avoue que je l'ai relu moins de fois que la normal^^


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Chapitre 16 : Arendia.


-« … ainsi est-il parti depuis peu ; j’ai dépêché mon coursier le plus rapide pour vous apprendre la bonne nouvelle, votre Grâce. Salutations, Général Kalenz. »  Et le cachet est authentique, aucun doute là dessus.
Le petit cabinet où se tenait la réunion secrète devint soudainement silencieux. On pouvait presque entendre les pensées de chacun se mettre en action. Dhaltarion III, grand roi d’Arendia et de l’ancienne Arch’Land, reposa doucement la missive sur le bureau. Son visage grave ne démontrait aucune émotion, ses yeux de marbre reflétant la lueur du feu qui crépitait dans l’âtre.
-Que pensez-vous de tout ceci, mon ami ? demanda-t-il sans tourner la tête.
Nemerle, Archimage de la Citadelle Blanche, se leva du confortable fauteuil où il était assis et se mit à faire les cents pas dans la petite pièce. Sa robe blanche, symbole de son rang, froufroutait légèrement à chacun de ses gestes.
-Si cela est vrai, c’est une grande nouvelle, Mon Roi. Cela fait environ trente années que nous attendions un événement de ce genre. Un futur mage, qui n’est pas originaire d’Arendia. Cela me redonne de l’espoir, et une grande joie. Souhaitons qu’il soit digne de nos attentes.
Dhaltarion acquiesça en silence. Il ne savait pas trop quoi penser de tout ceci. Cela lui paraissait trop soudain, presque irréel. Depuis toutes ces années de guerres désastreuses, enfin peut être l’étincelle de l’espoir pouvait de nouveau s’allumer ? Le roi l’espérait. Mais il réfléchissait. N’était-ce pas aller un peu trop vite en besogne ? Oui, un jeune mage arrivait. Le premier depuis longtemps. Mais alors quoi ? Un gamin pouvait changer la face d’une guerre qui touchait presque à sa fin, là où des centaines de milliers d’autres avant lui avaient échoué, où même les pouvoirs des plus grands magiciens avaient failli ? C’était presque ridicule. Le sort en était jeté depuis pas mal de temps à présent.
L’Arch’Land n’existait plus, la magie menaçait de disparaître, et bientôt les hordes Arch’Markiennes viendraient déferler sur Arendia et détruire à coup de haches et d’épées le dernier bastion de la raison dans ce monde ravagé par la folie d’un homme et de son fils.
Un goût amer remplit la bouche du Monarque. Non, décidément, cela ne changeait strictement rien. Une fois que le Fort-Argent serait tombé, s’en serait fini. Avec ou sans ce Samyël.
Comme souvent récemment, Dhaltarion III pleura. Filibert d’Aranis, général en Chef des armées Arckendéennes -du moins ce qu’il en restait-, l’Archimage Nemerle ainsi que Markus d’Esboni, grand intendant de la famille royale Arendienne, se détournèrent pour respecter la dignité de leur roi. De tous les hommes présents, un seul garda le regard fixe : Arthurus, prince héritier d’un royaume déchu. Du haut de ses treize années, il regardait son père pleurer. Il ne le comprenait pas. Il ne comprenait pas qu’un roi puisse être aussi lâche.
Pour lui, son géniteur se contentait de se lamenter en pleurnichant. Si cela n’avait tenu que de lui, Arthurus aurait depuis bien longtemps rassemblé les dernières forces D’Arch’Land, et entreprit la reconquête de son royaume. Au lieu de rester assis sur un trône maintenant dénué de pouvoir à attendre l’inéluctable.
Cependant le jeune prince ne disait rien, il gardait ses sombres pensés pour lui même. Il n’était pas en mesure de faire quoi que ce fût. Et puis de toute façon, son père ne l’aurait pas écouté. Il ne l’écoutait jamais.
Une fois ses larmes sèches, Dhaltarion releva la tête. Il croisa le regard dur de son fils et détourna les yeux.
-Messieurs, cette entrevue est terminée. Merci de vous être levés aussi tard.
-Cette nouvelle ne pouvait attendre, le rassura Nermerle d’un sourire.
Après quoi, ils sortirent tous un par un, laissant leur roi seul dans le cabinet.
-Nermerle, commença Filibert quand ils furent dans le couloir, cela changera-t-il vraiment quelque chose ?
-Je ne pense pas.
Entendre tout haut ce que tout le monde pensait tout bas, sur un tel ton fataliste, sapa leur morale un peu plus qu’il ne l’était déjà.
-Cependant, reprit l’Archimage, attendons de voir comment tout ceci évoluera. Peut être… Peut être que les dieux ne nous ont pas oubliés. Ce jeune Samyël pourrait être celui qui ferra bouger les choses.
-Vous le pensez vraiment ?, intervint à son tour Markus d’Esboni.
Le vieil Archimage garda un moment le silence.
-Non, pas le moins du monde. J’essais juste de rester optimiste.
Derrière les trois hommes les plus importants d’Arendia, le jeune prince Arthurus serra le poing.
Plus personne ne croyait au miracle.

~~~

« Viens, je t’attends… »
Le féerique regard vert se posa sur Samyël, aguicheur. Une fois de plus il se retrouvait devant cette inconnue, tout son être tremblant de désir. Ils flottaient au centre d’une nébuleuse étoilée, silencieuse et apaisante. Samyël savait vaguement que tout ceci n’était qu’un rêve. Il l’avait fait trop souvent pour ne pas le savoir. Pourtant, il voulait s’approcher de cette femme rousse, l’enlacer, l’embrasser, lui faire l’amour. Lorsqu’il était devant elle, plus rien n’existait en dehors d’elle. Il aurait tant voulu, tant voulu pouvoir la toucher. Rien qu’une fois. Mais des mains invisibles le retenaient, l’empêchant de répondre à ses pulsions profondes.  C’était une torture, mais quelle douce torture. Il savait que bientôt elle s’éloignerait en riant, jusqu’à disparaître au delà des étoiles. C’était toujours ainsi que cela se passait.
Ses lèvres exquises s’ouvrirent en un sourire divin. Son rire cristallin se répercuta un instant, emplissant Samyël d’une fébrilité merveilleuse.
Une pensé toucha son âme et son esprit « Viens, je t’attends… ».
Puis, doucement, l’apparition s’éloigna. Samyël la regarda, désespéré, mais cette fois il trouva la force de crier :
-Quel est tom nom !?
Mais nulle réponse ne lui fut donnée, et la femme se fit aspirer par une étoile.


Le jeune homme se réveilla en sursaut, ruisselant de sueur. Il avait de nouveau fait ce rêve. C’était la première fois depuis cet après-midi où il avait appelé un démon en lisant le carnet noir. Ces six derniers mois, ses nuits avaient été remplies de cauchemars où un seul homme revenait chaque fois pour achever sa besogne : Eratius. Chaque fois, il revêtait une apparence différente, pour mieux le tromper et le tuer. Et pendant que Samyël brûlait sur un bûcher ou s’étouffait au bout d’une corde, cet homme riait de lui, son sourire dément barrant sa face cauchemardesque. Mais cette nuit c’était différent. La femme rousse lui avait de nouveau rendu visite. Sans trop savoir pourquoi, il se sentit étrangement serein. Plus qu’il ne l’avait été ces six derniers mois. Il resta un moment allongé sur le sol, sous sa couverture. Dans le ciel étoilé il cru reconnaître les traits de sa belle. Ce spectacle lui arracha un sourire. Depuis son départ de Fort-Argent, la veille, le temps s’était montré clément, il faisait même presque « chaud ». L’adolescent n’avait rencontré aucun voyageur, contrairement à son voyage avec Zackary. Cela l’étonnait à moitié. Après tout, la région était encore sous la menace de la guerre. Et le temps ne se prêtait pas à l’aventure. Cependant, la route principale était très bien entretenue, et Samyël n’avait aucun mal à la suivre.
Comme l’aube approchait à l’est, il décida de se remettre en route. Il estimait à quelques heures encore le temps nécessaire pour compléter son périple. Il se leva, s’étira, puis s’éloigna un peu du feu qu’il avait allumé pour se soulager. Lorsqu’il revint, il éteignit les flammes à l’aide de son pied. Il passa sa lame à la ceinture, chargea son sac sur ses épaules puis passa son arc et son carquois en bandoulière. Puis il reprit sa route.
Avec l’amélioration du temps, le fleuve Nyr s’était dégelé, et lorsque Samyël rejoignit sa rive gauche après un lacet du chemin, il l’entendit qui descendait la plaine vers le Sud, pour déboucher sur la mer en un delta à trois bras. Ce fleuve, Samyël le suivait depuis son arrivé sur le Continent. Il se sentit triste en se disant qu’il ne l’entendrait plus, une fois arrivé à la capitale. La rivière était devenue comme une amie, une présence rassurante. Mais enfin, enfin il touchait au but. Bientôt, il se réchaufferait aux feux de la Citadelle…


La plaine sauvage laissait place à de vastes étendues de terre cultivées, laissées un peu à l’abandon en raison de la saison. Les fermes poussaient de-ci de-là au petit bonheur la chance, sans ordre. Des clôtures sommairement montée devaient servir de délimitations entre les différents lopins de terre, et garder le bétail sur les lieux de pâturage. Auparavant, là devait pousser une formidable forêt, car de minuscules bosquets se tenaient encore fièrement un peu partout, derniers représentants des immenses bois qui couvraient le Continent dans cette région des siècles en arrière. Le Nyr traversait le paysage lentement, scintillant tranquillement sous le soleil froid de l’hiver.
L’air était glacial, le temps dégagé. Samyël soufflait perpétuellement dans ses mains pour tenter de les réchauffer. Bien en vain. Ses jambes avaient encore à peine assez de force pour le porter et le somptueux dîner de Fort-Argent n’était déjà plus qu’un souvenir pour l’estomac torturé du jeune homme. Ses provisions arrivaient à leur fin, tout comme son voyage. Derrière le petit tumulus qu’il escaladait s’étendait Arendia. Le joyau de l’Arch’Land, la cité des Rois, fondée par Aegir en personne. Des fumées blanches s’élevaient en spirale dans le ciel gris. Le soleil se levait à peine à l’Est, mais déjà semblait-il la ville était éveillée.
Samyël fit une halte, préférant attendre un peu et savourer l’instant. Il s’assit sur un gros rocher plat et froid, et porta son regard sur la Chaîne de L’infini, à l’horizon nordique. Les hautes montagnes aux pics enneigées qui marquaient la fin du sud Continental n’étaient qu’une vague silhouette obscure et floue. De bien nombreuses légendes faisaient mention des prétendus habitants des montagnes. Des géants de pierre, des lutins malicieux, de grandes forteresses sous la pierre où des êtres merveilleux faisaient fête toute l’année. Certains conteurs disaient que les montagnes abritaient les demeures ancestrales des anciens dieux -telle Adyäna, déesse de la Grâce qui bénit l’épée d’Aegir afin de la rendre invulnérable au sang corrosif de Nagür le Dragon Noir- où les héros de jadis joutaient les uns contre les autres pour obtenir les faveurs des filles des divinités. Dans le Haut-Pays, à l’Est, l’on murmurait que l’effroyable Foudroyeur qui faillit venir à bout du légendaire Argoth rôdait toujours le long des cimes glacées, faisant le tonnerre et les éclairs pour les jeter sur le monde d’en bas. Enfin, quelques aventuriers de retour de voyage affirmaient avoir aperçu les ombres immenses de quelques dragons, volant dans le ciel, très haut, retournant s’abriter dans les cavernes secrètes abritant leurs trésors mirifiques. La Chaîne de L’infini s’étendait sur plusieurs milliers de kilomètres, coupant littéralement le Continent en deux, d’Est en Ouest. Seuls deux passages avaient été creusés par d’anciennes peuplades, bien avant la venue des hommes et permettaient de pouvoir franchir les montagnes à pied, sans passer par la mer. Bien peu avait osé s’y aventurer. Les cartes dessinées par les explorateurs faisaient état d’immenses forêts de conifères vierges, du côté occidental, comme du côté oriental. Nul brave n’avait eu l’audace de défier ces contrées inconnues, et les vastes terres du Nord Continental restaient un mystère complet, que les sudistes se plaisaient à entretenir.
Samyël rêva un moment de ce qui pouvait se trouver au delà. Des créatures magiques, des aventures oubliées, d’anciens trésors et des ruines antiques. Son esprit d’enfant vagabonda quelques instants à flanc de montagnes, accompagné d’un grand sourire. Mais bientôt, la réalité, sombre et morose, le rattrapa. La lueur dans ses yeux s’éteignit et ses lèvres se figèrent. Le vent froid fit doucement voleter ses longs cheveux. Il était temps de se remettre en route.  Le jeune magicien souffla un bon coup, prit une grande bouffée d’air frais et se releva. Il marcha jusqu’au sommet de la colline. Ses yeux s’agrandirent et sa bouche s’ouvrit, d’émerveillement et de stupeur mêlées.
Les mots lui manquaient pour définir ce que son regard balayait. Arendia s’offrait enfin à sa vue, après six mois de voyage, et treize années de rêves secrets. La cité des Rois portait bien son nom. Bâtie sur un modèle octogonal, elle s’étendait sur plusieurs dizaines d’hectares. Une épaisse et haute muraille crénelée ceignait son pourtour, d’où s’élevaient régulièrement des tours de guets, surmontées d’oriflammes rouges et noires aux couleurs de l’Arch’Land et d’Arendia. Les étendards claquaient au vent, et les soldats en armures blasonnées faisaient des rondes incessantes le long du rempart. Des meurtrières étroites s’ouvraient un peu partout permettant à des tireurs d’arroser les rangs ennemis. Des mangonneaux, des balistes, des trébuchets miniatures et d’autres armes de mort s’alignaient le long des murs, couvrant ainsi la presque totalité de la plaine environnante.
Quatre portes qu’on aurait dites inébranlables gardaient ses entrées, une au Sud, une au Nord, une à l’Ouest et une à l’Est. Deux énormes avenues en partaient et se croisaient pile au centre de la ville, formant ainsi une croix parfaite. Des centaines, des milliers plutôt, de bâtiments s’élevaient de part et d’autre dans un ordre parfait. Des auberges, des échoppes, des marchés, des demeures, des forges, des boulangeries, des ateliers d’artisanat, des manoirs… Des parcs fleurissaient de-ci de là, où s’élevaient d’immenses statues en bronze à l’effigie de quelques héros de légende. Bien que le soleil ne fusse qu’à peine plus qu’un demi disque à l’horizon, les rues grouillaient littéralement de monde, une foule bariolée composée de gens déjà au travail. On allumait les fourneaux, on sortait le pain des fours, on garnissait les étalages… le tout dans un brouhaha permanent. Les avenues étaient surveillées par une milice en constant mouvement, prête à intervenir au moindre problème. Ces soldats étaient reconnaissables de loin grâce à leurs tabards rouge-vif, couleur de la maison des rois d’Arch’Land depuis le temps d’Aegir. Des gens entraient et sortaient de la cité, accompagnés de chariots remplis de marchandises diverses -blé, farine, viandes, métaux…-, et chaque allée et venue était contrôlée par les gardes en faction aux portes. Au delà du mur d’enceinte, plusieurs dizaines de chaumières, de fermes et autres masures prolongeaient la cité. Le Nyr longeait Arendia par l’Ouest jusqu’à la porte Sud. Un pont de bois avait été édifié pour permettre le passage à la porte Occidentale. Ainsi le fleuve faisait partie intégrante de la défense Arendienne et avait joué lors de nombreuses batailles un rôle déterminant.
Une colline s’élevait au Nord Ouest de la cité, sur laquelle avait été bâti le palais royal, immense et sublime bâtiment qui n’avait d’égale que le palais Pontifical de l’Arch’Mark. Le donjon s’élevait sur  plus de cinq niveaux, abritant les appartements royaux ainsi que la salle du trône, la salle des banquets, le Conseil des Chevaliers, le Hall du Souvenir où reposaient le corps d’Aegir ainsi que de tous ses descendants, la salle du trésor royal et enfin les geôles où croupissaient les hors-la-loi en attendant d’être jugés par le roi en personne. Au dehors, de vastes jardins s’étendaient tout autour de la grande propriété, faits d’allées de terre battue, de parterres de fleurs magnifiquement entretenus, de bassins où des poissons rares et précieux s’ébattaient tranquillement, de labyrinthes de haies, de bosquets touffus où l’on avait installé des bancs de marbre blanc et de sculptures finement détaillées.
Deux rues plus loin se trouvait la caserne et les baraquements des soldats en poste dans la cité, ainsi que les terrains d’entraînement et les réserves de matériel. Par endroit, de grandes tours d’argent et de nacre s’élevaient à des hauteurs vertigineuses, rivalisant de beauté et d’audace architecturale. C’était là les demeures de quelques magiciens aisés et respectés.
Samyël n’en revenait pas. Tant de beauté, tant de magnificence, tant de grandeur… Il se sentit soudain très petit, et un étrange vertige s’empara de son corps. Etourdi, il s’adossa à un arbre pour reprendre ses esprits. Tout cela dépassait ses rêves les plus fous ! Il avait trouvé Port-Ebène immense, Arendia faisait presque le double ! Et tous ces gens, ces odeurs, ces fumées… Beaucoup de choses passaient dans l’esprit de Samyël, mais la déception n’en faisait assurément pas partie. Une certaine excitation le saisit. C’était donc dans cette merveilleuse cité qu’il passerait les années à venir. Il s’avouait sans mal que cela n’avait rien de déplaisant.  Alors qu’il la parcourait du regard une dernière fois, il eut l’étrange impression que quelque chose manquait. Il scruta chaque quartier, chaque place, chaque parc, mais ne parvint pas à mettre le doigt sur l’origine de son trouble. Finalement, il haussa les épaules en se disant que ce n’était qu’un effet de son imagination. Le cœur soudain plus léger, il reprit sa route, déterminé à avaler les derniers kilomètres qui le séparaient encore de sa destination. Une nouvelle vie l’attendait là bas, une vie d’étude, de magie, de livres anciens. Il s’imagina entrain d’arpenter de vastes bibliothèques aux odeurs d’encens et d’encre ; il s’imagina rédiger des traités, des parchemins de magie ; il s’imagina vêtu de somptueuses robes de mage, déambulant dans les rues, acclamé par les foules.
« Lorsque tes pouvoirs auront suffisamment grandi, tu prendras part à la guerre. »
Sa promesse lui revint subitement en mémoire. Ne le laisserait-on donc jamais tranquille ? Pourquoi ne pouvait-il simplement rêver, et vivre en paix ? Pourquoi le Destin semblait-il s’acharner sur lui, pourquoi devait-il faire une guerre qui ne le concernait pas ?
-Pourquoi ?!, s’écria-t-il soudain.
L’écho de son cri se répercuta un instant dans l’air glacé. Les doux sentiments qui l’avaient envahi étaient partis. Seule restait une colère sourde, amère. Son regard se porta à l’Ouest, par delà les grandes forêts, vers l’Arch’Mark. Là où résidait la source de tous ses tourments, la source de toutes ses peines, de toutes ses peurs aussi. Un jour viendrait peut être où Samyël devrait partir batailler dans les plaines de l’Occident. Peut être. Sûrement jamais.
« Je te fais une promesse. Je tiendrais ce fort pour cinq ans encore, au moins. »
Cinq années ? Voilà donc tout le temps qu’il lui restait ? Enfin, il fallait être réaliste. Le Fort-D’argent ne tiendrait sans doute pas jusqu’au prochain été. Que pouvait bien faire une pauvre garnison perdue dans une forteresse isolée contre la quasi-totalité du Continent ? Une poigné d’hommes pouvait-elle réussir là où des armées prétendues invincibles avaient échoué ? Non, le général avait fait son temps. La gloire Arkandéénne n’était plus qu’un vague souvenir. Le royaume d’Aegir s’était effondré, et d’ici un an ou deux, l’hégémonie Arch’Markienne commencerait, et pour longtemps, signifiant par la même la fin de toute magie dans cette partie du monde. Un régime de terreur, basé sur une divinité unique et son pontife maléfique.
Un goût amer remplit la bouche de Samyël. Il se demanda si cela valait vraiment le coup, en fin de compte, de continuer sa quête de magie. Au bout, il ne voyait qu’une seule chose : la mort, par les flammes, ou au bout d’une corde. Renoncer, c’était vivre. Mais renoncer, c’était admettre la défaite. Alors, fallait-il continuer, ou plutôt s’abandonner tout de suite et mettre un terme à tout cela ?
Le jeune homme tira doucement son épée. Ses démons intérieurs le tiraillaient, le tourmentaient, noyant son esprit dans la confusion et le doute. Il plaça la lame sur son poignet. Il paraissait que mourir par hémorragie, c’était comme de s’endormir tout doucement. Et avec le froid, ses sens étaient émoussés…
Samyël sourit de dérision, et alors qu’il allait s’entailler les veines, son regard tomba sur l’ours gravé sur la lame. Sa résolution se brisa en mille morceaux, et il lâcha l’épée. C’était ridicule. Ridicule ! Il se faisait pitié. Est-ce qu’Henry, alors qu’il était emmené vers la potence, s’était posé des questions aussi stupides ? Est-ce que Rirjk, sachant la mort proche, s’était enfui lâchement, comme il voulait le faire à l’instant ?
Non, non et encore non. Tous deux avaient bravement affronté leur destin, regardé la mort en face. Leurs convictions n’avaient jamais faiblis, n’avaient jamais changé. Ils étaient restés les mêmes jusqu’à la fin.
Les yeux vagues, Samyël regarda une fois de plus le paysage froid. Il ne savait plus où il en était. Ce qu’il était. Ses certitudes disparaissaient les unes après les autres, aspirées dans les affres du doute. Il tomba à genoux. La rassurante présence de l’enfance avait disparu, laissée quelque part sur une île aux confins du monde. Ses rêves de jeunesse, ses envies… Tout, tout volait en éclat. A quoi bon ? A quoi bon ?
Le regard vide, il se laissa tomber sur le sol glacé. Peut être qu’en d’autres temps, il se serait mis à pleurer. Mais il avait juré que jamais plus l’eau salée ne mouillerait sa figure. Ainsi en serait-il…
Ce jour là, devant Arendia, le jeune Samyël faillit sombrer pour toujours et disparaître à jamais de l’Histoire. Les scènes épouvantables auxquelles il avait assistées repassaient en boucle dans son esprit. Henry, se balançant au bout de sa corde, le visage picoré par les corbeaux. Le vieux Zackary, dévoré par les loups. Il s’imaginait sans peine ce que Rirjk, Erika et le petit Erik avaient enduré avant de périr. Les bûchers, les potences grinçantes. Le démon qui avait failli le tuer, six mois auparavant… Enfin, un nom terrible, sans forme, qui tourbillonnait devant ses yeux, glaçant ses rêves : Eratius. Parfois, des sensations fugaces lui revenaient, les tendres étreintes de Rose, le rire du vieux Silex, les histoires du grand père… Mais jamais elles ne persistaient et très vite finissaient emportées par les cauchemars. Parfois il rêvait d’un bateau, perdu dans la brume, visité par d’effroyables créatures. Des cris de douleur, des cris de mort. Et le sang, qui se confondait rapidement avec ses cheveux…
Un sabot se tint soudainement devant les yeux perdus de Samyël. Il entendit l’animal renâcler, et un bruit de ferraille. Le jeune homme leva les yeux. Une lumière aveuglante le frappa, le faisant larmoyer. Sur le cheval se tenait un homme, vêtu d’une armure de plaques magnifique en fer blanc. Un casque rayonnant coiffait son chef et il tenait dans la main droite une lance d’arçon à laquelle flottait fièrement un étendard éclatant. Une épée fabuleuse pendait à son côté, attachée à sa ceinture.
Un Chevalier.
L’apparition tourna la tête vers Samyël. Puis, elle saisit le cor qui été ceint à son torse, et souffla dedans. La mélodie guerrière, grave et envoûtante, partit au galop courir sur la plaine, traversa les forêts, puis se perdit dans les hautes montagnes au Nord. Un autre cor rugit et Samyël aperçut, plus loin sur la prairie, un second Chevalier, en armure dorée. Solennellement, les deux hommes levèrent leurs lances, puis, d’un accord tacite, lancèrent leurs montures au galop, faisant trembler le sol. Samyël regardait la scène sans trop comprendre, captivé.
Les armes s’abaissèrent, et les écus se brisèrent. Les deux combattants furent désarçonnés, mais ils continuèrent de lutter au sol à l’aide de leurs épées. Le duel dura ce qui sembla une éternité, puis les deux chevaliers s’évanouirent, ne laissant derrière eux qu’un mince filet de fumée blanche.
Qu’est-ce que cela voulait dire ? Etait-ce une vision ? Un mirage provoqué par l’hiver ? Un message divin ?
Samyël se releva et s’épousseta.
Les doutes, les craintes, les angoisses, c’était pour les faibles.
Dans ce monde, seuls les forts survivent, seuls les forts changent leur Destiné. Seuls les faibles vivent dans la peur de l’avenir.
Le jeune homme ramassa son épée et la remit au fourreau. Un large sourire sur le visage, il reprit la route.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Prince du Crépuscule le dimanche 06 janvier 2008, 01:23:54
Bonne année à toi aussi, mon cher Samyël! ^^ (une nouvelle fois mais bon, mieux vaut plusieurs fois qu'aucune non? fufu) Oui oui, je te pardonne, une énième fois. Je vais commencer à te les vendres je crois, ce serait très lucratif... ;p
Pour Eratius, je connaissais déjà son nom d'origine, mais ça me fait toujours autant rire, heureusement que tu as changé, sinon je crois que je l'aurais trouvé (presque XD) ridicule. Ah, ravi qu'une de mes comparaisons aie été bonne concernant Thomas Brogan (mon Epée de Vérité préférée, rien que le nom Le Sang de la Déchirure, j'adore ^^), j'ai remarqué que plus on avaçait dans mes commentaires plus je disais n'importe quoi, c'est qu'une impression tu crois? ;)

Au sujet de ce cher Kalenz, si si je prédit qu'il va bientôt mourir, c'est écrit. Si je m'attache à un personnage secondaire trop vite, il meurt, c'est prouvé et efficace à chaque fois, je suis redoutable. u_u (mais alors, c'est p'tèt moi le parasite finalement? huuuuuu... .__.) Et pour Samyël et son évolution, j'attends de voir ça, bien sûr que non que ce n'est pas déplaisant ce petit côté fou (quand on connaît son maître en plus... on sait d'où viennent ses petits problèmes XD), tout ce que t'écris je m'en abreuve, je l'éponge, je le liquéfie, ça passe à la moulinette avec du persil sans aucun problème, si si je t'assure! \o/ *crève*

Nehëmah => Oui, les sentiments d'un Prince sont tellement difficiles à décrypter, surtout celui-là... Disons qu'il aime à te détester, ou qu'il déteste t'aimer, ça te va? ;p Non non je suis pas schyzo je te rassure... C'est lui qui le dit... XD


Bref, arrêtons de suite sinon je sens que l'aube va bientôt se lever pour moi, et ça ce serait pas bon... v_v' Passons au véritable commentaire, voulez-vous? ;)

Que dire, que dire? J'ai adoré ce passage de doutes, de revirements émotionnels, ce thème d'abandon... Tu sais que j'affectionne ces thèmes, d'ailleurs je crois que ça se voit bien dans chacune de mes fics, ou presque. ça m'en donne des frissons, surtout que c'est écrit par le plume vermeille de mon mage favoris, que demander de plus? ^^
Premièrement, ce passage en Arendia même, qui présente la situation d'un point de vue encore différent. Dhaltarion III représente à merveille le déclin de sa lignée et de la magie je trouve, vu comme il a l'air faible. Il est même dénigré par son fils, qui semble le mépriser royalement dans ses accès de larmes (enfin on le comprend quand même le pauvre petit roitelet. Pauvre, pauvre Arch'Land, toi qui rayonnais si fort... :/). Peut-être sera-t-il un rival pour Samyël? Allez savoir. (j'adore les intigues de cour, c'est passionnant =3) Sinon conernant Numerle et Filibert, je les connais pas assez pour me proconcer. Toujours est-il que le désespoir total semble de mise en ce nobles terres, autrefois si fières. D'ailleurs, ce qui représente le mieux leur statut, et les interrogations que suscitent le petit mage et son poids dans la bataille, serait ceci: "Il ne savait pas trop quoi penser de tout ceci. Cela lui paraissait trop soudain, presque irréel." ça m'a l'air très funeste tout ça, j'attends de voir, comme d'habitude! :)

L'autre point fort de ce chapitre, ce sont bien sûr les descriptions. Ce retour du rêve de la femme rousse d'abord, idyllique, mais presque effrayant également. Transposer ce songe mirifique, flou et inaccessible dans un firmament étoilé est vraiment onirique, la symbolique y est parfaite. J'adore! Depuis le temps, je ne l'avais pas oubliée celle-là. En plus cette petite description que tu en as faite est merveilleuse, l'ambiance est excellement restituée. Félicitations! ^^
Ensuite vient la description de la fière cité d'Arendia, que je m'imaginais bêtement selon ma propre vision, forcément longuissime avec toutes ces belles métaphores et tout ça, ce pavé Crépusculien dont vous ne sortirez jamais, je vous emprisonnerai dedans mwahaha! X3 Mais non mais non, on me brise ça, à moi. :sad: lol Non, c'est parfaitement réussi, l'heure et ce tout petit soupçon d'alcool peut-être \o/ me fait dire un peu n'importe quoi, je l'avoue, j'aurais peut-être dû commenter demain matin, ou plutôt plus tard dans la matinée vu l'heure qu'affiche mon ordi. :conf:
Hoi, donc cete description est tout simplement magnifique, toi qui m'avais fait part de tes hésitations tu l'as sublimement réussie je t'assure. Je suis impressionné de voir l'ambiance que peuvent dégager tes écrits d'ailleurs, ça en impose si tu veux mon avis, on ressent aprfaitement ce faste, ce grandiose qui étourdi ce cher Samyël. Enfin, même si moi j'aurais voulu encore plus de détails pour la royale capitale de la magie et d'une noble et ancienne lignée, ultime rempart contre les forces délirantes des fanatiques qui la menacent. Pas grave, c'est déjà si bien! ^^ En tout cas, je suis ravi de constater ce qui sépare nos deux visions des choses, tu devrais aisément te rappeler à ce dont je fais allusion je pense. ^-^

Arf, il y a tellement de choses à dire, c'est fou... Enfin, comme je te l'ai dit, j'ai particulièrement apprécié ce passage de doute, qui est encore une fois très bien écrit. J'ai bien cru le perdre ce petit bout de magicien sur qui reposent trop d'espoirs, passionné par la lecture de ce passage que j'étais. Ce flou presque commateux, qui fait mal, cette oscillation entre abandon et combat, représenté par ce mirifique combat de chevaliers blancs... C'est beau! :niais: C'est un thème qui me touche, tous ces revirements sentimentaux opposés, ces rappels funestes interposés où tout se confond, ces images vagues qui touchent profondément, cette espèce de flottemment dans lequel est ballotté Samyël, cette amertume que ces indécisions vous déposent sur la langue comme un arrière-goût de mélancolie... J'aurais presque du mal à le commenter, c'est dire! C'est impalpable, indescriptible, malgré tout ce que j'ai pu écrire dessus. Il faut le vivre, et ressentir uniquement, se laisser emporter... J'en ai des frissons, quelle sensation grisante! :)

Enfin, on en arrive au bout! (ça fait du bien quand ça finit non? Et l'aube ne s'est pas encore levée, miracle! ;p) Ce serait mentir que d'affirmer que je n'ai pas encore divagué, mais je suis sous l'emprise de forces qui dépassent votre imagination, voyez-vous, une sorte d'état de contemplation mélancoliquo-lasse doublée de fatigue et d'un tourbillon de sentiments. Faudrait que j'invente un nom... XD Bref, ce chapitre m'aura énormément plu, une fois de plus! Je ne puis qu'applaudire devant ton flamboyant talent avant d'aller me coucher. Beau travail mon Mage Vermeil, à la prochaine pour l'un de tes plaisants écrits! :)
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Nehëmah le dimanche 06 janvier 2008, 11:55:10
Ah forcément, FF6 c'est pas folichon quand on s'arrête à ce premier boss, qui déborde autant de charisme que sa carapace de chair gluante et visqueuse.
Pour le rapport à Staline et l'URSS je vais davantage expliciter, même si c'est vraiment anecdotique. "Franchement, tout ce maelström de paranoïa et de complexe de supériorité.... Avec la référence aux cheveux rouges, je pourrais presque croire que ce brave Josef Staline, excellent dirigeant de l'URSS de 1924 à 1953 t'a inspiré, mais bon... Donc, je vois franchement Samyël devenir chef d'un Etat totalitaire, pire encore que ce peut pratiquer Eratius et ses acolytes..."
Staline était paranoïaque. La couleur rouge des cheveux roux renvoie à l'étendard communiste. Bref, ce sont deux détails un peu maigrichons :niak: Quant à l'Etat totalitaire bah c'est Staline qui régnait dessus également. Bref, OSEF :niak:


Prince -> Il est tellement logique que je sois la proie de sentiments aussi complexes que je ne t'en veux aucunement :love:


Bon sans vouloir paraître dément, je tiens quand même à préciser une chose qui m'a énormément fait plaisir :

ON L'A VU !

Vous voyez pas de qui je veux parler ? Si si. Lui.

Citer
à l’Est, l’on murmurait que l’effroyable Foudroyeur qui faillit venir à bout du légendaire Argoth rôdait toujours le long des cimes glacées, faisant le tonnerre et les éclairs pour les jeter sur le monde d’en bas


Ce brave Argoth ! Serait-ce la seule chose de ce brave guerrier qui fera office de clin d'oeil ou aura-t-on droit à d'autres choses ? :$ Bref je suis heureux d'apprendre qu'Argoth terrassera un être aux pouvoirs magiques stupéfiants, et je me demande bien pourquoi, d'où la volonté de lire la suite de ses aventures ! J'adore quand on rebondit sur les éléments d'un même univers mais dans différentes oeuvres... Rah vive Argoth.

Outre ceci, que dire d'autres ? Le roi pleure et son fils lui en veut. Encore une thème que l'on retrouve assez fréquemment ; celui du prince déçu par le roi. Pourvu que je ne sois déçu ni par l'un ni par l'autre. Au pire, ce sont des personnages secondaires et dans ce cas là on ne les verra pas beaucoup (quoique le Prince du Crépuscule n'ait pas affirmé son attachement particulier à l'un d'entre eux ce qui tendrait à prouver qu'ils ne trépasseront pas).
Les trois auttres personnages de la scène n'ont pas non plus grandi ntérêt. Le seul intérêt qui s'en dégage, pour moi, est d'en tirer la profonde certitude qu'Arendia est dans la mouise. A la limite on le savait déjà. On savait aussi que beaucoup plaçaient leurs espoirs en Samyël. Ce passage aura eu le mérite de nous faire douter sur la véracité du rôle à jouer du petit mage. Ce chapitre aurait d'ailleurs dû s'appeler Arendia, ou les heures du doute.
Bref.

Samyël le voici de nouveau. C'est fascinant ! Je le vois déjà plus tard, en grand souverain établi, en train d'arrêter toutes les rousses du continent et chercher cette fille qui apparaît dans ses songes. Evidemment ils tuent toutes celles qui ne lui rappellent pas cette fille. Hum. Lui octroierais-je trop de folie ? Ou pas assez ? Bref toujours est-il que le pauvre a du mal à comprendre qu'il s'agit de sa mère. Ou de sa soeur. Mais plutôt de sa mère je pense.
Bref, toute le reste du chapitre est une véritable ode au doute, à l'hésitation ; au dilemme. Evidemment la métaphore des deux cavaliers au final nous renseigne davantage concrètement : une lutte acharnée se déroule au sein de son esprit. Je tiens à remercier mon collègue Prince du Crépuscule qui m'a d'ailleurs éclairé sur la nature de cette hallucination, dont le sens m'avait échappé. (j'avais dû mal une phrase, puisque je me suis demandé "pourquoi est-ce qu'il raconte une lutte de cavaliers maintenant ?"). Et oui, les parasites ne sont pas infaillibles, telle est la leçon du jour.

M'enfin, tout ça pour dire qu'on avance dans le personnage de Samyël. Les doutes, la confusion qui règne renseigne une fois de plus sur son aptitude à déchoir tôt ou tard. Cependant, nous n'avançons pas beaucoup dans l'histoire en elle-même. Serait-ce la métaphore d'un temps qui ne changera pas tandis que Samyël se métamorphosera ? L'allégorie de l'adolescence ? Auquel Samyël sera bien sûr confronté lorsqu'il se rendra compte que si, bien sûr, évidemment, le temps a passé et il doit faire office d'adulte et de chair à canon pour une guerre absurde.

Bref, un bon chapitre, avec une belle description également, que j'ai un peu zappée dans le commentaire, mais qui est plutôt réussie. Voilà, voilà.

Parasitage accompli. Délivre nous bientôt la suite quand même :$
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le jeudi 17 janvier 2008, 19:13:30
Hop Hop, me revoilà :) Mais non point avec du Cycle, vous m'en excuserez... Mais avec quelque chose de presqu'aussi bien: Le début de la Troisième Partie de la Geste du Chevalier Argoth *3* Mais avant, réponses aux commentaires =)

PdC==>Ha, mais Konan, ça avait un p'tit côté noble et sans peur, que je trouvais approprié et que... Bon, j'avoue, c'était naze v_v Ca servira pour le bétisier :rire:
Lowl, bon appétit alors xD Enfin, ça me rassure ce que tu me dis là :niak: Je peux donc continuer les yeux fermés =p
Et oui, rien ne va plus en Arch'Land, le roi est faible, le royaume encerclé... Bref, comme tu dis, attendons de voir :)
lol Enfin, je t'avais prévenu les longues descriptions n'ont jamais été mon fort, mais je pense m'en être sorti honorablement cette fois même si c'est vrai qu'elle aurait gagné à être plus longue et tout ça :)
(et oui, j'ai saisi l'allusion :love:)
:<3: Content que tu ais apprécié le passage du doute, j'avoue avoir pris énormément de plaisir à l'écrire moi même  :$
Bref, encore une fois merci pour ce commentaire :love:

Nehëmah==>LoL Oui, FF6 est un de mes échecs vidéoludiques, j'ai jamais réussi à accrocher xD LoL oui, bon, laisson à ce brave Josef ce qui lui appartient, hein? ;p
Et oui! Argoth s'est infiltré dans le Cycle, le coquinou :niak: Pour te répondre, sois assuré que cette rapide référence est loin d'être la seule chose d'Argoth qui apparaîtra dans le Cycle, mais je n'en dis pas plus :niak: Et je réponds à ton impatience par cette suite Argothienne ;p
\o/ Effectivement, longue vie au roi, PdC ne s'y est pas attaché xD Bref, je ne sais pas si leur destin te decevra, j'espère que non :niak: Les trois autres personnages n'ont effectivement pas d'intrêt dans cette scène, vu qu'ils en prennent plus tard. C'était juste pour les introduire :niak:
Oui, l'imagerie générée par le combat chevaleresque est volontairement floue, afin que vous puissiez l'interprêter comme bon vous semble ^^
A toi aussi, un grand merci pour ce commentaire :love:


Bien, maintenant passons à l'essentiel, le texte! =) Bon retour aux côtés d'Argoth et du brave Sandiego, et surtout bonne lecture...


________

III/VI. La chasse Infernale.
(Première Partie.)

Ainsi, comme Nymérius nous l’avait conseillé, nous guidâmes nos montures vers les étendues sauvages de l’Est du Sud. Nous laissâmes derrière nous les contrées civilisées et accueillantes, pour entrer sur les territoires maudits des Fëorés, les guerriers démons à cornes. Les douces forêts disparurent, tout comme les plaines verdoyantes ; les ruisseaux se tarirent à mesure que nous progressions, la terre devenait morne sous les sabots de nos montures, la végétation se raréfiait et le vent s’essoufflait. La peur rôdait sur ces terres, montée sur les sombres nuages qui toujours couvraient le ciel. Les éclairs déchiraient les cieux inlassablement, mais nulle pluie ne venait jamais caresser la terre sèche et maladive. Ici, tout n’était que désolation.
Les démons avaient chassé les hommes de ces contrés, et pris possession des lieux, les défigurant d’atroce façon pour que jamais la nature ne reprenne ses droits. Je frissonnai en contemplant d’un air épouvanté le paysage désolé. Derrière nous, à deux lieux à peine, j’apercevais encore la verdoyante plaine d’Arkéo’Lhan   qui me tendait les bras. Mon cœur battait, mes mains tremblaient. La poussière me brûlait les yeux et asséchait mes lèvres et ma langue. Au devant, l’Enfer nous attendait.
« Maître, je vous en pris, faisons demi tour. Seule la mort nous attend en ces funestes contrés, implorai-je »
Messire Argoth resta droit et immobile sur sa selle. Pour la première fois, je le voyais hésiter. C’était bien la preuve que rien de bon ne pouvait se trouver plus avant.
« Non »
Telle fut sa réponse, claquant dans l’air comme un coup d’épée. Puis, sans attendre, il talonna Sor’n et repartit. Moi, je ne le pus. Je n’avais pas le courage de mon Maître. Je n’avais pas sa vaillance, ni sa science de l’épée. Je n’avais pas sa bravoure sans faille, ni sa lame magique. Aussi, je fis ce que tout homme aurait fait à ma place. Je tournai brides et regagnai les terres plus accueillantes de l’Ouest.
Une flèche siffla dans les airs et se ficha dans le pommeau de ma selle. Surpris, je regardai alentours, mais il n’y avait personne. Messire Argoth était déjà loin derrière. Enroulé autour du trait, un parchemin. Je le déroulai.
« Attend moi »
Ce n’était pas signé, mais je sus de qui cela provenait. Aussi, lorsque j’atteignis la mince ligne herbeuse qui séparait l’Arkéo’Lhan des terres Fëoriennes, j’arrêtai ma monture et montai mon campement.

Ce qui suit sont les évènements qui arrivèrent en terre maudite en mon absence. Je les raconterais tels qu’ils me furent dits par Messire Argoth en personne, au cours de sa quête.
« Plus j’allais vers l’Est, plus l’acidité du vent me prenait à la gorge. La poussière s’infiltrait dans mon armure, dans mes yeux, dans ma bouche. Sor’n lui même peinait à avancer. L’ombre du Démon s’étendait sur moi, m’enserrant de ses bras putrides. »
Le brave et vaillant Sor’n finit par basculer sur le côté, lentement afin de laisser à son maître le temps de descendre. Messire Argoth récupéra son arc et son carquois, son épée et son écu. Puis il dessella sa monture et posa l’ensemble de son paquetage sur le sol.
« Ô fidèle compagnon. Je comprends ta douleur. Attends moi ici, et veille sur mes biens. Je ne serais pas long. »
Ainsi le Chevalier reprit sa route à pied, dans l’enfer desséché des terres Fëoriennes.
« Plus j’allais, plus ma cuirasse me pesait. Je ne tardai guère et m’en débarrasser, ne conservant que mon bouclier, Arendia, et l’Arc. Ma plus grande crainte était de tomber sur une tribu de Fëorés, car dans mon état je doutais de pouvoir combattre. Mais je devais continuer, car peut être que la Faërite se trouvait au bout de cette épreuve, du moins ce qui me mènerait à elle.
« Au bout d’un moment qui me parut une éternité, je fus trouvé par une bande de maraudeurs. Des cris s’élevèrent tout autour de moi, inquiétants, menaçants. C’était des hommes, mais ce n’en était pas en même temps. Ils se tenaient sur deux jambes, comme toi et moi, mais étaient voûtés, bossus. Leurs faciès hideux étaient encadrés de crinières de cheveux emmêlés et sales, grouillant de vermine immonde. Leur peau sombre et entachée se confondait avec la terre, et ils arboraient des lances grossières et des rocs, qu’ils projetaient aussi loin qu’ils le pouvaient, au vu de leur petite taille. Ils étaient vêtus de rien.
«Ils m’encerclèrent rapidement, me coupant ainsi toutes possibilités de retraite. Je ne pouvais pas les affronter, ils étaient trop nombreux. Je ne voulais pas mourir ici, car j’aurais fini seul et oublié de tous, sans gloire ni honneur, et mon squelette aurait nourri les vers putrides de terres dévastées. J’eus alors une idée. Je pris dans mon carquois l’une des trois flèches d’or que j’avais récupérées sur le trésor de Tarask. Je la fis scintiller grâce aux rayons de soleil maladifs qui parvenaient difficilement à franchir les épais nuages. Les maraudeurs arrêtèrent leurs chants de mort pour observer. Ils semblaient fascinés, et moi je priais pour que mon  plan réussisse. Doucement, j’encochai le trait, et tendis la corde de mon arc. Je visai le ciel puis relâchai la pression. La flèche partit comme le vent. Les maraudeurs, surpris et effrayés, s’enfuirent en hurlant, et moi je soupirai de soulagement.  Je savais que je n’étais pas passer loin du royaume des morts et je remerciai tous les dieux de m’avoir laissé la vie sauve. »
Messire Argoth poursuivit son périple, de plus en plus épuisé. Il finit par arriver aux abords d’un fleuve à sec, dont le pont était gardé par un homme en armure noire.
« Il était étrange. Sa cuirasse était épaisse, faite en plaques polies et lourdes, son casque, ne laissant voir que deux yeux sombres était surmonté d’une paire de corne impressionnantes. Une épée plus grande que moi était fichée en terre devant lui, et une formidable hache de bataille pendait dans son dos. Il inspirait la crainte et la peur, mais il se montra étonnamment courtois.
« -Halte là, voyageur. »
« Il parlait sans agressivité, serein, d’une voix que je qualifiais de douce et rassurante. Cela tranchait d’autant plus avec son apparence.
-Derrière ce pont s’étendent les territoires de chasse du maître des lieux. La voie est bloquée.
-Je souhaite tout de même m’y rendre. Je suis à la recherche d’un autel.
-Ce que vous cherchez se trouve bien de l’autre côté. Mais je vous répète que la voie est close.
-Qu’est-ce qui m’empêche de passer ?
-Mon épée et ma hache.
-Dans ce cas je traverserais par la rivière.
-Je vous lancerais un poignard dans le dos.
-J’irais plus loin.
-Je vous suivrais.
-Vous gardez ce pont.
-Certes, mais vous êtes la première personne à vous présenter ici depuis des siècles. »
« Des siècles ? Mais dans ce cas, la Faërite a toutes les chances de se trouver là bas !, pensais-je alors. Il fallait que je poursuive ma route, coûte que coûte. »
-N’y a-t-il vraiment aucun moyen ?
-Aucun.
-Et si je vous tue ?
-Vous pouvez essayer.
-Vous êtes fort.
-Probablement.
-J’essaierais quand bien même.
-Pourquoi vous obstinez vous ? Si vous voulez mon avis, vous avez plus de chance de survivre si vous rebroussez chemin. La nuit va bientôt tomber ; c’est bientôt l’heure.
-L’heure de quoi ?
-Il vaut mieux pour vous de ne pas le savoir ; si effectivement vous ne savez pas, ce qui serait original de la part d’un voyageur s’aventurant dans ces contrées.
-Parle.
-Non, j’en suis navré.
-Je le suis aussi. Ma quête touche à sa fin semblerait-il…
-Vous parliez d’essayer de me tuer.
-J’ai peur d’avoir plus de chance d’échouer que de vaincre.
-Vous êtes un sage.
-Qui vit ici ?
-les Fëoriens.
-En êtes vous un ?
-Non point. Je ne suis qu’un humble Chevalier.
-Vous mentez. Un Chevalier ne vit pas plusieurs siècles.
-C’est vrai. Votre sagacité vous honore, messire… ?
-Je suis Argoth, messire Argoth. Pourquoi mentez-vous ?
-Je ne vous mens pas. Mon âge est bien tel que je prétends qu’il est.
-Comment cela se fait-il ?
-J’ai renié mon roi, et pour me punir, il m’a banni ici. Le Maître m’a trouvé, et m’a octroyé l’immortalité en échange de mes services.        
-Vous ne pouvez mourir ?
-C’est cela même.
-Dans ce cas, vous combattre ce serait perdre forcément.
-Vous êtes dans le vrai, encore une fois.
-Par conséquent, si je vous bats en combat singulier, cela augmentera ma renommé ?
-En théorie oui. Mais n’oubliez pas que c’est impossible.
-Me permettez vous de la vérifier ?
-Je vous en pris. »
Messire Argoth se déchargea de son arc et de son carquois, les laissant reposer à même le sol. Il empoigna son écu et défera son épée. Le Chevalier Noir saisit sa hache dans un cliquettement métallique et se mit en position à son tour.  
« Êtes vous prêt ?, demanda Argoth.
-Je le suis.
-Très bien, alors j’arrive »
Messire Argoth s’élança, et donna un grand coup vertical qui fut paré d’un geste nonchalant. Il esquiva avec peine le revers qui suivit.
« J’abandonne.
-Déjà ?
-Vous êtes trop fort.
-Non, vous vous trompez.
-Comment cela ?
-Vous êtes trop faible.
-Non, je persiste, vous, êtes trop fort.
-Votre fierté vous aveugle messire.
-Messire Argoth.
-Si vous voulez… Allez vous partir à présent ?
-Certes non, j’ai peur de mourir durant le voyage de retour.
-Dans ce cas les dieux aient pitié de votre âme. Vous mourrez de la main du maître.
-Qui est-ce ?
-Le roi des Fëoriens.
-Il doit être terrible.
-Assurément.
-Quel est son nom ?
-Daz’Raël.
-J’ai déjà entendu ce nom.
-Alors vous savez quels dangers vous courez en restant ici.
-Ai-je une chance de le vaincre ?
-Vous seriez idiot d’essayer.
-Mes chances sont meilleures contre vous ?
-Vos chances de mourir sont égales.
-Dans ce cas, je réessaye. Etes vous prêt pour la seconde manche ?
-Venez.
-Je suis là. »
Messire Argoth repartit à la charge. Il buta de nouveau sur l’épais manche de la hache qui repoussa son assaut. La tête de l’arme fila vers lui à toute vitesse, et le Chevalier ne dût sa vie qu’à son écu, qui craqua effroyablement sous l’impact mais tint bon. Messire Argoth profita d’une légère brèche dans la défense dans son adversaire pour se fendre. Arendia scintilla soudainement, et elle traversa la lourde armure comme si c’eût été un vulgaire habit. Le Chevalier Noir reçut une blessure sévère et recula en titubant.
« Comment ?, demanda-t-il avec étonnement.
-Voyez, vous n’êtes peut être pas si invincible que vous prétendez l’être. J’ai mes chances.
-Qui êtes vous ?
-Je suis Argoth ! Messire Argoth ! Chevalier libre en quête de la Faërite. Ecartez vous de mon chemin, et je vous laisserais la vie sauve.
-La vie sauve ? Le Chevalier éclata de rire.
-Qu’y a-t-il de si drôle ?
-Ha, vous vous enorgueillissez trop vite, messire Argoth. Vous ne m’avez infligé qu’une blessure. Ma vie est loin d’être en danger. Vous mourrez avant moi.
-Vérifions, si vous le voulez .»
Le combat reprit, plus fort, plus vite. L’étrange Chevalier Noir  se battait à présent avec toutes ses forces, frappant avec des coups calculés, ne laissant aucune faille dans sa défense. Petit à petit, il repoussait Messire Argoth, qui peinait de plus en plus. D’un revers habile, ce dernier parvint à trancher le manche robuste de la Hache, forçant son adversaire à se saisir de sa lourde épée. Mais le poids important de l’arme ne sembla nullement le gêner, au contraire, son habilité s’accrue.
Le bouclier de Messire Argoth se brisa soudainement sous la violence d’un coup particulièrement barbare. Le choc paralysa son bras et le jeta à terre. Il se releva aussitôt et repartit au combat. Ses bottes et ses feintes, d’ordinaire si redoutables, ne prenaient jamais le Chevalier au dépourvu, et il les contrait avec facilité. Plus les échanges s’éternisaient, plus les chances de victoires semblaient s’éloigner. Finalement, d’un coup de botte dans le ventre, le Chevalier envoya bouler son adversaire. Il se dressa au dessus de lui, prêt à l’embrocher lorsqu’Argoth, à la vitesse de l’éclair, se remit en position et se fendit d’un geste ample, transperçant le casque et le crâne du Chevalier. La scène sembla se figer, puis tout doucement, l’homme lâcha son épée qui disparut en poussière. Un rire jaillit du casque.
« Haha ! Je te félicite, Argoth. Tu es le premier à me vaincre. Je t’en félicite. Je ne puis plus t’empêcher de poursuivre ton chemin ; va, tu as ma bénédiction mais n’oublie pas ! Le maître ne sera pas très loin… Sache que ta bravoure sera connue longtemps avant que tes ennemis t’affrontent. »
Puis, dans un soupire, son corps et son armure se brisèrent en milliers de petites billes de fer noir, avant de se disperser aux quatre vents.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Prince du Crépuscule le dimanche 20 janvier 2008, 15:52:44
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le mercredi 06 février 2008, 16:42:46
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Berduck le sheikah le lundi 11 février 2008, 17:06:43
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Link 1er le lundi 11 février 2008, 20:50:22
Samyel, je tien a te félicité! Je lis cette fiction depuis pas mal de temps mais je dois reconaître que la je ne m'y attendais pas! Je faire refuser l'entrée! Quand cracheras tu l'origine de ses pouvoirs? (ceux d'un démon a mon avis). En tous cas continu! (tien je devrai continuer ma fic moi mas bon.....j'suis pas préssé!^^)
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le mardi 12 février 2008, 12:17:12
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Prince du Crépuscule le mardi 12 février 2008, 19:35:12
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Link 1er le mercredi 13 février 2008, 17:39:09
PdC, Samyel, merci beaucoup^^ mais vous savez je suis cette fic comme quelques autres dpuis plusieurs mois mais j n'ai jamais osé participé. En tout cas j'ai bien aimé c dernier chapitre Samyel^^ Au fait tu ne serais pas fan de warcraft 3 the frozen throne par hasard? En tout cas continu j'adore! Et pour une fois j'éssarais d'être patient pour savoir d'où sortent les pouvoirs de Samyel.

PS: pourriez vous voir ma fiction (La fin des mers) que j'ai débuté il y a quelques temps? Personne ne laisse de comentaire du coup je ne sais pas ce qu'elle vaut
-_-" Et vu que ctte semaine j'ai beaucoup d travail ça serait bien qu'a la fin j'ai de quoi améliorer la fic.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Nehëmah le mercredi 20 février 2008, 16:45:00
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le samedi 01 mars 2008, 19:48:15
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Link 1er le mercredi 05 mars 2008, 17:45:53
Wow! Ça c'est ce que j'apelle un post! Bon franchement j'avoue être déçu par l'absence de suite mais j'ai bien aimé les image d'argoth (j'avoue que je ne sais qui je préfère entre lui et samyël^^). Pour te répondre sache que je suis moi aussi un grand fan de warcraft mais j'ai posé ma question parceque le moment ou les titants se réveillent(j'espère que tu ne les as pas oubliés!) ressemble énormémant a la cinématique d'intro de la campagne de The Frozen Throne, où Ilidan réveille les Nagas......tu n'aurais pas l'intention de faire un truc dans le genre par hasard?^^ Sinon, ben, a quand la suite?^^
Pour ce qui est de ta nouvelle d'abord scénaristiquement parlant: je devine des choses mais je n'en dirais plus, sinon pour ce qui est de la "morale" je crois que tu rend très bien compte de la société.
Pour ce qui est de l'orthographe....le moins qu'in puisse dire c'est que c'est moins élogieux! D'abord, tu n'a même pas comencé la nouvelle que PAF! Une faute: quant on met "une" le mot suivant et forcément féminin ou s'y acorde...donc ton "petit" doit prendre un "e" a la fin. Ensuite: tu as écrit "pour que les professeurs n'informassent pas son père", sache que le pasé simpe n'a pas sa place ici, même si c'est grammaticalement correct, il n'est pas utilisé ainsi et tu devrai mettre un présent beaucoup plus adapté --> n'informent, ça le fait mieux non? (m'a prof de français aurait vu ça tu aurais eu droit a joli cours sur les temps verbaux^^). Par contre j'ai bien aimé le coup sur le nom du groupe de musique: "Comment s'apelait-il déja?"; très habile! Il y a d'autres fautes d'accord mineures mais ça ira comme ça, je vais pas te plomber dès ma 1ere vrai critique non? :ash:

PS: Y a t-il quelqu'un ici qui pourrait me faire une bannière et un avatar?
PS2: PdC; excuse moi si tu te sens pris de cour, mais je ne voulais pas prendre volontairement prendre ta place si c'est ce que tu pense^^
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Nehëmah le dimanche 09 mars 2008, 12:56:51
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Prince du Crépuscule le mardi 11 mars 2008, 23:21:49
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le dimanche 16 mars 2008, 16:00:42
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Nehëmah le dimanche 16 mars 2008, 17:39:27
Aaaaah, enfin une suite :niak: C'est donc avec une joie non-contenue que je souhaite un joyeux anniversaire à La Tour du Rouge, et bien entendu à son illustre représentant, Samyël ! Avec pour cela des félicitations à la maman (hein ? ah... Oui, d'accord) au papa, donc ! Bravo pour cette année de braves et loyaux services, où tu nous auras fait évader et même encore !

Et oui, car il faut bien el souligner, ce nouveau chapitre n'avance peut-être pas énormément la trame (bien que dans mon sens, si, on apprend énormément de choses et Samyël parvient enfin à pénétrer dans la Citadelle !) mais pose incontestablement le cadre des chapitres à venir.

Bon sang, que de précisions, que de choses à dire... Tout renifle bon la vieillerie et la magie, tout a une bonne odeur de vécu et de tradition. Je ne sais pas si Samyël s'y plaira mais en ce qui me concerne ce serait le Nirvana. J'ai adoré en particulier la bibliothèque..; Bon sang cinq étages et absolument aucun ordre de rangement :niak: ... J'ai hâte de voir à quoi ressemblera le bibliothécaire xD A mon avis, s'il n'est pas aigre et désagréable, il devrait être bien marginal et extravagant. Quant au ptit vieux, c'est une véritable entrée en matière : direct le bâton dans la poire. De prime abord il paraît presque furieux de voir un nouveau mage, et paraît un tantinet désagréable par la suite ; est-il vraiment bien sympa ce bonhomme ? :niak: En tout cas, il sert de guide à merveille, il dirige le jeune mage avec concision et lui remplit la tête d'informations qui éveillent des désirs de connaissance.

J'adore cet endroit. La Citadelle est déjà mon endroit préféré. Un véritable ilôt d'érudition, qui possède une histoire marquante et frappée d'une certaine ferveur. J'adore, bon sang. Cet endroit où sont enterrés les sages, avec le noeud Arcanique, l'ancien terrain d'entraînement qui a ironiquement laissé place à la technologie, la philosophie stoïciste des mages... Tout est exemplaire et doit fourmiller d'anecdotes dont toi seul en a le secret :niak: J'aimerais tant lire tous les livres de cette bibliothèque  :niais: D'ailleurs, j'ai une question à ce propos : est-ce que le livre d'Argoth serait spécifiquement contenu dans cette bibliothèque ou bien cette légende est-elle connue de tous ? (il me semble que oui mais j'ai pas tout retenu :niak: ).

Bref, je susi fan. Il ne reste plus qu'un petit coup d'Argoth et je serai aux anges. Et à quand un nouveau personnage qui illustre une nouvelle époque de cet univers si personnel, si fouillé ? :niak:

En tout cas ce chapitre 19 m'a pleinement satisfait, après un an tu n'as donc pas perdu la main ! Que dis-je, tu t'es amélioré, évidemment, je constate que ton annexe est presque venue au bon moment, comme une sorte de bilan.
Longue vie à la Tour du Rouge :love:
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Prince du Crépuscule le dimanche 16 mars 2008, 19:48:43
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le vendredi 04 avril 2008, 17:19:10
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Kyren le vendredi 04 avril 2008, 17:47:23
rès bon chapitre(mème si je n'ai pas tout compris étant donné que j'ai rattrppé la série en relecture rapide...)
En tout cas je suis d'accord avec toi sur l'idée d'écrire en écoutant de la musique, contrairement à ce que certains croit ce n'est pas génant et ça peut devenir une source d'inspiration^^
Cela dit bravo continu ton histoire c'est toujours aussi plaisant à lire.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Prince du Crépuscule le mercredi 09 avril 2008, 19:52:05
Bien, puisqu'on m'a usurpé ma place qui me revenait de droit et de coeur de poster en premier sur les commentaires des fictions, moi qui voulais te réserver cette surprise et entraîner la joie de chacun, et en aval la tienne propre, puisqu'on a fait son entêté, je vais poster ici même ce qui me tient tant à coeur. Oui ici même, dans l'intimité de ta fabuleuse Tour du Rouge, en un sorte de face à face entre l'auteur que j'estime le plus en ces lieux, et le commentateur chevronné que je suis (enfin je pense ^^), ce sera des plus significatifs. :<3:
Je voulais donc te dire, et avec une certaine émotion, je ne le cache pas...

Joyeux anniversaire, mon Mage Vermeil!!

Eh oui je ne pouvais résister, et je l'ai fait! Qu'est-ce que tu ne me ferais pas faire hein? fufu ;p En écho à mes pensées enjouées, je te souhaite donc tout le bonheur et la réussite possibles pour cette nouvelle année de ta vie, déjà ponctuée d'oeuvres d'une inventivité et d'une qualité admirables et saisissantes. Mais ce que je te souhaite le plus -et cela peut sembler risible pour toi (^^), c'est une bonne inspiration, qui, même si je sais qu'elle ne te quittera jamais, tracera dans mes voeux un plus beau chemin encore pour tes superbes morceaux de littérature. :)

Une longue vie à toi et à ta plume donc, et une heureuse nouvelle année de ton existence, voici le peu et la quantité non négligeable à la fois de ce que je peux espérer pour toi, sans trop m'épancher. (ce serait dommage que tu aie mal à la tête à cause de moi, et pour ce que je voulais te dire qui plus est, je crois ;p)

Et pour ce sublime morceau de mélancolie que tu nous as offert, tu sais déjà tout ce que j'en pense, c'est vraiment du grand art, d'une sensibilité accrue et touchante, et c'est surtout merveilleusement écrit. Cette lecture, triste et dolente, m'a véritablement ému, au point de m'en retrouver tout accablé par la suite. Je ne peux qu'applaudir pareille maîtrise et beauté, surtout que je crois bien que c'est la première fois que je te vois t'épancher autant lyriquement, et donc poétiquement. Une vraie surprise qui m'a marqué, et qui ne m'a pas laissé sans éblouissement. :niais:
C'est une franche réussite en somme, le Prince du Crépuscule s'incline donc doublement devant toi, en ce jour d'anniversaire bien sûr -et en premier lieu- mais aussi pour cette magnifique fiction empreinte d'une émotivité vibrante, à laquelle j'ai été plus que réceptif. ^^

Je te souhaite donc un bon anniversaire pour clôturer ce message, en espérant que tu pardonneras sa longueur malencontreuse. :<3:

PS: En plus j'inaugure la septième page, chiffre de chance, et qui représente en plus le nombre de jours séparant les chiffres du jour de notre naissance, si c'est pas beau ça! :)
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: John Craft le jeudi 10 avril 2008, 22:09:49
Je me demande si le terme "rendre hommage" est pleinement mérité... Non, GMS, tu mérites plus qu'un hommage, tu mérites une adoration. Tu as fait... quelque chose de grandiose. Ton histoire... est magnifique, merveilleuse, admirable. La qualité de l'écrit, narratrice, l'histoire... tu nous transporte, tu nous emplis !
GMS, je te conseille de continuer. Je peux me montrer menaçant, déjà... mais aussi, et surtout, tu as quelque chose que tu n'as pas le droit de perdre. Quand on a une capacité telle que la tienne, on la nourrit. On la chérit. Et on n'a pas le droit de l'ignorer. C'est un mal. Humainement, c'est mal.
Alors, par pitié, continue.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: raphael14 le jeudi 26 juin 2008, 15:46:43
Pour remédier à la terrible culpabilité qui me ronge depuis un bon moment, car j'ai entamé ta fiction depuis déjà très longtemps et je ne l'ai même pas commentée, je pensais qu'il aurait mieux valu que j'achève ma lecture avant de livrer mes impressions. Mais après une très mûre réflexion, j'ai estimé qu'il était nécessaire de t'encourager.

Je dois dire que tu écris super bien. Dès les premiers chapitres, on sent tout de suite que tu sais écrire, tu as su créer un univers très proche du Seigneur des Anneaux et je paris que tu es fan de Tolkien, revenons à l'essentiel. Tes personnage sont très vivant, leurs attitudes sont cohérentes avec leurs caractères, et surtout ils sont très attachants. L'innocence de Samyël saute aux yeux et la tendresse presque paternelle de Rirjk aussi. Puis il y a la sauvagerie des chasseur de sorciers qui par fanatisme n'hésitent pas à assassiner des hommes des femmes et des enfants. Ce genre de comportement fait froid dans le dos. Et en parlant de frisson, quelques un de tes chapitres ne sont pas très rassurant, comme par exemple quand Rirjk va chercher son élève dans le monde des morts et quand Samyël lit le livre sur la démonologie. Les ambiances sont exceptionnellement bien rendues, ont s'y croirait. J'ai aussi apprécié la séquence avatarienne du chevalier Argoth, avec ses combat épiques contre la bête vivant dans la source ou encore le dragon qui nuit au magicien. Personnellement je ne me suis jamais ennuyé en te lisant.
Aussi vais-je ajouter quelque chose, en lisant le dernier commentaire posté par John Craft, je me suis rendu compte que tu avais l'intention d'arrêter d'écrire. Je te demande donc de continuer ta fiction, c'est pas tout les jour que je lis un truc aussi bon.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le lundi 02 mars 2009, 18:42:06
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Ganon d'Orphée le lundi 02 mars 2009, 21:48:02
Doublement parfait !
Premièrement car nous assistons aujourd'hui au retour sur cette bonne terre du sous-forum Littéraire d'un mage dont la plume magique nous manquais, une sorte de "Gandalf le Gris" de l'écriture : notre GMS le Rouge (oui je sais on dirais vaguement une référence à Tintin !).
Deuxièment car ce retour se double de la mise en orbite d'une nouvelle merveille (nous allons bientôt pouvoir renommer ce topic "La Caverne aux Merveilles", dommage il n'y aura plus que les diamants d'innocence qui pourront entrer ...). Et cette merveille ...

Cette merveile s'appelle Monarque et c'est excellent ! Il y a un maniement du narrateur interne qui frole la virtuosité, avec un niveau de langage parfois déplaisant quand on rêve des marbres de Rome, mais bon  c'est quand même agréable et surtout cela colle aux personnages qui s'approchent plus des Gaulois que des Romains.
Le style est excellent, l'histoire est excellente, les personnages sont excellents (sauf cette Araignée, arachnophobie oblige !). J'adore particulièrement Monarque et Tapinois. Nous retrouvons la même plume, excellente. Et puis l'idée de base qui revient à la fin du 5 d'un homme qui écrit dans des carnets les choses que nous lisons, cette idée aussi est excellente. Pardi, que d'excellence !

Je n'aurais qu'une chose à dire : ce Monarque est ROYAL !
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le dimanche 08 mars 2009, 17:38:12
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le samedi 14 mars 2009, 14:15:00
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: raphael14 le samedi 14 mars 2009, 18:41:53
Superbe.
J'avais déjà bien aimé le Cycle du Rouge mais là ! C'est incroyable, on reste plongé dans le récit de la première à la dernière ligne et cet effet est encore accentué par le point de vue interne et l'utilisation de la première personne. Le langage familier et l'argot ne servent qu'à rendre l'histoire plus vivante. Génial.
Vivement samedi prochain.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le dimanche 22 mars 2009, 19:03:28
Merci pour le commentaire Raphael =)
Content que ça te plaise.

Sans plus tarder, la suite, à la semaine prochaine!


_________

[align=center]8.[/align]


Un jour s'était écoulé depuis notre opération.
Je m'étais échiné sur les 15 kilomètres du retour à inventer un bobard quelconque pour ne pas donner la cassette au capitaine. Avec plus ou moins de succès. On avait réussi par un miracle démentiel à coincer 4 chevaux rescapés de l'embuscade. Fourbus comme on était, on en a profité. J'ai chevauché en tête, avec Rose. En d'autres circonstances, j'en aurais profité pour laisser traîner mes mains, mais elle avait vraiment pas le moral, et je me sentais mal de faire ça. Elle a quand même serré la main que j'avais placée sur son ventre pour la maintenir tout le long de la route. Araignée montait avec Tapinois, et leur cheval tirait une civière transportant Ken, toujours dans les vapes. Zed et Manchot partageaient un autre canasson, et enfin Ciguë faisait cavalier seul. Bière avait une répugnance extrême pour les chevaux. Je ne sais pas pourquoi, et ça ne m'intéresse pas plus que ça de le savoir. Ca lui a permis, après quelques années avec nous, de développer son endurance de façon exponentielle. Il court à côté tout le long du chemin, même au galop.
Une fois arrivés au camp, un peu avant l'aube, on a filé droit dans nos couvertures et écrasé comme des masses pendant des heures. Dans l'organisation du 6e, et même des 7, nous n'existons pas officiellement, mis à part moi, le Porte-Étendard. Nous n'avons donc aucune tâche formelle, et pouvons dispenser notre temps comme nous l'entendons en dehors des missions. Par contre, nous sommes quand même sujets aux mesures disciplinaires. Hélas.    
J'ai été le dernier à me réveiller. Hé! Je dois régénérer deux fois plus d'énergie qu'un homme normal, moi. Mais, chose surprenante, je n'ai pas été réveillé par une estafette, ou un soldat. Non, tout seul. J'ai tablé sur le fait que le capitaine était retenu ailleurs par d'importantes affaires. Ca m'arrangeait bien. Araignée m'a placé un bol d'un truc pâteux et peu engageant dans les mains. Au moins c'était chaud et ça se mangeait. Je crevais de faim. On lui avait bandé le torse pour qu'il guérisse plus vite. Il avait l'air de se porter déjà mieux. Ken s'examinait le torse avec dégoût. Il avait tout sauf la tête du type qui avait failli pouvoir faire de la corde à sauter avec ses boyaux. Ce gars est pire qu'un cafard. Rose s'entraînait contre les mannequins de bois.
"Comment vous sentez vous, ce matin, Chef?, m'a fait Araignée.
-Assez en forme pour émasculer une armée d'Orks. Dis, c'est quoi ce truc infâme?
-Goulache d'Orks sur sa jardinière de légumes frais.
-Ha, je me disais aussi."
Les fastueux repas qu'on me servait dans des couverts d'argent à Aethor n'étaient plus que de très très pâles réminiscences dans mon palais.
"Où sont les autres?
-Zed et Manchot sont partis chercher de quoi faire une fausse main à Manchot. Bière est parti faucher des céréales dans un champ qu'il a vu sur la route, pour brasser un peu de bière. Ciguë est allé trouver des herbes je sais pas où. Et Tapinois..."
Il a haussé les épaules de façon assez éloquente.
"Je suis là, a fait l'horrible petit gros barbu."
J'ai mimé une attaque cardiaque quand j'ai vu sa sale bobine.
"Des nouvelles?, lui ai-je demandé en reprenant un peu de cette immondice.
-Non. J'avais besoin de repos moi aussi."
J'ai hoché la tête. Il en fait toujours plus que nous.
"Des nouvelles de notre capitaine adoré?
-Il est là. Mais il a pas l'air de se rappeler de nous.
-Tant mieux. Espérons qu'ils nous oublient définitivement. Tapinois, tu ferais quelque chose pour moi?"
Il a pas répondu, attendant patiemment ma demande. Bon, d'accord, mon ordre. Mais les apparences sont importantes.
"Va fureter à droite à gauche, je veux savoir ce qui se dit à propos d'hier."
Il a acquiescé et s'est fondu dans la masse.
Il est revenu quelques heures plus tard, pendant que je noircissais des pages et des pages de ces carnets.
"C'est le chaos.
-Ha ouais?
-Ouais."
Il a rien dit pendant quelques minutes, mâchonnant un morceau de pain. Je le force jamais à parler. On a le temps.
"Notre stratagème a marché. Les survivants ont bien dit à Kertag que c'est le 4e qui a fait le coup.
-Combien de survivant d'ailleurs?
-Je ne sais pas exactement. Environ une dizaine."
Je me suis arrêté d'écrire un moment pour le regarder.
"Si peu?
-Faut croire que la nouvelle pestilence de Ciguë fait des miracles.
-Ouais. Vive nous.
-Kertag est allée elle même voir Ombre de Mort, avec une poignée d'hommes. Elle était furax de ce que j'ai pu entendre. Mais Ombre de Mort a été le premier étonné. Il a juré qu'il n'y était pour rien. Par contre, il a été très intéressé par la raison de notre embuscade. Kertag n'a pas été très fine sur ce coup là. Maintenant, on sait qu'il y a au moins 4 lieutenants sur le coup, dont le capitaine.
-Et donc, virtuellement ça peut être n'importe qui..."
Il a hoché la tête. Tout ceci était excellent. Pour nous bien sûr. Si il y avait eu un seul soupçon sur l'implication du 6e, le capitaine aurait fait un exemple de notre cas devant tout le monde, en disant que son régiment devait être exemplaire.



[align=center]9.[/align]


Le chaos.

Les explosions, les tremblements de terre, les cris. Cris de souffrance, d'agonie, de surprise, de rage, de surprise. C'est tout ce merdier qui m'a réveillé la nuit suivante. J'avais encore dans le cerveau les dizaines de pintes de la bière excellente brassée par l'homme du même nom. Soûl. Rond. Bref, dans la merde. J'ai repoussé Araignée qui me ronflait dans les oreilles. Beurrés, on l'était tous.
J'ai ouvert grand mes yeux ensommeillés, mais quand j'ai reçu une flèche perdue dans l'épaule j'ai vite retrouvé un semblant de lucidité. Heureusement, l'alcool abrutit les sens. J'ai pas crié. Enfin, pas trop fort. Juste assez pour réveiller mes hommes.
"Bougez vous le cul!, j'ai hurlé en les frappant avec mes bottes. On est attaqué!"
Putain, mais qui? En pleine nuit qui plus est, c'est pas fair-play. Mis à part Tapinois, qui déjà s'activait à rappeler aux autres leurs devoirs de soldat, tout le monde grognait de mécontentement. Il a fallu qu'un boulet de canon explose à dix mètre de notre position, nous envoyant terre, sable et morceaux de cadavre pour qu'ils prennent conscience de la situation. Je me suis relevé en crachant, momentanément désorienté. Mon monde tanguait dangereusement. J'ai vomi.
"Chef, qu'est-ce qu'on fait?, m'a hurlé Araignée dans les oreilles."
Autour de nous, le campement était à feu et à sang. On subissait un tir nourri d'artillerie et des pluies de flèches nous tombaient dessus.
Un sifflement strident survenu des enfers a filé vers nous.
"Au sol!, a crié Bière."
L'explosion suivante nous a envoyé des éclats d'obus assez gros pour décapiter un taureau. Ils nous ont survolé et sont allés décimer nos collègues. Assez lucide maintenant pour imaginer un début de plan, j'ai créé un bouclier réflecteur, juste assez grand pour nous protéger tous. J'ai observé la situation pendant qu'ils se foutaient des baffes pour reprendre leurs esprits. On entendait les trompes Wellmarchiennes. Mais aussi certaines des nôtres. Celle du 6e sonnait le rassemblement. D'où on était, en plein milieu du camp, la visibilité était nulle, surtout avec la fumée et le feu. Sur notre gauche, à plus de cinq cent mètres, une énorme explosion a éclairé la nuit, engendrant une immense colonne de fumée noire qui s'est élevée dans la nuit. Ils avaient du touché un magasin de poudre.
"On se tire, j'ai fait. Collez moi au cul et vous avisez pas de vous écarter si vous voulez pas crever!"
La seconde suivante ils s'agrippaient tous à moi comme des sangsues. Malgré mon état avancé d'ébriété, j'ai réussi à me repérer plus ou moins. On a filé vers la tente du capitaine, là où devait se trouver l'étendard. Des soldats paniqués se rappelaient subitement que j'étais mage, et que la bulle verte/dorée qui m'englobait devait avoir quelques propriétés de protection. Ils ont voulu pénétré dans le cercle, on les a tué nous même. Nous d'abord, les mecs. Après une éternité, on a enfin gravi la petite colline sur laquelle reposait la tente-palais du capitaine. Etant donné que ladite colline, la tente et l'environnement immédiat était encore totalement intact, j'en ai déduit que l'étendard était toujours performant. J'ai mis fin à mon bouclier.
"C'est bon, leur ai-je dit. On est en sécurité ici."
Je les ai laissés sur place et me suis engouffré dans le repaire du capitaine. A peine étais-je entré que Keringhton, le second, me fourrait l'étendard dans les mains.
"Enfin te voilà, Porte-Etendard. Le capitaine t'attend.
-Désolé d'être en retard, j'ai eu un léger empêchement, ai-je rétorqué, méchant."
Tous les gradés du 6e me haïssent, tout comme moi je les hais tout pareil. Ils sont jaloux que le capitaine me confient plus de mission qu'à eux. S'ils savaient...
Avoir la hampe de lance du drapeau entre les mains me rassure toujours énormément. Sur le champ de bataille, on vise principalement ce qui est le plus visible. Donc en général l'étendard, qui sert aussi de signe de ralliement à l'armée. Conscient du danger que représente ma fonction, j'ai tissé une toile de sortilèges profonde et super-puissante dans chaque fibre de bois et chaque microfibre de tissus. Un vrai travail d'orfèvre. Tout ce qui se trouve à cinquante mètres à la ronde est immunisé contre les flèches, le feu, l'acide, le tonnerre, les boulets de canon, les explosions, la pluie, la glace, la neige, les projectiles en tous genres (du tournevis à la petite cuillère, en passant par les châtaignes et les glands), les défections animales, l'huile bouillante, la roche, la magie, les trucs anti-magie, et j'en oublie. Malheureusement, ces protection ne sont valides que contre des choses qui arrivent de l'extérieur. Pour parer à certaines situations, j'ai ajouté une seconde couche des mêmes protections, mais pour un rayon de vingt mètres. Et enfin, si malgré tout des choses me sont balancées a moins de vingt mètre, l'étendard protège intégralement son porteur des blessures, des maladies, des brûlures, des contusions, des éclairs, des projectiles contondants et perforants, des douleurs mentales, des possessions psychiques et des sorts d'état. (Même si jusqu'à présent ces protections courte portée n'ont jamais eu l'occasion de prouver leur efficacité.) Il me semble même qu'aux premiers temps de ma fonction j'y avais mis des sortilèges offensifs. Il faudrait que je vérifie cela à l'occasion.
Seuls moi et les vétérans de Tempête du Chaos sommes au courant. Alors ils s'arrangent toujours durant la bataille pour rester près de moi tant que la charge n'a pas été sonnée. Comme vous vous en doutez, c'est mon chef-d'oeuvre, mon bébé, mon bijou. Je l'optimise chaque fois que je le peux. Le capitaine ne s'est jamais rendu compte de ce qu'il avait sous les yeux à portée de main.
Avec ça, j'avais encore pas mal de jours heureux devant moi. Hmm.
Le capitaine avait réuni sont état-major autour d'une table de campagne sur laquelle trônaient des cartes du secteur, avec de petits pions pour symboliser les forces en présence.
"Qu'est-ce qu'il se passe?, j'ai fait, nonchalant."
Tous les officiers m'ont jeté un regard mauvais. Il était clair qu'ils étaient tous extrêmement nerveux. Après tout, ils ne savaient pas que grâce à mon génie naturel leurs petits culs étaient les mieux lotis du lot. Seul le capitaine était totalement détendu. D'un autre côté, je ne l'ai jamais vu nerveux ou paniqué.
"Nous sommes attaqués, m'a répondu Moustachu, un des sergents.
-Sérieusement? Bah merde! Je croyais que... Bah je croyais que c'était le début du carnaval local quoi."
Il s'est empourpré de rage. Hu. Pas jouasses les mecs.
"Barad nous a tous bernés. En prétendant faire le mort, il a profité de notre inertie pour manigancer dans notre dos. D'après les rapports, le général Kerry mène actuellement une armée d'un peu plus de sept mille hommes contre nous, avec un contingent important d'artillerie légère et lourde, deux régiments d'archerie, de la cavalerie lourde et une cohorte de fantassin."
Je me suis mordu la lèvre. C'était pas bon.
"Barad a également profité de la confusion pour faire une sortie. Je viens de recevoir un rapport de Beryl. Il me demande des renforts."
Là, c'était carrément moche. Si Béryl, lieutenant du 7e, demandait des renforts, c'est qu'il était au bord de l'anéantissement.
"Qu'est-ce je suis censé faire là-dedans, j'ai demandé."
Quand j'ai vu tous les lèches bottes me faire de grands sourires ravis, j'ai compris que c'était pas bon pour moi.
"Prend tes hommes et va renforcer Béryl.
-OK. Combien d'hommes dois-je prendre?
-Les tiens, pas un de plus."
Mauvaise réponse. J'en ai plus que huit, mon pote.
"Tu peux disposer."
Je me suis incliné et fait mine de sortir.
"Laisse l'étendard ici. Tu n'en auras pas besoin."
J'aurais voulu pleurer.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: raphael14 le lundi 23 mars 2009, 17:07:34
Encore mieux. Je peux me contenter de ça mais bon, c'est un peu faible. Je dirais donc, car je suis légèrement pressé, que la trame de l'histoire est captivante et son développement se poursuit. Et accessoirement j'ai été hypnotisé par tes deux derniers chapitres^^. Voilà. À la semaine prochaine.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le dimanche 29 mars 2009, 20:15:06
Merci pour le commentaire Raphael, et d'être toujours au rendez-vous ^^ j'espère que la suite continuera à te plaire.

A la semaine prochaine!


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[align=center]10. [/align]
 
"C'est vous les renforts?, a beuglé Béryl en fracassant la table de campagne.
-Faut croire.
-Votre capitaine me prend vraiment pour un con!"
Il fulminait. Je le comprenais. Il morflait sévèrement, et les seuls renforts qu'on lui envoyait étaient un nabot, un muet, une femme, un manchot, un sauvage, un blond, un bridé et un Zed mort de trouille. Certes, je faisais partie du lot, et ça comptait pour beaucoup. Mais pas assez.
Béryl est du genre grand, gros, musclé, toujours engoncé dans une énorme armure de plaques, comme tous ses hommes, sur son cheval ou avec son épée dans les mains. Lui et les siens étaient une branche sectaire d'une religion du nord-est, une espèce de culte de la Lumière, et tout ce que ça comprend d'honneur, de chevalerie, de justice expéditive et de moral.
"La Lumière me vienne en aide!, a-t-il juré. Sinon, on est tous mort."
J'ai étudié la situation ici bas. Béryl avait établi son campement juste sous le pont-levis de la citadelle, de manière à intercepter toute sortie éventuelle. Malheureusement pour lui, l'artillerie lourde longue-portée de Kerry l'avait pilonné sec au début de la bataille, de manière à provoquer un merdier suffisamment grand pour permettre à Barad de sortir. Le bon roi Wellmarchien avait chargé dans le tas et pas fait dans la dentelle. Béryl avait sonné une retraire courte pour établir à quelques mètres un mur défensif pour bloquer l'avancée du roi. Pour l'instant ça se contentait d'un corps à corps prudent, mais avec les pertes importantes de Béryl, la partie semblait jouée.
"Si j'étais vous, je sonnerais la retraite et j'entraînerais le roi vers le 4e."
Il a pas compris mon sens de l'humour.
"Si il n'y avait que des hommes et des épées là en bas, ça irait, m'a-t-il dit. Mais il y a ce foutu sorcier!"
Sorcier?
Un rayon vert fluo maladif a soudain jailli de l'arrière du combat pour désintégrer une dizaine de chevaliers. J'ai dégluti. Béryl a juré et insulté tous les foutus sorciers de la terre. Tous ses prêtres avaient été tués durant la première offensive. Il n'avait plus de forces magiques. Je croisais les doigts pour qu'il ne se rappelle pas...
"Hé! Monarque, c'est ça? T'es pas une espèce de magicien toi? Si je me souviens bien, tu nous avais pas mal aidés à Kaer'Jihag."
Décidément, c'était une mauvaise nuit. J'ai hoché lentement la tête.
"Alors vas-y, c'est ton boulot."
Je me suis éloigné vers les miens, la mort dans l'âme.
"Vous avez entendu le monsieur."

Quand on est moins de dix, qu'on doit attaquer une force au moins cent fois supérieure en nombre, il faut un minimum de stratégie. On a couru vers la gauche, pour longer l'affrontement sans nous faire remarquer. C'était sûrement notre dernière intervention en tant qu'êtres vivants,  il fallait qu'on brille. Le sorcier n'était pas difficile à repérer. Aucun soldat ne voulait l'approcher à moins de dix mètres. Et il était tellement préoccupé par ses incantations qu'il ne surveillait pas le périmètre. On avait toute nos chances.
De mourir.
"Ca été un honneur de servir avec vous, Chef, m'a fait Araignée avec un sourire.
-Ouais. Plus tard les discours mélodramatiques si tu veux bien."
On s'est arrêté à environ vingt cinq mètres de la mêlée. Personne ne nous prêtait attention. Ciguë a donné avec mille précautions une petite fiole contenant un liquide rougeâtre à Bière. Celui-ci a ramassé le bras en arrière et l'a jetée de toutes ces forces sur les Wellmarchiens. Personne n'a rien remarqué avant que les premiers morts tombent par suffocation.
Et là, j'ai écarquillé les yeux de surprise, comme tout le monde à part Ciguë. Car les hommes qui tombaient sous les effets de ce nouveau gaz... Se relevaient pour attaquer leurs compagnons, alors que leurs corps pourrissaient sur place. Des cris de panique et d'horreur n'ont guère tardé à jaillir de la troupe tandis qu'un beau merdier se déclenchait. On a tous regardé le vieux muet avec effarement. J'avais déjà vu beaucoup de ce qu'il appelle "pestes" et qu'il adore confectionner et améliorer. Je n'avais en revanche jamais vu un de ces poisons allier les bienfaits de la maladie et de la nécromancie. J'avais de sérieux doute quand a l'utilisation exclusive de plantes dans cette préparation.
Comme ils ne se faisaient plus dézinguer par des éclairs et autres saloperies, et que les types d'en face mettaient moins d'ardeur à la tâche, les hommes de Béryl ont poussé leur avantage.
Je me suis retourné vers mes hommes.
"Bon. C'est ma chance. Je veux que vous restiez ici. Tous. Et c'est un ordre."
Bière et Araignée ont commencé à se lamenter pour diverses raisons.
"Vos gueules. En bas vous n'aurez aucune chance. Et je veux pas que vous mourriez pour des conneries."
J'ai pas attendu leur réponse et je suis parti. Le sorcier était totalement déconcentré maintenant. Il mettait ses talents au service de l'éradication des zombies, pendant que son roi menait la contre-offensive. Il s'apprêtait à désintégrer un cadavre ambulant qui allait lui sauter à la gorge. Malheureusement pour lui, j'ai lancé un contre-sort maison. Son trait de feu a émis une petite plainte et fait un peu de fumée. Il a brûlé un de ses charmes de protection pour se sauver la vie. Le mort est re-mort. Mais maintenant j'étais repéré. Sans perdre de temps, j'ai conjuré la foudre. Mon éclair a ricoché sur le bouclier qu'il a élevé en tout hâte pour aller rebondir sur les soldats alentours. Sa contre-attaque a pris la forme d'un de ces rayons verts. Je me suis jeté sur le côté pour esquiver, ai roulé puis ai contre-carré l'assaut suivant avec un autre éclair.
Soudain, quelque chose m'a agrippé la gorge et a cherché à me saigner comme un porc. J'ai glapi. L'ombre! La foutue ombre! J'ai jeté un regard aussi rapide que la foudre à mon adversaire pour voir qu'il profitait de son mignon pour préparer du très vilain. J'ai réussi à attraper la créature d'une main. J'ai hurlé et la boule de feu qui est sortie de ma paume l'a éjectée à plusieurs mètres. A peine quelques secondes de répit. Elle est revenue à la charge aussitôt. J'ai bougé de côté pour l'esquiver. Le sorcier continuait d'incanter. Ca allait être gros, très gros. J'ai voulu lancé une conjuration majeure sur la créature, mais mon sort ne lui a rien fait. Soudain, des bras d'argiles ont jailli du sol et m'ont attrapé les mollets et les poignets. Un cinquième a commencé à me fracasser les os. Ca faisait mal. L'ombre s'est ramassée sur elle même, prête à m'achever. Je me souviens avoir vaguement prier tous les dieux du monde pour que Tapinois ait un éclair de génie, et soit parti rechercher le coffre, maintenant que la voie était libre.
Le temps s'est ralenti, comme toujours à l'approche de la mort. J'ai vu l'ombre bondir vers moi, lentement, tandis que la main d'argile mettait un point d'honneur à me briser l'épaule droite. Mais soudain, une lance de lumière a jailli de nulle part et a perforé l'ombre en plein vol. Elle s'est retrouvée empalée par terre en moins de deux. Elle hurlait et se tordait de douleur en essayant de s'échapper. Le temps a repris son cours.
"Pour la Lumière!"
Béryl a sauté de son canasson avec élégance. Dans le même mouvement il a abattu son épée et réduit la main de terre en cendre. Il a fait le même sort aux autres qui me retenaient. Juste à temps pour que je nous protège d'un rayon vert.
"Merci Lieutenant, je lui ai fait en crachant du sang et en m'essuyant la bouche.
-Ma lance ne la retiendra pas longtemps, m'a-t-il révélé en pointant l'ombre du doigt."
J'ai hoché la tête. J'avais mal partout mais pas le temps de me plaindre. On a jamais le temps de se plaindre. Béryl et ses chevaliers utilisent un type de magie qui m'ait inconnu. Pas d'incantations, pas de composants, de gestuels compliquées... Juste des prières. Et ça marche. Il m'a fait un rempart imperméable à l'aide d'un grand bouclier de lumière qu'il a invoqué, et qui absorbait tous les maléfices du sorcier Wellmarchien. Pendant ce temps, je me suis agenouillé auprès de l'ombre. Si j'arrivais à la capturer, me suis-je dit, je pourrai l'étudier plus tard et peut être la gagner à ma cause.
Quand on est un apprenti magicien en herbe,  on vous fourre la tête d'une quantité de sorts aberrante. Et on se dit qu'on ne se servira jamais des quatre vingt quinze pourcent de l'ensemble. C'est plus ou moins vrai. Selon les préférences du lanceur de sort, l'éclair, la boule de feu, la pluie d'acide. Avec le contre-sort et deux / trois artifices perso. Mais là, j'étais confronté à un de ces cas où justement, on doit se souvenir d'un de ces sortilèges débiles que les maîtres apprennent à longueur de journée à leurs élèves. Il s'appelle Globe Lumineux de Tzeentch. Concrètement, il crée une petite boule de lumière, dans laquelle on peut mettre des choses dedans. Comme des ombres.
J'ai mis quelques secondes à me souvenir du procédé pendant que Béryl encaissait stoïquement tous les rayons verts de la création. Le sorcier devait être fou de rage. L'ombre m'a mordu pendant que je la foutais dans le globe. Saloperie. L'opération a été périlleuse mais couronnée de succès. Un cri de rage a déchiré la nuit en réponse à ma forfaiture. J'ai ricané malgré la douleur.
"Dépêche toi, sorcier, m'a fait Béryl. Mes forces s'amenuisent.
-J'ai besoin d'un peu de temps pour lui faire goûter une spécialité locale de chez moi. Tiens bon."
Il n'a pas relevé le tutoiement. J'ai fourré ma dernière acquisition, dans la même poche que la cassette, me suis-je rendu compte, et j'ai entamé une longue litanie. Du genre qui font déserter l'armée d'en face. Merde quoi, je suis un mage du 5e cercle. J'ai le droit de m'amuser un peu. Un rayon vert est passé à côté de Béryl et a failli m'arracher le visage. J'ai failli me déconcentrer mais je me suis ressaisi. La magie a afflué en moi, mes yeux se sont mis à luire d'une lueur pourpre (enfin, je crois, c'est toujours comme ça que se manifeste la mana chez moi). Je l'ai domptée, emmagasinée, puis j'ai lâché la sauce. J'ai crié au lieutenant de se décaler, ce qu'il s'est empressé de faire. Le rocher incandescent avait la taille de deux boulets de canon de gros calibre. Il a fusé vers le sorcier. Pour le petit effet, j'avais ajouté un petit sortilège qui produisait le cri d'un démon furieux. Les hommes ont hurlé, on essayé de s'enfuir. Béryl a juré et fait une prière. Moi je jubilais.
Boom.
Ma petite surprise a explosé dans une détonation qui a rendu tout le monde sourd à cinquante mètres à la ronde. Les corps ont été proprement déchiquetés, embrasés, pulvérisés, éparpillés. Une pluie de décombres, de poussière, de terre, de pierre et de morceaux de cadavres est retombée. Mais ce n'était pas fini. Mon rocher a explosé en d'autres petits rochers qui se sont éparpillés dans un périmètre restreint.
Boom, boom, boom, boom.
Privé de l'ouïe, la scène avait quelque chose de magnifique. Le pont-levis a volé en éclat, la façade sud de la citadelle a implosé et des blocs complets de pierre ont volé dans les airs. Des trombes d'eau des douves se sont soulevées, évaporées. Des cratères se sont formés. Un vrai spectacle de destruction. D'après ce qu'on m'a dit par après, le choc a été tellement violent que la bataille s'est interrompue quelques secondes. Les Wellmarchiens de Kerry ont cru que c'était un coup de leur propre petite merde de sorcier et ont redoublé d'ardeur. C'est d'ailleurs ce que tout le monde croit toujours, à part Béryl, mes hommes et les siens.
Les chevaliers du 7e ont rejoint leur chef en rang. Ils avaient été saignés à blanc mais restaient une force importante.
"Par la Lumière, a soufflé Béryl devant la scène.
-Pas tout de suite, lui ai-je répondu lentement."
Ce genre de sort, ça vous épuise un homme.
"Il n'est pas mort. Juste affaibli."
Il m'a jeté un regard qui voulait dire "Hé fiston! Il vient de se manger un météore en pleine face!". Mais quand la poussière et le calme relatif sont revenus, ils ont vu. Le nabot avait sacrifié son bras gauche en échange de suffisamment de magie pour invoquer le plus puissant cercle de protection de toute sa vie. Malgré la distance et la nuit, on avait aucune peine à voir qu'il suffoquait. Et le petite salaud avait par je ne sais quel miracle protégé son roi aussi. Les deux se traînaient comme les petits vieux qu'ils étaient. Le reste de leurs soldats déambulait, totalement hagard, un peu partout. Béryl a aussitôt envoyé quelques hommes pour les cueillir, mais comme je m'y attendais, le sorcier avait encore une carte dans sa manche. Il a produit un parchemin, et grâce à lui il s'est téléporté avec son souverain. Où? Aucune idée. Certainement pas dans le château. Le lendemain il serait infesté de soldats ennemis. Je misais sur le bon général Kerry et ses vaillants soldats.
J'ai lamentablement vacillé et me serais effondré si Béryl ne m'avait pas rattrapé au moment où je tombais.
"Foutre, garçon! C'était un sacré feu d'artifice!"
On a souri tous les deux. Je l'aimais bien, Béryl.
"Ouais. J'ai quelques gobelins parmi mes amis."
J'ai grimacé de douleur. Je ne sortais pas indemne de l'affrontement.
"Lieutenant?
-Hmm?
-Promettez moi de rien dire sur moi."
Il a soulevé un sourcil, mais a hoché la tête.
"Très bien je comprends. Je te dois bien ça. Si tu n'étais pas arrivé, on serait tous mort."
Tapinois s'est soudain matérialisé à côté de moi. J'ai été content de voir qu'il avait pris son bain annuel. C'est le moment que j'ai choisi pour m'évanouir héroïquement. Maintenant que j’y repense, j’avais toujours une flèche plantée dans l’épaule. C’est peut être ça qui me faisait mal.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: raphael14 le vendredi 03 avril 2009, 18:42:48
Oh la vache, ce que tu n'as mis ! Une scène de combat mémorable, que demander de plus ? Je vais pas m'étaler indéfiniment dans des louanges alors que tu as très bien compris que j'ai adoré. À bientôt GMS.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le dimanche 05 avril 2009, 17:14:35
Encore merci Raphael pour tes commentaires qui me font très plaisir ^^

A la semaine prochaine!


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11.
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Kerry a été repoussé. Peu après mon coup d'éclat, le 6e et le 5e avaient réussi une jonction avec le 4e et le 2nd. Appuyés par Ombre de Mort, et comme les Wellmarchiens ne comptaient plus de sorciers valides parmi leurs rangs, ils les ont écrasés. Le général a sonné la retraite et son armée s'est enfuie vers les collines. Le 5e et le 4e lui ont donné la chasse.
Malgré tout, son action n'a pas été inutile, bien au contraire. Les 7 ont méchamment mangé cette nuit là. Le 7e a été presque anéanti, le 6e a perdu un peu plus de la moitié de son effectif, tout comme le 5e. Le 4e n'a subi aucune perte. Ca c'est la donnée qui me fait tiquer. Le 2nd s'en est bien sorti, car situé le plus loin de la zone de conflit initiale. Le 1er et le 3e étaient absents, envoyés en mission plus au nord pour mater un début de rébellion et avaient donc été épargnés. Des rapports arrivés quelques jours plus tard nous ont appris que Kerry avait trouvé la mort dans les collines, que son armée avait été anéantie, mais que Barad et son sorcier n'avaient pas été retrouvés.
Moi je suis resté dans le comas quatre jours.


[align=center]12.[/align]


Quand je me suis réveillé, la première chose qui m'est venue à l'esprit a été que j'étais dans un bâtiment. Plus précisément dans l'infirmerie du château de Wellmarch, ou bien un dortoir reconverti. Des dizaines de lits superposés envahissaient toute la pièce.
J'étais aussi en forme que peut l'être un homme. Après une grosse débauche d'énergie comme celle de la fameuse nuit, un mage a besoin de beaucoup de temps pour récupérer. Je ne fais pas exception. J'ai été heureux de constater que je n'avais en réalité aucune fracture, mais pas mal de contusions. La plaie de la flèche avait déjà cicatrisé.
J'ai suivi une odeur de poulet pendant quelques minutes pour trouver le grand réfectoire, dans lequel ma fine équipe m'attendait à une table. J'ai repéré Béryl et le capitaine qui discutaient avec leurs états majors  dans le fond, à une grande table. Apparemment on faisait salle commune avec le 7e, du moins ce qu'il en restait. Je me suis dis qu'on pourrait peut être enrôler quelques uns de ces braves chevaliers dans Tempête du Chaos, voir carrément fusionner les deux unités.
Je me suis assis à ma place attitrée, et Rose m'a filé un énorme morceau de poulet rôti que je me suis empressé d'engloutir pendant qu'Araignée et Tapinois me racontait les derniers événements, décris un peu plus haut.
"Notre rôle ici va bientôt s'achever, a commenté Ciguë avec ses mains."
Sûr. Avec la déroute de Kerry, la destruction de l'armée et la prise de la Citadelle, il ne restait plus rien à Wellmarch pour se défendre.

Le roi Herald le Valeureux, nouvellement nommé à la fonction de souverain absolu de Wellmarch, est arrivé en grand cortège ostentatoire pour admirer sa nouvelle place forte et résidence. Ce nobliau de seconde zone avait su admirablement bien tirer son épingle du jeu. C'était un petit seigneur inféodé à Barad IV, mais rongé par l'ambition. Il avait fait un énorme profit de son port de commerce, sur les côtes du sud de Wellmarch, et emmagasiné une fortune suffisante à l'achat des services des 7 au complet. La suite on la connaît.
N'empêche, il a froncé les sourcils et pincé le nez lorsqu'il a vu ce que j'avais osé faire à son mââââgnifique pont-levis. J'espérais pour lui qu'il lui restait assez d'argent pour le faire rebâtir. On l'a observé depuis la muraille. Celle-là même qu'on contemplait depuis plus d'un mois.
Bizarrement, à la fin d'un forfait comme celui-là, on a jamais le sentiment du travail fini, du devoir accompli. On se demande juste où est-ce qu'on va nous envoyer la prochaine fois. Le 2nd, le 4e et le 5e campaient toujours dehors. Le 1er et le 3e devaient bientôt revenir.
En tant que sous-officier, j'ai été invité au couronnement. Une cérémonie longue, barbante, trop pompeuse. Mais j'ai pu approcher de près certaines personnes. Je me suis fait petit pour échapper au regard de Kertag Poing-de-Ruine. Bien que vieille maintenant, j'avoue qu'elle avait du être une jeune guenon pas déplaisante à regarder. Son corps toujours ferme par la pratique de l'exercice gardait des formes agréables. J'ai côtoyé Ombre de Mort de très près. A vrai dire j'étais juste à côté de lui. Il n'aime pas trop les cérémonies, alors il avait préféré se mettre dans le fond pour échapper au protocole et aux tapes dans le dos. Il fait froid dans le dos, ce type. Il était vêtu d'une ample robe de mage verte foncée, de facture simple, qui cachait sa silhouette. Plutôt grand, il se tenait droit comme un I. Sa capuche cachait le haut de son crâne, et son visage était presque entièrement couvert par un masque peint représentant un visage souriant et dérangeant. Seul son oeil droit était visible. Un oeil qu'on aurait dit jeune, bleu, et renvoyant une profonde lassitude, jurant bien évidement avec son masque. Deux mèches de cheveux blancs s'échappaient de la capuche et reposaient sur son torse.
"Monarque, je présume?, m'a-t-il demandé tout à coup."
Sa voix était un chuchotement ténu, qu'on aurait dit d'outre-tombe.
"C'est cela, ai-je répondu.
-J'ai entendu parler de vous. Il semble que je vous dois ma récente altercation avec la dame Orke."
Je sais que mon visage n'a trahi aucune émotion, mais il a ri doucement.
"Ne vous en faites pas pour cela. J'ai trouvé l'aventure amusante. Et que vous ayez réussi à survivre, en laissant derrière vous autant de morts... Démontre des aptitudes certaines."
Je ne savais pas trop quoi répondre.
"C'est un compliment?
-Je crois oui."
Au ton de sa voix, je crois qu'il a réellement souri. Pour ce que j'en savais.  
Contre mes attentes, il n'a pas parlé de la cassette. D'ailleurs, je m'étonnais de plus en plus que personne ne m'en demande des nouvelles. Il a continué à me parler. De la pluie et du beau temps. On a échangé un nombre de banalités affligeantes. C'est fou ce que deux hommes coincés dans une cérémonie mortellement ennuyante, peuvent soudain se trouver comme points communs. S'il n'avait pas été un sorcier de 2 cercles mon supérieur, si il n'avait pas été lieutenant de cette fichue compagnie, s'il n'avait pas porté un masque et s'il ne me faisait pas peur à ce point, on aurait presque pu devenir amis.
Une fois que le bon roi Herald Ier fut sorti, que toute sa nouvelle cour l'eut suivi, on a été autorisé à partir à notre tour. Alors que je m'apprêtais à le faire, Ombre de Mort m'a pressé furtivement la main.
"J'attendrai notre prochaine rencontre avec une certaine impatience, Monarque."
Il est passé devant moi et a disparu dans la foule. Moi je suis resté bête.
Ca m'arrive souvent ces derniers temps.  

Le 1er n'était plus qu'à quelques jours de marche de la Citadelle, et il était censé revenir avec les nouveaux ordres. Pendant ce temps là, nous on se tournait les pouces à nouveau. L'excitation de l'invasion était vite retombée. On avait enterré nos morts, soigné les blessés, reçu nos soldes. Et on squattait les couloirs de la Citadelle, déjà en reconstruction et en réaménagement. Les nobles du royaume défilaient à longueur de journée pour prêter allégeance au nouveau souverain. Moi je profitais de ce temps pour écrire mes carnets. Quand j'en avais marre, je rejoignais mes hommes pour jouer aux cartes, ou allait me mettre dans un coin obscur pour faire quelques examens de la cassette. Je n'ai toujours rien appris dessus, et j'avoue qu'elle me frustre. Et le capitaine ne m'a toujours rien demandé. En fait je ne l'ai pas vu depuis la bataille, ou de loin dans un couloir. J'avais décidé de remettre à plus tard le cas de l'ombre, car ça allait me demander du temps et des efforts à investir. Contrairement au coffre, et à la cassette, qu'on avait planqués dans une cache secrète découverte par Tapinois, je gardais la sphère avec moi en permanence. Je ne sais pas pourquoi. Je répugne à m'en séparer.
Avec Ken et Araignée, on s'amuse parfois à se la lancer les uns les autres.
J'avais bien essayé de prospecter un peu, mais personne ne voulait nous rejoindre. Et cela faisait une éternité que le capitaine ne m'avait envoyé personne. Avec Tapinois, on se disait que la Nouvelle Wellmarch n'allait pas faire long feu. On prédisait qu'un mois n'aurait pas encore passé après notre départ qu'une rébellion des nobles ou une invasion menée par l'Empire Zan'Harien éclaterait. Autant Barad IV était réputé pour sa poigne de fer, sa bravoure et sa force, autant Herald est connu pour son embonpoint et sa tendance à se fâcher tout rouge en oubliant qu'il est un homme.
Mais bon, ce n'est pas nos affaires. Au pire, dans un mois on devra revenir, pour le compte d'un autre noble et recommencer. Ce serait pas la première fois.


[align=center]13.[/align]


Nous revoici sur les routes. Grâce à mon génie d’essence quasi divine, j’ai réussi à réquisitionner un chariot de fourniture à l’aide d’un document officiellement faux. Bien sûr, il y a longtemps que les fournitures ont été revendues à droite, à gauche. Mais ça nous permet de voyager comme des princes, sans se taper la chaleur accablante de ce début d’été. Le capitaine n’a pas jugé bon de m’informer de notre prochaine destination. De toute façon, je pressens que la nôtre sera différente de la sienne. Maintenant que les 7 épées est redevenue un électron libre, la compagnie s’est séparée pour panser ses plaies et prospecter. Les 7 se réunissent en réalité uniquement lorsqu’un conflit d’importance nous est refourgué. En temps ordinaire, chaque lieutenant suit son propre chemin, et remplit les missions qu’on lui donne le long de sa route, quitte à demander un copain en renfort.
Ainsi s’achève la campagne du Wellmarch. Tout comme ce premier carnet. Finalement, écrire sa vie, c’est plutôt sympa.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Prince du Crépuscule le jeudi 09 avril 2009, 00:00:13
Tintiiinnnnnnn *angelots sonnant la trompette, tapis rouge, rayon de soleil, confettis* Eh oui, me voilà, moi, Prince du Crépuscule! (qui d'autre oserait faire ça? *-*)
Je suis venu te raconter ma vie ô combien passionnante illuminer ton topic de ma lumière étincelante! Ah oui, ça fait un an exactement que je ne m'étais plus manifesté ici... Il est temps d'y remédier et de recouvrer mes fonctions, tu ne crois pas? Ah, quelle tristesse, tout ce temps perdu. M'enfin c'est comme ça. Mieux vaut tard que jamais comme on dit (d'ailleurs j'ai comme l'impression que cela ne s'applique pas qu'à moi *fufu*). Bref, il fallait bien que je passe par ici. Que serait une vague de commentaires crépusculaires si elle ne venait pas ourler de son écume les côtes vermeilles? (oui, t'inquiète pas je me le mettrai bientôt mon patch, comme promis. mais juste après ça si tu veux bien. X'3)

Donc comme tu le sais, j'ai déjà lu attentivement tes premiers chapitres de Monarque, comme tu me les avais fait découvrir. Tu sais également globalement ce que j'en pense. Il est temps de se pencher plus avant sur mon ressenti vis-àvis de ta nouvelle fiction, qui marque une rupture assez radicale avec tes autres écrits. D'ailleurs je ne te cache pas que personnellement je préfère ton Cycle du Rouge (à quand Samyël le retour? tu le laisses croupir dans sa petite chambre? quel homme cruel tu fais è_é) ou Le chevalier Argoth (depuis quand n'a-t-on pas vu la faërite scintiller au juste? Même moi, doté de ma mémoire légendraire, je ne saurais plus le dire! tsssss, quelle pitié. =>) à Monarque, mais ce ne sont là que des considérations toutes personnelles et qui sont assez superflues ici puisque tu comptes bel et bien poursuivre Monarque d'après ce que tu m'as dit. Enfin, je te le signale quand même, au cas où tu ne le saurais pas: je languis de tes anciens écrits, vil mage vermeil. je te hais, je vous hais tous dans mon coeur de petit Prince frustré ;_;

Concernant Monarque maintenant, j'ai lu les 13 chapitres qui constituent ce premier "carnet". Premièrement, je suis content que tu aies trouvé un "filon" à exploiter (ce n'est pas négatif, tout au contraire :)) avec autant d'ardeur. ça me réconforte de savoir que l'inspiration ne te quitte pas et que tu entretiens toujours le brasier créatif de ton âme. A un moment, on pouvait un peu douter, avoue ;p  Bref (égarement, quand tu nous tiens *kof*) je m'intéresse de près à ton projet, même si encore une fois ce n'est pas celui que j'affectionne le plus.
Ce que j'ai pu constater tout d'abord, c'est que ce "nouveau" style de narration te convient assez bien. Pour ma part je préfère un style plus recherché, qui s'élance dans de longues descriptions tout en conservant une bonne dose d'action, avec lyrisme à foison et... oui oui, je range ma poésie tout de suite *patapé* Tu maîtrises cette forme de narration avec brio j'ai même envie de dire, même si tu l'as emprunté à Glen Cook, comme nous le savons tous les deux. Tu t'en inspires d'ailleurs librement, en reprenant sa façon intimiste et assez crue d'écrire et de léguer la plume à son personnage fictif au travers d'annales, ou dans ton cas, de carnets. Tu as également repris l'idée de la compagnie franche, mais dans une bien plus grande envergure, ce qui complique encore les "magouilles" et autres sournoiseries dont la Compagnie noire regorge, que ce soit entre adjuvants et opposants ou entre les alliés ou entre ennemis tout court. Cette complexité est intéressante, car elle renforce toutes ces tractations de l'ombre (oh oui, des trucs compliqués, j'aime! *-*)

Tu reprends aussi l'idée des surnoms qui caractérisent chaque personnage, à commencer par Monarque. Mais arrêtons-là les comparaisons toutes plates. Ce que je veux souligner avant toute chose, c'est la qualité de narration dont tu fais preuve (dans ce style tout particulier, j'entends, sale copiteur. :gnark:). En effet, on est tout de suite plongé dans l'histoire, qui nous arrive tellement directement par la voix de Monarque que c'en est déstabilisant au départ. (moins pour quelqu'un qui a lu ce que tu sais, m'enfin j'aime la politique fiction aussi <3 *meurt*) L'intensité de l'instant est nettement perceptible, sans délai, la succession d'événements comme il pourrait effectivement en arriver dans un tel monde nous laisse à peine respirer. Tout s'enchaîne rapidement, avec violence, mais cette abrupté est maîtrisée, car tu tires les ficelles derrière bien évidemment. Pour ma part, je le ressens à son paroxysme lors des batailles, en particulier dans le chapitre 10 et dans le chapitre qui relate l'attaque contre les orcs. C'est tellement prenant, ça fait tellement réaliste (note bien le mot, ça signifie à quel point nos deux styles séloignent l'un de l'autre mon GMS) qu'on s'y croirait. Honnêtement, l'histoire est captivante, j'adore tous les coups bas que peuvent se lancer les personnages entre eux. Le coup de l'étendard et du "j'aurais voulu pleurer" m'a bien fait rire par expemple. ;)

La narration en est d'autant plus réussie que (ça mérite une ovation, si si je te jure ^^) très peu de fautes viennent entacher ton récit vif, incisif. Je n'ai pu en relever que très peu effectivement, et je les ai toutes oubliées je crois bien. La syntaxe est bonne, même si évidemment dans ce cas-là c'est un peu facile... Quoiqu'il en soit, c'est un réel pas en avant, un pas de géant! Je me rappelle encore quand tu te lamentais sur tes innombrables fautes de Français. (et moi aussi, en passant, tu sais comme je suis intraitable à ce sujet X'3) Eh bien, je me dois de te féliciter, je peux affirmer en toute intégrité que tu t'es affranchi de ton vieux démon! ça se fête! *champagne* :)
Maintenant, pour ce qui est des personnages, je les aime beaucoup. En particulier Tapinois, je saurais pas trop te dire pourquoi, mais je me le représente très bien. X'D J'aime beaucoup Ombre de Mort également, ses mystères et son grand pouvoir, encore inconnu, m'attire comme un papillon de nuit à une lampe. *-* Ah, et évidemment: Monarque! Il est bien drôlatique aussi parfois, avec son pouvoir plus ou moins caché, ses jubilations mesquines, son arrogance que transpirent ses carnets et puis son côté tellement... humain. L'humanité peuplant un monde fantaisiste et brutal, mais une humanité nue et sans voile, voilà ce que tu nous offres. C'est un grand compliment, sache-le.
Cela dit, je me permets d'émettre une réserve sur ce point. Je trouve, personnellement, que pour un tel dévoilement ça manque d'émotions et qu'elles ne sont pas très variées. C'est une absence à laquelle il te faut pallier si tu veux mon avis. Mais enfin, à part ça c'est très bien dans son genre. ^^

Ainsi s'achève le petit message d'agrément d'un Prince revenu au bercail. J'espère ne pas t'avoir trop assommé, et avoir la chance de pouvoir repasser bientôt te commenter. (si tu veux toujours de mes pavés ;p) Je suis prêt à recommencer en tout cas, tire la sonnette et j'arrive tout de suite! Continue ainsi cher Mage Vermeil, malgré tout ce que j'ai pu te dire au début de ce projet, je t'encourage de tout coeur en ce sens. ;)

PS: Et puis bien sûr... Le meilleur pour la fin, n'est-ce pas? J'avoue ce n'était pas annodin que je ne t'aie pas commenté en premier, mais maintenant tu vas savoir pourquoi, si tu ne t'en étais pas déjà douté... ^^

Joyeux anniversaire, mon Mage Vermeil!
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: raphael14 le jeudi 16 avril 2009, 15:13:07
Ainsi s'achève le premier carnet de Monarque. Tu es écrivain merveilleux.
Ombre de Mort a un côté glauque et très malsain. Je dirai même qu'il fout la trouille.
Mystères et questions en attendant le deuxième carnet.
Vivement la suite :) (ça me fait penser, il faudrait peut-être que je finisse de lire Le Cycle du Rouge)
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le samedi 18 avril 2009, 18:09:52
PdC, vil coquin, je ne m'attendais pas du tout à ce commentaire, en cela il m'a fait encore plus plaisir que d'habitude =D Je te remercie², pour le commentaire et pour mon anniversaire ^^ Au risque de te decevoir, Le Cycle et Argoth vont rester de côté un petit moment encore. Je vais pas reprendre ici notre discutions sur ma source d'inspiration, nous savons tout d'eux mon point de vue ^^ Je dirais juste que je suis content que ça te plaise tout de même, et que tu ais constaté mon progrès dans l'oretograf (je m'en rends compte moi même)! Quant à ta dernière remarque sur la monochromie des sentiments etc, je dirai juste que j'en ai conscience et que... c'est fait exprès! Je ne dirai rien de plus, mais attends toi à du changement de ce côté là!
Sur ce, n'hésite pas à revenir souvent =p

Merci pour le commentaire raphael!

Avant de passer à la suite, une petite surprise de notre cher Yorrick! (Encore merci!) Une nouvelle version de la carte Continentale, actualisée et remise au gout du jour. Je dois dire que le résultat est de toute beauté et que je n'en reviens toujours pas. Je vous laisse juger  :)
http://img509.imageshack.us/img509/7326/cartegmscopie.jpg

Enfin, je tenais à m'excuser d'avoir manqué le rendez vous de la semaine dernière. Comme je partais le lundi matin à 5h du mat pour l'Espagne, les préparatifs m'ont pas mal occupé et ça m'est totalement sorti de la tête! Désolé!

Sans transition, Monarque. A la semaine prochaine!


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II /  Ashenvâle


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 Il faisait froid dans ce foutu village. Un froid à vous les ratatiner façon raisins secs. L’hiver fait toujours cet effet là dans les royaumes centraux. On a poussé nos canassons, fraîchement dérobés dans la ferme située 30 kilomètres plus à l’ouest, jusqu’à une auberge encore ouverte. Il suffisait d’envoyer Bière les parquer à l’écurie pour économiser quelques pièces de cuivre d’entretient. On est entré précipitamment car la neige recommençait à tomber.
Comme dans toutes les auberges de tous les petits villages du monde, les quelques habitués nous ont lancé des regards mauvais. On aime rarement l’étranger qui surgit en pleine nuit, avec plein de copains et armés pour partir à la guerre. Et surtout, nous formions une petite troupe singulière. Je me suis empressé de détendre tout de suite l’atmosphère en lançant un bonsoir amical. Pour prouver nos intentions pacifiques, on a déposé nos armes sur la table la plus proche. J’ai eu peur sur le moment qu’elle se brise sous le poids, mais non elle a tenu bon.
J’ai été commander assez à manger pour nous tous pendant que les hommes collaient deux grandes tables ensembles pour qu’il y ait assez de place. J’ai regagné ma petite troupe, pas mécontent de dormir au chaud ce soir.
Tempête du Chaos au grand complet, dans une petite auberge de province. Ca m’a rappelé des souvenirs. Tapinois, Bière, Ciguë, Ken, Araignée, Rose, Zed, Manchot (qui n’était plus si manchot que ça, avec son nouvel appareil gobelin) et le dernier arrivé, mon nouveau chouchou, Teknogure. Un ingénieur gobelin. Une perle de stupidité, d’ingéniosité mécanique, un ravissement des sens permanent. Mesurant quatre-vingt centimètres, pesant ses 25 kilos tout mouillé, il avait une trogne encore plus vilaine que Tapinois, avec son nez long et crochu, ses petits crocs jaunes et crasseux, ses poils de nez trop longs, ses oreilles pointues à moitié mangées et ses grosses lunettes sur ses yeux rouges.
Quand on l’a rencontré, à la fin de l’automne sur les routes du Mel-Kure, il se faisait dévaliser par une bande de malandrins des environs. Après une bataille courte et propre (Bière avait besoin d’exercice), il nous a proposé ses services. Comme ça faisait un moment qu’on avait recruté personne, et qu’il me faisait rire avec ses zozotements et sa voix stridente, je l’ai pris. Je ne le regrette pas. Il est aussi bon artificier que courageux. Pour peu qu’on lui fournisse les matériaux, il peut vous bidouiller un nombre impressionnant de machins et de trucs, de la bombe incendiaire aux feux d’artifices, en passant par des arquebuses. Il en avait d’ailleurs fabriquée une pour Ken. Un fusil de précision, avec un canon long et une lunette de visée, baptisée Fulgurator X-3. Le bridé se débrouille plutôt bien avec, il nous chasse des trucs quand on est sur les routes. Malheureusement, comme les balles coûtent chères et sont rares, il faut l’utiliser avec parcimonie. Et aussi, lorsqu’on tue des gens, on prend bien soin de leur faucher tout ce qu’ils ont de métallique : armes, bijoux, boucles de ceinture, de botte, de baudrier. On fond le tout et Tekno re-fabrique des munitions.
En sus de cet engin de mort et de destruction (j’ai vu les trous que ça laisse sur les cadavres), il avait également combiné son savoir-faire avec Ciguë, pour nous produire des petites grenades à gaz divers. Très pratiques.
Bref, une acquisition très bon marché, car la seule chose qu’il demande c’est un peu de protection et d’amour. C’est un vrai parano. Il croit que l’univers tout entier veut le tuer, et qu’un assassin se cache dans chaque ombre.
« Bon, on fait quoi maintenant?, a fait Araignée en piochant dans son lard fumé.
-Ca a l’air sympathique ici, a répondu Ken.
-De toute façon, on a plus rien à faire tant qu’on aura pas reçu de nouveaux ordres. Alors autant se reposer ici et prendre du bon temps.
-J’ai repéré une maison close, vers Kurtzïg. Ca fait pas loin à cheval. »
Hop, la décision était prise. L’aubergiste est venu nous voir avec un air maussade. Il a demandé si on voulait autre chose.
« Ca ira pour l’instant, mon brave, je lui ai dit. Nous aimerions louer ton établissement pour quelques jours. »
Il est resté sans bouger un instant. Il savait pas trop quoi répondre. Les trois pièces d’argent que j’ai faites rouler vers lui et qu’il a attrapées avec une dextérité à faire saliver un acrobate lui ont donné quelques idées.
« C’est parfait, monseigneur. Mes chambres sont à votre disposition. »
On a longtemps mangé et bu ce soir là. On venait de finir notre dernière mission. Mettre à sac une ferme, dans laquelle un riche paysan fomentait des plans contre le seigneur du coin avec des copains à lui. On a déboulé en pleine nuit, les avons surpris en plein milieu d’une petite sauterie. Hop, un coup d’épée par-ci, un éclair par-là. On a ligoté la femme et les enfants et on les a laissés dans la cambrousse environnante. J’ai mis le feu à la baraque après qu’on ait sorti les corps dehors, puis on a fauché les chevaux et on s’est barré en vitesse. Pour atterrir ici, à Ashenvâl.

Il y avait 4 chambres dans cette auberge, Au Poney Dormant. Si vous trouvez le nom ridicule, vous avez bon goût. La répartition a été assez simple à faire. Moi et Rose dans la plus grande et la plus propre ; Tapinois avec Teknogure et Ciguë ; Bière avec Ken et Araignée et les deux frères ensembles. Je me suis déshabillé avec toute l’habilité d’un homme d’expérience et je me suis glissé dans les couvertures de l’unique lit deux places. Rose m’a rejoint peu après, en sous vêtements et s’est blottie dans mes bras. Notre relation avait un peu évolué depuis le Wellmarch.
Je n’étais pas amoureux, elle non plus. Disons qu’on aimait bien se réchauffer l’un contre l’autre. Je vous rassure, nous ne comptions pas faire l’amour.


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Ashenvâl de jour... Bah c’est comme Ashenvâl de nuit. Mort. Les paysans vaquent tranquillement à leurs occupations, loin des tourments de la politique et des guerres. Ils plantent leurs patates en espérant que la récolte sera bonne cette année. Certain, plus aventureux, vont jusqu’à planter des choux. De vrais casse-cous.
Réellement déprimant comme bled. Mais bon, on était là pour se reposer en attendant la suite, on aurait été bien avec un village en pleine guerre civile.
Je me suis levé tôt le matin suivant. Le petit-déjeuner n’était même pas encore servi. Je suis sorti dehors, me suis adossé au mur blanc de l’auberge et j’ai regardé le village, tout en tripotant mon ombre dans ma poche. J’avais pris la décision de m’en occuper ces jours-ci. Quant au coffre et à la cassette... Le premier se trouve en sécurité dans une grotte à deux kilomètres au nord de Ferdbürg, un grosse ville de l’Ouest. La cassette se trouve toujours en notre possession.
Le capitaine ne m’a toujours pas reparlé ni de l’un ni de l’autre. Je crois qu’il ne sait pas qu’on a fini par récupérer le coffre, mais pour la cassette... Tout ceci était bien intriguant, mais ça m’allait parfaitement. Tapinois est venu me rejoindre un peu après.
« Ca me rappelle le bon vieux temps. Tu te souviens, dans cette auberge sur la route de Mereïne, quand on fuyait les royalistes, avec Lumdog et Gratos?
-Tu commences à parler comme un vieux, il m’a rétorqué.
-T’as raison. Mais bon, certaines périodes de ma vie me manquent.
-Comme à nous tous.
-Ha ouais? Du genre?
-Du genre avant que je te rencontre. 
-Tu me touches.
-Je t’en prie. »
Les bouseux qui passaient devant nous nous regardaient avec des yeux plus ronds que les pommes de terre qu’ils trimballaient. J’essayais de me montrer poli. Puisqu’on allait vivre quelques temps, autant vivre en bonne intelligence. Mais au bout du quatrième bonhomme je commençais à perdre patience. J’ai réalisé tout à coup que Tapinois n’était pas sanglé de son arsenal de couteaux. Ca le changeait beaucoup. Il paraissait presque abordable maintenant.
On a fini par rentrer quand on a senti le bonne odeur du petit déjeuner. Porc salé et  gruau de céréale, avec une bonne pinte de mousseuse du coin. Pas mauvaise d’ailleurs. Les autres se sont réveillés à intervalles irréguliers.
« Quartier libre les enfants, ai-je annoncé. Mais soyez sages. N’allez pas forcer sur la bonne brune locale, ni embêter votre voisin. Promis? »
J’ai reçu des morceaux de pain dans la tête en guise de réponse. L’aubergiste nous regardait avec une mine songeuse. Quelque chose semblait le tracasser. Mouais. Pas mes affaires.
Enfin, ce que je croyais.

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3. [/align]



J’ai passé cette journée là à planifier ma rencontre avec l’ombre, que je prévoyais pour le lendemain. C’est le genre de rituel qui demande du temps, de la concentration, un cadre tranquille et deux / trois bonhommes pour vous assurez de pas être dérangé. Et j’avais tout ça sous la main.
J’ai réveillé Rose et Bière aux aurores pour qu’ils m’assistent. Rose en tant qu’assistante directe, Bière en tant que bloqueur de porte. Je me suis empiffré de porc salé, de bière, d’oeufs et de beurre au petit déjeuner pour m’assurez assez de force pour l’opération. J’ai posé la sphère au milieu de la pièce et me suis assis en tailleur devant.
« C’est beau, a commenté Rose qui s’était placé à ma droite. »
En effet, c’était assez jolie. Imaginez une balle de lumière, dans laquelle virevolte une ombre plus noire que le noir. Bière s’est contenté d’un grognement et est allé prendre ses fonction devant la porte, son bon vieux hachoir entre les mains.  
Pour me donner un peu d’ardeur à la tâche, j’ai peloté Rose un moment, qui riait doucement sous mes caresses. Un jeu à nous.
« Après, elle m’a dit. »
De quoi vous motiver un homme. J’ai retroussé mes manches, mis la boule au creux de mon giron. Ouvrir la sphère et dire « Coucou! Tu veux bien devenir ma copine? » aurait été d’une débilité crasse. Je n’avais aucune expérience de ce genre de créature. Il fallait tenter une approche plus subtile. J’ai posé ma main sur la sphère et j’ai tenté de projeter mon esprit pour capter une pensée, un sentiment, un mot. A ma grande surprise, je n’ai senti qu’une peur panique. L’ombre était totalement paniquée, car elle était dans l’incapacité de remplir sa mission.
« Hé! Doucement, calme toi... » ai-je dit mentalement.
La créature a mis un certain moment avant de se rendre compte que je lui parlais. Elle s’est soudain arrêté de bouger dans tous les sens et s’est calmée.
« Voilà, c’est bien. Ne t’en fais pas, tout va bien. Tu n’as plus à t’inquiéter de ce que te feras ton maître.
-Qui êtes vous? »

La voix était indubitablement féminine et... putain, sensuelle! Ca m’a choqué.
« Je m’appelle Monarque. Et toi, comment t’appelles-tu? »
Un temps.
« Rashk’Zerig Kirdörhan. »
A tes souhaits.
« Que me veux-tu, Monarque?
-J’ai tué ton maître. (Mensonge honteux, mais judicieux. Elle s’est tout de suite apaisée un peu plus. J’ai même ressenti de la ... reconnaissance?) Je souhaiterais que l’on s’associe, toi et moi.
-S’associer? Tu veux dire m’asservir à ton tour pour me plier à tes moindres volontés. »

C’est qu’elle avait de la suite dans les idées, voyez-vous.
« On ne peut rien te cacher. Mais je pense être une bonne option.
-Quelles sont les alternatives?
-Et bien, tu peux rester dans cette petite baballe le restant de l’éternité. Je garantis les frais de logement. »

Elle a ri. Me demandez pas comment, mais c’est vraiment l’impression que j’ai eu. On est jamais trop sûr avec ces conversations mentales.
« Tu as de bons arguments, Monarque.
-J’en ai même trois énormes pour mes compagnes à deux pattes. »

Je n’ai pas la moindre idée du pourquoi j’ai sorti cette blague plus que douteuse à une ombre. N’empêche qu’elle a ri à nouveau. Je crois que je lui plaisais bien, à l’instant.
« A quoi m’emploierais-tu, Monarque?
-Ho, des choses et d’autres. Espionnage, reconnaissance, protection rapprochée, assassinat...
-Vaste programme.
-N’est-ce pas?
-Oui. Tu dis que mon maître est mort?
-Oui.
-Tu mens. Je sens encore le lien qui nous unit. Il est certes très faible, mais il est toujours là.
-Hmm. Bon, admettons que j’ai légèrement menti? »

Silence durant quelques instants interminables. J’ai même cru que le contact avait été coupé.
« J’accepte, Monarque. Mais à quelques conditions.
-Lesquelles?
-Je veux que l’on pactise. »

Aïe. Pourquoi les créatures surnaturelles veulent-elles toujours d’un foutu Pacte?
« Très bien. Autre chose?
-Nous verrons cela. Tu peux me faire sortir.
-Qu’est-ce qui me dit que tu n’essaieras pas de me tuer? »

Elle a souri mentalement.
« Je t’ai donné mon nom. Tu as déjà tous pouvoirs sur moi, si tu le désires. »
Hein, son nom? Elle voulait parlé de son baragouin guttural de tout à l’heure?
« Oui, certes. »
J’ai rompu le lien mental et repris contact avec le monde extérieur. La pièce était tellement éclairée qu’il ne pouvait être que l’après midi. Rose s’était assoupie sur le lit. Tu parles d’une assistante. Dans ce genre de confrontation, le temps s’écoule toujours différemment. Soit il nous paraît beaucoup plus rapide, soit beaucoup plus lent. J’ai profité de cette pause pour me dégourdir les jambes et faire craquer ce qui avait besoin de l’être. J’ai frotté mes yeux et baillé. J’ai ensuite fermé les rideaux pour ne pas que Liz (c’est comme ça que j’appelle mon ombre) ne souffre pas. Enfin, je n’en savais rien, mais je supposais qu’une ombre avait besoin d’obscurité pour se sentir bien.
Respirant un bon coup, quelques sortilèges sous le coude au cas où elle me jouerait un tour, j’ai ouvert la sphère. Elle en est sortie lentement, rampant sur le sol comme... bah l’ombre qu’elle est. Je me suis assis dos contre le lit, et j’ai tendue la main. Elle est venue s’y blottir en boule.
« J’ai l’impression que cela fait une éternité que j’étais là dedans.
-Ho, guère plus d’une seconde en réalité. »

Elle a ri encore. Décidément, une vraie boute-en-train.
On a pactisé. Comme condition à l’utilisation de ses pouvoirs, je ne peux lui ordonner de tuer quelqu’un. Elle peut par contre le faire de son propre gré, à condition que l’individu ou la chose en question présente une attitude hostile envers moi. Je peux l’envoyer fureter dans un rayon de 1 kilomètre seulement, mais grâce à notre nouveau lien nous pouvons communiquer mentalement. Fort pratique. Après, il y a aussi les modalités courantes et habituelles d’un pacte : Relation exclusive de la créature envers son maître, à comprendre qu’elle ne peut communiquer qu’avec moi même, et bien sûr le lien de sang. Si je me fais tuer, elle meurt. Si elle meurt pour X raison, j’agonise, mais ai une chance de survie. C’est pas très équitable, mais c’est comme ainsi. Et comme les deux partis sont heureux comme ça... Enfin est venue la question a trois piècettes.
« Quelle forme veux-tu que j’adopte? »

Je me suis demandé ce qu’elle entendait par là.
« A quoi veux-tu que je ressemble? Je peux prendre n’importe quelle apparence. Mais réfléchit bien, elle sera irréversible. »
J’étais un peu pris au dépourvu. Et là, j’ai dis la seule connerie de mon existence que je ne regrette pas. La première chose qui m’est passée à l’esprit, aidée par le son exquis de sa voix.
« Une putain de Terysford. »
(Pour la petite anecdote, Terysford est une ville du Lancaster, où j’avais eu l’immense plaisir de devoir enlever et liquider une putain qui en savait un peu trop sur les plans du prince local. La fourbe avait usé de ses charmes sur moi pour que je consente à la laisser partir. Gentleman, je m’y étais résigné mais à grand peine.)  
Et, effectivement... Elle a d’abord commencé par descendre de ma main, toujours tendue, pour retourner par terre, au centre de la pièce. Puis, lentement, elle a pris forme. Elle s’est allongée vers le haut, pour arriver à ma taille exacte. Les jambes, longues, sublimes, se sont dessinées, puis les bras, menus mais athlétiques, ensuite se fut au tour du cou et des épaules, graciles et délicates. La taille, fine juste ce qu’il faut. Une poitrine à vouloir vivre dedans, couverte par une tunique au décolleté affriolant. Et enfin le visage. Une cristallisation de mes fantasmes, je crois. Un nez divin, aquilin et volontaire, des lèvres légèrement pulpeuses et sensuelles, des cheveux suffisamment longs pour lui caresser les reins comme une cascade tumultueuse. Et des yeux. Des yeux vermeilles, démoniquement attirants et aguicheurs. Bien sûr, Liz reste une ombre, et en tant que telle possède une peau sombre, à mi chemin entre l’ébène et le violet sombre. Une peau à la texture veloutée. Je ne sais trop comment, mais, effectivement, Liz peut se matérialiser au sens littéraire du terme. Avoir une consistance propre.
Pour ne rien cacher, devant cette apparition mon petit soldat s’est mis au garde à vous. Je vivais éveillé le fantasme et le rêve de tous les sorciers pervers d’un certain âge : Posséder un démon familier ayant l’apparence de la plus belle jeune femme qu’on ait jamais vu. Elle a senti mon trouble, car elle a ri de sa voix terriblement sensuelle et s’est approchée de moi, avec son déhanché à vous faire tourner la tête. J’ai tenté de me relever. Elle m’a repoussé et je suis tombé à la renverse sur le lit. J’étais totalement hypnotisé et en proie à des sentiments confus. Elle s’est pressée contre moi, et j’ai senti ses atouts sur ma poitrine avec un délice non dissimulé. Dieux! Que c’était bon! Nos désirs respectifs l’un de l’autre se mêlaient dans une union mentale intense. Ses mains se sont glissées sous ma ceinture et j’ai poussé un soupir lorsqu’elle... Enfin vous m’avez compris. Ne pouvant lutter contre mes pulsions, je l’ai embrassée, pendant que mes propres mains découvraient son corps avec une certaine liesse.
Je serais bien allé jusqu’au bout de mes idées si il n’y avait pas eu Rose à quelques centimètres de moi et Bière derrière la porte.

« Alors?, m’a demandé Tapinois. »
C’était le dernier à me poser la question, pendant que j’engloutissais ce qu’il me semblait des tonnes de porc salé, de bouillie de céréale, de légumes et de tubercules. Je lui ai indiqué du pouce mon ombre sur le mur derrière moi. Il l’a regardée, et a sursauté légèrement lorsqu’elle lui a fait « coucou » de la main, alors que moi je portais ma fourchette à ma bouche déjà trop pleine. Liz a rigolé, mais j’ai été le seul à l’entendre.
« Bien, bien, a fait Tapinois . »
Légèrement nerveux, il a commencé à jouer avec la pointe d’un de ses couteaux. Il aime pas trop tout ce qui touche à la magie.
« Qu’est-ce que vous avez foutu de votre journée?, j’ai demandé en me rinçant la gorge à la bière.
-J’ai profité du paysage. On a un beau point de vue sur la plaine depuis une petite colline, à environ 500 mètres au sud. »
Je l’imaginais bien, petit, gros et laid, à philosopher en haut d’une colline. J’ai ricané.
« Et les autres?
-Tu ne le leur a pas demandé directement?
-Trop occupé à récupérer des forces.
-Hmm... Bière a été recruté par une vieille fermière pour pas mal de trucs physiques. Elle lui a promis une partie de sa réserve de houblon en échange. J’ai vu Araignée batifoler avec une jeune demoiselle dans les champs. La fille du chef du village je crois. Ken et la petite chiure verte font des essais pour un nouveau type de balle. Ils ont trouvé une ancienne forge abandonnée je ne sais où. Ils y ont récupéré pas mal de ferraille à recycler. Zed passe son temps à dormir, et Manchot s’est entraîné. »
Soudain, j’ai réalisé.
« Hey! Quand est-ce que Bière est partie de devant ma porte?
-Vers midi je dirai.
-Je lui demanderai encore des trucs, tiens... Et Ciguë?
-Vue la fumée orange qui s’échappe de l’herboristerie depuis ce matin, j’en déduis qu’il s’est trouvé un petit camarade de jeu. »
Hmm. J’espérais qu’il nous concoctait un petit truc sympa.  

Ils sont tous rentrés à des heures différentes, Bière le premier, Araignée le dernier. Bien sûr, ça ne plaisait pas trop à l’aubergiste, qui ronchonnait que son établissement n’était pas un moulin. Mais on s’en cognait pas mal. On paye, il se tait. C’est comme ça que ça marche en tout cas dans pas mal de royaumes.
Vu le sourire de benêt qu’Araignée m’a adressé, j’en ai conclu qu’il avait lui même conclu son affaire. Je lui ai fait une tape dans le dos.
« Bonne nuit Chef.
-Bonne nuit gamin. »
Ken et Tekno semblaient s’entendre comme larrons en foire à présent. Ils n’arrêtaient pas de parler, notamment d’un certain Fulgurator X-4, une sorte de version améliorée du modèle existant.
« On pourrait tenter un alliage p-p-plus lé-lé-léger pour gagner en vi-vitezze!
-Ouais, a répondu Ken avec un petit hochement de tête. »
Les bras croisés, tirant une gueule sérieuse comme une tombe, il semblait en pleine réflexion. Je les ai laissés à leurs affaires, et suis sorti pour mener les miennes à terme. J’ai pris à gauche, pour remonter la rue pavée qui sortait du village par le nord. En chemin, Liz s’est matérialisée sur moi. Ses cuisses enserraient ma taille, ses bras étaient passés autours de mon cou et ses mains jouaient avec ma chevelure. Je l’ai embrassée.
« Où en étions nous, maître? » elle m’a fait avec sa voix si... Hmm.
Je l’ai portée (elle ne pèse rien) jusqu’à un grand arbre, et je me suis couché dessus. On s’est fait des mamours passionnées pendant quelques minutes. Puis elle s’est glissée lascivement vers mon entrejambe. J’ai laissé faire avec délice.
Croyez moi si vous voulez, mais faire l’amour à une ombre qui ressemble à la fille de vos rêves... C’est la chose la plus dingue et la plus géniale qui me soit arrivée. Une explosion des sens, un plaisir rarement égalé. Et puis, comparé à Liz, j’étais un petit garçon naïf. Je ne sais pas où elle a appris tout ce qu’elle me fait, mais je loue tous les jours son professeur.
Cette nuit là, je n’ai pas dormi. Une nuit qui restera gravée à jamais dans ma mémoire. A l’aube, quand elle s’est allongée sur mon corps emperlé de sueur et éreinté, quand elle m’a fait son sourire malicieux, j’ai songé que si j’avais pu, je serais tombé amoureux.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: raphael14 le dimanche 19 avril 2009, 18:30:27
Super, déjà la suite de Monarque !
Un autre bon moment à lire. Ca se savoure comme du bon chocolat. J'aime bien tes nouveaux personnages : Teknogure et Liz qui je le présent vont nous donner d'autre bon moment de lecture.
En tout cas un grand moment et bravo à toi GMS.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le samedi 25 avril 2009, 22:20:27
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: silver le mercredi 29 avril 2009, 15:29:31
J'adore tous ces récits. J'ai tout récemment lu tes chef-d'œuvres.

Commençons par le début, L'histoire de Samyël est tout simplement magnifique. Un jeune homme voulant sauver des vies et vengé tout ses proches. Il ne peut faire que de l'Altération et ne semble pas pouvoir faire autre chose, son lien avec la bête est évident. Il ne pourra pas s'en défaire et il lui donnera à mon avis, un pouvoir essentiel pour sa quête. La psychologie de ce personnage me plaît énormément

J'ai adoré Henri et le courage qu'il a eu pour se sacrifier à la place de Rirjk. Il était un personnage qui a su donner le comportement adéquat à Samyël pour ce qu'il va enduré.

J'adore Rirjk qui malgré son apparente culpabilité à quand même fait face à son destin. J'espère qu'on saura un jour ce qu'il lui est arrivé.

J'était triste de la mort de Zackary, j'aurai voulu qu'il survive un peu plus longtemps. Mais je ne t'en veux pas, c'est tout de même mieux ainsi.

Maintenant, parlons d'Argoth. J'adore ce personnage, le but qu'il s'est fixé est tout simplement prodigieux. Il est très rusé et sait rester humble en toute circonstances et le courage qu'il a de faire confiance à quelqu'un qu'il ne connaît pas démontre un talent incroyable pour repérer quelqu'un de confiance.

Et pour finir, J'adore Monarque qui est très intéressant et a de vrais amis. Il fera de grandes choses pour moi. Ce personnage est tout splendide.

Je te souhaite une bonne continuation dans tes récits.

J'espère voir très prochainement l'histoire de Samyël qui reste mon préféré de tous.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le lundi 04 mai 2009, 20:18:32
Hey! Ca fait toujours plaisir de voir de nouvelles têtes dans le coin, merci Silver ^^ Cependant, au risque de te décevoir le Cycle du Rouge ne devrait pas reparaître avant un petit moment. Enfin, je sais pas. Si je me motive pour finir le chapitre 20, le petit moment pourrait se transformer en très vite... ^^

Sur ce, comme promis, la suite de Monarque! Bonne rentrée à ceux qui, comme moi hélas, ont repris les cours ce matin.


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Le lendemain, maître Tael nous a tous conviés chez lui, pendant que les hommes du village étaient partis faire une bonne vieille battue. Moi j’avais la mort dans l’âme. Manchot encore plus, après que je lui ai eu raconté nos aventures nocturnes.
Je trônais comme un prince sur le lit de Tael et, assez ironiquement, Hélène s’occupait de mon corps meurtri. Elle semblait avoir totalement oublié ce que j’avais pu faire à son John de mari dans une autre vie lointaine, maintenant que j’avais sauvé ses petites miches rebondies. J’ai grimacé quand elle a frôlé mes plaies pectorales en mettant les bandages.
« Putain, mais fais un peu attention, femme, ai-je crié. 
-Ce serait plus simple pour nous deux si tu arrêtais de gigoter comme une femme, abruti. »
Certaines personnes sont des orateurs nés, qui savent précisément où frapper pour toucher leur auditoire. Etrangement, je l’appréciais, Hélène. Elle avait du piquant.
Maître Tael se tenait un peu en retrait, sur son siège. Il fumait sa pipe avec la tête du type qui a le problème de la guerre dans le monde sur les épaules, avec celui des miséreux et de la peste noire.  
Tapinois et les autres avaient toujours un peu des gueules de déterrés. Les effets de la drogue prenaient leur temps pour se dissiper. De toute façon, avec la quantité qu’ils en avaient ingurgitée... Le petit gros, surtout, s’en voulait de s’être fait avoir. Le bon air de la campagne, ça vous change un homme, aussi petit, gros et laid soit-il.
« Bon, Tael. Il va falloir raconter maintenant. Pourquoi Zed est devenu le gros truc tout moche qu’il est maintenant? »
Voulant se donner un air mystique, la pomme de terre a tiré une longue bouffée sur sa pipe. Il a discrètement lancé une oeillade vers Araignée, qui avait sa fille Jill sur les genoux.
« Il a contracté la fièvre du changeforme. »
Coup d’oeil a Ciguë. Non, inconnu au bataillon.
« Elle fait quoi, cette fièvre?
-Comme son nom l’indique, ceux qui l’attrapent se transforment en monstres.
-Des espèces de loups-garous?
-En quelque sorte. Mais chez eux, la transformation est irréversible et permanente.
-C’est moche... Désolé pour ton frère, Manchot. »
Ils lui ont tous fait une tape sur l’épaule. Il avait l’air mortifié.
« C’est quel genre de monstre, a demandé Bière.
-Cela dépend des individus. J’en ai vu trois en tout. L’un ressemblait à un ours géant, un autre avait subit une transformation osseuse qui lui donnait un air d’araignée humaine.
-Et le troisième?
-Vous l’avez vu comme moi. »
Ho. Autant pour moi. Hélène a fini de me bander. Elle s’est assise sur le bord du lit, pour écouter la conversation. Hé mais! Pourquoi sa main frôlait mon bras?
« Ca s’attrape comment cette saloperie?
-Nous n’en avons pas la moindre idée. Les gens des environs qui l’ont attrapée menaient des vies très diverses, et n’avaient rien fait de spécial les jours avant leur contamination... »
Il m’a jeté un regard, du genre qu’on aime pas trop recevoir. De ceux qui vous disent « Attention : dans deux secondes je vais te demander d’aller à l’autre bout du monde pour tuer un dragon ».
« Cependant nous en connaissons la cause.
-Chouette.
-Un sorcier du nord est arrivé dans le compté, il y a environ deux ans.
-Laissez moi deviner, il était petit, chauve, malingre et asthmatique.
-Presque. Grand, filiforme. Un aspect de spectre. Il a gagné les faveurs des gens du coin (notez qu’il excluait Ashenvâl, tanière des gens de bien) en rendant divers services par-ci par-là. Soigner des bêtes, des blessures courantes ce genre de chose. Il a fini par rentrer dans les bonnes grâces d’Abbendas. Notre bon seigneur lui a alors légué un petit domaine pour son usage personnel. L’ancien donjon de Kerdanac. Une espèce de ruine obscène, mais qui possède toujours sa tour centrale, en plus ou moins bon état. Depuis lors, il s’est enfermé là dedans et on l’a jamais revu. Par contre, c’est à peu près à la même période que les premiers cas de fièvre se sont manifestés. Certains villages ont été totalement ravagés, mais malgré nos nombreuses requêtes, Abendas n’en a jamais eu cure. Alors, on a engagé un tueur de sorcier. »
J’ai tiqué. Il y a peu de choses dans cet univers qui m’inspire une terreur assez forte pour me faire parcourir trente kilomètres à la course, dans une alternance de forêt et de marécage. Les tueurs de sorciers en font partie. Ils n’usurpent pas leur nom.
« Un brave homme, très gentil. Il est partie pour Kerdanac, mais on l’a jamais revu. »
Ouf, je dormirai plus tranquille à présent.
« Cependant, la fièvre disparut. Jusqu’à hier...
-Et ce qui vous trouble tous, c’est que, pas de bol, ça coïncide tout pile avec notre présence sur les lieux.
-Et bien... Disons que certaines personnes jasent. 
-Ouais. Bien sûr. Je suis assez débile pour inoculer cette saleté à un des mes propres hommes, pour qu’il essaie de me bouffer ensuite! Heu, désolé Manch’. »
Tael s’est raclé la gorge. Foutus paysans.
« Vous inquiétez pas, on sera parti avant ce soir. »
Hélène s’est tournée vers moi, m’a fait un regard à tuer un mort.
« Pas question! Tu as besoin de repos.
-Silence, femme. Je ne t’ai rien demandée.
-Je m’en cogne, petit salopard de merde! Si tu fais mine de bouger je te les coupes et te les fais bouffer. »
Moi, comme toutes les personnes présentes dans la pièce, l’avons regardée avec de grands yeux ébahis. J’ai senti ma gorge se dessécher.  
« Bon, je suppose qu’on peut bien attendre un jour de plus... »
Tapinois et Ken ont ricané comme les foutus fumiers qu’ils sont.
« Messire Monarque. »
Le ton de Tael m’a rappelé à des réalités plus sombres.
« Hmm?
-Je voudrais vous demander quelque chose.
-Tant que vous avez de quoi nous payer. »
Il a paru soulagé. Il devait croire que ça allait plus difficile que ça à demander à un convalescent.
« J’ai déjà envoyé des missives aux autres villages, leur expliquant la situation. S’ils acceptent, vous recevrez cent pièces d’or à votre départ, et cent de plus lorsque vous nous ramènerez la tête du sorcier. 
-Qu... Deux... Deux cents galettes?, s’est récrié Ken.
-Ca fait combien chacun ça?
-A peu près vingt deux. »
Un silence calculateur s’est installé. Ca faisait un sacré paquet.
« D’où sortez vous ça, l’ancêtre? »
Il m’a fait un sourire énigmatique.
« C’est notre assurance spéciale « urgence. » »
Ma solde annuelle est d’environ une pièce d’or et cinquante écus d’argent.
« Vous savez faire affaires, maître Tael. 
-Pour sûr.
-Nous nous mettrons en route pour votre Ker-machin dans deux jours, après avoir touché le premier versement. Bon, trois jours, ai-je rectifié quand Hélène m’a de nouveau regardé. Pendant ce temps là, on va chercher Zed.

J’ai été assigné à résidence, en l’occurrence celle de maître Tael par mon infirmière. Les autres sont partis vaquer à leurs occupations respectives. Hélène changeait mon bandage toutes les deux heures, bien que ma blessure ne saignât déjà plus et que la douleur fût partie. Seule mon épaule me tiraillait encore un peu, mais je respectais bien mon rôle de vétéran endurci et ne le montrait pas. Je soupçonnais cette femme de prendre un certain plaisir à cette ouvrage.
Mes soupçons n’en furent plus lorsque, la nuit tombée, Tael et sa fille couchés, elle m’attacha les poignets aux pieds du lit et qu’elle me fit l’amour, contre ma volonté.


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6.[/align]



«  Tu tires une tête bizarre ce matin, m’a dit Tapinois.
-Tu veux dire que... je te ressemble un peu?
-Non. Je veux dire que... Ouais, c’est exactement ça. Tu tires la tête du type qui s’est fait violé par une femme d’environ quarante ans, dans les environs d’un mètre soixante, ronde mais pas vilaine du tout, rousse et dont tu as tué le mari. J’irai même jusqu’à dire que tu y as pris du plaisir, aux grognements gutturaux que tu produisais, et étant donné que la seconde fois tu n’étais plus attaché et que tu menais la danse. 
-Et toi tu as la tête du sale pervers qui s’est tripoté, caché dans le parterre sous la fenêtre en regardant faire. »
Il a ricané, j’ai ricané. Nous avons ricané. Liz aussi a ricané. La diablesse avait participé aux ébats, sans qu’Hélène ne le sache bien sûr, ni même Tapinois. Dieux! Quelle nuit. Je ne savais pas que tuer des hommes mariés rendait aussi heureux et comblé.  
« Quelles nouvelles?
-Aucune. Sauf qu’on semble de nouveau dans les bonnes grâces de la populace. Ils ont enterré les corps ce matin. Par contre, ils ont eu beau chercher, ils n’ont pas retrouvé la colonne vertébrale de Lang. »
On s’est regardé. On a ri. Sacré Ciguë.

J’ai passé le reste de la journée à noircir ces pages.


[align=center]7. [/align]


« On dirait que le clébard a trouvé quelque chose, a crié Ken. »
« Il a trouvé des traces de pas », m’a traduit Liz.
Je déteste chasser un truc méchant, dans une forêt, en pleine nuit, quand il neige et que ça a l’air de vouloir neiger plus. J’ai juré pour la Xième fois cette nuit là et j’ai rejoint Ken, quelques mètres plus loin. Effectivement, de belles traces. Le bridé était accroupi devant, son fulgurator à la main pendant que Teknogure avait toutes les peines du monde à ne pas se faire tracter par le chien. Une petite chiure nerveuse dont on nous avait assuré qu’elle avait le meilleur flaire à des kilomètres à la ronde. (Et le plus gros prix aussi.)
« Foutus radins de paysans pingres de mes deux, ai-je encore juré.
-Pardon chef?
-T’occupes. C’est Zed? »
Il a paru hésiter.
« J’en suis pas sûr à cent pourcents, parce que je l’ai pas vu de mes propres yeux... Mais je crois. Elles ne ressemblent à rien de ce que j’ai déjà vu. Mais leurs tailles...
-Ouais. Combien? »
Il m’a regardé. Il était nerveux et tendu.
« Moins de quelques minutes. »
J’ai relevé les yeux à mon tour. Putain de neige. Tout à coup, je me suis senti étouffé, suffoquant. J’ai cru voir des yeux rouges se faufiler entre deux troncs. J’ai resserré un peu plus les pans de mon manteau sur moi. J’aurais bien aimé avoir mon étendard. Ken s’est relevé lentement. Il s’est assuré pour la je-ne-sais-combien de fois qu’il avait bien mis des cartouches dans son fusil, et que la culasse n’était pas gelée.
« Tek. Reste bien près de nous. »
Comme si il fallait vraiment le lui dire. Il était au bord de la crise de nerf. Il serrait son pistolet si fort que j’ai cru qu’il allait le broyer.
Soudain, j’ai cru sentir une odeur familière. Mais pas moyen d’en être sûr, avec cette neige. Liz ne m’avançait pas plus. La poudreuse brouillait ses sens. Je sentais son souffle ectoplasmique dans mon cou, qui m’apaisait. Pour une fois, j’aurais adoré avoir le capitaine et ses deux milles hommes avec moi, pour me donner une tasse de chocolat et me dire que tout allait bien se passer.
« Zed, foutu salopard. Qu’est-ce qui t’est passé derrière la tête?... »
Comme pour me répondre, un cri déchirant a déchiré la nuit... Je me suis crispé sur la garde de mon épée. Mon autre main s’est mise à serrer convulsivement le parchemin d’entrave du quatrième niveau que je m’étais appliqué proprement à fabriquer ce matin. Ken a sursauté. Le chien a hurlé. J’ai cru que Tek allait s’évanouir.
« T’as reconnu le timbre de la voix?
-Non, difficile à dire. C’était plutôt loin.
-Ouais. J’espère que c’est pas un des nôtres. »
Mais qui ça pouvait bien être d’autre? Allons, Monarque. Affronte la réalité.
« Chef? Vous avez entendu? 
-Restez sur vos gardes. Je crois qu’il... »
Ken m’a foutu un coup de crosse pour m’écarter. Dans la seconde suivante, un hurlement de damné a précédé une détonation assourdissante. Le fulgurator a frappé. La bête a glapi et s’est effondrée dans la neige, abattue en plein vol. Ken a rechargé aussi vite qu’il le pouvait. J’ai toujours apprécié son professionnalisme. Le chien s’est mis à aboyer. Il tirait si fort sur sa laisse que Teknogure l’a lâché. Il a foncé droit sur le machin, qui n’était pas Zed. Probablement un cousin. Le cousin s’est soudain relevé en un éclair et a gobé le clébard comme un biscuit apéritif. Il ressemblait vaguement à un lapin humanoïde géant. Il avait deux longues oreilles de chaque côté de son crâne pointu, de petits yeux rouges et méchants et deux longues dents pointues à l’avant de la mâchoire. Il était couvert de poils, était quatre fois plus musclé que Bière et franchement pas content d’avoir un trou de dix-huit centimètres dans le torse. Mais ça ne semblait pas le gêner plus que ça.
« Ho merde, a juré Ken. »
Il l’a remis en joue, et ses bras tremblaient. Le coup est parti, mais Lapinou a bondi sur le côté, puis bondi sur Ken. Il s’est mangé un bon coup de crosse des familles. Il a tenté de mordre, mais Ken a eu le réflexe de lui mettre son arme dans la gueule pour le maintenir à distance. J’en ai profité pour lui passer mon épée en travers du corps, en essayant de sectionner sa colonne vertébrale proéminente. Je n’ai pas réussi, mais il l’a quand même senti. Dans un élan de rage, il s’est retourné et m’a balancé contre un arbre comme si je n’eus rien pesé. Mon crâne a frappé le tronc et j’ai été assommé quelques secondes. Quand je suis revenu à moi, Ken gisait au sol dans un marre de sang, et Lapinox me toisait de toute sa répugnance. Il a fait un truc qui ressemblait à un rire. Ou une quinte de toux.
Il s’est penché vers moi, canines en avant. J’ai embrassé la mort de près. Mais soudain, une série de détonations a brisé le charme de notre rencontre. Le côté droit de son visage a éclaté, et des petits fragment d’os ont volé. Il s’est redressé en hurlant de rage et de douleur, se tenant la tête comme un humain. Il a dardé son dernier oeil valide sur Teknogure, qui le tenait toujours en joue et continuait d’appuyer sur la gâchette sans se rendre compte que c’était en vain. Il s’est évanoui quand Zed bis lui a couru après. J’étais encore trop faible pour lui venir en aide. J’ai cru que c’était la fin pour lui.
Mais une cartouche perforante a fusé dans l’air enneigé. Elle a touché sa cible avec une parfaite précision. Le cou du lapin-garou s’est presque détaché du tronc et s’est mis à pendre de façon grotesque et écoeurante sur le côté de son corps. Mais la saloperie vivait encore. Ne sachant plus trop où donner de la tête, elle s’est mise à tituber vers Ken, qui rampait désespérément à l’écart en rechargeant son arme de façon frénétique.
« Hé, chéri!, j’ai hurlé en me relevant. »
Bingo, ça a marché. Pendant qu’il faisait un effort pour pivoter vers moi, j’ai pris une bombe à peste dans ma poche et je l’ai lancé. Je n’avais pas le temps de regarder ce qui était écrit sur le côté, j’ai pris la première qui m’est venue. Je l’ai guidée magiquement pour qu’elle rentre dans le corps de la bête par le trou laissé par le premier tir de Fulgurator. Il y a eu une très légère explosion, qui a soulevé la cage thoracique du lapin tout en projetant un peu de chaire et de sang. Un gaz verdâtre et volatil s’est échappé. Et le monstre s’est mis à fondre, littéralement. S’il avait pu il aurait hurlé. J’ai contemplé le spectacle écoeurant quelques secondes puis je me suis précipité vers Ken.
« Hé! Ca va? Il t’a touché? »
Il a grimacé de douleur. Son torse pissait le sang. La neige fondait en fumant autour de lui.
« Ce con... Il a rouvert ma plaie.
-Laquelle?, l’ai-je pressé.
-La grosse. La dernière. »
J’ai juré. J’ai déchiré sa chemise. J’ai vomi sur le côté.
« A ce point Chef?
-Une égratignure.
-Je vous aimais bien Chef.
-Dis pas de connerie. Je vais m’occuper de ça. Le premier qui crie est une fillette. »
J’ai plus ou moins mis les pans de peau bout à bout puis sans perdre de temps ni prévenir j’ai invoqué une flamme et j’ai cautérisé à la rude. Ce fichu bridé n’a pas hurlé. Il s’est contenté de serrer les poings à se faire saigner, à révulser les yeux, à baver de l’écume, et bouger ses jambes comme s’il était possédé.
« Vous... êtes une... fillette, Chef, il m’a dit avant de sombrer. »
« Monarque? », m’a appelé Liz. Sa voix sublime était altérée par la peur et la nervosité.
« T’en fais pas chérie, je vais bien. Tu peux aller voir ce que font les autres? »
Je l’ai attendue quelques minutes, tout en tirant le corps Tekno vers celui de Ken.
« Ce foutu gobloche m’a sauvé la vie! », ai-je soudain réalisé.
Hormis sa syncope il n’avait rien. Le monstre n’était plus qu’un petit tas liquide et fumant, ainsi qu’horriblement puant. Liz s’est matérialisée à côté de moi. Malgré ma panique, j’ai remarqué qu’elle portait un manteau de fourrure bien chaud. J’ai pensé que c’était étrange, puisqu'après tout, une ombre ne ressent pas la température?
« Je les ai perdus. »
Pas bon du tout! Je me suis mordu la lèvre en tentant de calmer le tremblement de mes mains. Un hurlement familier a retenti, plus au sud. Loin. On s’était tous dispersé, pensant n’avoir qu’un seul de ces machins à traquer. Maintenant on faisait des proies faciles. Pour ce que j’en savais il pouvait aussi bien y avoir toute une meute.
Je me suis appliqué à tracer un cercle de protection autour de mes compagnons pendant que l’ombre de mes nuits couvraient mes arrières. Puis j’ai récupéré mon épée et j’ai couru à travers bois.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: silver le lundi 04 mai 2009, 23:27:56
Tout simplement, Magnifique! :niais:

Je ne t'en veux pas de laisser le Cycle Rouge de côté, il faut te laisser le temps pour sentir l'inspiration.

Revenons à Monarque, j'adore le développement que tu lui donnes.

L'histoire est palpitante. On sent l'aspect critique de la situation.

Je n'ai qu'une chose à dire, Bravo. Je suis déjà impatient de voir la suite.

Bonne continuation.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le dimanche 10 mai 2009, 16:58:41
Plop, plop,  c'est moi, fidèle au rendez-vous ^^

Merci pour le commentaire Silver! J'espère que la suite continuera à te plaire.

Sur ce, bonne lecture, et à la semaine prochaine!


_____



[align=center]8. [/align]


Un silence de mort régnait sur la clairière. La neige tombait lentement en spirales lumineuses. On se serait cru dans un rêve, de ceux dans lesquels tout vous parait irréel. Le sang, écarlate, tranchait nettement avec la blancheur de la poudreuse, qu'il faisait fondre en se déployant.
Sans un mot, nous contemplions les corps enlacés de Manchot et son frère, Zed.


[align=center]9.[/align]



Il fallait reconnaître que l'endroit n'était guère accueillant. La tour s'élevait dans l'air lourd du soir, et sa cime enveloppée de brume transparaissait diffusément sur la lune pleine, jaunâtre et énorme. Exactement comme dans les histoires de fantômes et de magie noire. Des pans de murs plus anciens se tenaient encore plus ou moins debout, laissant imaginer l'ancienne configuration des lieux. Seul le jardin était encore reconnaissable, mais la mauvaise herbe avait tout envahi. Un fossé relativement profond avait été creusé beaucoup plus récemment autour du donjon, une passerelle en bois rudimentaire jetée par dessus. Originellement desservie par des couloirs internes, la porte qu'on avait ajoutée à sa base ainsi que les morceaux de maçonnerie plus récents donnaient une allure pittoresque à l'édifice.
"Ca a exactement la gueule que je m'étais imaginé, a commenté Araignée, lugubre."
L'ambiance était plutôt mauvaise. On avait encore la mort de nos camarades à l'esprit. On comptait faire payer ce salaud. Cependant, nous progressions en effectif réduit. En effet, j'avais laissé au village Ken, Bière et Rose, tous blessés lors de cette terrible nuit. Teknogure avait pour mission de veiller sur eux.
"Qu'est-ce qu'on fait?, a demandé Tapinois.
-Je dois m'assurer de quelque chose, ne bougez pas."
Je suis sorti du couvert des arbres, et me suis avancé prudemment vers la tour. Plus je l'observais, pour j'avais le bide qui se serrait. J'ai progressé furtivement d'une ruine à l'autre, pour rester à découvert le moins longtemps possible. Lorsque j'ai été assez près, j'ai testé les défenses de la tour. A ma grande surprise, les protections, car il y en avait bien, n'étaient nullement destinées à repousser d'éventuels visiteurs ou voleurs. Les runes courant le long des moellons étaient les composantes d'une variante d'un charme de protection contre le mal. Nous pouvions passez sans problème. J'ai fait signe à mes compagnons de me rejoindre, puis une fois regroupés nous nous sommes élancés vers la porte.
"Vous croyez qu'il sait qu'on est là?
-Sinon tu crois que tu serais encore là pour parler?"
Tapinois a crocheté la serrure en deux coups de dague. On s'est glissé à l'intérieur aussi silencieusement que possible, puis j'ai refermé la porte et mis la barre en place. Nous étions dans une espèce de grand hall, réaménagé à cet effet. Un tapis rouge plus ou moins bien entretenu courait du seuil jusqu'au fond, puis continuait sur les marches d'un grand escaliers en colimaçon qui bien sûr desservait toute la tour. Le mobilier se résumait à un porte-manteaux, auquel pendait une cape de pluie.
"Marrant. Je me faisais une idée un peu plus sombre de l'antre d'un mage noir, a commenté Araignée.
-J'avoue, a ajouté Tapinois."
L'instant suivant, j'étais au sol, bouche ouverte, corps affreusement contracté, aphone et en proie à une névralgie poignante. Sentiment affreux de ne pouvoir rien faire contre la mort en marche. Une ombre a sauté depuis l'escalier vers nous. Son sabre fin à deux mains a fendu l'air en faisait un bruit de vent. J'ai regardé la lame sans vraiment comprendre. Heureusement pour moi, Tapinois a bondi tout aussi rapidement. Ses dagues ont dévié l'arme. La silhouette est sortie de mon champ de vision restreint, et tandis que j'agonisais par terre, des bruits diffus de bataille rangée me parvenaient. Il fallait pas être super futé pour en déduire ce qu'il était advenu du tueur de sorcier.
"Attendez, a soudain fait une voix d'outre-tombe. Vous n'êtes pas comme eux.
-Qu'est-ce que tu baves, salopard, a répondu Araignée.
-Non, attendez. Je vous en prie. C'est une méprise. Nous n'avons aucune raison de nous battre."
A peine l'inconnu avait-il prononcé ces mots que je recouvrai le contrôle de mon corps. Comme toujours dans ces cas là, le monde a tourné, tangué, disparu, reparu, une douleur effroyable a embrasé chaque nerf, chaque microfibre de chaire. Mon cerveau a fondu, s'est remodelé. J'ai sombré dans l'inconscience par intermittence durant quelques secondes. Puis tout est redevenu normal. Ciguë m'a relevé, en me palpant pour m'ausculter. Je lui ai fait signe que ça allait.  
J'ai relevé la tête pour regarder notre chasseur de sorcier, peu assuré quant à ma joie de le savoir toujours en vie, pour me rendre compte qu'il était déjà mort.
"Je suis désolé de cette méprise, fit-il en replaçant son sabre à lame fine dans son dos. Comprenez, messires, les visiteurs se font rares ces temps-ci, et avec les changeformes qui rôdent au dehors, il ne coûte rien d'être prudent."
Je n'écoutais pas ce qu'il disait. Toute mon attention était focalisé sur son oeil unique et le dernier lambeau de peau qui couvrait son crâne poli, de la tempe droite à la pommette droite. Tout aussi unique, une touffe de cheveux gras blonds délavés sortait de la capuche noire pour pendre pitoyablement sur le côté. De l'autre, sur le front et jusqu'à l'oeil, la trace incrustée d'une paire de griffes dessinait deux longues lignes parallèles. Vêtu d'un ample manteau de cuir noir à capuchon qui masquait en grande partie sa silhouette décharnée, il portait également des mitaines de cuir et des bottes à moitié pourrie de même matière. Ses doigts de pieds squelettiques en ressortaient sur le devant.
Fascinant.
"Ho, mais quel hôte déplorable je fais, continuait-il (et sa voix éthérée prenait l'accent véridique de la gêne), je ne me suis guère présentée, alors même que je vous ai injustement agressés. Encore une fois vous m'en voyez désolé, messires. Je suis Jill "au long manteau". Je suis un chasseur de sorcier renommé, comptant dans son tableau des proies prestigieuses, qui m'ont valu reconnaissance et renom à travers le monde. Voyez vous, mon père lui même était un chasseur, il m'a appris le métier, qu'il tenait lui même de son père qui lui même le tenait de son père. En réalité je pourrai remonter comme cela sur au moins sept génération, car la chasse coule dans notre sang. Un sang à l'origine d'ailleurs bien intéressante, car en effet, Bertold le hardi, mon 18e bisaïeul, qui était paysan dans le Lancaster, rencontra un jour une femme fort jolie dont il s'éprit. Lui faisant la cour avec toute l'habilité qu'on nous connaît dans la famille, il l'épousa tôt, mais eut la désagréable surprise de découvrir que sa chère et tendre était en réalité une sorcière qui conjurait des démons la nuit. Éploré, il résolut de la tuer, puis une fois sa tâche achevée troqua sa fourche contre le sabre, puis fonda la glorieuse famille Belmont, chasseurs de père en fils. Tout ça pour dire que je suis désolé de vous avoir attaqués tantôt, ce fut une regrettable erreur de jugement, si vous saviez comme je m'en veux! Vous n'êtes pas blessés au moins? Aucun d'entre vous, messires? Ha! Je suis soulagé. Oui, très bien.
-Mais... T'es mort, le coupa Araignée qui, à l'instar de nous tous, regardait Jill avec des yeux ronds et la mâchoire décrochée"
Il y eut un silence gêné.
"Certes."
Son baratin m'avait embrouillé, aussi ai-je mis un peu de temps avant de trier les informations qu'il venait de nous donner. Un Belmont? Quelle chance. Tout ce qu'il avait dit concernant sa famille était vraie, ils étaient sans conteste les meilleurs, surtout dans la traque aux nécromants. Branche assez antipathique de notre vaste famille, à nous magiciens. Ensuite, une révélation m'a frappée. (Métaphoriquement parlant.)
"Tu as parlé des changeformes.
-Oui, tout à fait.
-Tu veux dire que... Enfin que..."
Il a attendu patiemment que je daigne poursuivre. Je commençais à flairer un soupçon de paranoïa dans l'air, doublé d'une mascarade hilarante.
"Je veux dire?
-Et bien que... Qu'ils... ne viennent pas d'ici? De Kerdanac?
-Ho! Grands dieux, non!"
Il a fait le signe qui repousse le mal. La chose était assez amusante, puisqu'il était lui même, certainement, issu de quelques monstrueuses manipulations occultes, et donc forcément démoniaques.
"Pour tout dire, moi même ai été envoyé en ces lieux, de mon vivant, pour procéder à la mise à mort de maître Cyfrien. Un peu comme ce soir, c'était une lugubre nuit, propice aux ténèbres. La lune était énorme et putride dans le ciel déchiré de brumes funestes, des bruits malfaisants se répercutaient sous les branchages des arbres. Alors que je chevauchais, ces abominations m'ont tendu une embuscade au sortir des fourrées. J'ai tenté de lutter pour ma survie, mais me voyant bien malgré moi impuissant à les occire, j'ai jeté mon destrier dans un grand galop, qui me porta bon an mal an jusqu'ici. J'ai appelé à l'aide, frappé comme un dément à la porte. Mais hélas, maître Cyfrien est arrivé trop tard pour me sauver de la meute hurlante. Il a certes réussi à repousser les vilains, mais c'en était fait de moi."
Vous situez le personnage? Un discours pour me pondre un simple "non". Malgré sa condition... spéciale, il m'était assez sympathique. Il incarnait un personnage plutôt original.
"Mais... Peut-être me montrè-je un peu hardi de vous demander cela à brûle pourpoint. Cependant, puis-je savoir ce qui vous amène en cette demeure, messires?"
J'ai jeté un regard à Tapinois, qui a lui même zieuté Araignée, qui lui a miré Ciguë, qui a bouclé la boucle en me fixant. La belle affaire.
"Et bien, pour ne rien cacher, on s'était mis martel en tête de venir faire la fête à ton maître, mais il semblerait qu'on nous ait enduit en erreur.
-Ho, je vois. J'en suis fort aise. Voyez vous, je ne suis guère surpris. Vous n'êtes pas les premiers à venir dans ce but. Hélas, vos prédécesseurs se sont montrés beaucoup moins compréhensifs que vous."
Il a gloussé et ses os se sont entrechoqués.
"Souhaitez-vous que je vous mène au maître?
-Ouais. On en serait ravi, même."
-Parfait! Veuillez me suivre, messires. Son étude est située au dernier étage. Faites attentions, les escaliers sont parfois un peu traîtres."
Il a pris la tête de notre petite procession, sans cesser de babiller une seconde, sur le quotidien ici à Kerdanac, la difficulté de trouver des aliments frais etc etc. Lorsque j'ai trouvé une occasion j'ai posé une question qui me dérangeait depuis un moment.
"Jill, c'est ton vrai prénom? Pour une famille aussi illustre que la tienne, ça fait un peu campagnard...
-Ah ah! Un fin observateur, n'est-ce pas? Et bien vous avez tout à fait raison, cher monsieur. Je tiens d'ailleurs à vous féliciter, vous êtes le premier à m'en faire la réflexion. Jill n'est qu'un pseudonyme, une commodité confortable. Ma véritable dénomination est Gil'Haed Perigniac Belmont. Avouez que c'est plutôt long, bien que non dénué d'un certain caractère épique.
-J'avoue.
-Ha, si vous saviez, monsieur! Ce nom est plus qu'un nom. C'est un symbole, un hymne à la bravoure, à la droiture. Car figurez vous que Gil'Haed était un héros des Premiers Temps. Son Cycle a été le premier à parcourir le monde, alors même qu'il inscrivait ses exploits à la stèle de l'Histoire. On le connaît sous de nombreux titres, tels le Tuedragons, Mangeorks, Feryn et j'en passe. Il sillonnait les contrées à la recherche d'exploits à accomplir. A force, il aurait pu devenir roi s'il l'avait souhaité, mais c'était un homme simple, au fond, un véritable héro, il préféra se retirer à l'écart du monde, une fois le crépuscule tombé sur la rivière de sa vie, et seule sa légende perdura. Quant à Perigniac...
-C'est encore long?, a demandé Tapinois avec un air mauvais, tandis qu'Araignée baillait à s'en décrocher la mâchoire.
-Ho, non. Plus trop. Voilà, c'est ici."
Nous nous arrêtâmes devant une porte banale, qui marquait la fin de l'ascension. Gil'Haed frappa avec la discrétion d'un maître de maison accompli.
"C'est ouvert, entre.", répondit une voix étouffée.
Le revenant ouvrit puis s'écarta pour nous laisser pénétrer le domaine du sorcier, le fameux Cyfrien. Qui était penché sur une collection impressionnante d'alambics, de tubes, de tuyaux, de cornues et de toutes ces choses dont se servent les alchimistes, herboristes et autres pseudo-médecins. La pièce, relativement vaste, en était littéralement bourrée. On se demandait comment un homme saint d'esprit pouvait continuer à alimenter une bougie au milieu de pareil rassemblement hautement inflammablo-explosif.
"Maître, nous avons des invités, a déclaré Gil'Haed avec une voix aussi enjouée que sa condition de mort-vivant le lui permettait, sans s'apercevoir que ces fameux invités avaient tous les mains sur leurs armes, prêts à faire un carton à la moindre entourloupe.
-Ho?"
La silhouette intégralement noire se releva, et ce que je prenais pour un homme debout affublé d'une capuche serrée n'était autre que la moitié d'un dos, qui se dressa vers des cimes rarement atteintes par l'humanité. Sans blagues, ce type est réellement grand. Au moins 2m15. Il s'est retourné vers nous sans l'effet de théâtre auquel je m'attendais. On avait peut être été mené en bateau, mais il avait bel et bien la tête du sorcier des ombres sacrifiant chaque soir une vingtaine de vierges préalablement violées à des entités sombres avec lesquelles il déjeunait chaque semaine en mangeant des nourrissons. Pour l'apéritif.
Pourtant, à bien regarder... Outre sa taille, il présentait de nombreux signes distinctifs. Son corps, longiligne et effroyablement maigre, était entièrement caché par un amas de tissus noir rigide, qui se dressait étrangement aux épaules, et qui semblait littéralement flotter dans les airs à hauteur des chevilles, lui conférant une aura sombre. Il portait des babouches dont seules les pointes transparaissaient, toutes aussi noires que ses cheveux, masse longue et pendante qui brouillait les limites de sa tête et de son corps. Le peu qu'on distinguait de son visage était un masque de tissu noir couvrant sa bouche, se terminant en pointe sur sa poitrine. Son nez était long, extrêmement pointu et fin. Enfin, ses yeux verdâtres pâles cernés de noir (J'ai tout d'abord songé à du khôl, mais en réalité ce n'est que des cernes profondes.), renvoyant une image intense de mélancolie doublée d'une peine et d'une douleur inimaginables.
J'ai frissonné en le regardant. Certes, il avait une sacrée dégaine, qui faisait froid dans le dos, mais on éprouvait de la compassion en regardant ces yeux. Un silence embarrassé s'est installé. Même le bavard Gil'Haed ne savait que dire.
"Je suis enchanté, finit par dire Cyfrien en s'inclinant légèrement."
Il avait l'air réellement gêné. Il ne fallait pas être une flèche pour comprendre qu'il n'était pas à l'aise avec les relations sociales. C'est souvent le cas des sorciers ermites. Après tout c'est pour cela qu'ils se cloîtrent dans leurs tours. Cependant il était détendu et n'avait pas l'air de se sentir menacé le moins du monde. J'ai discrètement fait signe à ma fine équipe de se détendre.
"Nous de même, ai-je répondu en lui rendant son salut. Je suis Monarque. Voici Tapinois, Ciguë, Araignée."
L'avant dernier n'était pas du tout à l'affaire. Je le voyais jeter de grands regards dans les coins, en tripotant sa machette pour s'empêcher de toucher à tout. Pour lui, une telle étude est pareil à un antre de dragon.  
"Que... Que puis-je pour vous?, a demandé le sorcier.
-On voudrait comprendre, mon gars. (Il ne s'est pas offusqué de cette appellation, du moins n'en a-t-il rien montré.) Poser quelques questions.
-Je vous en prie... Mais... Peut-être serions nous plus à l'aise au salon, pour discuter. Jill, peut être pourrais-tu faire chauffer un peu de thé?
-Avec plaisir, maître."
Gil'Haed s'est engouffré dans l'escalier d'un pas gaillard, chantonnant. Franchement, j'avais déjà rencontré plus sinistre comme revenant.
"Je vous en prie... Le salon est à l'étage du dessous..., a dit le sorcier, semblant nous indiquer l'escalier."
Son masque le rendait difficilement audible. Sa voix se résumait à un murmure soupirant. Je l'ai observé de dos durant la descente. Assez troublant, on aurait dit qu'il flottait sur l'air plus qu'il ne marchait. J'ai tenté de faire une estimation sur l'étendu de ses pouvoirs, mais sans arriver à rien de concluant. Il devait cependant avoir un certain niveau, pour avoir réussi à disperser toute une meute de ces horreurs mutantes. Il a poussé une porte ouvrant sur une pièce confortable, et chaude grâce à l'âtre qui brûlait quiètement en crépitant. Six fauteuils vieux mais moelleux entouraient une table basse d'un style un peu vieillot. Cyfrien nous a indiqué de nous asseoir en faisant de même. "Etrange", me suis-je dit. Je n'avais toujours pas vu ses mains, ni ses bras s'agiter. Vraiment perturbant. Tapinois affichait la tête patibulaire du type qui préférait tailler dans du sorcier plutôt qu'une bavette avec ce même sorcier. Araignée se prélassait dans son fauteuil en y allant de son éternel petit commentaire tandis que le vieux muet paraissait franchement déçu d'avoir quitté si vite la salle de jeu du mage.
"Donc... Monsieur Monarque... Vous disiez vouloir me poser... quelques question?..."
Sa voix, en plus d'être faible, était traînante et donnait l'impression sérieuse que parler lui était une épreuve épouvantable.
"Ouais. A propos d'un certain type de créature mutante avec des dents comme ça.
-Ha..."
J'ai attendu en vain qu'il développe un peu.
"Vous voyez ce dont je parle?
-Oui. Les changeformes...
-Les changeformes en effet.
-Et... Que puis-je faire pour vous?
-J'aimerais comprendre. Voyez-vous, maître Tael, de la petite mais sympathique bourgade d'Ashenvâl, nous a offert une petite fortune pour vous tuer, sous prétexte que vous étiez la cause de cette épidémie. Mais votre serviteur, Jill, nous a affirmé que vous n'y étiez pour rien.
-Ha. Je vois..."
Il s'est redressé un peu plus dans son siège, droit comme un I. Il n'avait pas l'air autrement plus nerveux d'avoir en face des typés payés pour lui faire la peau.
"C'est fâcheux."
Au même moment, Gil'Haed est entré avec un plateau sur lequel reposaient cinq tasses et une théière bleue marine. Il les a posé sur la table basse et s'est installé à son tour. Je suis sûr que s'il avait encore des lèvres, ce garçon sourirait à tout bout de champ.
"Je... Vous l'affirme moi même, je n'ai rien à voir là-dedans. Pour preuve... Ces créatures m'assiègent régulièrement.
-Une idée du pourquoi? Ou du comment sont-elles arrivées dans les environs?
-Non... J'ai étudié un ou deux spécimens...
-Vous en avez capturés?!
-Non... Jill a réussi à en tuer deux. J'ai étudié les corps."
Ce même Jill m'a tendu une tasse fumante sentant bon la menthe.
"J'ai noté un organisme extrêmement résistant à tout facteur létal. Outils tranchants, contondants, perforant, poisons, acides, feu... Leur vitesse de régénération est également impressionnante. Leur système interne continue de fonctionner après le décès, et un individu bien conservé peut revenir à la vie au bout de quarante huit heures. Cependant, si la tête est coupée et ou le coeur détruit, la mort est irréversible. Je n'ai hélas, pas trouvé l'agent pathogène, si tant est qu'il en existe un. L'infection se transmet de façon inconnue. Voilà tout ce que je peux vous dire."
Après ce compte-rendu, qui pour lui devait tenir lieu de discours, il s'est retiré dans un silence profond qui nous a permis de réfléchir. L'histoire se compliquait. Si ce n'était pas lui, qui?...
"Et lui?, ai-je fait en montrant Gil'Haed pour changer de sujet.
-Moi?
-Ouais. C'est vous l'auteur? La Nécromancie n'est guère tolérée, 'savez."
Cyfrien a secoué la tête en regardant son serviteur.
"Ce n'est pas mon fait... Résurrection spontanée."
J'ai failli m'étouffer avec mon thé (délicieux d'ailleurs.). J'ai regardé le sorcier avec des yeux ronds.
"Sérieusement?
-Et bien... Oui.
-Mais... Pourquoi? La Chronique ne dénombre que 4 précédents, et tous avaient soit de super-pouvoirs soit des motifs obsessionnels démentiels."
Cyfrien a porté un regard brillant sur moi. En parlant de la Chronique, je venais de révéler mon appartenance à la caste des barbus à chapeaux pointus.
"Je l'ignore. J'ai émis l'hypothèse d'un influx de mana par les canaux frontaux périphériques, si on admet que l'origine des changeformes est magique et non biologique. Le cortex proto-génétique de Gil'Haed aurait pu absorber des résidus substantiels de magie brute, qui combinés à mes propres sortilèges et la magie volée à ses victimes antérieures auraient provoqué une injonction de mana, ancrant son esprit dans son corps. Une sorte d'auto-régénération de l'âme..."
J'ai hoché la tête, pensif. J'aime parler à des gens qui s'y connaissent.
"Cela me paraît un peu tiré par les cheveux tout de même. Gil'Haed n'ayant pas été de son vivant mage lui même."
Mis à part moi et mon nouveau copain, tout le monde dans la pièce se dévisageaient avec des grands yeux perdus. Ciguë un peu moins. Je le soupçonnais de saisir quelques notions. J'allais continuer le débat, passionnant au demeurant, lorsque que le premier coup sourd a retenti. Le bruit était trop caractéristique pour être autre chose qu'une porte qu'on enfonce. Moi, Tapinois et les autres nous sommes relevés d'un bond, prêts à tailler dans le vif. Cyfrien et Belmont gardaient leur calme.
"Ce n'est rien, messires, fit le second. Ce sont les changeformes. Vous avez du les attirer avec votre odeur. Ils seront partis bientôt."
Boom, boom. Les coups se répétaient. Sans vraiment savoir pourquoi, j'eus un mauvais pressentiment. Comme nos hôtes ne s'affolaient pas, nous les imitâmes. Un hurlement de triomphe perça la nuit.
De triomphe?
Cyfrien avait entendu la même chose que moi. Fronçant l'un de ses fins sourcils, il se leva et vint se poster devant la fenêtre. Il se pencha pour mieux voir. Rien ne trahit un quelconque changement chez lui.
"Monsieur Monarque... (Sa voix était hésitante, comme si la question qu'il allait poser le peinait par avance.) Avez-vous remis la barre en place?... Dans le hall..."
Pris au dépourvu, j'ai balbutié un "heu..." avant d'envoyer Liz me chercher l'information.
"Oui."
Dans la seconde, Perigniac s'envolait littéralement vers la porte et dévalait l'escalier dans un tourbillon de cape.
"C'est fâcheux, fit Cyfrien de sa petite voix.
-Qu'est-ce qu'il y a?, ai-je demandé en me relevant, nerveux.
-La barre était le garde fou du complexe de sortilèges... En la rabaissant, vous avez... sans le vouloir, détruit toutes mes défenses. La tour est perdue."
J'ai accouru à la fenêtre pour voir à quoi on avait à faire. Ma gorge s'est desséchée en une seconde. Une marée de ces choses prenaient le repaire d'assaut! Et nous avions eu toutes les peines du monde à en envoyer 3 ad patres  dans la forêt!
"Y a-t-il une autre issu?, voulut savoir Tapinois qui malgré tout gardait la tête sur les épaules.
-Hélas... Peut être y en a-t-il une dans les catacombes... Mais je ne les ai jamais explorés... Ce pourrait tout aussi bien un piège mortel.
-Tant pis, ai-je dit. On s'en contentera."
Nous avons rejoint Jill dans le hall. Grâce à sa rapidité de réaction, la porte tenait toujours. Mais pour combien de temps? Cyfrien a soulevé un tapis miteux, révélant une trappe en bois massif avec un gros anneau en fer forgé. Au même moment, la porte explosait dans une pluie d'échardes. Une marée puante de crocs, de yeux rouges, de griffes, de peau albinos et d'oreilles pointues s'est engouffrée en hurlant comme un choeur de damnée dans la tour. Sans perdre de temps, j'ai projeté une balle de feu dans le tas. Deux individus se sont embrasés comme des torches, mais à part les arrêter quelques secondes ce n'eut aucun effet notable.
"Chiasse, ai-je juré.
-Il faudrait m'aider avec cette trappe, a dit le sorcier. je n'y arriverai pas seul."
Sa voix ne trahissait aucune peur. Araignée et moi avons accouru à son secours. La vague de changeformes s'est brisée sur trois gros rochers. Jill en a décapité trois d'un coup de son sabre long. Tapinois a engagé un corps à corps furieux, faisant danser ses dagues comme des éclairs d'argent. Ciguë quant à lui, tranchait dans la masse, sans faire de tâches. Image assez cocasse, me suis-je dit en tirant ce fichu anneau. Un grand échalas maigre comme un clou et couvert d'un seul pagne, contre une armée de monstres avec des pattes comme des poutres.
"Aller, encore un petit effort, a éructé Araignée en bandant ses muscles de plus belle."
Sous nos assauts conjoints, la trappe a fini par s'ouvrir en poussant un soupir. Un vent vicié nous a sauté au visage, en même temps que nous avisions un escalier étroit, glauque et noir comme une tombe. (ce que c'était au demeurant.) Sans perdre de temps, je me suis engouffré dedans. Araignée sur les talons j'ai couru jusqu'à déboucher sur une salle plus vaste, même si je n'y voyais rien. Les cris des mutants se sont arrêtés lorsque la trappe fut refermée par Jill. Mon coeur battait trop vite pour qu'il n'éclate pas.
"Il doit y avoir des torches, par là..., murmura Cyfrien."
Sa voix était tellement proche, et je ne l'avais tellement pas entendu s'approcher que j'ai sursauté malgré moi. Une petite flamme a éclairé sa lugubre bobine.
"Tout le monde est là?, ai-je demandé."
On me dit que oui.
"Des blessés?"
On me dit que non. L'oeil de Gil'Haed brilla lorsqu'il alluma sa propre torche. On discernait un peu mieux les environs à présent. On ne pouvait pas à proprement parler de catacombes, mais plutôt d'un petit caveau familial. Une vingtaine de cadavres embaumés gisaient dans des alcôves le long d'un couloir assez large. L'air était à peine respirable. Nous n'eûmes guère à attendre longtemps avant que des griffes plus tranchantes que des épées n'attaquent le bois de la trappe. Heureusement pour nous, ces choses n'étaient pas assez futées pour saisir la fonction du gros truc rond en métal.
"Qu'est-ce qu'on fait?, a demandé Araignée en tripotant son épée.
-On prie pour que ce tunnel ne finisse pas en cul de sac."
Jill en arrière garde, nous nous sommes enfoncé dans le tunnel, la peur au ventre. Il semblait que ce tombeau deviendrait le nôtre. A l'avant, Cyfrien a poussé un juron tellement étouffé que je ne suis toujours pas sûr de l'avoir entendu. Notre crainte se confirmait : nous étions piégés comme des rats. Le tunnel finissait sur un salle semi circulaire, ne comportant aucune alcôve, ni rien du tout en fait. Mis à part un petit autel de pierre édifié contre le mur du fond. Une monstrueuse idole y trônait. Il faisait trop sombre pour que j'en perçoive les détails.
Les mutants ont rejoints les souterrains en poussant des hurlements victorieux. Leur charge à travers le tunnel a fait trembler les fondations de la tour. Je me suis alors demandé si... Le premier a fait irruption dans notre dernière demeure. Il ressemblait à un cervidé croisé avec un gobelin. Tapinois lui a lancé une dague de jet dans le crâne, mais ça n'eut guère d'effet. Jurant, le petit homme a roulé sur le côté pour éviter un coup de griffes. Gil'Haed s'est porté à son secours en décapitant proprement le monstre. Juste après, le gros de la meute a rappliqué et ça a dégénéré en un foutoir monumental. Notre seul réconfort était que la pièce était bien trop petite pour accueillir plus d'une dizaine de mutants en sus de nous. J'ai tiré mon épée le dernier pour ma survie. Le corps à corps était confus, de par la proximité des corps, les gesticulations incessantes des monstres et les cris, ainsi que la trop mauvaise lumière. Pour maximiser mes chances, je me suis reculé jusqu'à toucher un mur du dos. Je n'avais aucune possibilité de recours magique, car il m'était périlleux de me déconcentrer ne serait-ce qu'une seule seconde. Je m'épuisais déjà rien que pour repousser deux tronches de canard cannibales. Tapinois avait été piégé au centre de la mêlée, mais pour lui c'était un plus. Dans cet enfer, sa petite taille lui donnait un avantage considérable. Il donnait l'impression de se fondre dans les ombres et de jaillir d'elles à la vitesse de l'éclair - ce qui était peut être le cas, pour ce que j'en sais. Plus réaliste, Araignée se servait d'un corps comme d'un bouclier pour repousser ses assaillants et multiplier les estocades, souvent mortelles. Ciguë tomba le premier. Malgré son habilité à la machette, il était bien trop grand et trop faiblard pour lutter efficacement. Un des mutants lui sauta sur le dos et mordit dans son cou. Muet, Ciguë ne cria pas, mais son expression fut assez éloquente. Une marée d'animaux humanoïdes le fit ployer. Un rayon de pures ténèbres fusa depuis le mur opposé au mien. Vrombissant, il traversa la masse des corps en y laissant des trous parfaitement nets et non sanguinolents gros comme des rochers. Les monstres touchés ne se relevaient pas, ou titubaient, hagards, à la recherche d'une jambe ou d'un bras, voir des deux. Ayant rempli son office, le Rayon Chaotique d'Ulfuras, car tel était le nom de ce faisceau d'anti-matière, disparu dans les limbes. Effrayé par ce revirement soudain, les changeformes poussèrent des couinements inquiets. Rasséréné, je plantai ma lame dans le coeur d'un adversaire. J'aperçus Cyfrien, acculé contre un mur. Jill lui faisait un rempart de son sabre, pendant qu'il incantait. Une sphère invisible apparut devant lui, brouillant tout ce qu'elle reflétait. Un second rayon, beaucoup plus destructeur que le premier en jaillit, ajoutant d'autant à la panique ambiante. Mais si ce régime se montrait proprement efficace, la marée mutante ne semblait pas vouloir finir. De plus en plus de poussière, remarquai-je, tombait du plafond. Mon idée me revint en tête. Elle était peut être notre seule chance de survie, mais pouvait, au contraire, accélérer notre trépas. Décidant de jouer le tout pour le tout, je fis exploser les fondations de la tour.
Le monde sombra dans la folie.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: silver le lundi 11 mai 2009, 18:47:01
Magnifique, j'adore tout simplement!

Bonne continuation!
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le dimanche 31 mai 2009, 17:24:19
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: silver le dimanche 31 mai 2009, 19:42:41
Magnifique, Superbe, Sensationnel! Je suis au septième ciel!

J'adore tous le développement de l'aventure, l'aspect critique de la situation. La révélation de ce qu'était le lieu où la tour se trouvait pour ces changes-formes.

enfin pour résumer, j'adore tout.

Vivement qu'on soit demain, j'ai hâte de voir ta surprise.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le lundi 01 juin 2009, 14:51:01
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: silver le lundi 01 juin 2009, 16:26:09
Merci beaucoup, j'adore le chapitre. Je te remercie infiniment pour ce chapitre grandiose et le retour de Samyël.

Cela faisait longtemps, ce mystère omniprésent qui réside sur ce qu'est devenu Samyël. Sa mémoire, ses déductions, l'aura de mystère qui entoure notre Samyël sont tellement d'éléments qu'on ne peut s'empêcher d'apprécier ce personnage qui ne cesse de nous étonner. J'espère qu'ils vont enfin savoir ce qui est arrivé à Samyël.

Je suis extrêmement intrigué par le personnage qui se cache sous cette partie de nom qu'est Ekt.

Vivement la suite, je suis en totale adoration du Cycle Rouge. J'ai aussi hâte de voir les prochaines aventures d'Argoth qui manque depuis le temps.

Bonne continuation.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le mardi 09 juin 2009, 19:25:42
Ha! Oui... Argoth nous manque à tous. Aux dernières nouvelles ils se battaient toujours contre quelques Fëoriens belliqueux ^^ J'espère un retour rapide... Mais wait and see. Quoi qu'il en soit, merci Silver d'être toujours au rendez-vous! =)

Suite (mais non fin) du chapitre 20 du Cycle!



______________


Chapitre 20 : L'Archimage (Deuxième partie.)


***


-Suivez moi, je vous prie.
-Excusez moi... J'attends l'Archi-Mage.
-Je le sais, je vais vous mener à lui.
-Ha!
Samyël se leva d'un bond du banc et suivit l'étrange vieil homme au bâton de chêne sorti de nul part. Ils marchèrent jusqu'à la porte Ouest. Le jeune homme se pencha un peu sur le côté, croyant pouvoir admirer un sort d'ouverture de haut niveau (après tout, c'était les appartements de l'Archi-Mage!); mais fut déçu lorsque son guide sortit une clé de fer absolument banale et la fit tourner dans la serrure.
L'homme écarta le battant et pénétra dans la pièce, suivi par Samyël. C'était une simple office, un petit bureau confortable. Des tapisseries représentant des scènes de forêts ou des panoramas éblouissants pendaient aux murs, conférant à la salle une atmosphère agréable. Un feu vigoureux brûlait dans l'âtre élégant; quelques petites bibliothèques bien fournies s'alignaient de ci de là, s'agençant de manière à ne cacher aucune partie des tapisseries. Un meuble ancien en bois doré servait de bureau à proprement parlé. Dessus reposaient une bouteille d'encre noire, une fine plume d'oie, des parchemins roulés ainsi qu'un autre à demi vierge aplani face au siège à haut dossier, probablement une affaire en cours de l'Archi-Mage. Dans le coin opposé de la pièce, un escalier en colimaçon étroit montait à l'étage, certainement vers les quartiers privés du maître des lieux. Enfin, une fenêtre trouait le mur face à la porte, incrustée dans les tapisseries. Au travers l'on pouvait voir un lac dont l'eau bleue s'irisait sous l'effet du soleil. A l'horizon, l'on devinait les silhouettes ombragées et brumeuses d'arbres en fleur. La lucarne et son panorama s'harmonisait parfaitement avec les ornements muraux, de telle sorte que l'on pouvait croire qu'ils avaient été brodés comme une extension au paysage derrière le verre. La pièce dégageait une impression de sérénité et de bien être intense, et Samyël trouva que cela cadrait bien avec l'idée qu'il se faisait du bureau d'un illustre personnage.
Cependant, il fut choqué lorsque l'homme fit le tour du plan de travail, déposa son bâton contre une bibliothèque, s'arrêta un moment pour admirer le lac en se frottant le menton distraitement, puis tira le siège et y prit place, comme si c'eut été la chose la plus naturelle du monde. Il sortit d'un tiroir une petite paire de lorgnon qu'il cala sur son nez fin. Il fronça les sourcils en s'emparant de la note semi rédigée et la relut rapidement.
-Excusez moi...
Le vieil homme écarta le parchemin, retira ses lunettes qu'il déposa sur le bureau, puis croisa les mains sur l'espace ainsi libéré.
-Oui?, répondit-il.
-Êtes vous l'Archi-Mage?
-Je suis Nemerle, quarante troisième Archi-Mage de la Citadelle, en effet.
Aussitôt, Samyël posa un genoux en terre, tête baissée, le poing droit appuyé sur le sol.
-Monseigneur, je suis navré, je ne savais.
-Voyons, voyons...
Nemerle se cala un peu plus profondément dans son siège, un coude sur le bras du meuble soutenant son menton. Un sourire amusé étira ses lèvres minces et il posa un regard pétillant de malice sur le jeune homme.
-Relève toi, jeune Samyël. Réservons cet ennuyeux et pompeux protocole pour la cour et ses illustres chevaliers, veux-tu?
-Bien sûr, bredouilla Samyël en s'exécutant.
Leurs regards se croisèrent, et face à la gentillesse de celui de l'Archi-Mage, l'apprenti magicien sentit sa tension disparaître comme sous l'effet d'un enchantement.
-Ne reste pas debout comme cela, tu vas être rapidement fatigué. Prend donc un siège.
Le jeune homme acquiesça, et tourna la tête pour en repérer un. Il ne put réprimer un sursaut de surprise lorsqu'une chaise presque identique à celle de son interlocuteur jaillit du sol, juste derrière lui. Il s'y assit, et fut agréablement surpris de découvrir son confort.
-Jeune Samyël, nous devons parler, tu le sais.
Hochement de tête.
-Je ne t'ennuierai pas avec le sempiternel baratin d'usage, je crois que tes maîtres t'ont suffisamment rabâché les règles de base de l'enseignement et de la pratique de la magie, ses dangers et la prudence qu'il est nécessaire d'avoir à ce sujet.
Nouveau hochement de tête.
-Bien. Connais tu les différents rangs qui existent au sein de notre communauté?
Samyël réfléchit un moment, puis répondit:
-Oui.
-Cite les moi, je te prie.
-Un pratiquant possédant la maîtrise d'un Art est un magicien. Celui qui possède deux maîtrises est un enchanteur. Celui qui en possède trois est un Mage. Celui qui les maîtrise tous est Archi-Mage.
Nemerle pouffa de rire devant cette dernière affirmation.
-Oui, oui, c'est ce qu'on dit, en effet... Mais tu apprendras que la vérité est quelque peu différente, haha... Tu sais donc qu'un homme, ou une femme, normale ne peut étudier que trois des Arts, selon ses affinités naturelles avec ceux-ci.
-Oui.
-C'est pourquoi la première partie de notre travail, ici, est de découvrir tes propres affinités, afin d'adapter nos enseignements à tes capacités.
-Oui.
-Tu as déjà, contrairement à la majorité des jeunes gens arrivant ici, étudié la magie. Connais-tu tes propres affinités?
-J'ai des facilités avec l'Altération.
-Qu'en est-il des autres?
Samyël marqua un temps d'hésitation.
-Il n'en est rien.
-Comment cela?
-Ils me sont... interdits.
-Peux-tu expliciter?
-Et bien... Je ne sais pas trop. Je suis incapable du moindre sort issu d'une autre école que l'Altération.
Nemerle fronça fugitivement les sourcils, mais cela n'échappa pas au jeune homme. Il sentit aussitôt que cela ne devait pas être normal.
-Nous devrons analyser cela plus avant... Altération, dis-tu?
-C'est cela, oui.
-Le Maître Sörel n'est pas présent actuellement, il devrait rentrer sous peu. C'est lui qui forme les Altérants. Il sera content, il y a bien longtemps qu'il n'a pas enseigné son Art. Surtout que... (l'Archi-Mage détailla son interlocuteur avec un regard énigmatique, mais ne poursuivit pas.) En attendant son retour, les Maîtres te testeront pour voir de quoi il retourne.
Samyël acquiesça, se demandant à quoi pouvaient bien ressembler ce Sörel et les autres professeurs.
-Ta cellule a été préparée, Taenry t'y mènera. On t'y a déposé quelques vêtements, tu es libre de les porter ou non, s'ils ne te plaisent pas. Tu peux t'adresser à un des serviteurs pour laver les tiens, si besoin est. Tu trouveras également une robe à ta taille, de couleur pourpre. Il est d'usage, mais surtout de coutume, de la porter lorsque tu étudies. Tu verras que les autres étudiants en portent de similaires mais de couleurs différentes, selon leurs propres affinités. Si tu désires t'entretenir avec moi à nouveau, présente toi à la porte, frappe deux coups, puis patiente un peu, je ne serai pas très long. As-tu des questions?
-Oui.
-Je t'écoute.
-Combien y a-t-il d'élèves, en plus de moi, actuellement?
-Hum... Une trentaine, à peu près, je dirais.
-Si peu...
-Hélas. C'est une bien triste époque en vérité, jeune Samyël. De mon temps, des centaines de jeunes gens impétueux et pleins de rêves parcouraient ces couloirs dans des brouhahas de conversation. Maintenant, tout est silencieux...
Nemerle s'abîma quelques instants dans la contemplation mentale de souvenirs teintés de mélancolie.
-Mais, il faut garder espoir, je suis certain qu'un jour tout sera de nouveau comme avant.
Samyël n'osa pas répondre. "Cinq années..."
-Tu doutes des talents du Général ; tu as tort.
Le jeune homme releva vivement la tête, surpris.
-Comment...?
-Cela fait près de trente ans que Kalenz tient son fort. Jamais il n'a faibli. Je suis confiant. S'il dit cinq ans, alors il tiendra cinq ans. Je sais ce que tu penses. C'est peu. Trop peu. Mais j'ai bien peur que ce soit le maximum que nous puissions avoir. Alors, mettons ce précieux temps à profit.
Nemerle se releva et vint se positionner face à la fenêtre.
-Sais-tu, jeune Samyël, ce que tu incarnes, pour beaucoup de gens?
-De... De l'espoir, je crois.
-De l'espoir, parfaitement. Beaucoup sont convaincus que tu es celui qui nous sauvera tous, notre bon roi également.    
-Mais! C'est impossible! Comment...
-Tu as raisons, ce sont des imbéciles heureux.
L'Archi-Mage tourna la tête et vrilla son regard dans celui-ci de son élève.
-Il faut être clair tout de suite, pour éviter que cela ne parasite tes études, Samyël. N'ait surtout pas la prétention de croire que tu sauveras l'Arch'Land d'une mort certaine. Tu ne peux rien faire contre cela, ce royaume agonise, et c'est son Destin de sombrer dans le feu dévorant de l'Arch'Mark. Ce n'est pas un drame en soi. L'Histoire Continentale a toujours été écrite dans le sang des soldats et les flammes de la guerre, ainsi que dans les runes des magiciens. Et il en restera de même pour de longues années encore. C'est dans notre nature. Le souvenir du roi Aegir s'estompe dans la mémoire des hommes, ce n'est déjà plus qu'une légende que l'on raconte aux enfants. Cependant son oeuvre a perduré de très longues années, et le Continent a connu son âge d'or sous les couleurs de l'Arch'Land, pendant plus d'un demi millénaire. C'est déjà colossal. Tu dois comprendre, jeune Samyël, que le monde tel que tu le connais est voué à disparaître. Mais ce n'est qu'une évolution, cela était probablement écrit et destiné à être ainsi...
Nemerle marqua un temps d'arrêt, pour ménager son effet.
-Tout comme il est probable qu'il soit écrit que l'Arch'Land est destiné à vaincre.
Samyël releva la tête à l'entente de ces mots.
-Que voulez-vous dire?
-Ha...
Nemerle regagna son siège dans un soupir de fatalisme.
-Probablement rien, je ne suis plus qu'un vieil homme fatigué...
-Non, non, je vous en prie, continuez.
-D'un point de vu purement tactique et militaire nous sommes fichus. Nous n'avons plus d'alliés, le commerce extérieur nous est impossible... Cependant (il se releva et regagna la fenêtre), on dit toujours qu'il faut tirer des enseignements du passé. Alors dans ce cas, qui nous dit qu'un nouvel Aegir n'apparaîtra pas? Un héros jailli de nul part...
L'Archi-Mage se laissa aller à une contemplation évasive.
-Vous sous-entendez que je pourrais être cela?
-Non, du tout. Je te dis juste que, jusqu'à ce que le sort en soit définitivement jeté, il est permis de garder un peu d'espoir, un vain et fol espoir. Cela ne changera rien, mais tu verras, la vie en sera quelque peu plus simple à appréhender positivement.
-Mais vous, y croyez vous vraiment?
Un silence.
-J'aimerais te répondre d'un "oui" vigoureux, gaillard et vibrant d'ardeur...
-Ha...
Déçu, Samyël rabaissa la tête.
-Mais moi, je suis vieux, j'ai perdu mes rêves. Toi tu es encore jeune... Alors (Nemerle lui adressa un clin d'oeil complice accompagné d'un sourire) il faudra que tu aies de l'espoir pour nous deux. Ne devient pas comme nous, jeune Samyël.
-Vous êtes la seconde personne à me dire cela.
-Ho?
-Mon maître Rirjk m'avait donné le même conseil dans sa lettre d'adieu.
-Tien donc, l'impétueux et indomptable fils du grand Nord se serait finalement assagi?
-Pardon?
-Hoho... Ce n'est rien, ce n'est rien...
L'Archi-mage retourna s'asseoir, un sourire sur les lèvres. Un silence méditatif s'installa entre les deux.
-Dites...
-Hmm?
-Vous avez l'air d'en savoir beaucoup sur moi. Plus que moi même peut être...
-J'en doute.
-...C'est pourquoi je me demandais si vous ne connaîtriez pas mes parents?
-Non. J'ai bien peur que plus personne ne le sache désormais.
-Oui...
Le jeune homme leva les yeux, pensifs. L'identité de ses géniteurs n'avait jamais été un problème pour lui. Il était simplement curieux.
-Bien, il est temps de nous quitter, à présent.
Ils se levèrent. Samyël pointa le lac du doigt, derrière le vitrage.
-Comment s'appelle-t-il?
-Lac Nul Part.
-C'est un nom étrange.
-Ce n'est pas sa véritable dénomination, je le crains. J'ai cherché ce lac durant de nombreuses années de voyage à travers les dépendances, sans jamais le trouver. La réalité de ce plan est différente de celle de l'extérieur. Notre perception en est altérée. Ce qui nous apparaît comme étant derrière une simple fenêtre peut se trouver en réalité à des lieux et des lieux; et l'inverse n'est pas forcément véritable. Les Mages de jadis possédaient des pouvoirs absolument épatants... Ho, j'oubliais presque...
Nemerle retomba sur son siège, et enfila ses lorgnons. Il récupéra le parchemin à moitié griffonné, trempa la plume dans l'encre et jeta rapidement quelques mots sur le papier. Il se relut de façon brève, roula la lettre et la scella à l'aide d'un petit ruban rouge. Il la tendit ensuite à Samyël par dessus le bureau.
-Donne cela au maître Blanc-Barbe en sortant.
Le jeune homme acquiesça et s'en saisit.
-Bonne chance, jeune Samyël.
-Merci.
Sans rien ajouter, il se retourna, ouvrit la porte et sortit.  
Sitôt dehors, il se rendit compte à quel point l'atmosphère du bureau avait quelque chose de bienfaisant, de revigorant. Samyël se promit alors que plus tard, si le destin le lui permettait, il en aurait un pareil. Relevant les yeux, il aperçut la petite silhouette trapue de Taenry, assis sur le banc du cloître. Le petit homme fumait une pipe faite d'un étrange bois noir très lisse et brillant. De petits ronds de fumée parfaits s'en échappaient à intervalle régulier, embaumant l'air d'une agréable odeur de feuille à fumer. Le maître ne remarqua pas le jeune homme, perdu dans quelque pensée. Il avait l'air tellement songeur que Samyël se sentit gêné de l'interrompre.
Il se demanda s'il devait se racler la gorge, ou faire un pas bruyant pour attirer son attention. Cependant, ce fut Taenry lui même qui lui donna la réponse en l'appelant, sans se retourner.
-Viens donc t'asseoir.
Samyël hocha la tête et s'exécuta. La quiétude silencieuse du cloître les entoura comme un châle. La Citadelle aurait pu être déserte, vide ou abandonnée qu'elle n'aurait pas été plus bruyante. Le jeune homme jeta un coup d'oeil à son voisin. Il vit alors que ce qu'il avait pris pour du bois était en réalité une espèce de minerai uniforme, noir.
-C'est de l'ébène, fit le vieillard en soufflant un nouveau rond de fumée.  
Samyël leva un sourcil, mais ne fit pas de commentaire, il commençait à s'habituer à ce que ses interlocuteurs puissent, par il ne savait quel moyen, lire ses pensées.
-Ca a un rapport avec le port?
-Ca avait.
-Plus maintenant?
Taenry mit un petit temps avant de répondre.
-Un peu après la Guerre Draconique, on a découvert d'importants gisements de cette pierre dans les falaises côtières du Sud. Ca a attiré les prospecteurs de tous les horizons, et pour faciliter son acheminement le long des côtes, on a construit le port, puis on a baptisé le cap du nom de la pierre... Mais aujourd'hui, il n'y en a guère plus, les mines ont d'ailleurs été condamnées.
Samyël hocha la tête ; il avait toujours aimé l'Histoire.
-Cependant...
Blanc'Barbe tira un bouffée avant de continuer.
-Cet ébène là vient des Khaz'Khoradan.
-Qu'est-ce que c'est?
-Les monts de l'Infini, si tu préfères. C'est ce qui rend cette pipe si authentique. Le minerai pur et finement travaillé qui la compose parvient à capter toutes les fragrances de la fumée et sublime la saveur de la feuille.
Samyël remarqua qu'une pointe de fierté, ainsi qu'une flamme de vigueur étaient apparues dans la voix du vieil homme alors qu'il parlait de sa pipe.
-Ca confère le caractère de la montagne à la douceur et l'élégance des feuilles brunes. Et pas n'importe quelles feuilles brunes! Des feuilles du comté de Bouc, rien que cela.
-Qu'ont-elles de spécial?
-Il y a bien longtemps, dans le pays de Bouc, dans la forêt du même nom, se trouvait une confrérie secrète de vieillards un peu dérangés, Ils prétendaient communier avec la nature, les animaux, et toutes sortes de fadaises de ce bord là.
-Des druides?
-Non, ceux-là n'avaient aucun pouvoir véritable. Ce n'était que des illuminés. Cependant ces illuminés avaient deux qualités. Premièrement, ils appréciaient fumer. Deuxièmement, ils étaient de fins connaisseurs et aimaient la qualité. Hélas pour eux, et heureusement pour nous, -héhé- à cette époque, on ne trouvait dans les commerces communs que des feuilles de qualité moindre. Du Château-Tobil, de la Cendre-Terre, pas mal de vieille Mandracor et, avec de la chance, quelques feuilles de Précyle. Mais vraiment avec beaucoup de chance, et quelques pièces d'or. C'était encore une époque obscure et barbare, l'art de la pipe était réservé à quelques initiés. C'est pourquoi, devant pareille aberration, nos olibrius de la forêt de Bouc se sont mis en tête de fabriquer leurs propres feuilles. A force de temps, de recherches, de travail acharné, ils parvinrent à faire pousser une nouvelle variété de feuille à fumer, une variété qui alliait la fraîcheur de l'humus, la force séculaire des vieux arbres, la quiétude des sous bois, l'ombre bienfaisante de la canopée et la force de la terre humide et pleine de vie. C'a été une véritable révolution. Tu te doutes bien que cette variété se fit rapidement un nom à travers tout le Continent. Certains amateurs faisaient des lieux et des lieux pour acheter ces feuilles. Leurs géniaux créateurs les nommèrent très sobrement Feuilles de Bouc, mais dans le milieu on les connaît plus sous le nom de Vieille Boucantine. Les fameux "druides" devinrent vite riches, ils achetèrent des terres et firent construire un château, Château-Bouc, à la lisière de leur forêt. Ils restèrent longtemps une des plus grandes forces économiques du sud du Continent, rivalisant presque avec les domaines viticoles de la famille Cadeço, au nord du Hauts Pays. Qui plus est, non contents de produire les meilleures feuilles à fumer, ils taillèrent dans le bois du chêne ayant ombragé la première récolte de Boucantine très exactement vingt-et-une pipes, qu'ils numérotèrent soigneusement. Ces pipes sont devenues légendaires. Tout le monde est d'accord pour dire que ce sont tout simplement les meilleures dans la catégorie bois. Elles se sont vendues des fortunes dignes de rois, et certains ont même tué pour en avoir une. C'était vraiment une belle époque...
Taenry leva les yeux au ciel, en tirant une nouvelle bouffée. Il réfléchit un instant, tandis que Samyël attendait patiemment la suite du récit.
-Hélas, le comté de Bouc a été ravagé durant la Guerre Draconique. Face aux armées du dragon, les druides se sont retirés dans leur forêt et ont disparu à jamais, emportant avec eux le secret de leur feuille. La Vieille Boucantine est probablement l'une des denrées les plus recherchées au monde à l'heure actuelle. Elle est restée dans les mémoires, et même l'Histoire n'a pas su délogé son arôme exceptionnelle de l'esprit des authentiques fumeurs. Et pour ajouter au drame, à ce jour, seules quatre des légendaires pipes de Bouc sont encore entre les mains des Hommes, la trois, la sept, la dix neuf et la quinze, les autres ont été détruites ou bien perdues... (Une lance d'amertume perça dans la voix du petit homme) Foutue guerre...
-Mais... La guerre draconique remonte à plus de cinq cent ans... C'est étrange qu'il reste encore ne serait-ce qu'une seule feuille, et quand bien même, depuis ce temps elle aurait perdu sa saveur, j'imagine.
Taenry lui jeta un regard brillant, et un large sourire fendit sa barbe blanche.
-Ton ignorance te fait dire des âneries. C'est justement à cela qu'on reconnaît une bonne feuille d'une mauvaise. La Boucantine, qui plus est, vieillit comme le vin, elle se bonifie avec les années, et cela grâce à la technique secrète de séchage élaborée par les maîtres herbiers de la forêt de Bouc. C'est une feuille unique, et j'ai bien peur que plus jamais l'on atteindra une telle perfection...
-Dois-je en déduire que vous êtes richissime, puisque vous en possédez, ou bien êtes-vous un assassin?, fit Samyël avec une pointe d'humour.
Blanc'Barbe partit d'un grand rire.
-Rien de cela, jeune homme. J'ai la chance d'avoir pu en acquérir une liasse dans ma jeunesse. J'en fume une par cycle de lune.
Samyël leva un sourcil interrogateur, mais se contenta de formuler dans sa tête la question qui lui vint. Comme il s'y attendait, Taenry lui répondit de lui même.
-Les cycles temporels de ce plan d'existence ne sont pas les mêmes que ceux du Continent. Cependant, il est vrai que je dois probablement être l'un des derniers chanceux à pouvoir en fumer... Il ne me manque qu'une des pipes de Bouc pour goûter à la perfection...
Alors qu'il prononçait ces mots, il se laissa aller à un soupir rêveur.
-Château-Bouc existe toujours, reprit-il après un temps. C'est une ruine à demi mangée par la forêt à présent, mais l'essentiel y est toujours, le donjon, les trois tours et quelques pans de sa muraille. Les branches et les racines du bois sont devenues des éléments essentiels de sa composition. Le chevalier qui devint maître du comté de Bouc après la Guerre ne le fit pas reconstruire. Il le laissa tel quel en hommage aux Druides. Au cas où ils reviendraient, disait-il. Les années ont passé, les champs ont poussé, le seigneur fit construire un autre château, à quelques lieux de là, mais jamais les druides ne revinrent. Beaucoup d'aventuriers et d'amateurs ont fouillé les restes de Château-Bouc à la recherche de caches de feuilles, ou du secret de leur culture. Ils ont également longuement arpenté la forêt à la recherche des herbiers, en vain. Cependant... La légende dit que les vieillards n'ont pas disparu, qu'ils sont toujours là, entre leurs arbres. Ils continuent de produire la Boucantine avec amour, dans quelques prairies secrètes. Et la fragrance douceâtre qui émane de leurs pipes emplie l'atmosphère de la forêt. On dit même que, parfois, lorsqu'un voyageur s'égare dans les bois, ils le guident vers la lisière grâce à la fumée. Et le chanceux trouverait, au pied du dernier arbre, une liasse de feuilles brunes...
-C'est une belle histoire, commenta doucement Samyël.
-Si seulement elle pouvait être vraie...
-Vous en savez vraiment beaucoup, quoique, ce doit être normale pour un amateur.
-Absolument.
Ils observèrent un temps de silence, se laissant pénétrer par l'odeur de la Boucantine. Finalement, Taenry enleva l'embout de la pipe de sa bouche, l'essuya dans un ourlet de sa robe grise et la tendit à Samyël.
-Tient, essaie, lui dit-il avec un pétillement dans les yeux.
Se rendant bien compte, après ce cours magistral, de l'honneur qui lui était fait, Samyël ne put décliner l'offre. Il essaya d'imiter le petit homme dans sa manière de faire mais celui-ci secoua la tête.
-Chacun à une approche différente de l'art de fumer. Trouve ta propre voie.
Le jeune homme hocha la tête. Contrairement au vieil homme qui tenait le tube entre deux doigts, il enserra la tête de sa pleine paume. Déjà lorsqu'il glissa l'embout entre ses lèvres, le goût minéral de l'ébène lui remplit la bouche. Des montagnes brumeuses, fières, solides et belles défilèrent dans son esprit. Puis il aspira doucement, timidement. La fumée lui emplit la bouche comme une chaude caresse. Le bruissement des feuilles raisonna dans son crâne, la saveur de l'humus et de la rosée du matin envahit sa langue et son palais. Le jeune homme ferma les yeux et se laissa envahir par ces nouvelles sensations. Son plaisir était palpable. Après quelques secondes, et à regret, il relâcha la fumée en ouvrant la bouche. Les minces volutes blanches et odorantes s'étirèrent dans les airs, puis disparurent.
Samyël rendit la pipe à son propriétaire, toujours subjugué par l'expérience.
-C'est... magique, fit-il avec un sourire.  
Blanc'Barbe hocha la tête en lui rendant son sourire. Etrangement, par cette mimique et ce qu'ils venaient de partager, Samyël sut qu'un lien s'était créé entre eux. Comme pour le confirmer, Taenry récupéra les deux choppes qui traînaient à côté de lui, ainsi qu'une outre pleine. Il remplit les godets avec le contenu de l'outre, un liquide ambré et mousseux, exaltant un arôme délicat mais ferme, et en tendit un au jeune homme.      
-A la Boucantine, fit-il en levant son verre.
-A ta réussite, répliqua Taenry en choquant légèrement leurs deux choppes.
Ils burent une longue lampée. Samyël apprécia le goût de la liqueur, légère et douce.
-C'est très bon, observa-t-il.
Le petit homme lui décocha un clin d'oeil.
-Brassage artisanale.
-Ca n'en est que meilleur.
Ils rirent un peu, puis le silence revint. Etrangement, ces silences, souvent pesants et gênants dans les conversations, prenaient tout leur sens lorsque Samyël échangeait avec le vieil homme. Il les trouvait normaux, cohérents, presque logiques. D'une certaine façon cela lui rappelait son grand-père.
-Ho!, fit-il alors qu'il se rappelait sa mission. J'ai ceci pour vous.
Il lui donna le parchemin scellé d'un ruban rouge, que Taenry prit sans poser de question. Il examina rapidement le papier puis l'enfouit dans une de ses poches avec un hochement de tête entendu.  
-Comment est le maître Sorël? demanda Samyël en prenant une autre gorgée.
Blanc'Barbe prit un moment avant de répondre.
-Je ne saurais trop te le dire. Cela dépend grandement du moment. Il est d'humeur... changeante.
-Savez vous à quel moment il sera là?
-Hmm... Dans quatre jours tout au plus. Certainement moins.
Soudain, le vieillard se releva d'un bond.
-Bien!
Il vida le contenu de sa pipe sur le sol en tapotant son poignet avec, puis la coinça dans sa ceinture. Il saisit son bâton et se tourna vers Samyël.
-Assez bavasser. Je vais te mener à ta cellule. Suis moi.
Samyël s'exécuta, mais il ne sut que faire de sa choppe encore à demi pleine. Taenry lui montra l'exemple. Il en prit une dernière rasade puis jeta le reste sur le tertre.
-Ces sacrées vieilles branches ne disent jamais non à un p'tit coup pour la route, expliqua-t-il avec un sourire énigmatique.
Samyël fit de même, quelque peu étonné d'une telle pratique, puis voulu la rendre à son propriétaire. Mais celui-ci refusa.
-Garde la. Sache qu'il est très indécent de refuser un verre qu'on te propose, aussi assure toi d'avoir toujours une choppe sous la main afin que cela ne se produise jamais.
Le jeune homme resta un moment le bras tendu. Ha bon? Ho... Pourquoi pas après tout? Suivant l'exemple de son aîné il coinça  le récipient dans sa ceinture.  

La pièce était petite, à la limite de l'exigu. Quatre murs, pas de fenêtre, une paillasse propre, un pot, une minuscule table de chevet et une bougie. Voilà ce qui composait la cellule de Samyël.
"C'est donc ici que je vais passer ces prochaines années...?", se dit-il alors qu'il la parcourait des yeux.
La pièce était vraiment petite, à peine pouvait-on y faire deux pas en largeur comme en longueur. Mais d'un autre côté, après la rudesse du sol et des pierres, ainsi que la froideur des nuits à la belle étoile, c'était un luxueux palais. Il entendit dans son dos les pas de Taenry qui redescendait l'escalier. Samyël haussa les épaules. Il déposa le carnet noir sur la table et se laissa choir sur la paillasse. C'était plutôt  confortable en fait. Se relevant sur un coude, il avisa le vêtement sombre délicatement plié posé sur sa couchette. Il tendit la main et s'en empara. Pour mieux voir, il alluma la bougie avec le briquet à amadou qui traînait à côté. L'étoffe était de couleur pourpre. C'était la fameuse robe dont lui avait parlée Nemerle. Agréable au toucher, elle n'en demeurait pas moins simple et dénuée d'ornements. Cependant, il s'en dégageait une certaine richesse, une certaine noblesse. Samyël eut soudain honte de ses propres vêtements, depuis trop longtemps non lavés, déchirés... Il les enleva avec empressement et passa la soutane. Le contact sur sa peau lui était comme une caresse ; il se sentit tout de suite différent. Un véritable mage, pensa-t-il avec un sourire. La robe possédait une capuche et ses manches étaient longues et profondes. Comme il trouvait le vêtement trop ample, le jeune homme récupéra son ancienne ceinture et la boucla par dessus, ce qui lui fit comme une tunique longue.
Il aurait aimé avoir sous la main un miroir pour s'admirer ou un broc d'eau. Il se surprit à tenir quelques poses comme un vrai mage. Il rit de lui même puis entendant son estomac grogner de mécontentement il se demanda si le dîner était pour bientôt. D'un côté il avait hâte, de l'autre il redoutait l'instant. Car il allait enfin rencontrer des apprentis comme lui, mais il redoutait son savoir trop maigre.
-Hum..., commença-t-il, un peu gêné.
Il se racla la gorge et sortit dans le couloir afin de s'assurer qu'il n'y avait personne.
-Quelle... Quelle heure est-il?, demanda-t-il finalement, en se disant qu'il devait vraiment avoir l'air idiot.
-Huit heure moins le quart et quarante trois secondes.
Samyël sursauta en entendant la voix éthérée, qui semblait jaillir de nul part et partout à la fois. A vrai dire, il n'avait jamais vraiment pensé qu'on lui répondrait. Il attendit quelques instants, histoire de voir si l'étrange voix allait parler de nouveau, mais rien.
-Quelle heure est-il?, demanda-t-il une seconde fois.
-Sept heure, quarante sept minutes et deux secondes.
-Merci!
Bien sûr, on ne lui répondit pas. Le garçon se dit que vraiment, la magie c'était quelque chose! Il profita du temps qu'il lui restait pour s'allonger sur sa paillasse et se reposa un peu.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: raphael14 le mercredi 10 juin 2009, 13:09:04
Après plus d'un an, j'ai finalement fini de lire le Cycle du Rouge.

J'ai du déjà le dire mais j'apprécie fortement Samyël car il est très humain, il des côtés sombres, très sombre même comme le prouve la présence du Jakuta dans l'esprit de ton héros. Mais il est aussi humain à cause de ses passions amoureuses ou autres.
J'ai franchement hâte de voir ce que le petit magicien va devenir. Je suis particulièrement impatient de voir les pouvoirs de Samyël se développer et surtout le voir donner aux fanatiques anti-magicien la bonne leçon qu'ils méritent.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le dimanche 26 juillet 2009, 23:43:00
Mais qui voilà? Un magicien qui surgit hors de la nuit, ho ho :note:Et de son épée, il signe d'un C qui signifie 'Cycle'!  \o/

Raphaël, merci de suivre avec assiduité les errements de cette Tour du Rouge ^^


Sur ce, voici la suite et fin du 20e chapitre du Cycle. J'espère que vous le trouverez à votre goût.

Quant à moi, je vous souhaite de bonnes vacances, et je vous retrouve à la rentrée, pour de nouvelles aventures Continentales et Monarquales!

Enjoy


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Chapitre 20 : L'Archimage (Troisième partie.)

Les éclats de voix en provenance du rez-de-chaussée tirèrent Samyël du sommeil dans lequel il s'était réfugié. Il bâilla un long moment. Il réalisa alors qu'il était encore transis de fatigue, après cet épuisant voyage et ses diverses aventures. Au final, il était bien heureux d'avoir enfin trouvé un endroit où se poser, et retrouver un rythme de vie décent. S'asseyant sur sa couchette, il se frotta le visage avec les mains pour se réveiller, puis sorti dans le couloir. On avait allumé des torches, avec la tombée de la nuit. Se disant qu'il devait être en retard pour le dîner, Samyël pressa l'allure et descendit l'escalier en colimaçon qui menait au rez-de-chaussée. Une main posée sur le mur à sa droite, il posa les pieds sur le sol du réfectoire. Un sourire tordit ses traits à la vue de la trentaine de jeunes garçons d'âges variés, mangeant en bavardant gaiement. Les Serviteurs de la Rune s'affairaient entre les longues tables, occupés à s'assurer que personne ne manquait de rien, ou ne désirait rien de plus. Samyël remarqua que même si ils semblaient tous plus ou moins rassemblés, les étudiants étaient placés par école d'appartenance. Les robes grises des invocateurs en herbe ne se mêlaient pas aux robes rouges des apprentis telluristes et ainsi de suite. Il les observa un instant, afin de s'imprégner de l'ambiance.
Un des élèves finit par le repérer. Il se pencha vers son voisin et lui murmura quelque chose à l'oreille sans le quitter des yeux. La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre à travers les rangs. Un silence glacial se répandit dans la pièce. Plus rien ne bougea, pas même les Serviteurs qui attendaient patiemment. Une soixantaine d'yeux étaient braqués sur Samyël, le jaugeant, l'étudiant, le détaillant, le méprisant. La gorge de Samyël se dessécha. Il ne s'était pas attendu à pareil accueil ni à un pareil revirement. Il s'était imaginé naïvement arriver parmi eux, qu'ils l'accueilleraient avec joie, qu'ils riraient ensemble. Mais là, il se faisait l'effet d'un étranger déplacé et non invité. Il s'avança maladroitement dans la salle, cherchant vainement un soutient parmi la masse. Il n'y avait pas non plus de maître présent. Indécis sur la conduite à suivre, Samyël décida d'essayer de briser la glace.
-Enchanté, fit-il en s'inclinant poliment. Je m'appelle Samyël. Je viens d'arriver...
La suite de son discours mourut sur ses lèvres lorsqu'il s'aperçut que ses mots n'avaient aucun effet sur ses vis-à-vis. Il ne put s'empêcher de les comparer mentalement à un troupeau de chèvres aux yeux vides. Il frissonna. Gêné de rester debout, il s'approcha de la table. Il chercha des yeux le "clan" des robes pourpres, et suffoqua presque en réalisant qu'il était le seul de sa tribu. Quelques ricanements fusèrent lorsqu'il s'assit gauchement, un peu à l'écart. Mortifié, le pauvre garçon gardait la tête baissé, se faisant un rideau protecteur de ses cheveux. Un Serviteur posa en quelques secondes une écuelle remplit de viande et de fruit, un gobelet de vin capiteux, des couverts d'argent et une serviette élégante et finement pliée en carré. Il balbutia un vague "merci" et s'empara de sa fourchette. Au moins, la nourriture était bonne.
Les conversations reprirent, feutrées, incisives. Ils étaient clair qu'il était le centre de l'attention générale. Des rires étouffés lui parvinrent, qui le blessèrent. Qu'avait-il fait pour mériter cela? Ce n'était pas du tout ce qu'il avait prévu! Il serra le poing plus fort sur son couvert, la colère montant lentement en lui. Il essaya tant bien que mal de les ignorer. Finalement, trois étudiants se levèrent et se dirigèrent vers lui. Deux grands costauds en robe rouge et un dernier, plus fin en robe noire. Ce dernier s'assit sur la table, les pieds sur le banc à gauche de Samyël. Les deux autres se placèrent respectivement à sa droite et devant lui. Ils affichaient des mines arrogantes et cruelles.
-Alors, comme ça, c'est toi, Samyël?, fit le plus fin.
Son ton hautain dégoulinant d'autosuffisance donna la nausée à Samyël. Il prit son parti de ne pas répondre. Il désirait autant que possible éviter tout contact dans un premier temps. Le type à sa droite se leva soudainement, envoya son écuelle voler à travers la pièce et l'empoigna par les cheveux. Il le força à relever la tête à regarder le jeune homme en robe noire.
-Maître Hott t'as posé une question, p'tite tête. Alors tu réponds.
Le Hott en question avait dans les vingt ans. Son sourire de triomphe s'encastrait parfaitement bien dans ses traits fins et aristocratiques encadrés par une coupe châtaine au carré. Des bagues en or et des boucles d'oreilles du même acabit ornaient ses doigts. Il s'était poudré le visage pour le rendre plus pâle et avait accentué le rouge de ses lèvres, lui conférant une allure assez efféminée. Il posa le coude sur son genou replié, et le menton sur son poing.
-Je suis Lowyn de la prestigieuse maison d'Hott. En tant que roturier, tu dois l'obéissance à ma famille, comme le veut la loi.
Les ricanements des autres élèves attisèrent un peu plus le brasier de colère qui s'enflammait en Samyël. Il détestait déjà ce Lowyn, et tous les autres. Lowyn prit délicatement le menton de Samyël entre deux de ses doigts fins et le força à le regarder, tandis que l'autre brute le maintenait par la force.
-Je t'écoute.
-Va mourir.
le ton glacial, détaché et effrayant de Samyël ramena le silence sur l'assemblée. Lowyn fut tellement surpris qu'il se recula un peu malgré lui. Il se reprit presque aussitôt en riant.
-Ludberg, il va falloir apprendre la politesse à ce chien errant.
Le larbin s'acquitta de son devoir avec zèle. il fracassa plusieurs fois le visage de Samyël contre la lourde table de chêne, jusqu'à ce que son nez saignât et qu'il s'étourdît.
-On a beaucoup entendu parler de toi par ici, mon cher Samyël. En ce moment, ils n'ont que ton nom à la bouche. "Samyël par ci, Samyël par là..." Soi disant, tu vas nous sauver!
Lowyn se tourna vers le reste des étudiants en mimant la surprise, et les autres rirent.
-Permet nous d'en douter. Quel est le sort le plus puissant que tu connaisses?
Samyël le foudroya du regard, écumant de rage. Il serra convulsivement le poing, mais ne répondit pas, humilié. Il savait que sa magie était de loin inférieure à la leur. Lowyn éclata d'un rire aigu et agaçant.  
-Regardez moi ça! Si c'est pas mignon! Le petit bouseux sort de sa cambrousse les lèvres en coeur "pour nous sauver"!
Cette remarque déclancha l'hilarité générale. Personne ne remarqua les tremblements de Samyël.
-Regardez le! Notre grand héros surgit de nul part, arborant, ô Dieux, la glorieuse livrée de pourpre!
Les rires doublèrent d'intensité.
-Mais qu'est-ce que tu crois, mon petit?, continuait Lowyn en ricanant. Tu n'es pas un héros. Tu n'es même pas un magicien. Peuh! Un Altérant. C'est bien la dernière chose dont nous avions besoin ici. Regarde. (Il força Samyël à regarder le noir de sa robe.) Ca, gamin, c'est la couleur de l'élite. Seuls les meilleurs sont autorisés à la porter. Tout ce que le pourpre de ta soutane te permet, morveux, c'est de me m'obéir. Tu n'es rien. Non. Tu es moins que rien.
Sans crier gare, Samyël bondit, dans un silence de tombeau, et son poing se fracassa comme une massue sur le visage délicat de Lowyn qui partit en arrière en glapissant de terreur. Sans perdre de temps, Samyël pulvérisa Ludberg d'un coup de crâne rageur. Le garçon, terrassé, chut au sol comme une pierre. Aussitôt, le troisième larron jaillit par dessus la table en criant, pendant que les autres élèves se levaient précipitamment en proférant des paroles véhémentes. Souple et fort de son entraînement, Samyël pivota sur un pied et cueillit son assaillant d'un coup de genou dans l'abdomen qui le fit basculer en avant. Il se recroquevilla sur le sol en gémissant et crachant.
Ivre de fureur, Samyël se mit en tête de le frapper jusqu'à la mort. Mais alors qu'il s'apprêtait à délivrer son premier uppercut, son bras partit violement en arrière et se tordit douloureusement. Il grogna et se sentit plaqué contre la table par une force invisible. Des mains le tirèrent en arrière et le jetèrent au sol.
-Tu vas regretter ton geste, chien!, fit Lowyn d'une voix froide  en tamponnant fébrilement le sang qui s'écoulait de sa lèvre tuméfiée. Tuez le!
Une tempête de pieds et de bottes le balaya. Des avalanches de coup pleuvaient, apportant leur lot de douleur. Samyël se recroquevilla pour se protéger, mais le sort continuait de lui retirer le contrôle de ses bras. Il cracha plusieurs fois du sang, cherchant son souffle en gémissant. Il ne comprenait plus ce qui lui arrivait. On finit par le remettre à genoux. Hagard il avait du mal à rester concentré. Il ne ressentait plus que les plaintes de son corps meurtri.
-Regardez moi ces cheveux!, faisait la voix de Lowyn par dessus la cohue. Ils m'écoeurent, coupez les!
Samyël sentit qu'on lui agrippait les cheveux à nouveau, qu'on les tirait en arrière . Il voulut se débattre mais ce fut vain. Dans le même temps, on lui passa un noeud coulant autour du cou, et c'est à ce moment qu'il prit peur. On lâcha ses cheveux, mais la corde se resserra contre sa trachée, l'étouffant. Son corps fut tracté vers le plafond, ses pieds quittèrent le sol. Il chercha tant bien que mal à retrouver de l'air, mais celle-ci quittait insidieusement ses poumons. Il mourrait en éructant. Et il les voyait, qui riaient, se gaussaient de lui. Dans un ultime geste de rébellion, il propulsa ses pieds en y mettant toute sa rage et ses dernières forces. Il ravagea le visage d'un étudiant plus jeune que les autres qui s'était un peu trop approché. Le garçon chuta au sol dans un silence surréaliste et ne bougea plus. Etrangement, cela ne fit qu'accroître l'hilarité des autres. Privé de tout recours, Samyël se balança au bout de sa corde en tressautant, tandis que sa conscience glissait peu à peu vers les ténèbres. Quelques étudiants lui jetèrent des gobelets de vin, en parodiant l'extrême-onction.
Il ne bougea plus.
-Il est... mort?, finit par demander quelqu'un.
-Et il ne nous manquera pas!, scanda Lowyn.
Cependant, sa joie prit soudainement fin lorsqu'une hache de jet fendit l'air et coupa avec une précision mortelle la corde de chanvre, faisant choir le corps de Samyël sur le sol.
-J'espère pour vous qu'il n'est pas mort, bande de chiens galleux et puants que vous êtes.
Les étudiants se tournèrent comme un seul homme vers l'entrée du réfectoire. La petite silhouette trapue de Taenry se découpait dans l'encadrement de la porte. La pipe aux lèvres, il foudroyait l'assemblée de ses yeux furieux. Sa barbe lui donnait un aspect monstrueux. Il avait dans la main gauche une autre arme de jet, et quelques autres passée à la ceinture. Sa main droite portait son bâton.
Lowyn lui répondit avec une arrogance assurée que ses complices étaient loin de partager. Après tout, Taenry n'était pas que le portier. Il était avant tout l'extension de la volonté de l'archimage.
-Cela ne te regarde pas, portier. Retourne donc à...
-Silence, vermine juvénile!, brailla Taenry, si fort que Lowyn perdit un peu de sa superbe.
-Pour qui te prends-tu, vieillard? Ce que nous faisons ne te concer...
-J'ai dit silence! Puteborgne de bâtard de péon noble!
Pour illustrer son propos poétique, Taenry fit montre une nouvelle fois de son habilité. La hache frôla l'oreille de Lowyn de si près qu'une de ses boucles et quelques cheveux tombèrent au col. Le jeune héritier de la maison d'Hott pâlit encore plus et déglutit.
-Et maintenant, dans vos piaules, et plus vite que ça!, gronda le vieil homme avec un regard mauvais.
Les étudiants s'exécutèrent sans se le faire redire.
-Ramassez moi ce tas de viande de Kelly. Si il ne passe pas la nuit vous aurez des problèmes avec l'Archimage.
Lowyn fut le dernier à gravir les escaliers. Auparavant, il lança un coup d'oeil à Samyël, puis un regard venimeux à Taenry et jura :
-Tu me le paieras, vieillard.
Il déguerpit quand une troisième hache fusa vers lui.
Le petit homme attendit quelques secondes puis se précipita vers le corps inanimé de Samyël.
-Dieux! Quelle barbarie. Il y a quelques années ç'aurait été impensable! Mais regardez moi ce qu'ils lui ont fait!
Samyël gisait dans une mare de vin, de sang et de bave que les Serviteurs s'attelaient déjà à éponger. Taenry les congédia d'un geste et s'accroupit à côté du corps. Les yeux révulsés et la langue pendante, il faisait peine à voir. Taenry prit son poux, et constata avec soulagement qu'il vivait encore, quoique faiblement.
La corde magique disparut dès que le sort fut levé. La trachée contractée de Samyël se dilata et se dernier reprit violemment conscience en crachant et toussant, cherchant de l'air avidement. Il regarde autours de lui d'un air halluciné.
-C'est fini, lui dit Taenry. Tu n'as plus rien à craindre.
Le jeune homme frotta ses chaire s meurtries par le chanvre en grimaçant.
-Qu'est-ce que je leur ai fait?, croassa-t-il, la gorge sèche.
-Rien strictement rien. Tiens bois ça, répondit le petit homme en lui tendant une outre de vin.
Samyël but jusqu'à s'étrangler puis jeta la liqueur au loin d'un geste rageur.
-C'est pas de ta faute, gamin, reprit Blancbarbe. Tu sais, toutes ces histoires d'espoir sur toi, d'une espèce de héros ou je ne sais trop quoi, c'est malsain. Je ne te dénigre pas, je dis juste que c'est monté à la tête de certains. Des pires, je le crains...
Samyël ne répondit pas, encore choqué par la tournure des événements.
-Lowyn de la maison d'Hott fait parti des pires. C'est un fou vaniteux, arrogant et cruel, sans vertus morales. Mais c'est hélas un fou dangereux. Comme tu l'as vu, il porte la robe noire. C'est un rhéteur runique, et pas des moindres. Ce doit être le gamin avec le plus fort potentiel que cette vieille Citadelle ait connu en plus de deux cents ans, et je sais de quoi je parle. Si tu veux un conseil, reste loin de lui. Plusieurs élèves sont déjà morts par sa faute.
-Et vous ne faites rien contre ça?, s'indigna Samyël.
Taenry leva les mains en signe d'impuissance.
-Hélas. Il est pas protégé par une lettre de cachet du roi d'Arendia. Nous sommes impuissants à la renvoyer.
-Si vous ne pouvez pas faire cela, pour l'Archimage ne le punit pas au moins?
Taenry baissa les yeux. Soudain, il paraissait indécis.
-Et bien, c'est parce que... C'est parce que...
-C'est parce que l'Archimage est faible, voilà tout, répondit pour lui Nemerle, qui se tenait subitement derrière le petit homme, en appuie sur son bâton.
Taenry ne se retourna pas, mais se mit à fourrager dans sa barbe.
-Faible?, demanda Samyël incrédule. L'Archimage n'est pas censé être le plus fort des magiciens?
-Et bien... Hmm... Je dois dire que non, pas forcément.  Cela a souvent été le cas, je te le concède, mais la fonction de l'Archimage est avant tout d'organiser la vie au sein de la Citadelle, et de conseiller le Roi. La vérité, Samyël, c'est que je suis incapable de jeter le moindre sort. Ma magie s'est éteinte il y a de nombreuses années.
-Comment est-ce possible?!
-C'est une longue histoire. En attendant, ce que maître Blancbarbe t'a dit est vrai. N'approche plus de Lowyn. Tous les autres élèves sont avec lui. Et puisqu'il t'a pris en grippe, considère que tu n'as pas d'ami. Je suis désolé.
Samyël baissa la tête, des désillusions plein celle-ci. Il avait l'impression que tout allait de travers. Il se maudit d'avoir souhaité devenir mage, maudit tous ceux qui avaient placé en lui des espoirs futiles.
-Tout à l'heure, ils ont insulté le pourpre de ma robe. Pourquoi?
-L'Alteration a perdu ses lettres de noblesse lorsque Mac Kenick Le Bouffon a découvert le moyen de produire des illusions en utilisant cet Art. Il a d'ailleurs ensuite créé la sous-école de l'illusion, ce qui a en quelque sorte démocratisé l'altération, car la rendant accessible aux plus faibles. Et tu nous connais, nous, mages. Vaniteux et trop fiers. Mais ne te méprend pas. La véritable altération, telle que tu l'apprendras ici même, égale n'importe quelle autre école. Bien, à présent, va te reposer, il est tard. Les maîtres te testeront demain.
Samyël acquiesça et se releva lentement, en lissant les plis de sa robe. Se dirigeant vers les cellules, il serraient les poings et murmura :
-Faible ou pas, ça ne m'empêchera pas de te tuer, Lowyn de la maison d'Hott.
Nemerle et Taenry firent mine de ne pas avoir entendu.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: raphael14 le mercredi 26 août 2009, 14:44:02
Une fois de plus malmené, pauvre Samyël.
Que les autres élèves sont cruels.
Lowyn a comme un faux air de Malfoy, c'est dire.
Cette scène de cruauté montre tout de même à quel point le monde est hostile à ton petit mage. Chassé de Solanéa, malmené et ces mésaventures font naître un désir de vengeance destructeur...Ca promet.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le vendredi 28 août 2009, 17:03:44
Et encore, tu n'as rien vu. Les choses sérieuses ne vont plus trop tarder à débuter! Merci pour ton commentaire ^^


Sans transition, voici le chapitre 21, qui clôt le livre III du Cycle. A bientôt!


________

Par soucis de netteté et de facilité, je glisse ici la liste des 7 Arts, avec leur place, leur couleur respectif et leur Maître ainsi que la façon d'appeler un pratiquant.

Place - Couleur : Dénomination - Maîtres - Dénomination des initiés

1er - Gris: Invocation - Dagon - Invocateur
2e - Pourpre: Altération - Sörel - Altérant
3e - Bleu: Enchantement - Az - Enchanteur
4e - Orange: Méta-magie - Bronze - Méta-magicien/Méta-mage
5e - Blanc: Magie divine - Gedon - Prélat
6e - Noir: Rhétorique des runes - Darius Quint - Rhéteur runique/des runes
7e - Rouge: Tellurisme - Joed - Telluriste


Chapitre 21 : Maître Sorël.


   
Rassemblés dans un vaste salon, quelque part dans un recoin secret de la Citadelle, les maîtres échangeaient quiètement sur l'avancée de leurs élèves respectifs, une tasse de thé fumante à la main. Au nombre de six, ils attendaient patiemment la venue de l'Archimage, ainsi que celle, non assurée, du maître Sorël. Ils portaient les mêmes robes que les étudiants, cependant elles étaient plus riches, brodées d'or et d'argent, avec des runes en filigranes.
Il n'était guère surprenant que le sujet de conversation qui les animait portât sur le jeune Samyël. En effet, conformément au souhait de l'Archimage, chacun d'eux avait testé le jeune homme dans la matinée.
-C'est dommage, disait Dagon, le maître Invocateur. Il a pourtant l'air d'un bon garçon.
-Je ne sais pas, répondit Az, le filiforme Enchanteur. Il y a quelque chose chez lui qui me déplait.
Gedon, le Prélat, et Joed, le Telluriste, acquiescèrent de concert en silence. Darius Quint, le petit Rhéteur, gardait ses pensées pour lui et les mains dans ses amples manches. Il avait encore en tête l'altercation violente dont il avait été témoin entre le jeune Samyël et son élève Lowyn. S'il n'était pas intervenu, il ne doutait pas que c'eût été d'un cadavre dont on eut parlé.
Le Maître Bronze aussi gardait le silence. Mais c'était tout simplement parce qu'il ne pouvait pas parler. Ses lèvres de bronze étaient scellées. Son don de télépathe ne pouvait toucher qu'une personne à la fois, et il n'aimait pas s'immiscer dans les esprits. Il réservait ses paroles pour le seul Archimage et ses propres élèves.
-Qu'en pensez vous, Darius?, reprit Az en buvant une gorgée de thé.
Le Maître Quint était un personnage atypique. Il était vraiment petit, arrivant à peine à l'épaule de Taenry, mais n'avait pas la carrure de celui-ci. Chétif, il cachait son corps dans son ample robe noire. Sa tête paraissait disproportionnée par rapport au reste de son anatomie. Ses cheveux, gris et bouclés, formaient un arc de cercle sur son crâne, laissant le sommet dégarni. Son nez était assez imposant, suffisamment pour supporter une paire impressionnante de lunettes bleues, qui agrandissaient ses yeux déjà globuleux. Cependant, sous ses airs ridicules et comiques, personne n'aurait remis en cause le fait qu'il était, et de loin, l'être le plus puissant vivant sous les toits de la Citadelle. Cela dit, il y avait de cela quelques années, lorsque les couloirs étaient encore encombrés de dizaines d'étudiants bavards, une rumeur circulait, disant qu'à la vérité, le Maître Sorël surclassait Darius. Les duels étant interdits entre les Maîtres, personne n'avait jamais pu trancher une fois pour toute.
Quint secoua doucement la tête, l'air peiné.
-Je ne sais pas. Certains événements extérieurs à ma volonté m'ont empêché de me faire une opinion valable. Cependant, une chose est claire : On nous fait perdre notre temps. Il est évident que ce garçon n'a aucun pouvoir.
Mis à part le maître Bronze, tous acquiescèrent.
-Bronze?, demanda Az.
-Il dit que Sorël ne l'a pas encore testé. Ce qui est vrai, au demeurant.
Les maîtres se tournèrent comme un seul homme et saluèrent l'entrée de l'Archimage. Celui-ci leur répondit d'un sourire bienveillant. Taenry Blanc'Barbe se tenait à ses côté, sa pipe dans la bouche. Gedon présenta à Nemerle une coupe de thé, que celui-ci accepta volontiers.
-Je vois que vous étiez entrain de débattre.
-Oui, Archimage. J'allais dire, reprit Quint, avec un geste fataliste, qu'il serait peut être bon de vérifier les sorts d'accès à la Citadelle.
-Rassurez vous. Taenry s'en est occupé sitôt qu'il eût fait visiter la Citadelle au jeune Samyël. Tout est en ordre. Qu'ont donné les tests?
Les Maîtres secouèrent la tête, contrits.
-Comme vous vous en doutez, répondit Dagon, ils sont nuls. Ce garçon n'a aucun pouvoir.
-Et pourtant, la barrière de sorts l'a laissé passer, fit Joed pensivement.
-Le garçon était-il en possession d'un objet, ou d'un talisman capable de brouiller temporairement les sortilèges de défense?, proposa Darius.
Taenry secoua la tête, et sa barbe suivit le mouvement.
-Rien du tout. Juste un volume original des "Sensordus Demonicas". Le troisième, il me semble.
-Un original?, s'exclamèrent de concert Az et Dagon.
-Oui. Si mes souvenirs sont bons, il appartenait à Rirjk.
-Rirjk?, fit Gedon, surpris d'entendre le nom de son ancien élève.
-Rirjk a été le maître de Samyël, expliqua Nemerle avec un sourire malicieux.
Cette révélation provoqua un certain émoi au sein de l'assemblée.
-Que devient-il?, voulut savoir Gedon.
L'Archimage leva les mains en poussant un soupir.
-Les souvenirs de Samyël m'ont appris que lui et sa femme sont tombés entre les griffes du Commandeur.
-Pauvre homme..., commenta Az en secouant doucement la tête.
-Cela dit, nous ne sommes pas ici pour discuter sur cet énergumène de Rirjk, mais bien sur le cas de Samyël. Au delà de son absence de pouvoir, que vous inspire-t-il?
-Je ne peux pas parler au nom de tous, commença Dagon, car j'ai eu la chance de le tester en premier. Il m'a fait l'effet d'être un bon garçon, attentif à défaut de doué.
-C'est aussi l'avis de Bronze, traduisit Nemerle en jetant un coup d'oeil à l'homme de métal.
-Personnellement, je ne sais pas trop, dit Az. Il y a quelque chose chez lui qui... Comment dire? Qui me met mal à l'aise.
-C'est exactement ce que j'allais dire, approuva Joed et Gedon acquiesça également.
-Darius?
Le petit homme secoua à nouveau la tête, les yeux clos et les bras croisés. Il semblait embarrassé.
-Je ne sais vraiment pas. Mon test s'est mal passé.
-Comment cela?, s'étonna Az.
-Une fois qu'il a été mis en évidence qu'il n'avait aucune aptitude pour la Rhétorique Runique, il a cédé aux sarcasmes de Lowyn d'Hott. Ils en sont venus aux mains, et...
Il se tut.
-Et Lowyn l'aurait tué si tu ne l'en avais pas empêché, finit pour lui Nemerle en se frottant le menton.
-Voilà...
-Samyël et le jeune Hott ont déjà eu un différent, expliqua L'Archimage. Lui et les autres élèves ont essayé de pendre Samyël après l'avoir humilié.
La nouvelle laissa l'assistance sans voix.
-C'est donc lui qui est responsable de l'état de Kelly?, commenta Jeod.
-Oui, lui répondit Taenry. Même pendu, il a su trouvé la force de décocher un magnifique coup de pied. Bien qu'il ne soit pas fait pour être mage, au moins il ne manque pas de ressource.
-Maître, fit Darius. Vous avez lu dans son esprit, et vous avez vu l'ensemble de son existence.
-C'est exact.
-Y a-t-il des choses que nous devrions savoir?
Nemerle resta un moment pensif, comme jaugeant ce qu'il pouvait dire, et ce qu'il ne pouvait pas.
-Et bien, comme vous le savez maintenant, Rirjk fut son maître. Cependant, Henricus de Bror semble être son grand père. Attendez, je n'ai pas fini. Je ne sais pas grand chose de ce côté là. Je ne sais pas s'il est grand père du côté de la mère ou du père. Je ne sais d'ailleurs même pas s'il est effectivement le grand père naturel. Il l'a élevé six ans, puis il s'est délibérément fait prendre par Eratius, pour sauver la vie de Rirjk.  
-Le Commandeur possède une bien sombre importance dans la vie de Samyël, commenta lugubrement Gedon.
-Oui. Je ne vous cacherai pas que le jeune Samyël nourrit des désirs de vengeance sanglante.
-Cela me paraît normal.
-Y a-t-il autre chose, Archimage?
-Rien de significatif, mentit Nemerle.
Il pensait que les autres maîtres n'avaient pas besoin de savoir que Samyël était un assassin, doublé d'un être violent et destiné à la folie, sous ses abords de bon garçon. Il ne l'avait dévoilé qu'à Taenry, en qui il avait une pleine confiance, et le dirait à Sorël, si à l'avenir il en devenait le maître. Taenry n'avait rien voulu savoir. D'une certaine façon, il s'était déjà attaché à Samyël, d'une manière que Nemerle lui avait rarement vu. Ce simple fait lui redonnait confiance. Le petit homme avait le don de jauger les gens, après toutes ces années passées à faire le portier.
-Bien, reprit l'Archimage. Si le garçon ne montre aucune aptitude pour l'Altération également, je vais l'envoyer vers la famille royale avec une recommandation. Je crois qu'il est apte à devenir au moins chevalier. Approuvez-vous?
-Cela me paraît être une sage décision, acquiesça Dagon.
Tous les autres furent de son avis.
-Sur ces entrefaites, je vais prendre congé, dit Nemerle en faisant mine de se lever.
Tout à coup, la lourde double porte s'ouvrit à la volée en claquant violement. Une rafale de vent digne d'une tempête s'engouffra dans la pièce, renversant les tasses, faisant voler les robes et les cheveux, éteignant les bougies. Une boule d'air compacte et parcourue de rotations fulgurantes se matérialisa sur le seuil, restant suspendue pendant quelques secondes. Puis le vent cessa, le calme revint, et la sphère se changea en un homme de grande stature, vêtu d'une élégante robe pourpre ornée avec goût.
L'Archimage et les autres Maîtres n'avaient pas bougé, habitués aux excentricités du nouveau venu.
-Bonjour, Sorël, l'accueillit Nemerle avec son sourire habituel.
Le Maître Altérant parcourut l'assemblée des yeux, son visage androgyne à la beauté surnaturelle renvoyant un masque de mépris hautain, d'arrogance et d'agacement. Gedon ne put s'empêcher de détourner les yeux, mal à l'aise. Darius soutint son regard sans broncher, nullement intimidé, quant à Bronze, il se contenta de le saluer mentalement. Les autres ne firent rien de particulier.
-Bonjour, Archimage, finit-il par dire.
Sa voix étant un ravissement, à la fois chantante, claire, profonde et lyrique.
-Maître, salua-t-il ensuite Taenry en se penchant révérencieusement.
Les mages ne se formalisèrent pas de ces inconvenances protocolaires. Il fallait déjà s'estimer heureux que Sorël se soit montré, et encore plus qu'il ait adressé la parole de son propre gré.
-On m'a demandé. Aussi, me voici, reprit l'Altérant en sortant d'un repli de sa robe un parchemin encore scellé du sceau de l'Archimage.
-Oui, et je te remercie de t'être déplacé.
-Le sceau est rouge... L'affaire est d'importance?
Sans attendre la réponse, Sorël marcha jusqu'au plus proche fauteuil libre et s'y laissa choir sans un bruit. Il tendit le bras derrière lui, et Gedon s'empressa de lui servir une tasse de thé.
-Tu as pris du poids, Az, commenta-t-il avec morgue.
-Je te remercie pour ta sollicitude.
L'Altérant eut un rictus ironique qui tordit joliment ses charmantes lèvres plus rouges que la moyenne.
-Et toi Darius. Toujours aussi ridicule, à ce que je vois.
Quint laissa couler l'insulte. Il savait que la meilleure façon de répondre à Sorël était de l'ignorer. Cependant, l'exercice était souvent difficile, car la verve de l'Altérant était aussi précise qu'une arbalète.  
-Sorël, appela Nemerle. Sais-tu pourquoi je t'ai fait mander?
-Non. Mais j'espère que c'est pour une bonne raison.
D'un geste flegmatique, il jeta négligemment le scellé de l'Archimage dans l'âtre où il se consuma rapidement.


Les pas vifs de Sorël raisonnaient dans les couloirs bordés des cellules des élèves. Quelques uns d'entre eux jetèrent un furtif coup d'oeil, mais se hâtèrent de refermer leur porte en apercevant la haute silhouette.
-C'est ici, indiqua Taenry en sortant son trousseau de clés.
Sorël attendit patiemment que le petit homme ouvre la cellule de Samyël puis s'y engouffra à vive allure. Il découvrit le jeune homme allongé sur sa paillasse, visiblement endormi - Ce qui à cette heure avancée de la nuit n'avait en soi rien de surprenant. Cependant, le garçon semblait délirer. Il était agité, marmonnait des choses inaudibles, et son visage était tordu par un rictus que le Maître Altérant n'aurait su définir, entre rage ardente et peur viscérale. Les traits de Sorël s'adoucirent subitement, et il s'agenouilla auprès du garçon. Il lui prit la main et approcha ses lèvres à ses oreilles.
Taenry n'entendit pas ce qu'il lui susurra, mais l'effet fut presque immédiat. Samyël se calma, sembla un moment apaisé... Puis soudain il se réveilla en criant :
-Eratius!
Perdu dans ses délires cauchemardesques, il crut avoir à faire à une apparition. Une incarnation de la Lumière telle qu'il la concevait. Il plongea sans retenu dans le mauve du regard de Sorël, hypnotisé par la beauté de cet être. Les longs cheveux, fins, soyeux et blonds, du Maître retombaient doucement sur son visage, comme un douce caresse. Les lèvres carmins, sensuelles et terriblement attirantes s'ouvrirent légèrement sous l'effet de surpris.
Sorël souffrait de la même emprise hypnotique. La mauvaise lumière avait faussé les traits du jeune homme initialement, mais à présent qu'il était éveillé, et que la lampe de Taenry éclairait son visage, il ne pouvait s'empêcher d'admirer le vert profonds de ses yeux, ses traits volontaires et virils à la limite de la maturité, et la magnificence de sa chevelure, étrangement rouges et sombres, d'une rare beauté.
Ils restèrent ainsi un moment, se charmant mutuellement. Puis leurs visages se rapprochèrent lentement...
-Sorël, appela Taenry d'une voix bourrue.
L'enchantement rompu, ils clignèrent tout deux des yeux, et Samyël se redressa en s'éloignant un peu, confus.
-Pardon, je...
-Non, ne dis rien. C'est ma faute, le coupa Sorël avec un sourire qui fit une drôle d'impression au jeune homme.
Ce dernier sentait son coeur battre à se rompre. Ses émotions dansaient la farandole, il était perdu. Qu'est-ce qui venait de se passer, là à l'instant? Il remarqua que Sorël ne lui avait pas encore lâché la main. Se surprenant lui même, il ne fit rien pour se dégager. Il trouvait ce contact... agréable. Il rougit involontairement de ces pensées, et fut heureux que la pénombre masquât sa réaction.
-Je... Qui êtes vous?, demanda-t-il d'une petite voix.
-Je suis le Maître Sorël, répondit l'intéressé. On m'a demandé, enfin, l'Archimage m'a demandé, de te tester. Je ne veux pas passer plus de temps ici que nécessaire. C'est pourquoi j'ai pris la liberté de te déranger en pleine nuit.
-Bien, je heu... Que dois-je faire?
-Nemerle m'a dit que tu avais quelques dispositions, ainsi que quelques connaissances pour l'altération. Montre moi.
Sorël lâcha la main de Samyël afin qu'il puisse correctement lancer ses sorts, mais cela peina étrangement le jeune homme. Il se releva en même temps que le maître. Sa cellule était tellement petite qu'ils étaient à peine à quelques centimètres l'un de l'autre. Sorël dégageait une agréable odeur de fleur. Le jeune homme se concentra sur sa tâche. Après son humiliation prolongée de la journée, successivement avec chacun des maîtres, il n'avait pas le droit à l'erreur. Surtout qu'il comprenait que si Sorël le refusait, il serait mis à la porte, et il n'aurait plus qu'à oublier la magie...
Il fit le vide dans son esprit, comme Rirjk, en son temps, le lui avait appris. Il se souvenait encore très bien des heures qu'il avait passé sur ce maudit rocher, face à la mer à essayer de faire abstraction du monde autour de lui. Maintenant, cela lui était aussi naturel que de respirer. A l'aide de deux mots de pouvoirs, il matérialisa une petit sphère de lumière, à quelques millimètres au dessus de sa paume ouverte. En exécutant des séries de signes avec son autre main, il la changea en une balle de feu qui crépita joyeusement. La boule s'agrandit, s'aplanit, et un visage grimaçant s'y dessina, émettant un rire spectral. Puis son sourire disparut, laissant place à une mimique de stupeur, avant de se désagréger dans un relent de fumée.
Quand Samyël reprit conscience du monde autour de lui, Sorël tapait doucement dans ses mains, un sourire ravi sur le visage.


-Je ne sais pas ce qu'il en est des autres écoles, mais le garçon a des aptitudes pour l'Altération. Je le formerai.
Nemerle acquiesça distraitement, le regard fixé sur le lac "Nul-part". Il était à la fois heureux pour le garçon, et inquiet de l'influence que pourrait avoir sur lui l'excentrique Sorël. Et vu comme le Maître pianotait impatiemment sur l'accoudoir, il doutait que l'excitation de Sorël fût purement professionnelle. Même s'il était vrai que l'Altérant n'avait plus enseigné depuis au moins sept ans - ses qualités de professeur n'étaient pas en cause, mais il n'y avait simplement plus d'élèves intéressés par le 2e Art. L'Archimage se demanda un moment avec sérieux si finalement c'était une bonne idée de laisser ces deux là ensembles. Mais d'un autre côté, il était curieux de connaître l'étendu des capacités de Samyël. Sa condition était peu courante, voire même rarissime. Il ne se souvenait pas avoir déjà rencontré un mage réceptif qu'à une seule école.
Il haussa les épaules. Après tout, la magie était imprévisible.  
-Bien, finit-il par dire en se retournant.
Sorël le fixait de ses yeux mauves, qui bien que magnifiques, mettaient l'Archimage toujours mal à l'aise.
-Quelque chose ne va pas, Nemerle?
L'Archimage prit une inspiration et raconta à Sorël ce qu'il avait déjà raconté à Taenry au sujet du garçon. Lorsqu'il eut fini, l'expression de l'Altérant n'avait pas changé.
-Cela ne te dérange pas?, demanda Nemerle, même s'il connaissait déjà plus ou moins la réponse.
Le Maître secoua doucement la tête, et sa fine chevelure suivit le mouvement avec grâce.
-Pourquoi cela le devrait-il? Nous savons tous les deux que j'ai fait des choses bien pires... Tout comme toi, ajouta-t-il.
-Oui, acquiesça l'Archimage.
La familiarité avec laquelle s'adressait Sorël à Nemerle aurait choqué n'importe quel Maître. Cependant, le vieil homme était heureux que l'Altérant continuât de le respecter encore un peu, en dépit de son impuissance magique. Il songea avec une certaine nostalgie à l'époque où l'impétueux Sorël s'inclinait devant lui et le traitait avec déférence, tout comme il le faisait encore avec Taenry. Il s'en était toujours secrètement enorgueilli. Il avait été profondément marqué par le changement d'attitude du Maître, lorsqu'il était revenu de ses propres aventures, vieilli et sans une goutte de magie. Il s'y était habitué.  
-Tu demanderas à Taenry la clé de la salle d'Altération.
-Non.
-Comment?
-Je ne compte pas rester ici. Il fait froid et ça sent mauvais, répondit Sorël en plissant élégamment le nez. Nous étudierons chez moi, dans ma tour.
-Bien, fais à ta guise. J'exige cependant un rapport régulier, disons, un par mois.
-Comme tu veux.
L'Altérant se leva de son fauteuil.
-Sorël!
Le Maître se retourna, agacé.
-Ne fait rien de... déplacé.
Un sourire malicieux répondit à l'Archimage, puis la porte de son bureau claqua, le laissant seul. Il se laissa choir sur son siège en soupirant. Il s'accorda quelques minutes avant d'emprunter la porte secrète qui menait aux appartements de Daltharion.
Pendant ce temps, Sorël retrouva Samyël dans le parc intérieur, assis sur le banc près du tertre, ses maigres possessions sur les genoux. Lorsqu'il aperçut son maître, Samyël se releva prestement.
-C'est réglé, annonça Sorël. Suis moi.
Sans attendre, il prit la direction de la bibliothèque. Samyël lui emboîta le pas sans rien dire. Mille choses s'entrechoquaient dans sa tête. Il peinait à réaliser qu'il avait finalement réussi à devenir apprenti, il se demandait comment le Maître enseignait, combien de temps cela lui prendrait-il pour devenir un mage accompli... Il préféra se focaliser sur des problèmes plus immédiats, comme de ne pas perdre de vue Sorël dans le labyrinthe de la bibliothèque.
-Attend moi ici, lui intima l'Altérant. Je dois voir Grimh, tu auras besoin de certains livres.
Samyël acquiesça tandis que Sorël disparaissait dans les étages. Pour éviter de sombrer dans ses pensées, le jeune homme se mit à arpenter les rayonnages, s'étonnant de la très grande diversité des sujets traités. Un tome en particulier retint son attention. C'était un gros manuscrit à la couverture de cuir verte. Il prenait la poussière et nul titre n'était lisible sur sa tranche. Il s'en saisit et peina à le transporter jusqu'au pupitre de lecture le plus proche tant il était lourd. Le livre claqua avec force en soulevant un nuage de particules. Samyël souffla sur la couverture pour faire apparaître le titre, frappé en lettre d'or terni.
-"Le Chevalier Argoth", lut-il à haute voix.
Sous le titre, il y avait l'image d'un personnage insolite : on aurait dit un chevalier en armure, mais il arborait une queue de reptile et des cornes. Le jeune homme s'apprêtait à l'ouvrir lorsque la main de Sorël se posa délicatement sur son épaule.
-Allons-y, dit-il. Laisse le livre là, Grimh le rangera.
Ils traversèrent rapidement la bibliothèque puis le pont anonyme qui enjambait le fleuve Mana. La nuit rendait le terrain d'entraînement effrayant, les silhouettes solitaires des nombreuses statues faisant penser à des monstres prêts à bondir.  
-Nous avons un peu de route, annonça Sorël. Nous serons chez moi à l'aube.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: raphael14 le samedi 29 août 2009, 14:24:25
Alors comment vais-je pouvoir exprimer l'étrange impression que m'a fait Sorël. Sa réaction quand il a rencontré Samyël m'a plongé dans l'incertitude. Cette scène est pour le moins...ambiguë. Mais maintenant Samyël va enfin commencer sa vraie formation d'Altérant. Ça promet. En tout cas je n'oublie rien et je continue à laisser mijoter mes remarques dans mon cerveau, ça pourrait être utile pour la compréhension.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: silver le samedi 29 août 2009, 14:26:17
Magnifique, j'aime le déroulement de l'histoire. Vivement la suite, j'apprécie Sorël et on voit que Samyël a mal vécu la disparition de ses proches.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Prince du Crépuscule le vendredi 04 septembre 2009, 16:53:56
Bonjour bonjour, eh oui c'est moi, l'el... le Prince! Tu y as a cru hein, avoue? Ou plutôt tu n'y croyais plus, à ma venue. Oui, désolé, blabla tout ça tu connais la chanson. Bref, je suis là, ce n'est plus la peine d'avoir peur. Les oiseaux chantent, l'eau ruisselle gaîment, le vent caresse le feuillage crêpu des sapins et le soleil rayonne à nouveau (mais pas pour très longtemps, je voudrais pas perdre ma principauté quand même...). Si c'est pas beau ça... Oh, ce que j'ai fumé? Mais rien, rien du tout je vous assure! C'est heu... l'humidité, oui parfaitement, ça me requinque. *toussote et écrase discrètement la substance illicite empaquetée derrière lui*

Bon, moi qui avais prié pour un retour du Cycle, je crois que mon voeu a été exaucé. Un an tout de même pour boucler le 20ème chapitre, fallait le faire! Mais comme je te connais, rien de très étonnant en fin de compte... L'important, c'est qu'il soit bel et bien achevé et qu'on puisse le savourer!
Alors, pour commencer, je ne commenterai que tes derniers posts, soit la fin du chapitre 20 et le chapitre 21, puisque je t'avais déjà fait part de mes impressions concernant les suites précédentes il y a assez longtemps de ça.

Comme mise en bouche à mon commentaire, j'ai envie de dire que je suis heureux de retrouver le Cycle, non seulement parce que j'avais envie que tu continues, mais aussi parce que la qualité est toujours au rendez-vous. Je dois dire que ces deux suites m'ont surpris, je ne m'attendais pas du tout à ce que notre pauvre Samyël se fasse ainsi rejeter par les autres élèves! Mais t'es vraiment un auteur sans coeur ma parole! (et je ne le sais que trop bien... *chouine*) Hm, c'est intéressant cet ordonnement par disciplines magiques et tout, on voit clairement qu'elles sont séparées. L'altération a vraiment perdu ses lettres de noblesse comme tu dis, j'aime bien l'explication en tout cas. Et le petit mage vermeil qui se retrouve tout seul et mal à l'aise dès le départ! C'est un peu ce que j'avais subodoré dès le départ: Samyël est un être solitaire qui a du mal avec les autres à cause de toutes les cruelles épreuves qu'il a dû endurer. Cette nouvelle solitude, quoique contre son gré cette fois, illustre très bien ce fait et servira sûrement par la suite à contribuer à la graine de folie qui a été ensemencée dans son esprit. C'est bien pensé et bien amené, un point d'appui narratif en gros. :p
Et en matière de cruauté, notre Altérant en herbe est plutôt bien servi! On voit directement qu'il suscite la haine des autres parce qu'il est spécial et aussi parce qu'on attend trop de lui; de quoi rendre certains vaniteux jaloux. Et c'est ce qui se passe avec ce Lowyn noble et pédant, qui me rappelle Malefoy comme Raph. A peine arrivé et il se fait déjà un rival sérieux, son opposé en quelque sorte, en plus d'être tarabusté de coeur joie par la suite. Je note la violence et la rage dont fait preuve Samyël, qui se défend tant bien que mal face au nombre. C'est un peu le côté chevaleresque de notre "héros" national, qui se dispute sans cesse avec son côté magicien pour le moment bien malmené. Car la désillusion est grande, tu nous l'as bien décrit!
Pour conclure sur ce chapitre, l'intervention de Taenry est appréciable, je l'aime bien ce bougre. La révélation quant à la faiblesse de l'Archi-mage (à laquelle je ne m'attendais pas du tout °°) est également intéressante en soi, car elle symbolise parfaitement l'état de décrépitude dans lequel se trouve plongée la magie. La surprise est grande pour Samyël tout comme pour le lecteur, un effet percutant. Le chef est amoindri, et cela rebondit comme par ricochets sur toute la communauté qu'il dirige, avec des élèves hargneux et pleins de morgue, du mépris, des querelles internes... C'est un thème à exploiter si tu veux mon avis, mais je te fais amplement confiance sur ce genre de sujet. ;)

Concernant le chapitre 21 maintenant, tu me vois heureux de pénétrer dans le cercle des professeurs car j'étais impatient de les connaître. Je vois avec plaisir que tu leur as tous donné un trait de caractère propre, même si nous ne les connaissons pas encore. D'ailleurs, je m'interroge... Ce Maître Bronze là, c'est qui? Je crois que je n'ai pas bien compris sa fonction, c'est une sorte de "sous-maître" de la télépathie? Merci au passage de nous avoir fourni la liste des disciplines magiques, je m'y perdais un peu. ^^;
Ce qu'on peut dire dès l'abord, c'est que Samyël fait un drôle d'effet à ces professeurs, et leur avis est mitigé. Enfin je suppose que c'est normal quand on a affaire à un cas aussi exceptionnel, qui s'est déjà battu à mort à deux reprises avec l'élève le plus talentueux du moment au sein de l'école.
Je m'intéresse plus particulièrement à la personnalité de Darius Quint, qui me semble être un drôle de bonhomme. (rien que par son physique déjà...) Son lien avec Lowyn laisse à penser qu'il dressera des barrières sur le chemin de Samyël, mais sait-on jamais ce que tu nous réserves, sale fourbe... :3
Ah, et l'événement de ce chapitre bien sûr, j'ai nommé Sorël! Ah, quel personnage celui-là! J'ai tout de suite accroché à son côté marginal et excentrique, rien que son entrée déjà, et la réaction des autres professeurs... c'était comique. ='D Un drôle d'oiseau quand même ce maître Altérant, même si je l'adore. Tu sais combien je porte les personnages ambigus dans mon coeur, et celui-là n'est pas en reste, bien au contraire. Un homme à la beauté envoûtante, féminin par l'apparence, mystérieux, plein de verve, et capricieux...

Bref, je me calme. Ah non, je ne me calme pas, puisqu'il faut à présent parler de sa rencontre avec Samyël! *-* En voici une première rencontre qu'elle est équivoque! Une scène très bien amenée par ailleurs, je me dois de le souligner. L'effet hypnotique est si bien rendu qu'on s'y croirait, et puis cette ambiguïté quoi! Mais c'est quoi cette relation, hein?! (oui, mes cachets, tout de suite...)  Ce sont deux opposés, comme deux aimants qui s'attirent l'un l'autre malgré leur différence d'âge et le fait qu'ils soient tous deux de sexe masculin. Je remarque que notre brave Samyël est lui aussi plus que réceptif à la beauté grâcieuse de Sorël... Une scène envoûtante, vraiment, et pleine de mystère comme je les aime, qui produit une forte impression. Ils manquent même de s'embrasser! Avoue que tu l'as piquée à Fufu, allez avoue! è_é *crève*
Les paroles de Sorël m'interpellent par contre, quand il affirme que cet "incident" est de sa faute. L'a-t-il hypnotisé sciemment pour parvenir à ses fins, ou au moyen d'une illusion peut-être involontaire? (il est sans gêne d'ailleurs, il fait ça devant Taenry) Quoiqu'il en soit, cette rencontre perturbe notre petit mage, et le lecteur tout pareil. On se demande d'ores et déjà ce qu'il va en ressortir, d'autant que les dires de l'Archimage confirment que le maître Altérant a quelques petits précédents quelque peu... déplacés. Comme le test de Samyël s'est conclu sur une réussite, on n'a plus qu'à attendre la suite des événements, et fébrilement s'il te plaît! On trépigne, on n'en peut plus, on se mord les doigts, on arrache le papier peint, on...! Comment ça j'en fait trop? °° *sort piteusement* Cette étrange relation maître/élève m'en rappelle une que je connais bien d'ailleurs, si tu vois ce à quoi je fais allusion. :p

Hmm... pour terminer sur ces remarques, la relation entre Sorël et l'Archimage "déchu" m'intéresse vivement. Il s'en dégage une sorte de mélancolie qui me fascine. J'aurais bien aimé connaître le véritable lien qui les a unis par le passé, tout comme les exactions qu'ils ont tout deux commises. Et comme j'apprécie ce genre de choses, mention spéciale aux petites références qui se sont glissées dans ce chapitre, comme le nom du bibliothécaire Grimh qui fait penser aux frères Grimm (d'ailleurs c'est marrant ça veut dire colère en Allemand :P) ou à un diminutif de grimoire. Oui bon là je divague peut-être, mais j'avais envie de le dire, la prochaine fois achète-moi une muselière si t'es pas content. :roll:
Et puis bien sûr il y a le vieux livre bien fourni du Chevalier Argoth, belle référence que j'apprécie! Espérons que l'oeuvre véritable sera aussi lourde que celle-ci. ^^

Bon, pour clore le commentaire, passons aux défauts récurrents. Je parle bien sûr des fautes, qui entachent ton récit par-ci par-là. "Fait" à la place de "Fais" à l'impératif, etc. Elles ne sont pas nombreuses certes, mais fais attention quand même. Le relâchement n'est pas toléré ici bas. Tu as par exemple oublié le -e final à "étendue" et à un autre mot qui se finit pareillement en -ue, entre autres fautes d'accord que j'ai pu relever. Solution? Une relecture assidue et précise. Autre faute que tu commets systématiquement et que j'avais déjà soulignée par le passé, au niveau de la ponctuation cette fois-ci: Après un point d'interrogation, un point d'exclamation ou même des points de suspension dans un dialoque, il n'y a pas besoin de mettre de virgule avant d'insérer un "dit-il" ou autres incises du genre. Par exemple tu ne dois pas écrire "-Je... Qui êtes vous?, demanda-t-il d'une petite voix." mais "- Je... Qui êtes-vous? demanda-t-il d'une petite voix."
Voilà, sinon je trouve que la fin du chapitre 21 (Evite de mettre chapitre 20 pour le chapitre précédent et chapitre 7 pour celui-ci, c'est assez dérangeant >_>) n'est pas vraiment pertinente, à tout le moins pas assez percutante, pour faire état d'une fin de Livre. On s'attend vraiment à une suite directe derrière je trouve. C'est peut-être plus une affaire de goût qu'autre chose mais enfin... on verra bien.

Sur ce, je te souhaite une bonne continuation, en espérant que ce commentaire t'ait été un minimum utile. Tu es sur la bonne voie pour nous faire vivre de (très) bons moments de lecture, et j'attends la suite avec une impatience non dissimulée et non dissimulable! Bonne inspiration à toi, vil écrivationneur. ;)
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le dimanche 27 septembre 2009, 00:32:27
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: silver le mardi 17 novembre 2009, 20:56:11
Cela faisait un moment, j'ai lu ta petite histoire. Je la trouve très sympathique personnellement, sinon je te souhaite une bonne continuation dans les autres récits et de les revoir très prochainement
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: astrid le mercredi 06 janvier 2010, 17:03:33
GMS, tu risques d'avoir une nouvelle commentatrice.

J'ai commencé la lecture du Cycle du Rouge et j'ai trouvé ton écriture fluide et très facile à lire (bien sûr, je n'ai pas lu ton dernier chapitre, restant dans l'ordre chronologique de tes écrits.). J'ai été très surprise et, la curiosité ne me faisant pas défaut, j'ai continué ma lecture sans pouvoir m'arrêter. J'ai la sincère impression de lire un roman, installée dans le canapé et dévorant tes chapitres comme un loup affamé. C'est vraiment envoûtant, c'est tout ce que je peux te dire. Evoûtant, fluide et tellement facile à lire. J'ai l'habitude de ne pas faire des commentaires à rallonge, donc, tu risques de me voir débarquer souvent  x-D .

Bref, que dire à part bonne continuation ? J'ai hâte de lire la suite !
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le dimanche 07 février 2010, 17:37:52
Hello, c'est moi. (Tin tin! (8))

Pour changer, je vous apporte une petite suite du Cycle. (Oui je sais, presque une demie année s'est écoulée depuis la dernière.) J'espère que vous l'apprécierez.

Silver ==> Merci d'être toujours au rendez-vous! J'espère que la suite du Cycle te satisfera.

Astrid ==> Hé bien, c'est toujours très agréable d'avoir une nouvelle lectrice! D'autant plus que si ma mémoire ne me fait pas défaut, tu es la première, des lectrices. :)
En tout cas, ton commentaire m'a fait extrêmement plaisir, il ne pouvait à mon sens être plus élogieux. (Le rapport à un véritable roman, notamment!)
Bref, encore merci, et j'espère que la suite t'agréera aussi.


En sus du Cycle, j'ai mis à jour mon dernier post, y ajoutant les chapitres 2, 3 et 4 de ce nouveau récit finalement baptisé Marcherêve. Je ne posterai pas les prochains chapitres sur un post complet comme celui-ci, je continuerai d'éditer le premier. Jettez-y un coup d'oeil de temps en temps ; j'essaierai de mon côté de prévenir, dans mes futurs post ou dans le titre du topic.


Ensuite, une question : Le premier tome de Monarque est achevé. Etant donné que cette histoire là n'avait pas eu l'air de rencontrer un fol enthousiasme, je vous demande si cela vous intéresserait que je post tout de même la suite.

Voilà, bonne lecture et à un prochaine fois! (Moins éloignée dans le temps, j'espère!...)



___________________

[align=center]Le Cycle du Rouge.[/align]


 Livre IV : Le Mage





Chapitre 22 : Tempête. (1ère Partie.)




L'air dans le coin droit du bureau se mit à onduler doucement, puis une porte d'énergie bleutée jaillit du néant. Sorël sortit du portail en s'époussetant. Derrière lui, on pouvait apercevoir ses appartements, richement décorés.
le Maître fit des yeux le tour de la pièce, et eut un claquement de langue agacé. L'Archimage n'était pas dans son bureau. Dans son dos, le portail disparut sans un bruit, ne laissant que quelques particules résiduelles qui se dissipèrent très vite.
-Nemerle?, appela-t-il, espérant que le vieil homme était dans ses quartiers à l'étage.
Il ne reçut aucune réponse. Bien que n'en ayant aucune envie, il se mit à chercher l'Archimage. Ses pas le portèrent à la bibliothèque, qu'il fouilla de fond en comble sans succès, puis vers les salles d'étude aux étages, sans plus de résultat. Il redescendit au réfectoire pour ne trouver qu'une salle vide. A peine eut-il fait deux pas dans la pièce que les Serviteurs s'empressèrent de lui servir un repas. Le nez de Sorël se plissa de dégoût à la vue de la pitance qu'on servait aux élèves. D'un geste il congédia les entités, qui reprirent leur place dans le fond.
-Sorël?, fit une voix familière derrière lui.
L'intéressé se retourna, et s'inclina respectueusement devant Taenry.
-Maître.
-Je suis surpris de te revoir si tôt.
-Nemerle m'a demandé de venir le voir une fois par mois, pour lui faire part des progrès de Samyël. Où est-il?
-Il va bien?, répondit Blanc'Barbe en pensant au jeune homme.
-Très bien.
-Et toi?
-Pareillement. Cela faisait longtemps que je ne m'étais pas senti aussi bien, à dire vrai. C'est un véritable plaisir d'enseigner à quelqu'un d'intéressé. Et doué.
Taenry hocha la tête, l'air songeur.
-L'Archimage est en visite chez sa Majesté. Il ne sera pas là avant ce soir.
Sorël soupira de dépit. Il s'apprêtait à prendre congé et rentrer chez lui lorsque Taenry le devança.
-Puisque tu es là, viens donc boire une choppe.
-Hmm, fit Sorël, faussement pensif. J'ai bien peur que cela me rende tout mielleux de nostalgie.
Ils échangèrent un sourire entendu.
Les appartements du Portier se trouvaient dans le Hall. Une petite porte dérobée, cachée derrière un pilier et renforcée par des charmes de confusion en gardait l'accès. Si Taenry y passait sans problème, le Maître devait se baisser pour ne pas percuter le linteau. L'intérieur était assez vaste, quoique bas de plafond. La décoration était presque inexistante, à l'exception d'une fantastique hache de guerre à double tête, fixée sur le mur du fond. Le tranchant des lames était tel qu'il pouvait découper presque n'importe quoi. L'arme était tellement bien entretenue que le métal renvoyait des éclats irisés. Les deux têtes mortelles étaient liées par un morceau d'acier en forme de tête chauve et barbue, aux traits farouches. Il y avait quelques ressemblances avec la figure de Taenry, Sorël se fit la réflexion. Des arabesques avaient été ciselées dans le métal, et le manche, trop court pour un humain de taille normal, était fait d'un bois lourd, robuste et noir. Le nom de l'arme était gravé dans le bois, mais les runes qui le composaient n'étaient pas magiques : elles appartenaient à un langage que Sorël ne connaissait pas.
Le reste de la pièce était plus banal : un lit, de taille optimale pour Taenry, austère mais douillet, une solide table en bois avec deux chaises, quelques étagères où étaient entreposés des choppes de différentes formes et origines, toutes partageant une même esthétique raffinée, des pipes de différentes longueurs, des liasses d'herbes à fumer, du matériel de distillerie, des bouteilles d'alcool poussiéreuses, quelques volumes d'Histoire et de Géographie accompagnés de cartes détaillées et coûteuses proprement enroulées et enfin un mannequin de bois sur lequel était exposée une armure de très belle facture, composée de multiples pièces de plaque que Sorël aurait été bien en peine de nommer, d'une chemise de mailles robuste, d'un heaume à cornes blanchies et de bottes ferrées. La pièce d'armurerie était parfaitement bien entretenue, mais inutilisable pour la très grande majorité de la population car adaptée à la petite taille de Taenry.
Pendant que Blanc'Barbe fouillait méticuleusement dans ses bouteilles à la recherche d'un bon Méliol - seul breuvage que le palais raffiné de Sorël tolérait - l'Altérant se tint devant la hache et fit passer son doigt sur le manche, avec une certaine déférence.
-Cela fait combien de temps que tu ne l'as pas utilisée?
Taenry poussa un soupir à fendre l'âme.
-Bien trop longtemps. Si je ne prends pas garde, elle se couvrirait de poussière plus vite qu'il ne le faut pour le dire.
-Tout cela te manque?
Le petit homme ne répondit pas tout de suite, absorbé par le choix cornélien qui s'imposait à lui : une cuvée spéciale Perigniac 1423, ou un Château Karadhan 1567? Finalement, il opta pour le second tout en répondant franchement :
-Un peu. Mais je ne m'y trompe pas . C'est simplement que je suis vieux. Le passé paraît toujours mieux que ce qu'il était quand on est vieux.
Sorël haussa les épaules ; il n'était pas encore en mesure de juger. Il s'installa face au vieil homme et ils trinquèrent en silence.
-Cela me paraît tellement loin, la dernière fois que nous avons bu ensemble, commenta Sorël avec un soupçon de nostalgie.
-Oui, acquiesça Taenry. Presque quatorze ans maintenant. Je ne te cache pas que ça me manque. Et comme il n'y a plus  de nouveaux élèves ou presque qui viennent, je me sens seul. Les jeunes ne se préoccupent plus des vieux. Je ne me sens aucune affinité avec aucun d'entre eux. L'Archimage passe beaucoup de temps auprès de sa Majesté ces derniers temps, et les autres Maîtres sont trop préoccupés par leur quête de pouvoir personnel. Quant à Grimh... (Il secoua la tête.) Il n'a même plus le goût du jeu et s'est enfermé sur lui même, depuis que Lowyn a failli le tuer en faisant un de ses sales tours.
-Lowyn... Le rejeton des Hotts?
-Oui.
-Tss. Je me demande encore pourquoi on tolère des individus comme lui sous ces toits.
Taenry soupira, comme s'il partageait la même idée.
-Il est protégé par une Lettre de Cachet du roi. Nous sommes impuissants. Il n'y a guère plus que Darius qui a encore un semblant d'autorité sur lui.
-Quint…, grinça Sorël. J'ai cru comprendre que Lowyn avait eu des démêlés avec Samyël? (Son ton devint soudainement grave et sa figure sérieuse.)
Blanc'Barbe fixa un moment les profondeurs de sa choppe d'un air absent, comme s'il ressassait de vieux souvenirs. Il finit par acquiescer lentement.
-Il a failli le tuer, lors de son arrivée.
Les lèvres de Sorël se tordirent dans un rictus de colère, mais même ainsi sa beauté n'était pas altérée.
-Samyël a juré de le tuer, compléta Taenry, et de la manière dont il le dit, on aurait pensé qu'il espérait que cela se produirait.
Sorël posa le menton sur ses poings liés avec un sourire carnassier.
-A condition que je ne le fasse pas moi même. Rien que l'idée que ce sodomite blafard ait touché mon petit Samyël me dégoûte. Darius est un faible pour avoir laissé son élève libre de faire tous ses petits caprices.
Taenry nota mentalement l'expression "mon petit Samyël". Il se demanda quelle relation le maître et l'élève entretenaient, mais connaissant bien Sorël, il savait que le Maître attendrait quelques temps avant d'entreprendre quoi que ce soit. Il constata avec étonnement qu'il ressentait un soupçon de jalousie envers l'Altérant. Il se moqua de lui même intérieurement.  
-J'avoue que je ne le pleurerais pas. Mais tu connais les sanctions qu'encoure un Maître pour un tel acte.
-Oui, oui, éluda Sorël d'un geste de la main. J'y pense, quelles nouvelles de l'extérieur, depuis la dernière fois?
-Arabéus a la main mise sur toute l'Arch'Land. Ce n'est plus qu'une question de temps avant que Kalenz tombe.
-Le sang des Dix va bientôt disparaître, constata Sorël sans émotion particulière.
-Oui. J'ai pensé, la première fois que je l'ai vu, que Samyël pouvait être un fils perdu ou illégitime de la famille Hyälenz, tu vois, avec la couleur de ses cheveux. Mais mes recherches n'ont rien donné.
-Non, réfuta Sorël, de toute façon il n'a pas la noblesse et la pureté d'âme inhérentes au sang des Dix. C'est un être humain normal, ironisa-t-il, avec ses qualités et ses défauts.
-J'espère qu'au final, ses qualités se montreront plus nombreuses que ses défauts, intervint Nemerle en franchissant péniblement la petite porte de la pièce. Il avait les traits tirés, les yeux creusés et cernés. Il semblait exténué.
Sorël fit jaillir du sol une chaise de pierre, tandis que Blanc'Barbe se levait pour prendre une troisième choppe. Nemerle se laissa choir sur le siège avec un soupir d'aise.
-Tu as l'air bien mal en point, commenta l'Altérant.
-La vie à la cour m'épuise. Je ne sais pas comment font les nobles pour s'y plaire. Et puis, le jeune Arthurus commence à s'exaspérer de la passivité de son père - ce dont je ne peux le blâmer, hélas - et les deux n'arrêtent pas d'avoir des mots. Avoir à les séparer à chaque fois, c'est du sport!, conclut-il sur un petit rire.
-N'en faites pas trop, fit Taenry.
-Ne t'en fais pas. Quelques heures de repos, et je serai comme neuf.
-Qui est Arthurus, demanda Sorël qui vivait reclus depuis trop longtemps pour se souvenir de tous les mondains.
-C'est le jeune prince. Il a l'âge de Samyël, mais possède déjà un esprit acéré et un goût prononcé pour l'action. Il fera certainement un grand roi. Si tant est qu'il survive jusque là, ajouta sombrement Nemerle. Mais n'en parlons plus! Il est curieux de te revoir sitôt, Sorël.
-Je te rappelle que c'est toi qui m'a demandé de venir une fois par mois, vieil homme, répliqua l'intéressé avec agacement.
-Hein? Ha oui, exact. Je m'en souviens à présent. Un Château Karadhan?, demanda-t-il à Taenry après avoir goûté au contenu de son verre.
Le petit homme acquiesça.
-Excellent. Bien mieux que les meilleurs vins des caves royales. Entre nous, je trouve que les vins Candeciens perdent de leur lustre, au fil des ans. Ha, une des retombées de la guerre je suppose. J'espère qu'ils remonteront la pente.
-Si ça te fait rien, nous reparlerons viticulture la prochaine fois, siffla Sorël qui commençait à perdre patience.
-Oui pardon. Je t'écoute.
-Le garçon montre des aptitudes certaines pour l'Altération. Il assimile sans aucun problème les leçons.
Nemerle attendit un instant que Sorël continuât, mais comme le Maître n'avait pas l'air de vouloir ajouter quoi que ce fût, il s'étonna :
-C'est tout?
-Et bien quoi?, répliqua sèchement Sorël, visiblement agacé. A quoi t'attendais-tu après seulement un mois?
-Ha, oui, excuse moi. Bien. Je me réjouis. Ce garçon nous sera utile après tout.
A ces mots, Sorël plissa les yeux et demanda un peu trop rapidement pour que ce ne soit que de l'innocente curiosité :
-Utile à quoi?
L'archimage poussa un soupir mais fixa Sorël droit dans les yeux.
-A la guerre, voyons.
Sorël se leva si précipitamment que sa chaise tomba dans un claquement sonore. Il fixa le vieil archimage avec des yeux brûlants de colère. Taenry craignit même qu'il ne le frappât.
-Jamais, gronda l'Altérant avec une voix dure. Jamais je ne vous laisserai l'utiliser pour vos machinations.
-Tu ne peux rien y changer, Sorël, répondit Nemerle sur un ton tellement froid qu'une tension palpable envahit la pièce.
Les deux hommes se toisèrent en silence, l'un brûlant de rage, l'autre serein comme la glace.
-Et pourquoi cela, vieil homme?
-Parce qu'il a juré. Il a fait le serment au général Kalenz qu'il investirait ses pouvoirs dans la guerre, en échange d'une échéance de cinq ans.
Taenry soupira en affaissant ses épaules. Sorël claqua la porte si violement derrière lui que la hache de guerre tomba au sol.

***

-Qu'est-ce que tu fabriques, cloporte?, grinça Furoncle avec sa voix de crécelle en passant sa sale bobine par dessus son épaule.
-Ca te ne regarde pas, vermine, répliqua Samyël en l'envoyant valdinguer d'une claque.
Le petit démon familier glapit de peur et s'écrasa durement au sol. Sans perdre de temps, il se remit debout sur ses petites pattes grêles pour agonir le jeune homme d'injures qui auraient fait saigner les oreilles d'une statue. Agacé, Samyël souda les lèvres de la créature avec le sort que Sorël lui avait appris. Au moins, avec ça il avait la paix. Lorsque le Maître était là, le diablotin était déjà à peine supportable, mais depuis qu'il avait quitté les lieux, ce n'était plus vivable. Il se demanda comment Sorël pouvait supporter la présence de Furoncle.
Ce dernier, indigné et outragé voleta jusqu'au rebord de la fenêtre et bouda en remuant de sombres pensées. Avec un sourire, Samyël se replongea dans sa lecture. Un volume intéressant sur les secrets de la manipulation de l'air. Il s'étonnait de tout ce que l'on pouvait faire avec l'élément aérien. Il avait déjà hâte de pratiquer. Sa soif de connaissance et son impatience à progresser relevait presque du caractère obsessionnel. Il ne s'expliquait pas cela, mais depuis qu'il avait réellement commencé à étudier, il ne pouvait plus s'arrêter. Il s'endormait le soir en récitant des listes de sorts, rêvait d'expérimentations...
Sorël se révélait un excellent professeur. D'une infinie patience, il corrigeait son jeune élève avec gentillesse, lui enjoignant la persévérance. Il avait d'ailleurs hâte que son Maître revienne. Il se surprenait à souffrir de son absence. Lorsqu'il était à ses côtés, Samyël ne pouvait s'empêcher de ressentir de façon aiguë la proximité de l'Altérant : son odeur de fleur, la douceur de son souffle, la chaleur de son corps...
Samyël secoua la tête en rougissant légèrement de honte pour de telles pensées. Que lui arrivait-il? Il ne se souvenait pas avoir déjà ressenti cela pour quelqu'un...
Relevant les yeux de son ouvrage, il se demanda ce que faisait Sorël à cet instant...
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: silver le dimanche 07 février 2010, 17:54:26
Magnifique chapitre... Je suis en complète adoration devant ce récit au combien grandiose. Pour ce qui est de l'autre récit, je l'adore et je le lirais. J'adorerais voir une fin mais si tu n'en as pas le temps, je comprendrais.

Edit : J'ai regardé aussi les chapitres au dessus de celui de Samyël. C'est vraiment excitant, j'attends la suite avec beaucoup d'impatience.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: raphael14 le dimanche 07 février 2010, 18:59:54
Ah, enfin, enfin la suite du Cycle du Rouge.
À vrai dire ça faisait si longtemps que j'avais oublié la saveur de ton style qui je dois bien le dire savoureux. Aussi est-ce avec joie que je retrouve Samyël qui est, tout compte fait, pas si mauvais en magie.
Par contre je me pose de plus en plus de question sur la relation entre notre ami Samyël et Sorël : la façon dont il l'appelle "mon petit Samyël et la façon dont il s'emporte lorsqu'il apprend que son élève va combattre. Furiouze sort de ce corps !

En tout cas vivement la suite.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: astrid le dimanche 07 février 2010, 19:07:55
Je ne peux qu'approuver silver et Raph' : Délicieux ! Ce chapitre est super, et j'aime beaucoup tes dialogues au langage soutenu et surtout la discussion entre Sorël et Taenry au début du chapitre. Tout du moins, je trouve ton style superbe, et on en veut encore.
Bonne continuation et je me réjouis de lire la suite !
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Prince du Crépuscule le dimanche 14 février 2010, 14:35:48
A mon tour de commenter! (aujourd'hui, sauce allégée au menu <3)

Déjà, pour répondre au commentaire de mon commentaire (je sais ça commence à dater, la GMSoïde a déjà dû faire des ravages :3), la relation ambiguë maître/élève inspirée de Sorël/Samyël que j'évoquais n'est autre que celle qui unit Sildinn et Aylinn, si tu te souviens encore d'eux. Et toi? Tu pensais à qui? :p

Pour ce qui est maintenant du commentaire en lui-même, je vais commencer par reprendre ce qu'ont dit ceux qui m'ont devancé: il s'agit d'un chapitre tout à fait savoureux après tout ce temps passé sans nouvelles, en plus de constituer une ouverture tout à fait adéquate à ce quatrième livre. Quand on y regarde de près, il ne se passe presque rien dans cette introduction, qui se contente de nous rafraîchir la mémoire en ajoutant quelques faits inédits. Mais on bavait tellement d'impatience, on avait tellement soif de nouveauté, que tout passe finalement. *crève*
Blague à part, même s'il est vrai que de nombreux événements dont tu avais fait état dans le précédent livre nous sont confirmés, tu le fais avec doigté, si bien qu'on prend tout de même plaisir à lire ce premier chapitre.

J'ai pas mal apprécié la discussion entre Sorël et Taenry en particulier, elle est sympathique, tout à fait dans le ton et donne envie d'en savoir en plus. Je sais que je me répète, mais pour un énergumène comme toi ça ne fait jamais de mal: j'aime beaucoup ce Blanc'Barbe et j'attends d'en apprendre davantage sur lui.
La grâce et l'excentricité de Sorël sont également mises en avant, et cela n'est pas pour me déplaire. Le maître Altérant est toujours aussi intrigant à mes yeux, il m'a l'air de développer de drôles de relations surtout. Dans tout ce qu'il fait, j'ai la franche impression qu'il a toujours un avis ou un sentiment bien tranché, que ce soit dirigé vers la haine (Darius Quint), un respect et une amitié marquées (Taenry), ou encore un respect amoindri (Nemerle). La différence de traitement est nettement perceptible dans le dialogue entre les trois hommes, ce qui te fait un bon point. La colère excessive dont fait preuve Sorël est assez représentative du personnage d'ailleurs je pense. En tout cas elle m'a surpris et m'a plu tout à la fois, car la raison en est touchante. La confrontation entre la caractère sulfureux du maître Altérant et la placidité éreintée de l'Archimage est assez saisissante je dois dire.

Il n'empêche que, tel que tu me connais, je ne me lasse pas d'apprécier les contrastes. Sorël en est un à lui tout seul, conformément à ce que j'avais déjà souligné dans mon précédent pavé; et j'adore! Quand on compare son vain emportement et la gentillesse attentive qui lui prête Samyël, on ne peut passer à côté. Mwahahaha, ça augure de bonnes scènes bien saignantes en perspective. °w*

Bon, voilà voilà, ce sera tout pour cette fois. Je finirai par effectuer une légère piqûre de rappel au niveau des défauts récurrents qui t'encombrent, en te félicitant toutefois du nombre de fautes décroissant. Je suis impatient de pouvoir goûter à la suite, et surtout d'avoir la chance d'assister à une leçon donnée par l'élégant Sorël à Samyël. Une scène prometteuse s'il en est une! (dis-moi qu'il y en a une ou je t'étripe è_é)
A bientôt pour de nouvelles aventures! ;)

PS: Je lirai tes scènes coupées une autre fois. Quand? Je ne sais pas, mais quand ce sera fait, je ne manquerai pas de te faire part de mon avis. Sur ce, vivement la suite!
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le dimanche 14 février 2010, 15:51:32
Kikoo c'est moi.

Et en plus je ne viens pas les mains vides, vu que je vous ramène la suite du Cycle! Hohoho!

Silver ==> Merci pour le commentaire! :) A ta demande, je posterai bientôt la fin de Monarque.


Raphael ==> Non non, aucune marmotte maléfique n'a pris le contrôle de mon esprit :niak: J'espère que la suite continuera à te plaire, et merci pour le commentaire ^^


Astrid ==> Merci pour le commentaire ^^ En espérant que la suite te plaise tout autant :)


PdD ==> Le problème des sauces allégée, c'est qu'on reste sur notre faim et qu'on en reprendrait bien un peu :)
Ne t'en fais pas pour Taenry, on en apprendra plus sur lui au fil des chapitres. Encore une fois, je suis content que tu apprécies Sorël. :) C'est vraiment un personnage qui m'est important.
Quant aux scènes de leçon, bien sûr qu'il y en aura, ce serait comique sinon pour un livre qui y est dédié :p
Bref, encore merci pour ton commentaire, et moi j'attends avec impatience le prochain :p  :<3:


En attendant, voici la suite et fin du chapitre 22. A la prochaine et bonne lecture!



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Chapitre 22 : Tempête (Deuxième partie.)


Sorël s'inclina encore une fois pour remercier, puis referma la porte de l'atelier de forge doucement. Sa rage ne l'avait pas quitté, mais à présent elle battait à froid. L'Altérant était très vite redevenu maître de lui même, canalisant sa colère en énergie créative. S'il ne pouvait pas rompre le serment de son jeune élève, alors il ferait tout son possible pour en faire le meilleur, afin qu'il survécusse le plus longtemps possible. Il était frustré d'en être réduit à cela.
Il avait filé droit vers Bronze, dans le dessein de lui commander deux épées d'entraînement. L'Altérant et la statue vivante n'étaient pas spécialement proches, mais Bronze avait été heureux de transformer la demande en exercice pratique pour ses trois élèves.
C'est donc avec ses deux épées emballées sous le bras que Sorël faillit se cogner à Lowyn de la maison d'Hott. Le jeune homme se tenait bien droit, les bras croisés sur sa poitrine dans un halo d'arrogance presque palpable, sa robe noire flottant fièrement et légèrement dans la petite brise qui balayait le terrain d'entraînement. Ses lèvres étaient tordues en un rictus de mépris, qui s'accentua d'autant plus qu'il parcourait des yeux le pourpre du vêtement de Sorël. Ses yeux bruns brillaient d'un éclat de cruauté et de malveillance, doublés d'une redoutable intelligence perverse.
-Alors, commença-t-il d'une voix lente, s'exprimant comme s'il s'adressait à une personne sénile, comme ça c'est vous qui enseignez la prestidigitation à ce rat de Samyël?
-Hôte toi de mon chemin, vermine, répondit Sorël d'une voix aussi froide et doucereuse qu'une dague bien effilée.
Cela n'impressionna nullement le Rhéteur. Ils s'affrontèrent du regard pendant quelques instants ; la tension était si forte qu'on aurait pu la trancher au couteau.
-Ce ne doit pas être facile, reprit Lowyn, provocateur, d'enseigner à un idiot sans pouvoir. Au moins, il pourra toujours nous distraire un peu, au dîner.
-J'espère que tu n'as pas trop souffert, répliqua Sorël en tapotant sa lèvre inférieure, lorsque "l'idiot" t'as décimé d'un seul coup de poing.
Le jeune Hott eut un rictus de haine pure à l'évocation de cet épisode.
-Retirez ce que vous avez dit, tout de suite.
-Sinon quoi, cloporte? Tu attaquerais un Maître?
-Vous, un Maître?, railla Lowyn. Laissez moi rire. Vous n'êtes qu'un magicien de pacotille qui s'enorgueillie de faire un peu de fumée. Vous ne connaissez même pas la véritable définition du mot magie.
L'insulte arracha un sourire malsain à l'Altérant. Sa rage brûlait de nouveau pleinement en lui, exacerbée par la discussion. Il posa la main sur le mur de pierre noir, à sa gauche et susurra quelques mots de pouvoir. Une main de roc jaillit du sol, juste devant le Rhéteur, et s'enfonça rudement dans son abdomen. Surpris, Lowyn se courba en deux sous l'impact, et cracha un peu de sang. Il était si peu habitué à la douleur qu'il crut mourir. Il resta un moment à genoux, les bras croisés sur son ventre en gémissant.
-Le grand Lowyn Hott serait-il déjà face contre sol, gémissant pitoyablement, terrassé par "un magicien de pacotille"? Voilà qui est curieux.
Blessé dans sa fierté, le jeune Hott leva des yeux pleins de haine vers la figure de Sorël qui le toisait d'un regard empli de mépris et de dégoût. Sa beauté surnaturelle éclaboussait l'orgueil de Lowyn. Il serra le poing de rage. Sorël passa à côté de lui, s'éloignant vers les dépendances.
-Comment osez vous?, cracha-t-il.
Il se releva péniblement, son corps parcouru de spasmes de haine. Cependant, il mordit à nouveau et durement la poussière lorsque Sorël le frappa violement au visage avec sa botte. Lowyn poussa des gémissement aigus, son beau visage blafard baigné dans le sang qui jaillissait de son arcade sourcilière ouverte. Sa haine fondit comme neige au soleil sous l’effet conjugué de la peur et de la souffrance, souffrance d’autant plus grande que personne n’avait jamais levé la main sur lui. Il eut des haut-le-cœur en goûtant son propre sang dans sa bouche et faillit vomir. Cependant sa fierté l’en empêcha.
A travers ses larmes, il vit la silhouette sombre et brouillée du maître Altérant juste à côté de lui. Terrible, il se tenait droit dans toute son arrogante beauté, ses longs cheveux soyeux voletant dans la brise légère. Il ne disait rien, se contentant de le toiser, mais ses yeux parlaient pour lui. Le jeune Hott y lut de la haine, de la fureur, du mépris et de la folie.
Alors il comprit qu’il allait mourir ce jour là.

***

Kalenz s’affaissa dans son siège, broyant du noir en observant la dizaine de jeunes gens qui se tenait devant lui, dans leurs cottes de mailles trop grandes, avec leurs casques trop grands, leurs bottes trop grandes et leurs armes qui paraissaient dans leurs mains démesurées. Des volontaires, probablement des fermiers des environs qui avaient pris les armes familiales pour s’engager. Le général songea avec ironie qu’une dizaine d’années plus tôt, il les aurait renvoyés chez eux avec des tapes dans le dos et un verre de chocolat. A présent, ils étaient ses soldats, parce qu’il en avait terriblement besoin.
-C’est un honneur pour nous de servir l’Arch’Land, seigneur-général, dirent-ils à l’unisson en posant un genou par terre.
Kalenz faillit éclater en sanglot, mais il parvint à se reprendre.
-Je comprends, s’entendit-il répondre, et je suis honoré que vous vous joignez à moi. Je sais que vous servirez avec bravoure et hardiesse. A présent, voyez avec le capitaine Dribeck, il va vous expliquer…
Lorsqu’il fut à nouveau seul dans la Grande Salle, Kalenz, dernier descendant des Dix Chevaliers Servants du Roi Aegir, posa la tête dans le creux de sa paume et passa de nombreuses heures à maudire tout ce qu’il connaissait au monde, jusqu’à sa propre mère et son propre père.
« Cinq ans. »

***

S’il y avait bien une chose que Murad Murazim avait appris en trente années de piraterie, c’est qu’il fallait éviter comme la peste tout ce qui arborait sur ses voiles immaculées une croix rouge et sur sa proue un gus en train de lire un livre.
-La Sainte Expédition!,  glapit la vigie du haut du mât, avec une voix déformée par la peur.
Murad eut envie de lui planter son sabre en travers de la gorge. Il détestait qu’on énonce des évidences. Le terrible trois mâts Justice n’était pour le moment qu’une sombre et massive silhouette à l’horizon mais propulsé par ses centaines de rameurs, il se déplaçait à une vitesse inimaginable pour un navire de cette taille. De mémoire de pirate, personne n’avait survécu à une rencontre avec le Justice. Après tout, c’était le vaisseau personnel du Commandeur. Non seulement il était lourdement armé, mais en plus de cela il pouvait accueillir un nombre impressionnant d’hommes d’armes et d’équipage. Une confrontation directe ou un abordage revenait à peu près au même : l’annihilation pure et simple.
Murad frappa le bastingage avec rage. Le capitaine Murazim ne s’avouait jamais vaincu. Il se retourna vivement vers son équipage médusé.
-Monsieur Gallow, tribord toute. Où est passé ce bon à rien de faiseur de vents?, hurla-t-il pour réveiller ses hommes.
Tout à coup, le pont du Rouge de Salibli  fut le théâtre d’une agitation frénétique. Les deux grandes voiles carrées du galion furent levées, arborant fièrement le crâne vermeil de Murad, tandis qu’une vingtaine d’hommes s’affairèrent à charger les imposantes balistes placées le long du bastingage. Des hommes remontèrent des calles avec des réserves de projectiles, ainsi que les armes légères d’abordages, sabres, dagues, de même que de longs pieux en bois pour repousser les attaquants.
-Capitaine, fit une voix hautaine derrière Murad.
Celui-ci se retourna et toisa l’homme d’âge mûr, aux traits aristocratiques vêtu plutôt richement pour un pirate. Icabod était un magicien de province, habile dans la manipulation des vents, qui avait préféré embrasser une carrière de forban plutôt que de finir sur un bûcher. Les deux hommes se détestaient, mais ils avaient trop besoin l’un de l’autre.
-Je veux un vent d’est, le plus fort possible.
-D’est?, s’étonna Icabod. Mais cela nous entraînera vers la grande mer.
-Tout à fait. Avec un vent arrière nous irons plus vite qu’eux, car leur navire est trop lourd. Et avec tous les hommes qu’ils trimballent, ils seront à cours de vivres avant nous. Ils ne pourront pas nous talonner bien longtemps. Ce genre de vaisseau n’est pas fait pour de longues expéditions sans  ravitaillement régulier.
-Cela me semble une stratégie bien périlleuse, capitaine.
-Ouais, et ben écoute moi bien, c’est ça ou se retrouver tous par le fond. C’est toi qui choisis.
Icabod pinça les lèvres mais ravala sa réplique.
-J’espère que vous savez ce que vous faites. Vous allez nous entraîner dans des mers sur lesquelles personne n’a jamais voguées.
-Et alors? Qu’est-ce que ça peut faire? La mer c’est la mer. Qu’est-ce que tu crains? Les monstres marins? Le vieux Barbu?
Murad ricana.
-A votre guise, siffla Icabod.
Vert de rage, ce dernier se dirigea d’un pas énergique vers sa cabine où il s’enferma. Quelques minutes plus tard, alors que le Justice se rapprochait inexorablement, à tel point qu’on pouvait à présent voir des silhouettes s’affairer sur le pont, un vent digne d’une tempête balaya le Rouge depuis la poupe, gonflant ses voiles à les faire presque craquer. Le galion fit un bond en avant, projetant une grande partie de l’équipage à la renverse. Murad observa avec satisfaction les grandes gerbes d’écume que son navire laissait derrière lui, attestant de la vitesse à laquelle ils évoluaient à présent.
Cependant, il fut pris d’un étrange pressentiment lorsqu’il regarda les côtes diminuer puis disparaître à l’horizon.

***

Dhaltarion III, roi de l’agonisante Arch’Land, écoutait avec attention le rapport de son fidèle archimage à propos des progrès du garçon, le fameux Samyël. Il hochait de temps à autres la tête, sa main droite fourrageant lascivement dans sa barbe. Markus d’Esboni, le grand intendant de la famille royale, et Filibert d’Aranis, général en Chef des fantomatiques armées Arckendéennes, étaient présents eux aussi, mais ni l’un ni l’autre ne fit un commentaire.
Lorsque Nemerle eut fini, le roi se leva de son siège et alla à la fenêtre.
-Je vois, je vois…, fit-il sans cesser de tripoter sa barbe.
Il observa un moment son fils, le prince Arthurus, qui s’entraînait à l’épée avec les gardes, dans la cour. Il n’avait que quatorze ans, mais c’était déjà un homme. Grand, il avait des muscles fins, nerveux et puissants, qu’il accompagnait d’une sveltesse de coureur, faisant de lui l’un des meilleurs épéiste de la ville. Ses traits qui avaient jadis été naïfs et délicats étaient dorénavant durs, virils et marqués, quoique non dénués d’une certaine beauté fruste. Une moue colérique ne quittait jamais son visage, et lorsqu’on pouvait apercevoir ses yeux bleus sous sa tignasse de cheveux blonds, on y voyait un orage perpétuel, prêt à totalement éclater. Malgré son aspect de brute, c’était quelqu’un de bon et loyal, et en dépit du fait qu’il haïssait son père, celui-ci en était fier. Dhaltation était heureux que son fils ait hérité du caractère de sa mère plutôt que du sien. Chaque fois qu’il croisait son enfant et que leurs regards se croisaient, il avait l’impression d’être devant un miroir lui renvoyant à la figure sa propre lâcheté. Le roi savait que le prince l’accusait silencieusement de l’état actuel des choses.
Les épaules du monarque commencèrent à frémir, indiquant qu’il allait pleurer.
Les trois autres hommes se détournèrent respectueusement. Ils savaient que leur roi était un homme faible et fragile, mais à la différence d’Arthurus, ils ne le détestaient pas pour autant. C’était leur roi, leur ami et ils l’aimaient comme il était. Tous, de toute manière, se sentaient coupables de la condition du roi. C’est eux qui l’avaient élevé. C’est eux qui l’avaient trop protégé, durant une époque de paix. Nemerle avait été un professeur trop laxiste. Markus un tuteur trop gentil. Filibert un ami trop prévenant. Ils avaient vu grandir un enfant trop frêle pour porter le poids d’une couronne, trop naïf et gentil pour faire un bon politicien, et surtout trop peureux pour faire un grand roi. C’était donc leur faute. Ils avaient façonnés un monarque inapte à affronter une crise de cette ampleur. Ils n’avaient pu que contempler, impuissants, l’accumulation des erreurs,  dictées par la peur et les maladresses. Ils avaient été les artisans de leur propre défaite.
Et surtout, ils n’avaient pas eu le cran de faire la seule chose qui les aurait sauvé. Ils n’avaient pas eu le courage d’assassiner Dhaltarion pour mettre à sa place, non pas son fils, trop jeune, mais son demi-frère, Carolis. Un homme mauvais, cruel, traître et perfide, mais capable d’affronter les responsabilités de la fonction royale.
Mais il était trop tard maintenant, et le triumvirat officieux d’Arendia avait honte d’avoir ne serait-ce qu’évoqué cette possibilité.  

***

Lowyn de la maison d’Hott essaya de se relever, pleurant et gémissant sous la douleur. Mais le pied  de Sorël se posa avec violence sur son torse frêle, le clouant au sol. Il poussa un couinement suraigu.
-Tu me fais pitié. Tu n’as aucune élégance. Tu es laid. Tu n’es qu’un sodomite.
Le Maître lui cracha au visage en y mettant tout son cœur.
-Ne t’en fais pas, mon petit, continua-t-il sur le même ton froid et doucereux. Je ne vais pas te tuer…
Un sourire mauvais mais gracieux étira les lèvres carmins de l’altérant.
-… Samyël le fera.
C’en fut trop pour Lowyn. Il poussa un long et pathétique hurlement haut perché, abandonnant toute dignité. Il ne songea pas même un instant à se servir de sa magie.
-Sorël. Ecarte toi de mon élève.
L’ordre sec claqua comme un coup de tonnerre sur le champ d’entrainement. Alors même que le maître Bronze et ses élèves sortaient de la forge pour voir de quoi il retournait, Darius Quint, le petit rhéteur, se matérialisa littéralement à quelques mètres de Sorël. Comme de coutume, il paraissait serein, cachant ses mains dans les grandes manches de sa robe, mais derrière ses lunettes bleues, ses yeux se paraient d’une froide colère. C’était lui qui avait parlé.
-Darius, darius, darius…, fit Sorël sans même le regarder, ses yeux toujours rivés sur sa proie. Toujours à gâcher le plaisir des autres, à ce que je vois.
-Je n’ai que faire des plaisirs d’un fou pervers tel que toi, Lyzandre.
A l’évocation de son prénom, l’altérant tourna la tête vers son rival. Ils s’affrontèrent du regard une longue minute ; la tension était tellement palpable, la tempête tellement proche d’exploser, que Bronze intima à ses élèves de rentrer dans la forge. Il en fit de même. Il ne souhaitait pas être mêlé à ce qui allait arriver.
-Tu devrais mieux les dresser, tes chiens, déclara Sorël avec morgue. Ils aboient un peu trop fort.
-Cela me regarde. En attendant, écarte toi.
-Sinon quoi, Darius?
Il y eut un silence, qu’un vent un peu plus fort s’empressa de briser, déplaçant de petites masses de poussière sur la scène. Lowyn n’en menait pas large. Il était au bord de l’évanouissement, des suites de la perte de sang.
-Sinon je vais devoir t’écarter moi-même.
Les deux maîtres se toisèrent, et la haine qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre exsudait par tous les pores de leur peau.
-Tu veux régler ça tout de suite et maintenant, asticot?, ricana Sorël. Allons, ne me fait pas rire. Nous savons très bien qui de nous deux détruirait l’autre. Vous me lassez, tous les deux. J’allais partir, de toute façon.
Il fit mine de se retourner, mais il se ravisa, mimant quelqu’un qui se rappelle soudain de quelque chose. Tout en regardant Darius dans les yeux, il leva la jambe et abattit son pied avec force sur le torse de Lowyn. L’impact brisa quatre côtes.
Tandis que le jeune homme hurlait de douleur en crachant du sang, le maître Altérant s’en retourna chez lui, sifflotant un petit air gai. Darius Quint, lui, ne parvint pas à contrôler les tremblements de terreur de son corps.

***

Le vent avait échappé au contrôle d’Icabod, se transformant en une véritable tempête, déchaînant la mer alentour dont les vagues immenses et hurlantes s’abattait avec frénésie sur les ponts des deux navires pris dans la tourmente. Des traits de balistes franchissaient les airs déchaînés, tentant tant bien que mal de toucher leur cible.
Contrairement à ses estimations, le Justice n’avait à aucun moment perdu sa prodigieuse vitesse. Il avait pourchassé impitoyablement le Rouge de salibli par delà les mers connues et ouvert le feu malgré la tempête. Fou de rage, Murad Murazim avait ordonné de couler par le fond le navire de ces fous fanatisés. Les voiles étaient affaissées, tristement lacérées par les vents violents. Les gouvernails ne répondaient plus aux ordres désespérés des navigateurs et les lames de fond menaçaient de les faire chavirer à tout moment. Plusieurs hommes étaient déjà tombés par-dessus bord. Mais les deux capitaines n’en avaient cure. Ils voulaient du sang.
Une secousse effroyable ébranla le Rouge lorsque l’épieu de bronze fixé à la proue du Justice le perfora avec violence. Les pirates dégainèrent leurs armes, sans grande conviction toutefois. Des dizaines d’hommes en armes et armures sautèrent sur le pont arrière, et les combats éclatèrent un peu partout. Mis à part Icabod, terré dans sa cabine, personne ne se souciait du fait qu’ils se trouvaient au milieu d’une mer inconnue, à des miles et des miles de la côte.
Les soldats restés sur le Justice se mirent à tirer des flèches depuis le bastingage, sans grand résultat car les vents trop violents déviaient les traits.
Murad tira au clair le cimeterre qui avait fait sa renommée. Réunissant quelques hommes autour de lui, il mit ses fabuleux talents d’escrimeurs à l’épreuve pour tenter de repousser l’envahisseur. Le pont mouillé était glissant, les cordages renversés s’emmêlaient autour des chevilles et des paquets d’eau frappaient les hommes à intervalles réguliers, rendant difficile toute manœuvre. Murad voyait des hommes fauchés par les vagues, emportés par les eaux hurlantes vers une mort douloureuse. Le pirate jura tout en se battant. Il ne voulait pas mourir ici, pas comme ça. Loin de tout. Ces pensées lui donnèrent une force nouvelle, attisant sa rage, et il redoubla d’efforts. Ses poumons le brûlaient, il avait la gorge desséchée à cause du sel et ses yeux le piquaient, mais il progressa, péniblement, mètre par mètre.
Soudain, il fut sur le pont du Justice, une dizaine d’hommes à ses côtés. Il cligna des yeux, et un éclair illumina la scène. La suite ne fut qu’un corps à corps furieux, et Murad n’était pas certain de ne pas avoir tué un de ses hommes dans la tourmente. Il se retrouva au bout d’un moment à croiser le fer avec un homme couvert d’un casque orné d’ailles d’aigle. Ce n’était pas le Commandeur, juste un Légat. De rage et de dépit, il le décapita d’une botte audacieuse.
C’est à ce moment là que le Rouge de Salibli s’écrasa sur le pont du Justice.    

***

Le silence se fit lorsque l’étranger poussa la porte de l’auberge du Relais. Ce n’était pas que les étrangers étaient rares , puisque c’était précisément une auberge de voyageurs, mais c’était plutôt son aspect qui donnait matière à suspicion. L’homme n’était pas bien grand, à vrai dire il avait la taille d’un adolescent, mais l’armure noire polie qu’il portait lui donnait une carrure de bœuf. On ne voyait pas son visage, caché par un rideau de cheveux d’un blanc sale et il transportait une drôle d’épée à la ceinture, dont la lame était couverte d’inscriptions dansantes.
Il resta un moment sur le seuil. L’aubergiste hésita à lui dire d’entrer. Il pressentait des ennuis. Les soldats n’étaient pas rares, si près de l’Arch’Mark, mais l’étranger avait plus l’air d’un de ces mercenaires du nord, des soudards ivrognes. L’homme finit pas traverser la salle, et s’installa à une des tables du fond, le dos au mur. Les poils des clients se hérissaient à son passage, mais personne ne pipa mot. L’aubergiste remarqua qu’il semblait fixer l’autre étranger arrivé un peu plus tôt, un type d’âge mûr à la mine jovial, victime d’un peu d’embonpoint. L’homme en question dégustait son repas sans faire attention au reste de la salle.
Cependant, lorsque l’aubergiste lui apporta une nouvelle pinte de bière, il constata que l’épais voyageur suait à grosses gouttes. Pourtant la soirée était fraîche.

***

La scène avait quelque chose d’irréel. Murad Murazim, capitaine corsaire du Rouge de Salibli, regardait avec un détachement né de la fatigue son propre galion exploser sous le choc de l’impact avec le pont du Justice. Des planches de bois volèrent à côté du pirate, des échardes mouillées plurent sur lui, un cordage projeté avec force le frappa de plein fouet. Des hommes et des morceaux d’hommes chutaient autours de lui, comme dans une mauvaise histoire de monstre.
De monstre…
La réalité frappa Murad. Il se rendit compte que son bateau, son galion, était tombé du ciel. Lentement, comme dans un rêve, il tourna la tête, juste à temps pour voir une masse titanesque, plus noire que le noir, s’enfoncer à nouveau dans les flots déchaînés, là où s’était trouvé son navire. Une salve d’éclairs illumina brièvement la chose, révélant une texture écailleuse. Murazim vomit.
En chancelant, il se traîna jusqu’au bastingage, choqué par ce qui se passait. Les hommes, qu’ils furent pirates ou Arch’Markiens, couraient dans tous les sens, ou bien restaient prostrés par terre, les mains sur leurs blessures, ou au chevet d’un camarade. Le pont du Justice émit un craquement terrible, prêt à se rompre sous le poids du Rouge.
Murad se pencha en avant. Une ombre d’une taille inimaginable rôdait sous le bateau. Le capitaine n’eut même pas le temps d’implorer ses dieux qu’un pieu gigantesque et écailleux perfora le Justice, le propulsant dans les airs avec une force défiant la physique. Tout fut projeté dans un maelström d’hommes, de cris, d’eaux, de bois, d’acier. Une baliste frappa Murad dans le dos, l’envoyant un peu plus loin. D’en haut, le pirate avait une vue d’ensemble. Les vagues déchaînées cachaient dans leurs replis les circonvolutions d’une chose monstrueuse. La terreur s’empara impitoyablement de Murad lorsqu’il amorça sa descente.
Mû par un réflexe élémentaire, il parvint à adopter une position de plongeon, ce qui lui évita de mourir sous l’impact de l’eau. Beaucoup n’eurent pas cette chance. Les eaux noires et glacées happèrent le pirate comme des bras avides. Murazim se mit à ruer, en proie à une panique animale. Il sentait des choses qui crevaient la surface pour s’enfoncer dans l’eau, derniers vestiges de deux des plus beaux navires jamais construits. Le pirate entendit soudain un son horrible, couvrant la tempête et les « plouf » sonores. Il crut tout d’abord à un chant de baleine, mais c’était plus grave, plus sinistre, plus monstrueux.
Soudain, le calme se fit. Murad s’enfonçait toujours plus profond, mais les eaux étaient calmes, et les bruits s’étaient tus. Il se demanda si il était en train de mourir déjà, car ses poumons le brûlaient atrocement. Il ouvrit les yeux. L’eau salée attaqua sa cornée, mais il n’en avait cure. Il ne voyait rien. Il n’y avait que les ténèbres liquides. C’était une vision terrifiante.
Un faisceau de lumière rouge, brûlante, diabolique, creva l’obscurité, dévoilant le macabre spectacle. Des dizaines et des dizaines de corps gonflés aux yeux exorbités dérivaient funestement, plusieurs à quelques centimètres à peine de Murad. Paniqué, ce dernier voulut s’éloigner, mais il n’avait plus de forces. Il vit des silhouettes massives et sombres évoluer à la périphérie de la lumière. Il sut que ce n’était pas des requins.
Tout à coup, le faisceau se braqua sur lui, l’aveuglant. Lorsqu’il put rouvrir les yeux, il vit un œil horrible, malfaisant, démoniaque, immense, titanesque qui le regardait depuis les abysses. Le corps d’Icabod passa devant Murad, un sourire narquois déformant ses traits morts. Il semblait se moquer de Murad qui n’avait pas écouté ses mises en garde.
L’une des silhouettes passa près de lui, lui arrachant le bras gauche. Lorsqu’il hurla de douleur, de terreur et d’épuisement mental, Murad avala une stèle funéraire liquide.
Et tandis que Levyathan refermait les yeux, le chant de ses fils emplit de nouveau les profondeurs ténébreuses de l’océan.  

***

Finalement, tout se passait bien. L’étranger en armure se contentait de rester dans son coin. Il ne buvait même pas. Cependant, ce n’était pas le cas du gros homme. Il ne s’arrêtait plus, et suait de plus en plus. L’aubergiste se demanda ce qu’il devait faire. Au bout de la quatrième pinte, il avait demandé d’être réglé d’avance, et jusque là l’homme payait. C’était bon pour les affaires mais devait-il l’envoyer dans sa chambre?
Son dilemme prit fin lorsque, passablement ébréché, le gros homme se leva en titubant, le visage rougeaud et en colère. Il braqua un doigt sur l’étranger en armure et hurla d’une voix aiguë.  
-Tu ne me tueras pas, monstre!
Il joignit les mains et commença à hurler des paroles mystiques, les yeux fermés. Son visage ruisselait littéralement. Cependant, l’homme en armes ne resta pas passif. En un éclair, il se remit debout, et l’instant suivant il plantait sa lame dans le ventre de son adversaire.
Ce dernier glapit de douleur, et un sang clair éclaboussa le sol de l’auberge. Les autres clients et l’aubergiste, médusés, ne purent que regarder ce qui suivit. Saisissant le sorcier à la gorge, le mercenaire le souleva sans effort et le plaqua contre le mur, renversant chaises et tables, et planta frénétiquement son épée dans chaque centimètres carré de chair. Il fut bientôt couvert de sang, et des éclaboussures vermeilles maculaient le bois des murs et du sol, laissant des sillons écarlates qui coulaient lascivement. Le sorcier ne bougeait plus depuis longtemps lorsque le guerrier s’arrêta. Il le laissa cloué par son épée. Il ne fit plus rien, se contentant de rester devant, la tête baissée.
-Par les dieux…, bafouilla l’aubergiste, trop horrifié pour dire autre chose.
Alors l’étranger rejeta la tête en arrière et poussa un terrifiant hurlement de dépit. Puis il saisit l’aubergiste à la gorge, le soulevant, et ce dernier hoqueta de peur lorsqu’il fit face à deux brasiers démoniaques fendus d’une fine pupille rouge.
-Il connaissait le prix!, cria la chose d’une voix déformée, rauque, rappelant le frottement de la pierre contre la pierre.
Des arcs d’énergie violets commencèrent à crépiter sur son corps. L’aubergiste crut sa fin arrivée, lorsque soudain la porte de son établissement s’ouvrit à la volée, et qu’une dizaine de guerriers de la Sainte Expédition entrèrent, avec, à leur tête, le Commandeur en personne. Celui-ci tendit le bras, et un faisceau de lumière blanche et pure jaillit de ses doigts et frappa la créature, l’immobilisant instantanément.
-Par le Seigneur!, dit Eratius d’une voix forte en croisant les doigts comme pour une prière. Nous arrivons à temps. Cela ne fait que trop longtemps que nous traquions cette engeance. Regardez-la! C’est l’enfant d’un mage!
Les clients poussèrent des exclamations de stupeur et de dégoût, pendant qu’un soldat dégageait l’aubergiste de la poigne de la créature. Eratius s’approcha avec une mine de dégoût du sorcier cloué au mur.
-Regardez bien ce visage là. C’est lui qui a invoqué ce démon dans notre monde. Mais la créature s’est retournée contre le créateur.
Il secoua la tête.
-A présent, c’est terminé. Grâce aux pouvoirs que le Seigneur m’a confié, ce monstre ne pourra plus faire de mal. Emmenez cette chose, je vais tenter de la purifier par le feu de la justice. Quand à cet homme… (Il retira d’un geste rapide l’épée plantée.) Brûlez le.
-Je…, intervint l’aubergiste en se massant le cou. Je vous en prie, seigneur Commandeur. Brûlez le devant mon auberge, ainsi le Seigneur m’accordera sa bénédiction.
-Entendu. Le Seigneur récompense toujours ses enfants fidèles et aimants.
Eratius fit mine de sortir, mais il s’arrêta sur le pas de la porte. Il se retourna vers l’assemblée, puis il leva la main.
-Que le Seigneur vous bénisse.
Puis il sortit. Il rejoignit ses hommes dans le bosquet situé non loin de l’auberge du Relais. La créature était toujours paralysée. Un sourire satisfait éclaira le visage du Commandeur.
« Il connaissait le prix! »
La plainte était à peine un murmure dans l’esprit surpuissant d’Eratius, alors que ses hommes serrèrent les dents de douleur.
-Oui, il le connaissait. Tu as raison, justice doit être faite.
Eratius leva l’épée devant son visage. L’œil démoniaque qui ornait sa garde lui rendit son regard. Cinq runes se mirent côte à côte et formèrent un nom : Haz’Rael, l’Honnie.
-Continue à bien me servir, et je te donnerai ce que tu désires tant.
Avec une lueur de folie dans les yeux, le Commandeur glissa l’épée dans la ceinture du démon.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: silver le dimanche 14 février 2010, 17:42:47
Magnifique, le paradis. Je suis au septième ciel tellement c'est merveilleusement bien écrit et conté. J'adore littéralement Sorël, j'encense le passage des pirates face au Justice. Je suis complétement tombé amoureux de la scène de l'auberge. J'espère voir la suite bientôt tout comme le récit de Monarque.

Bonne continuation.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Ganon d'Orphée le lundi 15 février 2010, 15:13:14
En regardant de près l'organisation de ton nouveau post d'ouverture, j'ai constaté avec étonnement que tu avais écris de la Science-Fiction ! Etant à la fois un assez grand fan de Science-Fiction et un fervent admirateur de ton écriture, je n'ai donc pu m'empêcher de lire "Marcherêve", et, par toutes les couronnes impériales du monde passé et à venir, quelle grandeur ! Quel génie !

J'aime, et le mot est faible, cette ambiance, ce monde étrange. Tu es parvenu à nous pondre un monde de Science-Fiction, avatar d'un monde médiéval de Fantasy mais réellement futuriste, d'ailleurs les références au monde réel comme "Jésus-Christ" ou "Montjoie Saint Denis !" sont assez déroutantes, dans la continuité d'une ambiance étonnante. Une auberge dénommée "Le Gai Farfadet" dans un monde de Science-Fiction c'est assez rare, la Science-Fiction se déroulant le plus souvent dans des grandes cités futuristes de tailles planétaires, style Star Wars. Et je ne te parle pas du fait que tu places dans un monde futuriste un Duc de Bourgogne, ou des Wisigoths (avec un W et pas un V) ! Un monde très "baroque", très "patchwork", très étonnant. Une pure réussite, on retrouve aussi d'ailleurs là ton goût pour les massacres et les barbares, je me demande d'où te viens cette lubie ! Le monde est renversant, l'idée fondatrice est extraordinaire même si on n'en voit pas grand chose, voir rien du tout, dans ce début et que  les informations à propos de cela se trouvent dans ton résumé (je parle notamment du duel Faër / Babylone).

Ce personnage du Marcherêve, toute l'ambiguïté qui l'entoure, ce mystère, cette conception très étrange d'un être immatériel, c'est assez fabuleux. Et Nëlia  ( :<3: ), cette femme d'autorité obsédée par le Marcherêve !!! J'adore ce genre de personnage hanté par une obsession, surtout quand ce sont des femmes (tous des hystériques en puissance ... ^^).

Bref, bref, bref, en deux mots plutôt qu'en cent : j'adore. Et j'attends avec impatience la suite.

 [goodjob]
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: raphael14 le jeudi 18 février 2010, 20:00:19
GMS, j'adore. Ton chapitre fait assez patchwork donc ça va être très dur de détailler. Par contre, c'est curieux, j'ai du mal à éprouver de la compasion pour Lowyn, étrange, non. Par contre je suis intrigué par le Levyathan, je me demande quel rôle il va jouer dans le Cycle. En tout cas la situation devient de plus en plus catastrophique et on se demande comment Samyël va faire pour sauver l'Arch'Land.
Vivement la suite quoi.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Prince du Crépuscule le lundi 22 février 2010, 17:47:14
Me revoilà!

Oui, je sais bien que la sauce allégée n'est qu'un prétexte pour en reprendre plus, mais quand même... dans le cas de mes commentaires, c'est meilleur pour la santé mentale et pour la consommation d'aspirine! :roll:

Donc, cette fois-ci je viens pour commenter ton nouveau projet "Le Marche-rêve", que je n'ai pas encore eu l'occasion d'évoquer au détour d'un pavé. Nous allons donc y remédier, si ce n'est pas trop demander. ;p
Alors, pour commencer, contrairement à GdO, je ne suis pas du tout épris de tout ce qui est Science-fiction, lui préférant largement la Fantasy, mais là je dois dire que j'ai été assez séduit, dans la mesure où la Fantasy est tout de même très présente dans ce récit (en tout cas pour l'instant). Et contrairement à lui, je serai plus modéré dans mon appréciation de cette nouvelle création (il a le don d'en faire des tonnes, le jet d'eau! oui, c'est moi qui dis ça, tout à fait :p), sachant que le concept des émanations historiques et l'opposition nature/culture sont loin d'être nouveaux.

Cela posé, je commencerai par dire que moi aussi j'adore cette nouvelle fiction. L'idée, même si elle repose au début sur des bribes d'inspiration éparses, est excellente et bien amenée. Je suis franchement étonné de la tournure qu'a pris ce nouvel écrit, ayant lu le premier chapitre à part, et autant dire que la surprise est agréable! Jamais je ne me serais douté que tu parviendrais à donner une telle cohérence à tes courts chapitres en partant avec l'idée floue d'un assemblage de récits divers. Le rendu est très bien géré, car en plus d'être intrigant et mystérieux, il nous promet un assortiment savoureux d'évocations historiques et légendaires que je n'attends plus que de voir figurer au menu de ta fiction!
En ce sens, le suspens est parfaitement maîtrisé, le lecteur reste dans l'attente de la suite et se demande ce qu'il va bien pouvoir se passer. Jamais je n'aurais pu deviner de moi-même en lisant les premiers chapitres la profondeur de la dualité qui a cours entre Faër, entité protectrice de la Nature, et Babylone, garante de la sauvegarde de l'Humanité, si je n'avais pas lu le résumé présent en première page. Pour tout te dire, je pensais avoir affaire à un récit fantastique avec les morts qui se réveillent et l'homme dont on ne connaît pas l'identité (le Marcherêve donc ;p) qui se ballade tranquilement parmi eux. Quant à l'opposition nature/culture, mise en avant dans un cadre légendaire, il s'agit là d'un thème que j'affectionne particulièrement, et qui est non sans me rappeler X-1999 (toujours lui, hein? =P) avec son affrontement entre les Dragons de la Terre et les Dragons du Ciel qui décidera par l'Apocalypse du sort de la Terre et de l'Humanité.

Cela dit, tu parviens à tirer ton épingle du jeu en nous relatant une histoire encore très mystérieuse mais d'emblée vivement intéressante. La réflexion proposée par la Loi de Scion a piqué ma curiosité à vif et je me demande vraiment ce que tu vas nous faire par la suite au vu de la surprise que tu as déjà provoquée dans mon esprit au fil de la lecture. De plus, pour le moment (espérons que ce ne soit qu'un début ^^), l'intrigue est rondement menée et les personnages me semblent très vrais. Mention spéciale à Nëlia, qui, comme l'a dit si justement GdO, fait honneur à sa position de scientifique obnubilée par cette créature surréaliste qu'est le Marcherêve. D'ailleurs, puisque j'en parle, comment ne pas mentionner ce dernier, moi qui adore l'ambiguïté et ce genre de manifestations puissantes et immatérielles à la fois? Le Marcherêve, de par son nom, ne va pas sans me rappeler le Dieu-Cerf à la fin de Princesse Mononoké, losque, translucide mais terriblement puissant, il marche à travers monts et plaines pour retrouver sa tête sans que personne ne puisse s'opposer à lui. Ton "personnage" me donne ce genre d'impression, d'une entité insaisissable à la recherche de quelque chose, sans revêtir toutefois la toute-puissance divine du Shishigami. Je crois que c'est avant tout son nom qui m'y fait penser, m'enfin... ^^

Pour ce qui est du mélange entre cadre futuriste et univers médiéval, je le trouve tout à fait réussi, quand bien même n'en suis-je pas particulièrement féru d'habitude. Sans répéter ce qu'a dit mon compère plus haut, j'ai été saisi par la façon dont tu as introduit toute la dimension historique et légendaire au sein de ce récit. Franchement, au détour du dialogue d'ailleurs bien réalisé entre le Marcherêve et Jean, on s'y croirait presque. J'apprécie grandement l'effet quelque peu décousu qui s'impose en filigrane entre les différents chapitre, car il suit un fil directeur honorablement tissé par tes soins. L'origine des deux puissantes entités qui s'affrontent (Faër vient de ta faërite, non? ^^) est également intéressante à souligner, enfin plus pour Babylone à propos de laquelle on s'y connait plus. La Nature vengeresse contre la Cité ressuscitée qui incarnait la débauche et l'éxubérance des aspirations de l'Humanité dans toute sa démesure... Hmm, c'est un choix judicieux j'ai envie de dire. En tout cas, il est tout à fait approprié pour ce qui est de Babylone; pour Faër, faut encore que tu nous en parles plus pour que je me forge un avis digne de ce nom. :p

Sinon, concernant l'écriture, je la trouve pas mal du tout, surtout pour les deux premiers chapitres qui sont les mieux réalisés à mon sens (mention spéciale pour le tout premier, avec son ambiance si singulière!). Le style en est fluide et agréable, je dirais même qu'on sent une certaine amélioration à ce niveau, dans la mesure où, tout en ayant conservé son tour cavalier, il se fait moins précipité que ce qu'on pouvait en voir avant. Tu temporises plus, tu nous laisses le temps de nous fondre dans l'atmosphère et les événements qui caractérisent ton récit, et ce sans jamais sombrer dans l'excès ou la lourdeur... Même si j'aurais préféré des phrases quelquefois moins hachées et plus de points-virgules, je ne vais pas chipoter: c'est très bon!

Cependant - et nous en venons au gros point noir qui vient obscurcir le tout, comme d'habitude -, je t'en conjure, relis-toi plus attentivement! J'ai presque envie de dire que tes écrits ne méritent pas que tu laisses traîner les fautes que tu commets, tant elles font tache vis-à-vis du reste. A plusieurs reprises tu as oublié des mots, tu t'es empêtré dans l'emploi de l'infinitif ou du participe passé, sans parler des bourdes coutumières qui consistent chez toi à confondre tache/tâche, hors/or, dessin/dessein... et j'en passe. De plus, j'ai remarqué deux ou trois pléonasmes, comme pour "la bataille (...) avait été aussi fulgurante que rapide.", fulgurant étant un synonyme plus recherché de rapide. Alors, certes, c'est mieux qu'avant, mais il faut tout de même veiller à être plus rigoureux. C'est pour ton bien et non par quelque sadisme puritain que je te rabâche ça, si si, absolument! Foi de moi! :niak:

Pour conclure, j'espère que tu continueras de progresser dans l'écriture de cette nouvelle au fort potentiel narratologique et conceptuel qui a su éveiller ma passion avec brio. Le contenu, tout comme le style, m'en semblent très prometteurs. Je te souhaite encore une bonne continuation et une bonne inspiration, mon Mage Vermeil, en priant pour que cette fois-ci ma lourde brique commentative t'ait rassasié au moins pour quelques jours. Cela dit ne t'en fais pas, mes pas me conduiront forcément à nouveau dans ta Tour, c'est l'évidence même.
Au plaisir! :)
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Yorick26 le mardi 23 février 2010, 00:19:14
Hey ! Comment va notre chère grosse brute armée jusqu'aux dents et barbare par dessus tout ?
Et bien, oui je passe sur ton petit topic (certes il est beaucoup plus grand que le mien, mais bon sinon je ne pourrais pas te charrier si je ne pouvais pas mentir un peu).

Alors, suite à la lecture de certains de commentaires - pour être plus précis d'un seul commentaire et encore pas en entier, je te laisse deviner lequel... - je me suis dit tente ta chance, tu verras ça sera génial. Du grand GMS, tu n'en as pas lu beaucoup, alors lis le Marcherêve. J'ai lu, et je suis revenu commenter ceci, parce que je te dois bien ça. Non ? Bon ben tant pis, au revoir alors ...

Maintenant que je suis en train de commenter (enfin je n'ai pas commencé encore), autant finir.
Le Marcherêve.
J'avoue qu'au départ je n'ai rien compris. Même si ma culture historique n'est pas grande (bouh quelle médiocrité : j'assume), je sentais bien quand même qu'il ne fallait pas exagérer, qu'il y avait une rouille dans potage (comme je suis fin quand je parle dis-moi... "Moi" roh tais-toi <- ceci est une ruse de Prince du Crépuscule pour faire paraître ses messages plus longs, il fait plein de petites parenthèses de petites dispersions ce qui fait que le texte s'allonge et s'allonge et on arrive à ces si célèbres pavés). J'ai rien compris, mais j'espérai bien comprendre par la suite ce qui s'est assez bien réalisé avec le 6ième chapitre. Là j'ai mieux compris, et je trouve l'idée totalement extraordinaire. Contrairement à ce que dit l'autre esclavagiste adoré (cher mage complice), je n'avais jamais entendu parlé de ces émanations, mis à part peut être un lien avec Final Fantasy Spirit Within et encore ça ne ressemble en rien avec des monstres d'autrefois ou à des personnages historiques. Je trouve donc que ton scénario est bien original du point de vue de l'opposition entre Histoire et Mythe. Je trouve ça même assez génial. Cela permet de tout mélanger : le bonheur en somme. Je suis convaincu que ça peut donner quelque chose de grandiose. J'ai vraiment hâte de lire la suite. Bon pour ce qui est de l'opposition entre Nature et Humanité j'avoue que là on fait mieux. Les grandes Cités me font penser à Ecoban de Wonderful days (Très bon film d'animation d'ailleurs, que je conseille à tous ceux qui ne l'ont pas vu). Quant à l'opposition entre Nature et Humanité/Technologie, cela me rappelle plus Origine (Encore un meilleur film d'animation avec une bande son à vous faire frémir ! Deux titres de Kokia absolument grandiose notamment l'intro du film qui m'a fait rêvé pendant plusieurs jours et c'est à chaque fois avec une immense joie que je le reregarde... je ne m'en lasserais jamais) où de chaque côté des forces se développent. Peut être même que les Scionistes sont à rapprocher des humanoïdes de la forêt.
En tout cas le Marcherêve est assez spectaculaire. Il a un charisme bien posé avec une part de mystère qui n'a rien à envier à celle de notre esclavagiste préféré.  J'aime cette manière de rester totalement en retrait par rapport à ce qui l'entoure. Il est calme, plat et tellement puissant. Par contre tu ne t'es pas foulé pour son physique... une cape ! Et quel nom. Voyageur deuxième du nom. Ahlalala, on dirait qu'il n'est rien alors qu'il est tout. Je confirme l'allégorie entre le Marcherêve translucide et le Dieu-cerf de Princesse Mononoké (à croire que je ne regarde que des films d'animations... ce n'est pas vrai j'ai regardé Harry Potter et le Prince de Sang-mêlé cet aprem pour la 36ième fois et demi). Cette manière d'errer comme ça et de donner une "seconde vie" à ce qu'il touche, c'est vrai que c'est assez semblable.
D'ailleurs, le Marcherêve a-t-il un but ? Voilà une question que je me pose. Pour l'instant tu nous exposes un monde. Il n'y a pas trop d'intrigue du côté de Voyageur. Néanmoins du côté de Nëlia c'est beaucoup plus clair. Elle veut le retrouver cette entité surpuissante, bon sang ! Je reconnais bien l'entêtement scientifique à trouver à chaque problème une solution (quoi ? Moi, un scientifique... oui et alors. Têtu comme une mule je suis). Elle rentre parfaitement dans son rôle de parfaite scientifique. Elle a la foi technologique et la foi scientifique. Elle est parfaite. Combien de fois ai-je pu rester sur un problème qui me tenait à cœur ? Chapeau melon et botte de cuir ?

Bon je ne ferai pas un couplet sur l'orthographe, la grammaire et la syntaxe. Tout a été dit plus haut et je suis mal placé pour te critiquer, mais j'avoue qu'il y a des fautes qui gênent, mais si ça peut te rassurer notre cher esclavagiste analphabète fait aussi des fautes dans son commentaire, alors hein ? "carde[iologue] légendaire" et quelques autres je ne sais plus haut (je l'aime bien, mais je ne vais pas le relire pour le plaisir de le dénigrer non plus, il pourrait me faire souffrir).

En tout cas je suis ravi d'avoir lu cette fiction et j'ai hâte de lire la suite !!! A très bientôt alors.

Edit : bientôt je ferai des pavés à la PDC.
Comme dirait la pub : "Je l'aurai un jour, je l'aurai !"
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le samedi 17 avril 2010, 00:13:37
Salut c'est moi! (olol)

Silver ==> Content que le dernier chapitre t'ait plu, j'ai moi même pris beaucoup de plaisir à l'écrire. Je ne sais pas quand je posterai la fin de Monarque, peut être d'ici une semaine. Merci!

GdO ==> Je ne pensais pas que tu accrocherais autant à Marcherêve, ça me fait plaisir! Pour ta remarque sur l'originalité de l'univers, pour tout dire quand j'ai écris le premier chapitre je n'avais aucune idée derrière la tête. Tout est arrivé après, et paf ça a fait des chocapic comme on dit! Quant aux Wisigoth, effectivement je l'ai écrit en anglais, mea culpa  :)
En tout cas merci d'être passé ca m'a fait bien plaisir!

Raph ==> Merci pour le commentaire! La montée en puissance du récit va bientôt servir à l'explosion qui approche, je t'assure! :)


PdC ==> Je te rassure, moi aussi je ne suis pas fana de SF, plutôt l'inverse en général. Marcherêve devrait garder globalement la même ambiance du début à la fin, pas de combats de blaster au programme en tous les cas! :) Cela dit, je suis content que tu aimes tout de même j'espère que la suite ne te décevra pas. Cependant, je n'ai jamais lu X-1999 (ni aucun clamp en fait, à part le début de Tsubasa, et ça remonte!). L'une de mes inspirations clé vient plutôt de la Forêt des Mythago, oeuvre magistrale de Robert Silverberg même si seule le premier des quatre tomes est vraiment fort. C'est vrai qu'il y a un peu du dieu-cerf dans le Marcherêve. Je n'y avais pas songer avant mais maintenant que tu le dis oui. Il faut dire que j'aime beaucoup Mononoké, peut être une de mes nombreuses inspirations inconscientes. :) Pour Faër, le nom vient plutôt de Faërie (dont est aussi tiré la Faërite comme tu as judicieusement fait le rapprochement! ;) ) qui est selon Ismaël Mérindol le pays des fées. Je suis content de ce que tu dis à propos du style, car j'ai vraiment voulu donner au récit une ambiance lente et paisible. Quant à l'orthographe, désolé, j'y travaille toujours, et tu sais comme ça me tient à coeur :( En tout cas, un gros merci pour ce commentaire crépusculien comme je les aime!

Yorick ==> Lyrik va bien, et il te salut! :p En tout cas, j'ai bien rit en lisant ça : "(comme je suis fin quand je parle dis-moi... "Moi" roh tais-toi <- ceci est une ruse de Prince du Crépuscule pour faire paraître ses messages plus longs, il fait plein de petites parenthèses de petites dispersions ce qui fait que le texte s'allonge et s'allonge et on arrive à ces si célèbres pavés)" C'est tellement vrai! *Court se cacher pour ne pas recevoir les foudres du Prince* En tout cas, je suis bien heureux que tu sois venu faire un tour dans le coin, et encore plus que tu ais apprécié! N'hésite pas à revenir! De toutes les références de film animation il n'y a que Final Fantasy que j'ai déjà vu mais ça remonte un peu, je ne saurais trop te dire si ça cadre avec ma vision des émanations ^^ Quant au Marcherêve, étant le centre de l'histoire, ses aspirations seront révélées petit à petit. Merci bien pour ton commentaire en tout cas! :)



Bon, en ce qui me concerne, je n'ai pas de suite à proposer, pas encore (j'ai bien entamé le chapitre 23 du Cycle, j'ai bientôt fini le chapitre suivant du Marcherêve, je planche toujours sur le début de Monarque Tome II. Le tout arrive, ne vous inquiétez pas!), mais un nouveau projet (Encore un me direz vous!).
Et pour faire original, c'est carrément une fanfiction Zelda! Il y a des siècles que je n'avais rien écrit sur le monde de notre saga préférée (ou ex mais là n'est pas la question), mes derniers écrits dessus remontant au temps du concours de Furiouze! J'avais donc envie de revenir aux sources en quelque sorte, et c'est chose faite avec cette fanfic. Pour le speech, l'histoire se déroule dans une période chronologiquement indéfinie au niveau de la série, mais dans l'Hyrule d'OOT/MM, avec cependant des modification socio-géographiques importantes. L'histoire ne se veut pas être un pastiche et donc possède son scénario propre, reprenant pas mal de personnages connus mais changés pour quelques uns et qui n'hésite pas à bouger beaucoup de base.

Voilà, j'espère que cela vous plaira et que vous m'en direz quelques nouvelles. Amis du soir bonsoir et bonne lecture!



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The Legend of Zelda:

Triangle de Pouvoir



Prologue
-Tarquin-


   La foule rassemblée rendait méconnaissable les jardins extérieurs, de par la basse rumeur qui en sourdait, de l’amalgame des odeurs qui en devenait écœurant -surtout cette immonde fumée de friture qui s’élevait depuis les stands des marchands installés à l’extérieur du cercle humain- , les cris des enfants braillards et les notes aiguës des musiciens qui se confondaient dans un joyeux n’importe quoi sonore. Si plus de la moitié du bon peuple de la Cité d’Hyrule s’était rassemblée là, ce n’était pas par hasard. Toutes ces bonnes gens formaient un cordon autour d’une plateforme surélevée que couronnait un socle orné des trois Triangles d’Or dont jaillissait la lame d’acier scintillant d’une épée, et sa garde d’azur sertie d’or et d’argent toisait la foule comme dans une posture de défie. 
   Ce défie, Tarquin l’avait vu relevé trop de fois pour être compté. Presque tous les jours un hardi pénétrait dans le Temple du Temps, là où gisait d’ordinaire l’épée et son socle, avec l’espoir insensé de retirer l’acier du granit où il était scellé depuis des siècles. Les textes de la Loi des Trois Déesses étaient formelles : quiconque parviendrait à sortir la Lame Purificatrice hors de son tombeau minéral en deviendrait le maître, et de fait se verrait attribuer le titre de Héros, des titres de noblesse, des possessions terrestres et, bien sûr, aurait l’insigne honneur d’épouser la fille du roi et ainsi mêler son sang à celui de la royauté.
   Un doux rêve qui n’était que ça : un rêve. Les mages du Consortium Aedeptus avaient depuis longtemps statué sur le cas de cette épée. Une puissante trame de magie liait la lame à son socle, si puissante que les mages si arrogants d’ordinaire n’avaient montré aucune mauvaise volonté à déclarer tout net que cela dépassait leurs compétences. Alors les chevaliers, les reîtres, les franc-coureurs, les Lords, les fermiers, les forgerons et les artisans pouvaient bien défiler autant qu’ils le voulaient, quelqu’un ou quelque chose avait fait en sorte que cette arme ne soit plus jamais brandie et il connaissait son affaire. 
   Fendant la foule avec tellement d’habilité que personne ne semblait le remarquer, Tarquin s’approcha de la tribune des Lords, dont les gradins de bois surélevés préservaient les seigneurs et leurs dames de la populace et des désagréments qui lui étaient associés.  Non pas qu’il appréciait la compagnie de tous ces fats bouffis d’arrogance, comploteurs et sournois, mais il devait entretenir l’Intemporel de sujets sérieux, et ce dernier avait eu la folle idée de se joindre à la nuée seigneuriale. Tout en jouant des coudes, Tarquin dardait son œil unique dans toutes les directions. Si pour le peuple ce genre d’événement était source de fête et de joie, pour Tarquin et ses hommes, c’était des moments tendus et pénibles. N’importe lequel d’entre-eux pouvait cacher une dague à lancer, une sarbacane ou, pire, un parchemin de sort. N’importe lequel d’entre eux pouvait potentiellement être l’assassin du roi, et c’est ainsi que Tarquin et les siens les considéraient.
   Il constata avec satisfaction que tous ses acolytes étaient à leur poste, les yeux aux aguets. Il n’avait pas à s’en faire. En s’arrachant à la foule, il fut pris de suffocation, tant l’air pur lui fit un drôle d’effet. Il était essoufflé, et pour cela il maudit sa vieillesse et sa débilité grandissante. Mais, il fallait faire attention, ne rien montrer. La seconde suivante, il redressait le torse, inspirait une grande goulée d’air et entreprit de longer le cercle humain par l’extérieur. Personne ne faisait attention à lui,  et il se consola en se disant qu’il restait tout de même un Sheikah aguerri. En arrivant aux abords de la tribune des Lords, il débusqua l’Intemporel à l’extrémité gauche de l’édifice, apparemment en grande conversation avec Ser Sedrik, le fils cadet de Lord Darunia. Le colosse au teint de bronze et à la tunique moulante écarlate frappée du Rubis donnait l’impression de pouvoir broyer le saint homme rien qu’en le serrant dans ses bras. Et pourtant, Rauru l’Intemporel, grand prêtre des Trois et Gardien du Temple, avait une certaine carrure. Corpulent, son crâne carré et rasé que venait renforçait une rude barbe grise brossée et taillée était soutenu par un cou robuste dont la chair amollie par le poids des ans gardait une vigueur honorable. Le prêtre portait sa soutane de soie jaune d’or maintenue à la taille par une fantastique ceinture de cuir frappée des Triangles.
   Tarquin se faufila à l’insu des sentinelles par l’arrière de la tribune, escalada avec aisance la paroi de bois et se laissa choir depuis le toit derrière l’ultime rangée de banc, dans une flaque d’ombre. Personne ne le vit. Il se coula d’ombre en ombre jusqu’à se tenir tout à fait derrière l’Intemporel, sans que ni lui ni le Ser ne s’en rendent compte. Il attendit qu’ils terminassent puis s’agenouilla au côté du saint homme en murmurant.
   -Quelqu’un va sous peu mander votre bénédiction, votre Sainteté.
   S’il fut surpris par l’arrivée soudaine du Sheikah, Rauru n’en montra rien. Il répondit d’une voix basse sur un ton de conversation.
   -Vous avez des nouvelles.
   -Si fait, votre Sainteté. Il s’est mis en marche, et les clans le suivent.
   -Combien?
   -Un mois, tout au plus, s’il conserve sa vitesse. Mais si je m’en fie à ce qu’on me rapporte à son sujet, il serait homme à imposer une marche forcée par souci d’obtenir plus vite son gain.
   Le prêtre passa ses doigts légèrement boudinés dans sa barbe rêche. Un pli soucieux barrait son front.
   -Devons nous…
   -L’homme est ambitieux, et ses horizons s’étendent bien au-delà des cuisses de la princesse, si vous me permettez, votre Sainteté.
   -Vous savez que j’aime que vous me traitiez en supérieur mais vous et moi savons que ce n’est pas le cas, alors cessez vos manières, je vous prie.
   Un sourire tordit la bouche de Tarquin.
   -Je pensais que vous aimiez ça, vous autres prêtres, qu’on cajole votre égo. En tout cas, vous aimez ça quand c’est le petit boulanger qui le fait, le soir après votre service. Comment s’appelle-t-il déjà? Spike?
   -Epargnez moi vos vantardises. Je sais que vous savez tout de moi, et je ne vous cache rien. De plus, son nom est Ike et j’ai pris bien plus de plaisir encore à partager sa couche que je sais que c’est vous qu’il l’y avait mis pour m’espionner.
   Cette fois, ce fut au tour de l’Intemporel de sourire ; un sourire bref.
   -Je me suis toujours demandé, fit Tarquin en portant son attention sur la plateforme de l’épée, pourquoi c’est au roi qu’est échue cette tache alors que, clairement, ce devrait être votre office.
   -La famille royale est issue du sein même des Déesses. Sa majesté est la plus à même d’être entendue. Je ne suis que le porte-parole des Trois. A présent, taisez vous un instant.
   Tarquin recula et disparut à la vue d’éventuels observateurs. Son œil aguerri par l’expérience scrutait la foule à la recherche de tout comportement suspect, de tout visage inamical ou hostile. Vite lassé, il se concentra sur la tribune. Au premier rang, les Lords du Conseil des Sages encadraient la famille royale, le prince Nohansen Hyrule, la princesse Zelda, sa sœur aînée, et leur mère la reine Ishtark. Le petit affichait un air émerveillé, du haut de ses huit printemps, et ses grands yeux lumineux voguaient sur la mer de couleurs et de sons qui s’étendaient devant lui. Tarquin savait qu’il se faisait violence pour ne pas gigoter sur son siège comme une girouette. A sa gauche, Zelda affichait un visage neutre, comme la Lady qu’on lui avait appris à être. Son opulente chevelure d’or cascadait sur ses épaules et ses cuisses comme une rivière, et la mince tiare d’argent sertie de saphirs n’avait qu’un effet ridicule. La majorité des Ser, des menus chevaliers et quelques Lords, dont Lord Dorf lui-même, ne pouvaient s’empêcher de la dévorer des yeux, et ils auraient tout donné pour partager sa couche rien qu’une nuit. Ils étaient ceux qui avaient essayé le plus fort possible de retirer l’épée de son socle. Il fallait dire que la jeune femme était à quatorze ans d’une rare beauté -certains hardis allant jusqu’à la comparer aux Déesses elles-mêmes-, ayant emprunté toute la beauté de son père et toute celle de sa mère. Elle feignait de ne pas s’apercevoir qu’elle était le centre de tant d’attention et d’adoration, mais Tarquin savait qu’elle s’en nourrissait comme d’une bonne sucrerie, en gavait son égo et ne s’en aimait que plus. Il savait aussi qu’elle passait plusieurs heures à admirer son reflet dans son grand miroir, et qu’elle s’était même embrassée une fois.
   Le reine sa mère paraissait être son opposé. Dotée de la brune chevelure de la maison Parel, sa beauté jadis éclatante se fanait plus vite que celle de son mari qui avait pourtant deux fois son âge. La maladie la rongeait comme un chien un vieil os, et Tarquin ne pouvait que respecter et admirer la force de cette femme qui malgré tout ne délaissait aucun de ses devoirs, faisait l’effort de se montrer en public et de donner des fêtes. Les docteurs ne parvenaient pas à la guérir, et ils lui avaient annoncé avec des mines peinées qu’il ne lui restait guère plus de deux ans à vivre. Elle ne s’était montrée abattue en rien et n’en avait trouvé que plus de force. Le roi Salomon d’Hyrule son époux était pour sa part un vieillard grisonnant d’une exceptionnelle vigueur. Âgé de près de quatre-vingt ans, il n’en avait pas pour autant délaissé la chasse, l’escrime, et rentrait encore parfaitement dans son armure de cérémonie. Un ouvrage magnifique qu'il portait ce jour, et dont les massives épaulières frappées des Triangles d'Or donnait à sa carrure de guerrier un aspect titanesque. Loin d'un frêle vieillard, c'est d'un pas alerte et sûr qu'il franchit la haie d'honneur érigée par les hommes de la Garde Royale sous les vivats de son peuple jusqu'au pied de la plateforme.
   Des "Vive le Roi! Longue vie au Roi!" raisonnaient à présent avec exaltation dans le jardin extérieur, et la foule s'anima comme une bête longtemps assoupie. Tarquin se fit la réflexion que c'était là l'opportunité rêvée pour tout assassin d'en finir et de disparaître à l'insu de tous. Une certaine appréhension naquit dans le coeur de Tarquin, mais il la rejeta assez vite. Il n'avait vent d'aucun complot, d'aucune machination pour ce jour là, et en scrutant attentivement les visages des Ser et des Lords dans la tribune, il ne constata rien qui put trahir une certaine forme d'appréhension, de tension particulière, de joie excessive ou d'impatience chez aucun des loyaux vassaux du Roi. Le silence frappa l'atmosphère si soudainement que les oreilles de Tarquin en bourdonnèrent. Le roi avait posé le pied sur la première marche qui menait au socle de l'épée.
   La Cérémonie de la Grâce se déroulait tous les ans, au sortir de l'hiver et pour demander la bénédiction des Déesses pour l'année à venir. C'était une cérémonie publique, à laquelle tout un chacun était convié sans distinction de classe, de revenus, de lignage. On faisait amener le socle de l'épée dans le jardin extérieur afin que tous put assister au rituel. Autrefois, cela se faisait dans la Chambre de l'Epée, au sein du Temple du Temps, mais la population du Bourg d'Hyrule, trop importante, ne permettait plus de se réunir là bas. Le Roi devait se rendre auprès de l'Epée, l'empoigner sans chercher à la tirer, et demander la bénédiction des Déesses, dont il était le fils par le sang. On prêtait beaucoup de fonctions à la Lame Purificatrice, l'épée des légendes, et celle d'être un lien avec le Saint Royaume des Déesses en était une.
   Tarquin trouvait cette cérémonie parfaitement ridicule. Les Déesses ne répondaient jamais, et le Roi se contentait de jouer la comédie en annonçant que les Très-Hautes lui avaient envoyé un message d'abondance et de prospérité. Alors, la foule en liesse se déversait dans les rues du Bourg pour faire la fête toute la journée et toute la nuit, et l'année pouvait officiellement débuter. Pour preuve de la stupidité de cet événement, aucun mage ne daignait y assister. Il n'y avait qu'Aghanim, mais l'homme se montrait en sa qualité de Premier Conseiller. Il avait d'ailleurs troquer sa robe de mage pour une tunique pourpre et hauts-de-chausses blancs modestes mais bien coupés.
   Salomon montait les quelques marches avec une lenteur qui irritait Tarquin. Mais c'était moins un signe de vieillesse qu'un respect de l'usage. On disait que montrer trop d'empressement n'apportait que du malheur. Enfin, il se tint devant l'épée, et pour marquer le coup, entreprit de faire un tour sur lui même afin de scruter son peuple de ses yeux bleus, fermes mais justes. La populace se remit alors à l'acclamer quelques instants, puis il posa ses mains gantées d'acier sur la poignée de l'arme sacrée. Le clame revint aussitôt. Les petites gens retinrent leur souffle.
   -S'ils pouvaient se montrer aussi silencieux tous les jours, fit remarquer Lord Dumor, nous n'aurions plus grand chose à faire, nous autres Lord.
   Quelques petits rires rapidement étouffés accompagnèrent sa boutade. Il était mal vu de briser ce silence   
   -Ô Déesses!, cria le Roi d'une voix forte afin que tous l'entendît. Sang de mon sang, moi, Salomon d'Hyrule, Roi d'Hyrule, vous demande, vous implore, au nom de mon peuple, de nous accorder votre gracieuse bénédiction pour l'année à venir.
   Conformément à la coutume, le Roi cessa de parler et inclina la tête vers le sol, yeux fermés, fronça les sourcils comme s'il se concentrait.  Tarquin nota avec un certain amusement que le jeu d'acteur de son seigneur et maître gagnait chaque année en crédibilité. Mais alors, à la surprise générale, la lame de l'Epée se mit à vibrer. Le mouvement était à peine perceptible mais le son qu'il produisait l'était parfaitement. On aurait dit un son de cloche, suraigu, délicat, continu. Parallèlement au phénomène, l'acier de la lame commença à briller. Une gangue d'or pur l'enveloppa doucement, sous les yeux écarquillés de l'assistance et les murmures de l'assemblée. Tarquin lui même en décroisa les bras.
   Jamais, jamais quelque chose de la sorte ne s'était produit.  Etait-ce un présage? Un signe des Déesses elles-mêmes? Salomon, éberlué, recula promptement. Le son de cloche gagna en intensité. Dans la tribune des Lords, on s'agitait. Certains s'étaient levés, d'autres avaient agrippé les rambardes de bois, d'autres encore s'étaient figés sur leur siège, les yeux grands ouverts. Même la placide Zelda en gardait la bouche stupidement ouverte, tandis qu'à son côté son jeune frère ne se contenait qu'à grand peine, tout sourire et joie qu'il était.
   -Qu'est-ce que cela signifie?, murmura Tarquin à Rauru après s'être approché à nouveau. Je croyais que cette cérémonie n'était qu'une mascarade?
   -Toute mascarade qu'elle soit, répondit l'Intemporel d'une voix émue et étrange, elle tire son origine d'un véritable rituel religieux. Les... Les Déesses ont peut être choisi ce moment pour nous envoyer un message, un vrai message.
   La lame de l'Epée était à présent totalement couverte d'or et brillait d'une lumière aveuglante. Émerveillés, les gens la pointait du doigt, échangeaient des propos enflammés avec leurs voisins. On avait jamais vu ça!  Puis, aussi soudainement qu'il avait commencé, le phénomène s'arrêta. La lame retrouva le brillant classique de l'acier gris, un silence stupéfait retomba sur le jardin extérieur. Tous les regards convergèrent vers Salomon, dont la mine perplexe cherchait des yeux une explication. Il adressa une question muette à Aghanim, mais le Premier Conseiller secoua la tête.
   -Je.., commença le monarque d'une voix hésitante, puis plus forte. Bonnes gens d'Hyrule! Les... Les Déesses nous ont entendus! Elles nous ont envoyé ce message d'or. Un message d'or... pour un âge d'or!
   Les vivats, les acclamations, la joie et l'allégresse éclatèrent comme un fruit trop mûr tandis que Feryl, le capitaine de la Garde, aidait son seigneur abasourdi à descendre de la plateforme.
   -Ce qu'il dit est vrai?, demanda Tarquin à l'Intemporel.
   -Je donnerais beaucoup pour le savoir, Sheikah. Une chose est sûr, quoi qu'il se soit passé aujourd'hui, c'était un message du Saint Royaume. Vous savez aussi bien que moi que nulle magie des hommes ne peut altérer l'Epée. Les Déesses nous ont envoyé un message. A nous de le comprendre.
   Tarquin ne répondit rien. Il ne savait pas trop quoi penser, mais un malaise s'empara de lui qu'il ne s'expliqua pas. A présent que le Cérémonie était achevée, et dans les meilleures conditions pour le peuple, celui-ci s'en retourna vers le Bourg afin de remplir les tavernes, les auberges, les maisons de jeux ou de plaisir et se saouler jusqu'au matin. Les Lords, leurs suites et leurs hommes d'armes quittèrent la tribune, devisant entre eux de l'étrange phénomène. Rauru coula un regard derrière lui en se levant , mais Tarquin avait déjà disparu, sans un bruit.
   Tarquin n'était pas allé bien loin. Il sortit de derrière un arbre au moment même où le Roi passait devant. L'air de rien, il se mit à marcher à côté de son maître.
   -Tu es au courant de quelque chose?, finit par demander Salomon, qui ne s'en était pas encore remis.
   -Rien du tout, Majesté. Sa Sainteté n'est pas encore à même d'être formelle. Quoi qu'il en soit, selon elle cela ne peut être qu'un message du Saint Royaume, Majesté. 
   -Un message, un vrai message.. Qui l'eut cru? Mon père ne m'avait jamais parlé d'un tel événement! Je crois qu'il est assez clair, pourtant.
   -Majesté?
   -Les Très-Hautes nous annoncent une venue. Celle du Héros... Tarquin.
   -Majesté?
   -Mande notre plus rapide messager. Envoie une missive au sieur Link. Demande lui de se hâter, je ne souffrirai point de ne pas le rencontrer dans les plus brefs délais. Dis lui de précéder ses hommes, que nous lui envoyons une escorte pour le conduire dans la cité.
   -Bien, votre Majesté. Je m'en vais quérir maître Baelon sur l'heure.
   Tarquin s'esquiva et disparut dans une ombre. Il pensait comme Rauru. C'était un message. Mais la question qui turlupinait le vieux Sheikah était : quel était le contenu de ce message? Le son de la vibration pouvait être celui d'une cloche sonnant pour une célébration... ou celle d'un glas. Etait-ce vraiment l'annonce de l'arriver du Héros, comme le pensait Salomon? L'Epée allait-elle enfin être brandie à nouveau? Par ce Link?
   Tarquin s'en méfiait. C'était un homme ambitieux, dur. Jailli de nul part, ce reître avait par la seule force de son épée fédéré les Clans des plaines du sud à la Couronne. En quelques années il était devenu le nouveau héros national, et beaucoup voyait en lui le Héros de la légende, celui qui brandirait la Lame Purificatrice. Sa sanglante campagne s'était achevée quelques mois auparavant, lorsque tous les Chefs de clan lui avaient juré allégeance, et à travers lui au Roi d'Hyrule, leur ennemi de toujours. A présent il remontait vers le Bourg, à la tête d'une petite armée issue de tous les clans. Il entendait recevoir une récompense, et on lui avait déjà promis la main de la princesse, des richesses, des terres et un titre de Lord ainsi qu'une place au Conseil des Sages. Personne n'avait trouvé rien à y redire. Tarquin avait glissé un de ses espions parmi les hommes de confiance de Link. Ce qu'il lui apprenait ne lui plaisait guère, mais il ne pouvait pas changer la volonté du roi. Il n'était que le Maître des Sheikah, les espions de la famille royale, ses plus fervents défenseurs, ses hommes de l'ombre. Son avis n'avait de crédit auprès de Salomon que ce que le Roi consentait à lui accorder.
   Avec un soupir, Tarquin regagna ses appartements et fit mander maître Baelon, le haut chambellan. Il rédigea en vitesse le message convenu et le transmit au maître avec les instructions de sa Majesté. Ensuite, enfin à l'aise pour réfléchir, il s'autorisa quelques minutes de repos. Le royaume était en train d'entrer dans une nouvelle page de son histoire. Tarquin devait s'assurer que tout se passerait bien. Il retira ses vêtements de civil poussiéreux et passa une longue tunique bleu de nuit frappée de l'emblème Sheikah sur la poitrine -un oeil rouge surmonté des Trois Triangles d'Or pleurant une larme sanglante-, des hauts-de-chausses de même couleur et des bottes souples et moulantes noires. Il se coiffa d'un turban gris et peigna grossièrement sa barbe hirsute. Non qu'il était coquet, mais on lui avait prié d'être présentable lorsqu'il devait apparaître en public.
   La véritable identité des Sheikah n'était connue que de la famille royale et des Sheikah eux-mêmes. Ils vivaient au jour le jour comme serviteurs, artisans, fermiers, soldats, nobles parfois, et permettaient à Tarquin de tout connaître sur le royaume et ses habitants. Rien ne se passait sans qu'on l'informât, des infidélités conjugales des Lords , aux velléités de révolte des campagnes en passant par les magouilles du Consortium Aedeptus ou les dangereuses explorations de la Guilde des Alchimistes. Tarquin était les yeux et les oreilles de la Couronne, et en certaines occasion, sa main également. A la cour, tout le monde le connaissait, de vue tout du moins, mais bien peu connaissaient sa véritable fonction. Cependant, tous le craignaient.
   Le tirant de ses réflexions, les cris du petit Noah, jaillissant au détour d’un couloir, le prévinrent de l’arrivée de celui-ci. Lorsqu‘on apercevait le jeune prince, on ne pouvait s‘empêchait de penser qu‘il n‘avait su choisir entre sa mère et son père. Sa crinière emmêlée de cheveux était d’un châtain clair presque blond, et ses yeux vairons -vert forêt à gauche bleu océan à droite- étaient un rappel constant de sa double parenté, de même que ses oreilles, ni tout à fait en pointe, ni tout à fait rondes. Il était assez beau, mais Tarquin craignait que cette beauté ne soit dut qu’à sa condition candide d’enfant, et qu’elle finisse par disparaître avec les ans. Déjà, ses traits juvéniles commençaient à se creuser, sa silhouette à s’affiner en grandissant. Si le prince continuait à dénigrer les choses de l’épée et de la guerre au profit des livres et des connaissances, il risquait de devenir un grand échalas malingre.
   Tarquin soupira intérieurement. De toute façon cela n’avait plus d’importance, puisque Noah ne serait jamais roi. La princesse Zelda étant son aînée, c’est son époux qui hériterait de la couronne à la mort de Salomon.
   -Tarquin, Tarquin! Criait l’enfant en courant vers le susnommé.
   Celui-ci l’attendit calmement, un petit sourire aux lèvres. Il avait beaucoup d’affection pour le prince, qu’il avait quasiment élevé avec maître Baelon. La maladie de la reine s’était déclarée peu de temps après sa naissance, et elle n’avait plus la force de s’occuper d’un enfant aussi énergique et turbulent. Si maître Baelon s’occupait de l’instruction de la géographie, de l’histoire, de l’étiquette, de la littérature et des arts, et Ser Talon, le maître d’armes, de l’instruction militaire et martiale -sans grand succès-, Tarquin surveillait attentivement le prince, l’empêchant de se blesser, de commettre des bêtises, lui parlant de la politique et de ce qu’il devait observer. Noah était un petit garçon intrépide, trop énergique pour son bien, jovial et généreux. Ses ambitions ne s’élevaient, au dam de son père, pas plus haut que le titre de chevalier et encore, cela n’eut-il dépendu que de lui il serait devenu bibliothécaire, de son propre aveu.
   -Tarquin, vous avez vu cela? L’Epée! Elle….
   -Oui mon Prince, je l’ai vue, répondit Tarquin en remettant machinalement en place la tunique du prince.
   -Qu’en pensez-vous?
   -Ce que j’en pense? Et bien, j’en pense ce qu’a dit votre père. Cela annonce certainement un âge d’or heureux.
   -Maître Aghanim a dit qu’il n’aimait pas cela.
   -Et pourquoi donc?
   -Il a dit qu’on n’avait jamais vu cela auparavant, et qu’il ne fallait pas trop se faire d’idées avant que le Consortium étudie l’affaire plus avant.
   -Oui, bien sûr, le Consortium…
   Avec les nobles, le Consortium Aedeptus était la deuxième institution qu’exécrait Tarquin. Sans être officiellement une Guilde, le Collegium de magie n’en avait pas moins la mainmise sur l’ensemble du marchandage occulte dans le royaume d’Hyrule, et ses membres arrogants bouffis de leur propre puissance ne perdait jamais une occasion de se faire mousser ou d’imposer leur volonté. Tarquin avait eu le plus grand mal à placer l’un des siens au sein du Consortium. Le Premier Conseiller Aghanim était légèrement différent. Plus humble, plus discret, quoique d’une compétence redoutable. Le vieux Sheikah le trouvait presque sympathique par moment. Il n’en restait pas moins un mage et par conséquent une personne à surveiller de près.
   -J’y pense, mon Prince. N’est-ce pas l’heure de votre leçon avec Ser Talon? Il doit s’impatienter.
   Noah grimaça à l’évocation du maître d’armes.
   -Je hais cela, me battre et manier l’épée… C’est indigne d’un prince, n’est-ce?, demanda-t-il en relevant les yeux vers Tarquin.    
   -Si cela ne dépendait que de moi, ce serait très digne d’un prince. Mais ce ne l’est certainement pas aux yeux des Lords et de votre peuple, en effet. Vous devriez mettre un peu plus de volonté à l’ouvrage.
   -Mais Tarquin! A quoi cela sert-il de se battre? A être blessé et à mourir. Non merci, je préfère de loin regarder les Chevaliers de père jouter de loin.
   -Un jour vous serrez peut être amené à guerroyer, et alors vous remercierez les Déesses des leçons de maître Talon.
   -Ce n’est pas vrai!, s’emporta Noah. C’est le sieur Link qui sera roi. Moi, je n’aurai pas besoin de guerroyer. A ce propos, Tarquin…
   -Mon Prince?
   -On dit qu’il s’est mis en route, et qu’il sera là bientôt.
   Le Sheikah leva un sourcil. Peu de personnes étaient au courant, et le prince n’était pas censé en être.
   -Et comment savez-vous cela?
   -Bon, je le confesse, j’ai « un peu » écouté ce que disait sa Sainteté à Lord Dumor. Mais c’est fantastique n’est-ce pas?
   -Je suppose oui… Votre sœur va se marier, ce sera un grand événement.
   -Au diable cette idiote! Il y aura plein de vieux guerriers et de vétérans au château, ils auront des tas d’histoires à raconter!
   Tarquin sourit devant la candeur de son protégé. Lui, la présence de tant de « vieux guerriers », tous issus de clans différents et souvent rivaux, ne l’enchantait guère.
   -Savez-vous Tarquin s’il sera là lui aussi?
   -Il, mon Prince?
   -Mais oui! Vous savez! Le fameux Chien! On dit qu’il a abattu à lui seul plus de cent cinquante guerriers avec une seule main! Il serait si fort qu’il se bat avec deux marteaux de guerre à la fois et que ses ennemis implorent son pardon avant même le début des combats.
   Tarquin rit de bon cœur.
   -Il me tarde de le rencontrer dans ce cas. Je n’en savais pas tant sur lui.
   -Alors? Alors? Sera-t-il ici?
   -C’est presque certain, mon Prince. J’ai entendu dire qu’il ne quittait pas son maître d’une semelle.
   -Merveilleux! C’est merveilleux! Je suis sûr qu’il aura plein de choses passionnantes à me raconter!   
   -Je n’en doute pas mon Prince. Maintenant, filez avant que Ser Talon n’envoie la Garde pour vous chercher.
   -Vous avez raison Tarquin. Peut être que le Chien me donnera un ou deux leçons.
   -Je lui en toucherai un mot si cela vous agrée.
   -Ho oui! Merci Tarquin!
   Noah tourna sur lui-même et repartit d’où il venait. Tarquin le regarda partir avec un sourire qui s’évanouit bien vite lorsque ses vieux os se glacèrent.
   Il avait un mauvais pressentiment.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le mardi 27 avril 2010, 18:24:21
Premier chapitre de cette nouvelle fan-fiction, qui ne semble guère rencontrer un succès fou ^^

Une suite du Cycle pour bientôt!

Bonne lecture.




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I
-Le Chien-


   Le Chien se réveilla avant l’aube. Sa main droite le faisait souffrir et la plate d’acier la rendait glaciale. Le camp était silencieux, il n’entendait que les murmures des sentinelles et les piaffements des chevaux. Il se leva de sa paillasse inconfortable et entreprit de se vêtir. Sa traditionnelle tunique blanche qui accusait la trop longue campagne, dont il fourra la manche droite dans son gantelet ; des haut-de-chausses d’équitation noirs rembourrés ; de solides bottes usées mais confortables. Il passa une chemise de mailles par-dessus ainsi qu’un tabard, blanc lui aussi, frappé de l’emblème de son maître -loup de sable sur champ sinople- qu’il boucla avec une ceinture de cuir sous laquelle il glissa une dague. Il ceignit son épée longue à sa hanche droite et souleva le rabat de sa tente et sortit.
   Il faisait encore sombre mais on pouvait distinguer de pâles lueurs à l’est. L’air était frais en ce début de printemps mais revigorant. Le camp était monté avec discipline, chaque tente s’alignant parfaitement afin de former un carré divisé par un chemin central en forme de croix. Même si les rivalités s’estompaient au fur et à mesure entre les clans, il en avait été tenu compte lors de la construction du campement. Les Faces- Rouges ne côtoyaient pas les Logres et les Janken, les Ventre-Bleus n’avaient pas pour voisins les Pieds-Noirs et les Profions, et ainsi de suite. Le Chien aimait bien l’ordre qui régnait dans les vastes cités de toile temporaires. Il trouvait cela paisible et réconfortant. Loin du chaos des combats, de la fureur des batailles.
   Il salua deux sentinelles qui se réchauffaient au coin d’un feu en préparant une bouillie d’avoine. Il reçut un salut en retour mais la discussion s’arrêta là. Le Chien était un lieutenant compétent -quoi qu’il n’avait pas officiellement ce grade- mais les hommes ne l’appréciaient guère en privé. Il le savait et ne voulait forcer personne. Il déjeuna de son avoine en silence. Manger lui était pénible, depuis qu’il ne pouvait plus se servir de sa main droite. Un coup de marteau de guerre durant une bataille lui avait détruit les os de la main, laissant ses doigts dans des angles improbables. Le coup avait également enfoncé la plate de son gantelet, la soudant quasiment à sa main broyée. N’ayant pu recevoir des soins avant longtemps, les médecins n’avaient rien pu faire. Il aurait fallu retirer le gantelet, ce qui était impossible sans couper l’ensemble du membre. Le Chien avait préféré garder partiellement sa main plutôt que de s’en voir amputer. Mais il en souffrait toujours beaucoup. Les nerfs n’avaient pas été totalement détruits, et il bougeait parfois les doigts par inadvertance, ce qui lui procurait de vives souffrances. Il avait appris à se servir de sa main gauche.
   Une fois restauré, il fit réveiller les officiers et donna des ordres pour préparer la nouvelle marche de la journée. Il fallait s’occuper des chevaux, préparer la nourriture et les chariots, commencer à démonter les tentes… Il y avait encore un peu moins d’un mois de marche jusqu’à la Cité d’Hyrule, et le sieur Link ne voulait pas rester sur les routes plus que le strict minimum. Il avait hâte de franchir les portes de la ville. Le Chien pouvait comprendre. Il arrivait en Héros, le fédérateur des Clans des plaines, et il allait prendre pour épouse la fameuse princesse Zelda. Et lorsque le roi Salomon mourrait, ce serait lui qui monterait sur le trône. Un bel avenir en perspective.
   Une fois certain que tout serait prêt à temps, il retourna dans sa tente afin de récupérer les effets qu’il devait attacher à son cheval -son grand écu et son marteau de guerre. Lorsqu’il souleva le rabat, il fut surpris de voir que quelqu’un l’attendait, assis sur sa paillasse. C’était une femme, et pas n’importe laquelle : Feena Hurlebataille, meneuse du clan de Logre, l’un des plus puissants. Elle était belle malgré ses quarante printemps révolus, mais pas à la manière des courtisanes, de par sa coquetterie ou la mise de ses cheveux. Son charme provenait de la force tranquille de ses traits, volontaires et confiants, de sa silhouette grande et svelte mais tout en muscle avec des courbes mises en valeur par le port des armures légères. Ses cheveux roux cendrés et joliment bouclés étaient retenus en arrière par un bandeau de soie noire et elle portait un pourpoint de cuir rouge à ses armes -double haches croisées cramoisies sur champ de sable-, ainsi qu’une jupe de cuir clouté du même rouge et des bottes bordées de fourrure de loup. Dans ses yeux émeraude on pouvait voir couver un feu alimenté par une grande intelligence et une ardeur guerrière sans fin. Son visage était barré d’une cicatrice qui partait du milieu de son front, mordait la racine du nez et s’achevait en haut de la pommette gauche -ses bras et ses jambes portaient également de tels stigmates, témoins d’une vie guerrière. Ses lèvres pleines étaient colorées de noir de même que ses yeux étaient soulignés de khôl, conférant une force certaine à son regard.
   Un mince sourire de prédateur étira ses lèvres lorsqu’elle vit le Chien. Celui craignit un instant qu’elle voulût le tuer, mais constata qu’elle n’avait pas ses armes fétiches -les fameuses haches.
   -Madame, s’inclina-t-il avec politesse. Votre visite m’honore. Veuillez pardonner ma grossièreté, mais n’ayant point vu vos gens au dehors je ne m’attendais pas à vous trouver ici.
   Feena s’installa un peu plus confortablement sur la paillasse, inclinant le buste en arrière en tendant les bras derrière elle et en croisant les jambes. Son sourire s’agrandit.
   -Je ne me lasserai jamais de t’écouter, Chien. Tu es bien le seul de cette foutue armée à savoir parler à une dame.
   -Madame, s’inclina le Chien. Puis-je vous être d’une quelconque utilité?
   -Je viens te prévenir.
   -Me prévenir?
   -Oui. Cet idiot de Julian t’a provoqué en duel à l’aube, avant que nous prenions la route.
   -Pourquoi cela? Je n’ai pas souvenance de lui avoir porté quelque préjudice…
   -Tu n’as rien fait, Chien. C’est moi.
   -Vous madame?
   -Oui. Ce balourd voulait partager ma couche. Je l’ai repoussé et lorsqu’il m’a demandé pourquoi, je lui ai dit que seul celui qui arriverait à te tuer en duel aurait l’honneur de pouvoir me prendre.
   Feena planta son regard dans celui du Chien. Ce dernier ne broncha pas et ne fit pas mine de s’émouvoir. Il se contenta d’incliner légèrement le buste.
   -Soit. Quelles sont les modalités de ce duel?
   -Combat à mort, les armes sont laissées au choix des combattants.
   -Bien. Veuillez dire à monsieur Julian que j’y serai.
   La femme se leva, les yeux brillants. Elle semblait apprécier la situation. Elle s’approcha du Chien, faisant mine de partir. Mais tout à coup elle propulsa son poing vers le visage de son interlocuteur. Celui-ci fit un pas sur le côté et saisit au vol le poignet de Feena. Il affichait toujours la même expression, calme et désintéressée. La chef du clan de Logre s’approcha de lui, son poignet toujours prisonnier, jusqu’à ce que leurs corps se touchent et leurs visages s’effleurent.
   -Ne me déçois pas, Chien, murmura-t-elle.
   Puis elle fit courir langoureusement sa langue le long de sa mâchoire et mordilla le lobe de son oreille avant de quitter la tente.
   Le Chien allait devoir tuer un homme. Il n’aimait pas prendre une vie sans raison, mais refuser un duel clanique signifierait passer pour un lâche et il ne pouvait pas se le permettre. Il ne se faisait guère de souci pour le combat en lui-même. Il ne connaissait pas le dénommé Julian, et s’il n’en avait pas entendu parler jusqu’à alors c’était qu’il ne devait pas être exceptionnel.
   Le camp était parfaitement réveillé à présent. On démontait les tentes, chargeait les chariots et les mules, éteignaient les feux. L’aube était déjà là. Le Chien saisit son écu et s’en équipa. Il l’avait fait adapté à son handicap en retirant la poignée de fer pour la remplacer par deux solides sangles en cuir ajustables. Il fixa le bouclier solidement sur son bras droit et prit son marteau de guerre de l’autre. Le laissant reposer contre son épaule, il sortit de sa tente et se dirigea vers le lieu du combat. Le mot avait du passer assez vite car une foule de curieux et de parieurs s’était déjà rassemblée. Le Chien aperçut son adversaire. Hurlebataille lui murmurait des choses à l’oreilles et l’homme souriait. C’était un Logre pur, il n’y avait aucun doute. De taille moyenne, puissamment bâti, les cheveux auburn et vêtu d’une armure de cuir cramoisie. Il avait dans les mains un paire de hachettes rutilantes qui semblaient parfaitement affûtées. Ses yeux verts se dardèrent sur le Chien avec un faim dévorante -mais le manchot savait que ce n’était pas la faim de tuer, mais la lubricité.
   C’était la deuxième fois que le Chien était provoqué en duel. La première remontait au début de la fédération, lorsqu’il était encore totalement valide et en un seul morceau. Un des premiers chefs à avoir plié le genou devant le sieur Link avait voulu lui disputer sa place de second. Le combat n’avait pas duré plus de deux minutes et depuis plus personne n’avait osé l’affronter. Mais les choses avaient changé. Il était manchot, et borgne à présent. Cependant il ne doutait pas de ses chances. Calmement, il pénétra dans le cercle humain et s’inclina devant Julian.
   -Je ne désire pas ce duel, dit-il, mais si vous souhaitez aller jusqu’au bout alors soit. Je suis prêt.
   L’homme ricana et l’arbitre déclara le début du combat. Le Logrien se mit à tourner autour de son adversaire, griffant l’air de ses hachettes dans le but d’impressionner le Chien. Celui-ci se contentait de pivoter sur lui-même pour garder Julian dans son champ de vision. Il ne désirait pas porter le premier coup. Julian ne tarda pas à se lasser, et dans un cri il se jeta sur son adversaire, les armes brandies. L’idiot frappa de haut en bas avec ses deux armes à la fois. Le Chien leva tranquillement son bouclier pour parer l’assaut, et tournoyant sur son pied d’appuie il porta un coup violent dans le genou gauche avec son marteau. L’articulation implosa dans un craquement qui fit grimacer le public. En criant comme un cochon à l’abattoir, le Logrien s’effondra en tenant sa jambe brisée. Le Chien écarta ses hachettes d’un coup de pied, puis sans cruauté il l’acheva en lui brisant l’arrière du crâne d’un nouveau coup précis.
   Un silence médusé s’abattit sur le campement. Sans s’émouvoir, le Chien essuya le sang qui avait giclé sur son visage avec le revers de sa manche et relevant son unique œil déclara à voix haute.
   -Nous partons dans une demi-heure.
   Conformément à la coutume, il récupéra les armes du vaincu et les glissa dans sa ceinture.
   Le voyage reprit. La colonne avalait les kilomètres à bon train. Tout autour ne s’étendait que la vaste et somptueuse plaine verdoyante d’Hyrule. On pouvait distinguer quelques hameaux à l’horizon, des bâtiments solitaires, parfois un bosquet d’arbres. Il aurait fallu voyager longtemps à l’Est ou à l’Ouest pour apercevoir un paysage différent. La plaine était le point central du pays. A l’orient s’étendait une vaste chaîne de montagnes volcaniques, le fief minier de la maison Dodongo, les Seigneurs du Péril dont les montagnes tiraient leur nom. Au pied de ces monts florissait la grande ville de Cocorico, et plus au sud poussait une forêt gigantesque et mystérieuse, territoire ancestrale de la famille Mojo. Des centaines et des centaines d’histoires et de rumeurs circulaient sur les profondeurs de ces bois, des histoires d’enfants enlevés par des fées et transformés en monstres, des contes sur des plantes parlantes et des temples en ruines. Enfin au sud de cette forêt la plaine s’étendait à nouveau jusqu’à la Grande Mer, et la Route Royale la traversait de part en part jusqu’au royaume voisin de Termina.
   A l’occident, plus au nord que la Cité d’Hyrule s’étendait une autre chaîne de montagne, plus vaste, plus haute, et perpétuellement enneigée. La fonte de ses glaciers à l’été provoquait de terribles torrents qui dévalaient les pentes glacées jusqu’à une vallée plus au sud ce qui avait donné naissance au gigantesque Lac Hylia, véritable réservoir d’eau du royaume. La famille Zora administrait ces terres, et du lac émergeaient de nombreuses rivières qui irriguaient littéralement la plaine et le royaume. La plus grosse d’entre elle avait creusé vers le sud une vallée au sein de terres rocailleuses et arides où le clan Gerudo avait élu domicile des siècles plutôt, donnant ainsi le nom de la vallée. Depuis le temps, ce clan avait été anobli par la Couronne et c’était maintenant le territoire de la famille Dragmir. Au-delà de la vallée, il n’y avait plus rien sinon un désert illimité où vivaient à ce qu’on disait les esprits des morts et des créatures terrifiantes.
   La Grande Mer bordait tout le sud du royaume et des ports avaient émergé le long de la côte au fil des décennies, mais seul Mercantîle avait su obtenir un statu international.
   L’armée remontait le long de la Route Royale, une longue route pavée et aménagée du temps des Hyliens qui parcourait l’ensemble de la Plaine et permettait de voyager relativement confortablement dans tout le royaume. Elle était assez large pour que quatre chariots avancent de front. Des ruines de tour de guet ou d’anciens fortins émaillaient le trajet, abandonnées depuis longtemps par la Couronne, car trop lointaines pour être entretenues et efficaces. De toute manière, la famille royale avait depuis longtemps perdu toute envie de reconquérir le sud de la Plaine, le territoire des clans.
   La plaine était bien assez vaste pour être partagée, et personne ne voulait se lancer dans une longue et pénible guerre afin de réclamer la suprématie de ces terres. Personne sauf le sieur Link. Personne ne savait vraiment d’où il venait, mais il avait accompli l’exploit en sept années de campagne à réunir sous sa bannière l’ensemble des clans. Sept longues années qui avaient paru interminables au Chien, même si lui-même n’avait été enrôlé qu’à partir de la seconde. A présent il aspirait à du repos et une retraite tranquille, et il espérait trouver tout cela à la Cité.
   Un après midi -une semaine avait passé environ depuis son duel contre Julian-, alors qu’il supervisait la construction du camp pour la nuit, un soldat vint le voir pour lui enjoindre de retrouver le sieur Link dans la tente de commandement. Il s’y rendit dans l’instant. En soulevant le rabat, il remarqua que l’état major au complet était réuni : Feena Hurlebataille, bien sûr, Colin le Reître, lieutenant officiel et ami d’enfance de Link, Fehnir, chef du clan des Têtes-jaunes, reconnaissable à son visage peinturluré, et d’autres menus chefs. Et bien entendu, le sieur Link lui-même.
   L’homme était assis sur un grand siège confortable derrière une table de campagne sur laquelle s’entassaient des cartes d’Hyrule. Même pour un homme il était facile de comprendre qu’il était d’une beauté à couper le souffle. Bien qu’âgé de plus de vingt-huit ans, ses traits fins et nobles gardaient une certaine candeur. Ses yeux étaient d’un bleu d’une pureté océane, mais où se lisait une grande autorité, une intelligence redoutable et une grande confiance. Sa souple chevelure blonde encadrait son visage en deux longues mèches, tandis que le reste disparaissait sous un curieux bonnet vert qui ne le quittait jamais. Ses oreilles étaient en pointe, attestant de son haut lignage Hylien. Il portait des vêtements du même vert que son blason : une tunique longue en civile, une armure de demi-plates vertes en bataille. Sa silhouette était plutôt petite, mais fine et musclée. On le devinait fort et vif, agile et dextre. Il était bon dans toutes les choses du combat, de la lance à l’épée, de l’arc aux fléchettes en passant par le bâton et la masse. Il se dégageait de lui un fort magnétisme et une sensation de puissance et d’autorité qui poussait les soldats à le suivre aveuglément et à se surpasser.
   Link releva les yeux vers son Chien, et ce dernier y lut du dégoût. De honte, il détourna le visage. Il savait qu’il était laid, et s’en désolait. Il ne voulait pas infliger à son maître de devoir subir une telle vision. Mis à part Colin, son ami, et Feena, dont il ne savait plus trop quoi penser, tous eurent un rictus de complaisance à son encontre. Il laissa coula, il n’y était que trop habitué.
   -Vous désiriez me voir, sire?, fit-il en s’inclinant.
   -En effet.
   La voix de Link était comme une mélodie. Claire, chantante, troublante, mais le Chien savait qu’elle pouvait être aussi incisive et tranchante qu’une lame affûtée.
   -Un messager à cheval est arrivé. Notre bon roi me demande expressément de chevaucher à bride abattue pour le rencontrer au plus tôt. Il me suggère de précéder l’armée, et précise qu’il a envoyé un contingent pour nous « escorter ».
   Les chefs de clan ricanèrent. Link ne leur accorda même pas un regard.
   -Et je vais m’empresser de suivre ce conseil avisé, conclut-il avec un petit sourire.
   Les chefs en eurent le souffle coupé. Avant qu’ils ne réagissent, le Chien anticipa l’ordre de son maître.
   -Dois-je rester pour assister le Lieutenant?
   -Non. Toi, tu viens avec moi. Colin aussi d’ailleurs. Fehnir, j’attends de toi que tu commandes l’armée en mon absence, mais pas en tant que Tête-Jaune mais bien en tant que mon suppléant. Si j’apprends que tu as été l’origine de troubles quelconques, tu en répondras devant moi, c’est clair?
   -Mon seigneur, s’inclina de mauvaise grâce l’intéressé.
   Tous les chefs de clan avaient ployé le genoux devant Link et tous respectaient sa force. Mais tous n’étaient pleinement satisfaits de la situation. Beaucoup étaient des hommes et femmes fiers et fougueux, qui supportaient assez mal leur nouveau statu de vassal.
   -Feena, tu viens aussi. Désigne une vingtaine des meilleurs hommes pour nous accompagner, reprit Link en se levant. Chien, assure toi qu’on nous prépare suffisamment de provisions et fait seller les meilleures montures. Je veux être parti dans deux heures. Rompez.
   Le Chien, Colin et tous les autres s’inclinèrent ou se tapèrent le poing sur le cœur et sortir sans échanger un mot. Lorsqu’Hurlebataille passa à côté du Chien, elle le bouscula brutalement de l’épaule mais ne se retourna pas.
   -Sacrée bonne femme celle-là, commenta Colin en observant d’un air rêveur le lascif balancement des fesses de la chef. Je crois que tu lui as tapé dans l’œil.
   -Si tu le dis, répondit le Chien en se détournant aussitôt.
   Il avait une mission à mener à bien.
   Sans trop savoir pourquoi, lorsque le petit groupe mené par Link en personne franchit le camp, et que la Plaine s’offrit à leur yeux dans toute son imposante splendeur, le Chien eut un mauvais pressentiment.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le dimanche 02 mai 2010, 01:14:08
[align=center]II
-Kaepora-[/align]



   La Cité s’étendait sous lui, belle et blanche comme au premier jour. La foule insouciante vaquait à ses occupations ; des volutes paresseux de fumée blanche voletaient hors des cheminées et des forges ; l’éclat presque aveuglant de ce soleil de début de printemps se reflétait sur les vitres des maisons et des auberges ; le vent léger et divinement rafraîchissant s’infiltrait sous les toits d’ardoises en sifflant une ballade. Il ne se lassait jamais de survoler son foyer, de le contempler dans toute sa splendeur.
   Il rabattit ses ailes et se laissa tomber de plusieurs dizaines de mètres, vers les toits. Il venait d’apercevoir un rat blanc se faufilant sur les arrêtes des toits, et son estomac grondait. Silencieux comme la mort, il se laissa choir sur lui, et le captura dans ses serres. Il ne lui laissa pas le temps de souffrir, et tout en mangeant gardait un œil sur les passants en contrebas. Trois semaines avaient passé déjà depuis la cérémonie de la Grâce, mais l’humeur et le moral du peuple restaient au beau fixe. Il aimait bien cela.
   Repu, il reprit son envol, se laissant guider par les courants ascendants, planant langoureusement au dessus des girouettes. L’auberge de Marine semblait pleine à craquer -il pouvait entendre des rires et de la musique. Le Barda de Balder était victime de son succès ; une longue queue s’étirait devant ses portes. Une foule commençait à s’amasser sur le parvis du Temple du Temps pour l’office de l’après-midi -le père Reynald était chargé de l’accueil des prieurs. Tout respirait la vie et l’allégresse.
   Il bifurqua vers le nord et survola quelques minutes plus tard les magnifiques jardins extérieurs. Les ravages qu’avait causé la cérémonie de la Grâce avaient déjà été rattrapés par le maître jardinier, et la pelouse croissait, grasse et bien verte. Les allées ombragées s’engouffraient dans de somptueux labyrinthes floraux, de vastes parterres colorés attendaient les piqueniqueurs et les lecteurs, des bancs de marbre finement ouvragés accueillaient toute sorte d’intellectuels en quête d’un lieux calme où réfléchir. Les demoiselles marchaient bras dessus bras dessous, s’échangeant à voix basse des ragots et des rumeurs croustillants sur la Cour et en pouffaient de rire.
   Il aperçut le court Lord Dumor en pleine partie d’échec avec le beau Lord Dorf. Ceux-ci étaient deux exacts opposés,  il s’étonnait donc de les trouver là partageant un jeu. Un peu plus loin, sous les peupliers qui ombrageaient généreusement la petite mare, une prestigieuse assemblée s’amusait calmement, profitant du beau temps. Lord Darunia, ses trois fils Ser Sedrik, Ser Goro et Ser Allister et son frère Lord Darmani, Lady Ruto, Lady Saria, la fille de Lord Dumor et son frère Ser Mido, la reine Ishtar et ses enfants, la Princesse Zelda et le Prince Nohansen, étaient assis, allongés ou debout dans l’herbe fraîche et la Princesse semblait donner de sa splendide voix? accompagnée sur un air joué par Lady Saria et Lady Ruto. Il avisa au dernier moment, en dépassant les peupliers, l’énigmatique Tarquin, adossé à un arbre un peu à l’écart.
   Battant des ailes, il s’éleva au dessus des flèches du château, et craignit un instant que les gardes de faction ne tentassent de l’abattre. Mais aucun n’en fit rien, et il s’éloigna promptement de peur qu’ils ne changeassent d’avis. Son regard se porta sur l’imposante silhouette du Volcan du Péril, loin à l’Est, dont le sommet creux était auréolé d’un impressionnant rond de nuage gris. Tournoyant sur lui-même, il retourna vers la Cité, appréciant le vent caressant son plumage. Il adorait la sensation de voler, cette liberté qu’il ne pouvait avoir au sol. Avec un certain regret, il se laissa porter par les courants vers le gigantesque bâtiment de pierre blanche à l’ouest de la ville.
   Le Consortium Aedeptus. Il avait un jour aimé sincèrement son architecture de temple, avec ses hautes colonnades, ses cours ouvertes, ses cloîtres et ses longs couloirs, les fenêtres sans vitrages, les sculptures qui ornaient son front et ses flancs, ses textes en vieil Hylien gravé dans la pierre. Oui, il l’avait aimé. Mais à présent, le Collegium de magie ne lui évoquait rien de plus qu’une prison. Il piqua légèrement vers l’une des fenêtres située le plus haut, et atterrit en s’aidant de ses ailes sur le rebord de pierre. Ses yeux semblables à deux perles noires scrutèrent l’intérieur de la chambre, vaste mais austère. De nombreuses bibliothèques s’alignaient le long des murs nus, et des tables d’expérimentation jonchées de grimoires, de matériel alchimique, de composants et d’ingrédients occupaient le reste. On se demandait comment l’occupant des lieux avait réussi l’exploit de trouver un peu de place pour un grand lit confortable mais sobre. Le seul ornement visible était un impressionnant tapis recouvrant le sol de pierre froide, représentant la carte de l’Hyrule des Hyliens -autant dire une relique. Sur ce même tapis, un vieil homme doté d’un fort embonpoint se tenait assis, les jambes croisées et le dos des mains posées sur les genoux. Il fermait les yeux et semblait être dans une sorte de transe. Son visage rond et chauve inspirait tout de suite la sympathie et la confiance, jusqu’à sa longue barbe hirsute. Se peau était toute fripée et ridées, mais c’étaient les rides du rire qui se voyaient le plus. Il était vêtu d’une sobre robe brune, sur laquelle on avait discrètement cousu des motifs complexes.
   Il l’observa un court instant… et soudain il contemplait un gros hibou marron. L’animal poussa un piaillement et s’agita sur le rebord de la fenêtre. Il semblait légèrement confus. Avec un soupir, Kaepora se releva péniblement. Il avait un besoin certain d’exercice. Il avança vers l’oiseau en tendant le bras et celui-ci y sauta sans se poser de question.
   -Mon brave Gaebora, fit le vieil homme en caressant affectueusement son familier, je ne te remercierais sans doute jamais assez pour ces moments que tu me fais vivre.
   Il le déposa sur son perchoir favoris, sa plus vieille bibliothèque. Aussitôt l’oiseau de nuit entreprit de s’endormir, manifestement satisfait. On frappa à sa porte.
   -Maître Kaepora!, fit la voix étouffée de la jeune Médolie.
   -C’est ouvert mon enfant.
   La porte s’ouvrit sur une jeune fille d’une quinzaine d’années. Son visage assez mignon au nez faisant penser au bec d’un oiseau était rouge d’avoir couru à travers les couloirs. Ses longs cheveux châtains étaient attachés en queue de cheval et elle portait la robe des apprentis.
   -Et bien, qu’est-ce qui te tracasse tellement que tu t’es mise dans cet état là?, demanda Kaepora avec son doux sourire.
   -C’est… commença Médolie en cherchant son souffle. C’est l’archi-maître Exelo qui m’envoie vous chercher. Vous… Vous êtes attendu pour une session extraordinaire… du conseil des maîtres.
   Le vieil homme poussa un soupir à fendre l’âme, et la jeune fille lui adressa un petit sourire gêné.
   -Bien, je te remercie. Je m’y rends de ce pas.
   Le conseil des maîtres, qui se tenait d’ordinaire une fois par mois, se réunissait dans un salle spéciale dont l’accès n’était connu que des maîtres eux-mêmes. En y pénétrant, Kaepora avisa qu’il était, comme de coutume récemment, le dernier. Les maîtres prenaient place dans de confortables fauteuils à haut dossier autour d’une vaste table en bois ouvragé. Tous les plus grands jeteurs de sorts, ensorceleurs, enchanteurs, magiciens, mages et thaumaturges du royaume étaient là : L’archi-maître Exelo dont l’âge avancé tenait de la légende, Agahnim le Sombre, Premier Conseiller du Royaume, Vaati le Beau, Xanto le Facétieux dont le visage caché derrière un masque en fer de démon grimaçant n’avait jamais été aperçu, et le sage Sahasrahla. Parmi tous ses pairs, il n’y avait guère que Sahasrahla qu’il appréciait. Les autres n’étaient que des arrogants, des opportunistes, des comploteurs, des sournois.
   Tandis qu’il prenait sa place sans un mot entre Vaati et Agahnim, il sentait leurs regards qui pesaient sur lui. S’il n’avait pas tant aimé ses jeunes élèves et l’enseignement, il y aurait eu longtemps qu’il se serait échappé. Kaepora détestait le Consortium Aedeptus, du moins ce qu’il était devenu, et les hommes qui en étaient la cause.
   -Comment se porte votre stupide volatile?, lui demanda Vaati en tordant sa jolie bouche d’un sourire sardonique. Je me demande toujours comme il peut porter son propre poids. Il est aussi empâté que son maître.
   Vaati, dit le Beau à cause de son visage androgyne pâle aux cheveux blanc et aux lèvres carmins, était le pire du lot. Trop vaniteux, il prenait un plaisir malsain à humilier les autres dès que l’occasion se présentait. Et il était inutile d’essayer de laver l’affront par le duel : c’était le but de l’animal. Sa puissance n’avait d’égal que celle d’Aghanim, et nombreux furent ceux à périr en essayant de lui faire ravaler son orgueil. Kaepora avait ainsi assisté à la mise à mort de plusieurs de ses vieux amis et élèves adorés. Pour une raison inconnue, il semblait être sous la pleine protection de l’archi-maître. Kaepora avait résolu depuis longtemps de l’ignorer. Ce qu’il fit.
   -Bien que nous ne pouvons nier totalement ce fait, intervint Agahnim, nous ne sommes pas ici pour parler d’oiseaux.
   Agahnim était un mage respectable la plupart du temps. Appelé le Sombre non pas en raison d’un éventuel penchant pour la magie noire mais parce qu’il parlait peu et se faisait souvent discret ; il semblait tirer moins de fierté de sa magie et plus de sagesse. Il était assez grand et puissamment bâti. La majeure partie de son visage était dissimulée par une espèce de capuche rouge retenue autour du crâne par un tiare d’or ceint d’un triangle sur le front. Il s’habillait la plupart du temps d’une robe de mage rouge vif avec des motifs brodés au fil d’or symbolisant des flammes et il se chaussait de babouches du même rouge. Ses doigts épais étaient ornés de bagues diverses en argent ou en or. Enfin il arborait sur son torse un étrange emblème : on aurait dit l’emblème du Sheikah, mais celui-ci était bleu et ne pleurait pas de larme. Au lieu de cela, deux ensembles de trois triangles le flanquaient en haut et en bas, figurant, selon Kaepora, des cils.
   -De quoi parlerons-nous, en ce cas? Fit Sahasrahla en caressant sa longue barbe d’une main distraite.
   Le maître Sahasrahla avait l’apparence typique du magicien des contes. Presque centenaire, son visage n’était plus qu’un entrelacs de rides et de chaires flasques, bien que ses yeux gris restaient illuminées d’une redoutable intelligence et d’une vivacité surprenante sous ses épais sourcils gris. Les cheveux avaient depuis longtemps déserté le sommet de son crâne pour venir semblait-il se réfugier dans sa barbe emblématique dont il se faisait une ceinture. Petit et voûté, il se cachait sous une ample toge rouge sans ornement, le même rouge que la tenue d’Agahnim qui fut autrefois son élève préféré. Sahasrahla était un petit bonhomme plein d’intelligence et de sagesse, et Kaepora qui le connaissait bien n’aurait jamais pu s’imaginer la présence de la moindre once de malignité en lui.
   Xanto poussa un hurlement de rire aussi bref qu’inattendu. Il n’y avait pas grand-chose à dire sur Xanto, car personne ne savait qui il était -ou ce qu’il était. Il était grand dans des proportions presque ridicules et dissimulait son visage sous un massif masque de fer figurant une tête de démon tirant la langue. Il s’habillait de vêtements amples aux manches longues, toujours noirs, et qui suivaient parfaitement sa démarche de danseur. Xanto ne disait presque jamais rien de censé ou de cohérent, mais il s’avérait être extrêmement doué pour la magie ce qui lui avait valu sa place de maître. Kaepora ne le supportait pas, probablement parce qu’il le trouvait un peu terrifiant. Son surnom de Facétieux lui venait de sa manie de pousser régulièrement des rires tonitruants et brefs, souvent dans les moments les plus inattendus.
   -Nous parlerons, répondit Exelo sans prêter attention à l’intervention de Xanto, de l’arrivée prochaine de ce prétendu… Héros.
   Exelo était une énigme, une insulte vivante jetée à la face du temps. Âgé de plus de cent cinquante ans d’après la rumeur, il n’en avait que quarante d’aspect. Ses traits étaient durs et sérieux, ses yeux deux puits bleus de connaissance pure. Il arborait une moustache fine et tombante du même blanc que ses cheveux soigneusement coiffés en arrière. Son vêtement traditionnel était une robe légère jaune d’or agrémentée d’une ceinture écarlate. L’air autour de lui était chargé d’énergie et il exsudait de sa silhouette fine une terrifiante impression de force. Kaepora l’avait connu dans sa jeunesse comme quelqu’un de gentil et patient, mais au fil des ans l’archi-maître était devenu colérique, intolérant, recherchant sans cesse une certaine élite dont doter son entourage. Cela expliquait peut être la protection qu’il accordait à Vaati.
   -Je ne vois pas pourquoi tout le monde en fait un tel événement, déclara ce dernier en passant une main négligente dans sa fine chevelure. Je veux dire… Ce n’est qu’un bouseux qui sort de sa brousse.
   -Un bouseux qui s’essuiera bientôt les bottes sur les marches du trône, rétorqua Exelo en lissant ses moustaches.
   Vaati haussa les épaules, un petit sourire aux lèvres.
   -Et alors? Je persiste à dire que cela ne change rien. Nous ne rendons déjà pas de compte à ce vieillard de Salomon, alors pourquoi en rendrions nous à un barbare décérébré?
   -On dit l’homme puissant et ambitieux, intervint Agahnim. Il pourrait vouloir se mêler de nos affaires.
   -Quand bien même, nous n’aurons qu’à le dissuader de vouloir en apprendre plus. Ce n’est pas comme si nous ne l’avions jamais fait…
   Kaepora ne prononça pas une seule parole durant toute la durée du Conseil, et on ne le sollicita pas non plus. En son temps, le conseil s’occupait de résoudre les problèmes internes du Collegium, les altercations entre élèves, le coût d’éventuelles rénovations ou de l’organisation d’un événement particulier. Mais depuis quelques décennies, on n’y traitait plus que d’affaires politiques sordides, de la façon de garder la mainmise sur le marché de la magie et des « gêneurs » à « dissuader ». Tout cela rendait le doux maître malade, mais il ne pouvait rien y faire. Même le sage Sahasrahla était entré dans le cercle, contre son gré très certainement, et quoique Kaepora eut pu dire n’aurait rien changé à la situation. Il savait d’ailleurs pertinemment qu’il ne faisait plus partie des projets du Consortium, et que sa présence n’était plus requise que par respect du protocole.
   Les conspirateurs ne craignaient pas qu’il allât révéler quoique ce fut à quiconque. Quel intérêt aurait-il eu à faire cela? Aucun, si ce n’était celui de se mettre en danger. Non, il était plus avisé de fermer les yeux et de se concentrer sur l’enseignement.
   Malgré tout, il avait un curieux pressentiment.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le mardi 04 mai 2010, 19:23:57
[align=center]III
-Malon-[/align]

   -Vous ne comprenez pas, cria Zelda, les yeux rougis de pleurs refoulés, il est intolérable que je me présente à mon futur époux habillée comme la pire des souillons, et ce minable tailleur se moque de moi! Je lui avais pourtant bien dit que je voulais des diamants, et pourtant il a mis des perles! Des perles!
   La jeune princesse arpentait la pièce d’un pas rageur, sa robe de satin bleu trainant derrière elle comme la queue d’un serpent. Ses magnifiques yeux azurs exprimaient à la fois une colère noire et un désespoir insupportable. L’objet de son ire était allongé sur le lit, une magnifique pièce en soie blanche, finement travaillée, coupée à la perfection, savamment décorée de perles blanches iridescentes.
   Une robe qui avait dû coûté une fortune, songea Malon, et qui pourtant ne serait jamais portée à cause de malheureuses perles.
   Son père avait beau avoir été anobli quelques années auparavant, elle ne pouvait s’empêcher de se soucier des choses de l’argent. Et voir un tel gâchis lui serrait le cœur. Cependant, en tant que simple courtisane, elle ne souffla mot et se contenta de continuer son ouvrage de broderie, la tête consciencieusement baissée. Croiser le regard de la princesse à ce moment là aurait été une erreur. La princesse cherchait quelque chose ou quelqu’un sur lequel canaliser sa rage, et malgré sa faible corpulence, ses gifles étaient cuisantes.
   Malon en savait quelque chose.
   -Je ne vois pas où est le problème, déclara la jeune Lady Saria en s’approchant de la fameuse robe. Ces perles seront du plus bel effet sur son Altesse.
   Zelda s’arrêta dans son mouvement et tourna le regard  vers l’impudente. Sa bouche s’ouvrit plusieurs fois, les lèvres tremblantes, comme cherchant les mots qui allaient la franchir. Finalement elle explosa :
   -Ces perles seront du plus bel effet, dites vous? Petite idiote! Qu’en savez-vous, vous, de ce qui est du plus bel effet? Peut être aimez vous vous vêtir de guenilles, mais cela n’est pas le cas de tout le monde!
   -Je ne voulais pas offenser son Altesse, s’inclina Lady Saria sans se démonter, mais il serait dommage de gâcher une si belle robe.
   Malon acquiesça en son for. Elle aimait bien Lady Saria. Elle n’avait que onze ans, mais elle était déjà d’une telle maturité! Elle était vive, et drôle, et tout le temps enjouée! D’une si charmante compagnie! Elle au moins n’avait cure de salir ses atours dans les jeux, ou de se crotter en s’écartant un peu du sentier équestre pour admirer un paysage. Et puis elle était douce et gentille avec ses gens. Malon aurait tellement été contente d’être sa suivante!
   -Une si belle robe?, répéta bêtement le princesse. J’aurais honte de vêtir ma bonne avec ça. Regardez moi cette coupe grossière, ce tissu rêche. Une véritable désolation.
   -Allons, Zelda, ne faites pas l’enfant, intervint la reine Ishtar. Cette robe vous va à ravir et ce n’est pas quelques malheureuses perles qui y changeront quelque chose. Vous la porterez un point c’est tout, et il n’y a rien à discuter.
   La mère et la fille s’affrontèrent du regard, et une tension presque palpable envahit soudain la chambre princière. L’orage n’allait pas tarder à éclater. Malon remarqua que la princesse serrait les poings de rage, que ses lèvres tremblaient et que son visage avait pâli. Les signes avant-coureurs d’une vive colère. Il n’allait pas faire bon être dans les parages.
   -Sortez…, souffla-t-elle soudain. Sortez, toutes les deux.
   -Princesse, je… voulut intervenir Lady Saria mais Ishtar la coupa aussitôt.
   -Faites ce qu’elle dit.
   Lady Saria fit une révérence pleine de grâce, et fit signe à Malon de la suivre. La jeune femme s’exécuta sans rechigner, saluant sa maîtresse et sa reine d’une rapide courbette et referma la porte derrière elle. Aussitôt on entendit les éclats de voix de la princesse qui hurlait.
   -Venez, dit Saria en lui prenant la main, éloignons nous.
   Elles longèrent en silence les fastueux couloirs de l’aile résidentielle, croisant une multitude de serviteurs, journaliers, artisans et nobles affairés à préparer le Château en vue de l’arrivée imminente du Héros. Malon suivait la petite silhouette enfantine aux cheveux verts sans rien dire. Elle était heureuse d’avoir pu échapper à la dispute entre la princesse et sa mère la reine. Leur relation s’était tendue dernièrement, et ce genre d’événements n’était hélas plus si rare. La courtisane était triste pour la reine. Elle était tellement malade, et elle devait supporter d’affronter sa petite effrontée de fille.
   Malon ne pouvait s’empêcher d’haïr sa maîtresse. C’était une petite fille trop gâtée, imbue d’elle-même, méprisante, colérique et violente. Instinctivement, elle se frotta le bras droit, là où elle l’avait frappée avec un chandelier en bronze une semaine plutôt. Par les Déesses, elle n’avait pas réussi à lui fracturer les os, mais un gros hématome violacée lui ornait dorénavant le bras. Elle espérait que lorsqu’elle épouserait le sieur Link, elle ne se soucierait plus d’elle, ou alors qu’elle l’enverrait auprès de Lady Saria, ou de Lady Ruto. Ce serait tellement merveilleux!
   Perdue dans ses pensées, elle ne se rendit compte de l’arrêt soudain de Lady Saria qu’au dernier moment et eut toutes les peines du monde à ne pas la percuter. Elles étaient devant les appartement de la jeune fille.
   -Malon, fit Saria d’un air embarrassé. Tu devrais attendre un peu avant de retourner auprès de ta maîtresse… Ce sera sans doute mieux ainsi.
   Malon n’avait pas besoin d’en entendre plus pour comprendre. Elle fit une courbette avant de répondre.
   -Madame est trop bonne.
   Elles échangèrent un sourire gêné, puis Saria disparut derrière la porte de ses quartiers. Ne sachant trop que faire pour occuper son temps, Malon entreprit de dénicher son père. Les leçons d’escrime avaient lieu dans la matinée, et Ser Talon aimait à paresser dans l’après-midi. Il devait certainement flâner quelque part entre les cuisines et les jardins.
   Malon quitta l’aile résidentielle. Le chemin le plus court pour arriver aux cuisines passait par la grande bibliothèque.  Bien qu’elle ne sût pas lire, elle appréciait la sérénité du lieu, son immensité et son odeur de vieux parchemin et de cuir tanné. Il n’y avait d’ordinaire jamais beaucoup de lecteurs, car la Cour n’accueillait pas énormément d’érudits, et que la bibliothèque royale était moins fournie et plus difficile d’accès pour les gens du commun que celle du Consortium Aedeptus.
   C’était le cas ce jour là. Il n’y avait pas un chat. Malon se hâta, mais arrivée au milieu des rayonnages, elle s’aperçut soudain qu’elle n’était pas seule. Une petite silhouette verte était assise à une table d’étude, une courte pile d’ouvrages à son côté. Elle lui tournait le dos mais Malon n’eut aucun mal à l’identifier, par l’emblème de sa maison -l’émeraude ceinturé d’or sur champ sinople-, sa caractéristique chevelure jaune-verte et l’étui à violon qui reposait sur le sol non loin de lui. Il ne faisait aucun bruit, et semblait totalement absorbé dans sa lecture…
   Ce qui était impossible puisque Fado le Faiseur de Vents était aveugle.
   Que pouvait bien fiche ici le conseiller personnel de Lord Dumor? Malon l’avait toujours trouvé un peu effrayant, avec ses yeux fermés qui semblaient pourtant tout voir, et son éternel petit sourire candide. Et puis c’était un magicien, et elle savait bien qu’il fallait rester loin de ces gens là. Le cœur battant, elle résolut de le contourner. Faisant demi tour, elle prit grand soin de ne faire aucun bruit. Elle était presque parvenue à la porte, quand une voix derrière elle la fit sursauter.
   -Chercherait-on à m’éviter, jeune fille? Ce ne serait guère poli…
   Il se tenait assis sur le deuxième rayon d’une des échelles du bibliothécaire. Il avait callé son étrange violon dans le creux de son cou et pinçait les cordes comme pour l’accorder. Malon, rougissant de honte, s’empressa de faire une courbette.
   -Monseigneur semblait très occupé, je… je ne voulais pas le déranger.
   Le sourire immuable de Fado s’agrandit un peu.
   -Bien sûr. Il eut été grossier de déranger un aveugle dans une séance de lecture. Votre éducation vous honore, mademoiselle.
   Malon aurait voulu disparaître dans le sol. Elle se faisait l’impression d’être une vraie idiote! Fado était à peine plus grand qu’elle, mais en comparaison elle se sentait minuscule.
   -Je…, voulut-elle s’expliquer mais aucune phrase intelligente ne lui vint.
   -Allons, ne vous tracassez pas pour si peu. Je vous faisais marcher. J’ai hélas l’habitude de faire fuir mes contemporains. Vous comprenez, un aveugle n’est jamais de très plaisante compagnie…
   Il prit son archet de sa main libre et le posa sur les cordes sans pour autant le faire glisser. Il semblait attendre une réponse.
   -Je… heu… A moi, vous m’êtes d’une très agréable compagnie, monseigneur.
   Fado eut un petit rire sincère.
   -Approchez, dans ce cas.
   -Mon… Monseigneur?
   -Allons, n’ayez pas peur.
   Peu rassurée, Malon s’exécuta. Fado dégageait une étrange odeur de plantes et de fleurs, qui calma la jeune femme d’une façon qu’elle ne s’expliquait pas. Lorsqu’elle jugea être suffisamment près, elle se stoppa.
   -Penchez vous.
   Elle se demanda ce qu’il comptait bien faire, mais obéit tout de même. Son rang ne lui permettait pas de faire autrement. Il tendit une main vers elle, et elle ferma les yeux en se contractant. Alors voilà, il voulait simplement la toucher… Il n’était pas différent des autres. Pendant une courte seconde, elle en fut curieusement déçue.
   Mais si Fado la toucha effectivement, ce n’était cependant pas de la façon dont elle s’y attendait. Sa main rendue calleuse par la pratique de l’instrument effleura délicatement les contours de son visage. Elle comprit tout à coup : il voulait simplement la visualiser! Elle eut un soupir de soulagement et se calma.
   Au bout d’un certain temps, Fado retira sa main et commenta :
   -Vous êtes d’une grande beauté, mademoiselle.
   Ne s’attendant pas le moins du monde à un compliment, Malon en resta un moment éberluée.
   -Je… Monseigneur est trop bon avec moi.
    -Non, je le pense sincèrement. Comment vous appelez vous, chère enfant?
   -Malon, monseigneur.
   -Ha! La fille de Ser Talon.
   -Pour vous servir, monseigneur.
   -On m’avait déjà vanté votre beauté, et maintenant que j’ai eu l’occasion de la constater de moi-même je ne peux le nier.
   Il dut sentir que l’écarlate sur les joues de Malon s’accentuait car il eut un autre petit rire.
   -Vous devriez probablement filer à présent, Malon fille de Talon.
   La jeune fille était parfaitement d’accord avec cela. Elle commençait à trouver la discussion gênante et trop étrange. Fado se releva, rangea son violon et entreprit de retourner à ses livres. Malon le regarda, et lorsqu’il disparut au détour d’un rayonnage, elle entendit sa voix raisonner dans la bibliothèque.
   -Et prenez garde à l’Ombre.
   Malon ne revit plus Fado durant plusieurs jours et elle s’en félicita. Elle apprit de la bouche de sa maîtresse (qui avait finalement décidé de garder la robe aux perles) que le Héros n’était plus qu’à trois jours de chevauchée du Château. La ville était en effervescence. Des centaines de villageois décoraient les rues avec des banderoles colorées, les maîtres artisans s’acharnaient jour et nuit afin de produire la meilleure marchandise possible à proposer au Héros et ses fidèles soldats, la Guilde des alchimiste avait été chargée de créer le plus beau feu d’artifice jamais vu… Rien n’était laissé au hasard. Par ordre du roi, il fallait absolument que tout soit parfait.
   Malon aurait aimé pouvoir se joindre aux préparatifs, mais elle était forcée de rester avec sa maîtresse, en sa qualité de courtisane. Depuis l’épisode de la robe, elle n’avait plus eu l’occasion de revoir Lady Saria. Alors, pendant que Zelda passait ses journées à essayer atour sur atour, bijou sur bijou, la jeune femme se laissait aller à une douce rêverie à propos du Héros. On le disait beau comme le jour, fort comme mille et précis comme la foudre. Partout on vantait ses prouesses et sa légende ne cessait de croître, toujours plus folle, toujours plus alléchante.
   Mais il y avait un autre homme dont on racontait les exploits, un homme caché dans l’ombre du Héros. On disait de lui qu’il était cruel comme un bourreau, laid comme un monstre, et fort comme un bœuf. Certains allaient jusqu’à dire qu’il n’était qu’un ogre que le Héros avait miséricordieusement épargné, et que depuis il le suivait partout et accomplissait toutes ses volontés. C’est pourquoi on l’appelait le Chien. Un homme qui avait voué sa complète existence au service d’un autre.
   Malon avait entendu le Prince Nohansen en parler avec une voix fébrile d’excitation. Elle ne comprenait pas pourquoi, si c’était vraiment le monstre qu’on décrivait? Quoiqu’il en fût, Malon espérait trouver parmi les suivants du Héros un beau soldat à épouser, qui l’emmènerait loin de cette vie et de cette maîtresse…
   -… Malon! Par les déesses, es-tu vraiment aussi stupide que tu en as l’air? Cria Zelda.
   Elle était penchée sur Malon, écarlate de colère. La jeune femme eut soudain peur. Perdue dans ses pensées, elle n’avait pas entendu la Princesse lui parler. Que lui avait-elle demandé?
   -Votre Altesse je…, commença-t-elle, et dans sa précipitation elle fit tomber son ouvrage de broderie de ses genoux.
   -Par les Déesses! Mais qui m’a fichue une idiote pareille?
   La gifle qu’asséna la Princesse à sa suivante envoya cette dernière au sol, la joue cuisante et les larmes aux yeux.
   -Dehors! Tu m’insupportes!
   Malon se releva précipitamment, fit une courbette en hâte et, la tête baissée, sortit. Elle courut au hasard le long des grands couloirs, les larmes brûlantes ruisselant sur son visage silencieux. Elle ne voulait plus de cette vie. Elle voulait redevenir une simple femme du peuple. Cette existence là était plus difficile, mais au moins vivait-elle heureuse alors. Personne ne la frappait à longueur de journée en la traitant d’idiote…
   … Toute éperdue qu’elle était, elle ne vit pas la haute silhouette avant de la percuter. Deux mains puissantes l’attrapèrent par les épaules, la sauvant d’une chute certaine. Relevant les yeux en bredouillant une excuse, elle se figea de peur en apercevant l’œil sanglant brodé sur le torse de l’homme.
   -Un problème, jeune fille?, demanda Tarquin Qu’un-Œil en la dévisageant, un trait soucieux barrant son front.
   On racontait toute sorte de chose sur Tarquin, le maître du légendaire Sheikah. Mais aucune n’était rassurante. On disait qu’on ne pouvait apercevoir cet homme qu’à deux moments : au cours d’un banquet officiel, ou à l’heure de mourir. Malon eut soudain peur que la Princesse n’ait demandé qu’on l’exécute pour son incompétence.  
   Baissant vivement la tête, elle répondit d’une voix tendue et trop rapide.
   -Pardonnez ma maladresse mon seigneur, j’étais… confuse.
   -Confuse? Quelque chose s’est passé?
   Il ne semblait pas vouloir la lâcher. Elle commença à trembler, malgré ses efforts pour arrêter.
   -Non mon seigneur, rien ne s’est passé, rien du tout. C’est juste que je pensais au sieur Link, à tous ces gens qui arriveront bientôt… Cela risque d’être grandiose, n’est-ce pas?
   -Oui, très certainement. Et maintenant, si tu me parlais de la vraie raison?
   Elle se glaça. Que voulait-il dire?
   -La… La vraie raison, mon seigneur?
   -Je ne sais pas ce que tu as entendu à mon sujet, jeune Malon, mais tu n’as pas à être effrayée. Je sais comment te traite la Princesse.
   Abasourdie, elle releva les yeux. Le visage de Tarquin était dérangeant, mais elle se fit violence pour le regarder dans l’œil. Elle y eut lu, à son grand étonnement, de la compassion.
   -Et si je peux te faire une confidence, elle a véritablement besoin que quelqu’un la remette à sa place.
   Il lui fit un clin d’œil, et malgré elle, malgré la peur qu’il lui insufflait, elle eut un petit rire. Il la lâcha.
   -Tu ne devrais pas courir comme ça dans les couloirs ça peut être dangereux.
   -Pardonnez moi, mon seigneur. Je ne le ferai plus.
   -Je le sais. Enfin, le plus important c’est que je t’ai enfin trouvée.
   -Vous… Vous me cherchiez, mon seigneur?
   -Tout à fait…
   L’Œil unique de Tarquin la dévisagea un long moment. Les larmes de la jeune fille recommencèrent à couler. Elle était tétanisée.
   -Vous… Vous allez me tuer?, demanda-t-elle d’une toute petite voix.
   La question dut prendre le Sheikah au dépourvu, car ses sourcils se soulevèrent en signe d’étonnement.
   -Te tuer? Quelle drôle d’idée!
   -Mais… Ce n’est pas… Ce n’est pas la Princesse qui vous envoie pour…
   -Ha! Je comprends maintenant. Non, non, rien de cela, tu n’as rien à craindre. Je n’ai aucun ordre à recevoir de la Princesse, et le bon roi Salomon ne tolérerait jamais un acte aussi odieux. Non, je te cherchais car je compte t’assigner ailleurs. Il n’y a que trop longtemps que tu as à subir les colères de la Princesse.
   Malon n’en  croyait pas ses oreilles. Avait-elle bien entendu? Cela pouvait-il être vrai, ou n’était -ce que son imagination qui lui jouait un tour?
   -Vous voulez dire que vous m’envoyez auprès de Lady Saria?
   -Non point.
   -De Lady Ruto, peut être?
   -Non plus.
   Tarquin secoua la tête.
   -Non, maître Baelon et moi avons d’autres projets pour toi, jeune Malon.
   Le vieil homme borgne eut un énigmatique sourire.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le samedi 08 mai 2010, 12:38:43
Record personnel battu!

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[align=center]IV
-Le Chien-[/align]


   -Il a beau être le plus laid des animaux, je veux que mon Chien n’en soit pas moins présentable, avait dit Link en laissant tomber un paquet de vêtements propres aux pieds de son lieutenant officieux.  Ton odeur est infecte, va te laver à la rivière. Et coupe moi cette horrible tignasse pouilleuse, le chien d’un roi doit avoir le poil soigné.
   Ainsi le Chien revint-il au campement rasé de frais, ses cheveux noirs de jais dégoulinants d’eau et amputés de la moitié de leur longueur, les laissant reposer sur ses épaules. Les massives silhouettes de la Cité et de la Citadelle d’Hyrule les toisaient dans le noir de la nuit, leurs faces titanesques illuminées des feux de garde disposés le long des murailles. Le Chien n’avait jamais rien vu d’aussi beau et d‘aussi gigantesque, ayant vécu la majeure partie de sa vie sur la Plaine. Il était fourbu, physiquement las, il n’aspirait plus qu’à du repos, beaucoup de repos, et cela n’était plus qu’à une petite journée de marche. Ils auraient pu y être cette nuit là, mais Link avait préféré retarder leur arrivée d’un jour afin de pénétrer dans la Cité à midi pile.
   Le Chien comprenait, cela accentuerait son triomphe : toute la foule rassemblée pour acclamer son Héros illuminé par le soleil de la mi-journée. Cependant la chaleur risquait d’être vite incommodante sous les armures de cérémonie qu’avait faites faire le Héros.
   -Je vais te dire un truc moi, mon pote, fit Colin alors que le Chien s’installait près du feu pour prendre son tour de garde avec le lieutenant officiel. Tu vois ce gros truc là-bas? Ce machin avec des tours et tout le bazar? Et bien écoute moi bien : c’est un putain de nid à donzelles! On va pouvoir s’en foutre jusque là, yen a pour tous les goûts, toutes les envies! Le paradis, mon gars.
   -Si tu le dis.
   -Hé, tu sais ce qui va pas avec toi? C’est que t’es un foutu rabat-joie. Tu souris jamais!
   -Sourire me fait mal.
   -Ha… Ouais, pardon.
   -Ce n’est pas grave.
   Un silence s’installa entre eux, gêné pour Colin, naturel pour le Chien. La nuit était calme. Ils n’entendaient que le crépitement du feu, les premiers chants d’insectes estivaux, et les grognements de plaisir qui montaient des tentes. Malgré ses paroles, le Chien savait que Colin n’était pas un coureur de jupons. Il était au contraire un romantique dans l’âme. Ce n’est que par amitié pour Link qu’il l’avait suivi dans la voie de l’épée. Il espérait se trouver une gentille petite femme et faire un mariage tranquille et heureux. Le Chien l’appréciait pour cela. Il était l’une des rares personnes de l’armée de Link à être civilisé. Au fur et à mesure des années, les mercenaires recrutés au début de la campagne avaient tous fini par mourir, déserter ou prendre leur retraite, se faisant remplacer lentement mais sûrement par des hordes de guerriers des clans, des êtres brutaux, cruels et barbares.
   A vrai dire, maintenant qu’il y songeait, il n’y avait plus guère que lui, Colin, Link et Japas, ce dernier étant resté derrière. Le Chien était heureux de retrouver la civilisation. Il espérait qu’il arriverait à s’intégrer. Après tout, il n’avait connu que la guerre pendant près de sept ans…
   Sept longues années… De souffrance, de douleur, de peine… Trop de camarades morts, tués par des sauvages qui l’instant d’après étaient les nouveaux camarades… Les viols, les saccages, les flammes…
   -… Locke! Locke par les Déesses! L’appelait Colin d’une voix suffisamment forte pour attirer son attention mais à la fois assez basse pour ne pas alarmer le camp.
   Le Chien sursauta, cligna plusieurs fois de l’œil. Il se rendit compte qu’il était en sueur, et qu’il tremblait. Son compagnon le regardait avec un air inquiet, prêt à bondir pour le rattraper au cas où il tomberait.
   -Bon sang Locke! Tu vas bien?
   -Oui… Oui je… Je ne sais pas ce qui s’est passé.
   La main droite du Chien lui faisait atrocement mal. La douleur sous le gantelet pulsait à un rythme plus rapide que son cœur, et il sentait chacun de ses doigts brisés comme si les nerfs n’avaient pas été endommagés. Il grimaça, fait assez rare chez lui pour que Colin le remarquât aussitôt.
   -C’est ta main? T’as mal?
   -Oui…
   -Je peux faire quelque chose?
   -Non… Il faut juste… attendre que ça passe.
   Et cela passa, mais très lentement. Il avait l’impression que la chair de sa main était à vif et exposée au feu.
   -Tu sais, commenta Colin après un silence relativement long, je dois admettre que t’as du courage. Moi, je pense que je me la serais coupée depuis longtemps.
   Le Chien ne jugea pas nécessaire de répondre à cela.
   -Dis, Locke?
   -Hmm?
   -T’y penses parfois?
   -Penser à quoi?
   -A tous les types que t’as tués.
   Un silence.
   -Il ne faut pas trop y songer, sinon on n’en dort plus.
   -Ouais. Mais…
   -Mais tu y penses.
   -Ouais, souvent…
   -T’es un type bien, Colin, ne te fait pas trop de bile. Tu vas bientôt pouvoir laisser tout ça derrière toi, et te concentrer sur l’avenir.
   -J’espère.
   Un autre silence.
   -Locke?
   -Hmm?
   -Merci.
   -Bonne nuit Colin.
   Ayant compris le message, l’intéressé regagna sa tente. Le Chien contemplait les flammes avec son œil unique, perdu dans ses pensées. Il essayait de comprendre ce qu’il s’était produit, quelques minutes plutôt. Il n’avait jamais vécu cela auparavant.
   Absorbé par ses réflexions, il n’entendit rien venir, mais tout à coup, quelqu’un était collé à lui. Un parfum doux mais piquant de femme lui chatouilla les narines, et de longues mèches soyeuses lui caressèrent la nuque. La froide morsure d’une dague brilla sous son menton, tandis qu’un doigt fort et calleux lui parcourait le visage.
   -Je te préférais avec une barbe, murmura Feena Hurlebataille à son oreille. Ne bouge pas, où je te tue.
   Il obéit. Il comprenait cette femme de moins en moins. Il ne savait pas non plus ce qu’elle lui voulait au juste. Il sentit bientôt le contact de sa langue humide le long de sa mâchoire, remontant langoureusement vers son oreille.
   -Que me voulez-vous, madame?, finit-il par demander.
   Elle s’arrêta, et renifla de dédain.
   -Ne me désires-tu donc pas?
   -Le devrais-je?
   -Pourquoi pas?
   -Vous m’envoyez vos guerriers, vous me brutalisez, et maintenant vous me menacez d’une dague. J’ai déjà connu méthode de séduction plus sensuelle.
   Il entendit un petit rire.
   -Alors dans ce cas, disons que c’est moi qui te désire.
   -Il aurait été plus simple pour tout le monde de commencer par là.
   Feena lui tira violement les cheveux en arrière, exposant son cou. Leurs joues se touchaient, et il trouva ce contact particulièrement doux.
   -Tes manières sont trop nobles pour ton bien, Chien.
   -Je suis navré de ne pas être né dans un Clan.
   Alors qu’il s’attendait à recevoir un coup pour l’affront, elle passa ses jambes autour de sa taille, se serrant contre lui. Il constata qu’elle ne portait qu’une tunique.
   -Je ne suis donc que cela pour toi? Une barbare décérébrée?
   -J’ai passé les sept dernières années de ma vie à tuer des gens comme vous pour ensuite vous côtoyer. Je ne suis guère enclin à vous apprécier.
   -Oui… Sept années à tuer des gens « comme moi »… Dont mon compagnon, et mes deux fils.
   La pointe de la dague entailla la peau de son cou, et une mince goute de sang perla, filant le long de la lame. Il sentit un contact humide contre sa joue. Une larme?
   -J’aimerais vous dire que j’en suis navré. Mais je ne le suis hélas pas, et si je devais l’être, je passerais le restant de ma vie à m’excuser.
   La dague trembla contre sa peau, mais il ne broncha pas.
   -Vous allez me tuer?, demanda-t-il d’une voix parfaitement calme.
   -Pourquoi faire? Souffla-t-elle, émue. Priver le blondinet de son toutou apprivoisé m’attirerait quelques ennuis.
   Le Chien ne répondit pas. Il n’avait rien à répondre : c’était vrai.
   -Accepterais-tu de répondre à une question, Chien? Reprit-elle après un moment de silence.
   -Si je le peux, madame.
   -Comment t’appelles-tu?
   -Locke. Sanks Locke.
   -Et bien Locke Sanks… Puisses-tu être damné pour l’éternité.
   Sans prévenir elle le repoussa violement, et s’en fut dans la nuit , vers sa tente probablement. Le Chien ne se retourna même pas. Il massa son cou d’une main distraite. Feena Hurlebataille n’était plus une énigme. Il n’avait plus à s’en soucier.
   Le lendemain à l’aube, un messager à cheval fut envoyé pour prévenir de leur arrivée. Link et ses suivants passèrent une heure complète à revêtir les armures de cérémonie. Si celles destinées aux guerriers claniques comportaient essentiellement du cuir et de la maille, celles de Link, Colin et du Chien étaient de véritables forteresses d’acier, composées de lourdes plaques, de plusieurs couches de vêtements, d’un nombre incalculable d’attaches, de fixations, de sangles, de menues protections… Contrairement à ce que craignait le Chien, elles n’étaient pas trop lourdes, et ne limitaient pas de façon excessive leurs mouvements. Ils purent grimper d’eux-mêmes sur leurs montures caparaçonnées pour l’occasion. Quelques guerriers avaient passé la veille à polir les armes et les armures, aussi leur attirail n’arrêtait-il pas de briller, d’étinceler avec le moindre petit rayon de soleil.
   Ils voyageaient en une colonne de deux hommes de largeur. Link allait devant, flanqué de Colin, et juste derrière venaient le Chien et Feena, qui ne s’adressèrent pas une parole, et encore après les vingt deux guerriers qui les accompagnaient, armés jusqu’aux dents, tous des vétérans endurcis couturés de cicatrices -cicatrices dont il était la cause pour certaines, songea le Chien. Plus ils s’en approchaient, et plus le Chien trouvait la Cité fabuleuse. Elle semblait s’étirer à perte de vue, sur des kilomètres. Une rumeur sourde en provenait, et il pouvait distinguer dans le lointain la silhouette de la Citadelle, et plus à l’ouest celle d’un curieux mais non moins imposant bâtiment blanc.
   Bien avant qu’ils n’arrivassent en vue du pont-levis surplombant les douves claires, des dizaines de personnes, gardes et badauds, s’étaient massées sur le chemin de ronde pour les voir venir. Link commença à sourire à l’entente des premiers vivats, et ce sourire ne cessa de s’élargir au fur et à mesure de leur progression.
   Leur accueil fut bien plus fastueux que ce à quoi le Chien s’attendait. A peine eurent-ils franchi le pont-levis qu’une pluie de pétales de fleur s’abattit sur eux, que des trompettes jouèrent l’hymne de la victoire, que des centaines de personnes se pressèrent autour d’eux, riant, souriant, étreignant leurs mollets en d’affectueuses étreintes. Conformément aux consignes de Link, le quatuor de commandement saluaient la foule, et même le Chien se forçait à sourire, malgré la douleur lancinante que cela lui infligeait. Partout les gens se présentaient, dans les rues, aux fenêtres, sur les balcons, sur les toits… Le Chien n’avait jamais vu autant de personnes rassemblées au même endroit.
   Une haie d’honneur de soldats avaient été formée le long de la rue principale, celle qui menait vers la Citadelle. Le Chien apprécia d’un œil expert la tenue de ces hommes d’armes, leur port, leur équipement élaboré. Cela le changeait du cuir et des armes rudimentaires des barbares claniques. Il se rendit compte soudain que Feena avait rapproché sa monture de la sienne, presque jusqu’à se toucher. Il l’observa de biais, et constata qu’elle était nerveuse. Bien qu’elle sourît, toute cette foule l’intimidait.
   -Vous n’avez rien à craindre, lui glissa le Chien, vous êtes en sécurité ici, madame.
   Elle fit mine de l’ignorer. A présent la foule scandait des « Vive le Héros! Longue vie au Héros! », pour la plus grande joie de Link qui paradait en tête, triomphant. Il avait parfaitement les allures d’un conquérant pénétrant son nouveau fief. Et de fait, c’était le cas. Cependant, sa joie fut gâchée lorsque le peuple se mit à crier « Vive Link! Vive le Chien! ». Il se retourna sur sa selle, et foudroya son subalterne d’un regard si haineux que ce dernier baissa la tête.
   Le Chien était désolé. Il aurait voulu arranger la chose, mais il ne pouvait pas demander à autant de gens d’arrêter de l’acclamer.
   La suite de la procession se déroula sans anicroche. Link s’arrêtait de temps à autre pour bénir un nouveau né, serrer des mains, accepter un présent, mais d’arrêt en arrêt ils arrivèrent aux abords des jardins extérieurs, où un cordon de soldats empêcha la foule de les suivre. Link se retourna encore deux ou trois fois pour saluer, puis se désintéressa complètement du peuple. Son regard était fixé sur la Citadelle, son nouveau foyer, la raison de ces sept années de luttes incessantes, la récompense de tous les sacrifices, la réponse à tous ses rêves : la gloire, la richesse, le pouvoir.
   Le Chien s’émerveilla de la splendeur des jardins. Il avait l’impression que toutes les couleurs avaient été capturées et lâchées dans ce lieu. Il voyait des dizaines d’espèces de fleurs et d’arbres qu’il n’avait jamais vues, humait des parfums qu’il n’avait jamais sentis. L’espace d’un instant, la tête lui tourna, et il comprit que c’était à cause du silence, qui semblait assourdissant après la clameur de la foule. Il ferma les yeux pour mieux apprécier l’instant, et lorsqu’il les rouvrit, ils étaient devant les marches de la Citadelle, au sommet desquelles une prestigieuses assemblée les attendait.
   Le Chien avait réussi à mettre la main sur un vieux livre d’héraldique qu’il avait étudié durant le voyage vers la Cité. Aussi put-il reconnaître presque toutes les personnes présentes.
   Tout à gauche, un homme basané à la sombre beauté, grand et puissant, arborait le blason des Dragmir -L’Ambre ceinte d’argent sur champ de sable-, ce devait être Lord Dorf. A ses côtés se tenaient une femme magnifique à la longue queue de cheval rousse qu’il ne reconnut pas, et également deux jeunes femmes jumelles d’une beauté tout aussi frappante : Koume et Kotake, les sœurs de Lord Dorf. Ensuite venait l’emblème des Dodongo -Le Rubis couronné sur champ de gueule- arboré par deux hommes physiquement semblables, l’un plus vieux que l’autre, tous deux partageant le même embonpoint : Lord Darunia et son frère cadet Lord Darmani. Les fils du premier, Ser Allister, Ser Goro et Ser Sedrik, les flanquaient de part et d’autre, chacun partageant la même carrure de colosse. Ensuite venait l’Aigle d’écarlate coiffé de la Triforce royal, sous la bannière duquel se tenait le Roi Salomon, souriant dans sa longue barbe blanche, la Reine Ishtar, assise en raison de sa faiblesse, la Princesse Zelda dont la beauté était plus grande encore que la légende, et son jeune frère le Prince Nohansen -Le Chien remarqua d’ailleurs que le jeune garçon n’arrêtait de le dévisager, d’un air à la fois émerveillé et profondément déçu. Sous la bannière royale se tenaient également deux hommes que le Chien ne reconnut pas. L’un était un homme assez grand et puissant, vêtu d’une ample robe écarlate décorée de flammes dorées, le deuxième un vieillard habillé de noir dont le torse s’ornait d’un œil rouge pleurant une larme de sang. Ce vieil homme intrigua le Chien, à la façon dont il le dévisageait, mais également à cause de son apparence. En plus de ses vêtements singuliers, son visage était des plus… particulier. Il n’avait plus qu’un œil, et ce dernier était entièrement rouge, avec une pupille reptilienne noire. Sous cet œil il y avait un  tatouage d’un rouge sang symbolisant la même larme sanglante que celle de l’emblème sur le torse de l’homme.
   A la droite de l’inconnu se tenait la famille Zora -Le Saphir emmaillé d‘or sur champ azur- : Lady Ruto, dont la beauté naturelle était masquée par le voile noir du deuil, son jeune fils Lars et son air farouche, et une femme d’un âge avancé dont le bâton l’associait au Consortium Aedeptus. Enfin, venait le blason de la famille Mojo, arboré par Lord Dumor dit Le Lutin en raison de sa petite taille, son fils Ser Mido dont le visage était encore marqué par l’enfance, et sa jeune sœur Lady Saria à la fine chevelure feuille. Un quatrième individu se tenait à leurs côtés, un petit homme aux yeux fermés, à l’étrange chevelure jaune-verte et au sourire candide.
   Devant leur beauté, leurs beaux atours, leur prestance, leur élégance, leur noblesse à tous, le Chien se fit l’effet d’un rustre mal dégrossi. Il eut soudain honte de sa laideur, de ses handicaps. Il baissa la tête et se cacha derrière ses cheveux.
   Link leva le poing pour ordonner de faire halte. Ils descendirent de leurs montures, que des écuyers s’empressèrent d’emmener, et tandis que les guerriers formaient une ligne derrière eux, les trois officiers se tinrent derrière leur chef. Celui-ci tira son épée, imité par ses subalternes, puis mit un genou en terre, la pointe de son arme reposant sur le sol. Le Chien, Feena, Colin et les guerriers firent de même.
   -Moi, Link, votre champion dévoué, commença le susnommé, vous apporte humblement, votre Majesté, l’allégeance inconditionnelle des Clans des Plaines du Sud, et en gage de cette allégeance, un modeste trésor de guerre.
   Avec un sourire triomphant, Salomon d’Hyrule descendit d’une marche, et tendant le bras vers Link, déclara d’une voix solennelle :
   -Relève toi, Héros, et sois le bienvenu dans ton nouveau foyer.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Kyren le samedi 08 mai 2010, 15:34:27
J'avais dis que je posterais et bien je le fais !
J'aimerais d'abord parler du Marcherève en fait. Voir même que de cette oeuvre car étant un grand amateur de Science Fiction, ce fut une grande priorité d'en lire l'intégralité.
Dès que j'ai commencé à lire je pensais sincèrement m'être trompé de recit. On était projeté en plein XVIII eme siècle (si je me trompe faites moi signe^^) et je trouvais ça curieux de voir un texte de SF dans le passé. Enfin bref, après j'ai été encore plus embrouillé avec les cadavres qui reprenaient vie après être mis en contact avec le Marcherève. Franchement à ce moment là je me suis dis c'est pas possible, c'est pas de la science fiction, je me suis trompé. Peu après on se retrouve très vite avec des humains en blouses bleues et en possession d'étranges machines (là ça commençait à être plus dans le contexte de la SF). Mais après on retourne avec notre ami Jean et son "sauveur" qui en profite pour nous apprendre ce qui se passe réellement.
Bon je vais pas non plus raconter tous ce qui m'est passé dans la tête lorsque j'ai lu chaque ligne de ton histoire aussi. L'histoire est très originale, bien que il y a certains points que j'aimerais éclaircir. Comme par exemple la mystérieuse cité de Babylone qui ré-apparait de nulle part. L'histoire de la nature là aussi, se rapproche plus selon moi, du Fantastique et de l'Heroic Fantasy plus qu'autres chose. En réalié je ne qualifierais pas ce récit de Science Fiction bien qu'il y ait plein d'éléments prouvant le contraire biensur. Ce qui caractérise la SF avant tout ce sont les objets et technologies futuristes (ici on trouve certains objets bien qu'on ignore leurs utilités, ils sont justes décrits), des mondes ou planètes inconnues (ici on pourrait supposer que le fameux monde en question est celui de Faër), des vies organiques extra-terrestres ou étrangère à l'homme. Mais par dessus tout se qui distingue la SF du Fantastique ce sont la magie, des mondes merveilleux qui sont sensés être inexistants chez un roman de SF. Pourtant ici la fantaisie et le fantastique sont partout ! Après tout je ne vais pas te faire chier avec mon point de vue et bla bla bla parce que cela dit j'ai adoré ! (bien que pour moi ça n'est pas de la SF, mais je crois que je l'ai asser répété comme ça....)
En tout cas j'attends la suite et plus particulièrement des réponses aux questions qui me sont venus à l'esprit en lisant ton histoire.
Voilà !
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: sakuranbo le dimanche 09 mai 2010, 13:54:40
Oh my god! J'ai lu d'un seul trait ta fiction Zelda "Triangle de Pouvoir"! J'ai adoré :niais: Tu as repris les personnages de la séries pour les remodeler à ta façon, c'est tout simplement grandiose, je suis fan :niais:
C'est très bien écrit, tes personnages ont vraiment une personnalité propre à chacun et bien travaillée, bravo!
Je veux absolument la suite :niais:
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le mardi 11 mai 2010, 19:53:36
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V
-Linebeck-

Port-aux-Rois n’était pas exactement le genre de lieu de villégiature prisé des nobles, mais pour un honnête contrebandier comme Linebeck, c’était le meilleur endroit pour trouver du travail rapidement. Les affaires étaient florissantes ; l’hégémonie dictatoriale Ikaniene faisait de chaque ressource une denrée rare pour les peuples assujettis. Et comble du bonheur, il y avait de tout à Mercantîle, le grand port d’Hyrule. Avec un peu d’audace, quelques bourses placées dans les bonnes mains, il n’était pas difficile de forcer le blocus royal et multiplier les allers-retours pour remplir ses cales d’or et de pierreries.
Enfin, songea Linebeck en portant sa chope à ses lèvres, si tant est que le bon capitaine Keeta ne rase par Port-aux-Rois.
La Couronne ne portait pas ce repaire de pirates, voleurs, coupe-jarrets, prostituées, mercenaires et autres contrebandiers dans son coeur. Ce n’était que parce que les grandes familles de la pègre payaient volontiers un lourd impôt que le port continuait à vivre. Ce sans quoi, il aurait fallu renoncer à la carrière de convoyeur… Les autres ports de Termina avaient la malheureuse habitude d’avoir une milice, des douaniers, et d’être un peu trop regardants sur les affaires des honnêtes hommes.
Linebeck se trouvait dans la taverne dotée du nom de « La putain de la Reine », une charmante bâtisse des docks, où l’ont pouvait discuter d’à peu près tout sans avoir à faire attention. Le lieu n’appartenait à aucune des familles de la pègre, mais à un particulier, Peter Juste-Peter, aussi les escrocs indépendants pouvaient y venir commercer tranquillement. Et puis il n’y avait jamais de rixes à la Putain. Peter Juste-Peter s’en assurait personnellement.
Il n’y avait pas foule cette après-midi là. Justes les quelques ivrognes habituels. Linebeck et Tael, son jeune Premier Matelot, se tenaient accoudés au bar derrière lequel Peter Juste-Peter récurait consciencieusement ses choppes. Peter Juste-Peter était assez atypique dans son genre. De taille moyenne, ses yeux étaient étrangement bridés, et son teint jaunâtre. Totalement glabre, sa chevelure fine et noire était par contre d’une longueur vertigineuse. Il n’y avait pas grand-chose à dire sur le tenancier, car personne ne savait grand-chose. C’était Peter. C’était suffisant.
-Line, tu as de la visite, fit-il à son client comme si de rien n’était tout en continuant à récurer.
Linebeck pivota sur son tabouret, sa chope à la main. Un type malingre caché sous une ample robe noire à capuchon rabattu venait d’entrer. Les ombres de sa capuche masquaient ses traits, dont on ne voyait qu’une fine bouche molle ainsi qu’un menton pointu et chauve. L’inconnu jeta un œil à droite et à gauche, puis s’approcha du contrebandier. Peter Juste-Peter eut la délicatesse d’aller récurer plus loin.
-Capitaine Linebeck? Demanda Capuche -comme l’intéressé venait à l’instant de le nommer mentalement.
-Ca se pourrait.
-Le capitaine du Lion Rouge?
-Ca se pourrait. Me semble avoir déjà entendu ce nom là quelque part.
La bouche eut un rictus de mépris, mais l’homme prit place à côté du contrebandier. Tael avait déjà la main sur son poignard, prêt à bondir pour prévenir tout coup bas. L’entraînement de Linebeck semblait porter ses fruits.
-Et vous lui voulez quoi à ce Linebeck, maître…?
-Mon nom n’a pas d’importance. J’ai besoin d’un homme compétent et rapide pour convoyer un objet d’une très grande valeur jusqu’au Bourg d’Hyrule.
-Ca fait une sacrée trotte, surtout pour une seule babiole.
-Babiole? Ricana Capuche. Si vous aviez la moindre idée de ce que c’était…
-Et bien, je ne demande qu’à apprendre maître Mystère.
Linebeck prit une gorgée de bière. Il avait cru un instant à une proposition sérieuse, mais visiblement le bonhomme se payait sa tête. Il était contrebandier, pas coursier… Cependant, la chose relativement bombée, dont la forme rappelait un cœur de jeu de carte hérissé de piques, enveloppée dans une étoffe sale attisa sa curiosité. Il s’en dégageait comme une… énergie.
-Qu’est-ce que c’est?
-Vous n’avez pas besoin d’en savoir plus que le nécessaire, c’est-à-dire rien.
-Je déteste convoyer des choses dont je ne sais rien.
-Croyez moi ou non, vous aimeriez mieux ne pas savoir.
-Je peux?
-Allez-y.
Linebeck souleva l’étoffe. C’était un masque. Enfin un genre de masque. Il était bien trop laid pour être porté. Les yeux peints semblaient fixer le contrebandier ; une sensation très étrange et très perturbante. Linebeck trouva à l’objet quelque chose de purement maléfique. Il ne supporta la vue que quelques secondes, puis il remit le tissu en place.
-Maître Mystère, je suis contraint de…
Capuche posa soudain une bourse tellement bombée qu’elle s’ouvrit en heurtant le comptoir, révélant le chatoiement mirifique d’un amas de pierres précieuses.
-…vous dire que je serai heureux d’accepter votre proposition.
-A la bonne heure.
Capuche eut un sourire méprisant que Linebeck préféra ignorer.
-A qui dois-je remettre votre… objet?
-Mes associés du Consortium Aedeptus.
-Le Consortium, oui, je vois… Je vois…
-Ceci n’est qu’une avance pour les frais de voyage, disons. Vous toucherez le quadruple à la livraison.
-Me permettez-vous une question, maître?
-Une seule.
-Ne craignez vous donc nullement que j’essaye de vous doubler? D’après les efforts que vous faites pour ramener cette chose en Hyrule, elle doit avoir pas mal de valeur. Pourquoi croyez-vous que je ne pourrais pas la vendre pour mon propre compte?
-Capitaine Linebeck, fanfaronna Capuche, sachez qu’il nous serait très aisé de vous localiser, de vous traquer et de vous détruire si jamais vous vous avisiez de faire une chose aussi stupide. Mais vous êtes un homme malin, n’est-ce pas?
-Je pense oui. Vous savez expliquer les choses, quoi qu’il en soit.
-Bien. Contentez-vous de faire ce pourquoi nous vous payons, et rien d’autre. Nous ne nous reverrons plus.
Sans un autre mot, l’étrange petit homme sortit de la taverne. Linebeck le regarda s’en aller en remuant une gorgée de bière contre son palais.
-Capitaine, souffla Tael. Pourquoi avez-vous accepté? Je croyais qu’on s’occupait pas des trucs magiques.
-Oui, c’est exactement ce que nous faisions jusqu’à aujourd’hui. Regarde moi ça, mon petit. Regarde tout ce qu’on nous file pour transporter une babiole. Deux fois ce qu’on touche pour une cargaison de vivres ou de parchemin, et il n’y a même pas besoin de cacher les caisses, il n’y en a pas. Non, je pense que nous venons de mettre le doigt sur un marché juteux, mon petit.
Le hâlé et jeune Tael acquiesça, ses yeux brillant sous le chatoiement des pierres.
-Maintenant, file rassembler les gars. Je veux appareiller demain matin avec la marée.
Tael acquiesça et s’en fut en courant. Une longue course l’attendait, l’équipage du Lion Rouge ayant l’habitude de totalement s’éclater à travers le port. Peter Juste-Peter s’approcha de Linebeck, l’air de rien.
-Les affaires marchent?
-Tu sais ce que c’est, Pete. Les affaires, ça va ça vient…
Affichant un air neutre, Linebeck engloutit le reste de sa chope, et se levant, préleva de la bourse une gemme qui miroitait joliment. Il la posa nonchalamment sur le comptoir.
-Pour nos consommations, pour la fille que tu vas m’envoyer, et… disons pour le soutient d’un vieil ami à un autre vieil ami?
Peter Juste-Peter empocha subrepticement son dû sans cesser de récurer une tasse.
-Les amis sont là pour aider, non?
-Parfaitement.
Un sourire aux lèvres, Linebeck fourra sa nouvelle bourse -du bel ouvrage d’ailleurs- dans une poche intérieure de son manteau d’officier. Il répugnait à toucher l’objet de sa mission, mais il n’avait pas le choix. Il prit le masque, toujours emmailloté, sous l’aisselle et monta à l’étage, jusqu’à la chambre qu’il louait. Officiellement, Peter Juste-Peter ne louait pas de chambre, car comme il le disait souvent «  Je suis pas une auberge, bordel de merde. ». Mais il avait toujours un peu de place pour quelques amis. Et bien entendu, Linebeck faisait partie de ce petit cercle très restreint.
Il déposa le masque sur la commode près de l’entrée, et plaça son manteau par-dessus. Le contrebandier n’aimait pas trop les choses de magie, et celle-ci puait la magie noire. Et puis, il se rappelait du regard peint sur la surface de bois, ce regard qu’il avait imaginé être entrain de le fixer…
Pour se changer les idées, il se servit un grand verre de rhum, et s’assit sur le rebord du lit. Contrairement à beaucoup de bouibouis minables des docks, l’établissement de Peter Juste-Peter était bien entretenu, propre, en clair plaisant à vivre. Un cadre parfait pour se reposer entre deux longues périodes en mer. On frappa à la porte.
-Entre, c’est ouvert.
Une jeune femme -presque une jeune fille à la vérité- vêtue d’un corsage au décolleté révélateur pénétra dans la pièce, un air timide et légèrement effrayé sur le visage. Linebeck sourit. Ce bon vieux Pete connaissait bien ses goûts. Elle était blonde, les yeux bleus, des fesses parfaites et une poitrine certes un peu petite mais fort charmante. N’eut été l’horrible cicatrice qui barrait son visage d’une oreille à l’autre en mordant la naissance du nez, elle aurait pu devenir une courtisane de luxe. Mais Linebeck se fichait de ce genre de petit détail.
Il se déchaussa, puis toujours assis sur le bord du lit, lui fit signe d’approcher en écartant les cuisses.
-Utilise ta bouche, chérie.
La jeune putain s’approcha, le regard fuyant et dégoûté, mais elle s’agenouilla entre ses jambes sans rien dire. Ses lèvres étaient douces comme la soie et sa langue chaude et délicate. Linebeck ne put retenir un soupir de plaisir. Il caressa gentiment ses longs cheveux blonds pendant qu’elle le besognait. Mais son plaisir fut en partie gâché lorsque son regard se posa sur son manteau, et qu’il pensa à ce qu’il y avait en dessous. Il eut un frisson. Il ressentait les énergies négatives qui émanaient du masque. Les yeux horribles peints sur le masque lui revinrent en mémoire, et il eut le sentiment que, d’une manière ou d’une autre, ces yeux le fixaient, malgré le tissu qui les enveloppait, malgré le vêtement qui recouvrait le tout. Il se demanda finalement s’il avait bien fait d’accepter le marché… mais le paiement était vraiment important. Cela en valait la chandelle.
Il sentit soudain la jouissance venir. Rejetant la tête en arrière dans un râle, il empêcha la fille de se retirer et explosa à l’intérieur de sa bouches en plusieurs longs jets qui le secouèrent. La putain gémit tandis qu’un peu de semence blanchâtre coulait le long de son menton. Tremblant encore de plaisir, Linebeck lui souleva la tête en l’empoignant par les cheveux, et sans se retirer, lui intima.
-Avale, chérie.
La fille s’exécuta, non sans déglutir. Malgré sa balafre, Linebeck la trouvait d’une beauté stupéfiante. Plus il la regardait, plus son désir de la prendre s’intensifiait. Il la releva et l’assit sur ses genoux.
-Comment tu t’appelles, poupée?
-Taya, monsieur.
-Appelle moi Capitaine Linebeck.
Les doigts du contrebandier s’affairèrent sur le laçage et une minute plus tard, le corset de la fille tombait au sol, révélant sa poitrine aux seins plus gros que Linebeck n’avait imaginé, et aux tétons durcis. Le capitaine du Lion Rouge les mordilla, et tandis qu’il tripotait les fesses de sa partenaire, il sentit son pénis se durcir à nouveau.
Il lui fit l’amour toute la nuit ; il la prit dans toutes les positions, la posséda charnellement de toutes les manières qu’il connaissait, la souilla plus qu’il avait souillé n’importe quelle autre femme. Avec l’aube qui approchait, il se rendit compte que son désir ne faisait que croître un peu plus chaque fois qu’il la pénétrait. Elle ne disait presque rien, se contentant d’obéir à ses injonctions et de répondre à ses questions avec le minimum de mots. Mais Linebeck avait l’impression, la nuit s’avançant, qu’elle commençait à apprécier ce qu’il lui faisait.
Lorsque le premier coq chanta, il se retira d’entre ses cuisses luisantes pour la énième fois, épuisé, littéralement vidé. Elle ne dit toujours rien, se contentant de l’observer. Il se coucha à côté d’elle, en appuie sur un coude. Il comprit qu’il ne pourrait plus se passer d’elle rien qu’une nuit. Il caressa affectueusement ses cheveux emmêlés de semence par endroit sans dire un mot. Puis il suivit avec le doigt le tracé de la cicatrice qui lui barrait le visage. A ce contact, elle frémit, se raidit, mais laissa faire.
Linebeck se coucha sur elle à nouveau, et nicha son visage dans le creux de son cou, s’enivrant de son odeur de sueur, de sexe, de femme, et de fleur. Il l’embrassa passionnément, puis la regarda de longues minutes, tout en caressant son visage.
-Tu dois êtes une sorcière, fit-il avec un sourire. Car tu m’as ensorcelé.
Elle ne répondit pas et ne montra aucun signe d’émotion. Elle lui rendait simplement son regard, mais il ne reconnaissait pas vraiment ce qu’il y lisait.
-Je repars en mer aujourd’hui. Je vais à Hyrule, et même jusqu’à la capitale.
A l’évocation du Bourg, les yeux de Taya brillèrent.
-Ha! Je vois que tu n’y es pas insensible. C’est vrai que les charmes de la ville sont multiples… C’est un autre monde, par rapport à ce port moisi. Ha, je viens d’avoir une idée fabuleuse.
Linebeck se redressa, à califourchon sur elle, et introduisit son membre gonflé et douloureux dans sa bouche. Vraiment, il ne s’en lassait pas. Tout en parlant, il entama un mouvement de va-et-vient.
-Je vais t’emmener avec moi. Qu’est-ce que tu en penses? Je vais te racheter, et comme ça je pourrais t’avoir pour moi tout seul toutes les nuits… Oui, c’est une bonne idée. Très bonne idée même. Ne t’en fais pas, je te traiterai bien. Je t’achèterai des vêtements et des parures, et tu pourras manger à ta faim. Tout ce que je veux, c’est que tu chauffes mes draps.
Il se vida à nouveau en elle, et cette fois là il n’eut pas besoin de le lui ordonner pour qu’elle avale sa semence. Il descendit du lit, et entreprit de se rhabiller. En soulevant son manteau, le tissu qui couvrait le masque tomba partiellement, découvrant l’un des yeux de l’objet. Linebeck ne put s’empêcher d’y plonger le regard, et il sentit son cœur louper un battement. Un froid glacial s’empara de son être, et il recula précipitamment en jurant.
Vraiment, il détestait la magie.
Le Lion Rouge appareillait une heure plus tard. Le capitaine Linebeck installa sa nouvelle acquisition dans sa somptueuse cabine, où elle put se laver des impuretés de la nuit. Une fois le blocus passé, le reste du trajet jusqu’à Mercantîle était une vraie croisière, pour peu que les vents soient un minimum favorable.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Kyren le mardi 11 mai 2010, 21:25:19
Je poste juste par rapport à ton dernier chapitre (bien que je n'ai pas lu les autres^^).
En fait la banderole de mise en garde m'a fait rire. Mais c'était bien ça, c'est de la pure pornographie. Pas mal, joli coup. Je pensais pas un jour voir du porno dans Zelda.
EDIT : Cela dit un peu précoce le Capitaine.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: sakuranbo le mercredi 12 mai 2010, 11:46:47
Nyahaaa!!! La suite :niais: Super chapitre, même si j'avais aussi lu la banderole, je ne m'attendais pas à ça lol Mais c'est très bien écrit et très mature, bravo!
Je ne connaissais pas le personnage de Linebeck (je n'ai jamais joué aux épisodes DS) mais tu lui donne déjà une profondeur psychologique interessante.
Je l'ai déjà dit, mais j'aime beaucoup le fait que tu puise des éléments dans les différents Zelda. Ca rend ton histoire tout à fait originale!
J'attends la suite :niais:
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le mercredi 26 mai 2010, 15:43:50
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VI
-Tarquin / Le Chien / Malon-

Tarquin avait enfin l’occasion de contempler de son œil le fameux héros, et sa clique de barbares. Le roi Salomon lui avait fait l’honneur de l’accepter sous la bannière royale, aussi n’avait-il pas eu besoin de se cacher quelque part, et pouvait par conséquent observer tranquillement.
Link le Héros semblait venir tout droit d’un conte de chevalier. Son armure de plates vertes arborant fièrement un gros loup noir sur le plastron chatoyait magistralement sous le soleil, son port était noble, altier, fier, un peu orgueilleux. Son épée était bien entretenue, et on aurait pu se recoiffer en contemplant la lame. Son visage était androgyne, mais d’une exceptionnelle beauté. Ses yeux en amande d’un bleu océan étaient empreints d’autorité, de confiance, conférant à son regard scrutateur une force bien réelle. Ses lèvres carmins aux courbes élégantes donnaient l’impression de donner plus souvent des ordres que de faire des politesses, et son nez droit ressemblait au bec d’un faucon majestueux prêt à fondre sur sa pauvre proie dans toute sa magnanime splendeur. Ses longs cheveux d’un blond de blé délicatement entretenus jaillissaient de son bonnet caractéristique en mèches ordonnées de part et d’autre de son visage. Ses oreilles, enfin, étaient en pointe, longues et harmonieuses, percées d’anneaux d’or, confirmant son ascendance Hylienne pure.
La princesse Zelda se faisait violence pour rester de marbre, comme une véritable Lady, mais il était évident qu’elle était éperdue d’admiration pour son promis. Tarquin n’était pas dupe. Son beau sourire avait un il-ne-savait-quoi de sournois, et l’éclat de ses prunelles une lueur violente qui ne seyait définitivement pas à un chevalier.
L’homme à son côté, que Tarquin identifia comme son lieutenant, Colin, était plus vulgaire. Il semblait même un peu mal à l’aise devant tant de nobles personnes. Et s’il n’était pas maigre pour autant, sa carrure paraissait inadaptée au port de l’armure lourde. Son large front était couronné d’une chevelure d’un blond délavé qui faisait comme une coupe au bol, et ses yeux d’un bleu pâle étaient fuyants, peu sûrs. Il tranchait nettement avec Link, tant par la posture que par l’apparence.
Derrière se tenait une très belle femme d’âge mûr, dont les courbes musclées étaient parfaitement moulées par son armure de cuir cérémonielle. Ses cheveux étaient roux cendré, joliment bouclés, et rabattus en arrière par un bandeau de soie noire faisaient comme une cascade de cuivre brut. Ses yeux, deux émeraudes scintillantes, faisaient écho à une longue vie de guerre et de nomadisme précaire. La longue cicatrice qui lui barrait le visage de la racine des cheveux jusqu’à la pommette droite, en mordant la racine du nez, lui conférait un air farouche. Elle dardait son regard sur l’assistance comme en un signe de défi, le corps tendu et prêt à l’action, mais Tarquin remarqua qu’elle était nerveuse. Elle n’avait jamais du venir dans une si grande ville, et en plus de cela elle était contrainte de plier l’échine devant ceux qu’elle avait combattus toute sa vie. Le vieux Sheikah la comprit. Cependant, il ne se nia pas une certaine attirance envers la guerrière, dont il ne savait même pas le nom. Il avait reconnu ses armes, les doubles haches noires sur fond cramoisi Logre, mais c’était à peu près tout.
Outre les guerriers de l’escorte auxquels il n’accorda pas une once d’intérêt, le dernier homme du quatuor de commandement retint toute son attention. C’était le fameux Chien. Et il correspondait assez bien à l’image qu’il s’en faisait : un guerrier laid et idiot. Sa carrure était relativement impressionnante, renforcée de surcroît par l’armure qu’il portait, bien qu’il restât de taille moyenne. L’épée qu’il tenait pointe contre terre était ébréchée en plusieurs endroits et encore maculée de sang trop tenace pour être nettoyé : autant de symboles d’une utilisation fréquente et soutenue. En sus de cette épée, Tarquin avait aperçu sur son cheval un marteau de guerre, et une paire de hachettes. Bien que l’homme essayait de cacher ses traits avec ses cheveux, Tarquin avait eu le temps d’apercevoir son visage. Si le Chien ne devait pas avoir plus de trente ans, les ravages de la guerre lui en faisaient paraître dix de plus. Sa face était assez horrible. Une cicatrice vilaine lui barrait le visage d’une joue à l’autre en passant par le nez, pendant qu’une seconde, parfaitement verticale, lui dévorait le côté droit, dont l’œil qui était protégé par un morceau de cuir noir grossier attaché autour du crâne par une mince cordelette. Ces deux balafres ignobles se joignaient en une croix juste sous l’orbite. Une troisième, mais moindre, accrochait le coin droit de ses lèvres et courait jusqu’à la naissance de son cou, et le faisait très certainement souffrir à chaque mouvement de la bouche. Cela expliquait son éternel air maussade et renfrogné. Bien que rasé, le bleu de la barbe s’étendait sur toute sa mâchoire, et son poil devait être dru. Ses cheveux était une masse informe de mèches noires de jais, rebelles et raides, emmêlées et coupées récemment sans talent. Le dernier signe distinctif de l’individu était sa main droite. Du moins ce qu’il en restait. Le gantelet d’acier -qui d’ailleurs jurait avec le reste de l’armure, par son éclat moindre et plus terne- était explosé, enfoncé dans la chair, et les doigts qui en partaient étaient tordus, brisés, affreux à voir. Le Chien tenait d’ailleurs son membre contre son torse, comme pour le protéger.
Tarquin avait entendu parler de cette histoire, une parmi tant de celles qui avaient déjà façonné la légende du Chien. Blessé au début d’une bataille par un coup de masse, le Chien avait attendu la fin des combats, qui vint beaucoup plus tard, avant d’aller quérir un médecin. Le sang coagulé et poisseux avait rendu impossible le retrait du gantelet, et à choisir entre la souffrance vive mais brève de l’amputation ou celle permanente et insidieuse d’une main pour toujours brisée, il avait opté pour la seconde option. Tarquin ne trouvait pas cela courageux, mais juste idiot. Le vieux Sheikah en était là dans ses réflexions quand l’homme releva brièvement la tête, et que leur deux yeux se rencontrèrent. Tarquin fut frappé par ce qu’il y vit. Au lieu de la cruauté, de la soif de sang et de la débilité qu’il y attendait, il lut de la mélancolie, de la lassitude, et une résignation servile… mais non dénuée d’une certaine intelligence.
L’échange fut bref, mais il secoua Tarquin.
Avec un sourire triomphant, Salomon d’Hyrule descendit d’une marche, et tendant le bras vers Link, déclara d’une voix solennelle :
-Relève toi, Héros, et sois le bienvenu dans ton nouveau foyer.
L’intéressé s’exécuta, un sourire non-moins triomphant peint sur le visage. Ses yeux bleus scrutèrent l’assemblée, jaugeant chacun, examinant les forces en présence. Son regard ne s’arrêta qu’une seconde sur Tarquin, et celui-ci s’en félicita. Il préférait rester dans l’ombre pour le moment.
Il ne doutait pas qu’il aurait fort à faire durant les jours à venir.

***   

Les guerriers de l’escorte furent menés à leurs quartiers où un repas copieux leur fut servi. Le Chien nota que les quartiers en question se trouvaient commodément placé près de ceux des gardes royaux, et il félicita mentalement le responsable pour cette prévoyance. On ne savait jamais à quoi s’attendre avec ces barbares.
Quant à Feena, Link, Colin, lui-même et les nobles, le chambellan, maître Baelon, les conduisit vers la grande salle de banquet, où des tables d’une longueur inimaginable avaient été dressées dans une forme en U, l’extrémité perpendiculaire aux deux autres ayant été placée sur une estrade afin de dominer les réjouissances. Le Chien craignit un instant de devoir supporter le calvaire d’un long banquet en armure, mais des serviteurs vinrent les chercher pour les mener à leur appartement respectif, où ils auraient loisir de se changer, pendant que le reste des convives arriveraient. On amena Link vers l’aile Royale, étant donné qu’il intégrerait la famille de la Couronne une fois marié à la Princesse ; Feena et Colin furent conduits dans l’aile des invités, où logeaient les grandes familles. Quant au Chien… Il fut un peu surpris mais ne s’offusqua pas lorsqu’une courtisane fit mine de l’introduire dans l’aile des serviteurs et des valets. Il se fit la réflexion qu’après tout, il n’avait pas véritablement de statu, alors cela ou autre chose…
-Attendez.
La voix, sèche et autoritaire, claqua derrière eux. La servante sursauta et se retourna vivement. C’était le vieil homme borgne et bizarre qui l’avait toisé pendant leur arrivée. Il avait vraiment une allure singulière, entre son turban blanc, sa barbe trop hirsute pour être peignée correctement, son fameux œil rouge, et sa tunique bleu de nuit sans ornement, ses hauts-de-chausses noirs et bouffants, et ses demi-bottes de cuir noires… Il se dégageait de lui une impression étrange de mystère et d’incertitude. L’Œil aguerri du Chien nota la façon dont il se déplaçait -féline, souple et silencieuse-, sa posture à la fois décontractée mais prête à tout, et les dagues qu’il dissimulait adroitement dans divers endroits stratégiques de son costume - et qu’un observateur moins expérimenté n’aurait jamais remarqué. Il nota aussi l’attitude craintive de la courtisane à son égard.
-C’est une regrettable erreur, maître Sanks. Vos appartements sont de ce côté, je vais vous mener.
Sautant sur l’occasion, la servante fit une courbette rapide et s’éloigna comme si sa vie en dépendait.
-Je ne sais pas comment cette idiote a pu s’imaginer une seconde placer une personne aussi prestigieuse que vous au même niveau que les valets. Toutes mes excuses.
-Non, vraiment, ce n’est rien, répondit le Chien. N’y pensez plus.
-A votre guise.
Le vieil homme prit les devants et le guida vers l’aile des invités. Un silence s’installa entre les deux, brisé par les cliquettements de l’armure du Chien. Celui-ci en profita pour mémoriser la dispositions des lieux, l’agencement des couloirs et des issus. Il devait reconnaître que le Château était un petit bijou de beauté et de merveille architecturale, tout en fioritures, en tapisseries splendides, en tableaux magnifiques, statues héroïques et autres colonnades. En réalité, le Chien imagina que l’endroit avait été conçu avant tout pour la vie quotidienne et la beauté plutôt que pour le souci du pragmatisme militaire.
-Excusez moi, finit-il par dire.
-Oui, maître Sanks?
-J’ai peur de ne pas avoir bien saisi votre nom, messire.
-Ho! Bien sûr. Quel grossier je fais, cette tragique erreur m’a fait perdre mes bonnes manières. Veuillez m’excuser.
-Ce n’est rien…
Le vieil homme s’inclina.
-Je suis Tarquin dit « Qu’un-Oeil ». Et ce sera, pour vous maître Sanks, simplement Tarquin. Je ne mérite aucun autre titre.
-Je vois… Je vous ai pourtant aperçu, il me semble, sous la bannière de sa Majesté.
-Cela est vrai, mais notre bon roi est trop généreux. A la vérité, je ne rends que quelques menus services à la Couronne. Comme réparer les erreurs de l’intendance.
-Je vois… répéta le Chien.
Il attendit quelques instants qu’ils reprennent leur route, avant de déclarer, sur le ton de la conversation.
-En tous les cas, vous êtes bien informés.
-Plaît-il?
-A ma connaissance, seules quatre personnes connaissent mon véritable nom… Et vous n’en faites pas partie.
Ils continuèrent à marcher sans s’arrêter. Tarquin ne broncha pas.
-Je m’étais effectivement trompé sur vous, maître Sanks, finit-il par lâcher.
-Comment cela?
-Je ne vous imaginais pas l’esprit si acéré. On dirait que les rumeurs ont pris le pas sur mon bon sens.
Le Chien eut un début de sourire, qu’il réprima aussitôt lorsque la douleur de ses cicatrices se réveillèrent.
-Je suis désolé de vous avoir trompé malgré moi, maître Tarquin. Et j’insiste, ce sera maître, rien de moins. Je me fais dans l’idée que les menus services que vous rendez ne sont pas si menus que vous ne le laissez entendre.
-Croyez ce qu’il vous plaira, maître Sanks. Nous sommes arrivés.
Le Chien jeta un rapide coup d’œil à la porte somptueuse en bois laqué. Se retournant vers Tarquin pour rétorquer, celui-ci avait disparu. Le guerrier s’étonna un court instant de ce prodige, puis finit par conclure que cela cadrait bien avec le personnage. Pressé de se débarrasser de son habit de fer, il entra.
La pièce était tellement vaste qu’il n’osait pas la qualifier de chambre. Tout lui paraissait disproportionné à l’extrême, du mobilier aux objets d’art, en passant par les tapisseries et le gigantesque lit à baldaquin. Il ne put s’empêcher de se demander à quoi pouvaient bien ressembler les chambres de l’aile royale. Dix hommes aurait pu vivre dans celle-ci sans souffrir du manque d’espace personnel.
Le Chien s’approcha du lit, et y enfonça le doigt, s’émerveilla de son moelleux. Il ne pensait pas avoir déjà dormi sur quelque chose d’aussi doux. Il défit sa ceinture et posa délicatement le fourreau de son épée contre le bord du lit. Il s’y assit pour enlever ses bottes, délacer les attaches, les sangles, retirer les lourdes pièces d’acier une par une… Une tâche ardue avec une seule main. Il les déposait au fur et à mesure sur des sièges et des fauteuils richement décorés, ne sachant trop où les entreposer ailleurs. Il savoura le plaisir d’avoir les pieds nus, la taille libre et de ne plus avoir à être constamment sur ses gardes. Il s’allongea sur le lit, et contempla la fresque peinte au plafond, représentant une scène de la création d’Hyrule par les Très-Hautes -Din, Nayru et Farore. Le Chien n’était pas un grand amateur d’art, mais il apprécia les couleurs et l’harmonie de la scène.
Il se faisait la réflexion que le matelas était simplement divin, et commençait à sombrer dans un doux sommeil, quand on frappa à la porte. Il se redressa d’un bond, sa main valide cherchant son épée. Ne la trouvant pas à son côté, il se contenta de crier :
-Entrez, c’est ouvert.
C’était une jeune femme, presque une jeune fille. Le Chien fut frappé par sa beauté naturelle et simple, sans artifice. Ses traits étaient plus grossiers que ceux de la princesse, mais d’une harmonie et d’une chaleur infiniment plus grandes. Elle n’était pas maquillée et ses longs cheveux bruns cascadaient librement dans son dos. Elle gardait les yeux verts ostensiblement baissés vers le sol, et le Chien comprit qu’elle avait peur de lui, ou n’osait le regarder. Elle tenait des vêtements pliés. Faisant une courbette, elle dit :
-Maître Baelon vous fait porter ces quelques habits, et il espère qu’ils vous siéront.
Le Chien se leva du lit, et s’approcha en quelques grandes enjambées. Il ne fit pas attention à la réaction de la servante, car il savait ce qu’il était et ne s’en formalisait pas. Il lui prit délicatement les vêtements de sa main valide.
-Merci. Vous serez aimable d’informer maître Baelon que cela m’agrée fortement.
Le Chien retourna au lit afin de les étendre, mais il sentit que la courtisane dans son dos ne semblait par partir.
-Il y a autre chose? Demanda-t-il sans la regarder, tout à son affaire.
-Je… Heu… Désirez-vous… Désirez-vous que je vous aide?
Le Chien s’arrêta, et se redressa. Cette fois là, il regarda la servante. Elle tremblait, et ses joues étaient rouges, d’un rouge de honte et d’angoisse présuma-t-il.
-Pourquoi désirerais-je de l’aide pour me vêtir? Je m’estime encore assez vigoureux pour m’occuper de cette besogne moi-même.
-C’est… je… bafouilla la fille. Je m’étais dit que… Cela était peut être… pénible… Pour votre… main et je…
Elle se tut, et des larmes silencieuses se mirent à couler le long de ses joues. Le Chien ne put s’empêcher de la trouver plus jolie encore.
-Ma main vous remercie pour votre sollicitude, mais elle s’en sortira fort bien. Merci. Je n’ai besoin de rien d’autre.
La courtisane fit une courbette et s’enfuit aussi vite qu’elle le put.
Le Chien s’en désintéressa dans la seconde. Il reporta son attention sur ses vêtements, et eut la désagréable sensation que Tarquin en savait beaucoup plus sur lui qu’il ne le pensait : c’était une version riche et finement ouvragée de ses habits habituels : une chemise blanche, des pantalons noirs, un tabard blanc frappé du blason de Link.
Ceignant son épée, il eut l’impression d’être épié dès qu’il fut dans le couloir pour se rendre à la salle de banquet.

***

Malon était mortifiée. Elle voulait mourir, de honte, de chagrin, de peur. Ce Chien… Il était plus effrayant encore que ce qu’elle en avait imaginé. Son œil terrible, ses cicatrices hideuses, ses traits durs et placides, sa main terrifiante, comme un appendice d’acier monstrueux, ses cheveux plus noirs que la plus noire des nuits…
Maudits fussent maître Tarquin et maître Baelon! L’affecter à la plaisance d’un être aussi abject, aussi vil. On lui avait bien dit de tout faire pour lui être agréable, mais lorsqu’elle lui avait proposé son aide, quand il s’était subitement arrêté, redressé pour se retourner, elle avait réellement cru qu’il allait l’embrocher avec son épée, dans l’instant. Elle s’étonnait d’être encore en vie.
Mais était-ce réellement un bienfait? Après tout, elle allait devoir le voir à nouveau, tous les jours jusqu’à ce qu’il partisse ou qu’il se trouvât une épouse - et Malon plaignait la malheureuse. Rien qu’à l’idée de ce qui l’attendait durant la nuit à venir, elle eut un haut-le-cœur et ne réprima qu’à grand peine ses vomissements.
Elle avait pénétré dans un des petits boudoirs mis à la disposition des invités, où elle pouvait pleurer tout son saoul sans être dérangée. Ses sanglots étouffés ne semblaient pas vouloir s’arrêter, ce n’était que parce que sa main tremblait de trop qu’elle n’avait pas encore tailladé son poignet avec le coupe-papier doré qui trônait à côté d’elle sur le sol.
Oui, mourir était sûrement la meilleure solution. Quand maître Tarquin lui avait fait quitté le service de la Princesse, elle en avait été heureuse, mais ce n’était que l’arracher au joug d’une esclavagiste violente pour mieux la jeter en pâture à un monstre. La mort seule pouvait la délivrer. Elle eut une pensée pour son père, son pauvre père, qui se mourrait de chagrin à coup certain. Mais qu’y pouvait-elle? Après tout, c’était un peu de sa faute à lui, si elle était malheureuse. S’il n’avait pas eu la bonne idée de se faire anoblir, elle serait encore serveuse à l’Auberge de Marine, où les gens étaient si gentils, si doux, si compréhensifs, si rieurs. Ici, dans ce maudit château, tout le monde était froid, hypocrite, venimeux! Les pierres étaient froides, les lits étaient froids, les foyers étaient froids, les portraits étaient froids, les tapisseries étaient froides, tout n’était que froidure. Elle ne voulait plus de cette vie.
Résolue, elle posa la main sur le coupe-papier. Elle remonta sa manche, la vision obscurcie par les larmes. Peu sûre quant à la méthode à employer, elle leva l’arme improvisée, pointe en bas. Mais quand elle fit mine de se planter, une main forte et calleuse s’abattit sur son poignet et d’un mouvement l’obligea à lâcher l’objet. Malon poussa un cri et releva vivement la tête.
-Quoi qu’il t’ ait fait, ce serait une erreur de gâcher ta vie.
C’était la femme barbare. Les hoquets de terreur de Malon lui restèrent en travers de la gorge, tant elle fut subjuguée par le regard cette femme. Un regard d’une force incroyable, d’une assurance qu’elle n’aurait jamais, d’une férocité de bête, et pourtant d’une intelligence redoutable. La courtisane n’avait jamais vu quelqu’un comme ça, et aucune des Lady ne possédait une aura aussi exceptionnelle. En sus de ce regard, de ces traits farouches, toute sa silhouette était une ode à la puissance et à la grâce féline et magnanime.
-Je t’ai vue sortir de sa chambre en pleurant, alors je t’ai suivie. J’ai bien fait, dirait-on.
Malon ne pouvait articuler un son, totalement tétanisée. Ses yeux n’arrivaient pas à se détacher des prunelles émeraudes de sa vis-à-vis. Feena lui lâcha le poignet et s’assit en face d’elle, dans un craquement de cuir.
-Qu’est-ce qu’il t’a fait?
-Je…
Rien d’autre ne parvint à franchir ses lèvres.
-Il t’a touchée?
-Non…
-Il t’a menacée?
-Non…
-Il t’a frappée alors?
-Non, non… Je…
Malon réalisa soudainement, et d’une certaine façon cela lui fit mal, qu’en réalité, le Chien n’avait rien fait. Rien fait qui méritât qu’elle le traite de monstre. Il avait été courtois, et ne s’était pas formalisé de sa remarque sur son infirmité. Alors, oui, il était laid, mais ce n’était pas de sa faute, après tout.
-Non, fit Malon, retrouvant l’usage de la parole, il… Il ne m’a rien fait. Rien du tout. C’est plutôt moi, à la vérité qui… Je suis une idiote.
Feena se passa une main dans les cheveux, avec un petit soupir que Malon qualifia de soulagé.
-Vous… Vous le connaissez depuis longtemps?, demanda la courtisane d’une petite voix.
La barbare eut un sourire amer.
-Plusieurs années.
-Comment vous êtes-vous rencontrés?
-Il a tué mon fils et mon compagnon.
Malon porta une main à sa bouche, honteuse.
-Pardonnez ma grossièreté, je ne savais…
-Ce n’est rien. Et puis de toute façon, ils reposent en paix maintenant. Il leur a fait l’honneur d’une belle mort, une mort de guerrier. Ils étaient tous deux sur lui, en même temps, et pourtant il les a balayés…
Feena se plongea dans ses souvenirs, les yeux dans le vague.
-Mais ne te méprend pas. Je ne le hais pas. Je le respecte. C’est un grand guerrier.
-On dit qu’il a tué plus de cent hommes.
-C’est en deçà de la vérité.
Devant le hoquet de stupeur de Malon, Hurlebataille ajouta.
-Mais ne te fie pas à son apparence. C’est… C’est un homme bon. Ce n’est pas un monstre. Juste un soldat qui s’acquitte de son devoir envers son maître.
Curieusement, ces paroles soulagèrent Malon. Elle sentait intimement qu’elle pouvait croire cette femme, et cela la réconforta. Elle lui avait sauvé la vie, après tout.
-Je… J’ai été affectée à son service, confia-t-elle.
-Alors crois en mon expérience, tu n’as rien à en craindre. Il est civilisé, et en cinq années passées à le côtoyer, je ne l’ai jamais vu toucher une femme ou se mettre en colère.
Feena se remit debout, et tendit la main pour aider la jeune femme à en faire de même.
-Bon, je dois prendre congé. Je suis attendue à ce fameux banquet.
-Oui, oui, bien sûr.
La barbare se dirigea vers la porte, et avant de l’ouvrir se retourna.
-Ha. Une dernière chose à propos du Chien. Il ne sourit jamais. En fait, ce n’est pas qu’il ne le fait jamais, c’est juste qu’il ne le peut pas.
Elle toucha ses lèvres là où Locke Sanks avait une cicatrice.
-Ho. Je vois. Je m’en souviendrai, répondit Malon en hochant la tête.
Feena fit mine de sortir, puis avant de refermer derrière elle, jeta un dernier coup d’œil à la courtisane.
-En fait, si tu dois craindre quelqu’un, crains plutôt le Héros.
La porte se ferma sans un bruit.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: sakuranbo le mercredi 26 mai 2010, 21:47:14
Waaaaaaaaaaaaou!!!! Excuse moi de tant d'enthousiasme, mais j'ai vraiment adoré ce chapitre :niais: Le Héros que tu décris si bien, la discussion très bien menée entre Tarquin et le Chien, les sentiments de Malon, que du bonheur à lire! Et puis Feena est trop classe, je l'adore! Je n'ai aucune critique à emettre, juste des compliments pour cette fic si bien écrite!
J'ai vraiment hâte d'avoir la suite :niais: Je suis fan!
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le mercredi 23 juin 2010, 10:46:20
(Note : Les réponses aux commentaires précédents ont été perdus lors du passage à la version 7.5 du forum.)

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VII
-Kaepora-


Kaepora avait rendu sa démission du poste de Maître. Lassé, fatigué, écœuré de ce qu’était devenu le Consortium et ses plus hauts-membres, il avait préféré se retirer du pouvoir et se consacrer à l’étude et l’élévation spirituelle. En vérité il continuait à instruire la jeune Médolie et son ami Scaf, car de tous ses élèves ils étaient les plus innocents, les plus aimables. En dehors de ces deux là, personnes ne venaient le déranger, perché qu’il était dans sa chambre du dernier étage. Il n’en sortait plus que pour aller cherche tel ouvrage à la bibliothèque, et se faisait monter ses repas par un serviteur.
Il caressa d’une main distraite le buste de Gaebora tout en regardant depuis sa fenêtre la fête qui battait son plein en contrebas. Il avait de la même façon assisté à l’arrivée du Héros, avant de se rendre au plus près par l’intermédiaire de son hibou familier. Avec une pointe de gêne, il devait reconnaître que la femme barbare lui aurait presque fait retrouver la fougue de ses jeunes années. Il n’avait pas porté beaucoup d’attention aux autres. Le monde extérieur ne lui était pas d’un grand attrait, et il ne se souciait pas des turpitudes politiques. Cela n’allait pas changer sa vie, après tout. Même le Roi n’osait trop rien dire au Consortium. Il y avait trop en jeu.
Parfois, lorsqu’il contemplait la ville, sa vie, sa joie, son entrain, Kaepora regrettait d’avoir choisi la voie de l’Esprit, se coupant ainsi d’une vie normale, d’une famille, d’une épouse, d’un fils. Il était en effet interdit aux membres du Consortium de se marier, ou d’entretenir des relations charnelles, au risque de se voir à jamais refuser l’entrée au collégium de magie. Cela n’avait jamais perturbé Kaepora, mais à l’approche du crépuscule de sa vie, il songeait de plus en plus à connaître les choses qu’il avait toujours délaissées au profit de l’étude et de la connaissance. Il se sentait de moins en moins chez lui entre les murs de l’école, comme entouré d’étrangers. Ses vieux amis étaient soit morts, soit séniles, soit métamorphosés comme Sahasralah qu’il ne reconnaissait plus depuis quelques temps. Il n’avait plus le cœur à enseigner à la nouvelle génération de mage, bouffie d’orgueil, d’arrogance et par trop impatiente.
Il ne savait pas encore ce qu’il pourrait faire, une fois dehors, mais il savait qu’il voulait quitter le Consortium… Définitivement. Mais avant cela, il avait des travaux à finir, et qui requéraient les ressources du collégium. Se détournant de la fenêtre, il retourna à sa table de travail, sur laquelle un grimoire datant de l’ère Primaire -époque qui avait fini par la quasi-extinction de la merveilleuse civilisation Hylienne- trônait fièrement, ouvert sur une page richement calligraphiée. L’ouvrage n’était pas à la portée du premier néophyte venu. En plus d’être assez pointu sur l’alchimie des Essences, il était rédigé en Haut-Hylien, une langue morte presque oubliée. Kaepora se targuait de la parler presque couramment, mais les Hyliens de l’ancien temps se complaisaient à inventer et utiliser moult mots savants pour nommer toutes leurs découvertes. Ce vocabulaire particulier devait être recherché dans d’épais tomes de traduction : un travail long et fastidieux. Surtout lorsqu’une erreur dans l’analyse de la déclinaison vous faisait chercher dans le mauvais grimoire…
Cependant, cette méthode appartenait au domaine du passé pour Kaepora. Avec les ans, sa maîtrise de la langue s’était largement améliorée, son vocabulaire étoffé de milliers de mots, et rares étaient encore les passages qui lui donnaient du fil à retordre. Quand cela arrivait -comme présentement-, il s’en allait trouver Madura.
C’est ce qu’il fit. Tandis que Gaebora regagnait son perchoir favori en hululant, il ferma le livre en ayant pris soin de marquer sa page d’un petit morceau de parchemin, puis quitta sa chambre. Madura se trouvait toujours quelque part dans le labyrinthe d’étagères qui constituaient la bibliothèque du Consortium. Cela prenait parfois plusieurs heures à Kaepora pour trouver son ami, plongé en pleine lecture derrière des colonnes de livres posés les uns-sur les autres au fur et à mesure que leur contenu était disséqué.
Madura était un curieux personnage. Il était arrivé au Consortium la même année que Kaepora, et de fait ils avaient le même âge. Cependant, là où Kaepora s’était révélé doué et brillant, Madura avait enchaîné les échecs et les désillusions. Malgré tout, les deux hommes étaient devenus bons amis, le jeune prodige et le raté fini. Un jour cependant, durant leur deuxième année, Madura fut victime d’un curieux incident. Alors qu’il déambulait dans les couloirs, broyant comme à son habitude du noir sur ses capacités, la tête d’une statue ornementale se détacha de son buste et s’abattit violemment sur le crâne du jeune apprenti. Ce dernier resta plusieurs jours dans l’inconscience, et lorsqu’il s’éveilla, il proférait des paroles incohérentes dans des langues inconnues. L’archimaître diagnostiqua que Madura avait reçu, de façon miraculeuse, les dons rares de la compréhension universelle des langages, ainsi que celui de la prophétisassion. S’il ne s’intéressa jamais vraiment au second, il fit du premier sa raison de vivre. Délaissant totalement l’étude de la magie, il fit de la bibliothèque son repaire, et se mit à dévorer tome après tome après tome. Rien ne lui posait problème, et il ne fallut pas long avant que tous les hommes et femmes du Consortium ne viennent lui demander des traductions.
Ce style de vie avait bien entendu affecté Madura. Il s’était presque totalement coupé du monde réel, son esprit oscillant entre les âges lointains et mystérieux décrits dans les grimoires, ne reconnaissant presque plus ses contemporains, et ne parvenant plus à se souvenir des événements du présent. Son caractère était devenu catastrophique : irascible, colérique, il ne supportait presque plus la compagnie, le bruit, les préoccupations courantes. Et quand bien même, malgré tout, quelqu’un réussissait à obtenir de lui une traduction, il n’était pas dit qu’il vous la donnât dans la langue appropriée. Beaucoup rapportaient aussi, alors qu’ils cherchaient certains ouvrages, l’avoir entendu psalmodier des mots étranges, tout seul dans un coin. Tant et si bien que presque tout le Consortium s’était entendu pour le croire fou, et ne plus s’en préoccuper. A sa connaissance, Kaepora était le seul à continuer de visiter Madura. Il fallait dire que leur lien d’amitié ne s’était jamais rompu, et que malgré sa condition, Madura conservait assez de lucidité dans ce qui touchait à son vieil ami.
Kaepora avait envisagé un moment demander à son ami de le suivre hors du Consortium. Mais il était revenu sur cette idée. La passé, les sciences, la connaissance, les langues anciennes étaient tout pour Madura. Il ne pouvait pas lui demander d’abandonner tout ce qu’il était, tout ce qu’il aimait. D’autant plus que Madura ne devait pas avoir conscience des changements qui se produisaient au sein du collégium de magie. Il était trop hors du temps, coupé du reste, déconnecté. Il valait mieux pour lui qu’il restât là.
Arrivé au bas des trop nombreux escaliers en colimaçon qui le ramenaient au rez-de-chaussée, Kaepora était essoufflé. Il passa une main presque paternelle sur son ventre rebondi, mais regretta un peu la vigueur de sa jeunesse -une fois de plus. Personne n’aurait pu être en mesure de l’affirmer en l’état actuel, mais il avait été un fringuant jeune homme. Le Consortium était plus ou moins désert, car la majeure partie des étudiants et des professeurs avait eu la permission de se mêler aux festivités de la semaine. Il ne devait rester en les murs blancs du vénérable bâtiment qu’une vingtaine d’âmes, incluant les Maîtres, Madura, lui-même et quelques serviteurs. Kaepora appréciait le calme serein qui se dégageait à présent, renforcé par le cadre enchanteur du collégium, bâti selon des plans d’architecture Hyliens anciens, retrouvés dans des ruines à l’époque de l’apparition des Hommes.
En se rendant sans précipitation jusqu’à la bibliothèque, Kaepora aperçut Vaati, du moins sa longue chevelure blanche lui tournant le dos, de l’autre côté du cloître qu’il venait de rejoindre. Le jeune Maître jeta un regard circonspect alentour, puis disparut dans un pan de mur. Pour une raison qu’il ignorait, le cœur de Kaepora s’emballa. Il ne connaissait pas l’existence de ce passage dérobé (magiquement, sans aucun doute), alors qu’il occupait la fonction de Maître deux semaines plutôt encore. Ce genre d’endroit n’était vraiment pas inhabituel dans le Consortium, mais tous les Maîtres étaient informés de la création d’un tel lieu. Hors Kaepora ne l’ayant pas été, il y avait deux explications possibles : soit cela était postérieur à sa démission, et donc très récent, soit on ne l’avait pas informé délibérément… Dans les deux cas, la chose lui paraissait curieuse. En temps ordinaire, Kaepora aurait continué son chemin sans s’en préoccuper d’avantage. Mais il ne pouvait chasser de son esprit la mine contrariée et soucieuse qu’il avait entraperçut sur le visage de Vaati. Sans faire de bruit, Kaepora s’approcha du mur en question, et l’éprouva doucement. Bien entendu, il rencontra la résistance habituelle de la pierre.
L’ancien Maître était un mage habile et chevronné ; il ne lui fallut guère longtemps pour neutraliser les défenses magiques. L’ouverture se présentait comme un simple trou dans le mur, ouvrant sur des escaliers raides s’enfonçant profondément dans le sol. Tellement profondément que leur fin était camouflée par des ombres épaisses. Le claquement sec d’une porte métallique que l’on referme se répercuta sur les marches, et ce bruit sonnant comme une sentence irrémédiable fit frissonner Kaepora.
Il n’était pas homme à se mêler des affaires d’autrui ni à être curieux de ce qui ne le concernait pas. Un bizarre pressentiment, cependant, lui fit descendre l’escalier de pierre grise. Au fur et à mesure que les ténèbres se refermaient sur lui, le sentiment de malaise et d’oppression qui l’étreignait s’accentua tout à fait. Après une descente qui lui sembla durer des heures, il fit face à la fameuse porte. Ce n’était rien d’autre qu’un étroit battant de fer noirci imbriqué dans la paroi rocheuse. Il était aveugle et dénué d’anneau et de poignée. On avait beau tendre l’oreille, aucun son ne s’en échappait. Kaepora avança prudemment la main, redoutant il ne savait quoi. Une sueur glacée lui courait le long de l’échine, son cœur battait plus fort qu’un tambour.
Lorsque ses doigts effleurèrent le métal froid et légèrement humide, une terreur aussi vive que soudaine s’empara de lui et il se recula précipitamment en poussant un cri qu’il étouffa aussitôt. Une horreur séculaire, cosmique et hideuse avait envahi, l’espace d’une seconde, son esprit. Quoi que Vaati fît dans cette salle, ce n’était rien de sain ni de bon. Terrifié, en proie à une vive agitation, Kaepora se hâta de rejoindre le cloître. Il décida que cela ne le regardait en rien, et qu’il était plus sage et raisonnable de tout oublier.
Mais lorsqu’il fut de nouveau dans la galerie ceinturant la cour intérieure, il eut l’impression nette qu’un mal innommable suppurait des murs familiers. Un relent de pourriture antique le suffoqua, et il gémit en s’effondrant sur un genou. De ses yeux fiévreux, il regarda alentours, et il eut juré que les statues lui rendaient son regard avec des sourires tout de sarcasme et de cruauté. La pelouse n’était-elle pas grise et fanée tout soudain? Le ciel noir et lugubre? Qu’étaient ces bruits ignobles semblables à une chœur de miséreux hurlant d’agonie? Kaepora poussa un cri lorsqu’il sentit une présence à son côté, mais il avait beau tourner la tête en tous sens, il n’y avait personne. Rien qu’une présence intangible, démoniaque, qui le dévisageait, il en était certain.
« Kaepora… »
Son nom, à peine murmuré par le vent, terrible tout à coup, sonna comme l’évocation d’un met somptueux, prêt à être dévoré. Un éclair fendit le ciel torturé, illuminant le cloître d’ombres sournoises, terrifiantes, vivantes. Elles s’approchèrent du mage tétanisé en tendant des doigts crépusculaires tordus et répugnants, susurrant des cris aussi muets qu’assourdissants.
Et par-dessus cette folie surnageait le spectre d’une entité plus effroyable que le cœur de la nuit, cosmique et terrestre à la fois, froide comme le plus froid des hivers, et plus redoutable que la mort elle-même.
L’esprit de Kaepora se brisa, et c’est en pleurant qu’il sombra dans la terrible inconscience dont, il en eut le bref pressentiment, il ne sortirait jamais.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: sakuranbo le mercredi 23 juin 2010, 22:39:12
Nyaaa! Je suis contente de lire un nouveau chapitre de cette fiction que j'adore!
J'ai beaucoup aimé ce chapitre, comme d'habitude, je lui reproche juste d'être déjà fini :3 Tu sais toujours aussi bien décrire et utiliser les personnages à ta façon, j'adore^^
Brrr! Le sort de Kaepora m'a fait froid dans le dos! Vivement la suiiiiite!!!
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le vendredi 25 juin 2010, 00:53:15
Je suis content de te savoir toujours au rendez-vous! :) Et comme j'ai été mortifié de prendre conscience du temps intolérable qui s'était écoulé entre le post du chapitre VI et celui du VII, voici d'ores et déjà le chapitre suivant! Bonne lecture!


_______________________


[align=center]VIII
-Dumor-[/align]


   Toute la fine fleur d’Hyrule était là, attablée le long des tréteaux surchargés de victuailles -rôtis, pâtés en croûte, volailles, tourtes, poissons dans leurs sauces légères, gourmandises sucrées ou salées, pains dorés et autres brioches, vins, bières, hydromels, il y avait tout ce que pouvait offrir le royaume.- et couvertes de fines nappes blanches brodées au fil d’or des Trois Triangles et du blason royal. Un observateur extérieur aux jeux du pouvoir n’aurait vu dans le placement des convives qu’un joyeux chaos dicté par l’humeur des invités, mais autours des tables personne ne doutait que la main de maître Baelon y fusse étrangère, sûrement secondée par l’avis de l’intriguant Tarquin ou du couple royal lui-même. Ainsi Lord Darunia côtoyait Lady Ruto, toujours vêtue d’une sobre mais élégante robe noire -elle ne parvenait pas à faire le deuil de son époux, parti pour le Saint Royaume durant l’Hiver- car un mariage entre ces deux veufs arrangeait tout le monde. De même, Saria Mojo, la fille de Lord Dumor, était-elle assise à la gauche du jeune et farouche Lars Zora, car une union entre eux avait déjà été évoquée plusieurs fois -même si Lord Dumor n’entendait pas le moins du monde marier sa fille adorée à quiconque qu’elle n’aurait elle-même choisi. Le véritable casse-tête de ce banquet avait été le cas du Chien. En effet, même si d’aucun n’aurait eu l’audace de le clamer, nul ne le voulait pour voisin, tant sa laideur était grande, et sa cruauté barbare reconnue. Et comme il était le suivant personnel du sieur Link -du Prince Link, sous peu-, il avait fallu le placer pas trop loin de l’estrade royale, et donc l’entourer tout de même d’un certain prestige. Maître Baelon avait choisi avec habileté Lord Darmani, le frère de Lord Darunia, pour sa gauche -la place la plus proche de l’estrade-, et nul doute que ces deux guerriers trouveraient à s’entendre sur quelques récits de bataille, quant à la droite du Chien, elle était tenue par Laruto, l‘Enchanteresse de la famille Zora, dame de compagnie de Lady Ruto. Si elle en était offusquée ou chagrine, elle n’en montra rien, et ses traits doux et maternels ne cessèrent de sourire diligemment.  
   Le placement des autres convives était plus convenu. En bout de table se retrouvaient les enfants et les jeunes hommes : les fils Dodongo, Ser Allister, Ser Goro, et Ser Sedrik qui déjà se disputaient les meilleurs plats ; en vis-à-vis venaient le jeune Lars et Lady Saria, épaulée par son frère le Ser Mido. Ensuite avaient été placées la petite noblesse et la petite chevalerie, à l’instar de Ser Talon, le maître d’arme, et Maître Ingo, son royal palefrenier de cousin, dont l’air ronchon le disputait à celui caricaturalement débonnaire de Talon, mais aussi Feryl, le bon capitaine de la Garde, ainsi que les courtisanes et suivants des grandes maisons. Koume et Kotake Dragmir, les sœurs jumelles de Lord Dorf,  placées en vis-à-vis, marquaient la limite entre le haut et le bas du panier, si l’expression était permise. Un haut de panier au final assez restreint. Sur le côté droit de l’estrade venaient, dans l’ordre : Kotake, Lady Ruto, Lord Darunia, Laruto, le Chien, Lord Darmani, et le sire Colin. En vis-à- vis, dans le même ordre : Koume, Maître Baelon, Fado, Lord Dumor, Dame Feena, Nabooru -la Première Concubine de Lord Dorf-, et le seigneur de celle-ci. L’estrade, qui était surélevée par rapport au reste de la salle, et qui établissait la base de la forme en U des tables, accueillait, de gauche à droite : Monseigneur Rauru, Tarquin du Sheikah, Agahnim le Sombre, la reine Ishtar, sa Majesté Salomon, le sieur Link, la princesse Zelda et son jeune frère son Altesse Noahnsen.
   En réalité, le placement n’était pas si convenu que ça, et manquait quelque peu au protocole. En temps ordinaires, il aurait été impensable que les Lords du Conseil des Sages -Darunia, Dorf, Dumor, Lady Ruto- ne se situassent pas aux parages immédiats de l’estrade. De plus, il était presque insultant que Laruto et Fado fussent placés plus haut que des Lord et leurs Lady, car malgré leur appartenance passée au Consortium Aedeptus, ils n’avaient officiellement que le titre de conseiller auprès de leur maison. Mais Lord Dumor avait déclaré qu’il n’assisterait pas au banquet si son conseiller n’était pas à son côté, et maître Baelon n’avait trouvé personne d’autre à caser auprès du Chien que Laruto. Alors, tout le monde trouvait de bon ton de ne point s’offusquer. Fallait-il préciser par ailleurs que le sieur Link, le Chien, le sire Colin et la dame Feena n’étaient que des guerriers sans titres ni terres, et donc, pour le moment, de simples reîtres?
   Lord Dumor, dit le Lutin en raison de sa petite taille, avait insisté pour garder Fado à son côté, car il allait avoir besoin de ses dons durant le repas. Si le maître de la maison Mojo n’était pas vraiment taillé pour la guerre, la joute, la lutte, l’escrime, le tir à l’arc ou la chasse, il en avait profité pour développer un esprit d’une redoutable efficacité, une intelligence conçue pour intriguer et comploter, tirer son épingle du jeu. Enfin, il se vantait de n’en être que le seul informé, avec Fado, car il avait planifié, des années auparavant, de se donner l’image d’un fat insolent et à peine assez malin pour tenir tête à Lord Dorf durant une partie d’échec -même s’il devait se faire violence pour ne pas exploiter chacune des fautes magistrales commises par son adversaire, c’est-à-dire tous ses coups. Cette image collait d’ailleurs assez bien avec sa corpulence de nain, dont il s’était fait une arme. Il n’était jusqu’au  sournois Tarquin qu’il ne trompait.
   Lord Dumor appréciait beaucoup les banquets. Non pas qu’il aimât manger -il n’avait jamais vraiment été homme d’appétit- mais c’était souvent l’occasion de s’instruire sur ses pairs, de démêler certaines intrigues de cour, de vérifier ou discréditer certaines rumeurs, de prendre la température de la cour, de fonder des alliances, de résoudre des querelles, le tout dans une ambiance festive de bon aloi.
   Le Lutin piochait distraitement dans les plats devant lui, trempait vaguement ses lèvres dans des coupes de vins capiteux, tandis que ses yeux vifs, du même vert foncé que les feuilles des vastes forêts ceinturant sa citadelle de Boisperdu, allaient d’un convive à l’autre, cherchant à surprendre des regards, des expressions, des bribes de conversations, des postures. Il eut quelques surprise. La plus importante, du moins la plus surprenante, était la conversation apparemment passionnante dans laquelle étaient plongés le Chien et cette enchanteresse de Laruto. Cette dernière ne semblait pas s’effaroucher de l’aspect répugnant de son interlocuteur, elle le regardait droit dans les yeux -enfin, droit dans l’œil, plutôt. Quant à Lord Darmani, il mit un certain temps avant de s’intéresser aux dires du sire Colin, qui paraissait bien mal à l’aise en pareille compagnie. Même si, quelques coupes de vin plus tard et le rouge aux joues, c’est à gorge déployée qu’il riait des anecdotes du cadet Dodongo.
   Lord Dorf échangeait des banalités avec sa concubine et Monseigneur Rauru ; les sœurs Dragmir s’interpellaient l’une l’autre en gloussant, sous l’œil sévère de Maître Baelon, tandis que Lord Darunia et Lady Ruto devisaient tranquillement, mais sans ardeur. Ce qui se passait sur l’estrade était très intéressant également. Tandis que la Princesse Zelda n’en pouvait plus de jeter des œillades passionnées à son promis, lui ne se souciait d’elle autant que de son premier pantalon, absorbé qu’il était dans sa conversation avec son futur beau-père. Il répondait poliment tout de même, de temps en temps, à la princesse, mais il fallait être aveugle pour ne pas voir qu’il lui aurait volontiers rabattu son caquet pour qu’elle le laissât enfin en paix. En bout de table, le prince picorait dans son assiette, l’air de s’ennuyer de tout. Il ne cessait cependant de jeter des regards intenses au Chien, qui hélas lui tournait le dos. La reine Ishtar se retira assez tôt, ses forces toujours plus déclinantes au fil des jours ne lui permettant plus de tenir aussi longtemps un événement officiel. Le Premier Conseiller Agahnim et Tarquin Qu’un-Œil se tenaient cois, le premier mangeant de bon appétit, le second se contentant de darder son effroyable œil rouge sur l’assemblée, même si en fin de repas, il se mit à échanger avec Monseigneur Rauru.
   Le cadre était charmant et festif. On avait fait venir des rhapsodes, des chanteurs, des harpistes, des flûtistes, des saltimbanques, et bien sûr, le Bouffon du Roi, Tingle Tingle, régalait toute l’assistance de force pitreries et facéties.
   Fado le Faiseur des Vents mangeait calmement, goûtant à tous les plats, buvant à toutes les coupes, avec un plaisir évident. Le conseiller de Lord Dumor était plus grand que ce dernier, mais pas de beaucoup. Il avait l’allure et les traits d’un enfant, et malgré sa cécité ne se débarrassait jamais d’un petit sourire espiègle et doux. Nul ne savait grand-chose de lui, comme son âge, en dehors de Laruto dont il se murmurait qu’ils furent amants, jadis. Personne ne se trompait cependant, tous savaient qu’il était un mage redoutable, courtisé par les grandes familles dès le point du jour où il quitta de son plein grès les rangs du Consortium. Dumor lui-même ne savait pourquoi l’énigmatique conseiller l’avait préféré aux autres, mais il s’en félicitait, les aptitudes de son serviteur s’étant révélées multiples et précieuses.
   Le Lutin se pencha vers Fado.
   -Parle moi du Chien.
   Le magicien ne s’arrêta pas de manger, se contentant de pencher légèrement la tête sur le côté, comme s’il réfléchissait tout en mâchant avec délectation une tranche de rôti finement cuit dans la graisse.
   -Il n’est rien à craindre de lui. C’est une âme brisée depuis longtemps, et lasse de tout. Sa loyauté à son maître est sans faille et inconditionnelle : Link est sa raison de vivre, et il obéira à tous les ordres sans jamais broncher. Je ne le sens ni sournois, ni perfide, mais il est seul, et ne cherche pas de compagnie.
   Lord Dumor acquiesça pensivement.
   -Si je puis me permettre une réflexion…
   -Fais.
   -Je sens qu’il serait bon pour vous de vous en approcher et de vous en faire un ami.
   -Pourquoi donc?
   -Le vent me le murmure à l’oreille.
   Lord Dumor eut un claquement de langue sceptique. Cela signifiait que Fado n’avait eu qu’un pressentiment. Rien de concret. Il ne s’agissait pas miser sur le mauvais cheval.
   -Que peux-tu me dire des autres? Et épargne moi tes fantaisies.
   -Comme il vous plaira, messire. Le lieutenant est un esprit simple et bon, mais assez couard, hanté par les spectres de ce qu’il considère comme ses crimes. Quant à Link… Je n’ai rien à en dire.
   -Comment cela, rien à en dire?
   -Oui.
   Comme Fado ne semblait pas vouloir ajouter quoi ce que soit d’autre, le Lutin, eut un geste d’humeur en plantant assez disgracieusement son couteau dans la cuisse d’un poulet.
   -Quelque chose contrarie m’sire?, fit une voix de l’autre côté de sa personne.
   Il se tourna sur son siège, et ce fut comme s’il apercevait Feena Hurlebataille pour la première fois. Le fait qu’elle le dominait encore d’une bonne tête malgré les coussins qui le rehaussaient donnait plus de force encore à son regard farouche, ses traits volontaires, et à cette aura exceptionnelle qui était la sienne. Lord Dumor resta subjugué une courte seconde, et malgré toutes ses vantardises introspectives sur son esprit et sa subtilité, il ne put contrecarrer le feu qui se déclencha dans ses chausses au niveau de son aine. Il en fut dépité d’être le seul Lord encore marié. Ses yeux parcoururent furtivement les formes splendides et musclées de la guerrière, parfaitement mises en valeur par les vêtements d’apparats d’homme frappés de son blason -double haches croisées cramoisies- qu’elle portait.
   -Tout à fait, finit-il par répondre après s’être recomposé une posture. Voyez-vous, mon cher conseiller vient de m’annoncer que j’étais toujours, hélas, trois fois hélas, marié ; et qu’en conséquence de quoi ce serait fauter que de contempler vos seins si superbes.
   Lord Dumor se dégoûtait lui-même par moments. Il avait un esprit qui encensait la poésie, la beauté simple, la finesse et la délicatesse, mais le personnage qu’il avait mis tant d’ardeur à se créer dictait à présent toutes ses phrases. Il se trouvait souvent sot, grossier et outrageux. Par bonheur, la dame ne s’offusqua pas de sa remarque, au contraire, elle en rit.
   -Et bien, m’sire me prend au dépourvu. Si je ne l’en remercie pas moins pour le compliment, je dois dire que je ne m’attendais pas à tant de… franchise de la part d’un Lord.
   Le Lutin se força à jouer son personnage jusqu’au bout. C’était plus difficile qu’à l’ordinaire.
   -Ha, pour sûr, l’eussiez vous demandé à Lord Dorf ou Lord Darunia, ils vous auraient parlé de votre parure ou de votre coiffure. Mais nous savons tous deux ce qu’ils auraient réellement eu à l’esprit.
   -M’sire parle franc, répéta Feena en avalant une gorgée de vin en ne quittant pas Dumor des yeux.
   -Parlez moi du Chien.
   Hurlebataille eut un ricanement.
   -C’est curieux. Je pensais venir dans la capitale pour célébrer l’avènement de mon seigneur, mais tout le monde passe son temps à me parler de son animal domestique.
   -Tiens donc? Qui cela, par exemple?
   -Vous êtes trop curieux. Cela me regarde.
   -Ne m’en parlerez vous point, alors?
   -Que voulez-vous que je vous en dise?
   -On dit qu’il a tué des centaines de guerriers.
   -C’est vrai.
   -Tant que cela? Je crains que même ce brave Lord Darmani ne puisse se vanter de pareil exploit.    
   -Mais ne vous trompez pas, le sieur Link est plus redoutable.
   -Ha! Me voilà rassuré. J’aurais été bien peiné d’avoir pour roi un faible qui se targue des mérites des autres.
   -N’ayez aucune crainte à ce sujet là…
   La petite pointe d’amertume glissée dans la phrase n’échappa pas à Dumor. Malgré lui, son regard sur porta sur le monarque en devenir, et son cœur loupa un battement lorsque ses yeux rencontrèrent la brutalité océane et destructrice des prunelles du Héros. Il se détourna bien vite, et but avec un faux engouement une longue rasade de vin, aboyant sitôt après un serviteur pour qu’on lui resservisse le même. Tout en ruminant sur la situation actuelle, il lança sans y mettre le cœur des morceaux de nourriture sur Tingle Tingle en lui criant d’être drôle, pour changer, sous les applaudissements de l’auditoire.
   Sans qu’il s’y attendisse le moins du monde, une paire de lèvres douces effleura son oreille droite, et les mots qui les franchiresnt le glacèrent.
   -Vous pouvez tromper tous les hommes qu’il vous plaira, m’sire, mais vous ne me tromperez pas moi. J’ai lu dans vos yeux ce que vous êtes réellement. Cependant, mes seins vous remercient tout de même.
   Curieusement, cet épisode mit le cœur de Lord Dumor en joie. Cela aurait émané d’une autre personne qu’il se serait renfrogné, mis en colère surement, mais venant de cette femme, il en tira un certain soulagement. En la regardant dans les yeux, il lui porta un toast et ils trinquèrent ensemble. Un peu plus tard, le Lutin glissa sur un air de reproche à Fado :
   -Tu ne m’avais point parlé d’elle.
   -Il n’en est plus besoin.
   Lord Dumor se renfonça dans son siège, dépité, imaginant tous les moyens les plus distrayants d’effacer à jamais ce fichu sourire du visage du Faiseur de Vents. Alors qu’on amenait les desserts, il fit un dernier tour de l’assemblée.
   Il aurait payé cher pour entendre certaines des conversations.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: sakuranbo le vendredi 25 juin 2010, 13:51:24
Quelle joie de découvrir un nouveau chapitre ce matin!  :<3: Superbement bien écrit, comme tous les autres. Tu décris vraiment bien l'ambiance de ce festin, on a l'impression d'y être!
J'aime beaucoup le fait que tu jongles avec de nombreux personnages qui ont tous une vraie profondeur psychologique. J'adore particulièrement Hurlebataille pour sa repartie et son caractère flamboyant^^
Tes descriptions sont très bonnes avec un bon vocabulaire, les dialogues sont dynamiques... Bon je te fais des tonnes de compliments, mais sache que je suis vraiment fan! :niais:
J'attends la suite avec impatience!!!
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le samedi 26 juin 2010, 19:48:18
Le fait de te savoir aussi enthousiasme à propos de Triangle me permet de trouver les ressources pour me surpasser! Car oui, voici déjà le chapitre suivant! Encore merci, en tous les cas, d'être aussi assidue et enchantée, Sakuranbo ^^ En espérant que Triangle continue de te séduire...


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[align=center]IX - I
-Le Chien-[/align]


   Le Chien n’avait jamais vu autant de nourriture à la fois, et dans une telle diversité. Il y avait plus de plats qu’il n’en connaissait, plus de boissons qu’il n’en avait jamais goûtés, plus de fumets qu’il ne pouvait en humer. Toute cette abondance lui donnait mal au crâne. Il ne savait pas par quoi commencer, par quoi était-il décent de commencer. Les pâtés? Les salades? Les tourtes peut-être? Ne sachant trop que faire, il décida de calquer sa conduite sur celle de Lord Darmani, à sa gauche.
   Le cadet Dodongo était, comme tous les membres de sa famille, un colosse qu’on imaginait plus aisément en armure qu’en soierie. Contrairement à la physionomie de son frère et de ses fils, le visage de Darmani était un bloc compact toujours maussade. Ses traits étaient durs, rigoureux, militaires. Ses yeux étaient profondément enfoncés sous d’épais sourcils blancs,  lui conférant un regard perpétuellement ombrageux. Ses cheveux, blancs de même, étaient hérissés en une espèce de couronne tout autours de sa tête, renforçant le côté guerrier du personnage.
   Il ne semblait pas particulièrement ravi de se retrouver à côté du Chien, car il ne le regarda pas une fois ni ne lui adressa la parole au cours du banquet. Le Chien ne chercha pas non plus, de son côté, à nouer le dialogue. Il était fatigué, et n’aspirer qu’à un peu de repos. Il avait encore en tête le moelleux du lit de sa chambre, la douceur des draps… Pour un peu, ses paupières se seraient fermer d’elles-mêmes. Il préféra se concentrer sur les mets raffinés pour rester alerte. Il ne s’agissait pas de faire mauvaise impression, et de passer pour plus idiot encore qu’il ne devait déjà paraître aux yeux de toutes ces nobles personnes. Plus que jamais le Chien avait le sentiment de ne pas être à sa place. Il faisait tache dans le tableau. Il était laid, mutilé, peu instruit, ne savait que se battre et exécuter les ordres. Un tour de l’assemblée le conforta dans son opinion. Même Maître Tarquin, qui passait pour effroyable, avait un port noble et digne, savait parfaitement se tenir, était dans son élément. Et Lord Dumor, malgré son handicap, n’en était pas moins beau pour autant.
   -Laissez les dire. Vous aurez bien assez tôt l’occasion de vous faire connaître auprès d’eux.
   Le Chien se tourna tout à fait, car sa vision amputée ne lui permettait pas de voir sa voisine de droite. Il fut un instant désarçonné lorsque leurs yeux se rencontrèrent. En effet, dame Laruto contemplait son visage meurtri sans broncher, détaillait les cicatrices sans manifester de répugnance ou d’effroi particulier. Un sourire chaud et aimable étira ses lèvres maquillées de cyan pailleté d’or. Ce sourire, le premier qu’on lui adressât spontanément depuis… des lustres! réchauffa le cœur du Chien.
   -Plaît-il?, répondit-il d’une voix rauque, qu’il éclaircit en toussotant dans son poing.
   -Ils se méfient de vous, ont peur de vous peut être, ne vous aiment point. Mais il faut les comprendre. Ils n’ont de vous que l’image qu’ils ont pu se faire des récits fantastiques et des rumeurs surréalistes qui ont filtré à la Cour.
   -Quel genre de récit, madame?
   -Ho! Des choses effroyables, croyez moi. Certaines prétendaient que vous n’étiez qu’un espèce d’ogre, d’autre que vous mangiez la chaire de vos ennemis. En tous les cas, rien de bien flatteur je le crains.
   -Je… Je vois.
   Le Chien baissa les yeux, miné. Que n’avait-il pas eu la bonne idée de rester intègre… Il fut surpris lorsque Laruto posa une main apaisante sur son bras.
   -Mais que cela ne vous tracasse point. Il est à présent clair que ces rumeurs n’étaient que cela, des rumeurs. Moi, je vois un homme de qualité, mieux élevé que certains des ces nobles seigneurs, loyal envers son maître. Et si certains ont encore de vous l’image d’un reître idiot, alors je n’ai point de doute que vous les détrompiez sous peu.
   Le Chien en resta un moment sans voix. Il était tellement peu habitué à ce qu’on le complimentât qu’il ne sut quoi répondre. Il en profita pour détailler sa voisine. Même si elle accusait un certain âge, dame Laruto conservait des traits avenants et délicats, d’un douceur de plume. Ses yeux étaient semblables à deux lapis-lazulis brillants rappelant immanquablement les profondeurs d’un lac, fraiches et paisibles. Des rides joyeuses ornaient les plis de ses yeux et le coin de ses lèvres,  et ses cheveux, élégamment coiffés en torsades légères, étaient comme une cascade d’eau pure, d’un bleu pâle chatoyant du plus beau lustre. Sa toilette était sobre mais non dénuée de finesse, partageant elle aussi des tons de bleus. Pour seule coquetterie se tenaient deux boucles d’oreilles de saphirs iridescents taillés à l’image du blason Zora.
   -Madame est trop bonne, finit par répondre le Chien.
   Elle lui adressa un autre de ses sourires, et but une gorgée de vin légère. Malgré lui, le Chien admira sa gorge, son profil, ses épaules laissées nues par sa robe, comme l’imposait la mode du moment. Lorsqu’il se rendit compte qu’elle le dévisageait pareillement, avec une expression amusée, il se détourna un peu trop vivement, sentant ses joues s’empourprer malgré lui.
   -J’apprécie le compliment, sire, fit-elle en lui adressant un léger clin d’œil, ce qui n’eut pour effet que d’alimenter le feu sur le visage du Chien.
   Celui-ci se décida à boire à une coupe, au hasard, pour se changer les idées. Pour une fois, il se sentait réellement idiot. Depuis quand louchait-il sans vergogne sur les femmes?


[align=center]IX - II
-Saria-[/align]


   -Vrai de vrai, déclara Ser Sedrik avec une mine catégorique. Je vais vous dire, moi, ce que j’ai entendu, et même que c’est la vérité vraie!, enchaîna-t-il en se penchant avec un air de conspirateur, un saucisson à la main. Le Chien, il mange le cœur de ses ennemis, c’est pour ça qu’il est aussi fort!
   -Mais c’est répugnant!, s’exclama Lady Saria en posant une main sur sa bouche, outrée. Ser, veuillez modérer vos propos en présence d’une dame. Ce n’est guère décent.
   -Pardonnez moi, mais je n’ai fait que répéter ce qui s’ouï.
   -Et bien ne répétez plus, de grâce. Je ne voudrais point voir ce banquet gâché à cause de vils racontars calomnieux.
   Ser Sedrik la regarda,  les yeux ronds, la bouche pleine de saucisses.
   -Racontars!, s’outragea-t-il en postillonnant. Frère, n’ai-je point raison?
   -Tout à fait, acquiesça Ser Goro en se resservant une généreuse part de rôti. Je l’ai moi-même entendu de la propre bouche d’un garde de mes amis.
   Lady Saria tourna la tête, et observa d’un air sceptique la figure du Chien, tournée vers dame Laruto avec laquelle il était en pleine conversation. Même si elle le trouva tout à fait repoussant, la façon dont il s’empourpra niaisement et celle dont rit doucement dame Laruto en réponse acheva de la convaincre.
   -Je n’en crois rien, et vous aurez beau dire, il me faudrait le voir pour le croire.
   -Et quelle preuve vous faut-il? N’accordez vous donc aucun crédit à notre parole?,  d’indigna Ser Sédrik.
   -La parole de deux idiots vaut-elle plus que le sentiment d’une dame?, rétorqua Lars Zora, qui desserrait les dents pour la première fois du banquet.
   Si sa réplique cinglante coupa la chique des deux frères Dodongo, elle fit pouffer Saria.
   -C’est… C’est…, s’empourpra Ser Goro.
   Mais la main que posa Ser Allister sur son épaule l’empêcha d’aller plus loin. Le frère aîné secoua doucement la tête, enjoignant à ses cadets de ne pas continuer dans cette voie. Il avait un petit sourire amusé, signe qu’il approuvait les dires de Lars. Ser Allister était un curieux personnage. Physiquement, il était semblable aux autres Dodongo : une carrure de colosse, un teint sombre et bronzé, des prunelles brunes,  un visage carré et sympathique ; il différait cependant de ses frères, de son père et de son oncle, car il avait hérité de plus de caractéristiques de sa mère. Ses cheveux longs et raides n’étaient pas auburn mais noir de jais, ses traits étaient plus fins, empreints d’une certaine gravité et d’une certaine mélancolie. Il était également légèrement plus petit et plus fin, mais non moins musculeux. Sa barbe enfin, n’était pas drue et hérissée,  mais fine et élégante. Mentalement, il se distinguait également. Même s’il ne délaissait pas les choses de l’épée, bien au contraire -il se murmurait que, s’il n’était pas le meilleur escrimeur, du moins pouvait-il tenir tête à Lord Dorf.-, il était cependant un lecteur assidu, et un fin mélomane. Fallait-il dire aussi que le pauvre homme était venu au monde privé de parole. C’était pourquoi il continuait à fréquenter la table de ses frères et de leurs jeunes amis, quand il aurait pu s’il l’eut désiré se tenir aux côtés de son pères avec les autres Lords. Lady Saria regrettait souvent qu’il fusse promis à Koume Dragmir, car elle l’aurait bien choisi pour mari. Il était doux, et gentil, et preux, et vaillant…
   -Et vous, Lars, fit-elle, que pensez vous du Chien?
   L’héritier Zora s’abîma dans une courte réflexion avant de répondre.
   -Je n’ai que faire des rumeurs. Seuls les actes ont signifiance pour moi. Certes il n’est pas des plus… avenants, mais je n’aurai pas la bassesse de le juger sur sa seule apparence. Ser Talon dit souvent qu’on peut juger un homme sur sa façon de manier l’épée. J’en ferai de même.
   Lady Saria acquiesça. De tout le petit groupe, Lars était celui qui s’exprimait le mieux, et qui était le plus mature, pour son âge. Cependant, la mort de son père l’avait affecté, et il passait pour quelque peu renfermé sur lui-même, moins joyeux qu’auparavant. Saria savait cependant qu’il faisait des efforts pour leur rester agréable, même si par moments son humeur prenait le dessus.
   -Et le sieur Link?
   -C’est un grand homme!, s’exclamèrent en même temps Ser Goro et Ser Sédrik.
   -Il n’y a qu’à voir la façon dont il se déplace. Il a la prestance du seigneur, le port du roi. Son bras est sûr, ses yeux acérés. Il n’a pas usurpé ce qu’on dit de lui. Je tremble pour ses ennemis.
   -Tout à fait, cher frère!, confirma Ser Goro. Qui pourrait douter en le voyant qu’il n’est pas autre chose que le Héros lui-même?
   -Je partage ce point de vue, intervint Ser Mido pour la première fois. Il est le genre d’homme que l’on suivrait jusqu’au bout du monde.
   Mais Lady Saria avisa que Lars et Ser Allister ne partageaient pas leur opinion. Le premier observa un silence pensif, et le second jeta un regard à l’estrade royale. La jeune fille surprit un regard entre l’aîné des Dodongo et Link lui-même. Les deux hommes s’observèrent  comme deux chiens se cherchant noises, mais Ser Allister détourna le regard le premier, la mine sombre.
   L’incident ayant visiblement échappé à tous les autres, Goro continua :
   -Que n’ai-je hâte de le voir sur le trône! Sa Majesté Salomon est bonne et juste, mais elle se fait vieillissante. Je pense qu’un peu de sang frais ferait du bien.
   Je n’en suis pas si sûre, Ser, je n’en suis pas si sûre.


[align=center]
IX - III
-Malon-[/align]


   Les événements qui avaient précédé le banquet avaient coupé l’appétit de Malon. Mais malgré tout, elle se força à sourire aux avances maladroites mais distinguées de sire Feryl, et à celles moins distinguées et souvent à la limite de la grossièreté d’Ingo. Comme elle se trouvait sur la même rangée que lui, elle ne put jeter quelques regards à la dérobée vers le Chien, car la colossale silhouette de Lord Darunia le lui masquait tout à fait. Cependant elle put s’émerveiller tout son saoul de la prestance de Dame Feena, qui répondait à Lord Dumor sans baisser les yeux ni rougir comme une pucelle. Malon enviait la guerrière. Elle ne possédait ni titre, ni biens, ni terres, mais elle était infiniment plus libre que la pauvre courtisane,  réduite à endurer les envies de ses maîtres.
   -Vous ne mangez presque rien, très chère, lui souffla de son haleine avinée Ingo en lui posant outrageusement une grosse paluche sur la cuisse.
   Malon frémit, mais s’obligea à rester courtoise.
   -Je n’ai guère appétit aujourd’hui, cousin. L’excitation, sans doute.
   Elle détestait Ingo, le palefrenier royal. C’était un homme répugnant, sentant l’écurie, qui tyrannisait ses subalternes mais se montrait obséquieux d’écœurante façon avec les nobles et la chevalerie. Nul n’ignorait sa passion pour l’ivrognerie et la grivoiserie, et il jalousait jusqu’à la haine l’adoubement de son cousin. Au grand malheur de Malon, il avait commencé à s’intéresser à elle depuis que son corps avait gagné en formes et en courbes, et, malgré les nombreux refus de Ser Talon, n’avait pas oublié son idée de la faire sienne. Il ne cessait de la regarder avec ses yeux lubriques quand elle le croisait, tant et si bien qu’elle n’empruntait presque plus le chemin le plus court qui menait aux jardins, car il passait non loin des écuries.
   Une question de Feryl, le capitaine de la Garde, obligea Ingo à se détourner. Feryl était un homme bon et juste, avec des manières comme il fallait. Il avait été marié une fois, mais, veuf, il courtisait lui aussi Malon. Ils auraient pu tout deux se retrouver dans ce mariage avantageux pour les deux partis, mais la jeune femme ne souhaitait pas d’un époux trop vieux, et le brave Feryl accusait hélas ses trente sept ans révolus. Cela n’empêchait pas la courtisane de passer du temps avec lui et de l’apprécier comme ami.
   Malon releva les yeux et son regard croisa celui de son père, Ser Talon. Ce dernier lui fit l’un de ces fameux sourires débonnaires qui le caractérisaient. Le cœur de Malon se serra. Chaque jour elle remerciait les Déesses bien aimées de lui avoir accordé un père si doux et attentionné. Mais elle ne les remerciait pas, par contre, de l’avoir adoubé. Ser Talon était un homme simple, serviteur loyal dans l’âme, fils d’un forgeron. Son histoire n’avait rien d’exceptionnelle, à l’exception d’un mariage heureux achevé dans une demi douleur : sa femme aimante périssait en mettant Malon au monde. Talon se révéla être un excellent père, et bien qu’il lui fût difficile de concilier ses devoirs paternels et son métier, il s’y efforça. Sa chance tourna lors d’une chasse royale, à laquelle il avait été convié pour s’occuper du ferrages des chevaux. Le soir, alors que tout le monde s’occupait à monter le camp, un énorme sanglier avait jailli des fourrés, comme rendu fou par quelque chose. Sans attendre il avait chargé le roi Salomon, alors totalement pris au dépourvu. C’est là que Ser Talon, n’écoutant que son courage et sa loyauté envers son souverain, avait saisi une lance abandonnée et s’était jeté en travers de la route de l’animal. Le combat qui les opposa fut, selon les dires des observateurs, digne d’une légende, mais il coûta une jambe à Talon, qui se fit estropier par une charge furieuse. Le roi avait alors ordonné de chevaucher bride abattue jusqu’à la Citadelle pour que Ser Talon y fusse ausculté par Maître Baelon. Une fois Talon tiré d’affaire, Salomon l’avait alors adoubé en récompense, et quand on découvrit que le nouveau chevalier avait quelques solides notions d’escrime, il fut promu maître d’armes. En sus de cela, le roi commanda à un rhapsode célèbre de composer une ballade « Ser Talon contre le Seigneur des Bois ».
   Cette bonne fortune apparente avait été le début des malheurs de Malon, qui, devenue fille de chevalier, était devenue malgré elle courtisane. Cependant, la jeune femme n’avait jamais informé son père de ses déveines, car il aurait été le genre d’homme à abandonner son titre et ses fonctions pour le bien de sa fille. Elle ne voulait pas lui infliger ça. Il avait tant fait pour elle.  
   En détournant le regard, ses yeux croisèrent ceux de Feena Hurlebataille, qui lui fit un clin d’œil discret.
   Elle en fut toute chose.


[align=center]IX - IV
-Le Chien-[/align]


   -…suis née à Pont-L’Hylia, répondit dame Laruto avec un petit air de mélancolie. Un fort joli petit village, à un jour de marche de Castel-Hylia. Il y faisait souvent frais, et les hivers étaient rigoureux, car le vent et la glace descendaient des montagnes du nord, mais il y faisait bon vivre. Assurément.
   -Pourquoi l’avoir quitté, dans ce cas? Continua le Chien en reprenant un peu de vin.
   -Ha! Si je le savais moi-même. Je ne sais pas, je ne sais plus. J’étais jeune, idiote. L’extérieur, les grandes villes, tout avait le goût délicieux de l’inconnu et de l’aventure. Un jour, j’ai rassemblé quelques provisions, et j’ai dit à mon père « Je m’en vais. ». Et savez-vous ce qu’il me répondit, le coquin?
   -Je brûle de le savoir.
   -  « A ta guise. ». Voilà. C’était les derniers mots qu’il devait jamais me dire. Il mourut deux hivers plus tard.
   -Je suis navré.
   -Il n’y a pas à l’être, il avait fait son temps.
   -Et vous? Que vous est-il arrivé?
   -Ha! Des tas d’aventures, idiotes pour la plupart. J’ai été prise comme otage par deux brigands qui fuyaient une troupe de miliciens, j’ai été enlevée par un bourgmestre qui voulait m’épouser contre mon gré, je me suis retrouvée dans un tour de guet assiégée par un Clan… Ha oui… Beaucoup d’aventures… Mais je ne regrette rien, je vais vous dire, même,, et j’ai conscience que ça ne sied par fort à une dame, mais la vie était belle, pas facile mais belle.
   -Ne l’est-elle plus, aujourd’hui?
   -Si, bien sûr… J’ai une bonne situation, une maîtresse généreuse, je mange à ma faim et plus personne n’essaye de m’enlever!
   Laruto rit de bon cœur. Le Chien voulut l’imiter mais la douleur qui fusa dans sa mâchoire l’en dissuada.
   -Ne vous en faites pas, vos yeux rient pour vos lèvres.    
   L’enchanteresse lui adressa l’un de ces fameux sourire qui le réchauffaient tant.
   -Mais quoi qu’il en soit, un jour vous vous retrouvez à déambuler au beau milieu de la place du Bourg, les yeux grands ouverts devant toute cette foule, toutes ces couleurs, toutes ces choses merveilleuses! Et puis je suis tombée sur un magicien de rue. Il faisait des tours de prestidigitation devant des gamins émerveillés. Et entre nous, j’étais autant sinon plus émerveillée qu’eux. Lorsqu’il eut fini son spectacle, il me regarda et me demanda « Tu veux apprendre? ». Comme je n’avais rien d’autre à faire, je dis que oui. Et il me mena dans un bâtiment beau et terrible à la fois. Le Consortium. Vous n’avez pas pu le rater, il est d’architecture Hylienne et il rivaliserait presque avec la Citadelle.
   -En effet. Je m’en souviens.
   -Là, on me fit passer comme un entretient devant des vieillards graves et pour finir on me donna une chambre, une robe et voilà comment je devenais apprentie, un peu malgré moi.
   -Vous êtes donc une… magicienne?
   -Parfaitement. Cela vous ennuie-t-il?
   -Non point, non point… C’est juste que, pardonnez ma franchise, mais je n’ai jamais vu que des épées et des hommes pour les manier. La magie ne m’évoque rien d’autre que des feux d’artifices et des tours de carte.
   -Alors, je ferai en sorte de remédier à cela, rétorqua Laruto avec un sourire énigmatique. Mais pour en revenir à mon histoire, après quelques années d’études j’accédai au rang de Maître, mais si vous voulez mon avis, ce ne fut rien qu’un honneur mitigé, tant ceux qui partageaient ce titre avec moi étaient… sont… mauvais et sournois. Il n’y avait guère que le bon maître Kaepora pour redorer le blason,  mais à la fin il semblait abattu, sapé par la scélératesse de ses semblables. En ce qui me concerne, je choisis de me retirer, et offris mes services à Lord Zora, le défunt époux de Lady Ruto. Les Déesses le préservent et l’accueillent.
   Le Chien répéta la formule consacrée. Il reçut un choc soudain lorsqu’il s’avisa que leurs épaules se touchaient tout à fait et que, pire!, ils se tenaient l’un contre l’autre. Il regarda Laruto, et il lut dans ses prunelles et son sourire qu’elle s’en était rendue compte elle aussi, mais qu’elle ne s’en souciait point.
   Le cœur un peu plus léger qu’à l’ordinaire, le Chien savoura la fin du banquet.


[align=center]IX - V
-Ishtar-[/align]


   La reine Ishtar Parel se pencha vers son époux.
   -Veuillez m’excuser, très cher. Je souhaite prendre un peu de repos.
   Salomon d’Hyrule cessa séance tenante de s’intéresser à son futur gendre, sans s’occuper du regard ulcéré que celui-ci lui lança, pour se retourner vers sa femme avec un regard inquiet.
   -Vous êtes toute excusée, ma mie. Tâchez de reprendre quelques forces. Je vous ferai mener Maître Baelon.
   -Fort bien. Embrassez moi.
   Salomon la baisa sur les joues, puis elle manda deux valets qui l’aidèrent à regagner ses appartements. Une fois seule, loin des regards, elle s’affala sur le sol et s’étouffa dans d’épaisses quintes de toux sanglantes qui maculèrent le tapis. Tremblante, suffocante, la reine rampa jusqu’à son lit où elle se hissa avec ses dernières forces. Elle sentait sa fin toute proche. Elle voyait chaque jour un peu plus les murs de la pièce se refermer sur elle comme le couvercle d’un cercueil. La reine avait des regrets. Sur sa fille surtout, qui n’était qu’une peste trop imbue d’elle-même, et son fils, un gentil couard. Elle aurait aimé aussi revoir une dernière fois sa famille, à Holodrum.
   -Vous savez pourtant que vous pourriez faire tout cela, votre Majesté.
   La voix, dure, cruelle, émanait des ombres près de la fenêtre. Ishtar n’avait pas besoin de se redresser pour savoir que deux silhouettes de mauvais augure jaillirent des ténèbres pour s’approcher d’elle. Le visage étiré par un vaste sourire de prédateur, Exelo, archimaître du Consortium Aedeptus, s’assit sur le rebord du lit, en prenant la main pendante de la reine dans les siennes, tandis que de l’autre côté, Xanto le Facétieux prenait place dans un siège, son éternel masque de démon vissé sur le crâne.
   -Plutôt mourir que de vous donner ma fille, serpent!, siffla Ishtar, mais sans parvenir à ne pas cracher un peu plus de sang.    
   -C’est  ce qui va vous arriver de toute manière, votre Majesté, si vous vous obstinez ainsi. Qu’est-ce qu’une fille face à votre propre vie? Vous pourrez toujours en refaire une à votre royal époux, à condition que vous viviez bien sûr. Et cela ne tient qu’à vous.
   -Aussi bête, idiote et superficielle que soit Zelda, elle est ma fille! Et il ne sera pas dit qu’une Parel a vendu un membre de sa propre famille.
   -Ha! Quelle dommage, vraiment… Vous auriez pu avoir une vie encore pleine et comblée.
   Xanto poussa un rire démentiel, aussi violent que bref. Des deux vautours, il était le plus effrayant. Exelo s’empara du broc d’eau sur la table de nuit. Il en versa dans la coupe d’or d’à côté, puis sous les yeux impuissants d’Ishtar, qui ne parvenait même plus à lever ses bras tremblants, y versa le contenu poudreux d’un petit tube. Il mélangea le tout avec son propre doigt.
   -Buvez, cela va vous faire du bien.    
   Comme chaque mois depuis que ce cauchemar avait commencé, Exelo força sa reine à boire le poison qui la tuait chaque jour un peu plus, n’hésitant pas à la brutaliser. Mais Ishtar était tellement fatiguée à présent, qu’elle n’arrivait presque plus à serrer les dents. Elle sentit l’eau maligne parcourir son organisme, attaquer son corps et son sang. Exelo la contempla un moment de ses yeux cruels, tout en lui caressant distraitement la joue.
   -Réfléchissez bien, votre Majesté. La prochaine fois sera la dernière.
   Il lui baisa les cheveux puis se releva. Lui et son acolyte se rendirent près de la fenêtre.
   -Ha! Faut-il encore vous le rappeler? Parlez, et soyez assurée de la mort de votre fils chéri.
   Une larme silencieuse et rageuse roula sur la joue d’Ishtar Parel, reine d’Hyrule, tandis que sa vitalité à l’agonie décroissait un peu plus.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: sakuranbo le dimanche 27 juin 2010, 22:29:32
J'ai lu ce chapitre en rentrant chez moi à 3h du matin :niais: mais pardonne moi de ne pas l'avoir commenté, j'étais vraiment trop fatiguée... Je viens de tout relire à tête reposée^^
C'est encore un très bon chapitre bien sûr, avec de terribles révélations... La dernière partie est terrifiante! L'ambiance que tu as mis en place est de plus en plus intriguante et passionnante!  :<3:
J'adore toujours autant ton histoire, et à chaque fin de chapitre, je suis impatiente de pouvoir lire la suite :niais: J'éspère que tu continueras sur cette lancée  :yeah:
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le dimanche 04 juillet 2010, 15:38:49
Hop hop, voici la suite qui arrive au pas de course. Merci Saku (puis-je?) pour tous ces compliments que tu me fais, je me répète mais c'est vraiment motivant :3


Donc voici venir le chapitre X, qui marque la fin de la première partie de Triangle. Je décide de le poster en deux parties, car il est très long. (Rien que la première partie est plus longue que le plus long chapitre posté jusqu'à présent!).


Malheureusement, et assez paradoxalement aussi, le rythme de parution risque de ralentir, car je vais dans les jours qui viennent faire des stages, et ensuite je partirai pour un mois environ à partir de la fin juillet vers des lieux reculés où la civilisation n'a pas encore posé sa marque (comprenez : je n'y aurai pas internet :niak:).

Sur ce, bonne lecture!


_________________



[align=center]X
-Le Chien-
(1ère partie)[/align]


   Le banquet s’acheva fort tard dans la soirée, même si la plupart des convives s’étaient depuis longtemps retirés, à l’image du Chien et de dame Laruto, qui flânaient, bras dessus bras dessous dans les jardins, à la lueur de la lune, pleine et brillante. Le calme et la fraîcheur de la nuit conféraient au lieu une aura apaisante et agréable, parmi les silhouettes ombreuses des massifs de fleurs, des arbres fruitiers, des hautes haies coupées avec maîtrise. Il leur arrivait de croiser d’autres promeneurs nocturnes, à l’instar de Ser Goro et Ser Sedrik, qui passablement saouls, se querellaient sous les yeux de Ser Mido.
   -Ces deux sont là sont comme leur père et leur oncle, commenta Laruto. Ils étaient deux garnements colériques, dans leur jeunesse.
   -Et l’aîné?   
   -Ser Allister? Non, il est fait d’un autre bois, enfin, d’une autre roche, comme on dit chez eux. Il a pris beaucoup de sa mère, notamment son calme et sa droiture.
   -Il ne me semble pas l’avoir encore rencontrée.
   -La chose risque d’être assurément périlleuse. La pauvre est morte peu de temps après la naissance de son troisième fils.
   -Je vois…
   -C’était une noble dame, une cousine de la reine, originaire d’Holodrum. Quant à Ser Allister, c’est fâcheux qu’il soit né muet, il aurait fait un grand seigneur.
   -Lord Darunia l’a déshérité?
   -Non point, c’est lui-même qui a renoncé à tous ses droits à la succession. C’est la raison pour laquelle il n’était pas à la table des Lords, alors qu’il doit être à peine moins âgé que vous.
   Le Chien acquiesça, pensif. Tout ce qu’il entendait pouvait se révéler précieux pour la suite ; il ne s’agissait pas de fauter par manque de connaissances.
   -Vous aurez certainement l’occasion de croiser le fer avec lui, lors du tournoi que sa Majesté va donner en l’honneur du sieur Link. On le dit bon bretteur.
   -Je n’avais pas ouï dire qu’un tournois se préparait.
   -C’est parce qu’il n’a pas encore été annoncé. Mais je n’ai aucun doute qu’il le sera sous peu. C’est presque une tradition.
   -Votre clairvoyance vous honore, ma dame. J’ai entendu parler de cet événement de la bouche même de sa Majesté lors du festin.
   Rauru l’Intemporel, grand prêtre des Trois et Gardien du Temple, jaillit des ombres pour venir à leur rencontre.
   -Monseigneur, s’inclina Laruto, et le Chien fit de même.
   -Madame. Messire.
   -Pardonnez ma franchise, mais je suis surprise de vous trouver ici. Je pensais qu’une voiture vous ramenait.
   -Je le pensais aussi, mais la nuit est agréable, et rien de telle qu’une bonne marche pour digérer un tel faste.
   Le crâne chauve du prêtre branla d’avant en arrière, le lune se reflétant sur la peau nue, comme s’il acquiesçait à sa propre remarque.
   -Est-ce bien prudent?
   -Bien sûr, que risqué-je? La fête bat encore son plein là en bas, et les Déesses me pardonnent mais j’ai encore un peu de place pour une pinte ou deux partagées dans la liesse avec mes ouailles.
   Il partit d’un grand éclat de rire que Laruto accompagna poliment.
   -Bien, bien… Sur ce, je vais prendre congé. Je vous souhaite la bonne nuit, et que les Trois veillent sur vous!
   -Vous de même, Monseigneur.
   Rauru fit mine de s’éloigner, vers les lueurs de la cité, en contrebas.
   -Ha! Et messire Chien! Venez donc me porter visite demain.
   -Je n’y manquerai pas, Monseigneur.
   -Bien, bien… répéta le prêtre avant d’être avalé par les ténèbres.
   -Curieux personnage, commenta le Chien.
   -Oui, mais ne vous laissez pas abuser. Sous ses dehors bonhommes, c’est un redoutable politicien.
   Ils s’absorbèrent dans le silence nocturne et profitèrent de la brise légère qui se mit à souffler. Leurs pas les menèrent aux parages de la mare, dont les eaux paisibles et noires miroitaient sous l’influence lunaire. Ils s’assirent près du bord.
   -Que comptez vous faire à présent?, finit par demander Laruto en le regardant.
   -A dire la vérité… Je ne sais guère. Je n’aspire pour le moment qu’à un peu de repos. Depuis sept ans je n’ai de cesse de courir d’une bataille à l’autre, je ne demande rien sinon que de me poser quelque part, et… panser… mes blessures.
   Il s’abîma dans la contemplation de la mare, l’esprit soudain empli de fureur et de sang. Le souvenir douloureux des combats l’envahit… La souffrances… Les cris… La mort…
   -… messire? Messire? Quelque chose ne va pas?
   Le visage inquiet, bien que partiellement dissimulé par la nuit, de Laruto emplissait son champ de vision. Il vit la lune derrière elle, et se rendit compte qu’il était allongé, qu’il avait froid tout soudain. Et puis la souffrance explosa dans sa main droite, sans prévenir, comme une lame surgie des ténèbres. Il poussa un hurlement de douleur comme il n’en avait jamais poussé, et roula sur le côté. Il avait l’impression que ses doigts brisés tentaient de se mouvoir de leur propre chef, ses nerfs endommagés semblables à des fouets de lave en fusion. Sous le gantelet, sa chair semblait fondre, se liquéfier en un acide cinglant. Des larmes ruisselèrent de son dernier œil, alors qu’il rampait pitoyablement vers les eaux de la mare. Il n’entendait plus les appels inquiets de Laruto, il n’avait plus qu’une idée en tête. Il plongea tout son bras dans l’onde glaciale, et si l’élément liquide provoqua initialement une nouvelle explosion de douleur, il fit refluer la souffrance jusqu’à la faire disparaître tout à fait.
   Le Chien resta là, inerte, le bras dans l’eau. Il se souvint que la veille déjà, lors de sa discussion avec Colin, il avait connu pareille aventure, mais pas en de telles proportions. Il se demanda vaguement à quoi tout ceci était dû, mais son esprit encore empli des brumes rouges de la douleur ne parvint pas à sortir une réflexion construite. Il ferma les yeux un court instant.
   Lorsqu’il les rouvrit, il entendit les grillons estivaux. La nuit était toujours là, calme, sereine. Il était allongé, la tête dans le giron de dame Laruto qui lui caressait doucement les cheveux. Sa main reposait, inerte, près de lui, comme si rien n’avait vraiment eu lieu.
   -Vous me fîtes grande peur, messire. Veuillez ne plus recommencer, commanda l’enchanteresse d’une voix douce, à peine plus qu’un murmure.
   -Pardonnez moi…
   -J’ignorais que votre main vous fît tant souffrir.
   -D’ordinaire, je n’ai pas à m’en plaindre. C’est la seconde fois seulement, depuis hier, que j’ai ces accès.
   -Voilà qui est curieux, et préoccupant.
   Ils se turent. Le Chien profita que Laruto fermait les yeux pour contempler son visage à la faveur de la lune. Il se fit la réflexion que personne ne lui avait témoigné autant d’attention depuis… trop longtemps. De son souvenir, Mère était la dernière… Mais c’était il y avait tellement de temps. Et les mains douces et rassurantes de l’enchanteresse avaient ce même effet apaisant sur lui que celles de sa génitrice. Il s’abandonna tout à fait à ces caresses, l’âme en paix, pour une fois.  
   -Messire, finit par murmurer Laruto. Il se fait tard. Je vais me retirer.
   -Ha… Pardonnez moi, je ne voulais pas vous retenir.
   Il se releva et lui tendit sa main valide pour l’aider à faire de même. Il ne la lâcha pas tout de suite, et elle ne chercha pas à se soustraire.
   -Accompagnez moi à mes appartements.
   Elle lui prit le bras, et ils revinrent vers la Citadelle côte à côte, perdus dans un silence confortable. Les couloirs étaient assoupis, il n’y avait plus un valet pour les arpenter. Les portes étaient tout aussi silencieuses, nul bruit n’en sourdait. Une fois parvenus à la chambre de Laruto, elle lui lâcha le bras et lui tendit le dos de la main, qu’il baisa délicatement.
   -Ce fut un honneur et une joie de vous rencontrer, messire. J’ai passé une fort agréable journée.
   -Permettez moi de vous retourner le compliment, ma dame.
   -J’espère que vous daignerez m’accorder un peu de votre temps, dans les jours à venir.
   -Un mot de vous, ma dame, et je suis là aussitôt. Je suis votre humble serviteur.
   Elle lui adressa un sourire.
   -Je suis rassurée alors. Dormez bien, messire.
   Elle entra avant qu’il n’ait pu répondre. Empreint d’un étrange sentiment, le Chien regagna ses propres quartiers, las et épuisé. Une dernière surprise l’attendait, lorsqu’il ouvrit la porte. La jeune courtisane qui lui avait mené ses vêtements était dans son lit, en robe de chambre, le dos appuyé contre les coussins. Une unique chandelle sur la table de nuit à son côté l’éclairait, mais elle suffisait à révéler les yeux humides de la jeune femme, humides de peine et de dégoût. Elle ne dit rien, gardant les yeux fixés sur le sol.
   Le Chien s’approcha par l’autre côté du lit, sans rien dire lui non plus. Il s’assit sur le bord, se débotta, se déchaussa, retira sa tunique, ne gardant que ses sous-vêtements. Puis sans un regard pour la courtisane il se glissa sous les couettes avec délice.
   -Comment t’appelles-tu?, finit-il par demander.
   -Malon, messire.
   -Pourquoi te trouves-tu donc dans mon lit, jeune Malon? Serait-ce ta chambre que l’on m’attribua? Auquel cas, j’en suis navré.
   -Non messire. Ce n’est point ma chambre. Je… Je…
   Comme les mots avaient du mal à sortir de sa bouche, elle faufila une main sous les couvertures, et d’une main tremblante se mit à caresser la virilité du Chien. Ce dernier, sans s’émouvoir outre mesure, lui prit le bras et la fit cesser.
   -Pourquoi fais-tu cela?
   Elle n’osait toujours pas le regarder, et les soubresauts de ses épaules trahissaient assez ses sanglots.
   -Je… Pardonnez moi messire. C’est Maître Tarquin… Il… Il m’a demandé… de vous être…  très agréable messire et je… ho, pardonnez moi.
   C’était plus qu’elle ne pouvait en supporter et elle fondit carrément en larmes. Le Chien attendit patiemment qu’elle se calmât quelque peu.
   -Tu n’as rien à craindre, Malon. Tu ne m’es obligée de rien. Je ne te toucherai pas. Ne te méprend pas. Tes charmes feraient tourner la tête de n’importe quel homme. Mais j’ai vu dans tes yeux la répulsion que t’inspire ma laideur, et je te comprends. Je ne veux pas t’infliger un supplice.
   -Messire… Mais je… Maître Tarquin il…
   -Si Maître Tarquin te demande des comptes, tu n’auras qu’à lui dire que je t’ai tringlée, si cela peut t’éviter des problèmes. Mais je te le répète, tu n’as rien à craindre de moi. Juste à endurer des nuits à mes côtés. A présent, dors.
   Sans attendre de réponse, le Chien ferma l’œil. Malon souffla la chandelle. Sa respiration était clame et régulière à présent. Timidement, elle lui pressa furtivement la main valide et murmura « merci, messire. ».
   Le Chien ne vola à la nuit qu’une poignée d’heures, habitué qu’il était à se lever avec l’aube, mais qui le rassérénèrent tout à fait. Il se vêtit sans bruit, pour ne point éveiller la jeune femme qui dormait encore à poings fermés, ses traits gracieux élégamment mis en valeur par les premiers rayons de soleil. D’un doigt léger il lui écarta une mèche de cheveux du visage, et elle s’agita un peu, sans s’éveiller toute fois. Le Chien ceignit son épée, et sortit de la chambre. Son estomac grondant le mena aux cuisines, qu’il atteignit grâce à l’aide d’un valet qui lui indiqua le chemin sans oser le regarder en face. On lui servit avec vivacité d’épaisses tranches de pain, avec du miel, des confitures, deux tranches de lard gras délicatement fumé et un gobelet de jus d’orange fraîchement pressé.
   Il déjeuna seul et en silence, observant le ballet des cuisiniers et des assistants, qui avaient fort à faire en récurage après le banquet de la veille. Il en était à sa troisième tartine lorsque parut Ser Allister, la mine fraîche et alerte. Il s’était vêtu d’un justaucorps rouge au Rubis Couronné, d’un ceinturon de bonne qualité à boucle d’argent où était pendu le fourreau d’une épée de belle facture, de pantalons noirs en cuir, pratiques pour l’équitation ou l’escrime, et de bottes hautes, plus coquettes qu‘efficaces. Il salua le Chien en s’inclinant, et l’autre lui répondit d’un signe de tête. Il surprit le Chien cependant en venant s’installer en vis-à-vis de lui.
   Le silence qui s’installa entre eux n’était pas subi mais inévitable, eut égard à l’handicap de Ser Allister. Cependant, alors que le Chien s’apprêtait à prendre congé, l’aîné Dodongo fit mander du papier et une plume. Il griffonna quelques mots avant de tendre le parchemin au Chien, qui s’en saisit avec une certaine appréhension. Il n’avait jamais eu de tuteur ou d’instituteur, et avait du apprendre à lire et à écrire avec Colin de manière à pouvoir suivre les ordres écrits ou rédiger des comptes rendus. Mais les occasions de s’entraîner n’étaient pas des plus nombreuses, et il avait la lecture laborieuse et l’écriture maladroite. Il déchiffra néanmoins, avec quelques difficultés, la note de Ser Allister :
   -« Vous rendez-vous au Temple? »… Si fait.
   Allister récupéra son papier et y inscrivit une autre phrase.
   -« Me permettriez-vous de vous accompagner, si cela vous agrée? »…
   Le Chien releva la tête. Il fut surpris de croiser le regard clair et franc du chevalier, qui ne broncha pas et le fixa sans rien montrer de répulsion ou d’aversion. Comme dame Laruto.
   -Cela m’agrée, en effet. De toute manière, je ne connais rien des rues, il faudra me guider.
   Ser Allister acquiesça et s’empressa de finir son déjeuner. Après quoi, il mena le Chien aux écuries. Il était encore bien tôt, le soleil n’avait pas encore totalement dépassé les cimes des monts du Péril. C’est pourquoi le Chien ne s’étonna pas qu’il n’y eut pas un écuyer pour les accueillir, surtout après la fête de la veille. En revanche il y avait un homme aux longues moustaches brunes et au teint d’ivrogne, qui dormait comme un bien heureux, allongé dans la paille d’une stalle entre les seins d’une soubrette dénudée. Ser Allister le réveilla d’un léger coup de pied dans le flanc.
   -Qui ose, coquin!, hurla l’homme, réveillant sa compagne, en bondissant, le visage déformé par la colère et la bouche pâteuse. Si je t’attrape, gredin, dis adieu à tes bourses…
   Il cligna une fois des yeux, puis deux, en remontant lentement les jambes de Ser Allister jusqu’à apercevoir son visage, puis celui du Chien, non loin. Sa face passa alors du rouge aviné au pâle apeuré.
   -Je… Hmm… Pardonnez moi, nobles seigneurs, je pensais que ce petit vaurien de Willem me jouait encore quelque tour, et je… Hmm, accordez moi un court instant, je vous en prie.
   D’une main hystérique il chercha ses braies qu’il enfila le plus vite qu’il put, et boucla son ceinturon.
   -Va-t-en donc, souillon, aboya-t-il à la fille qui réajusta ses vêtements et fila en bredouillant des excuses. Ces catins, il faut leur parler leur langue pour se faire comprendre, v‘voyez, mes bons sires?, continua-t-il en adressant un sourire vilainement obséquieux aux deux autres.
   -Non, répondit le Chien, d’une voix un peu dure. Il ne sied pas à un gentilhomme de rudoyer une femme, aussi humble soit-elle, qui plus est lorsqu’elle a consenti à partager votre couche.
   Le grossier chercha un soutient du côté de Ser Allister, mais le silencieux chevalier acquiesça pour approuver les dires du Chien. Il se mit à suer, à se gratter l’oreille, visiblement nerveux.
   -Et que… que puis-je faire pour ces nobles sires?
   -Commence déjà par te présenter.
   -I… Ingo, messire. Le cousin de Ser Talon, je… j’ai en charge les écuries de sa Majesté. Peut-être m’avait vous aperçu hier, lors du banquet, je…
   Le dénommé Ingo avait un regard fuyant, lâche. Il n’osait regarder aucun des deux autres en face, et il était clair qu’il se serait esquivé s’il l’avait pu.
   -Assez, le coupa le Chien. Etant donné que vos hommes ne sont point encore éveillés, menez nous simplement à nos montures, nous nous occuperons de les seller.
   Comme Ser Allister acquiesçait derechef, Ingo leur indiqua les stalles adéquates, puis s’en fut promptement, prétextant une tâche quelconque à accomplir. Une fois en selle, le Chien et Allister empruntèrent le sentier cavalier qui contournait les jardins extérieurs pour se rendre à la ville. La population commençait à s’éveiller, et déjà des gens prenaient le chemin du château pour les doléances du matin. On entendait en plusieurs endroits le chant de quelques coqs, et des fumées grises et blanches s’échappaient des cheminées, charriant avec elles de bonnes odeurs de pain et de nourriture. Le Chien s’émerveilla une fois encore des rues bien dessinées et organisées du bourg, de ses bâtiments élégants, ses boutiques chamarrées, ses cours fleuries, ses parcs luxuriants, ses fontaines claires, ses bonnes gens heureux… La nuit avait emporté les fêtards mais quelques relents de liesse planaient encore dans l’air, à l’image des quelques acharnés qui déambulaient encore en titubant, une bouteille à la main. Les rues étaient jonchées de détritus, mais déjà des femmes s’affairaient à faire le ménage. Le Chien et Ser Allister attirèrent somme toute assez peu l’attention, les rares badauds assez lucides pour les apercevoir se contentèrent de les saluer d’une courbette à laquelle ils répondaient d’un signe de la main. Les gardes de la ville eux se cantonnèrent au salut militaire qu’Allister leur retournait.
   Ils passèrent devant une taverne de belle prestance, battant pour enseigne un poisson bariolé de mille couleurs, sous titrée ’Au Poisson-Rêve’. L’aîné Dodongo s’arrêta un instant, indiquant la bâtisse à son compagnon en faisant des cercles sur son ventre avec sa main.
   -C’est une bonne taverne?, demanda le Chien.
   Allister acquiesça, et ils reprirent leur route. Le Temple du Temps était situé tout à l’opposé du Consortium Aedeptus, et là où le collegium de magie avait choisi un blanc immaculé, les religieux avaient préféré un gris anthracite humble, conférant au lieu une certaine gravité. Le bâtiment en lui-même était du reste peu marquant, seuls se distinguant les longues colonnades qui flanquaient sa haute entrée et le sigle géant des Trois Triangles d’or qui ornait le sol du parvis. Les jardins, qui flanquaient l’ensemble du temple, de l’avant à l’arrière, étaient en revanche assez magnifiques, dominés par les trois teintes majeures : le rouge, le vert, le bleu, les couleurs des Déesses. De longues allées gravillonnées permettaient aux prieurs de trouver la paix au terme d’une promenade plaisante. Ser Allister et le Chien empruntèrent la plus directe.
   -Si l’Intemporel m’avait effectivement prévenu de votre visite, il n’avait pas mentionné que ce serait de si bon matin.
   Un colosse, que sa robe identifia comme un prêtre, se releva du massif de fleur dont il s’occupait. Son nez était énorme, carré, cassé plusieurs fois, ses lèvres épaisses, ses sourcils broussailleux, ses longs cheveux bruns compacts et emmêlés, mais cela n’empêchait en rien l’homme d’être tout de suite sympathique, de par son sourire, sa voix profonde et posée, ses gestes calmes et paisibles.
   -Je suis le père Reynald, se présenta-t-il en s’inclinant. Ser Allister, c’est un plaisir de vous revoir.
   L’intéressé s’inclina à son tour, puis le religieux reporta son attention sur le Chien.
   -Sa Sainteté se repose encore des événements de la veille.
   -Ho, je vois… Dans ce cas, nous repasserons plus tard, je suppose.
   -Nenni, messire. Je vais faire réveiller sa Sainteté sur l’instant. Elle serait contrariée de vous indisposer.
   -Ce n’est pas néce…
   -J’insiste, messire.
   Le Chien et Allister démontèrent de concert, et menant leurs montures par la bride, suivirent le prêtre. Au bas des marches, deux jeunes frères conduisirent leurs chevaux sous un arbre où ils les attachèrent à des branches basses, tandis que Reynald demandait à un troisième d’aller quérir l’Intemporel.
   L’intérieur du Temple était aussi fastueux que l’extérieur était sobre. Le plafond était beaucoup plus haut qu’on ne l’aurait imaginé, et sur toute sa surface s’étalait une magnifique fresque narrant la création d’Hyrule par les Très-Hautes, et les trois Triangles d’Or qu’elles laissèrent derrière elle pour assurer la prospérité de leurs enfants. La nef était assez longue pour accueillir plus de deux milles prieurs, et de longs bancs en bois fin laqué occupaient presque tout l’espace. Le soleil de la peinture était en réalité un énorme puits de lumière creusé dans la voûte, qui éclairait à merveille l’ensemble de la salle. De petites portes en bois ornaient les murs de droite et de gauche, par lesquelles les frères accédaient à leurs cellules et aux communs. A l’extrémité de la nef, un petit groupe d’homme semblait patienter devant une monumentale porte taillée dans la pierre, mais qui ne possédait pas de battant. Le Chien fut surpris de retrouver gravés dans le linteau les blasons des trois grandes familles -Le Rubis Couronné Dodongo, le Saphir émaillé d’Or Zora, et l’Emeraude ceinturé d’Or Mojo-, surmontés de l’Aigle écarlate coiffé des Triangles de la famille royale.
   -Qu’est-ce que cela, demanda-t-il en désignant la porte.
   -Ceci mène à la Chambre de l’Epée, où repose la Lame Purificatrice.
   -Qu’attendent ces gens?
   -Ils viennent tenter leur chance, afin de retirer la lame de la pierre. Depuis la dernière Cérémonie de la Grâce, beaucoup de pèlerin sont venus des quatre coins du royaume, croyant voir dans le phénomène qui s’y était produit le signe que l’épée cherchait son maître.
   -Je vois…, mentit le Chien. Mais ils se trompent, le maître de cette épée est déjà ici, c’est le sieur Link.
   -Nous verrons bien, répliqua Reynald. Je vais faire ouvrir la porte du Temps, pourquoi ne patienterez vous pas dans la Chambre jusqu’à que sa Sainteté puisse vous recevoir?
   -Soit.
   Le Chien et Allister traversèrent la nef d’un peu grave et discret, ne souhaitant pas déranger les quelques prieurs dans leur communion avec les Déesses. Les blasons au dessus de la Porte se mirent à scintiller, et cette dernière commença à s’ouvrir avec une infinie lenteur, dans un raclement de pierre des plus désagréables. Le groupe de hardi s’engouffra dans la Chambre dès que l’interstice entre les deux battants fut suffisamment grand, suivi par les deux hommes.
   La Chambre de l’Epée était une salle immense, mais sombre et dénudée. Seule une série de six magnifiques vitraux, perchés tout en hauteur, illuminaient le socle de la Lame Purificatrice et en faisaient chatoyer l’acier. L’arme en elle-même n’avait rien d’exceptionnelle : une lame large de quelques pouces, en bon acier irisé, et une garde taillée dans de l’améthyste pur, sertie de cristaux d’or brillants. Mais il s’en dégageait comme une force, une attraction, une aura, qui vous enjoignait malgré vous à la saisir et essayer aussi fort que vous le putes de la brandir.
   Allister s’adossa à un mur, croisa les bras, et attendit patiemment. Le Chien observa les tentatives veines des pèlerins, qui passaient dans le calme l’un après l’autre, et qui s’applaudissaient poliment après chaque essai infructueux. L’espoir faisait miroiter leurs prunelles lorsqu’ils gravissaient les quelques marches de pierre mais c’était la déception qui les ternissait lorsqu’ils en redescendaient.
   Les minutes passèrent. Il n’y avait déjà presque plus personne dans la Chambre.
   -Tout ceci laisse songeur, n’est-ce pas?
   Rauru l’Intemporel, vêtu de sa traditionnelle robe d’or et de sa large ceinture frappée des Triangles, se tint soudain près d’eux, observant l’épée en se frottant le menton.
   -Monseigneur, salua le Chien et lui et Allister s’inclinèrent révérencieusement.
   -Je suis navré d’avoir abusé de votre temps, mais je ne pensais pas que vous viendrez si tôt honorer mon invitation.
   -C’est ma faute, votre Sainteté.
   -Allons, ce n’est rien, ce n’est rien… Ha! Je vois qu’il n’y a plus aucun prétendant à la possession de la Lame Purificatrice.
   La face de Rauru s’éclaira d’un sourire comme il songeait soudain à quelque chose.
   -Ha! Messire, pourquoi n’essaieriez-vous pas?
   -Monseigneur?
   -De retirer l’épée, pardi! C’est le rêve de tout le monde, après tout.
   -Je… Vraiment, je ne pense pas qu’il…
   -Allons! Pas de manière avec moi. Allez-y, faites, insista le grand prêtre avec un signe de la main comme s’il le congédiait. Ha! Ser Allister, vous ici, c’est heureux. J’avais à vous entretenir…
   Indécis, le Chien fit quelques pas vers le socle de pierre. L’épée se tenait droite dans sa lumière, comme l’attendant, le défiant. Elle semblait l’appeler. Il posa le pied sur le premier degré, sans la quitter de l’œil. Il avait comme une appréhension à la toucher, à toucher la future lame de son maître. Il le ressentait comme une trahison faite à son seigneur, mais pourtant il ne parvenait pas à s’empêcher de vouloir la tirer. Avant de le savoir, sa main empaumait la poignée entourée de cuir tanné. Il glissa l’avant bras de sa main mutilée sous la garde, puis jeta un regard alentour. Personne ne l‘observait, Ser Allister et Rauru étant en plein discussion à sens unique. Le Chien reporta son attention sur l’épée, déglutit. Puis, il tira vers le haut, doucement.
   Et la Lame Purificatrice bougea.
   Le Chien la lâcha aussi vivement que s’il eut tenu un brandon ardent. Il se demanda aussitôt s’il n’avait pas rêvé, mais à son grand désarroi, la lame avait surgi de quelques millimètres hors de son socle. Paniqué, il se recula promptement, se retourna, et se glaça lorsque son regard croisa celui de Ser Allister, qui le contemplait en clignant des yeux, éberlué.
   M’a-t-il vu?, se demanda-t-il avec angoisse.
   Ni l’un ni l’autre ne bougèrent pendant un long moment. Rauru avait disparu, il n’y avait plus qu’eux dans la Chambre. Lentement, le chevalier leva les mains, et mima le geste de retirer la lame. Ayant peur de comprendre ce qu’il voulait signifier, le Chien secoua vivement la tête.
   -Non, je…, bafouilla-t-il, acculé, terrorisé. Il n’y a rien eu. Rien, rien.
   Il secouait toujours la tête, perdu. Que faire? Il ne parvenait pas à seulement soupçonner tout ce que cela impliquait.
   Cela n’implique rien du tout, résolut-il. A force de tirer dessus, l’un ou l’autre des pèlerins l’aura descellée, voilà tout.
   Ser Allister s’approcha, lentement. Quand il fut à un mètre seulement du Chien, il dégaina son épée, puis s’agenouilla devant son compagnon, la pointe de l’arme reposant au sol. Il baissa la tête et attendit. Même si son mutisme l’empêchait de prononcer un serment, le Chien comprit avec effroi que le chevalier lui jurait allégeance.
   -De grâce, relevez vous. Je n’ai rien fait qu’y méritât votre serment. Je… Je ne sais pas ce que vous avez vu, mais vous avez du être mystifié.
   Ser Allister se redressa, et ses yeux trahissaient sa pensée : quoi qu’aurait pu dire le Chien, le chevalier n’oublierait jamais ce dont il avait été témoin. Le manchot lui attrapa le bras.
   -Je vous en prie… Je… Gardez cela pour vous. Nul ne doit l’apprendre.
   Allister hésita une courte seconde, puis acquiesça. Ils sortirent de la Chambre, mortifiés. Le Chien lutta pour se composer un masque de flegme maussade. Il ne voulait pas alerter l’Intemporel ou n’importe lequel des prêtres qui officiaient. Le père Reynald vint les trouver.
   -Sur demande de sa Majesté Salomon, je ferme la Porte du Temps pour quelques jours. Le sieur Link sera le prochain à tenter sa chance.
   Le retour au château se fit dans une ambiance des plus étranges. Ils n’osèrent ni se regarder, ni tenter de communiquer.
   Link retirera l’épée, cela ne fait aucun doute. Ainsi, je pourrai avoir l’esprit tranquille. Oui, il me suffit d’attendre qu’il la retire… se répétait-il.
   Une fois parvenus aux écuries, ils laissèrent leurs montures aux soins des écuyers et se séparèrent après un regard incertain. Ser Allister prit le chemin de la salle du Trône, où il avait l’habitude de prendre part aux doléances. Un valet vint quérir le Chien.
   -Le sieur Link vous fait mander, messire. Il vous attend dans le salon de son Altesse Zelda. Je vais vous mener.
   Le salon en question était au moins deux fois plus spacieux que la chambre du Chien, et au moins deux fois plus luxueux. Tout respirait la prospérité et la grandeur, des lourds tapis écarlates aux tentures richement brodées, au mobilier de bois fin laqué, en passant par les dorures qui fleurissaient un peu partout. Un tableau très ressemblant de la princesse trônait sur le mur de gauche, et Link le contemplait depuis la porte-fenêtre à laquelle il était adossé. L’un des battants était ouvert, laissant filtrer une brise légère qui faisait voleter les fins cheveux blonds de l’homme. Il avait délaissé son bonnet emblématique et laissé libre sa chevelure. En contrejour, sa beauté avait quelque chose de presque terrifiant. La princesse se tenait dans un siège confortable, et elle posa sur le Chien un regard à la fois dégoûté et suffisant. Quant à Lady Saria, la fille de Lord Dumor, qui se tenait aux côtés de Zelda dans un siège identique, elle semblait s’interroger sur la présence du borgne.
   -Je vous assure, ma tendre, commentait Link sans se soucier de son serviteur. Le talent exquis de ce peintre n’a pas réussi à rendre totalement hommage à votre incommensurable beauté. Je doute, de toute manière, qu’une œuvre le puisse réaliser, tant votre joliesse irradie tel un soleil doré.
   Son Altesse rosit du compliment, portant un regard éperdu d’amour à son promis. Le Chien s’éclaircit discrètement la gorge avant de demander.
   -Vous désiriez me voir, sire?
   -En effet. Approche donc.
   Les abysses céruléens de son regard ne quittèrent pas le Chien une seconde tandis que ce dernier s’exécutait. Link attendit qu’il se fusse suffisamment approché, puis, sans prévenir, lui décocha un revers de la main droite d’une telle puissance que le Chien s’effondra au sol, la bouche en sang. Il releva l’œil, sujet à la terreur du canidé rabroué par son maître pour une faute dont il n’avait pas idée, et Link le toisait à présent, un masque de fureur sur le visage.
   -J’avais souvenir, commença-t-il d’une voix terriblement glaciale, d’avoir dressé mon chien afin qu’il accourût ventre à terre sitôt que j’aurais loisir à le siffler. Or, que je ne l’ai-je cherché en vain, ce matin, pour qu’on me dise qu’il était parti en promenade.
   La botte de Link se mit à marteler les flancs de son Chien, qui se recroquevilla sous la bastonnade, le souffle court. Il comprenait sa faute, et il savait qu’il méritait une juste punition.
   -A quoi me sert un chien aussi idiot et bouffon? En plus d’être laid serais-tu devenu inutile?
   -Je… Pardonnez moi, sire. Je ne le ferai plus, je le jure.    
   Link mit fin à sa fureur, renifla, se passa une main dans les cheveux.
   -Fais toi pardonner.
   Le Chien rampa, malgré la douleur de son ventre, de ses côtes, jusqu’à la botte de son maître qu’il baisa.
   -Ne vous l’avais-je point dit, ma tendre, que je l’avais bien dressé?
   -Si fait, mon promis, commenta Zelda avec de la jubilation dans la voix.
   -Messire, rétorqua Lady Saria, outrée pour sa part. Permettez moi…
   -Laissez, la coupa sa princesse. L’on ne vous a pas mandé votre avis.
   -Voilà qui est on ne peut mieux dit, glissa Link d’un ton doucereux. Maintenant, chien, déguerpis. Ta vue m’insupporte et est un affront à la princesse. Assure toi que l’on porte mes vêtements de veille dans mes appartements. Sa Majesté me lordifie demain.
   -A vos ordre, sire.    
   Le Chien se releva et, la tête basse, le buste incliné, recula jusqu’à atteindre la porte. Une fois dans le couloir, il fut presque aussitôt rejoint par Lady Saria qui, la mine soucieuse, le força à s’arrêter.
   -Messire, de grâce! Vous saignez!
   Le Chien se torcha la bouche, tituba, reprit sa route.
   -Ce n’est qu’un peu de sang.
   -Mais enfin! Comment pouvez-vous supporter pareil affront? Il vous a… humilié! Un vrai chevalier aurait aussitôt jeté le gant.
   -Je ne suis pas chevalier, petite dame, je ne suis qu’un chien. Je méritais cette punition.
   Et dans sa tête parut l’image de la Lame Purificatrice -la lame de son maître!-, et sa culpabilité crut.
   -Comment pouvez vous dire une chose pareille!, s’outragea Saria.
   Profitant de sa faiblesse passagère, elle le plaqua contre le mur, et le força à la regarder.
   -N’avez-vous donc aucune fierté? Aucun honneur?
   -Je… J’ai l’honneur de servir mon maître. Il a eu la bonté de me sauver la vie. Ce n’est que justice de le remercier. Laissez moi à présent, j’ai une mission à mener.
   -Certainement pas. Je vous emmène voir Maître Baelon.
   -Ce n’est pas nécessaire. J’ai… connu pire. Ca ira. Votre sollicitude me touche, ma dame, mais non contente d’être inutile elle n’est pas requise. Veuillez m’excuser.
   Il s’esquiva. Il était heureux pour Link, il allait enfin recevoir le fruit de sa longue campagne. Et lui, le Chien, le servirait jusqu’à son dernier souffle. Il s’était oublié un moment, avait fait du tort à son maître, mais cela ne se reproduirait plus.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: sakuranbo le dimanche 04 juillet 2010, 18:07:14
Oh mais moi ça ne me dérange pas que tu postes un chapitre plus long, bien au contraire :niais: Et bien sûr, tu peux m'appeler Saku :3
J'ai encore adoré ce chapitre, et j'éspère que tu ne tarderas pas à poster la suite *regard suppliant*
J'ai quelques idées concernant le Chien, j'attends la suite pour voir si j'ai bien pensé :3 Sinon j'adore comment tu as imaginé Link pour cette fiction! Ca change vraiment, j'adore le voir avec son sale caractère de petit prétentieux par rapport au Link que moi même j'imagine, toujours bien gentil et serviable  huhu^^

Si elle est déjà écrite cette deuxième partie, tu peux déjà la poster hein *regard niais*
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Yorick26 le dimanche 04 juillet 2010, 19:23:40
J'ai lu le prologue de ton nouveau projet qu'est Triangle de Pouvoir. J'aime beaucoup. J'aime tout particulièrement l'idée de changer totalement les personnages. Un Tarquin bedonnant qui devient un Maître Sheikah agile. C'est tout bonnement bien trouvé. Tu joues avec nous car on s'attend à certaines choses, on a nos préjugés (Ah si Agahnim est dans le coup, c'est que ... ah bah non.) et en fait tu prends le contraire. C'est très bien joué.

Avant d'oublier, je tiens à signaler ce que je suppose être une faute. Tu parles d'une sanglante compagne. Tu ne voulais pas plutôt dire une campagne ? Enfin bon rien de bien grave. C'est toujours mieux que le singe de croix que j'ai repéré dans Vipère au poing ^^.

En tout cas, c'est un prologue long, mais qui remplit parfaitement son rôle : c'est-à-dire donner envie de lire la suite sans révéler l'intrigue (en tout cas pas trop). Je tâcherai de lire les chapitres existants pendant les vacances. Bonne continuation.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le lundi 19 juillet 2010, 20:21:26
Saku ==> N'hésite surtout pas à formuler tes idées quant à la suite, c'est toujours très intéressant pour moi de comparer avec ce qui est réellement prévu, et parfois vérifier si un effet désiré a eu le résultat escompté ^^ En tout cas d'avance désolé de ne pas poster la suite de Triangle, mais tu te doutes bien que si la deuxième partie du chapitre en cours était déjà écrite je l'aurais postée depuis longtemps :P Quoiqu'il en soit, encore merci de ton assiduité ^^

Yorick ==> Content de te revoir par ici! C'est toujours un plaisir ^^ Content que le prologue de Triangle et plus globalement le concept même de la ficiton t'ait séduit. N'hésite pas à donner  ton avis sur les chapitres suivants si d'aventure tu les lisais. Cependant rendons à César ce qui appartient à César Tarquin le Sheikah n'est pas "l'image" du Tarkin de Cocolint. En effet, quand je l'ai créé je ne me souvenais plus qu'un personnage de Zelda portait déjà ce nom! Pour la faute que tu as repérée, tu as bien sûr raison, et elle a été corrigée, merci bien. ^^ Merci en tout cas d'être passé, et n'hésite pas à revenir, ça me fait toujours plaisir!


Quant à moi je n'ai rien de "neuf" à vous proposer, je n'ai pas eu des masses de temps à consacrer à l'écriture ces derniers temps, entre un stage de dessin, Le Trône de Fer de George R.R. Martin (que je vous recommande chaudement à tous!), les préparatifs pour mes vacances, et deux/trois sessions de jeux vidéo par-ci par là (guère plus, je le jure :niak:)... Cela dit, j'ai entamé la suite de Triangle.


Par contre je vais enfin poster la 3eme et ultime partie des Carnets de Monarque, chose que j'avais promise il y a... pouh! On ne s'en souvient plus de mémoire d'homme, c'est dire! :niak: La parution va s'étaler sur la fin des vacances, surement jusqu'à la mi-aout, par contre je n'annonce aucune régularité, partant jeudi matin pour 3 semaines dans des lieux vierges de toute civilisation mon accès à internet sera des plus sporadiques, alors je sauterai sur les occasions qui se présenteront, j'imagine. Je sais que Monarque n'a jamais rencontré un succès fou, ici bas, mais il avait à l'époque deux/trois lecteurs et je leur dédie donc cette fin. :niak:

Bien entendu, poster la fin de Monarque précisément en ce moment n'est pas anodin. Cela fait quelques semaines que j'ai commencé à travailler sérieusement sur l'univers, et les choses étant bien avancées, à tous les plans, débutera durant ces vacances l'écriture de Monarque - Au Nom du Roi, une saga dans la continuité des Carnets qui feront pour le coup office de gros prélude. Rassurez vous, cela se fera bien entendu en parallèle de Triangle que j'escompte bien finir :niak:

Sur ce, bonne lecture, bonne vacances et à une prochaine fois!



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Résumé de la partie II/ Ashenvâl :
(Cliquez pour afficher/cacher)



Monarque commence ICI (http://forums.puissance-zelda.com/viewtopic.php?t=2326&postdays=0&postorder=asc&start=93)

La deuxième partie débute ICI (http://forums.puissance-zelda.com/viewtopic.php?t=2326&postdays=0&postorder=asc&start=105)


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III / Räj'Alh


[align=center]1.[/align]


J'ai jeté un dernier regard en arrière. J'ai poussé un énième soupir.
"Je deviens trop vieux pour ces conneries, j'ai dit."
Je me plaisais bien, ici à Château-Abbendal. Devoir quitter ce que je considérais comme un foyer me faisait mal au coeur. Mon nouveau frère d'honneur, Augustin Abbendas, allait beaucoup me manquer, tout comme Tapinois, Bière, Rose, Ken, Ciguë, Tekno et Capuchard. Mais on ne peut pas aller à l'encontre des ordres.
"Trop vieux?, m'a fait La Dame d'Ecarlate. Et moi, je dois dire quoi alors?"
Je l'ai regardé avec des yeux blasés. La première fois que j'ai rencontré cette femme, elle s'appelait Hélène. Je venais de tuer son mari et l'avait ligotée et laissée pour morte avec ses enfants au bord d'un chemin.
A présent, elle chevauchait de concert avec moi, partageait ma couche et mon coeur, et était la femme la plus respectée de ce royaume. Il y avait de quoi faut dire. En sus de sa beauté et de sa magnifique crinière de cheveux roux flamboyant bouclés, elle faisait une excellente bretteuse. Je n'ai vu que Tapinois pour la mettre à terre, et Capuchard, Abbendas et Araignée pour faire ex-aequo. Personnellement, je préfère mettre ma fierté virile en sécurité. La Dame d'Ecarlate est un nom bien trop pompeux et long pour nous autres, petites gens. Puisque dorénavant elle fait partie intégrante de Tempête du Chaos, nous l'appelons Colichemarde, en référence à son arme de prédilection. Pour combattre, elle s'équipe à la manière des spadassins lourds. Une demie cuirasse moulante avec gorgerin, épaulette et protections en plaques sur le côté gauche, le tout par dessus une chemise de maille. Son épée ainsi qu'une lame plus courte de parade lui battent les flancs.
A la fois efficace et foutrement attirant. Tous les hommes se tournaient sur son passage. En 5 mois, on peut dire que la transformation a été radicale.
"Le temps ne semble pas avoir de prise sur toi, sorcière, lui ai-je répondu en tirant la langue."
J'ai fait passé l'étendard dans mon autre main, pour soulager un peu mon épaule. Elle m'a souri et on s'est embrassé par dessus nos canassons.
"Où allons nous?..."
Spektrum se tenait de mon autre côté. Il regardait le soleil se lever avec ses yeux à faire pleurer une tombe. Nous chevauchions au milieu de la colonne. Nous étions environ 500 à être envoyés vers le Nord, des soldats d'Abbendal et une égale proportion d'homme du 6e. Tout ce petit monde commandé par Kerrighton, le second du capitaine. Un con fini.
"J'en sais rien. Tout ce que je sais, c'est qu'il y a eu du grabuge dans quelques bleds paumés, et que l'armée de Cygne n'arrive pas à régler le problème seule. Donc, nous voilà. On nettoie tout ça vite fait et on rentre se coucher."
Spektrum a hoché la tête, pensif. Il devait certainement se demander, à raison, pourquoi lui était là alors que les autres étaient restés au château à se tourner les pouces en buvant de la bière.
"Si je t'ai demandé expressément de venir, c'est parce que les rapports signalent que de la magie pourrait éventuellement être à l'oeuvre là bas."
Il a hoché la tête de nouveau. Je n'arrive toujours pas à cerner ce type, même si je l'apprécie de plus en plus. Il ne parle jamais de son passé d'avant Kerdanac, mais je suis certain que ça doit pas être tout rose.
Bon. Je me suis levé sur mes étriers, pour jeter un coup d'oeil derrière moi. On avait avancé d'environ cinquante mètres depuis la dernière fois.
Je hais voyager avec une armée.


[align=center]2.
[/align]


Il ne restait plus grand chose du premier village que nous avons traversé. A part du sang séché et une odeur de pourriture et de mort. Pas un cadavre. Pas un os. Pas une personne encore en vie ou un petit animal. Les bâtiments n'avaient pas été incendiés mais vandalisés et saccagés. Un spectacle de pure désolation.
"Ce n'est pas l'oeuvre de bandits, m'a dit Kerrighton en approchant sa monture de la mienne. Ni même d'une armée de métier.
-Ha ouais?
-Oui. Les objets de valeur n'ont pas été emportés. Tout est encore là. Et il y avait pourtant un petit et coquet butin. Du nouveau de votre côté?"
J'ai haussé les épaules.
"Je vais voir."
Tendant l'étendard à ma douce, je suis descendu de cheval et ai fait signe à Spektr de me suivre.
"Tu sens quelque chose?, lui ai-je demandé quand nous nous fûmes un peu éloignés.
-Comme toi... Il y a de la magie à l'oeuvre...
-Ouais. Mais je vois pas quoi. Et pas un indice!
-Le sorcier qui a oeuvré ici est habile. Il n'a pas laissé un seul résidu de mana. Il faudra faire attention."
J'ai hoché la tête, pensant la même que chose que lui. Je suis retourné informer Kerrighton de notre opinion. Ca n'a pas eu l'air de lui faire franchement plaisir.


[align=center]3.[/align]


Les charniers fantômes se sont enchaîné avec une morbide monotonie. Le seul point positif, c'était qu'on gagnait du terrain sur nos mystérieux assassins. Spektrum m'a fait judicieusement remarqué qu'à l'allure où nous allions, il se pouvait avec de bonnes chances que ces mêmes assassins aient ralenti dans le seul but qu'on les rattrape.
Pas faux.


[align=center]4. [/align]


Il n'y a pas eu un seul cri. Les ombres sont sorties des bois sans un seul bruit. Elles ont tué les sentinelles sans se faire remarquer, et se sont glissées dans le campement. Elles ont massacré au petit bonheur la chance allégrement, puis une fois qu'elles eurent jugé avoir fini le boulot, sont reparties. Personne ne s'est réveillé.
Des cris de panique, des jurons, des bruits de ferrailles m'ont sorti des limbes à l'aube. J'ai réveillé ma tendre et Spektrum puis me suis levé. Tout paraissait normal, exceptés le sang qui maculait le sol et les toiles de tentes, les cadavres qui jonchaient le sol.
Un vrai massacre.
J'ai harangué un soldat qui courait partout avec un air éberlué.
"Hé, toi là! Qu'est-ce qui s'est passé, bordel?
-'Sais pas m'sieur. Je crois que le sergent vous cherche."
On s'est hâtez tout trois vers la tente de Kerrighton. La couleur de son visage oscillait entre l'écarlate de la colère, et la pâleur de la panique.
"Monarque!, il a aboyé. Je veux des explications. Maintenant!"
Je l'ai regardé d'un oeil morne. Depuis quand je cachais des boules de cristal dans mes manches?
Elles sont bien trop petites.
"Arrête de jouer au plus fin avec moi!"
A présent il hurlait franchement. La situation lui échappait complètement.
"Répond!
-Il est vrai!, ai-je rétorqué en haussant le ton. Que mon noble anus regorge de trouvailles, mais hélas il n'y a pas dedans le don d'omniscience. Monsieur."
Il a frappé avec son pied dans la table de campagne. Elle s'est renversée sur le sol. Les autres officiers n'ont pas moufté. Kerrighton a fait quelques pas rageurs puis s'est assis sur un tabouret en se prenant la tête dans les mains. On a attendu. Un sous-officier a fini par se ramener avec un rapport. Il était plus pâle que la mort.
"Au rapport, monsieur.
-Combien?, a demandé Kerrighton sans même le regarder.
-106 monsieur.
-Des blessés?
-Aucun, monsieur.
-Tu peux disposer. "
Le sous-off a salué, hésité, puis fini par demander.
"Monsieur... Que... Qu'est-ce que c'était?"
Kerrighton a relevé lentement les yeux. Rarement j'avais vu un regard aussi furieux. On aurait dit qu'il pouvait transpercer le pauvre homme du regard.
"L'ennemi nous a pris par surprise, ai-je fait, pressentant que Kerrighton allait faire ou dire une bêtise. Cela ne se reproduira pas. Maintenant nous savons qu'ils sont pas loin. Fais passer le message. Que chacun soit prêt à tout instant. Cette technique perfide nous apprend que nous sommes en large surnombre, sinon ils auraient tenté une attaque frontale. Tout va bien se passer. Va."
Le sous-off m'a jeté un drôle de regard, du genre "mais c'est qui ce gus?" mais il a quand même salué et est ressorti à la course. Kerrighton s'est soudain relevé.
"Rassemblez vos hommes. Nous levons le camps. Nous sommes trop exposés dans cette clairière. Rompez."
On a tous acquiescé, et tourné les talons.
"Monarque. Reste."
J'ai soupiré. Colichemarde m'a étreint la main en signe de compassion mais est quand même sortie. Kerrighton a relevé la table et remis les cartes en place.
"Merci, qu'il m'a dit."
De surprise, j'ai rétorqué : "Hein?
-Je t'ai remercié, a-t-il grogné, en évitant mon regard. Pour ce que tu viens de faire. Si tu n'étais pas intervenu j'aurais étripé cet incompétent moi même."
J'aurais bien aimé lui dire que j'en avais autant à son service.
"Je m'emporte trop, la surprise et l'angoisse m'ont déstabilisé. A présent ça va mieux.
-Bien. Monsieur.
-Tu as déjà du en vivre beaucoup, des situations comme celles-ci, il a fait en ricanant nerveusement.
-Ouais. La magie est une des pires saloperies de ce monde...
-La magie?!"
Il s'est soudain arrêté dans son mouvement en me jetant un regard abasourdi.
"Et ben... Ouais, c'est ce que j'ai dit.
-Tu penses que de la magie a été déployée dans cette attaque nocturne.
-Évidemment. A moins que nos mystérieux ennemis soient des ombres, il a fallu le couvert de la sorcellerie pour opérer cette boucherie sans réveiller quiconque.
-Quelle genre de magie?
-D'un type qui masque les sons. J'en connais un moi même.
-Pourquoi pas un sort somnifère?
-Moi et Spektrum l'aurions senti autrement.
-Ha."
Il a acquiescé pendant une poignée de secondes, pensif.
"J'aimerais que toi et ton subalterne pensiez à une parade efficace aux assauts magiques de l'ennemi.
-Ce sera fait."
J'ai salué et suis sorti. Mes acolytes m'attendaient.
"Alors?, m'a demandé Hélène. (Je continue d'employer ce nom dans les écrits, car c'est plus rapide à écrire.)
-Alors lui et moi on a du boulot.
-De quelle nature?...
-On va jouer aux apprentis trappeurs. On va créer des pièges.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le vendredi 20 août 2010, 14:13:50
Hop, me revoilà! Avec une surprise, qui plus est, car voici la deuxième et dernière partie du chapitre X de Triangle de Pouvoir.

Retrouvez également Les Carnets de Monarque à la suite. Le rythme de parution de ces derniers devrait d'ailleurs se régulariser.


Sur ce bonne lecture à la prochaine!



________________________

[align=center]X
-Le Chien-
(2e partie.)[/align]



Heureusement, il n’avait rien de cassé cette fois-ci. Juste la lèvre inférieure éclatée. Il se rendit dans sa chambre. Malon n’était plus là, et il s’en félicita. Il pénétra dans la salle d’eau attenante, et se lava du mieux qu’il put. L’hémorragie finit par se stopper d’elle-même. On vint le mander pour le déjeuner deux heures plus tard, et c’est la tête vide qu’il pénétra dans la vaste salle qui avait accueilli le banquet de la veille. La plupart des tréteaux avaient disparu, et seules demeuraient deux longues tables en chêne de part et d’autre de l’estrade royale. Pour les repas ordinaires, le roi choisissait les personnes qui partageraient son pain. Et il n’y en avait pas beaucoup, ce midi là.
   Sur l’estrade, le roi Salomon, les traits tirés et soucieux, chipotait dans un plat de viande, seulement flanqué de Tarquin et de son fils le prince Nohansen. Ser Allister mangeait en vis-à-vis de son père, aux côtés duquel était assise Feena Hurlebataille. Il n’y avait personne d’autre. Maître Baelon fit installer le Chien à la droite de Ser Allister puis se retira tandis que les deux hommes échangeait un léger signe de tête gêné. Des serviteurs lui servirent aussitôt une coupe de vin et posèrent devant lui un tranchoir sur lequel reposaient quelques tranches de viande froide agrémentées de légumes frais. Personne ne parlait, et l’ambiance était des plus pesantes. En relevant l’œil le Chien croisa le regard de Feena qui le salua d’un hochement de tête.
   -La reine s’excuse, finit par dire Salomon et sa voix raisonna dans la vaste salle. Sa… condition, ne lui permet plus de quitter le lit.
   Les têtes se baissèrent, les yeux dans la nourriture. L’humeur morose du repas tranchait avec la liesse de la veille. C’en était presque irréel.
   -J’avais fait mander le sieur Link, et son lieutenant Colin, continua le roi d’une voix un peu ragaillardie, mais le premier s’est retiré pour sa journée de veille, et ma fille a décidé de le seconder dans la tâche, quant au second… il supporte moins bien le vin.
   Un rire léger fit écho à la dernière remarque, mais bien vite un silence pesant s’abattit sur l’assemblée.
   -Où est le bouffon?, réclama Salomon. Ma table est plus glaciale qu’un tombeau. Je veux du rire et des chansons.
   Tingle Tingle fit son entrée dans la grande salle quelques minutes plus tard. Le Chien le contempla réellement pour la première fois. Il fut surpris de trouver quelqu’un de plus laid encore que lui. Le bouffon était un nain difforme, aux jambes arquées, au nez crochu et vil, aux yeux noirs et débiles, au sourire édenté et moqueur. Il était presque tout entier couvert d’une combinaison de soie verte qui dissimulait aussi le sommet de son crâne ceint d’une couronne à grelots. Il marchait en canard, et sa voix de crécelle était des plus effroyables. Quand il riait on craignait que le verre cassât. Le Chien ne trouva pas le terme de bouffon adapté au personnage. Il lui évoquait plutôt quelque gnome malicieux et fourbe des contes qu’il entendait petit, de ces enfants qui disparaissaient dans l’impénétrable et mystérieuse forêt qui cachait la citadelle de Boisperdu pour n’en jamais revenir.
   A peine le nain fut-il entré que quelques gloussements se firent entendre, les yeux braqués sur la démarche idiote et vacillante des jambes handicapées. Peut être était-ce car lui-même était hideux, mais le Chien ne trouva rien d’amusant dans ce spectacle. Il le trouva au contraire tout à fait pathétique. Tingle Tingle fit apparaître dans ses mains quelques balles colorées avec lesquelles il se mit à jongler. Il les lançait de manière à ce qu’elles retombassent sur sa tête, et en profitait pour placer un festival d’expressions comiques, peine, désarroi, douleur, surprise. Cela eut au moins l’effet de dérider Salomon, qui semblait prendre grand plaisir des pitreries de son bouffon.
   La suite du repas se déroula de façon monotone, rythmée par les bouffonneries et les rires. On avait fait venir quelques musiciens pour égayer un peu le jeu de Tingle Tingle, et le Chien préféra apprécier les mélodies que les cascades pitoyables du nain. A sa gauche, Ser Alliser avait fermé les yeux, une coupe de vin à la main, et tendait l’oreille aux instruments avec un sourire charmé.
   -Majesté, majesté!, cria soudain le bouffon avec une voix anxieuse, tirant le Chien de ses réflexions.
   -Qu’y a-t-il donc?  Parle!
   -Majesté, pardonnez moi, pardonnez moi, mais il y a une rumeur affreuse qui circule, en ce moment.
   -De quoi en retourne-t-il?
   -Et bien…
   Tingle Tingle se pencha vers le roi en jetant des coups d’œil alentour, comme un conspirateur sur le point de révéler un secret capital.
   -Il paraîtrait que sa majesté… accepte des chiens à sa table!, explosa le bouffon en riant comme un forcené. Et que… et que…, s’étranglait-il entre deux hoquets, même que les gens vous appellent le Maître Piqueux! Hahaha!
   Une chape glaciale s’abattit sur la grande salle, malgré les rires de Tingle Tingle. Les coupes restèrent en suspens à mi chemins des lèvres, les couverts firent de même et la musique cessa. Le visage de Salomon passa du rose au rouge en quelques secondes, un rouge de fureur. Une veine saillit sur sa tempe et il abattit son poing si fort sur la table que les tranchoirs se renversèrent.
   -Hors de ma vue, bouffon de malheur!, ordonna-t-il d’un ton impérieux. Gardes! Jetez moi cette canaille dans les cellules pour deux jours, qu’il apprenne à tenir sa fichue langue!
   Deux hommes en armes s’approchèrent et saisirent chacun le nain sous une aisselle. Ce dernier ne semblait pas apprécier la situation à sa juste valeur, car il ne cessait de hurler son hilarité, ses jambes gigotant toutes seules comme agitées de spasmes. Ses yeux se posèrent sur le lieutenant de Link, et il se mit à crier :
   -Pas plus loyal qu’un chien! Ya pas plus loyal qu’un chien, pas vrai?  Malheur à qui trahit la main du maître! Malheur, malheur!
   Et là-dessus de hurler comme un loup. Ses cris raisonnèrent une longue minute dans la grande salle, pendant que le roi, toujours ivre de rage, retombait dans son siège.
   -Il m’a coupé l’appétit, ce corniaud là!, maugréa-t-il.
   Puis se tournant vers le Chien.
   -Veuillez pardonnez. Les mots ne me permettent pas d’exprimer pleinement toute la mesure de la honte que j’éprouve à l’instant. Insulter un invité à ma propre table! Je suis humilié!
   En proie à un certain malaise, l’intéressé s’éclaircit la gorge et se força à un léger sourire qui lui arracha une terrible souffrance.
   -Ce… Ce n’est rien votre majesté. Il ne pensait certainement pas à mal.
   -Même les idiots ont le droit d’être respectueux!, répliqua Salomon. Je me retire,  qu’on fasse mander maître Baelon dans la chambre de la reine, acheva-t-il à l’adresse de Tarquin.
   Ce dernier acquiesça, et comme la retraite du roi signifiait le congé pour les autres, chacun sortit de table et retourna vaquer à ses occupations. Le Chien aurait aimé poser certaines question à Ser Allister, mais le mutisme de celui-ci empêchait la chose. Il se fit alors un devoir de sortir Colin du lit, car en tant que lieutenant officiel il se devait d’être irréprochable. Mais une fois dans le couloir de sa chambre, il tomba sur Feena Hurlebataille qui semblait l’attendre, les bras croisés, adossée au mur.
   -Tu l’as touchée?, demanda-t-elle de but en blanc.
   -Plaît-il, madame?
   -La petite putain qu’ils t’ont donné pour chauffer tes draps, tu l’as touchée?
   -Malon. Ce n’est pas une putain, mais une simple courtisane. Elle se contente d’exécuter les ordres qu’elle reçoit, veuillez ne pas la juger.
   -Ca ne me répond pas.
   -Non, je ne l’ai pas touchée. De toute façon, pardonnez moi mais je ne vois pas en quoi cela vous concerne.
   -Tout ce qui te concerne me concerne.
   -Pardon?
   -Surtout en ce qui concerne la putain.
   -Courtisane.
   -Qu’importe. Tiens le toi pour dit : touche la et tu auras à faire à moi. C’est clair?
   -Parfaitement. Ce n’était de toute manière pas dans mes plans.
   -Tant mieux.
   -Puis-je vous…
   -Non. J’ai fait jeter le gringalet dans un bac d’eau froide, il empestait l’alcool.
   -Ha. Je n’ai plus rien à faire ici alors. Je vais me retirer.
   -Oui, c’est cela.
   Le Chien se retourna, et fit mine de partir quand la voix de Feena s’éleva à nouveau.
   -En fait, tu dois aimer ça.
   -Madame?
   -Te faire humilier. Comme un chien.
   Son ton était cassant et méprisant.
   -Chaque fois que le blondinet te siffle tu rappliques ventre à terre, et qu’importe toutes les horreurs qu’il te fait subir tu ne le sers qu’avec plus d’ardeur encore. Et tout à l’heure, n’importe quel homme avec deux doigts d’honneur aurait réclamé réparation. En fait tu n’as aucune estime de toi-même. Tu n’es bon qu’à servir un maître. Comme un vrai chien, en soi.
   -Le sieur Link m’a sauvé la vie, ce n’est que justice de le remercier pour cette bonté.
   -Bonté, hein?, ricana Feena dans son dos. Tu es d’un pathétique, Locke Sanks. J’avais du respect pour toi, avant. Mais maintenant je te vois comme tu es. Mon cœur saigne, que le meurtrier de mon fils et de mon compagnon ne soit qu’un misérable pleutre obséquieux.
   Elle cracha.
   -Un homme qui a voué sa vie à un autre n’est plus un homme.
   Le Chien encaissa les insultes sans broncher. Il avait l’habitude que les gens ne comprissent pas la relation qui l’unissait à Link. Mais ce n’était pas pour autant qu’il aimait  être dénigré. Sans plus attendre, il s’éloigna et oublia l’incident. Il profita de la journée pour inspecter la vingtaine de barbares qu’ils avaient amenés et fut soulagé de les voir paisiblement jouer aux dès dans leurs quartiers. Après l’effervescence de la veille le château semblait bien calme, presque désert. Vers le milieu de l’après-midi, il héla un serviteur et lui demanda où se trouvait dame Laruto, mais il lui fut répondu qu’elle était sortie, avec sa maîtresse et Lars, se promener. Etrangement déçu, il se rabattit sur la cour intérieure qui faisait office de champ d’entrainement à l’art martial. Elle était déserte, à l’exception d’un vieil homme bedonnant assis sur un tabouret, occupé à affûter une lame avec une pierre à aiguiser. Le Chien ne voulant pas le déranger, il fit mine de s’éloigner mais l’autre le héla sans même relever la tête de son ouvrage.
   -Bien le bonjour, messire Chien!
   -Bonjour, messire…?
   -Talon.
   -Ser Talon, s’inclina roidement le Chien.
   Le bonhomme eut un sourire aimable et après avoir observé son ouvrage d’un œil critique, décida d’aller reposer la lame sur le râtelier. Cela lui prit un certain temps, car sa jambe droite pendait derrière lui comme un poids mort, et il devait la ramener avec ses bras à chaque pas.
   -Ma réputation me précède.
   -Tout le monde connaît Ser Talon contre le Seigneur des Bois.
   -Ha! (Le sourire de Talon se changea en une grimace aigre.) Cette fable insipide. N’en croyez pas un mot, messire. En vérité, je n’ai fait que me jeter en avant en hurlant comme un porc pour le faire décamper. Cela a permis aux gardes de mettre la bête à mort, mais j’en ai payé le prix.
   Il tapota sa jambe estropiée.
   -Pourtant, vous voilà maître d’arme du roi.
   -Bah! Une bonté de Sa Majesté. Quand j’étais petit, j’accompagnais mon père ici au château, lorsqu’il livrait ses armes, ses armures et ses fers à cheval. Moi, je regardais les chevaliers, les vrais, s’entraîner à l’épée. A force, j’ai retenu deux, trois choses. Mais je crains que ce ne soit là tout.
    -Si vous avez su vous maintenir toutes ces années, je doute que vous n’ayez quelques talents, Ser.
   -Bâh! Vous êtes juste trop poli, messire. Je ne suis qu’un vieil estropié. Par contre, j’ai entendu bien des choses sur vos prouesses guerrières, messire.
   -Des fables, je crains. J’ai seulement eu la chance de survivre à cette guerre. On y payant mon propre prix.
   Un sourire étira les lèvres de Talon.
   -Vous pouvez peut-être mystifier tous ces nobles prétentieux, mais moi on me l’a fait pas. Ya qu’à voir la façon que vous avez de vous déplacez. Vous êtes à l’affût, près à tout. Un homme pourra surgir derrière vous à l’instant, brandissant un poignard, qu’il se retrouvait de suite au sol, désarmé et en fâcheuse posture. Regardez-vous! Un colosse.
   -Je ne suis qu’un estropié, comme vous, dénia le Chien. Comme je l’ai dit, je n’ai eu que de la chance. Le sieur Link est bien plus adroit que n’importe lequel d’entre nous.
   -Les blessures que vous avez reçues… Bien d’autres hommes auraient pris leur retraite du métier juste pour une seule d’entre elles. Mais vous avez continué à lutter.
   Mal à l’aise, le Chien chercha vainement quelque chose à dire. Mais ce fut Ser Talon qui le secourut.
   -Son Altesse le prince ne cesse de me tanner le cuir à votre propos. Il est aussi piètre escrimeur que je suis bon danseur mais il mourrait de joie si vous lui donniez une leçon.
   Le Chien revit le visage de Nohansen, le soir du banquet et lors de leur arrivée, qui ne cessait de le dévisager avec comme de la déception et de l’excitation.
   -Je… Heu… J’en serai honoré.
   -A la bonne heure. Passez donc un de ces jours, nous nous entraînons dans l’après-midi.
   -Je n’y manquerai pas. Dites moi, Ser. Mon maître s’est retiré pour sa journée de veille mais… qu’est-ce exactement?
   Talon s’empara d’une autre lame sur le râtelier et passa un doigt sur le fil, jugeant si un affûtage était nécessaire. Décidant visiblement que oui, il retourna s’assoir sur son tabouret et se remit à l’ouvrage.
   -La charge de Lord est quelque chose d’important et de pesant. C’est une grande responsabilité. Tout candidat doit se retirer un jour et une nuit à l’écart du reste du monde pour prier les Déesses de lui accorder force, courage et sagesse dans l’exercice de ses fonctions, dans la défense de son peuple et de sa nation, ainsi que dans la gérance de son domaine.
   -Vous avez dit qu’un veilleur devait se retirer du reste du monde mais la princesse accompagne le sieur Link, pourtant.
   Talon haussa les épaules. Sa pierre crisser sur l’acier en produisant des étincelles.
   -La famille royale descend des Très-Hautes Elles-Mêmes. Les lois des mortels ne s’appliquent pas à elle. De surcroît, Son Altesse sera bientôt l’épouse légitime de votre seigneur. Il n’y a rien d’étrange là dedans.
   Le Chien acquiesça, songeur.
   -A propos de maître Tarquin je…
   -Si vous voulez mon avis, messire, vous feriez bien de vous tenir aussi éloigné que possible de cette bête là.
   -Qui est-il exactement?
   -Le maître du Sheikah. Un foutu espion, un assassin, un fourbe, un sournois, un comploteur. Mais le premier et le dernier rempart de Sa Majesté. Gardez vous de lui.
   -Je le ferai. Bonne journée, Ser.
   -Bonne journée, messire.
   Le Chien se détourna et fit mine de sortir de la cour quand la voix de Talon le rappela.
   -Messire!
   L’intéressé se retourna. Le vieux chevalier examinait son travail d’un œil critique.
   -Je ne suis peut être qu’un vieil estropié, mais s’il arrivait quoi que ce soit à ma fille, je trouverais bien les ressources pour botter quelques fesses.
   -Je ne la toucherai pas. Je vous le jure.
   -Je sais que vous ne le ferez pas, messire. Mais tous n’ont pas votre irréprochabilité.
   La bibliothèque royale était grande, très grande, trop grande! Il y avait là plus de livres que le Chien n’en avait contemplés de toute son existence, et plus qu’il pensait qu’Hyrule en contenait. Il devait falloir plusieurs vies pour lire tout ça! Malgré ses difficultés, le Chien aimait bien lire. Ses parents n’avaient jamais appris, eux, et il savait qu’ils auraient été fiers de savoir que lui y parvenait. De plus, la lecture était un formidable moyen d’accès à la connaissance, et la connaissance ne rendait les hommes que meilleurs. Du moins c’est  ce qu’il croyait sincèrement. Il parcourait de l’œil les rangées et les rangées de tranches gravées à l’or fin, enluminées, décorées de dorures et d’arabesques. Certaines écritures étaient trop stylisées pour qu’il les déchiffre, et certains titres étaient écrits dans des langues qu’il ne connaissait pas. De sa main valide il effleurait le cuir des couvertures, s’imprégnant de la bonne odeur de poussière, de moisissure, d’encre et de parchemin. Le rayon qu’il observait semblait être réservé à l’histoire. Un gros volume rouge attira son attention, et le dégageant de son rayonnage. Il était lourd, et son titre s’étalait sur toute la moitié supérieur de la première page : « Chroniques d’Hyrule. » Une carte détaillée d’Hyrule annotée de pates de mouche illisibles couvrait les deux premières pages, et le Chien s’attarda un moment à la contempler. Il essaya de retrouver le village où il était né, dans le Sud, mais il n’y figurait pas.
   -Lannel a un style épouvantable, murmura quelqu’un dans son dos. Vous devriez plutôt essayer Ordin, il est plus abordable et bien plus intéressant.
   Le Chien se retourna vivement, et fit face au regard aveugle de Fado le Faiseur de Vents. Ce dernier se tenait légèrement en retrait, les mains dans le dos comme un vieillard, un léger sourire sur les lèvres, la tête légèrement penchée comme s’il écoutait quelque chose. Comment a-t-il pu voir ce que je lisais? se demanda le Chien. Ce petit bout d’homme le mettait curieusement mal à l’aise. Peut-être était-ce son éternel sourire, ou bien ces yeux fermés qui semblaient tout voir.
   -Je… déglutit le guerrier, merci, j’y songerai.
   Il reposa le volume dans son rayon.
   -C’est curieux, souffla Fado.
   -Qu… Quoi donc?
   L’homme enfant pencha un peu plus la tête.
   -Vous ne croyez pas à la magie, ni au divin.
   -La magie, certes non, mais Les Déesses veillent sur…
   -Non, fut-il coupé. Non. Non. Vous les avez maudites le jour où vous avez perdu votre main. Et vous les avez reniées le jour où vous avez perdu votre œil.
   Le Chien se glaça. Instinctivement, sa main valide se porta doucement vers la poignée de son épée.
   -Cela ne me dérange pas vous savez. Chacun est libre de ses croyances.
   -Et… En quoi croyez vous, messire?
   -Moi? Je crois le vent.
   -Le vent, messire?
   -Oui, le vent…
   Fado se détourna légèrement, comme si tout à coup leur conversation ne l’intéressait plus.
   -Le vent parle, savez-vous? Il raconte bien des choses intéressantes. Bien des choses. Des choses que lui seul sait. Il suffit de savoir l’écouter. De savoir le comprendre. Pas vrai… Locke Sanks?
   Le Chien resta silencieux un moment. Il observait le visage de son interlocuteur, dont le sourire n’avait pas bougé d’un iota. Qui est-il?
   -Qu’avez-vous dit?
   -Locke Sanks. C’est bien votre nom, n’est-ce pas?
   -Oui, mais comment…
   -Le sais-je? Ha! On me l’a murmuré.
   -Qui? Maître Tarquin?
   -Ho non! Non, non, non! S’exclama Fado d’un air horrifié. L’Ombre est mauvaise. Il faut en prendre garde. Je n’ai rien à voir avec elle. C’est le vent, messire. Le vent. Il murmure votre nom sans cesse depuis des mois. Le vôtre, et bien d’autres.
   -Lesquels?
   Fado l’ignora.
   -Vous l’entendez, messire?
   -De quoi? Le vent?
   -Non, messire. Les sanglots et le fracas des armes.

[align=center]FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE.[/align]   


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______________________


[align=center]5.[/align]

   
Ils sont revenus la nuit suivante. Mais cette fois on était prêt. Le camps avait été installé à un lancer de pierre de la Glorieuse, la rivière qui traverse une bonne partie des Royaumes Centraux en prenant sa sources dans la chaîne de montagnes du nord. La rive ouest proposait un terrain plat et dégagé d'une largeur de 300 mètres avant le début d'une forêt d'assez grandes dimensions.
Un trait de lumière a fusé vers le ciel en produisant un son strident. A son zénith, il a éclaté en une myriade de petites sphères lumineuses qui sont redescendues à ras du sol afin de produire de la lumière. Ceux qui dormaient se sont réveillés fissa. Les sentinelles ont été les premières à se glacer d'épouvante en découvrant nos assaillants. Malgré tout, elles ont engagé la combat, rapidement rejointes par le reste de la troupe.
Les soldats adverses se sont concentré sur la partie nord-ouest du campement. Ils sortaient du couvert du bois en ordre désordonnés. Ils marchaient lentement, mais d'une façon étrangement régulière. Ils ne chargeaient pas, ni ne criaient. D'ailleurs, ils ne produisaient aucun bruit.
Nous avons loupé le début de l'attaque, Hélène et moi. Nous étions occupés, un peu plus loin, derrière un rocher sur un tapis de mousse.
"On a de la visite, ai-je dit lorsque mon signal d'alarme m'est parvenu."
On a échangé une dernière étreinte puis on s'est rhabillé et mis en route. On a poussé nos montures au galop jusqu'au sommet d'une petite colline boisée qui surplombait le camp à environ 400 mètres. De là la vue était imprenable.
Un relent de magie corrompue flottait dans le vent, étrangement familier. Privé de son élément de surprise, l'attaque ennemie ne valait plus un clou. Nos hommes les ont rapidement taillés en pièce et remporté une victoire éclaire.
Ma tendre et moi sommes redescendus sans trop nous presser. Le paysage était beau. Enfin, il devait l'être, vu qu'on y voyait pas grand chose dans le noir. On restait aux aguets, au cas où l'ennemi aurait posté des hommes dans le coin.
"Qu'est-ce que tu penses de tout ça, chéri?, m'a demandé Hélène alors qu'on approchait du camp."
J'ai essayé d'estimer les dégâts mais j'y voyais goutte. Tout ce que je voyais c'était quelques tentes renversées.
"De?
-De tout ça.
-J'en sais rien. Tout ce que je sais c'est que ça pue. J'aime pas trop savoir un sorcier perdu en liberté. Surtout quand il veut notre peau."
Elle a acquiescé. Ses boucles rousses se sont agitées mollement. (J'adore quand ils font ça.) A présent, nous étions à quelques mètres de notre campement. Je pouvais entendre les soldats parler entre eux. Et sentir l'odeur de pourriture.
"Dis, mon amour, a commencé Hélène tout à coup.
-Hmm?
-Qu'est-ce que tu dirais de nous enfuir tous les deux, toi et moi, loin d'ici, et vivre une petite vie tranquille dans un village de bouseux."
Contrairement à ce que vous devez croire, je ne l'ai pas regardée avec des yeux ronds l'air de me demander ce qui pouvait bien, par tous les dieux, lui passer par la tête. J'y ai songé sérieusement.
Bordel! Ce que ça me botterait bien!
Je lui ai pris la main avec un petit sourire triste.
"Si tu savais comme j'en ai envie... Mais c'est impossible. Enfin, je ne peux pas.
-Pourquoi?"
Un soldat est venu à ma rescousse.
"Porte-étendard. Le sergent te demande.
-Ouais. Pour changer."
Je suis descendu de mon cheval, et Hélène aussi. On a donné les rennes au troufion.
"On en reparlera plus tard?, a-t-elle demandé.
-Ouais."
Un frisson de rage et de frustration m'a parcouru. J'ai pensé l'espace d'un instant à tout ce que ce connard de capitaine m'a pris. A comment il a ruiné ma vie et comment il continue. Ca m'est passé très vite. Avec le temps, on se résigne. Mais ce n'est que courber l'échine pour mieux frapper. Jamais je ne renoncerai.
J'ai regardé Hélène, en rentrant dans la tente de Kerrighton. Et soudain j'ai eu envie de parler à quelqu'un. Tout raconter pour me vider un bon coup. Il paraît que ça fait du bien.
Spektrum brillait par son absence. Kerrighton et ses sbires, tous des jeunots remarquai-je soudain, se congratulaient avec force tape dans le dos.
"Ha, Monarque!, s'est exclamé le jeune capitaine. Tu as raté la fête. Tu aurais du voir comment nous les avons repoussés!
-J'ai vu."
Il m'a fait son sourire aux dents parfaitement blanches de jeune officier.
Kerrighton. Il a l'âge du capitaine. En fait, les deux sont amis d'enfance. C'est pour cela qu'il est le second du 6e. Mais je ne suis pas le seul à penser qu'il ne vaut pas un clou. Sur le plan tactique je veux dire. A ce moment là, je me suis rappelé que c'était sa première mission en solitaire, à la tête d'un régiment. Et j'ai eu dans la foulée un très mauvais pressentiment.
"Tu en fais une tête, Monarque! Réjouis toi, ce soir nous célébrons notre victoire. Allez, donnez lui un gobelet."
On m'a fourré dans les mains une coupe en bronze remplie d'un vin sombre et capiteux. Je me suis demandé pourquoi diables ils avaient emporté du vin. J'ai compris quand j'ai bu la première gorgée. J'ai recraché aussi sec, tout comme Hélène. La boisson contenait de l'Onirite, une drogue euphorisante puissante, qui crée une forte dépendance. J'ai dévisagé Kerrighton, qui a éclaté de rire sans raison, imité par ses sous-officier. J'ai rien dit. Ce n'était pas mon devoir ni ma place.
"Allons, Monarque! Ne sois pas si rigide! Amuse toi un peu, ça te ferait du bien. Toi aussi, Dame.
-J'ai déjà ce qu'il me faut, merci.
-Tu voulez me voir.
-Oui, Monarque."
Kerrighton est sorti quelques instants, pour donner des ordres. Il est revenu avec un grand sourire de loup ravi de la crèche. On a attendu dans les rires et les blagues de toute cette jeune assemblée. Puis soudain, une puanteur de charnier a empuanti l'atmosphère. Mes jeunes drogués ont froncé le nez mais n'ont pas cessé de pouffer comme des pucelles. Ils se sont arrêtés par contre quand les trois soldats ont amené le corps. Pas Kerrighton.
Mon sang à moi, celui d'Hélène aussi je crois bien, s'est glacé dans mes veines.
"Kerrighton, ai-je fait alors que ma gorge se desséchait. Ne me dis pas que c'est un des soldats de l'ennemi.
-Si!, s'est-il exclamé en éclatant de rire."  
Je l'ai frappé de toute mes forces. Il s'est effondré au sol en grognant. Il ne riait plus. Moi j'ai foncé au dehors. J'ai jeté un sortilège pour amplifier le son de ma voix et j'ai hurlé.
"Branle-bas de combat! Brûlez immédiatement tous les corps!"
Trop tard. Au même moment, les premiers cris ont raisonné. Dont plusieurs derrière moi. J'ai fait volte-face. Les yeux écarquillés d'horreur et d'incompréhension, les flamboyants jeunes officiers regardaient le mort-vivant dévorer le crâne d'un de leur pote. L'instant suivant, Hélène le réduisait en pièces dans un cri de guerre.
"Merde!, ai-je crié."
L'horreur a grimpé d'un palier, lorsque les membres découpés ont commencé à ramper vers nous. J'ai écrasé une main pourrie d'un coup de talon rageur.
"Remuez vous le cul bordel de merde!, ai-je fulminé. On est attaqué, faites quelque chose, les hommes attendent les ordres!"
Dehors, les cris de terreur se battaient en duel contre les hurlements d'agonie. Mais dans la tente, les hommes fixaient le corps remuant en clignant des yeux, totalement hébétés. Kerrighton s'est relevé. Il ricanait nerveusement. Je ne savais pas quelle quantité d'Onirite il avait ingurgité, mais pas encore assez pour totalement lui détruire le bon sens. Son cerveau devait totalement s'affoler, entre euphorie et pure terreur. Il m'a jeté un regard fou, un rictus lui tordant les lèvres.
"On a gagné!, il a crié soudain en riant. Victoire, victoire!"
Puis il a commencé à danser. Jugeant que je ne pourrais rien tirer de ces trous du cul fraîchement sortis de leurs classes, j'ai fait signe à Hélène de me suivre. Comme à chaque fois dans les débandades, les hommes fuyaient vers la tente de commandement, pensant qu'elle leur offrirait si ce n'était une protection, au moins des ordres pour organiser un simulacre de défense.
Comme j'étais le dernier gradé en état de marche, j'ai endossé le rôle du commandement.
"Toi, soldat. Au rapport, exécution!"
Le gars m'a dévisagé avec des yeux exorbités. Il était jeune, même pas 16 ans.
"Ils... Ils revivent monsieur! Ils revivent putain! On les avait butés pourtant. Et on peut plus les buter maintenant."
J'ai du faire un sourire suintant d'ironie.
"Bienvenu dans la vraie vie, mon gars."
Je suis monté sur un tonneau qui traînait dans le coin. Tous les hommes encore debout s'était rassemblés ici, toutes lames dehors. L''autre extrémité du camp brûlait. Des silhouettes sombres se promenaient dans les flammes, marchant lentement vers nous. Les plus endommagées rampaient ou claudiquaient.
"Messieurs!, ai-je dit."
Ils se sont tous tournés vers moi, anxieux.
"Il est clair que la menace à laquelle nous faisons face actuellement est bien plus importante que la simple mission de routine dont on nous a parlé."
Les revenants sortaient à présent du périmètre des tentes enflammées. L'odeur de la chaire brûlée masquait presque leur puanteur de chaire putréfiée.
"Je ne vous cacherai pas que nous sommes dans la merde.
-Qu'est-ce qu'ils sont?, a crié quelqu'un.
-Ce sont des non-morts. Des mort-vivants si vous préférez."
Énoncer tout haut une vérité qu'on refuse de voir produit toujours un vent de panique. Mes soldats se sont mis à gesticuler, à crier. Quelques uns sont partis en courant vers le fleuve. Ils ont coulé aussitôt, inexorablement entraînés par le poids de leur équipement.
La masse des revenants était maintenant bien visible. Elle paraissait innombrable. Leurs dernières victimes étaient maintenant des leurs. Dans le feu de l'action, je suis passé à côté d'un élément important, qui aurait pourtant dû me frapper. Mes hommes reculaient devant leur avancée.
"Ne flanchez pas, ai-je tonné. On est dans la merde, mais on peut s'en sortir. Oubliez toute idée de fuite. La rivière vous tuera, et être livrés seuls à vous mêmes dans un territoire condamné vous serait tout aussi fatal. Vous n'avez plus qu'un seul choix à faire. Combattre ou mourir. Moi j'ai déjà fait le mien."
Un semblant de courage et de résolution a semblé embraser leurs coeurs. Les plus vieux d'entre eux avaient déjà compris et se préparaient mentalement au combat. C'est ce moment qu'a choisi Kerrighton pour sortir de la tente en riant.
"Fuyez, fuyez!, chantonnait-il. On est tous morts, tous morts! Ha ha ha ha! Tous morts!"
Je lui ai envoyé ma botte dans la figure puis j'ai sauté à pied joint sur son torse. Ca l'a calmé un peu. J'ai fait signe à Hélène de le bâillonner et de l'attacher pendant que je remontais sur mon tonneau. Le horde morte n'était plus qu'à quelques mètres à peine. On entendait leurs grognements.
"Établissez un demi cercle serré. Protégez vos voisins directs. Gardez à l'esprit que si vous mourrez, vous vous relèverez pour tuer les copains. Si vous êtes gravement blessés, sortez du cercle. Le contact avec ces choses ne vous transformera pas."
J'ai été agréablement surpris qu'ils m'obéissent tout de suite sans rechigner, alors que je n'étais pas leur chef, et que je venais justement de le frapper, leur chef. J'ai été encore plus surpris quand les plus frais des sous-off sont sortis de la tente de commandement, bleus de peur mais résolus et ont pris place dans le cercle.
"Gardez aussi à l'esprit que vous ne pouvez pas les tuer. Au moins qu'il y ait parmi vous des foutus magiciens?"
Mauvaise pioche.
"Décapitez les et démembrez les pour les mettre hors-combat. C'est tout ce que vous pouvez espérer."
Hélène est apparue à côté de moi, l'étendard à la main et l'a planté dans le sol. J'ai soupiré intérieurement de frustration en me rappelant que ce n'était pas mon étendard. Une vulgaire copie. Un bout de bois mort.
"Où est Spektrum?, lui ai-je demandé.
-Je ne sais pas."
Elle a tiré ses armes au clair, prête à en découdre. J'ai tiré ma propre lame sans conviction. Honnêtement, je n'aurais pas parié une cacahuète sur nos chances de survie.
Après un moment de flottement, les zombis se sont écrasés contre notre ligne de défense. Une mutation s'est opéré dans leur comportement. Ils sont passés du statut de simples pantins mous à celui de brutes frénétiques aux forces décuplées. C'est là que j'ai percuté.
Un rire dément a troué la nuit, comme pour se moquer de moi. Un rire que j'avais déjà entendu, mais plus moyen de savoir ni où ni quand. J'ai frissonné, alors que le feu des tentes produisait une chaleur importante. Une brume noire de pures ténèbres s'est abattue sur la nuit, plus noir que le noir. Une chape de plomb faite de peur pure, de terreur, d'horreur, d'angoisse et d'abandon. Ma ligne s'est brisée, victime de ce sort vicieux. Les maillons éclatés n'ont guère tardé à se relever.
"Reculez!, ai-je crié. Reformez la ligne, tenez bon!"
Bordel, pas de Spektrum. J'ai ouvert mon esprit à la mana, prêt à lutter pour ma vie. Mes yeux ont dû tourner au pourpre. J'ai jeté un contre-sort pour détruire le sortilège démoralisant de mon mystérieux adversaire. Mes soldats ont repris courage et lutté avec plus d'ardeur, poussant des cris pour se donner confiance. Pourtant la situation n'était pas des plus glorieuses. Leur nombre diminuait de façon drastique à une vitesse bien trop rapide. Des flammes sont apparues autour de mes poings serrés. J'ai jeté une trait de feu sur une des goules qui allait abattre un de mes protégés. Le corps a totalement explosé, ne laissant aucune chance de retour. J'ai compris trop tard que je venais de signer mon arrêt de mort.
Une ombre noire aux yeux rougeoyant s'est échappée de la carcasse en produisant un cri si strident que les plus proches ont hurlé de douleur en se bouchant les oreilles. Ca leur a été fatal. Le spectre s'est envolé comme une flèche, puis a fondu sur moi, toutes griffes dehors. Hélène a voulu s'interposer. J'ai sauté sur elle pour la plaquer au sol et lui sauver la vie. Les flammes de mes mains lui ont brûlé les bras, mais c'était le cadet de mes soucis. Le spectre est revenu à la charge. Cette fois Liz s'est matérialisée, armée de poignards ombreux. Elle a stoppé net l'apparition. Sans toutefois la détruire. Elle s'est mise martel en tête de l'occuper. Je me suis relevé. Juste à temps pour replonger afin d'éviter un coup de d'épée. Hélène a découpé la goule proprement. Moi j'ai fait face à quatre de ses choses. Leurs mâchoires s'entrechoquaient, comme si elles voulaient dire quelque chose. Leurs globes oculaires mis à nus se dardaient sur moi. Ils étaient illuminés d'une lueur rouge et malsaine. J'ai paré tant bien que mal un coup de cimeterre. Le coup de massue venu de la droite m'a cueilli entre les omoplates. Je me suis effondré sur les genoux en criant de douleur. Le monde a tourné et ma vision s'est troublée. Une ombre noire est apparue en périphérie de ma vision.
"Relevez-vous, sorcier. Il n'y a plus que vous pour nous sauver."
J'ai obéis machinalement, encore sonné. J'avais dû m'évanouir quelques millisecondes, car soudain les quatre revenants n'étaient plus que des morceaux de chaire putréfiée se dandinant sur le sol. Un grand soldat barbu, une hache de bataille sur l'épaule, me regardait par dessous ses sourcils broussailleux en me broyant l'épaule pour me secouer.
"Ca va, ça va, j'ai fait en me dégageant."
Il m'a regardé, anxieux puis est parti reprendre sa place dans la ligne.
"Monarque!!", a hurlé Liz dans mon esprit.
Trop tard.
Le spectre m'a traversé en hurlant. J'ai entendu Hélène et Liz crier mon nom, loin, très loin de moi. J'ai craché du sang. J'ai tournoyé sur moi même. Le sol et le ciel obscur se confondaient soudain. La masse des corps devint indistincte, les sons se brouillèrent.
J'ai frappé le sol en m'égosillant de douleur. Je me souviens encore de cette douleur. La pire que j'ai jamais ressentie. J'ai eu l'impression de mourir plusieurs fois. Je me tortillais pitoyablement sur le sol en hurlant comme un possédé, convulsant, l'écume aux lèvres. Dans ma tête, le rire dément a de nouveau retenti.
"Renonce, sorcier." a fait une voix familière, mais oubliée. "Renonce à la vie, et joins tes pouvoirs aux miens. Renonce à la vie, et la douleur s'envolera. Il n'y aura plus que le pouvoir."
Dieux! Comme ça m'est apparu foutrement alléchant à cet instant. J'aurais donné n'importe quoi pour que cesse cette torture. Je sentais mes larmes ruisselant sur mon visage.
J'ai commencé à renoncer. Qu'est-ce que je pouvais bien faire? On était foutu de toute façon. Mes yeux se sont révulsés. Hélène m'a dit plus tard que le pourpre de la magie s'était mué en un vert maladif.
Et alors que tout semblait perdu, alors que la mort s'apprêtait à m'étreindre de ses bras de glace, l'improbable se produisit. La botte ferrée de Kerrighton s'abattit sur mon visage. Puis elle revint à la charge, dans mon ventre, sur mon torse, mes bras, mes jambes.
"Alors, saleté de lopette de magicien de mes deux, on fuit? Ha, je savais bien que t'étais qu'un sale lâche."
Et les coups pleuvaient. Tellement que petit à petit, cette nouvelle douleur, moindre mais beaucoup violente, a commencé à remplacer l'autre. J'ai senti qu'il me remettait debout. Son visage de jeune officier arrogant est apparu en filigrane sur le noir de mon nouvel univers. Il suintait le mépris. Le même mépris que me témoigne le capitaine. Ca m'a rappelé des choses, pleins de choses. Ca a réveillé ma haine et ma rage.
J'ai lutté.
J'ai perçu l'amusement du nécromant. Il a déserté mon esprit et la douleur a reflué elle aussi. Le monde est revenu. Et avec, les cris, le désespoir, la mort. Je me suis vaguement demandé si je n'avais pas imaginé le mépris de Kerrighton, car la seule chose qui transparaissait à présent sur son visage c'était la peur, la terreur. Malgré ma confusion et la douleur, j'ai tourné sur moi même pour évaluer la situation. (On ne se refait pas.) Qui n'était d'ailleurs pas brillante. Ils étaient loin, les 500 soldats partis d'Abbendal.
"Monarque!, m'a fait Kerrighton. Sauve nous!"
Ben voyons. Rien que ça. Mon cerveau embrumé a mis du temps à sortir ma réponse.
"Notre unique chance de survie, c'est de faire la peau à ce nécromant.
-Où est-il?
-Hé. Couillon, si je le savais j'irais le tuer moi même."
Il a grogné, mais rien dit. Une cinquantaine d'hommes maintenaient difficilement un bouclier autour de nous contre la horde mortelle.
Soudain, un vent de ténèbres et de mort a soufflé sur la bataille. J'ai frissonné car un  froid d'outre-tombe a glacé mes os.
"Je suis là!"
La silhouette encapuchonnée d'un homme vêtu d'une ample robe noire flottante est sortie des ombres, derrière le corps à corps. Il y avait une espèce de joie dans sa voix. Une joie perverse et retorse. Des filaments de magie noire flottaient paresseusement autour de lui, indiquant une puissance démentielle.
J'ai commencé à trembler de peur. L'aura démoniaque qui entourait l'étranger vous démoralisait plus vite qu'un tir d'artillerie.
"Au moins, on l'a trouvé, ai-je ironisé."
Les flammes autour de mes poings ont ressurgi. Au moins, je mourrai en me battant jusqu'au bout. Le nécromant a levé le bras. En glissant, l'étoffe de sa manche a révélé un membre décharné et bien trop maigre. Sa voix, déformée par l'écho de la magie noire, a commencé à jaillir tandis qu'il incantait une saloperie. Une sphère noire hurlante a jailli du néant pour se former dans sa paume, en suspension dans l'air.
Tiens? Mais, cette grosse pierre là, à côté de lui, elle me rappelle quelque chose. Serait-il possible que...?
J'ai claqué des doigts en prononçant la formule adéquate.
Ma mémoire ne m'a pas trompé. Mon piège a correctement fonctionné. Une colonne de feu s'est élevée vers le ciel en projetant des fouets de flammes alentours.


[align=center]6.[/align]


 Notre fuite désordonnée vers le nord a été une épreuve éprouvante.
Si ça ne l'a pas tué, ni même blessé, le piège a été assez puissant pour forcer le nécromant à mobiliser toute sa magie pour se barder de protections. Privés de leur maître, les zombis se sont désagrégés sur place. Le rire du sorcier nous a suivi sur de longs kilomètres, à la fois partout et nul part. Je m'étais assuré qu'il perde notre trace.
Nous n'étions plus que 44. Une poignée de survivants hagards et mortifiés. Franchement, on faisait peine à voir. Je crains que Spektrum ne nous ait claqué entre les doigts. Il n'a toujours pas reparu. Un silence de cathédrale nous a suivi le long du chemin, pendant plusieurs jours. Les territoires du sud que nous avions déjà traversés n'étaient plus sûr du tout, car tombés aux mains de l'ennemi. Il ne nous restait qu'à avancer toujours plus vers le nord, vers le roi Cygne et son armée. Pour ce que j'en sais, le roi Cygne était peut être déjà mort au moment où son messager est arrivé à Château-Abbendal pour demander de l'aide.
En cheminant, une réalité nous a tous frappé. Ce que nous prenions pour une simple mission de routine n'était que le prélude à une guerre. Un mal abominable ronge les Royaumes Centraux directement depuis l'intérieur. Je frissonne rien qu'à penser au nécromant. J'ai rarement croisé quelqu'un d'aussi puissant. C'en est terrifiant.
Je me demande bien comment la situation va évoluer. Je ne vois pas vraiment d'espoir pour les Royaumes. Sauver notre peau à nous c'est assez simple. Il suffit de franchir les montagnes du nord, et de partir loin. Mais les gens d'ici sont condamnés.
Cela me rappelle un passage plutôt oublié de notre Histoire. Fut une époque reculée où de grands nécromanciens, les Seigneurs Nécromants, au nombre de 10, se faisaient la guerre pour la domination du monde. Ils étaient suffisamment puissants pour contrôler des armées de morts-vivants se chiffrant en millions d'individus. Imaginez. En millions. Ces hommes pouvaient être comparés à des espèces de dieux. Ils auraient sans doute détruit toute vie, si l'un d'eux, Ektarion, n'avaient pas eu la brillante idée de jouer à l'apprenti sorcier en créant une nouvelle race d'individus destinée à le servir. Malheureusement pour lui, la créature s'est retournée contre le maître et en un siècle, les Zan'Hariens avaient éradiqué l'engeance nécromante pour entamer leur longue hégémonie de plusieurs centaines d'années. La suite vous la connaissez.
Si après cette période sombre de l'Histoire les cas de nécromanciens mégalomanes n'avaient pas été extrêmement rares, je ne me souviens pas d'un individu aussi puissant que celui que j'ai vu durant l'attaque. Et pourtant, sa voix, son esprit et la signature de sa magie me semblent familières. Mais absolument pas moyen de mettre le petit doigt dessus.
Quoiqu'il en soit, j'ai bien peur que les royaumes centraux soient condamnés. Je ne leur trouve pas d'échappatoire. Aucun de ces territoires n'est réputé pour ses magiciens, et c'est malheureusement la magie pure qui enrayera cette macabre invasion. Le Conclave ne bougera pas son cul tant que les goules ne grimperont pas ses murailles, et encore, à ce moment là ils seront toujours comme les vieux cons arrogants qu'ils sont, le cul vissé sur leurs sièges rembourrés en pensant être intouchables. Ils ont la mémoire courte, là bas. La Nouvelle-Wellmarch est trop jeune pour pouvoir leur être d'un quelconque recours, quand bien même elle aurait pu faire quelque chose. L'Empire Zan'Harien n'attend que ce genre d'événement pour reconquérir son ancien territoire. Les Princes Marchands e Kalisham ne tenteront jamais rien qui ne leur procure un bénéfice certain. Léofoyer a ses propres problèmes avec le Kahari quant aux Cités Libres… N’en parlons pas.
Le seul moyen, c'est de tuer le nécromant. Mais comment faire? Je n'aurais aucune chance face à lui. Les tueurs de sorciers sont certes efficaces mais il leur faudrait des armées pour les protéger des non-morts. Et tous les grands mages de ma jeunesse ne sont plus de ce monde, ou bien reclus en ermites dans quelques coins reculés du monde, hors d'atteinte. Vraiment, on est dans la merde.

Lorsque la faim, la fatigue et le désespoir reprirent le pas sur l'horreur, nous nous arrêtâmes de cavaler. Fourbus et exténués nous étions. De vraie loques. J'ai tenté d'organiser un peu la chose, afin d'éviter qu'on reste assis là rien foutre en ressassant ce qui s'était produit jusqu'à ce que la déprime nous paralyse. J'avais déjà vu ça. Mais je manquais trop de force pour être efficace. Kerrighton a enfin pris ses responsabilités et a pris la relève. Et plutôt efficacement je dois dire. Je m'étonnais d'ailleurs de ce qu'il semblait être le moins choqué d'entre eux. J'ai posé mon cul à côté d'Hélène sur un gros rocher, à quelques centimètres de la rivière. J'avais bien envie de piquer une tête pour me décrasser. Mais avec les crues, c'était un vrai torrent. Morose, j'ai pas bougé jusqu'à ce que Kerrighton en personne m'apporte un cuissot d'animal fraîchement chassé et rôti. La mine déconfite, il s'est assis dans l'herbe face à moi. Il a rien dit pendant un moment, jouant avec des brins d'herbes. Puis à un moment, il a serré le poing très fort. Le cuir de ses gantelets a crissé. Il a relevé un regard dur et résolu vers moi.
"Merde, il a juré. Je suis vraiment qu'un con fini. Un pauvre connard qui mérite pas son grade.
-Je savais pas que passer à trois cheveux de la mort nous ouvrait les yeux, ai-je ricané par réflexe.
-Tu peux te foutre de moi. Je me suis jamais senti aussi minable qu'aujourd'hui, Monarque. Ce désastre, c'est en grande partie de ma faute. Putain. J'étais totalement défoncé, drogué, pendant que ces saloperies bouffaient mes hommes. C'est d'un risible. Si tu n'avais pas été là on...
-Ouais, l'ai-je coupé. Je connais la chanson. On fait quoi maintenant?"
Honnêtement, il m'a soufflé.
"Bon sang, Monarque! La première mission qu'on me confie, et c'est un total fiasco. La guerre est là, sous notre nez, et elle va faire des dégâts. Nous devrions fuir.
-Sage décision, ai-je acquiescé. C'est ce que j'allais te conseiller.
-Mais nous ne le ferons pas!"
Machinalement j'ai acquiescé à nouveau, avant de percuter.
"Hein, quoi?, me suis-je exclamé.
-Oui!"
Agité par une flamme nouvelle, il s'est relevé et a grimpé sur un gros roc.
"Ecoutez moi!, a-t-il dit pour attirer l'attention de tous les hommes. Aujourd'hui, nous avons assisté à une horreur sans nom. Aujourd'hui, nous avons été terrassés, nous avons vu nos frères mourir et nous avons du les combattre! Nous avons été les témoins de la naissance d'une menace terrible pour cette partie du monde. Peut être l'avez vous compris aussi. Si personne ne fait rien, cette engeance va balayer les royaumes centraux. Château-Abbendal, Myzance, BlancheCouronne... Tout va disparaître. La terre va se gorger du sang des vivants, et les bottes des morts fouleront un sol impie et corrompu par la magie noire. Nos familles, nos amis, nos amantes, tous vont périr si rien n'est fait."
Les hommes se sont rapprochés de lui, curieux. Les paroles de Kerrighton semblaient les atteindre. Moi elle m'atterraient, car je pressentais la suite.
"Pouvons nous tolérer que ces abominations parcourent notre pays sans broncher? Pouvons nous tolérer qu'elles détruisent nos villes et nos vertes régions en toute impunité? Et bien moi je vous le dis, je refuse! Nous avons essuyé une lourde défaite, c'est vrai. Je vous ai fait faux bond, je le reconnais aussi. Mais la donne a changé. A présent, nous savons à quoi nous attendre. Nous pouvons fuir, et nous morfondre pour toujours à l'autre bout du monde en priant les dieux qu'ils ne nous atteindront jamais. Ou bien nous pouvons rester, et nous battre. Battre l'ennemi à son propre jeu, sur son terrain."
Il s'est arrêté, en regardant les hommes dans les yeux un à un. Vraiment, ce n'était plus le même homme. Un charisme nouveau l'entourait.
"Alors, moi, je vais rester. Je mourrai certainement, mais au moins je mourrai en soldat. Personne ne pourra cracher sur le nom de Lucius Kerrighton, en se remémorant sa lâcheté, ses erreurs et son idiotie. C'est une lourde décision que je vous demande de prendre à présent. J'aimerais que vous y réfléchissiez. Si vous préférez partir et tenter votre chance quelque part, je ne vous retiendrai pas. Le choix vous appartient."
Une fois son discours achevé, il est redescendu de son rocher. Les hommes commençaient déjà à murmurer entre eux. J'étais curieux de voir combien le suivrait dans son entreprise démente, surtout après ses exploits sur le champ de bataille.
Même si il est vrai, qu'il m'a sauvé la vie, plus ou moins.
Tandis qu'ils cogitaient, un chevalier est apparu au sommet de la colline par laquelle passait le chemin de terre, plus au nord. On a tous dégainé nos armes, prêts à en découdre. Le soleil couchant éclairait le mystérieux cavalier et se réfléchissait trop intensément sur son armure bien entretenue, de sorte qu'on ne distinguait pas les couleurs de son étendard. Son cheval s'est cabré, puis il est parti au galop droit vers nous. Moi et les hommes du 6e avons été frappés de stupeur lorsque le blason sur l'étendard du chevalier est devenu visible. Il arborait nos couleurs.
Mes couleurs. Les couleurs d'Aethor. D'azur à une couronne de gueule et crâne de sable. J'en suis resté sans voix. Il a changé de trajectoire pour foncer droit sur moi. Il a démonté en pleine course, s'est reçu souplement sur le sol. Il s'est redressé et s'est précipité vers moi au petit trot. Comme il ne déferrait pas, les hommes ne l'ont pas arrêté. Il s'est stoppé à quelques centimètres de moi. Il a enlevé son heaume, s'est agenouillé, a baissé la tête.
"Mon roi! Enfin je vous trouve. Veuillez pardonner mon entrée singulière, mais l'excitation a pris le pas sur ma bonne conduite."
Il a relevé les yeux vers moi. Ils brillaient.
"Sur mon honneur et celui de mon père, je jure de vous servir loyalement, envers et contre tout, jusqu'à ce que la mort nous sépare, de vous être à jamais fidèle et de ne jamais faillir. Mon épée est vôtre. Longue vie au Roi. Longue vie à Aethor!"
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: sakuranbo le vendredi 20 août 2010, 22:41:40
Haaaaaa j'ai adoré la deuxième partie du chapitre X! :niais: Quel bonheur de pouvoir enfin lire la suite, je l'attendais tellement!  :<3: Je me demande quels sont vraiment les sentiments qu'éprouvent Hurlebataille envers le Chien, c'est étrange... J'adore ce personnage, j'éspère qu'on va pouvoir continuer à l'explorer un peu plus!
C'est DEJA la fin de la première partie?  :roll: Combien de parties as tu prévu d'écrire? J'éspère avoir encore des tas de chapitres à lire de cette histoire passionnante :niais: Vivement la suite!!!

Ha au fait, j'ai bien aimé quand le Chien choisit un livre de la bibliothèque qui s'intitule "Chroniques d'Hyrule", tu ne l'as peut être pas fait exprès, mais c'est le titre de ma fiction à moi hihi! Ca m'a fait tout drôle, et drôlement plaisir!
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le mercredi 25 août 2010, 15:10:14
Content de voir que Triangle te plaise toujours autant! :) Je pense diviser l'histoire en trois parties, mais rien n'est encore définitif au niveau de l'organisation. Quoi qu'il en soit, on est encore assez loin de la fin. Pour "Chroniques d'Hyrule", il s'agit en effet d'un clin d'oeil à ta fiction, que je me suis promis de lire! C'était aussi en quelque sorte un hommage à ma plus fidèle lectrice :niak: Pour Feena, et bien... Je crois que le chapitre suivant te fera plaisir ; p


Bonne lecture! Ci-joint la liste des personnages principaux, ainsi que la traditionnelle suite de Monarque,



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Triangle de Pouvoir.

PERSONNAGES PRINCIPAUX.


-Noblesse-


Famille d’Hyrule (Royale, l’Aigle écarlate coiffé de la Triforce)

-Salomon, roi d'Hyrule, 78 ans
-Ishtar (née Parel), sa reine, 35 ans
-Zelda, princesse, leur fille, 14 ans
-Nohansen, prince, leur fils, 8 ans
-Lord Link (Le Loup de sable sur champ sinople), prince héritier par mariage, Gouverneur du Sud, 28 ans

Famille Dodongo (Le Rubis couronné d'or)
-Lord Darunia (veuf), sire des Chaînes du Péril, 56 ans
-Ser Sedrik, son fils, 17 ans
-Ser Goro, son fils, 21 ans
-Ser Allister, son fils, 27 ans
-Lord Darmani, son frère, 49 ans

Famille Zora (Le Saphir émaillé d‘or)
-Lady Ruto (veuve), dame de Château-L'hylia, 34 ans
-Lars, son fils, 9 ans
-Ser Mikau, cousin, 26 ans
-Lady Lulu, sa femme, 22 ans

Famille Mojo (L’Emeraude ceinturée d‘or)
-Lord Dumor dit le Lutin, sire de la citadelle de Boisperdu, 39 ans.
-Lady Saria, sa fille, 11 ans.
-Ser Mido, son fils, 18 ans

Famille Dragmir (l’Ambre ceinte d‘argent)
-Lord Dorf, sire de la Vallée Gerudo, 35 ans
-Nabooru, sa concubine, 26 ans
-Koume et Kotake, ses sœurs, jumelles, 22 ans.


-Petite chevalerie et petites gens-


-Maître Baelon, haut chambellan royal, 54 ans
-Ser Talon, maître d’arme royal, anobli, 46 ans
-Malon, sa fille, courtisane de Ser Sanks, 16 ans
-Maître Ingo, palefrenier royal, cousin de Talon, 42 ans
-Marine, tenancière de l'auberge "Au Poisson-Rêve", 23 ans
-Balder, propriétaire du "Barda de Balder", 15 ans
-Feryl, capitaine de la Garde Royale, 37 ans
-Tingle Tingle, bouffon royal, 35 ans
-Ser Locke Sanks, dit le Chien, serviteur de Link et chevalier du royaume, 29 ans
-Colin, lieutenant de Link, 27 ans
-Japas, officier de Link, 28 ans
-Linebeck, contrebandier terminien, 35 ans
-Tael, premier matelot de Linebeck, 17 ans
-Keeta, capitaine des armées d’Ikana, 46 ans
-Peter Juste-Peter, tenancier de la Putain de la Reine, 29 ans
-Taya, esclave de Linebeck, 16 ans


-Factions-


Le Sheikah (l’Ombre éplorée)

-Tarquin Qu'un-Oeil, maître, 56 ans


Le Temple (la Lumière temporelle)
-Rauru l’Intemporel, Grand Prêtre des Trois et Gardien du Temple, 62 ans
-Le Père Reynald, prêtre, 45 ans

Le Consortium Aedeptus. (l’Esprit des arcanes)
-Exelo, archi-maître, 168 ans
-Agahnim le Sombre, maître, Premier Conseiller du Royaume, 42 ans
-Kaepora, ex-maître, 67 ans
-Vaati le Beau, maître, 21 ans
-Xanto le Facétieux, maître, âge inconnu
-Sahasralah, maître, 98 ans
-Médolie, apprentie, 14 ans
-Laruto, ex-maîtresse, enchanteresse de la famille Zora, 56 ans
-Fado le Faiseur de Vents, mage, conseiller de la famille Mojo, 32 ans
-Scaf, apprenti, ami de Médolie, 13 ans
-Madura, mage, prophète doué du Don des Langues, 67 ans


-Les Clans-


Logre (Les Doubles Haches Croisées Cramoisies)
-Feena Hurlebataille, chef, 46 ans

Têtes-Jaunes

-Fehnir, chef, 39 ans

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DEUXIEME PARTIE

XI
-Feena-


   La cérémonie se déroulait dans la Grande Salle, qu’on avait spécialement apprêtée pour l’occasion. Un long tapis rouge luxueux la parcourait de bout en bout jusqu’au pied des quelques marches de l’estrade sur laquelle on avait placé le haut Trône d’Or, symbole de la puissance du royaume et de son souverain. Sur les côtés, non loin du trône, on avait installé de longs bancs ou seigneurs et dames avaient loisir de pouvoir s’assoir pour plus de confort. Les suivants, courtisans, valets, laquais, servantes, marmitons, palefreniers, écuyers et hommes d’armes avaient été relégués au fond de la salle, près de la massive double porte, et faisaient un raffut du diable en bavassant à qui mieux mieux.
   Les places sur les bancs n’avaient pas été spécialement attribuées, découvrit Feena Hurlebataille, contrairement à cet ennuyeux et interminable banquet de l’avant-veille. Elle s’était donc arrangée pour se trouver une place à côté de la putain personnelle du Chien, la fameuse Malon. Celle-ci s’était raidie à son approche, mais lui avait quand même rendue un petit sourire crispé. Son autre voisin était l’étrange homme-enfant serviteur de Lord Dumor. Il la salua d’un hochement de tête, et elle le lui retourna machinalement. Il s’était vêtu d’une robe d’érudit dans les tons vert forêt mais qui faisait sur lui l’effet d’une robe de chambre ridicule, tant il flottait dans le vêtement. Feena remarqua que Malon faisait de son mieux pour éviter de le regarder, et trouva cela curieux.
   -Vous semblez rendre ma voisine nerveuse, glissa-t-elle discrètement au magicien en se penchant vers lui.
   Fado le Faiseur de Vents inclina légèrement la tête sur le côté, comme s’il écoutait quelque mystérieux son de lui seul audible, et son sourire s’élargit quelque peu.    
   -Il y a beaucoup de gens que je rends nerveux.
   -Pourquoi cela?
   -Je suis aveugle, je ressemble à un enfant, et je suis mystérieux. L’homme craint ce qu’il ne connait pas.
   -Cette chance que j’ai, alors, d’être une femme, ironisa la guerrière.
   -Voilà un trait d’esprit habilement décoché, dame. Mais j’ai peur de ne pas encore avoir eu le plaisir de faire votre connaissance?
   -Je suis Feena Hurlebataille, meneuse de la tribu de Logre, des clans des plaines.
   -Ha! Oui, je vois… La fameuse Feena. Bien. Bien.
   L’étrange petit homme hochait la tête en marmonnant, souriant, comme s’il songeait à quelque chose.
   -Je suis Fado, certains précisent le Faiseur de Vents. Ce qui est sot, au demeurant. Je ne fais pas le vent, je l’écoute. J’ai l’honneur de servir Lord Dumor.
   -Vous écoutez le vent? Qu’a-t-il donc à dire de si intéressant? Moi il ne fait que me hurler dessus en me fouettant le visage.
   Fado ne répondit pas, son éternel sourire enraciné sur ses traits. Alors qu’elle allait se détourner, pensant qu’ils n’avaient plus rien à se dire, il demanda :
   -Puis-je toucher votre visage?
   Feena saisit la main menue du magicien par le poignet et la posa doucement sur sa face. Les doigts fins et gracieux de l’homme-enfant glissèrent sur sa peau comme une caresse, découvrant le nez droit et fier, les lèvres farouches et pleines, les pommettes hautes, le front dégagé, les yeux étroits ; puis filèrent doucement, tout doucement, le long de la cicatrice qui courait en travers du visage de Feena. Pour finir, il effleura légèrement quelques boucles de cheveux roux cendré, puis hocha la tête d’un air satisfait.
   -Vous êtes, assurément, une très belle femme. Hélas trop… « expérimentée » , pour moi, si vous me permettez. Autrement, j’aurais peut être tenté ma chance, qui sait?
   -Galante façon de me dire vieille.
   -Le temps est une chose immuable. Il ne tient qu’à nous de le choisir comme un fardeau, ou d’en faire abstraction.
   Fado haussa légèrement les épaules.
   -Regardez Sa Majesté. Elle semble s’en tirait à merveille.
   Etrange chose que de se faire commander de voir par un aveugle, mais force était de reconnaître que malgré ses quatre vingt printemps, Salomon d’Hyrule gardait belle prestance. Il n’était d’ailleurs pas encore là, et le trône demeurait vide. Songeuse, Feena se détourna de son voisin. Elle n’avait jamais vraiment pensé à la vieillesse, au temps qui passait. Elle n’avait jamais vécu que pour les armes et le combat, pour son fils du temps où il vivait encore. Mais ici, dans ce château, à tourner en rond sans rien faire telle une lionne en cage, elle se surprenait à réfléchir à certaines choses qui ne l’avaient jusqu’alors jamais effleurée. Elle avait quarante six ans mais se sentait aussi vigoureuse et forte qu’à ses vingt. Les hommes continuaient inlassablement à la dévorer des yeux et à la vouloir dans leur lit. Mais qu’est-ce qu’elle en avait à faire, elle, de leur lit? Elle n’en voulait qu’un, de lit…
   Fatalement, ses yeux remontèrent jusqu’au visage ravagé du Chien, qui se tenait presque en vis-à-vis d’elle, de l’autre côté de la salle. Il ne la regardait pas, absorbé qu’il était par la conversation qu’il tenait avec l’enchanteresse des Zora. Avec amertume, Feena contempla la main de Laruto délicatement posée sur l’avant-bras droit du Chien. L’avant bras de sa foutue main blessée!  En proie à une étrange frustration, elle serra le poing. Que lui importait, au fond, où il fourrait sa queue, ce cabot là? Il n’était que le meurtrier de son compagnon, celui de son fils, et le chien-chien de Link. Un sous-homme.
   Et puis qu’il était laid, avec ses affreuses cicatrices qui l’éborgnaient et lui donnaient l’air d’un monstre de foire. Et que dire de sa main tordue, difforme, hideuse? Quelle femme saine d’esprit aurait voulu d’une telle créature?
   Mais… Malgré tout, il était… chevaleresque, dans un sens. Jamais condescendant, toujours poli, discipliné, rigoureux, humble, chaste, et fort. Plus fort que les dizaines et les dizaines de guerriers qui avaient trouvé la mort sous son épée, à la bataille. Feena se rappela les mots durs qu’il avait eus pour elle et ses semblables, cette fameuse nuit avant d’atteindre la Cité où, ivre, elle avait essayé de le tirer de force dans son lit. Elle le haïssait, depuis lors. Puisses-tu crever comme un chien, sale bâtard.
   Pour se changer les idées, elle contempla le profil de Malon. Elle est encore jeune, mais elle fera une femme d’une splendeur époustouflante. Elle s’était vêtue sobrement d’une robe bien coupée dans des tons rougeoyants, qui mettait en valeur sa chevelure brune constellée de reflets cuivrés, ainsi que sa taille fine et ses petits seins ronds. Son maquillage était léger et discret, juste ce qu’il fallait pour rehausser ses traits chaleureux mais tristes.
   Hurlebataille lui effleura le bras pour attirer son attention :
   -Tes nuits sont-elles tranquilles, petite?, murmura-t-elle.
   La courtisane sursauta vivement, surprise de ce contact. Elle tourna la tête vers Feena et lui accorda un petit sourire mi-honteux, mi-gêné. Cependant, elle n’osait pas regarder la guerrière en face.
   -Très, madame. Mes nuits sont des plus paisibles. Merci de vous en inquiétez.
   -S’il te fait quoi que ce soit, viens me trouver et je le tuerais aussitôt.
   Ces paroles parurent épouvanter la jeune femme.
   -Madame! Je vous en prie! Il est… comme vous me l’aviez dit. Bon.
   Le rouge monta aux joues de Malon et elle détourna légèrement la tête. Feena trouva cela tout à fait charmant. Prise d’une impulsion, elle lui frôla la cuisse d’une caresse langoureuse, à laquelle la courtisane frissonna, mais sans que la guerrière ne fût à même de savoir si c’était de surprise, de plaisir, de dégoût ou d’autre chose.
   -Madame, qu’est-ce que…?
   Feena jeta un regard autour d’elle et constata que personne ne leur accordait la moindre espèce d’attention. Malon l’observait avec ses grands yeux verts brillants, lumineux, doux, abasourdis. Sa bouche s’ouvrit sur une question mais Hurlebataille la coupa aussi sec en se penchant vivement en avant et en déposant un baiser appuyé sur les lèvres de sa voisine. Celle-ci se raidit instantanément, les mains crispées sur un pli de sa robe, mais à la fin, elle rendit le baiser. L’instant ne dura qu’une seconde ou deux. Feena s’écarta, et fut parcourue par un frisson de plaisir. Malon s’était comme pétrifiée, et en quelques instants son visage tourna du blême au rouge vif lorsqu’elle réalisa ce qui venait de se passer. Elle regarda désespérément autour d’elle, mais aucune des personnes présentes ne se souciait d’elles. Elle baissa vivement la tête, se cachant derrière le rideau de ses cheveux.
   -Vous êtes très belle, Malon, murmura la guerrière en se passant la langue sur les lèvres.    
   Son cœur battait plus vite, une certaine excitation s’emparait d’elle. Elle sentit ses tétons se durcirent sous le cuir de son armure d’apparat, tandis qu’une vague violente de désir s’emparait d’elle. Elle en frissonna de plus bel. Ce baiser, parti d’une impulsion, d’un jeu, l’avait totalement électrisée. Il y avait longtemps qu’elle n’avait pas connu l’étreinte d’un homme, et elle prit soudain conscience qu’elle n’en voulait plus. Les hommes étaient brutaux, avides, puaient et grognaient. Non, elle voulait connaître quelque chose de différent. Elle voulait connaître la douceur, la passion, les parfums capiteux et les douces caresses. Elle voulait connaître une femme. De fait, c’était Malon qu’elle voulait connaître, et tout de suite! Un instant elle fut tentée de se jeter sur elle, de lui arracher ses vêtements et de découvrir chaque petit morceau de peau parfumée caché sous cette robe rouge, mais elle se rappela qu’elle n’était plus dans les plaines, mais dans la Citadelle des hyliens. Elle se réfréna à grand peine. Mais elle ne pouvait se défaire du goût de miel qui s’attardait sur ses lèvres, ni de la chaleur dans son ventre. Le Chien n’en voulait pas? Alors elle serait sienne.
   Elle surprit le regard gêné et brillant que lui jeta Malon du coin de l’œil. Feena chercha prudemment sa main, et leurs doigts s’entrecroisèrent, comme des amants qui se retrouveraient soudain après une longue séparation. Leurs yeux se noyèrent les uns dans les autres, la fière guerrière des plaines et la délicate courtisane effarouchée.
   Feena ne se posa aucune question sur la soudaineté de la chose, sur sa violence. Elle voulait juste faire courir ses doigts dans la chevelure brune ; baiser ses mains, son ventre, ses lèvres, ses yeux ; caresser ses épaules, ses cuisses. Pour elle, cela n’avait rien de contrenature. Ma mère a prise pour compagne Rutela Sangeplaine lorsqu’elle s’est lassée de mon père. Elle se rappelait parfaitement de leur bonheur, à toutes les deux. Je suis libre de choisir qui je veux. 
   Elles se lâchèrent, à contrecœur, et se levèrent lorsque la double porte de la salle du Trône s’ouvrit et qu’une poignée de trompettes d’or vrilla l’air d’un vacarme annonciateur de la royauté. Salomon, engoncé dans ses royales parures et son grand manteau de fourrure rouge, vert et bleu frappé de l’aigle aux trois Triangles d’Or, pénétra son fief d’un pas conquérant. Tandis qu’il remontait le tapis en direction de son Trône, ses sujets s’agenouillaient sur son passage, la tête humblement baissée vers le sol. Le suivaient Ser Talon, traînant la patte et les bras chargés d’un coussin de pure soie écarlate où reposait une belle épée au manche incrusté de pierreries et au fourreau d’ébène laqué chatoyant, ainsi qu’Agahnim le Sombre, Premier Conseiller du royaume, vêtu de ses robes de magicien. Le roi prit place sur le Trône, et darda son sévère regard bleu sur l’assemblée.
   -Relevez vous, ordonna-t-il d’une voix profonde. Nous sommes réunis aujourd’hui pour célébrer un grand événement.  Depuis de nombreuses, trop nombreuses années, les plaines de notre royaume sont le théâtre de violents et sanglants affrontements, entre nos braves et les clans sauvages.
   Parle pour toi, vieux barbon pensa Feena. On est pas braves, nous, peut être?
   -Mais tout ceci appartient au passé, à présent, par la Grâce des Trois.
   Un sourire de satisfaction horripilant secoua la lippe du roi.
   -Par leur Grâce, répéta-t-il, et la bravoure d’un homme. D’un guerrier valeureux, qui s’est dressé contre la barbarie, et qui a donné de sa personne pour la paix du royaume et de ses habitants.
   -Ben voyons, murmura Feena en serrant le poing.
   Et tous les types qui sont morts pour lui, ils comptent pas?  Elle détourna le regard, en proie à une espèce de rage diffuse. Tout ce qu’il a fait, le blondinet, c’est agiter son épée derrière ses hommes, et recevoir l’allégeance des clans. Et c’est lui qui va récolter toute la gloire et l’honneur. C’est à pleurer. Ses yeux se posèrent sur la face ravagée du Chien, de l’autre côté de la salle. Et lui, il compte pas? Elle le voyait encore mener la charge au Pont-de-la-Reine face aux Têtes-Jaunes de Fehnir ; elle le voyait encore abattre en deux coups son fils et son compagnon, aux Champs Cramoisis ; elle le voyait encore perdre sa main sous l’attaque d’Angvar Marteau-de-Ruine et continuer vaillamment la lutte. C’est devant lui qu’on aurait du plier le genoux. C’est lui qui nous a vaincus. Mais le Chien restait stoïque, pire, se réjouissait des récompenses que recevait Link en s’arrogeant ses exploits. Un vrai chien. Fidèle jusqu’à la mort.
   -Un véritable Héros, mes amis, pérorait Salomon sur son trône. Un Héros, dont la venue fut annoncée par les Déesses Elles-Mêmes! Qu’il entre!
   Le monarque tendit le doigt vers la monumentales porte, d’un geste théâtral. Les battants s’ouvrirent sur ce qui était certainement le couple le plus beau et le plus gracieux de tout le royaume. Link avançait la tête haute, un sourire de triomphe arrogant déformant sa sale tête de prétentieux, ses longs cheveux blonds flottant autour de lui comme des lames dorées. Il portait la longue tunique immaculée de Veille et des sandales de jonc tressé. A son bras était suspendue la jeune princesse Zelda, belle à en mourir dans sa robe décolletée mauve et blanche, ainsi qu’avec sa coiffe délicatement bouclée rehaussée d’un mince tiare d’argent serti d’un saphir brillant.
   Des acclamations assourdissantes accueillirent le « Héros » et sa promise, tandis qu’ils remontaient d’un pas altier le long tapis de soie rouge. Feena s’en abstint, elle, et fut surprise de constater qu’elle n’était pas la seule. A deux rangées d’elle, Ser Allister Dodongo gardait figure impassible et les mains sur les genoux, tandis que de l’autre côté de la pièce, Saria Mojo semblait ruminer quelque pensée obscure, et son Lutin de père était en pleine conversation avec Dorf Dragmir,  ces derniers ne prêtaient attention à rien d’autre. Link restait sourd aux vivats, ignorait les mains qui se tendaient vers lui pour le saluer. Ses yeux étaient braqués sur le trône. Comme s’il lui appartenait déjà. 
   Salomon descendit deux marches avec un sourire.
   -A genou, messire, ordonna-t-il.
   Tandis que Link s’exécutait, la princesse s’effaça et rejoignit son frère sur le banc le plus proche du trône. La reine n’est pas là constata Feena avec étonnement.
   -Link! Fils de Link, votre roi s’apprête à vous honorer du titre de Lord. Savez-vous pourquoi?
   -Oui, Votre Majesté.
   -Dites le nous, dans ce cas.
   Le « Héros » redressa la tête.
   -J’ai défait le clan des Faces-Rouges et il a juré allégeance à la Couronne. J’ai défait le clan des Ventres-Bleus et il a juré allégeance à la Couronne. J’ai défait le clan de Logre, et il a juré allégeance à la Couronne…
   Et la liste continua ainsi fastidieusement. A chaque nouvel exploit évoqué, la foule applaudissait jusqu’à en donner la migraine à Feena. Elle s’abstint, encore une fois. Était-il vraiment convenable d’applaudir à sa propre défaite? Elle n’était déjà pas bien fière de faire partie des chefs ayant ployé le genou devant l’ennemi de toujours. Mais ce n’était pas non plus comme si on lui avait vraiment laissé le choix. Pour se changer les idées, elle jeta un regard à Malon. La jeune courtisane était totalement hypnotisée par Link, et applaudissait à tout rompre, elle.
   Elle est belle aussi, quand elle sourit songea la guerrière.
   -… enfin, j’ai défait le clan Janken et il a juré allégeance à la Couronne. Je rapporte ainsi le serment de tous les chefs,  de leur allégeance inconditionnelle et impérissable à la famille royale d’Hyrule, ainsi qu’un modeste trésor de guerre, en gage de bonne foi.
   Modeste mon œil. Tu nous as tout pris, blondinet.
   -Bien, acquiesça Salomon. Cela me paraît être des exploits fort vaillants et tout à fait méritants. Qu’en pense le peuple d‘Hyrule?
   -Méritants!, scanda la foule jusqu’à en faire vibrer la voûte.
   -Dans ce cas, tout est dit.
   Le monarque tira d’un geste empathique sa longue rapière consacrée, et en posa la lame sur l’épaule droite de Link.
   -Link, fils de Link. Jurez-vous de ne jamais dégainer cette épée que je vous confie que pour défendre votre roi et vos frères contre l’ennemi, pour défendre la veuve et l’orphelin et lutter contre l’oppression?
   -Je le jure.
   L’épée se déplaça sur le sommet de son crâne.
   -Jurez-vous de ne jamais mentir, de vous préserver du mal et de bannir le vice de votre cœur?
   -Je le jure.
   La lame glissa vers l’épaule gauche.
   -Jurez vous de vous soumettre aux Lois sacrées des Trois, aux lois de votre roi, et de les faire respecter et appliquer, envers et contre tout, et cela à jamais?
   -Je le jure.
   Salomon rengaina son épée.
   -Alors relevez, Lord Link, Vainqueur des Clans, Gouverneur du Sud, Sage du Royaume et futur Prince d’Hyrule.
   Quand Link se releva, tout auréolé de gloire et d’honneur, se gavant jusqu’à éclater de la liesse du public, Feena Hurlebataille, chef du clan de Logre, ne put s’empêcher de cracher au sol. Fort heureusement, personne ne remarqua son geste d’humeur. Tu l’as finalement eue, ton heure de gloire, blondinet. Un jour, ce royaume que tu as mis tant d’ardeur à « défendre » sera tien. Et j’espère que je serais morte lorsque ce jour funeste arrivera.
   -Ser Talon, l’épée je vous prie, commanda Salomon après avoir réclamé le silence.
   Le vieil estropié clopina jusqu’à son roi et ce dernier s’empara de l’épée d’apparat et la dégaina. La lame d’or pur scintilla sous les rayons du soleil qui filtraient par les vitraux. Après l’avoir observée quelques instants, Salomon la tendit, garde en avant, à son nouveau Lord.
   -Voici pour vous. Puisse votre bras ne jamais trembler et votre main rester sûre.
   Salomon claqua des doigts, et un écuyer en livrée ostentatoire s’approcha, peinant sous le poids d’un plastron de plate en fer blanc, incrusté d’émeraudes sombres. Un loup avait été finement ciselé dans le métal. Deux autres écuyers s’approchèrent et aidèrent le premier à le sangler sur Link.
   -Et voici un cadeau de votre roi.
   Link s’inclina aussi bas que le lui permettait son égo, et entre l’épée d’or et les gemmes de son armure, il scintillait littéralement. Il se recula de quelques pas, en bouclant le fourreau de sa nouvelle épée autour de la taille.
   -Bien, reprit Salomon. A présent, il est temps de festoyer, et de lever nos verres à la santé de Lord Link!
   Comme la plupart des gens commençaient déjà à se lever pour se diriger vers la sortie, dans un tapage de conversations cacophonique, Feryl, le capitaine de la garde, s’avança et martela le marbre du sol du bout de sa hallebarde pour ramener le silence et l’attention.
   -Avant cela, cependant, il me reste une dernière chose à faire, déclara Salomon.
   Un murmure parcourut l’assemblée. Ce n’était pas prévu! Tiens donc songea Feena. Qu’est-ce que cela, encore? 
   -Messire Chien, appela le monarque. Veuillez approcher.
   Le silence se fit dans la salle, et l’intéressé tourna vaguement la tête de droite et de gauche, pour vérifier s’il avait bien entendu. Mais oui, indubitablement, c’était à lui que souriait Salomon d’un air encourageant, et comme dame Laruto le pressa gentiment, il se leva et se fraya un chemin à travers les banc jusqu’au pied des marches du trône. Feena remarqua la rage qui déformait les traits de Link comme il dardait des yeux mauvais sur son Chien. Ce dernier se recroquevilla presque de peur sous l’effet de ce regard.
   -V… Votre Majesté?
   -A genoux, messire Chien.
   Une nouvelle vague de murmures secoua le public, mais Feena ne comprenait pas ce qui était en train de se passer.
   -Majesté, répondit le Chien, mal à l’aise. Je suis très honoré de votre attention mais je…
   -A genoux! C’est un ordre de votre roi.
   Le Chien se résigna et mis un genou en terre. Lorsque Salomon tira à nouveau sa rapière et la posa sur l‘épaule droite de l‘estropié,  Hurlebataille commença à saisir le sens de tout cela.
   -Vous que l’on nomme Chien. Votre roi s’apprête à vous adouber. Savez-vous pourquoi?
   -Non, Votre Majesté, répondit le Chien avec une grimace de désespoir. Je ne mérite pas de…
   -Ce n’est pas à vous d’en décider! Qu’en pense le peuple d’Hyrule?
   Il y eut un léger moment de flottement, puis une voix forte et profonde s’éleva -celle de Dorf, crut reconnaître Feena-, qui fut instantanément suivie.
   -Méritant!
   Le visage de Link était livide de colère, ses poings se crispaient convulsivement. La plupart des personnes présentes observaient la scène d’un air intrigué, certaines hochaient vaguement la tête. Feena aperçut le vieillard borgne, caché dans un coin derrière un pilier, qui avait sur les lèvres le sourire d’un homme s’assurant que son plan se déroulait sans accroc.
   -Vous que l’on nomme Chien. Jurez de ne jamais dégainer votre épée que pour défendre votre roi et vos frères contre l’ennemi, pour défendre la veuve et l’orphelin et pour lutter contre l’oppression.
   -Votre Majesté, vraiment je…
   -Jurez!, coupa Salomon d’un ton sans appel.
   Le Chien jeta un regard paniqué à Link, qui se tenait à deux pas de lui. Il sembla se ratatiner sur lui-même, comme s’il avait peur de prendre des coups. C’est d’un pathétique.
   -Je…, déglutit-il. Je le jure.
   Salomon plaça son épée sur son crâne.
   -Jurez de ne jamais mentir, de vous préserver du mal et de bannir le vice de votre cœur.
   -Majesté, je vous en conjure je…, supplia le Chien.
   -Jurez!
   -Je le jure!
   -Jurez, continua Salomon, implacable, en faisant glisser sa lame sur l’épaule gauche, de vous soumettre aux Lois sacrées des Trois, et aux lois de votre roi, et de les faire respecter et appliquer, envers et contre tout, et cela à jamais.
   -Par pi…
   -JUREZ!
   -Je le jure, je le jure!
   -Alors relevez, Ser Locke Sanks.
   Bien que situé à quelques centimètres de la scène, Salomon ne semblait pas voir le drame qui se jouait devant lui. Pendant que deux écuyer apposaient des éperons d’or sur les bottes du Chien, Link le foudroyait d’un regard tellement empli de haine et de rage, que même Feena Hurlebataille, chef du clan de Logre, n’osa le croiser.

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[align=center]17.[/align]


Bordel de merde! Deux mois pour remettre la main sur du parchemin, et ce n'est que pour me rendre compte que la moitié du carnet a disparu! Envolé!
Volé? Je ne pense pas. Oublié? Ca c'est presque certain, et c'est qui me met le plus en rogne. J'ai du les égarer durant le chaos de notre fuite précipitée de Mysances, l'ancienne demeure du roi Cygne.
Paix à son âme, d'ailleurs. Ce n'est pas moi qui ai trouvé le corps, enchaîné dans une de ses propres cellules, mais de ce qu'on m'a rapporté, ce n'était guère jolie. Notre ennemi a pris grand plaisir à le torturer à coup de magie noire.
Si je m'écoutais, je tuerais le premier de mes compagnons à ma portée. J'ai vraiment la rage! Tout ce temps perdu... Je n'ai absolument pas le temps de tout reprendre à zéro et de réécrire le premier mois de tourmente qui a suivi notre première débandade. Vous allez devoir vous en passer. Pour faire bref, voici grosso modo  où la situation en est :
On est dans la merde et jusqu'au cou!
L'ennemi nous coupe tout passage vers le Sud pour tenter de rejoindre Château-Abbendal ou Blanchecouronne, qui sont aux dernières nouvelles que nous avons eues (et ça commence à remonter), les derniers royaumes à encore livrer batailles. Je prie tous les jours les Dieux d'en Haut et d'en Bas d'avoir soufflé à l'oreille de Tapinois l'idée de prendre la tangente avec le reste de Tempête. Je prie surtout pour qu'Hélène s'en soit sortie vivante et qu'elle ait su atteindre Château-Abbendal saine et sauve. Sa présence me manque. Je me sentais plus en sécurité avec elle, enfin, façon de parler. J'espère qu'elle me survivra longtemps, parce que c'est vraiment une femme bien. Moi, je n'espère même plus survivre à cette guerre. De toute façon, je ne crois plus en nos chances de victoire, et je suis bien trop vieux pour encore croire aux miracles. Je continue la lutte car ma seule autre option est le suicide : De mon plein gré ou non (Comprenez, essayer bêtement de m'enfuir seul.).
Cela dit en toute honnêteté, je suis le premier surpris de voir ce que notre petit groupuscule a réussi à faire.
Souvenez vous : Nous n'étions plus que 43 hommes et 1 femme annihilés et meurtris. Grâce à la nouvelle poigne de fer de Kerrighton (Pardonnez le jeu de mot), nous avons survécu. Mieux : nous avons donner du fil à retordre à l'ennemi, et nous continuons toujours, du moins le faisait-on jusqu'à encore récemment. Nous nous sommes cachés quelques temps dans les montagnes, pour reprendre nos esprits et des forces. Puis nous avons commencé à lancer des raids d'harcèlement sur les forces les plus faibles. Nous ne prenions aucun risque : chacun avait ordre de se retirer sitôt qu'il se sentait en danger.
Vous me direz, et à juste titre, que lancer des raids pour saper le moral de morts-vivants (Nous ne pouvions guère espérer plus, notre nombre limitait grandement notre efficacité létale.) n'a en soi pas grand intérêt. Je suis tout à fait d'accord. Il faut croire que les hommes ont besoin de se donner des objectifs, aussi dangereux et futiles soient-ils pour ne pas sombrer dans le désespoir. Cependant, nous avons rapidement découvert que notre ami le nécromancien n'était pas seul. Il avait avec lui une pléthore de capitaines, ou je ne sais quoi, pour l'épauler et le seconder dans la mobilisation de cette armée morte. C'était principalement des jeunes gens à qui on avait guère laisser le choix. Probablement des fils de fermier enlevés durant la nuit, et asservis par magie noire. Cette même magie noire leur avait conféré le don de commander à quelques dizaines de morts-vivants, ainsi que d'autres pouvoirs magiques mineurs. Nous avons vite constater que la mort d'un de ces capitaines provoquait l'immédiate désagrégation des troupes sous son commandement. A partir de là, nos raids ont pris une toute autre importance, et nous avions trouvé un but utile et à la hauteur de nos moyens.
Si l'ennemi a mis du temps à réagir face à la nouvelle (et sûrement seule) menace que nous constituions (Sûrement parce qu'il était occupé ailleurs.), il l'a fait bien. Les capitaines se sont vus accordés de nouveaux pouvoirs, qui me donnent bien du mal et des sueurs froides.
Et surtout, nous avons fait la connaissance d'Anthrax et Maléficion.
Si les jeunes asservis sont les capitaines, ces deux là sont les généraux. Nous avons rencontré Anthrax en premier. Durant un raid qui était si semblable à tous les autres que ne je faisais pas particulièrement plus attention, il a surgi devant moi, en me menaçant de son visage rongé par les furoncles. Il était aussi effrayant que moche, et surtout très puissant. Beaucoup moins que le nécromant, mais en magie noire, il connaît son affaire. Seule des trésors d'ingéniosité et le soutient de Liz me permirent d'en réchapper vivant. A partir de cette nuit là, nous fûmes traqués sans relâche par ce couple infernal (même si nous ne devions apprendre l'existence de Maléficion que bien plus tard seulement.). Beaucoup des nôtres périrent sous la magie androphage d'Anthrax et les malédictions horribles de Maléficion. Heureusement, je parvins à en sauver plus. Entre temps, nous avions rallié un nombre assez important de survivants, des rescapés de Mysance, Castel-Nocturne et des forts les plus occidentaux. Nous étions assez nombreux pour infliger de lourds tribus dans les rangs des jeteurs de sorts adversaires et multiplier les raids en y payant le prix, mais nous avons beau faire, il semble que leurs réserves soient inépuisables. De plus, harcelés par les généraux, nous perdions énormément de temps et de force. Nous n'eûmes pas d'autres choix que d'accepter une bataille frontale. La Plaine de Mysance en fut le théâtre. Le conflit fut terrible, abjecte, brutal et sanglant, mais ne fera jamais l'objet de geste et les actes de bravoure qui y furent accomplis ne resteront jamais dans les mémoires.
Au plein coeur de la bataille, le sergent Kerrighton se retrouva confronté au plus grand combat de son existence. Seul contre le sorcier Maléficion, il dut lutter pour sa vie. J'ai personnellement assisté à ce duel, car j'essayais en toute hâte de le rejoindre pour protéger notre chef. Les hommes qui avaient combattu à ses côtés gisaient à ses pieds, leurs corps maléficiés de façon grotesque et atroce. Kerrighton se démena avec une vaillance et une bravoure qui auraient manqué à plus d'un homme. En plein coeur de la tourmente, il transperça le sorcier de son épée. Il ne put cependant empêcher la dernière malédiction de son adversaire de l'atteindre. Son bras droit se mit à pourrir à grand vitesse en causant d'impensables douleurs. Des pattes et des mandibules d'insectes se mirent à percer sa peau, comme si des bestioles grosses comme des doigts venaient d'éclore dans sa chaire et tentaient de sortir. Je dus amputer le membre maudit pour éviter que le maléfice ne se propageât à tout son corps. Anthrax se matérialisa peu après à côté du corps de son compère. Par je ne sais quelle science démoniaque, il ingurgita la dépouille et la fusionna à son être. Grâce à ce phénomène, il acquis les pouvoirs du défunt Maléficion, faisant de lui un être d'une puissance phénoménale, mais ne rivalisant pas encore avec celle de son maître. Alors que je croyais ma fin proche, et quoi que j'aurais défendu ma vie chèrement, notre adversaire ne put voire venir dans son dos le Rayon Chaotique d'Ulfuras de Spektrum, qui le priva d'une bonne partie de sa personne. Il disparut dans un hurlement de douleur et de rage, et à l'heure qu'il est doit toujours souffrir de cette blessure, bien qu'il n'en mourra pas.
Privés de leurs généraux, les capitaines n'opposèrent plus une très farouche résistance, et nous en vînmes à bout. La victoire laissa derrière deux tiers d'entre nous, partis pour un monde meilleur. L'exploit nous octroya cependant une semaine de tranquillité relative au sein des murs de Mysance. Les morts avaient laissé derrière eux après avoir moissonné toutes les âmes de la cité tout ce dont ils n'avaient pas besoin, à savoir tout : vivres, équipements, eau...
Pendant le temps que nous passâmes à Mysance, qui correspond plus ou moins au début du deuxième mois après notre première débandade, Spektrum et moi même façonnèrent un bras artificiel en fondant les cloches de bronze d'un temple. Grâce à un rituel compliqué et éprouvant, nous l'attachâmes à l'épaule de Kerrighton en remplacement à celui qu'il avait perdu. Vous vous doutez bien que ce n'est pas qu'un vulgaire bout de métal inerte, mais bel et bien un véritable membre, connecté aux nerfs, rendu mobile par la magie. L'Histoire se rappellera sans doute du sergent comme de Kerrighton Bras- de-Bronze. Si du moins il survit assez longtemps.
Je dois réexpliquer certains détails que j'ai narré dans les carnets perdus. Le premier c'est que Spektrum n'est pas mort et qu'il a réussi à nous rejoindre, accompagné par l'inattendu Capuchard. La nuit où Spektr avait disparu, il s'était retrouvé pris au piège par des morts-vivants et avait dû fuir à travers bois. Le lien qui unissait Spektrum et Capuchard avait forcé ce dernier à quitter Château-Abbendal pour secourir son maître. Ils nous rejoignirent quelques temps après dans les montagnes.
Le second détail, que vous avez peut être remarqué en parcourant les dernières lignes, est que Kerrighton n'est plus le même homme. Enfin, disons qu'il en est devenu un, d'homme. Il n'a plus rien du jeune con qui se défonce à la drogue pour endiguer sa terreur, ni du pleutre qui hurle à ses soldats de fuir pour leur vie. Il s'est largement endurci et est devenu un bon chef, respecté et dévoué. Sa bravoure n'est plus à prouver, et son bras droit en est la preuve vivante. C'est surtout grâce à lui que nous sommes encore en vie.
Le point suivant, c'est qu'Hélène n'est plus avec nous. Je me suis servi abjectement du prétexte d'un message urgent à faire parvenir à Augustin Abbendas (Ce qui était vrai au demeurant) l'informant de notre survie et de la vraie nature du problème. Bien sûr, elle n'a pas accepté, bien au contraire, alors j'ai du la contraindre magiquement. J'en suis encore malade, et je suis sûr qu'elle m'étripera sur place à la première occasion, mais je ne pouvais décemment pas laisser ma Dame exposée à un tel danger, avec de si faibles chances de survie, même si par la suite j'ai amèrement regretté l'absence de ses épées si rassurantes. Au moins la nuit Liz me console-t-elle...
Une semaine s'était écoulée depuis notre victoire, lorsque les premiers cas de gangrène et de peste explosèrent. Nous dûmes quitter précipitamment le confort de Mysance, non sans avoir mis le feu à la cité auparavant. Dans la panique, je laissai certainement une partie de mes carnets, ainsi que mon matériel d'écriture et mes réserves d'encre. 
Nous reprîmes nos actions commando. 
Cependant, nous fûmes victime d'une surprise bien amère...  Sûrement lassé de nous, le nécromant nous tendit une embuscade. Peu (pas?) préparés que nous étions, nous fûmes balayés. Spektrum et moi même tentâmes de joindre nos forces pour lui tenir tête, mais nous étions épuisés, fatigués et affaiblis : nous ne tînmes pas longtemps, juste le temps de laisser à quelques uns des autres la possibilité de fuir. Nous deux ne survécûmes que grâce à l'intervention miracle de Capuchard. Il ne fit pas déshonneur à sa famille et aspira la magie du nécromancien quelques poignées de secondes qui nous furent salutaires. Lui n'en réchappa pas. Immunisé à la nécromancie par son statut de ressuscité spontané, il eut la chance de ne pas passer à l'ennemi, mais pas celle de survivre. Ses hurlements dans notre dos, alors que nous courrions à travers bois, me hantent encore.
L'altercation nous laissa, une fois de plus, brisés et déchiquetés. Nous ne sommes plus qu'une vingtaine : Moi, bien sûr, Spektrum, Lohengrin, Taureau, Kerrighton, Selinus Fallcor,  Matthew et quelques soldats. Depuis lors, nous ne faisons que survivre en fuyant et en nous cachant. Nous n'avons plus les effectifs pour continuer la lutte. Notre seule chance est de parvenir à franchir la ligne de front sud, pour rejoindre Abbendal. Même si je redoute que le royaume d'Augustin ne soit déjà tombé.
Hier, en traversant les ruines d'un village, j'ai retrouvé de l'encre et du parchemin pour poursuivre mes carnets. Je ne sais pas combien de temps encore je vais pouvoir relater nos "exploits", avant de mourir à mon tour.
Je suis tellement fatigué.


[align=center]18. [/align]


Sélinus me regarde avec morgue tandis que ma plume parcours inlassablement le parchemin. Il ne comprend pas pourquoi je me donne toute cette peine, et à vrai dire, moi même je ne sais plus vraiment. La force de l'habitude, certainement.
Le jeune prince me hèle.
"Pourquoi t'acharnes-tu, Monarque? Personne ne lira jamais ce que tu écris. Tu gâches le peu d'énergie qu'il te reste.
-Tu as sans doute raison (Il y a bien longtemps que le protocole de communication qui devrait exister entre gens de différentes classes sociales n'a plus cours parmi nous.). Mais au moins, comme ça je ne passe pas mon temps à me lamenter sur ce qui est ou aurait dû être."
Cette remarque lui arrache un sourire. L'humeur dicte l'acte dit-on. Varions. Puisque ma mort n'est plus qu'une question de temps, je vais poursuivre en écrivant au présent. Ainsi, vous, lecteurs anonymes, pourrez suivre les derniers jours de Monarque avec plus d'intensité.
Sélinus retombe dans le silence, en me laissant écrire tranquillement. Les autres me considèrent avec autant de circonspection, si ce n'est plus. Et bien, si cela leur paraît incongru, moi ça me fait du bien, et qu'ils aillent pourrir ailleurs. Au bout d'un moment (Je gage que le crissement de la plume sur le parchemin l'irrite.) le prince de feu Gaëlice m'interpelle à nouveau.
"Monarque. Maintenant, tu peux nous le dire. Qui es-tu?
-Qui je suis?, réponds-je sans même relever les yeux. Je suis Monarque, pauvre bige qui tente de survivre. Rien de plus.
-Un pauvre bige hein? Je dirais plutôt un sale matois. Si comme tu le prétends tu n'es qu'un petit magicien qui gagne sa vie dans le mercenariat, je te trouve bien aux faits de la magie. Et surtout, comment un simple magicien aurait pu tenir tête au nécromancien, dont la puissance nous fouaille les entrailles rien que par sa présence?"
Bon. Il est agaçant à la fin, même si le compliment sous-jacent me flatte. Je finis par croiser son regard.
"Demande au chef, dis-je, il en sait probablement quelque chose."
Je dois avoir fait mouche, car Kerrighton baisse les yeux, comme s'il avait honte de quelque chose. Suivant mon conseil, Sélinus l'appelle.
"Tu te trompes, Monarque, fait-il. Je ne sais pas grand chose de toi. Tout ce que je sais... Tout ce que je sais c'est ce que le capitaine t'a fait..."
Sa voix s'éteint, presque dans un murmure. Il ne semble pas fier. Sa réaction me surprend. Me serais-je vraiment trompé sur toute la ligne, en ce qui le concerne?
Cependant, évoquer toute cette affaire fait remonter des vieux souvenirs... Cela me paraît une éternité.
"Et qu'est-ce qu'il a fait, votre capitaine?"
Kerrighton secoue la tête et se détourne. Il n'a pas l'air chaud pour en parler, comme si c'eût été de son fait (et au demeurant, peut être était-il impliqué à la base.). Spektrum, qui d'après moi en sait plus qu'il ne veut bien le faire croire, ou du moins qui en devine pas mal, vient à mon secours.
"Le passé appartient au passé. Il n'est pas nécessaire de pleurer les temps jadis..."
Sa réponse ne satisfait pas le jeune prince, qui insiste.
"Mais enfin, allez vous parler à la fin? Il t'a torturé, quelque chose comme ça?"
Ces paroles m'arrachent un sourire aigre-amer. Torturer... Oui, en quelque sorte. Mais c'est la pire des tortures. Je me souviens dans les moindres détails du moment où ma vie a basculé, de l'instant où j'ai tout perdu. C'était un jour d'été, et il faisait chaud... Je me rends compte que les autres suivent notre conversation avec intérêt. Un cercle s'est formé autour de nous.
"Si c'est de la torture, intervient Lohengrin de sa voix mélodique, alors c'est la pire d'entre toutes."
Tous les regards convergent vers lui. Lohengrin (Je l'avais déjà dit dans mes carnets qui sont perdus...) est le dernier chevalier d'Aethor. Son véritable nom est Perceval, fils de feu Volvo le Pieux, qui fut mon ami et mon plus brave chevalier, du temps où mon fessier reposait encore sur le trône d'Aethor. Il n'a que 17 ans, mais il a déjà l'allure et la prestance d'un véritable Chevalier. Il a des cheveux mi-longs châtains, des yeux verts et la belle gueule qui va avec. Même s'il est encore jeune, il nous ridiculise tous à l'épée et son courage semble sans faille. Il exécute aveuglément chacun de mes ordres, conformément à la dernière volonté de son père. J'ai toujours cru que Volvo était mort durant la chute d'Aethor, mais visiblement je me trompais. Bien entendu, il fait partie du club très fermé des gens qui connaissent la véritable histoire.
Lohengrin ne se démonte pas. Il est de nature calme et assez taciturne. Je sais que c'est pour détourner l'attention de moi qu'il est intervenu. Sa loyauté est de celles que seule la mort peut détruire.
"Vous ne faites qu'exacerber ma curiosité, mais vous tournez autour du pot" s'agace Sélinus. "Allez vous me le dire à la fin!
-Bon. Très bien, dis-je en soupirant. Je vais vous dire ce que le capitaine m'a fait, mais en échange vous devez faire le serment de ne jamais révéler ce que vous allez entendre à quiconque."
Ils prêtèrent serment, tous sauf ceux qui savaient déjà, où qui s'en doutaient, c'est à dire Spektrum, Lohengrin et Kerrighton.
"Allez, crache maintenant" me presse Sélinus.
Je prends mon temps pour ménager mon effet. Après tout, ce n'est pas une mince révélation, et je n'ai jamais été à l'aise pour parler de mon passé. Tant pis, je lâche le morceau, sans effet théâtral pour une fois.
"Le capitaine m'a volé mon nom."
Ma réponse, malgré tout ce qu'elle implique de cruauté, de perfidie, d'abjection, de sournoiserie et de fourberie n'a pas l'heur de leur plaire. Ils me regardent avec des moues dubitatives, l'air de se dire "Allons bon, on m'avait caché qu'il restait de la gnôle."
"Il t'a... "volé ton nom"?" répète Sélinus.
"Je dois avoir l'air de me payer vos têtes" dis-je "mais c'est parce que vous ne connaissez rien au Pouvoir des Noms."
Spektrum acquiesce en silence. Lohengrin reste stoïque et Kerrighton soupire discrètement.
"En effet" reconnaît le prince. "Eclaire-nous."
Comment expliquer un principe aussi subtil à de totales néophytes?
"Bon. Il faut savoir qu'un nom, ce n'est pas qu'un bête assemblage de sonorités. Un nom, c'est vous, ce que vous êtes réellement. C'est à la fois votre essence et votre être. Les noms renferment de grands pouvoirs."
Comme je me tais, ils acquiescent pour me signaler qu'ils comprennent jusque là.
"La vérité, c'est que posséder le nom d'une personne... vous octroie tout pouvoir sur elle."
Voilà c'est dit. Le grand secret de Monarque est éventé. La mascarade démasquée.  Je suis le chien du capitaine, car il m'a Asservi en me volant mon nom. Vous ne pouvez pas vous imaginer quel effet ça fait, de se voir arracher son être d'un seul coup, ravir tout ce qui fait de vous un individu libre.
Vous perdez connaissances quelques secondes. L'instant suivant, en ouvrant les yeux vous savez que vous n'êtes plus rien qu'un pantin. Une marionnette attendant le bon vouloir de son maître. Mais le plus douloureux, c'est de voir en face de vous votre tortionnaire, un garçonnet d'une quinzaine d'années, les yeux écarquillés de stupeur en sentant le pouvoir nouveau qui l'envahit, qui le dépasse, qui l'effraie. Il se rend compte, du haut de ses quinze misérables années, qu'il vient de tuer son premier homme, et que maintenant celui-ci lui doit une obéissance absolue, atemporelle et sans appel. Il tremble, il secoue la tête. Vous, vous n'êtes plus qu'une boule de rage, de haine pure, un concentré de fureur, mais en même temps vous vous sentez tomber au fond d'un gouffre infini, un désespoir plus grand qu'un océan vous balaie alors que vous réalisez que tout ce que vous avez accompli jusque là, toute votre vie avant cette instant précis n'est plus rien que poussière, cendre et vent. Votre existence vient d'être pulvérisée en un éclair, et vous ne pouvez rien y faire.
Vous avez le pouvoir de démembrer votre bourreau, d'annihiler sa volonté et son esprit, de l'envoyer par delà les plans de l'existence jusqu'aux enfers. Mais ne pouvez pas le faire, car il vous tient. Il a tout pouvoir sur vous, et le toucher contre son gré vous signifierait des douleurs que vous ne pouvez imaginer. Si vous essayiez de le tuer, votre corps imploserait et votre esprit de déchirerait dans l'éther.
Alors il comprend finalement ce qu'il a fait, ce que ça implique, et les possibilités que ça lui offre. La peur reflue de son visage, et à la place un sourire sardonique, méprisant et tellement arrogant. Vous n'oubliez jamais ce sourire.
Il vous appelle, et vous sentez dans sa voix le pouvoir qui vous broie, qui vous force, vous contraint. Vous avez beau résister, chaque parcelle de votre volonté se retrouve disloquée et vous vous résignez. Vous vous agenouillez devant lui et l'appelez Maître, conformément à son ordre. Votre dignité vient de s'envoler. Vous la regarder partir par la fenêtre et vous ne pouvez même pas serrer les poings de rage ni hurler votre horreur et votre haine, car il ne veut pas que vous montriez le moindre signe de mécontentement.
Vous n'êtes plus rien, et le savoir vous fait peur. Pour une fois vous maudissez vos pouvoirs, qui vous ont permis de survivre à cette épreuve. Vous auriez préféré mourir sur le champ.
Je dois afficher une mine épouvantable en me remémorant le jour où ma précédente vie a cessé. Le jour où je suis mort pour renaître en Monarque. Car mes compagnons restent silencieux. Ils ont l'air de comprendre que je blague pas, et commencent à comprendre ce que ça implique.
"Mais... Si les noms ont un tel pouvoir", s'exclame Sélinus "pourquoi est-ce la première fois que j'entends parler de pareille affaire?
-Le nom que l'ont reçoit à la naissance" explique Spektrum avec son habituelle voix lente et sombre "n'est pas nécessairement notre véritable nom...
-Comment peut-on le savoir?
-N'importe quel magicien est capable de ressentir la magie d'un nom vrai.
-Alors... Est-ce que je suis vraiment Sélinus?"
La voix du prince est tendue, presque effrayée. Spektrum et moi échangeons un regard.
"Tu ne poses pas la bonne question. Quoiqu'il adviendra, tu es et tu resteras Sélinus, prince de Gaëlice. Mais pour te répondre, non, ton vrai nom n'est pas Sélinus. Aucun d'entre nous n'arbore son véritable nom."
Devant l'apparente déception de certains, j'ajoute (et Spektrum acquiesce).
"Honnêtement, ne pas connaître son vrai nom est plus un bien qu'un mal. Au moins vous êtes protégé...
-Comment faut-il faire pour le découvrir?
-Je ne connais que deux façons. La magie, ou une parfaite connaissance de soi même. La deuxième méthode est la plus complexe, et je n'ai de ma vie connu qu'une seule personne l'ayant fait. Quoiqu'il en soit, si un jour vous découvrez votre véritable identité, soyez sûrs de la garder pour vous, et uniquement pour vous. Ne l'écrivez nul part, ne la révélez à personne, pas même à la personne qui vous est la plus proche. On ne peut se permettre aucune légèreté dans cette affaire.
-Comment fait-on pour voler un nom?"
Je m'arrête un moment de parler, pensif. A la vérité, je ne sais pas. Je n'ai pas gardé de souvenirs du moment précis et je n'ai jamais étudié dans cette voie.
"Je ne sais pas" fais-je " je sais que c'est possible, j'en suis la preuve vivante, mais je ne connais pas le moyen."
Un silence pensif s'installe sur notre petit groupe. Mais Sélinus ne semble pas avoir oublié sa première idée.
"Maintenant que tu nous as dit tout cela, réponds moi. Qui es-tu? Je sais que tu es au moins un baron, ou quelque chose comme ça, pour que Perceval te suive partout en te donnant du Majesté."
Ha. Est-ce donc si évident? Mais bon, je me résous finalement. A quoi bon leur cacher une vérité qui de toute façon mourra bientôt, une fois que nous aurons été décimés, ce qui ne devrait plus trop tarder. Je fais signe à Lohengrin.
"Monarque fut le roi d'Aethor. L'homme qui provoqua à lui seul la chute du Conclave et qui domina le monde pendant cinq ans."
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: sakuranbo le mercredi 25 août 2010, 22:08:34
Merciiii pour la suite!! J'ai dévoré ce chapitre, et je l'ai adoré!!! Hurlebataille est vraiment mon perso favori :niais: Elle est vraiment surprenante avec une attitude et un caractère que j'aime beaucoup. J'ai vraiment adoré ce chapitre ou on en apprend encore plus sur elle^^

J'adore toujours autant ta fiction, magnifiquement bien écrite, avec une intrigue géniale, des personnages tous très bien travaillés, bref c'est que du bonheur à lire :niais:

Link me fait vraiment peur par contre, il est terrifiant! J'aime beaucoup comme tu l'as imaginé, ça change de la vision habituelle qu'on a de lui. J'aime beaucoup comment le voit Feena Hurlebataille et les commentaires qu'elle fait à son sujet hihi!

Le Chien me fait toujours aussi mal au coeur le pauvre T__T Il va en prendre pour son grade lui, je le sens...

Hooo ça me fait vraiment plaisir que ton allusion à ma fiction soit calculée :niais: Je suis ravie et très honorée de ce clin d'oeil, c'est vraiment très gentil!! Mes Chroniques d'Hyrule sont bien loin derrière Triangle de Pouvoir en niveau d'écriture, mais j'y tiens beaucoup^^

Vivement la suite :niais: Il va falloir que je me mette à Monarque en attendant  :yeah:
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: silver le mercredi 25 août 2010, 23:35:35
Cela faisait longtemps que je n'ai pas rédigé d'avis ici et je vais m'empresser de corriger cette erreur sur le champ.

J'adore la tournure des événements de Triangle de Pouvoir, Locke Sanks est très intéressant mais le type de personnage qu'il est me fait un peu commun enfin ça reste que mon avis, je trouve que c'est original même si j'ai toujours eu un penchant pour des personnages qui sont en dehors du commun dans leurs façons d'agir. Feena me passionne et en plus j'ai un grand intérêt pour le yuri. Cette histoire pourrait être magnifique mais je vais tâcher de ne pas trop imaginer pour le moment. J'ai hâte de voir la suite.

Je trouve que l'histoire est bien agencée et te souhaite une bonne continuation et c'est à peu près pareil pour Monarque. Pour ma part, j'adorerais une histoire surprenante comme l'est celle de notre bon vieux chevalier dragon ou encore celle de Samyël. D'ailleurs j'espère pouvoir les revoir surtout Argoth (je suis pas sur du nom) qui commence à me manquer. Bon je vais m'arrêter là mais je te redis encore une fois, bonne continuation tu as une très bonne maîtrise de ton intrigue à mon opinion.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le jeudi 09 septembre 2010, 00:57:58
Saku ==> Content que le chapitre t'ait plu, et de façon plus globale que la fiction continue de te distraire.^^ Merci, encore et toujours, pour ton commentaire :)

Silver ==> Bon retour dans cette humble Tour du Rouge! Ca me fait plaisir de te revoir dans les parages. :) Locke est en effet un personnage assez commun dans sa conception, mais il me plaît bien tout de même. J'espère que l'évolution de la relation Feena/Malon ne te décevra pas, mais étant moi même un grand fan de yuri, je pense qu'il ne devrait pas y avoir de problème :niak: Merci pour ton commentaire, quoi qu'il en soit, mais hélas Argoth et le Cycle sont pour le moment en pause très prolongée. Je me focalise sur Triangle et Monarque pour le moment. Je pense réécrire le Cycle intégralement, un jour. Je ne suis plus satisfait de ce que j'ai produit jusqu'ici sur cette histoire.


Sur ce, voici le chapitre XII de Triangle, et bien sûr la suite de Monarque juste après. Bonne lecture!


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[align=center]XII
-Lars-[/align]


   Sitôt les yeux ouverts, Lars Zora roula de l’autre côté du lit et, pivotant promptement sur son arrière train, s’en extirpa d’un bon vigoureux. Il alla tirer les rideaux, mais la nuit n’était pas encore passée. Il contempla un court instant le dehors, mais il n’y avait rien à voir, aussi se détourna-t-il pour allumer une chandelle. Tout était comme il l’avait laissé la veille, jusqu’au brin de paille coincé dans la porte. Avec prudence, il se pencha pour vérifier le dessous du lit, mais rien non plus. Il s’autorisa un maigre soupir de soulagement, et reposa le long poignard effilé sur la table de chevet. Ce poignard, c’était tout ce qui lui restait de son père : une lame longue de vingt centimètres en bon acier gravé de l‘emblème Zora, et un manche en os poli strié de bandelettes de cuir rouge. Son dernier cadeau, quelques jours avant qu’il ne trouve la mort par une arme similaire…
   Lars se frotta les yeux pour chasser ces pensées morbides et les dernières traces de sommeil. L’aube ne devait pas se lever d’ici encore une heure, estima-t-il, ce qui lui laissait amplement le temps de se préparer. D’ordinaire, il ne se réveiller pas si tôt, mais plutôt avec les premiers rayons de soleil. Cependant, ce jour là était spécial : il s’agissait de faire bonne impression à son, peut être, futur maître. Il avait ouï dire des valets et de quelques filles de cuisine que Ser Locke se levait aux aurores, et il souhaitait être là pour l’attendre sitôt qu’il aurait quitté ses appartements.
   Il enfila des chausses noires confortables et une longue et sobre tunique bleu de nuit qu’il noua à la taille par sa bonne vieille ceinture en cuir élimé, avec sa boucle d’or toute rayée. Il l’aimait bien, sa ceinture, il l’avait depuis près de trois ans et refusait de s’en séparer, malgré l’insistance de Mère. « Ce sont les vieilles personnes qui s’attachent à des choses si inutiles », rouspétait-elle. « Es-tu une vieille personne, Lars? ». Ca, pour sûr que non, du haut de ses neuf années révolues. Il était à peine plus grand que le Lutin, et ses bras maigrelets peinaient à manier longtemps l’épée et le bouclier. Mais il s’en fichait. Père disait souvent, lui «  On mesure la grandeur d’un homme à ses actes et sa pensée, Lars. ». Et s’il n’avait pas encore vraiment plus s’illustrer par quelque prouesse hardie, son cerveau était sans cesse en ébullition, enregistrant, digérant, formatant, réarrangeant tout ce que son regard observateur percevait, tout ce que ses oreilles fines entendaient. « On peut prendre le pouvoir par la force », avait dit une fois Maître Baelon pendant un cours d’Histoire « mais on ne peut pas garder le pouvoir sans le savoir . ». Lars comprenait parfaitement cette citation de Latouan (Maître Baelon se complaisait à lancer des maximes célèbres sans en citer la source, de manière à les faire passer pour siennes, mais Lars n’était pas dupe, et après chaque cours il se rendait à la bibliothèque où il demandait au Faiseur de Vents quelques explications.), mieux, il en avait fait sa philosophie de vie.
   Lars se complaisait à croire qu’il était trop sagace pour son âge, ce qui était, de fait, le cas, le simple fait qu’il le pensait suffisait à le démontrer. S’il n’était pas le meilleur à l’épée, il analysait les situations avec vivacité et justesse ; il savait s’astreindre des puérilités de son âge pour se focaliser sur les problèmes concrets de la cour : les intrigues, les complots, les alliances. Il s’estimait comme capable, et ferait un excellent écuyer, tant par ses connaissances que son esprit, ses manières et sa loyauté.
   Ser Locke Sanks ne pourrait pas le refuser.
   Fort de cette pensée, il ceignit son épée courte au côté, et glissa son poignard dans sa ceinture. Il s’admira un instant dans le miroir, et se coiffa avec ses doigts jusqu’à obtenir de sa tignasse bleutée un résultat décent. Satisfait, il s’en fut chaparder quelques morceaux de nourriture en cuisine puis s’en alla se planter devant la porte du chevalier. L’aube était encore loin, aussi prit-il son mal en patience en dégustant la nourriture.
   Devenir l’écuyer de Sanks, c’était une idée de Mère. « C’est un bon combattant. Il fera de toi un homme. » disait-elle. Lars voyait bien d’autres intérêts à l’affaire. Le nouveau chevalier avait des liens étroits avec le pouvoir, désormais que Lord Link allait devenir le prince héritier, et donc le futur roi. Il serait souvent amené à rencontrer des personnes importantes, et Lars serait là pour écouter, observer.
   Sa main effleura légèrement le pommeau de son poignard. Le pouvoir n’intéressait pas Lars, de même que l’argent, la gloire ou les femmes. Non, ce que désirait ardemment l’héritier Zora, c’était retrouver l’assassin de son père, et son commanditaire. Être le page personnel de Sanks serait pour cela un atout considérable. Avant même que ne retentissent les cloches du beffroi, annonçant le lever du jour, la porte de la chambre du chevalier s’ouvrit doucement et sans un bruit. Lars se redressa, s’épousseta sommairement et remit son ceinturon en place. Locke se faufila en reculant et, fermant le battant de bois laqué sans bruit, se retourna. Il s’était vêtu d’un tabard à ses couleurs et arborant son blason -le limier sable sur champ ocre doré- , cadeau personnel de Sa Majesté, des braies noires et des bottes neuves et cirées. Son épée usée et en piteux état pendait sur sa hanche, et il avait essayé de coiffer sa crinière noire et emmêlée. Lars ne put empêcher un frémissement en observant les cicatrices qui couturaient le visage du chevalier, ainsi que sa main brisée et grotesque, piégée dans son gantelet de fer. Les poches profondes sous l’œil valide trahissait assez le manque de sommeil,  et son perpétuel air maussade avait empiré.
   -Bonjour, ser.
   Sanks sursauta et se tourna vivement vers Lars. Son œil unique le détailla rapidement, puis il s’inclina roidement.
   -Bonjour, messire. Je m’étonne de vous trouver ici de si bon matin…
   -A vrai dire, la nuit n’est pas encore passée. Je souhaitais vous entretenir.
   -M’entretenir? Répondit Locke d’un ton méfiant. A quel sujet?
   -Je ne tournerai pas autour du pot : j’espérerai que vous consentiriez à me prendre comme écuyer.
   La demande parut surprendre le Chien.
   -Un écuyer? Pourquoi devrais-je…
   Il s’interrompit, et se massa le front avec sa dernière main, en poussant un grognement.
   -Vous êtes à présent chevalier, crut bon d’ajouter Lars. Il vous faut un page pour s’occuper de votre monture, entretenir votre épée et huiler votre mailles.
   -Chevalier…
   Dans la bouche de Sanks, ce mot sonnait comme une punition.
   -Je fais un bien piètre chevalier. Vous devriez chercher ailleurs.
   -J’insiste.
   -Pourquoi?
   -L’on ne dit que du bien de vous, et de vos prouesses.
   -On dit aussi que je dévore le cœur de mes ennemis, que je me repais de leurs appâts, et que je viole les fillettes.
   -Fantaisies que cela, je n’en crois pas un mot.
   -Alors, dites moi pourquoi moi je voudrais de vous?
   Lars prit une bonne inspiration.
   -Je ne suis pas le meilleur à l’épée, loin s’en faut, mais je me débrouille. Je suis mauvais cavalier mais bon archer. Je connais la géographie, l’histoire, l’écriture et la lecture, les mathématiques et la théologie. Mais ceci n’est pas grand-chose comparé à mes véritables atouts que sont ceci (il pointa ses yeux) et cela (il pointa ses oreilles.). Sans vouloir me vanter, je suis un bon observateur, et je sais analyser la Cour et ses subtilités. Cela plus que tout fait de moi quelqu’un d’indispensable.
   Un vague frémissement agita le coin droit des lèvres de Locke. Si faible que Lars crut l’avoir rêvé.
   -Est-ce à dire que vous doutez de mes propres capacités politiques, messire?
   Le ton était si doucereux, et le regard si froid que Lars craignit un instant d’avoir fait un mauvais pas irrémédiablement fâcheux. Il se morigéna, et se traita d’idiot. Il chercha à toute vitesse quelque chose à dire pour débloquer la situation, mais à sa surprise, ce fut le chevalier qui se porta à son secours.
   -Ne vous excusez pas, vous avez raison. Je suis bien plus à l’aise une épée à la main entouré par cent barbares belliqueux qu’à faire des ronds de jambes à tous ces nobles seigneurs. Si vous êtes véritablement tel que vous le dites, vous me serez bien utile, en effet.
   Lars lui rendit un sourire crispé, troublé.
   -Votre serviteur, ser.
   -Je ne suis pas vraiment familier de toutes les coutumes de la ville. Y a-t-il quelque chose à faire pour officialiser la chose?
   -Non, ser. Cela dit, la coutume veut que vous me tutoyiez. Je m’appelle Lars.
   -Dans ce cas, allons-y, Lars. J’ai grande faim.
   -Désirez-vous que je fasse mander votre déjeuner dans votre chambre?
   -Non. Je préfère manger en cuisines.
   A cette heure-ci, aucun des serviteurs n’était encore levé. Le château tout entier était plongé dans le silence et la quiétude. Lars trouva cela apaisant. Il observa son nouveau maître se restaurer avec appétit de pain et de viande froide. Il hésita un instant avant de demander :
   -Avez-vous quelque attirance envers dame Laruto?
   L’abrupt de la question manqua d’étouffer Locke qui cracha un morceau de mie de pain avant de relever la tête, le rouge aux joues.
   -Que voulez… que veux-tu dire?
   -Vous passez beaucoup de temps avec elle, et vous la regardez comme Père regardait jadis Mère.
   Comme le chevalier se contentait d’un vague grognement, Lars ajouta :
   -Il n’y a pas de honte à avoir, je pense. Elle est peut être d’un certain âge, mais elle reste fort avenante, et elle est bien bonne. Elle ferait assurément une bonne épouse. C’est une magicienne, en plus!
   Au mot « épouse », Sanks vira au cramoisi et toussa dans sa main.
   -Cesse. J’aimerais finir de manger.
   -Votre serviteur, ser.
   Un silence s’installa entre les deux. Locke le brisa au bout de quelques minutes.
   -Votre seigneur père est resté à Château-L’Hylia?
   -Non. Il… nous a quitté.
   -Ho. Je vois. Mes condoléances, je ne savais.
   -Il n’y a pas d’offense, ser.
   Ils échangèrent un regard.
   -Aurais-je l’audace de demander comment?
   -On l’a assassiné.
   Disant cela, Lars serra les poings et baissa la tête. Il ne put s’empêcher de songer, une fois encore, à cette nuit terrible et funeste. Les torchères alignées le long des épais murs de Château-L’Hylia distillaient une lumière intense au cœur de la nuit, illuminant les armoiries et les tentures. Lars remontait les couloirs, la tête lourde de sommeil, quand le cri étouffé lui était parvenu, depuis les appartements de Père. S’y précipitant, il n’avait eu le temps que d’entrapercevoir une obscure silhouette bondissant par la fenêtre et disparaître dans les eaux du lac. Père, lui, gisait à terre, son manteau de fourrure souillé de son propre sang, la garde d’un poignard dépassant largement de son torse. L’expression indicible d’horreur et de douleur qu’avait figée la mort sur les traits familiers hantait encore les rêves du jeune garçon.    
   Locke Sanks l’observa un moment sans mot dire. Son œil vert le dévisageait, le jaugeait. Farouche, Lars lui rendit son regard sans broncher. Il s’obligea à contempler les affreuses cicatrices, la chaire boursouflée, tailladée, violacée, morte. Malgré toute sa bravoure, il ne parvint guère à tenir plus de quelques minutes. Honteux, écœuré, il détourna le regard.
   -Je suis désolé d’entendre ça, Lars. Le meurtrier a-t-il été châtié?
   -Non. Il… Il demeure introuvable, ser.
   -Je vois.
   Voyait-il vraiment? Sondant l’iris vert, Lars y chercha une étincelle de compréhension, redoutant que le chevalier ait pu saisir les véritables motivations de son écuyer. Mais l’autre ne fit aucun commentaire, se contentant de mâchonner son pain avec sa mine maussade.
   Cette mine maussade, Lars s’aperçut bien vite qu’elle ne désertait jamais la face du chevalier. A l’entraînement, au souper, durant son sommeil, à l’équitation, durant les dévotions, les doléances -auxquelles il assistait désormais, en qualité de chevalier du royaume-, lorsqu’il conversait avec qui ce fut. En fait, le visage de Locke ne changeait qu’à deux moments, et deux seulement : lorsqu’il était en compagnie de Lord Link, et lorsqu’il se trouvait avec dame Laruto. Dans le premier cas, il adoptait un air d’humilité servile craintive qui tranchait nettement avec le personnage. Il n’était pas difficile de comprendre pourquoi, car le nouveau Gouverneur des Plaines ne perdait jamais une occasion de l’humilier, de le rabaisser ou de le moquer devant toute la Cour. L’aura de gloire et d’héroïsme qui entourait Lord Link lui avait valu une véritable cohorte de fidèles, qui s’extasiait de ses moindres faits et gestes, mais pour Lars il n’était qu’un fat de parvenu répugnant, ayant assis son nouveau pouvoir sur les sacrifices et les souffrances d’autrui. Il suffisait de regarder le corps marqué à jamais du Chien, et la beauté immaculée de l’Hylien pour s’en rendre bien compte.
   Avec dame Laruto, Locke Sanks était presque comme une pucelle effarouchée durant son premier flirt -ce qui devait probablement être le cas, Lars finit par le comprendre. Il était gêné, maladroit, rougissait pour peu qu’elle l’effleurât, et essayait même de sourire. Le résultat était bien souvent affreux à voir cependant. Le chevalier ne perdait jamais une occasion de voir son aimée -Lars s’était fait à cette idée et n’en démordait pas, malgré les innombrables dénis de son maître.- et passait avec elle autant de temps qu’il l’osait. Dame Laruto semblait éprouver elle aussi quelques sentiments, mais c’était plutôt l’affection que porte une mère à son fils prodigue, plus que celle qu’une amante porte à son prince charmant.
   Charmant, il fallait bien être aveugle pour qualifier le Chien de tel, par ailleurs. Outre sa laideur, il avait beau être d’une politesse extrême, d’un calme olympien, d’une délicatesse surprenante et d’une diplomatie extraordinaire, tout en lui était froid. Ses salutations étaient froides, ses compliments étaient froids, ses simulacres de sourires étaient froids, ses rires feints étaient froids, tout, tout était froid chez cet homme. Lars eut un jour l’image d’une tombe glacée, et il se fit la réflexion que la comparaison ne devait pas être bien loin de la réalité. Locke Sanks était mort sur les Plaines, et seule restait de lui une coquille vide et gelée, ne vivant que pour servir son maître. Il était surprenant qu’il pût éprouver n’était-ce que le début d’un sentiment pour dame Laruto. Son style de vie était discipliné et mécanique, il n’était jamais loin de son maître quand celui-ci le sifflait, il n’engageait presque jamais de conversation spontanément. Il s’acquittait de ses devoirs avec conscience et efficacité, ne rechignait jamais devant aucune des tâches qu’on lui confiait. Lars essaya plusieurs fois d’en apprendre d’avantage sur lui, sur son passé, sur la guerre, mais en vain. A peine avait-il pu apprendre qu’il avait grandi dans une ferme, et apprit l’escrime sur le tas.
   Cette assertion semblait d’ailleurs bien fabuleuse, car il suffisait de le regardait combattre pour oublier qu’il était et manchot et borgne. Tout ceux qui eurent l’audace de le défier en duel amical ne tardèrent guère à mordre la poussière, après s’être fait rosser proprement et sans fioriture. La technique du Chien était exemplaire, mais comme tout le reste de sa personne, dénuée de vie, de panache, de beauté. Il maniait l’épée comme un vulgaire outil, taillant, coupant, se fendant sans ahaner ni grogner, sans s’amuser à la faire danser inutilement ; ses jambes se mouvaient comme si elles étaient mues par leur propre pensée mais là encore, aucun mouvement superflu n’était à déplorer. Les actes d’esquive, de feinte, ne dépassaient jamais le strict minimum.
   Il ne semblait tirer aucun orgueil, ni aucun plaisir de son art de combattre. On avait plutôt le sentiment qu’il s’agissait pour lui d’un devoir. Le devoir, c’était d’ailleurs ce qui aurait pu résumer la vie de Locke Sanks.
   Malgré tout, il était un bon parrain, assurant lui-même l’enseignement militaire à Lars, ne lui imposant que rarement des tâches fatigantes ou ingrates. Il était certes un peu sévère et parfois trop exigeant, mais juste.
   -Vous avez bien de la chance, Lars, lui fit un jour Son Altesse Nohansen, les yeux brillants d’excitation.
   On s’était rassemblé dans les jardins extérieurs pour profiter de la belle journée, fraîche mais agréable. L’air embaumait les senteurs piquantes ou enivrantes des fleurs, et les eaux quiètes de la mare ondoyaient sous la brise légère, déformant le reflet des trois enfants qui s’y contemplaient.
   -En quoi cela, Votre Altesse?, répondit le jeune écuyer.
   Nohansen fit la moue, ses joues rebondies se gonflant de façon presque comique. Il n’y avait qu’un an d’écart entre Lars et le prince, le premier étant l’aîné du second. Comment pouvons-nous être si différents? s’interrogea le jeune Zora. Il est vrai qu’il n’a pas perdu son père, lui. Noha était un petit garçon. Froussard, il n’avait aucun intérêt dans l’art de l’escrime, de la joute, du tir à l’arc ou de la lutte. Il préférait passer son temps à dévorer des livres de contes où il était question de blancs chevaliers stupides courant à la rescousse de jouvencelles idiotes prisonnières de quelque donjon. Maître Baelon avait bon espoir d’en faire un érudit, à défaut d’un chevalier décent, mais à peine savait-il situer les fiefs bannerets sur une carte détaillée là où Lars était presque capable de réciter par cœur les trois volumes du Compendium sur l’Hystorique d’Hysrule et des Tresses-Haustes de Lanelle. Il aimait les sucreries et les douceurs, passait beaucoup de temps à quémander des caresses à la Reine sa Mère, pleurait à grosses larmes pour peu qu’il s’écorchât un genou et n’avait absolument aucune conscience de la politique, et plus généralement du monde qui l’entourait.
   -Je crois que Noha veut parler de ser Locke, intervint Saria.
   Lady Saria Mojo était faite d’un tout autre bois. Sous ses sourires candides, ses grands yeux verts lumineux, ses fines boucles de cheveux émeraudes se cachaient une force de caractère certaine et une maturité impressionnante pour son âge, bien qu’elle fusse leur aînée à tous les deux. Elle n’aurait jamais la beauté d’une Zelda ou d’une Nabooru, songeait souvent Lars, car elle avait cet air de garçon manqué rebelle, ces traits volontaires et cette insouciance pour sa toilette, mais elle n’en serait pas moins une jolie plante, pour peu qu’on réussisse à la dompter. Saria était la gentillesse, l’altruisme et la bonté incarnés et elle avait envers son prince bien plus de patience que Lars. Ce dernier ne se cachait pas d’ailleurs une certaine attirance pour la jeune fille, et à ce moment là leurs mains posées dans l’herbe se frôlaient tel que c’en était troublant.
   -Tout à fait!, acquiesça Nohansen. Être l’écuyer d’un chevalier aussi émérite, que cela doit être formidable!
   -Certainement moins que d’être celui de Lord Link, mon prince.
   Une lueur de désappointement passa dans le regard du garçon et il baissa la tête.
   -Lord Link est assurément quelqu’un d’extraordinaire, mais… ces temps-ci il a beaucoup d’affaires à régler, et donc peu de temps à me consacrer.
   Comme c’est étrange.
   -Je ne doute pas que cela soit passager, Votre Altesse. Laissez-lui un peu de temps, il vient tout juste d’entrer dans ses fonctions de Gouverneur.
   -Oui… Je… Vous avez raison, Lars. Je dois me montrer patient. Comment est-il? Je veux dire, ser Sanks.
   -Il est… juste.
   -Juste?
   -Oui, sire, juste.
   -Est-ce là tout?
   -Non. Mon maître est un formidable bretteur.
   -Je le savais déjà! Dites m’en plus, de grâce!
   Les yeux vairons du prince se dardaient sur Lars, tout brillants d’impatience et d’espoir.
   -Je… Hmm… C’est un homme de bien, je suppose. Il est loyal, et dur à la tâche.
   -Vous a-t-il confié la manière dont il a reçu ses affreuses cicatrices? Dans quelque admirable et effroyable bataille, je gage.
   -Il ne s’est pas ouvert à moi sur ce sujet, sire.
   -Sur sa main, peut-être? L’on dit qu’il l’a perdu en affrontant seul une bête barbare haute de dix pieds!
   -Je.. Je ne sais, Votre Altesse. Ser mon maître est assez réservé.
   -Ha.
   Déçu, le petit prince se mit à jeter de petits cailloux dans la mare.
   -Je suis certaine que Lars restera à l’affût, et sitôt qu’il entendra quelque anecdote intéressante il s’empressa de s’en ouvrir à vous, essaya de le consoler Saria avec un sourire.
   -Naturellement, ajouta l’intéressé.
   Lars se détourna pour observer les alentours. Les hôtes de la Couronne s’étaient répartis autours de la mare par petits groupes. Lord Link faisait le bonheur de la Princesse, des sœurs Dragmir et d’une flopée de courtisanes de moindre rang, qui étaient suspendues aux lèvres du héros, la bouche à demi ouverte d’admiration. Le nouveau Lord racontait sans doute quelque exploit de bataille dont il avait pris part, et il détaillait ses admiratrices avec les yeux d’un prédateur, comme s’il cherchait sa proie prochaine. Un peu plus loin, sur un banc, la reine Ishtar, la mine plus maladive que jamais, conversait avec Mère, ses mains tachées par la maladie tremblotant sur la pommeau d’une canne. Les frères Dodongo séniors riaient à gorge déployée des blagues que leur racontait le jeune lieutenant Colin, tandis que ces lourdauds de Goro et Sédrik se chicanaient encore pour des broutilles, sous le regard anxieux de Mido. Ser Allister s’était isolé sous un grand chêne, où il lisait paisiblement les comptes rendus de l’aventurier Ricky sur ses voyages en Termina, Holodrum et Labrynna. Lord Dumor et Lord Dorf s’adonnaient aux échecs, et la mine irritée du second indiquait assez sa défaite imminente. Sa concubine, dame Nabooru, était lascivement accrochée à son coup, tandis que Fado le Faiseur des vents semblait observer la partie, avec son éternel petit sourire. Enfin, Ser Locke Sanks déambulait quelque part dans le labyrinthe floral, dame Laruto accrochée à son bras.
   Sa Majesté Salomon était retenue par quelque affaire d’importance, de même dame Feena, souffrante, avait décliné l’invitation. Quant au Premier Conseiller Aghanim, il occupait ses fonctions auprès de son roi.  
   Lars fut détourné de ses pensées lorsque les doigts de Saria cherchèrent discrètement et timidement à se croiser avec les siens. Surpris, il se tourna vivement vers elle, et fut quelque peu décontenancé de la voir lui sourire, de son sourire si bienveillant. Ils attendirent un moment que Nohensen commence à s’ennuyer, puis lorsqu’il les quitta pour aller écouter les bonnes histoires de Colin, Saria entraîna Lars vers une zone isolée des jardins, près des parterres de fleurs en forme de triangle. Elle lui tenait toujours la main, et ne semblait pas vouloir la lâcher.
   -Père m’a toujours dit que c’est à moi de choisir celui que je désirerai épouser, fit-elle d’un ton innocent.
   -Je… Je vois, répondit Lars, quelque peu troublé.
   Elle le fit assoir sur un banc à disposition des promeneurs, et prit place à côté de lui.
   -Tu… Tu as déjà arrêté ton choix?, demanda-t-il avec une voix mal assurée.
   -Il se trouve que oui, en fait.
   Son visage était illuminé par un petit sourire espiègle qui fit battre un peu plus vite le cœur du jeune Zora.
   -Qui est l’heureux élu?
   -Vous, messire Zora.
   Sans savoir comment, Lars se retrouva à l’enlacer et à lui baiser timidement les lèvres, comme il avait vu parfois faire Père et Mère. Elle se détacha un peu de lui pour le regarder dans les yeux.
   -A condition, bien sûr, que tu le souhaites. Je n’aurai pas l’outrecuidance de t’imposer mon choix.
   -Non, non. Je… Ce serait un plaisir, et un honneur.
   Ce ne fut que dans la soirée, après que Saria lui eut fait promettre de ne rien révéler pour le moment, que Lars comprit qu’il venait de se fiancer. Soudainement assommé, il s’effondra sur son lit, l’esprit plein de doutes et d’angoisses. Qu’allait dire Mère? Quels étaient ses sentiments pour Saria? Voulait-il vraiment d’elle pour épouse, n’avait-il pas répondu trop vite, sur le coup de l’émotion?
   Comme chaque nuit, il glissa son poignard sous son oreiller et sombra dans le sommeil.


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[align=center]19.[/align]


Monarque n'est rien, mais l'homme qu'il a été était tout. Je ne suis pas du genre à ressasser le passé en pleurant les temps meilleurs, mais ça ne m'empêche pas de regretter ma gloire passée.
Lohengrin exagère sûrement lorsqu'il dit que je dominais le monde, mais il est vrai que de la Ceinture de Bronze aux îles du Maëlstrom, les seigneurs affluaient ventre à terre pour me lécher les pieds et s'attirer mes bonnes grâces. Aethor éclipsait toutes les cités, même le Conclave lui même ; mon armée comportait les plus braves et les plus vaillants ; et mon cercle de magiciens ne souffrait aucun adversaire. A l'époque, j'étais jeune, ambitieux, et surtout, foutrement puissant.
L'empire d'Aethor n'a pas duré longtemps, mais il a brillé comme une phare en pleine nuit noire. Je regrette que sa fin fut aussi brutale et pitoyable.
Il me semble qu'au tout début de mes carnets, je me suis présenté comme le souverain de feu Aethor. Mais je n'ai pas souvenir d'avoir parlé véritablement de mon passé. Peut être est-ce le bon moment. De toute façon, ma véritable identité ne risque pas d'être découverte, vu que je mourrai avant que quiconque mette la main sur cet ouvrage et ne découvre le pot aux roses.
Sans me vanter, durant ma jeunesse tumultueuse j'ai accompli quelques exploits qui resteront gravés sur la stèle de marbre de l'Histoire. J'avais 17 ans lorsque je fis massacrer le haut conseil du Conclave, réduisant à néant la force politique et militaire la plus puissante du monde. C'est encore moi qui fit s'écraser l'île volante sur laquelle est bâtie la merveilleuse cité du Conclave. J'avais 20 ans lorsque je suis monté sur le trône d'Aethor, le royaume que j'avais bâti de mes mains. J'en avais 25 lorsque je chutai, au faîte de ma gloire et de ma puissance.  
Il y aurait beaucoup à dire, car vous vous doutez bien que ce vague résumé n'entre pas dans le fond des choses. On a composé des chansons et des gestes à mon honneur. Car aux yeux du monde, je suis mort depuis 11 ans. J'ai disparu du jour au lendemain, abandonnant mon trône à la merci de la coalition qui marchait vers Aethor, au moment critique. Si mes chansons louent mes mérites, inutile de vous dire que leur fin est rarement flatteuse.
Le Roi des Lâches, le Roi Couard, le Souverain des Pleutres, je collectionne les surnoms affectifs. Au moins, l'Histoire se souviendra de la partie de cette tragédie qui m'est la moins pénible. Personne à part le capitaine et Tapinois ne sait que j'ai moi même massacré ma cour. J'ai tué de mes mains selon les ordres de mon tortionnaire mes chevaliers, mes amis, mes maîtresses, toutes les personnes qui avaient un peu d'influence ou de pouvoir au sein d'Aethor. L'armée coalisée n'avait plus qu'à entrer et faire comme chez elle : piller, torturer, violer, vandaliser. En deux semaine, il ne restait plus des tours blanches de ma cité que de misérables ruines fumantes. Je dus assister à la déchéance de mon fief, les larmes aux yeux.
Depuis lors, j'erre à travers le monde, là où le capitaine m'envoie. Mes pouvoirs se sont grandement affaiblis, pour diverses raisons que je n'expliciterai pas. Je ne vis plus que dans un but : récupérer mon nom, et tuer le capitaine, l'homme qui a détruit ce que je suis, tout ce que j'ai aimé et bâti. Vous ne pouvez sûrement pas imaginer la haine qui m'habite chaque fois que je le vois. Il faut avoir vécu ce que j'ai vécu pour le savoir. Ce qui m'enrage le plus, c'est de savoir que ce fils de putain n'avait aucune idée de ce qu'il faisait, des pouvoirs avec lesquels il jouait. Comme je l'ai déjà dit, cela l'a effrayé, mais son foutu esprit de requin a rapidement compris ce qu'il avait à présent entre les mains. A l'époque il n'était pas encore lieutenant des 7 épées, mais cela n'a pas tardé. Il a collectionné en quelques mois les exploits militaires. Inutile de vous dire que la plupart sont de mon fait. Je lui ai acheté sa place, son rang et sa puissance. J'ai risqué ma vie pour lui plus de fois que je ne peux en compter. Alors qu'il est l'homme qui m'a détruit et que j'abhorre entre tous.
Il sait parfaitement que si jamais je récupère mon nom, on se souviendra de lui comme l'homme ayant le plus souffert avant de mourir. Cela fait onze ans que j'imagine toutes les tortures que je lui ferrai subir. Croyez moi, vous n'aimeriez pas être à sa place.
Mais rassurez vous, ce n'est pas le pire. Souvenez vous : durant l'ultime bataille qui scella le siège de la Citadelle de Wellmarch, lorsque je m'effondrai dans les bras de Beryl en lui demandant de ne pas parler de moi, c'était pour une bonne raison. Le roi d'Aethor est mort, et il doit en rester ainsi. Mes pouvoirs ne sont peut être plus que l'ombre de ce qu'ils ont été, mais je n'en garde pas moins d'innombrables ennemis, ainsi que tout le savoir que j'ai pu accumulé dans ma jeunesse. Beaucoup se damneraient  pour me mettre le grappin dessus, afin de m'ouvrir le crâne ou simplement pour me tuer à petit feu pour me faire payer. Les bonnes choses sont parties, la mauvaise herbe est restée. Le capitaine le sait, c'est pour ça qu'il protège mon identité. Il n'aimerait pas qu'on sache qu'il a sous sa botte le mage qui a fait tremblé toute une société. Ce n'est pas chose aisée, car toute personne qui m'a un jour rencontré ne peut pas m'oublier : mes cheveux sont rouges, et ce n'est pas une coloration. C'est le genre de détail qui ne s'oublie pas. Mon père n'a jamais su m'expliquer cette étrangeté. Tout ce que je sais, c'est que lorsque j'étais encore très petit, un vieux beau s'est présenté à mon berceau, et m'aurait jeté un sort. Mon père n'a jamais su de quoi il en retourne, cependant j'ai découvert la vérité : le charme du vieux magicien empêche tout changement de coloration de ma pilosité. Ce qui dans mon cas est assez contraignant, quoi qu'à bien réfléchir, je ne souhaite pas me teindre : mes cheveux sont d'une rare beauté et j'y suis trop attachés.
Au début de la vie de Monarque, ç'a été dur. Je devais exercer une prudence de tous les instants. Mon ancienne vie était encore bien trop présente dans l'esprit des puissants, et il y avait peu de mages capables de mes exploits. Je devais me modérer pour ne pas attirer l'attention. Cela dit, avec les années passant, le souvenir d'Aethor et de son roi s'estompe. De plus, ma position sociale ne me laisse guère l'occasion de fricoter avec les puissants et le petit peuple ne m'avait jamais aperçu. Je ne pense pas que mon secret a été éventé. Les seules personnes que je soupçonne de connaître la vérité sont des gens qui me veulent du bien. Ils se comptent sur les doigts de la main : Augustin Abbendas (même s'il ne me l'a pas avoué ouvertement) et Spektrum (mais maintenant il appartient à la deuxième catégorie.). Ceux dont je suis certain qu'ils savent tout me veulent du bien ou n'ont pas intérêt à révéler quoi que ce soit : Tapinois, Lohengrin, Kerrighton, le capitaine, Ken Percevent, Araignée et Ciguë. Les rares personnes qui se sont montrées un peu trop clairvoyantes et ont essayé d'en profiter n'ont pas fait long feu.  De toute façon, je ne peux pas parler oralement de mon passé d'avant le mercenariat. Le capitaine me l'a interdit. C'est pour cette raison que Lohengrin raconte à ma place.
Enfin, je parle comme si j'avais encore de l'importance, mais il n'en est rien. Je ne suis plus que ce que je suis : un petit sous-officier dans une compagnie franche à la tête d'un groupuscule de combat d'élite. En fait, ce groupuscule ne fait même pas officiellement partie des 7 épées, et moi je ne suis de façon officielle que le porte-étendard. Ma magie a décliné pendant 8 ans, certainement en réaction à la disparition de mon nom. Elle s'est stabilisée à un niveau ridiculement faible par rapport à ce qu'elle avait été, même si je reste compétent. Disons qu'à l'époque, personne n'aurait jamais eu l'idée de me provoquer.
Cela dit, ma vie de mercenaire n'a pas été blanche de toute péripétie. J'ai vécu plus d'aventures qu'à mon tour, j'ai voyagé presque partout où il est possible à l'homme de se rendre, j'ai renversé des seigneurs et assassiné des diplomates, je me suis retrouvé pris dans d'innombrables batailles et escarmouches, dont seuls ma ruse et Tapinois ont su me sortir vivant. J'ai rencontré des tas de personnes toutes plus intéressantes les unes que les autres, toutes plus mortes les unes que les autres aussi, parce qu'on ne survit guère longtemps à mes côtés, en règle générale. Si Tempête du Chaos peut se reposer aujourd'hui sur un petit noyau dur et coriace, ça n'a pas toujours été le cas bien au contraire. Bien souvent, Tapinois et moi même nous retrouvions à deux, à enterrer nos derniers compagnons en date. Nous avons vécu à deux des aventures dignes d'engendrer des sagas, mais qui resteront à jamais dans l'ombre de nos seules mémoires. Bien sûr, chaque mission est prétexte à chercher encore et toujours le moyen de recouvrir mon nom.
Le noyau de Tempête est composé de personnes hors du commun, chacune à leur façon. C'est ce qui leur a permis de survivre aussi longtemps. Araignée a été le premier d'entre eux à nous rejoindre. J'ai déjà raconté les circonstances. Cela dit, à ses débuts il ne se distinguait pas de tous les autres paysans désireux de fuir leur petite vie étriquée. Il se révéla à la fois extrêmement doué avec son arme de prédilection, le sabre oriental, qu'avec son éloquence. Il est capable de s'infiltrer dans tous les milieux, de se faire apprécier de tout le monde et de soutirer n'importe quelle information par la diplomatie. Il ferait un excellent meneur, car il a un charisme inné. Cependant, il est encore un peu naïf et trop sentimental.
Ciguë fut le second. Raconter notre rencontre signifierait raconter une véritable saga. Brièvement, je l'ai ramené de l'Enfer Vert des Confins orientaux. Une espèce de forêt gigantesque à l'est du Lancaster, où tout n'est qu'humidité, insectes et créatures dangereuses. Les humains font partie de cette dernière catégorie. Ils y vivent en clans soudés par des croyances animistes et païennes d'une rare cruauté. Le cannibalisme et les sacrifices humains sont monnaie courante. J'ai bien failli moi même finir sur une broche. Je n'ai dû ma survie qu'à Ciguë. La première fois qu'il m'est apparu, alors que j'étais pieds et poings liés dans une cage à attendre que le feu de mon bouillon prenne, il m'a franchement foutu les jetons. Il portait une espèce de masque rituel qui lui colorait les yeux en jaune et lui donnait une tête démoniaque. Cela dit, il m'a délivré et l'on s'est enfui à deux, avec les tribalistes à nos trousses. Il ne m'avait pas révélé son but, mais j'appris peu de temps après qu'il était muet. Nous passâmes un long moment à établir une communication, de laquelle j'appris qu'il était une sorte de médecin sorcier, quelque chose que l'on pourrait rapprocher d'un clerc ou d'un chaman, mais sans en être un vraiment. Dans sa tribu, il était le roi, mais à cause de son infirmité orale, il devait être donné en offrande à ses dieux pour recevoir en échange un nouveau roi, apte et puissant. Il m'expliqua patiemment qu'il ne voulait pas mourir, et qu'il m'aiderait dans ma mission si j'acceptais qu'il m'accompagnât. Je n'ai pas refusé, d'autant plus que ses talents se révélèrent nombreux. D'après ce que j'ai compris, ne pouvant pratiquer la magie véritable de son peuple à cause de son mutisme, il se consacra plutôt à l'étude des sciences. Sa connaissance de l'anatomie humaine est parfaite (Preuve en est l'épisode d'Ashenvâl.), de même qu'il manie l'alchimie et la botanique comme personne. Il peut vous soigner aussi bien que vous tuer, de mille et une façons.
Nous fûmes rejoint trois ans plus tard par Bière. Les circonstances qui entourent son arrivée me sont incertaines, car j'étais totalement ivre mort. Il me semble que je l'ai provoqué en duel, un soir de beuverie dans une taverne, et que le pari était : si je l'emportais, il me servait, et s'il gagnait... Je ne sais plus quelle était la contrepartie en fait. Toujours est-il que le lendemain il était devant ma porte à monter la garde. J'appris plus tard qu'il est originaire d'une tribu de montagnards aux moeurs pour le moins guerrières. C'est un véritable ours, une machine à tuer. Il manie une épée à lame large ou parfois une hache de guerre avec virtuosité. Sa force physique est monstrueuse, mais son plus gros atout réside dans le fait qu'il brasse la meilleur bière au monde. Tapinois m'a dit un jour que Bière était le brasseur de son village. Lui et Ciguë sont comme deux vieux potes, mais ne me demandez pas pourquoi car tout les oppose, hormis la taille.
Quant à Ken, le dernier en date, il a offert de se joindre spontanément à nous. Il était au courant du plan d'assassinat qu'on s'apprêtait à exécuter, et se proposa de nous aider en nous fournissant les plans du château en question et en se joignant à l'expédition. Durant la mission, on tomba sur un mercenaire d'un genre spécial, dans le sens où il avait les mêmes caractéristiques physiques que Ken. Ils s'engagèrent dans un combat à mort, et il ne fallait pas être spécialement fin pour se rendre compte qu'il s'agissait d'un règlement de compte. Depuis, il nous suit sans rien demander. Je ne sais quasiment rien de lui, mis à part qu'il a une araignée à sept pattes tatouée dans le dos, qu'il manie les armes de jet et longue distance comme personne et qu'il semble immortel.
Voilà pour ce qui est de Monarque. J'espère avoir un peu éclairé votre chandelle pour ce qui est de mon passé. Il n'est pas glorieux ni même enviable, mais je fais avec. Aussi étrange que ça peut être, je me dis parfois que ç'aurait pu être pire.
Même si je ne vois guère comment.


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A présent Sélinus me fixe de ses yeux écarquillés. Sur son visage, la stupéfaction le dispute à l'ébahissement. Le match à l'air serré. En fait, de toute l'assemblée, il a l'air d'être le plus affecté. Boeuf a l'air de s'en cogner profond, j'aurais pu être un lépreux dyslexique que ça lui aurait fait le même effet. Matthew, le dernier des officiers en dehors de Kerrighton, encore plus jeune que le susnommé, secoue la tête avec incrédulité. Les autres comprennent que je dois quand même être quelqu'un, mais ils ne savent pas trop.  Ce sont des braves, mais en tant qu'hommes du peuple, le jeu des puissants ne les intéresse pas : que ce soit le Roi Untel, le Seigneur Machin ou le Baron Bidule, leur vie ne changera pas significativement.
"Mais... Mais..." bafoue Sélinus, comme frappé d'hébétement "Tu es... Je veux dire vous... Vous êtes ****** !"
Ha! Il l'a dit, le malheureux. En lieu et place de mon nom, ne sort de sa bouche qu'un vide béant presque palpable. C'est comme si on aurait effacé d'un tableau un mot alors même qu'il était écrit. Le prince porte une main à sa bouche et écarquille les yeux encore un peu plus (Je n'aurais personnellement jamais pensé que c'eût été humainement possible.). Il semble réaliser. Mais du coup il ne sait plus quoi faire. Jusqu'alors, j'étais qui? Un petit magicien mercenaire qui se battait pour sa peau. J'étais son inférieur, à peine son compagnon d'arme. Seules les circonstances ont fait que nous nous parlons d'égal à égal, d'ami en ami, mais quelques mois plutôt, ne m'aurait-il pas traité par le mépris dû à mon rang?
Mais la donne a changé. Maintenant, je suis l'homme dont son père devait lui parler avant d'aller au lit avec de la crainte dans la voix, l'homme qui dominait lorsqu'il était jeune, l'homme dont on ne faisait que parler, l'homme qu'il admirait peut être, et dont il rêvait de devenir la copie! Il se rend compte, et peut être lui est-ce douloureux, que je lui suis supérieur, et par le rang et par la puissance. Aethor a été rasée, pillée, incendiée et saccagée, mais personne ne m'a ravi ma couronne. Je suis toujours, théoriquement, le roi d'Aethor, même si ce n'est plus qu'un titre pour faire jolie.
"Mais vous étiez mort!..." souffle-t-il (Et vous aurez remarqué son subit passage au vouvoiement.). "Ils le disaient tous! Mon père, mes oncles..."
Il secoue violement la tête comme pour chasser un cauchemar. Désolé mon gars, mais je suis bien réel. Je mets fin à sa prise de conscience :
"Si j'ai effectivement été l'homme que Lohengrin a décrit, il est sage d'en parler au passé. Aujourd'hui je suis Monarque, et je suis tel que tu me vois : un vieux mercenaire usé. Je n'ai plus ni titre, ni or, ni pouvoir, politique ou magique, ni influence ni quoi que ce soit. Je ne suis qu'un bige perdu dans la tourmente de la vie, comme vous tous. Il est inutile de s'attarder sur du détail."
Ce que je lui dis n'a pas l'air de lui faire plaisir, car son visage s'empourpre de colère, il serre les poings et semble prêt à exploser. D'ailleurs, il explose :
"Comment osez vous? Comment osez, après tout ce que vous avez fait, vivre comme si de rien n'était, et encore oser vous présenter sans honte?
-Et qu'est-ce que j'ai fait, gamin?"
J'insiste sur le gamin, car même si je ne suis plus roi, je suis encore son aîné et j'aspire à un peu de respect, bon sang! En tout cas je lui ai répondu d'une façon suffisamment glaciale pour qu'il retrouve un peu de sang-froid.
"Vous avez fui! Vous vous êtes enfui, et vous avez laissé votre royaume sans défense! Vous avez permis le massacre de tout un peuple, de plusieurs personnes braves et valeureuses!  Vous avez détruit l'ordre mondial, et après l'avoir remodelé vous l'avez laissé s'effondré sur lui même, provoquant un chaos sans précédent!
-J'ai permis le massacre de mon peuple, tu dis?" Je souris ironiquement. "J'ai fait mieux gamin : c'est moi qui l'ai assassiné, de ses mains." Je les lui montre. "Tu vois mon épée?" Je la lui désigne, froidement. "C'est elle qui a transpercé les corps de Salem Castillon, Jeod Anderly, la reine Sophia Sangredragon et Sylvie Suzelain. C'est elle qui a moissonné les âmes de mes valets, de mes courtisans, de mes souillons et de mes amis, chevaliers et magiciens. J'ai fui, dis-tu? A la bonne heure. Moi, j'ai plutôt eu le sentiment de subir chaque mort que j'ai infligé. Comment peux-tu seulement imaginer ce que j'ai ressenti? Crois-tu vraiment que je l'ai fait de bonté de coeur? Crois-tu vraiment que j'ai eu le choix?"
A présent je crie, parce qu'il m'a mis hors de moi. Je dois en imposer car il recule un peu.
"Tu parles sans savoir, gamin" je reprends d'une voix plus posée. "Je n'ai pas choisi tout ce qui est arrivé, et je détruirai quiconque prétendra le contraire.
-Mais pourquoi? Pourquoi n'avez pas reparu plutôt!
-As-tu seulement écouté ce que l'on t'a dit, ou bien es-tu trop obtus? Je ne suis plus ni roi, ni seigneur ni rien. Je suis un pantin entre les mains d'un homme. S'il le voulait, il pourrait me demander de mourir, et je mourrai dans la seconde. Le seul libre arbitre qu'il me reste, c'est celui qu'il consent à me laisser."
A voir sa mine déconfite, j'en déduis qu'il devait m'admirer en tant que héros. Après tout, à l'époque il n'avait guère plus de 10 ans. On a tous eu nos héros. Je crois que je tirerais la même tête si l'on me disait que Merlinus le Grand n'était rien d'autre qu'une marionnette sans volonté ni dignité.
"De toute façon, ça ne change rien à la situation" dis-je pour revenir à des problèmes plus concrets. "Dois-je vous rappeler que notre situation n'est guère brillante?"
Monarque, ou l'art de casser l'ambiance. Héhé. Ils tirent tous des gueules de trois pieds de long. Sélinus ne dis plus rien, il s'est plongé dans un mutisme pensif. Spektrum m'observe d'un oeil contemplatif. J'ai beau apprécier sa compagnie, cet homme reste le type le plus impénétrable que j'ai jamais rencontré. A bien y réfléchir, je ne sais rien de lui, hormis qu'il semble souffrir à chaque seconde de son existence et qu'il n'a pas étudié au Conclave. Il est parfois difficile de suivre ses propres règles. L'une des seules règle de Tempête, c'est que le passé n'importe plus à compter du moment où vous intégrez l'unité. Interroger l'un des camarades sur son passé est un manquement à cette règle. Mais des fois, j'aimerais bien qu'il me parle de lui.


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Dieux. Ca ne fait "que" une semaine depuis la dernière fois que j'ai pris la plume, mais j'ai l'impression que l'équivalent de deux fois mon existence s'est écoulé entre deux. Pardonnez mon écriture maladroite, et certainement peu lisible, mais je dois confesser que la douleur ne rend pas la chose aisée.
Maintenant c'est une certitude, je vais mourir. Je ne sais pas quel sentiment obscur me pousse à écrire encore, alors que je ferai mieux de me tordre de douleur sur le sol de ma cellule en implorant les dieux d'achever rapidement mon agonie. Si ça continue, je vais devenir fou. Encore que, peut être le suis-je déjà...
Lorsque la vie coule tranquillement, on se dit que ça passe trop lentement. Mais quand on s'apprête à embrasser les fesses du Faucheur, on se dit que ça a été trop vite. Rah, ironie, toujours elle! Mon seul regret, au final, c'est de mourir anonyme.
Foutue fierté.
Je préfère utiliser le peu de temps qu'il me reste, ainsi que mes dernières forces pour relater ce qui nous est arrivé. Je garde espoir qu'un jour un bige quelconque, vous peut être, trouvera mes carnets, et que ma mémoire sera honorée. Par pitié, qui que vous soyez, donnez ces carnets à un historien, un célèbre si possible. J'ai déjà trouvé un endroit pour les planquer, là dans cette petite niche à la base du mur. Peut être qu'il y a moyen de l'exploiter plus en profondeur pour me tirer, mais en tout honnêteté, j'ai déjà à peine la force de tenir ma plume, alors avoir recours à la magie...
Je ne sais même pas où je suis en plus. La décrépitude de mon environnement me fait penser à de vieilles geôles, mais d'où? Une ville, une tour isolée, un château à l'abandon? Tout ce que j'entends, c'est les murmures au dessus de ma tête, les susurrations de Räj'Alh dans celle-ci, et les hurlements de quelqu'un. Je ne sais pas qui c'est, mais je table sur un de mes compagnons. Enfin, un de ceux qui restent...
Matthew me regarde avec son dernier oeil. Il est tout aussi mort que son propriétaire, et juste là, à quelques centimètres de moi. Je le ferais bien bouger pour ne plus avoir à supporter l'odeur et la vue, mais au risque de me répéter, je n'ai plus de force. Son corps nu porte encore les traces des tortures qu'il a subi toute une nuit durant. Mi magiques, mi mécaniques. Un troisième bras, grêle et vert, lui sort du bide. A bien regarder, on dirait presque qu'il remue encore. Son orbite vide est déjà infesté de vermines rampantes et gluantes. Apparemment, on l'a arraché à vif. Le nerf pend encore, pitoyablement. Sa peau est striée de plaies encore sanglantes, certaines suppurant un liquide verdâtre, tandis que d'autre sont déjà cicatrisées. Quelque chose lui a arraché la moitié du visage, exposant la partie droite de sa mâchoire, de son nez et de sa pommette. Ses cheveux ont sûrement  été enflammés, à en juger par les traces de brûlures sanglantes qui ornent son crâne. Si j'avais encore quelque chose dans le ventre, j'aurais certainement vomi.
Le pire, c'est de se dire que ce qui m'attend est pire. Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça?
Et surtout, comment aurais-je pu jamais imaginer pareil scénario? Des morts sortent de leurs tombes pour venir me saluer. J'aurais pu trouver l'attention charmante, mais en toute sincérité j'aurais préféré qu'ils restent chez eux...
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: sakuranbo le jeudi 09 septembre 2010, 09:08:23
Toujours aussi plaisant à lire! Très bon chapitre ou on en apprend plus sur Lars, je l'aime bien ce gamin tiens, il est vraiment attachant  :roll:

J'adore toujours autant ta vision de Link, c'est bien de le voir sous cet angle plutôt qu'en parfait héros. Non mais quel petit frimeur ce blondinet! xD

Le Chien... Je l'aime beaucoup ce personnage aussi. Il me fait un peu mal au coeur. J'ai beaucoup aimé cette phrase qui le décrit parfaitement d'ailleurs:
Citer
Locke Sanks était mort sur les Plaines, et seule restait de lui une coquille vide et gelée, ne vivant que pour servir son maître.


Quant à la fin de ce chapitre, je l'ai trouvé adorable  :<3: J'attends la suite avec impatience, comme toujours!
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: silver le mardi 14 septembre 2010, 17:20:27
J'adore, Saria et Lars sont tellement mignons à ce genre de cachoteries. Je suis certain qu'ils n'auront pas de problèmes pour la suite de leurs vies. J'ai hâte de voir ce qu'ils pourront faire. Je pense que pour la relation de Feena et Malon, c'est déjà plus ou moins sur que je vais adorer l'ensemble de leurs romances. Je me demande quand est ce que les actions vont être particulières... j'ai hâte...

Sinon je comprends que l'on puisse pas avoir les autres récits, j'attendrais le temps qu'il faudra mais je pense que tu trouveras de quoi relancer tes anciennes intrigues.

D'ailleurs généralement, les pouvoirs magiques ou particuliers ont toujours un lien avec l'état psychologique de la personne. Je pense que tu peux te permettre de nombreuses possibilités vu la nature du pouvoir que Samyël a. Quant à Monarque, je pense que je vais de plus en plus l'apprécier. L'histoire aurait de quoi continuer vu la psychologie de Monarque. Je te souhaite une bonne continuation.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le dimanche 24 octobre 2010, 20:54:51
(Note : Les réponses aux commentaires précédents ont été perdus lors du passage à la version 7.5 du forum.)


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XIII
-Malon/Ishtar/Tarquin-



Malon ouvrit doucement les yeux, la rétine encore accrochée des dernières bribes d’un rêve aussi délicieux qu’aussitôt oublié. Elle étendit le bras, mais le drap était déjà froid. Ser Locke était déjà parti depuis longtemps, comme chaque jour. Elle songeait parfois avec honte à la peur grotesque qu’elle avait ressentie lors de leur première nuit. Cependant, il avait tenu sa promesse, et jamais il n’avait essayé de poser la main sur elle. Il se contentait de s’étendre à son côté, et de sombrer presque aussitôt dans le sommeil pour se lever avec l’aube.
Il leur arrivait parfois de discuter un peu, mais il n’était point loquace, et assez renfermé. Son nouveau statu de chevalier avait d’ailleurs fait empirer la chose. Même si elle ne le connaissait presque pas, et qu’il l’ignorait passablement la plupart du temps, elle l’appréciait. Du moins, elle appréciait son honneur et sa vertu. Des qualités, comprenait-elle, qu’il devenait de plus en plus difficile de trouver chez les hommes.
Le jour n’était pas levé depuis longtemps. Un soleil timide mais lumineux filtrait à travers les fins rideaux de soie ; malgré tout l’âtre rempli de cendre dispensait une froideur grelottante. En frissonnant, Malon s’extirpa des couvertures et entreprit d’allumer une bonne flambée. L’été était déjà hier, et les arbres se paraient de belles couleurs ocres, ors et rouges pour célébrer la venue de l’automne. Un automne qui s’annonçait froid, et qui présageait, hélas, d’un hiver plus rigoureux encore.
En tant que courtisane personnelle de Ser Sanks, ses obligations quotidiennes étaient presque nulles, étant donné que ce dernier ne lui demandait jamais rien. La jeune femme appréciait ce nouveau style de vie, qui tranchait nettement avec son service auprès de la Princesse. Elle pouvait se laisser aller à la paresse, dormir jusqu’à tard dans la matinée, se consacrer à ses passe-temps favoris sans se faire réprimander ni demander des comptes. Elle dispensait la majeure partie de son temps dans la bibliothèque, où elle avait trouvé un curieux ami et compagnon de lecture en la personne du Faiseur de Vents. Elle se rappelait assez bien leur première véritable rencontre, peu avant que le Qu’un-Œil ne la mette au service du Chien. Elle se souvenait de son angoisse face aux yeux clos et au sourire éternel, mais c’était bagatelle que tout cela, idioties puériles. Fado était un personnage aussi charmant qu’étrange, jamais désagréable, attentif, patient, aimant partager son savoir. Il avait cependant quelques bizarreries d’attitude, comme cette manie de répéter souvent les mots comme s’il se parlait à lui-même, ou de sembler écouter quelque chose audible de lui seul.
Leur amitié marchait sur le schéma d’un marché, aurait pu-t-on dire. Lui choisissait l’ouvrage et répondait avec gentillesse à ses questions, et elle lisait pour eux deux. Malon n’arrivait pas à déterminer si oui ou non le mage était aveugle. Tantôt il semblait tout voir, tantôt il se cognait contre les coins. Plus d’une fois elle l’avait surpris devant un livre ouvert, et rien ne trahissait sa cécité dans ces cas là que ses yeux fermés. Parfois, le jeune Lars Zora les rejoignait, non point pour lire mais pour demander aux Faiseurs de Vents des précisions sur tel sujet. La courtisane s’étonnait d’ailleurs souvent des connaissances et de la vivacité d’esprit du jeune garçon, qu’elle croisait de plus en plus souvent, eu égard à sa condition d’écuyer de Sanks.
Malon frissonna et enserra sa poitrine de ses bras pour essayer de se réchauffer un peu. Elle fit mander un serviteur pour son déjeuner et un baquet d’eau chaude. Pendant que deux servantes remplissait l’imposante cuve en bronze de la salle d’eau avec des seaux fumants, elle dévora le pain et les confitures. Une fois restaurée, elle fit glisser sa robe de chambre et se plongea avec délice dans l’eau bouillante. La vapeur faisait comme un brouillard spiralée dans la petite pièce, et elle s’amusa à la contempler, ses muscles se décontractant et sa chevelure se répandant autour d’elle à mesure qu’elle s’humidifiait. Les bains était de loin ce que l’anoblissement de Père avait amené de mieux dans la vie de Malon. Elle se demandait à chaque fois comment elle avait pu s’en passer avant. Il n’y avait rien de plus merveilleux que la sensation de se sentir propre et fraîche. Elle pouvait rester ainsi pendant des heures, jusqu’à ce que l’eau devenue glaciale ne la force à mettre un terme à ses ablutions.
Elle poussa un soupir de satisfaction et ferma les yeux. Elle les rouvrit cependant presque aussitôt en entendant la porte de la chambre s’ouvrir. Elle tourna vivement la tête, mais la vapeur empêchait de voir quoi que ce soit. La clé tourna dans la serrure en émettant un petit clic plaintif. Malon percevait des bruits de pas feutrés, dans la pièce d’à côté.
-Il y a quelqu’un?, cria-t-elle.
Elle songea à quelque servante venant remplir son office, mais la voix qui lui répondit était tout autre.
-Ce n’est que moi, ne t’en fais pas.
La silhouette souple et gracieuse de Feena Hurlebataille apparut dans le nuage de vapeur, son sourire tranquille encadré par ses magnifiques cheveux roux bouclés. A sa simple vue, le cœur de Malon s’accéléra , et elle tenta de cacher sa nudité en s’enfonçant d’avantage dans la cuve, et en plaçant un bras devant ses petits seins. La guerrière dut remarquer son manège car son sourire s’élargit. Elle était splendide. Elle avait troqué son éternelle armure de cuir pour une tunique lâche à manches larges en satin noir maintenue à la taille par une fine ceinture de cuir à boucle d’argent dans laquelle était glissée un poignard qui n’avait rien de décoratif. Ses chausses matelassées avaient quant à elles laissé leur place à une paire de bas en laine noire qui laissaient entrevoir un peu la peau du haut des cuisses. Des bottes souples et neuves en daim achevaient sa parure. Elle avait également mis de côté le bandeau noir qui d’ordinaire lui serrait les cheveux, si bien que ses boucles de feu cascadaient atour de son visage et sur ses épaules avec volupté. Ainsi accoutrée, elle était bien plus féminine qu’auparavant, et pourtant la force féline qui la caractérisait ne l’avait en rien quittée. Au contraire, le noir assombrissait ses traits et faisait ressortir plus intensément le vert pétillant et farouche de ses yeux.
Par les Trois, qu’est-ce qu’elle est belle!
-Madame? Vous ici je… heu…, balbutia Malon.
Elle fut heureuse que la chaleur de la salle d’eau dissimulât le rouge qui lui montait aux joues.
-Cela fait un moment que je ne t’ai pas vue, et ce n’est pourtant pas faute de t’avoir cherchée…
-Madame me cherchait?
-Oui. D’ailleurs, j’en suis presque venue à penser que tu m’évitais. Mais ce n’est pas le cas, n’est-ce pas?
Les prunelles émeraudes flamboyaient littéralement. Mais Malon ne parvenait pas à savoir si c’était de colère, d’amusement, de désir ou de quoique ce fut d’autre. Elle se recroquevilla un peu plus sur elle-même. Elle avait effectivement fait de son mieux pour éviter la guerrière, depuis la lordification de Link, depuis ce jour où elles s’étaient… embrassées. Rien qu’à cette pensée Malon éprouvait une brûlante sensation dans le creux de son ventre. Elle sentait encore sur ses lèvres le contact doux de celles de dame Feena, sa main posée sur sa cuisse qui…
Malon frissonna et chassa ces idées outrageuses de son esprit.
-Bien sûr que non! Je… je suis certaine que ce n’est là que l’œuvre d’un hasard bien malicieux.
-Je vois. Peut-être voudrais-tu que je te frotte le dos?
La question n’en était pas une car à peine avait-elle finie sa phrase que Feena s’avançait vers la cuve. Elle la contourna et vint s’agenouiller derrière Malon.
-Madame est trop bonne, fit la jeune femme.
Ses épaules se contractèrent et elle tressaillit malgré elle quand un doigt plein de volupté entreprit de suivre le tracé de ses omoplates.
-Tu m’as l’air bien tendue.
-Madame, c’est juste que…
-Chuuut… Laisse-toi aller.
Les longues minutes qui suivirent furent parmi les plus formidables de toute son existence. Les mains fortes et habiles de la guerrière eurent tôt fait de détendre ses épaules et sa nuque par des massages merveilleux qui lui arrachèrent des soupirs de bien-être. Feena entreprit ensuite de laver et démêlé la longue chevelure de Malon. Celle-ci était gênée de laisser une dame de son rang s’occuper de ses cheveux comme la première des courtisanes, mais dame Hurlebataille avait cette manière exquise de lui palper le crâne en la savonnant et en la rinçant qui foudroya instantanément toutes ses protestations. Elle se laissa bichonner, fermant les yeux et s’imprégnant de la bonne odeur du savon, et du parfum doux mais piquant de la guerrière.
-Il vaudrait mieux sortir à présent, murmura Feena à son oreille.
Malon sursauta légèrement, réalisant qu’elle s’était assoupie.
-Rester dans l’eau trop longtemps est mauvais pour tes cheveux et ta peau.
-Je… Oui, vous avez raison.
Feena écarta les bras en tendant une serviette, et Malon vint s’y blottir. La guerrière la sécha avec des gestes énergiques et amples. Le cœur de la jeune femme se mit à battre un peu plus vite. Elle avait une conscience aiguë de la proximité immédiate de sa compagne, son odeur, son corps contre le sien… Elle n’avait jamais rien connu de tel, et cela l’effraya. C’est pourquoi lorsque dame Hurlebataille lui saisit le menton entre deux doigts et lui releva lentement le visage pour l’embrasser, elle se recula précipitamment.
-Non!
Le dos tourné à la guerrière, le souffle court, elle attendit, n’osant se retourner.
-Pardonne moi, je ne voulais pas te brusquer. J’avais cru que…
Malon entendit ses pas s’éloigner, pour finalement quitter la chambre. De dépit, le cœur en proie à des affres inconnues, la jeune femme s’effondra sur le sol de la salle d’eau et ne put retenir quelques larmes.

***

Ishtar Parel avait perdu la maîtrise de ses jambes, et elle sentait celle de ses bras lui échapper de plus en plus. Trop débile pour se mouvoir seule, maître Baelon l’avait contrainte, pour son bien, à garder le lit jusqu’à ce qu’elle se rétablisse, mais la reine savait que rien ne pouvait plus la sauver ; rien hormis un crime trop ignoble pour être commis.
Sa chambre avait tout d’un tombeau à présent. Pour se préparer au long voyage qui ne tarderait plus à débuter, elle avait exigé qu’on retirât les tableaux, les tentures, les riches tapis et les fleurs. Les murs nus lui renvoyaient l’image des parois d’une crypte, et elle y puisait étrangement un certain réconfort. Elle avait également demandé à ce que les deux grandes fenêtres restassent perpétuellement ouvertes, même la nuit, et fit déplacer son lit afin de pouvoir contempler la Cité et les Plaines au-delà. Hyrule n’avait jamais été son foyer. Elle se souvenait avec tendresse des paysages familiers d’Holodrum, les rues tantôt cuisantes, tantôt enneigées d’Horon, les jeux avec sa sœur et leurs cousins… Cependant elle trouvait une certaine noblesse au panorama gigantesque d’Hyrule, sous le soleil levant ou à l’ombre du crépuscule. Cela avait un effet apaisant sur son vieux cœur malade.
Malgré les fenêtres, et les multiples bougies qu’elle avait fait allumées un peu partout, il y avait toujours un coin d’ombre qui s’obstinait à rester, même sous le soleil de midi. Un coin de noirceur brute, un petit morceau de ténèbres ouvrant sur des abysses de cruauté et de malignité. Exelo l’avait prévenue : la prochaine fois qu’il passerait cette arche maudite, ce serait pour lui administrer la mort. Alors elle guettait inlassablement, se fatiguant les yeux à loucher sur le noir insondable. Mais le vieux mage sadique s’obstinait à allonger son tourment. Ishtar s’était résignée à son sort. Elle l’avait accepté, et maintenant désirait en finir le plus vite possible. Ayant toujours été une femme forte, cette passivité subie la mettait en rage. Devoir appeler une femme de chambre pour répondre aux besoins de la nature était pour elle de la dernière humiliation.
Quelqu’un frappa à sa porte. S’arrachant de ses songeries, la reine se redressa un peu sur ses vastes coussins de soie.
-Entrez!
Le battant s’ouvrit sans un bruit, et son visiteur la referma avec le plus grand soin. Sur le balcon face à elle, un épervier vint se percher sur la balustrade. Il sembla l’observer un instant, puis se mit à lisser les plumes de ses ailes avec son bec. Il était magnifique. Son buste blanc tacheté d’ocre chatoyait sous la lumière dorée du soleil, qui faisait scintiller ses yeux bleus perçants. Ishtar se souvenait des longues parties de chasse qu’elle avait pratiquées dans sa jeunesse, avec son épervier personnel. Elle se remémorait les heures qu’elle pouvait passer à lui caresser tendrement le plumage en lui donnant à manger…
Le visiteur se racla doucement la gorge, pour se rappeler à son souvenir.
-Ma reine, vous m’avez fait demander?
-Oui, approchez. Prenez un siège, je vous en prie.
Ser Sanks s’exécuta, et ses bottes ferrées tintèrent sur le sol nu. Ishtar tourna la tête pour observer le fameux chevalier. Ses traits pincés trahissaient assez son mal-être. Quand la reine le regarda dans les yeux, il détourna presque aussitôt le regard. Ishtar s’attarda un moment indécent sur ses vilaines balafres et sa main broyée, et essaya de se le représenter sans. Sa figure carrée, son nez droit, sa bouche ferme et ses cheveux de jais auraient pu lui valoir quelque succès auprès des dames, jugea-t-elle.
-Je ne vais pas y aller par quatre chemins, ser. Je suis certaine que votre temps est précieux, tandis que le mien est compté.
Le ton brusque de l’assertion prit le Chien de court.
-Je.. Ma reine enfin, je veux dire, non, je vous assure que…
-Suffit.
Sur le balcon, l’épervier s’ébroua, poussa un petit piaillement et reprit son envol.
-Je serai bientôt morte, ce n’est plus qu’une question de jours. Je ne vous connais pas, si je mets de côté toutes les folles rumeurs qui courent sur vous. Cependant Tarquin m’affirme que vous êtes quelqu’un en qui on peut avoir confiance, et surtout, que vous savez-vous servir de votre lame.
-Ma reine me flatte mais…
-Allons! Cessez ces ronds de jambe. Je vous l’ai dit, mon temps est compté, je n’en ai pas à perdre avec de l’humilité mal placée.
Ser Sanks baissa les yeux, gêné.
-Ne faites donc pas cette tête, sans vouloir vous offenser. Je pensais que vous aviez côtoyé la mort suffisamment pour ne pas vous effaroucher d’une vieille femme grabataire.
-On peut avoir côtoyé la mort pendant longtemps, ma reine, ce n’est pas pour autant qu’on en vient à l’accepter, ou à la chérir.
Le ton froid du Chien irrita la reine. Ils s’observèrent un moment sans rien dire. Comme c’est curieux. Il y a plus de sagesse dans cette monstruosité de figure là que dans toutes les vantardises bouffonnes des seigneurs de mon époux.
-Vous vous oubliez, ser, répondit-elle cependant.
-Pardonnez moi. Je ne voulais pas être insolent.
-Allons, bon. C’est oublié. Si je vous ai appelé c’est pour vous formuler une requête solennelle.
-Ce sera un honneur pour moi de vous servir, ma reine.
-Je veux que vous deveniez le bouclier lige de mon fils.
Le visage du chevalier sembla se décomposer. Ishtar s’en amusa. Les paroles précédentes du Chien l’avaient plus ou moins engagé à accepter, mais cela allait à l’encontre de ses autres serments. Un chien ne peut avoir qu’une seule laisse autour du cou. Ses conflits intérieurs allaient le tarauder un moment, mais Tarquin l’avait assurée que son honneur l’empêcherait de refuser, quitte à ce que cela lui fisse trahir ses autres engagements. Pour un peu, elle en aurait souri.
Pourtant ses traits à elle se décomposèrent à leur tour lorsque ser Sanks tomba à genoux devant elle, et baissant la tête comme en attente d’un juste châtiment, déclara d’une voix ferme :
-Que ma reine me pardonne, mais c’est là l’unique requête que je ne pourrais jamais accomplir. Mes serments m’engagent auprès de mon maître.
Le laïus de cet idiot la laissa sans voix.
-Et que faites vous du serment que vous avez prêté à votre Roi?
-Ma reine me pardonne, mais ce serment ne m’engage nullement vis-à-vis du prince Nohansen. Conformément à la Loi des Trois, mon maître deviendra roi à sa place. Seuls le roi votre époux ou mon maître pourraient me lier à votre fils dans cette manière que vous me proposez. J’en suis au regret, ma reine.
La lippe inférieure d’Ishtar se mit à trembler -de rage, d’effroi.
-Mon fils est en danger. Vous n’avez aucune idée de ce qui rôde autour de lui, des menaces auxquelles il est contraint de faire face malgré son jeune âge. Et vous voudriez le laisser seul et sans défense?
-Ma reine me pardonne. Je ne doute pas qu’un autre preux n’hésiterait à…
-Sortez, ser. Sortez.
-Ma reine, je…
-Ne m’obligez pas à me répéter, ser.
Penaud, Locke Sanks se releva, s’inclina avec respect puis sortit. Elle entendit le son de ses bottes un long moment, puis le silence revint s’abattre sur son tombeau. Une larme silencieuse roula sur sa joue. Elle n’osait songer à ce que ces rapaces du Consortium feraient à son fils, une fois qu’elle ne serait plus là pour veiller sur lui. Son pauvre petit Nohansen, si plein de vie, d’énergie, d’amour. Si plein d’innocence, de bonté.
La nuit tomba, puis le jour se leva. Ses forces la quittaient de plus en plus. Elle ne mangeait presque plus, buvait peu. Maître Baelon prenait son pouls avec de plus en plus de peine. Et pourtant, le coin d’ombre restait là, immobile, imperturbable. L’esprit malade d’Ishtar trouva amusant qu’après avoir tant et tant redouté les apparitions du vieux vautour magicien, elle en était venue à désirer ardemment sa venue.
Les vents d’automne amenaient sur ses balcons des feuilles jaunes, ocres et rouges, qui tourbillonnaient joliment dans les airs avant de s’envoler vers d’autres horizons. La plaine dans le lointain se parait aussi de couleurs plus chaudes. Les fermiers amassaient les récoltes et les stockaient en prévision de l’hiver. La bise s’intensifiait et, la nuit, le froid s’infiltrait dans les os desséchés de la reine qui endurait sans mot dire.
-Le temps est décalé, murmura-t-elle un soir. Voici l’automne qui vient, quand c’est l’hiver de ma vie qui frappe à la porte.
Plus personne ne venait visiter la reine. Ni son époux, ni ses enfants, ni ses amies et dames de compagnie. Parfois elle appelait des noms qui lui passaient par l’esprit, mais personne ne lui répondait, si ce n’était le vent. Locke Sanks vint bien une fois, mais elle le congédia sans même le voir, et il ne reparut plus. Le froid devenait de plus en plus rude au fil des jours. Mais lorsque ses servantes firent mine de fermer les fenêtres, elle les congédia rudement.
A présent elle ne pouvait même plus bouger le cou. Son corps n’était plus qu’une extension inerte de sa tête. Un morceau de chair glacée et boursouflée. Mais toujours l’ombre dans le coin restait stoïque. Elle n’avait déjà presque plus la force de parler.
Un soir, elle se réveilla. Quelqu’un était assis dans le fauteuil près d’elle, mais elle ne pouvait le voir.
-Exelo?, appela-t-elle d’une toute petite voix.
-Non, ma reine. C’est moi, Tarquin.
-Tarquin… Tarquin, menez moi sur le balcon. Je veux… Je veux…
Ses paroles s’éteignirent dans sa bouche. Elle ne savait plus ce qu’elle voulait. Mais plein de sollicitude, le maître du Sheikah déplaça son fauteuil jusqu’au balcon, puis revint auprès du lit. Il prit Ishtar dans ses bras avec la plus grande des précautions, puis la souleva comme si elle n’eût rien pesé. Quand il l’installa, ses yeux furent assaillis par l’ombre gigantesque du Bourg, là en contrebas, auréolée de centaines de petites chandelles. On distinguait bien le Temple, illuminé de milles feux. L’air frais lui piqua les joues, mais lui fit du bien. Elle ferma les paupières un instant. Le bruit sourd d’une liesse lui parvint alors. Rouvrant les yeux, elle comprit que les lueurs dans la nuit étaient celles de torches, de luminaires, et qu’une fête battait son plein dans la Cité.
-Tarquin… Que fêtent-ils? Ma mort?
-Non ma reine. Ils fêtent les épousailles de votre fille.
-Ma fille s’est mariée? A qui?
-Au seigneur Link, ma reine.
-Personne n’est venu me chercher, s’insurgea-t-elle d’une voix à peine plus haute qu’un murmure.
-Maître Baelon a déclaré que vous n’étiez pas en état d’assister à la cérémonie.
Zelda, mariée. Cette idée lui plut. Sa fille avait toujours désiré être mariée à un beau chevalier, un preux héros blanc auréolé de gloire et de prospérité. Voilà qui était chose faite.
-Comment était-elle?
-Splendide, ma reine. Votre portrait craché.
-Racontez moi.
-Elle portait une robe du plus bel effet, dans un écarlate qui n’était sans rappeler les couleurs de la maison d’Hyrule. Sa coiffure était élégante et sophistiquée, la même que vous arboriez le jour de vos propres fiançailles. Ses oreilles et ses doigts étaient ornés de bagues et de boucles en jade, en hommage à son époux.
-La cérémonie?
-Grandiose, ma reine. Beaucoup prétendent que ce fut là la plus exquise que l’on eut vue depuis bien longtemps.
-Je suis contente. Zelda a toujours désiré un beau mariage.
-Je pense qu’elle a été comblée, majesté.
-Pourquoi êtes-vous ici, Tarquin?
-C’est le devoir des Sheikah de veiller sur la Famille Royale. Ma place est ici.
-Oui.
Ishtar savait qu’elle attendait quelqu’un, mais elle ne savait plus qui.
-Mon visiteur est-il venu, Tarquin?
-Ma reine attendait un invité?
-Je crois.
-Alors il n’est pas venu. Je suis ici depuis trois jours.
-Ce n’est pas grave. Dites, Tarquin.
-Ma reine?
-Veillerez-vous sur mes enfants? Sur mon fils, surtout. Il est si gentil, et si fragile.
-Comme sur la prunelle de mon dernier œil, ma reine.
-Bien. Bien…
Ses yeux fatigués naviguèrent sur l’horizon, tandis que sa vision commençait à se brouiller en un amalgame de taches colorées sur fond de ténèbres. Lorsqu’elle aperçut un certain bâtiment, quelque chose lui revint en mémoire.
-Tarquin!… Le Consortium…
Mais ses mots moururent dans sa bouche, tout comme son souffle s’épuisa. Bientôt ses yeux se fermèrent, ses pensées dérivèrent vers les nuées, et son cœurs s’arrêta.
-Je sais, ma reine. Je sais… murmura Tarquin en posant une main affectueuse sur son épaule menue et froide.


***

Trois jours s’étaient écoulés depuis l’union de Lord Link avec la princesse Zelda. Tarquin n’avait pas assisté à la cérémonie. Son devoir l’avait appelé auprès de sa reine pour ses derniers instants. Fidèle à ses serments, le vieux Sheikah l’avait regardée s’éteindre, puis veillé à ce que sa dépouille soit mise en sûreté, et apprêtée pour ses obsèques. Nul n’assistait aux funérailles des défunts royaux. Cette tâche était l’apanage des seuls Sheikah. Les rois, les reines, les princes et les princesses décédés étaient envoyés sous bonne escorte jusqu’à un lieu secret, la Vallée des Rois, où les Sheikah veillaient sur la dernière demeure de leurs maîtres.
Il était un autre devoir qui incombait aux Sheikah.
Durant le festin qu’organisa le roi pour ses invités le lendemain, Tarquin fit irruption, habillé de ses plus beaux atours. Il frappa trois fois dans un tambour de peau peint à l’effigie de la triforce. Toutes les têtes se tournèrent vers lui, des faces curieuses, soucieuses, irritées. Tarquin attendit que le silence se fit, puis mettant un genou en terre à la manière des chevaliers prêtant serment, il déclara de sa voix la plus forte.
-La reine est morte! Longue vie à la reine!
Il y eut une seconde de flottement stupéfait dans la salle, puis l’ensemble des convives se levèrent, renversant les tables dans leur précipitation.
-Longue vie à la reine! Crièrent-t-ils, une main sur le cœur.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: silver le dimanche 24 octobre 2010, 23:05:17
On a tenu jusqu'au bout de mon côté... j'adore ! Monarque est toujours aussi entraînant, épique en son domaine et Le Triangle de Pouvoir m'intrigue de plus en plus.

Locke, est vraiment le plus soumis des chevaliers que j'ai pu voir les aventures. Je ne suis pas réellement surpris de ce qu'il prétexte mais je me demande où est ce qu'on va avec lui vu que pour le moment, je trouve que ça reste classique.

"I wonder what did happen at Kapoera..." excusez ma tendance à mettre l'anglais mais il me manque et pas qu'un peu... pauvre hibou... j'espère qu'il est encore vivant...

Sinon bonne continuation, j'observe le moindre événement de la section.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: sakuranbo le dimanche 24 octobre 2010, 23:06:32
Merci GMS d'avoir réalisé ma requête!!! hihi! Je suis vraiment contente d'avoir pu lire un nouveau chapitre de ta fiction que j'adore! Je suis en émerveillement en lisant ces lignes, c'était un très beau chapitre, très poétique d'ailleurs, surtout concernant la partie d'Ishtar^^

Je me demande comment la relation va évoluer entre Malon et Feena tiens... On voit bien que Malon tente de résister, mais va t-elle y parvenir?..

Encore bravo GMS, et vivement la suite, comme d'habitude!!!
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le samedi 30 octobre 2010, 00:40:54
Silver ==> On m'annonce que des nouvelles de Kaepora devraient arriver sous peu :p Merci en tout cas pour ton commentaire!J'espère que la fin de Monarque te satisfera! :)

Saku ==> Merci pour ce commentaire élogieux, et encore merci de m'avoir redonné un bon coup de fouet ;) Ca m'a littéralement débloqué!

Sur ce, voici le chapitre XIV de Triangle de pouvoir.

De plus, ne ratez pas la conclusion de Monarque - Les Carnets du Mercenaire, à la suite!

Bonne lecture, et à la prochaine!



__________________________

[align=center]XIV
-Linebeck-[/align]



   Les eaux sombres se refermèrent sur Linebeck comme le couvercle d’un cercueil. Le bruit de son plongeon, ainsi que la clameur de ses hommes, là-haut sur le pont, lui parvint, comme assourdi. Le liquide salé ne tarda guère à envahir ses narines, ses poumons, sa bouche tandis qu’il essayait de hurler. Linebeck n’avait jamais appris à nager.
   Tu n’as rien à craindre, je suis là. Je te protège.
   La voix dans sa tête s’était faite de plus en plus présente ces derniers temps. Elle lui parlait presque quotidiennement, lui prodiguant des conseils, lui dévoilant des secrets sur les hommes de son équipage, lui racontant des choses qui n’auraient jamais du être racontées. Ses migraines avaient commencé à cette époque là aussi, à peu près. Il ne se souvenait plus avoir eu un seul jour sans que son crâne lui donnât l’impression d’imploser. Cela l’avait forcé à garder le lit plus souvent, à déléguer ses ordres à Tael.
   C’était sûrement cela qui avait provoqué cette mutinerie. Oui, cela et l’accumulation malheureuse de hasards inopportuns, comme cette tempête terrible qui avait mis à mal la voilure et percé la coque du Lion Rouge, ou bien cette attaque nocturne mortelle des hommes-poissons vivant dans les mers du Tokay, bien au sud des côtes de Labrynna. Les hommes avaient commencé à jaser à propos d’une malédiction frappant le navire. Une malédiction dont son précieux masque serait la cause. Linebeck avait bien essayé de leur faire comprendre qu’un bête masque, aussi magnifique fusse-t-il, ne pouvait en aucun cas provoquer de malédiction, mais en vain. Aussi lorsqu’ils se mirent martel en tête de jeter la marchandise par-dessus bord, le capitaine n’eut pas d’autre choix que la défendre sabre au poing. Cependant, rapidement submergé par le nombre, il fut maîtrisé et jeté par-dessus le bastingage avec son objet.
   A présent il coulait à pique dans les profondeurs. Déjà la surface miroitant sous les rayons du soleil s’assombrissait, et l’ombre du navire commençait à se confondre avec les eaux enténébrées. Le voyage du Lion Rouge touchait presque à son terme, mais on était encore à plus de deux jours de Mercantîle et des côtes Hyruliennes. Même si Linebeck avait été capable de nager, il n’était pas certain d’avoir eu la force nécessaire pour les rejoindre.
   N’aie pas peur. Je vais te protéger. Dors à présent.
   Linebeck avait trop mal, à la tête, à la poitrine, et trop froid pour pouvoir encore réfléchir de façon lucide. L’air commençait à cruellement manquer ; il obtempéra.
   Le capitaine reprit conscience alors que les côtes à l’horizon n’étaient encore qu’une mince bande de ténèbres dans la nuit noire. Les étoiles scintillaient au dessus de lui dans le ciel nocturne et dégagé. La mer tout autour était d’huile. Linebeck palpa fébrilement ses vêtements et soupira d’aise lorsque ses doigts rencontrèrent le bois mouillé du masque. Il sombra à nouveau dans le sommeil, sans s’inquiéter outre mesure de la chose qui le transportait sur son dos.
   Lorsqu’il rouvrit les yeux la seconde fois, il fut agressé par la vive lueur du soleil et les cris sonores de la multitude de mouettes nichant dans les falaises de l‘embouchure. La migraine était insupportable. Il mit un long moment à comprendre qu’il dérivait sur le dos. L’eau clapotait gaiement à ses oreilles et contre ses tempes, et le courant léger le faisait tournoyer sur lui-même . La couleur rouge des roches caractérisait la région des Hauts-Plateaux Gerudo, et cette embouchure devait être l’embouchure de la Ouest Hylia. Linebeck fut surpris d’avoir autant dérivé, mais s’endormit à nouveau.
   Il eut par la suite quelques flash semi-conscients qu’il imputa à des rêves. Des rêves dans lesquelles il massacrait une pauvre famille de pêcheur pour voler de la nourriture, des rêves dans lesquels il appelait de sombres créatures marines pour voyager sur leur dos, des rêves où il violait des jeunes filles en criant le nom de Taya.
   Sa première pensée consciente fut que quelqu’un le hissait dans une barque. Il entendait l’inconnu grogner sous l’effort, et quelques instants plus tard il s’effondrait sous le banc de nage. Sa vision trouble ne lui permit pas de distinguer les traits de son mystérieux sauveur. Ce dernier lui parlait mais il ne comprenait pas. Les paroles semblaient diffuses, atones, venues d’ailleurs. On l’enroula dans une couverture, et ce fut à ce moment là qu’il réalisa qu’il était transi de froid. Petit à petit, le monde reprit des formes strictes et des couleurs. Il était allongé dans une barque de bonnes dimensions, entouré par cinq hommes. Quatre d’entre eux portaient de la maille et des épées, et arboraient un tabard bleu frappé d’un emblème que Linebeck ne connaissait pas. Le cinquième homme l’observait, assis à la poupe de l’embarcation et emmitouflé dans une bonne cape de fourrure. Son visage élégant aux traits aristocratiques était jeune mais ses yeux et sa physionomie renvoyaient une certaine sagesse, une certaine expérience de la vie. Ses cheveux raides avaient une curieuse couleur bleutée et ses iris semblaient trop azurés.
   Deux des hommes d’armes manœuvraient péniblement de lourds avirons en ahanant tandis que les deux autres gardaient un œil attentif sur les alentours. Linebeck tenta de se redresser pour examiner l’endroit. Sa tête le faisait encore souffrir mille morts et de l’eau glacée ruisselait sur son visage et le long de son échine.
   -Allez-y doucement, mon gars, conseilla le type à la cape. Je ne sais pas depuis combien de temps vous barbotiez là dedans, mais à vous voir ça devait faire un bout. Laissez la chaleur revenir petit à petit, ne forcez pas.
   -Où suis-je?, s’inquiéta l’ex-capitaine avec une voix poussive.
   -Sur le lac Hylia. Nous approchons de Château-L’Hylia. Vous souvenez vous de votre nom?
   L’intéressé dut fermer les yeux et se concentrer un moment pour faire remonter l’information.
   -Linebeck. Je suis… J’étais capitaine de navire.
   -Enchanté. Je suis ser Mikau Zora, capitaine de la garde et régent de Château-L’Hylia en l’absence de dame ma sœur.
   Autour de la barque, on ne discernait qu’une immense étendue d’eau noire dont rien ne venait perturber l’onde quiète, si bien qu’on aurait juré naviguer sur un miroir. Une brume épaisse dansait sur le lac, permettant à peine de distinguer l’ébauche de la silhouette du château, niché sur une île au cœur du lac. Un silence de mort planait sur la région.
   -Vous avez eu de la chance, reprit le chevalier. Avec cette fichue brume, nous aurions pu vous manquer. Que vous est-il arrivé? Vous disiez être capitaine de navire.
   -Je…
   Linebeck faillit parler de la mutinerie, mais quelque chose en lui souffla que c’était peut-être une mauvaise idée. Trouver un mensonge crédible en quelques secondes lui fut un supplice, avec cette migraine qui ne voulait pas le quitter.
   -Nous avions fait escale dans un petit village en aval du fleuve. Je… Je suis allé dans une maison de passe et… Je ne me souviens plus trop après. Je crois qu’on m’a assommé et détroussé.
   Cette explication parut satisfaire ser Mikau qui hocha la tête.
   -Cela ne m’étonne guère. Depuis quelques semaines les actes de banditisme se font de plus en plus nombreux, et nous avons à déplorer l’apparition de bandes armées qui se vantent de pouvoir faire appliquer leur propre loi au mépris de celles de la Couronne. Une fois que nous serons à terre j’enverrai un messager quérir votre navire et mander à votre équipage de rallier le château pour que vous puissiez reprendre votre route.
   -Non, non!, s’empressa de répondre Linebeck, un peu trop vite.
   -Pourquoi cela? S’étonna le chevalier.
   -Je…
   Ne me voyant pas revenir, mon équipage a déjà du repartir vers l’embouchure du fleuve. Ce serait une perte de temps.
   -… Ne me voyant pas revenir, mon équipage a déjà du repartir vers l’embouchure du fleuve. Ce serait une perte de temps.
   -Je vois… Dans ce cas, daignez séjourner quelques temps chez nous. Je manderai à Maître Evan de vous ausculter, messire…?
   -Linebeck. Vous êtes fort généreux, monseigneur.
   -Vous avez du voir beaucoup du pays, si vous naviguez d’ordinaire le long de la Ouest Hylia. Vous pourrez sans nul doute nous divertir de quelques anecdotes.
   Ce disant, ser Mikau cessa de s’intéresser à son invité pour se focaliser sur la masse du château qui se faisait de plus en plus précise. Le contrebandier en profita pour palper discrètement ses vêtements à travers la couverture, et fut heureux et soulagé de constater que son masque n’avait pas disparu -par quel miracle, cependant! Maintenant qu’il avait l’esprit assez clair pour penser quelque peu, Linebeck constata qu’il avait plus que dérivé. Château-L’Hylia était situé à l’extrême opposé de Mercantîle, à des centaines et des centaines de lieux de l’endroit où son équipage l’avait jeté à la mer. Des jours, non, des semaines avaient du s’écouler entre temps. De plus, la seule trajectoire directe pour rejoindre le lac Hylia depuis la côte sud demandait de remonter l’intégralité de la Ouest Hylia depuis son embouchure, soit de naviguer à contre courant sur des milles et des milles. Comment avait-il pu survivre et entreprendre, malgré lui, cet invraisemblable voyage? Il ne souffrait ni de la faim ni de la soif, et ses muscles étaient raidis à cause du froid, et non pas de la fatigue due à l’effort.
   Linebeck frissonna, et ce n’était à cause de la température. Il y avait de la magie là-dessous, ou il ne s’y connaissait pas! Mais pourquoi le sauver, et l’amener ici? Et surtout qui aurait pu faire cela? Ses soupçons se tournèrent assez vite vers ces diables du Consortium Aedeptus. Peut-être avaient-il voulu s’assurer que leur bien serait acheminé à bon port, quoiqu’il arrivât, et jeté sur le contrebandier un sort dans cet optique. Si ser Mikau ne l’avait pas repêché par hasard, aurait-il continué à dériver jusqu’au Bourg d’Hyrule?
   Château-L’Hylia avait été la première place forte bâtie par les Hommes durant leur guerre d’invasion contre les Hyliens plusieurs siècles auparavant. Erigé sur une falaise à pic, il se caractérisait par son aspect massif et menaçant. Ses épaisses murailles crénelées ceignaient un imposant donjon s’élevant une dizaine de mètres plus haut que les quatre tours carrées percées de meurtrières qui ornaient chaque coin de l’édifice. Un braséro gigantesque brûlait la majeur parti du temps au sommet du donjon pour guider les navires à travers la brume. L’autre versant de l’île présentait une pente moyenne verdoyante difficile à prendre d’assaut où s’étendaient des champs, des pâturages et de menus manoirs. Le port s’était étendu sur toute la côte abordable et de nombreux navires étaient au mouillage, embarquant ou débarquant des marchandises avant de repartir soit vers le Bourg et les villages à l’est, soit vers la mer et Mercantîle, au sud. Le brouillard donnait à l’ensemble un aspect sinistre et lugubre, que venait renforcer le gel scintillant entre les gros moellons du mur d’enceinte.
   Linebeck savait que la région souffrait toujours d’automnes froids et d’hivers glaciaux. A l’été, les glaciers des montagnes au nord fondaient et les torrents d’eau gelée se déversaient dans le lac, abaissant considérablement sa température d’ordinaire peu élevée du fait de son immensité. Ces fontes étaient rapidement suivies de vents froids et de brumes glacées. Ces conditions de vie difficiles n’avaient jamais rebuté les membres de la famille Zora, qui administraient le lac et ses dépendances le long des confluents de l’Hylia avec une main de fer depuis de nombreuses générations. Bien qu’isolé du reste du royaume, Château-L’Hylia avait toujours connu l’opulence grâce à sa politique efficace de commerce et les nombreux privilèges accordés par la Couronne.      
   -Je sais que notre demeure ne paye pas de mine, vue comme cela, mais on s’y trouve au chaud et avec tout le confort du monde, commenta ser Mikau, le regard rivé vers la forteresse.
   Ils débarquèrent à l’ombre d’une imposante galère de guerre à la proue sculptée en forme de dragon marin. Une escorte de dix hommes d’armes arborant tous les couleurs Zora les attendaient sur les quais et leur fournit des chevaux. Linebeck dut monter de conserve avec un garde. L’ascension dura une bonne heure, et plus l’on s’élevait, plus la température descendait. Le château paraissait plus imposant à chaque lieu. Arrivé devant la lourde herse d’entrée, le contrebandier se faisait l’effet d’une souris, une souris transie et grelottante. Il distinguait des gardes patrouillant sur le chemin de ronde, arcs en bandoulière et jugea cela bizarre compte tenu du fait qu’Hyrule était en paix depuis plusieurs années, si l’on exceptait les perpétuels troubles claniques, maintenant résolus par ce fameux Link.
   Ser Mikau l’abandonna aux bons soins de deux servantes qui le menèrent dans une petite chambre vétuste mais confortable. Elles lui remplirent une large cuve en bronze d’eau bouillante avant de le dépouiller de ses vêtements mouillés et complètement raidis par le sel. Il remarqua que le fourreau vide de son sabre pendait toujours à sa ceinture, récupéra précipitamment le masque et le posa sur une table de chevet, face peinte cachée. Puis il s’immergea avec délice dans le bain, et le changement de température fut tellement brusque qu’il en souffrit. L’eau ne tarda pas à s’assombrir du fait de la crasse accumulée. Linebeck en eut presque honte, mais étant homme de mer, il était habitué à ne pas pouvoir se laver plusieurs semaines d’affilées.
   On lui apporta des vêtements chauds et propres ainsi qu’une paire de bottes neuves bordées de fourrure. Remerciant sa bonne fortune pour avoir eu, dans son malheur, la chance d’être trouvé par le seigneur de la place en personne, Linebeck s’habilla promptement. Avoir les pieds au sec était un véritable plaisir et se sentir propre lui remonta le moral. Sa migraine s’était de plus passablement atténuée, seul ne subsistant qu’un léger bourdonnement sourd à l’arrière du crâne. De la fenêtre de sa chambre située au deuxième étage du donjon,  on avait une bonne vu sur la basse-cour en contrebas et une partie du lac au-delà des remparts. Cependant le brouillard était toujours tellement dense que Linebeck ne pouvait absolument pas discerner les eaux.
   Son regard tomba par hasard sur le masque. Un léger sourire se dessina sur ses lèvres molles. Avec l’objet en sa possession, il pouvait toujours espérer se faire payer, pour peu qu’il parvienne à rallier le Consortium. Par un quelconque miracle, le masque n’avait absolument pas souffert de l’étrange voyage maritime de Linebeck. La peinture tribale à l’effigie d’un visage divin aux yeux doux et bienveillants miroitait toujours légèrement sous l’effet de la lumière ; le bois n’avait ni gonflé ni pourri, et sa forme était sensiblement la même : un cœur grossier hérissé de piques. Linebeck se demanda comment il avait pu en avoir peur, au début. Alors qu’il fallait se rendre à l’évidence, c’était un objet sain. Une figure si parfaite, si lumineuse, si pure, ne pouvait être que celle d’un dieu généreux et bon. Il fallait absolument le protéger, et le ramener le plus vite possible au Consortium. Nul doute que les pouvoirs bénéfiques du masque serviraient à aider les gens, une fois en possession des sorciers. Voilà pourquoi le collegium de magie était prêt à payer aussi cher et avait fait appel au meilleur convoyeur.
   Finalement, Linebeck trouvait son sort plutôt enviable. Il était à présent l’invité d’un grand seigneur, chauffé, nourri, logé, et prêt de toucher beaucoup d’argent en accomplissant une bonne action. Même la perte de son fidèle Lion Rouge ne le chagrinait plus tant que ça. Un bateau, ça se rachète, après tout. Son seul regret était pour Taya. Il s’était étrangement attaché à elle, de façon presque obsessionnelle. La savoir perdue pour toujours lui faisait comme un trou dans le cœur. Il n’osait imaginer ce que ses rustres d’hommes d’équipage avaient bien pu lui faire subir, à présent qu’il n’était plus là pour la protéger…
   Quelqu’un frappa à la porte, l’arrachant à ses réflexions.
   -Entrez!
   Un homme entre deux âges, aux noirs cheveux longs striés de blanc et de gris entra. Il avait une mine joviale  bien qu’un peu pâle.
   -Bonjour messire. Veuillez pardonner mon intrusion. Je suis Evan, le médecin de madame et de sa maisonnée. Ser Mikau m’a prié de passer vous voir.
   -C’est fort aimable de sa part.
   -L’hospitalité et la générosité sont deux vertus chères aux Zora, messire, répondit Evan avec un sourire. Messer m’a fait savoir que vous aviez passé une période plus ou moins longue dans les eaux de notre bonne vieille Hylia? Après un coup sur la tête, c’est cela?
   -A peu près oui.
   Linebeck se sentait mal à l’aise de mentir ainsi à ses hôtes, mais il savait que c’était la meilleure chose à faire.
   -En tous les cas, vous êtes plus pâle qu’un cadavre, plaisanta le médecin. Si messire veut bien ouvrir sa chemise…
   Evan lui palpa le front et les joues, scruta intensément ses yeux  et le fond de sa bouche, plaqua son oreille contre le torse du contrebandier et prit son pouls. Pendant toute la durée de ces opérations, le médecin hochait régulièrement la tête en marmonnant des choses incompréhensibles.
   -Vous avez très certainement pris froid, ce qui n’est pas extraordinaire quand on connait la température de ces eaux à cette période de l’année. Vous avez une bonne fièvre, et votre cœur bat trop lentement. Vous ne présentez autrement aucun signe d’infection sérieuse, ce qui est une bénédiction. Souffrez-vous de maux de tête?
   -Oui, c’est même atroce.
   -Ces migraines sont-elles chroniques ou continues?
   -Continues. Cependant depuis que j’ai pris ce bain, la douleur s’est estompée.
   -Je vois. Je vais vous fournir un baume à appliquer sur votre front, et des plantes pilées pour préparer des infusions. Puis-je ausculter votre crâne?
   -Je vous en prie.
   Evan lui fit pencher la tête en avant, et s’équipant de lorgnons, il palpa précautionneusement chaque pouce de son cuir chevelu.
   -Êtes vous certain d’avoir reçu un coup?
   -Pas vraiment. J’ai comme une perte de mémoire.
   -Je pense plutôt qu’on vous a drogué pour vous endormir durablement. Les drogues les plus courantes sont bénignes mais par mesure de précaution je vais vous donner une panacée.
   Le médecin sortit de sa besace tout ce dont il avait parlé et lui donna les recommandations d’usage avant de le quitter. Linebeck voyait sa condition s’améliorer au fur et à mesure que les minutes passaient. Il trouvait même cela étrange, dans un sens. Fourbu, le contrebandier décida de voler quelques heures de sommeil.
   Ce qui ne devait être que quelques jours de repos se transforma en un séjour prolongé. Ser Mikau sembla s’attacher à son invité, et réciproquement. Bien que de condition simple, Linebeck avait longtemps fréquenté des nobles et des aristocrates Terminiens, si bien qu’il savait parfaitement se tenir et passer pour un gentilhomme fortuné. Le chevalier le pressait souvent de questions aux dîners à propos de ses voyages et de son passé, aussi le contrebandier lui raconta sa jeunesse en tant que capitaine de navire de guerre dans la flotte rebelle des seigneurs du Carnaval durant la guerre civile en Termina, et comment il avait du opérer sa prétendue reconversion dans la marine marchande en Hyrule une fois que le roi d‘Ikana eut ramené l‘ordre dans son royaume. Il lui parla de Termina, de ses merveilles de paysages et d’histoire, mais aussi de la cruauté du régime en place et de la difficulté de la vie. Il lui raconta ses voyages en Labrynna et Holodrum, et lui décrivit Mercantîle et la côte sud d’Hyrule.
   Lady Lulu, la jeune épouse du chevalier, était présente à chaque repas, mais ne disait jamais rien. Linebeck pensa d’abord qu’elle réprouvait la présence d’un simple à sa table, comme le laissait imaginer son air distant, mais ser Mikau lui expliqua qu’elle souffrait du même mal que ser Allister Dodongo, et qu’elle n’était pas capable de parole. Linebeck ne tarda guère à constater que la brume ne disparaissait que très rarement, et il ne put admirer l’immensité du lac qu’une seule fois. Il en était resté bouche bée : l’île étant pile au centre du lac, les rives n’étaient que de petites bandes noires à l’horizon, de toute part, à l’exception du Nord où les pics enneigés se dressaient, menaçants et soufflant leur bise glacée.
   Ser Mikau devait souvent s’absenter pour regagner le continent un jour ou deux. Comme il l’avait signifié à Linebeck le jour de leur rencontre, la région était traversée par une vague de criminalité, qu’il devait gérer en sa qualité de régent. Ses hommes et lui durent plusieurs fois prendre part à de petites escarmouches contre des bandes peu armées et désorganisées dans les collines en bordure de l’Est Hylia. Deux hommes d’armes y perdirent la vie et ser Mikau lui-même revint un jour légèrement blessé au bras.
   -Je ne sais pas ce qui se passe, confia un soir le chevalier alors qu’ils se réchauffaient autour de l’âtre gigantesque de la grande salle, une choppe de bière à la main. Maintenant que le problème des clans est résolu, voilà que ce sont nos propres gens qui nous causent des tracas, et l‘on ne sait même pas pourquoi! Je commence également à recevoir de plus en plus de rapports sur des fermes et de menus hameaux razziés dont les habitants auraient été massacrés, plus au sud le long de la Ouest Hylia. Ce doit être là l’œuvre de fuyards claniques ou d’une autre bande de mécréants, mais les rares survivants parlent d’un seul homme au faciès de démon et aux sombres pouvoirs…
   Ser Mikau poussa un soupir puis s’autorisa une longue gorgée de bière.
   -Vous n’avez rien entendu à ce sujet, durant votre trajet?
   -Non, messire, répondit Linebeck après avoir fait semblant de réfléchir.
   -Tant pis. J’enverrai une patrouille voir de quoi il retourne.
   Les remèdes d’Evan firent miracle et ses migraines disparurent bientôt. Il s’aperçut même que la voix dans sa tête ne lui avait plus parlé depuis des lustres. Il avait repris des couleurs et quelques kilos, grâce à la bonne nourriture qu’il avait la chance de manger chaque jour. Pour ne pas trop s’engraisser, il demanda au maître d’armes familial de lui donner quelques leçons, et s’il se coucha les muscles perclus de douleur suite aux premières séances, il retrouva assez vite une certaine dextérité et une certaine compétence à l’épée et à l’arc.
   Cela faisait presque un mois qu’il vivait à Château-L’Hylia lorsque ser Mikau lui annonça qu’il partait pour le Bourg.
   -Sa Majesté organise un tournoi en l’honneur de Lord Link et à la mémoire de notre regrettée reine. Tous les chevaliers du royaume sont conviés et je m’y rendrai dès demain. Vous pourrez m’accompagner si vous le désirez : ce serait l’occasion d’entretenir ces associés dont vous m’avez parlés tantôt.
   Linebeck acquiesça, et à l’aube ils embarquaient en direction du continent. Le contrebandier tenait son précieux masque serré contre lui sous son manteau, bien emmitouflé dans du tissus. Ses migraines le reprirent assez vite durant la traversée. Il fallait dire que le froid était particulièrement mordant, ce jour là.


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[align=center]27. [/align]


Le repaire de Räj’Ahl était un vrai foutu labyrinthe. Rien d’étonnant de la part d’un sorcier, en soi. Chaque couloir vide, sombre et glacé précédait le même couloir vide, sombre et glacé. Chaque pièce contenait un lot d’atrocités équivalent à la pièce précédente. Il n’y avait pas de fenêtres, pas de repères, rien que les mêmes murs partout.
Sélinus et Bœuf m’avaient accompagné sur une partie du trajet. Puis ils étaient partis rejoindre leur poste, en me certifiant qu’ils attendraient la venue de Kerrighton, et qu’ils l’aideraient. Ils n’avaient pas voulu me donner d’indications sur la direction à prendre pour trouver la sortie. Le prince m’a dit, sur le ton de la conversation, qu’il m’en voulait encore énormément de l’avoir laissé mourir et qu’il se passerait sûrement des années avant que nous ayons de nouveau des rapports cordiaux. La mort ne l’a pas arrangé.
De temps à autre, je rencontrais des zombies, qui erraient dans les couloirs en traînant la jambe. Ils ne me remarquaient même pas.
Au bout d’une éternité, quelque chose changea dans l’air. Un vieux relent de mort, de peur et de puissance. Mon sang se glaça en reconnaissant la signature de Räj’Ahl. D’une façon ou d’une autre, je reconnus la porte en fer de la salle des tortures. Sans faire de bruit, je passais devant. Il n’y avait pas d’autre chemin de toute façon. Le cœur battant, je priais pour ne pas me faire remarquer. Räj’Ahl semblait en pleine conversation. Avec qui? Je n’entendais pas assez bien ce qui se disait. Je m’apprêtais à m’en aller, quand soudain, tout ce qu’il m’avait fait subir me revint en mémoire. La peur prit la fuite devant la colère.
Dieux! Mon orgueil me commandait d’entrer dans cette salle, et de tuer l’enfoiré de salaud, une nouvelle fois. Bien sûr, c’était aller droit à la mort, une espèce de suicide en quelque sorte, vu l’état pitoyable dans lequel je me trouvais. Même reposé et en pleine forme je ne misais pas grand-chose sur mes chances de réussite.
Mais la rage m’avait tellement envahi que je ne réfléchissais plus vraiment. Une partie de la douleur s’était estompée, et ma résolution me donnait une force nouvelle. Le cœur battant, j’ouvris la porte. A ma grande surprise, elle ne produisit pas un son. Räj’Ahl me tournait le dos. Il était absorbé par une conversation animée avec des images magiques. Avant toute chose, je me glissais dans la pièce en refermant derrière moi. Là, la peur me reprit. J’étais désarmé, et trop faible pour user de magie. Par bonheur, mon ancien professeur n’avait pas encore rangé ses instruments, et une variété d’outils contondants, tranchants et perforants, créés dans le seul but de torturer, traînaient sur une table. Je longeai prudemment le mur en prenant soin de rester le plus possible dans l’ombre. Tout ceci me rappelait douloureusement Tapinois. Sa sale trogne me manquait terriblement.
« Non, non, non! » fulminait Räj’Ahl. « Je ne veux pas vous voir traîner vos sales carcasses chez moi! Je l’amènerai.
- Il n’en est pas question!, cria une voix de femme. Tu veux juste le garder pour toi tout seul, pas vrai vieillard?
-Allez au diable! Si ça ne vous plaît pas, je peux aussi bien le tuer maintenant. Ca ne me fait ni chaud ni froid. »
Compte là-dessus mon con, j’ai pensé.
J’arrêtai mon choix sur un scalpel de belles dimensions. Sans bruit, je relongeai le mur pour me retrouver pile dans le dos du sorcier. J’entrepris de m’approcher. Les images ne m’inquiétaient pas. Elles ne peuvent pas voir à plus de quelques millimètres autours du corps de leurs vis-à-vis. Aucun risque qu’elles ne me repérassent.
Il ne me restait plus que deux pas à faire. J’hésitai : la tête ou le cœur? Le mien, de cœur, battait si fort que je craignais qu’il ne me trahisse.
« De toute façon, c’est moi qui l’ai trouvé. Alors c’est à moi que… »
La lame de mon scalpel s’enfonça sans problème dans son crâne. Sous le choc, il bascula en avant et m’entraîna avec lui. Je fis un pas avant de lâcher mon arme. De ce fait, je me retrouvai dans le champ de vision des images.
Elles étaient trois. Toutes les trois me regardèrent avec un mélange d’étonnement, de crainte, de haine, de mépris, et d’autres choses encore. Moi je suis resté un peu comme un con au début. Mes pires craintes se confirmaient, mais j’étais grisé par la nouvelle mort de Räj’Ahl. Dans un élan d’adrénaline, je me redressai, bombai le torse et contemplai les images avec un sourire de triomphe. A la vérité, je devais être pitoyable, à moitié nu, déchaussé, les cheveux sales et décoiffés, crasseux, amaigri par ces longs mois de campagne.
« Vous n’avez pas changé » dis-je d’un air qui se voulait fanfaron. « Surtout toi, Yseult. Toujours aussi bandante. »
Ce n’était pas un mensonge. Dieux! Cela faisait plusieurs mois que je n’avais pas côtoyé une femme, et son corps parfaitement sculpté, magnifiquement mis en valeur par la robe qu’elle portait, me fit un effet des plus forts. J’aurais voulu me jeter sur elle et la violer. J’avais pris grand soin de ne pas trop abîmer son corps lorsque je l’avais tuée, et je ne regrettai pas mon geste.
« Lucius, t’as pris du poids. »
Les trois me regardaient avec des yeux qui m’auraient probablement tué si l’on avait été dans la même pièce. Tout ce qu’ils voulaient, à cet instant, c’était me faire la peau, me faire souffrir. Et moi j’exacerbais leur envie. C’était une erreur.
Estrella, de loin la plus pragmatique des trois, me toisa avec mépris et condescendance. Quelque chose clochait, mais je ne savais dire quoi.
« Tiens donc. Voilà notre roitelet. Il fait peine à voir. Encore plus que d’habitude. Tu m’as manquée, *****. »
Surprise! Ils ne purent s’empêcher d’ouvrir des yeux comme des soucoupes en découvrant que je n’avais plus de nom. Ca ne dura pas longtemps, ils éclatèrent de rires, des rires de triomphe.
« C’était donc cela! La raison pour laquelle tu étais introuvable! On ne peut utiliser la divination sur quelqu’un qui n’a pas de nom. Le roitelet impétueux est devenu le chien-chien de quelqu’un?
-Silence, femme, ou je te promets une deuxième mort lente et douloureuse, sans retour cette fois. »
C’était sorti tout seul. Je suis désolé, mais c’est un sujet sur lequel je suis un peu tatillon. Quoiqu’il en soit, je l’avais dit sur un ton tellement froid, avec un regard tellement haineux, que ça lui a rabattu son caquet. Mais elle se reprit très vite. Elle me tourna le dos et fit mine de s’éloigner.
« Räj’Ahl. Ne l’abîme pas trop. Je veux m’amuser moi aussi. A bientôt, roitelet! »
Hein?
L’onde de magie noire me balaya des pieds jusqu’à la tête. Je m’envolai dans les airs et me retrouvai au sol quelques mètres plus loin, le souffle coupé, les larmes aux yeux et les membres qui s’amusaient à danser la gigue. Voilà ce qui clochait. Ils n’avaient pas l’air chagrin de la mort de leur copain.
« Ne t’en fais pas, Estrella. Nous allons juste jouer un peu. »
Räj se releva lentement. Il était enveloppé d’un manteau de magie brute. Des filaments noirs, pareils à des tentacules frappaient l’air autour de lui. Ils semblaient chercher quelque chose… ou quelqu’un. Mon ancien professeur ne bougeait pas. Sa tête n’était même pas tournée vers moi. Je ne bougeais pas, je souffrais en silence.
C’est là que je compris. Dieux! Il était vraiment aveugle! Il ne voyait rien. Il me cherchait! Pour vérifier mon hypothèse, je me relevai sans bruit. Pour une fois, j’étais content de ne plus avoir de bottes. En silence, je défis ma ceinture. Je la jetai de l’autre côté de la salle. En un éclair, un filament de magie noire fusa et la pulvérisa. Je faillis déglutir, mais c’eut été signer mon arrêt de mort.
« Comme c’est amusant, Majesté! Oui, un petit jeu amusant, amusant… Vais-je vous trouver? Vous savez pourquoi je me suis arraché les yeux? »
Je ne répondis pas. Je commençai à me diriger vers la table des instruments. Il me fallait des armes et des diversions.
« Non? Alors je vais vous le dire. Je me suis arraché les yeux parce que… »
Je bondis en avant. Un projectile magique déchira l’espace et s’abattit là où je me trouvais une seconde plutôt. Je voulais soupirer, mais il m’était impératif de ne faire aucun bruit. Il avait l’ouïe fine, l’enfant de putain!
« Je ne voulais pas vous contempler à nouveau. Vous êtes tellement beau, tellement noble. Je vous aime. »
J’aurais tellement voulu lui dire de fermer sa grande gueule.
« Je vous ai toujours aimé, Majesté.  J’étais tellement triste, quand vous m’avez planté cette épée dans le corps. »
Un nouveau sort fusa. Je m’immobilisai presque instantanément. Le trait noir passa à quelques micromètres de mon visage. Il désintégra la porte qui s’effondra dans un boucan de tous les diables. J’en profitai pour piquer un court sprint, masqué par le vacarme. J’atteignis la table. J’aurais voulu m’appeler Ken Percevent à cet instant. Avec les plus grandes précautions du monde, je m’emparai d’un petit outil, sûrement utilisé pour arracher les yeux. (On aurait dit une cuillère, idéale pour se glisser dans l’orbite.) Je la jetai à l’autre bout pour détourner son attention. Pendant qu’il se focalisait dessus, je pris tout ce que je pus.
« Amusant, oui, très amusant…. Pourquoi vous entêtez vous, Majesté? Vous vous faite souffrir inutilement. »
J’étais au bord de la crise de nerf. Je ne respirai presque plus pour ne pas me trahir, je guettais le moindre faux pas qui m’aurait été mortel. J’étais tendu comme une corde d’arbalète, et ce connard continuait à me débiter son baratin.
« Je pourrais utiliser ma magie pour vous voir, vous savez? Mais ce ne serait plus marrant, n’est-ce pas? Il faut que le jeu soit équitable, pour être amusant. Si l’un des joueurs part gagnant, quel est l’intérêt? »
La magie! Mais oui, putain! Monarque, tu n’es qu’un idiot. Je n’étais pas en état de balancer des boules de feu, ou lever des boucliers, mais je pouvais bien utiliser quelques trucs de prestidigitateur. Je fis une nouvelle distraction, et pendant qu’il n’écoutait plus, je jetai un sort permettant à ma voix de jaillir de plusieurs endroits en même temps. Rien que cela m’épuisa dangereusement.
« Combien de fois vais-je devoir te tuer pour que tu fermes ta grande gueule, Räj? »
Il sursauta. Il ne s’attendait pas à ça. Désorienté, il lança plusieurs filaments dans divers directions. Aucun ne m’inquiéta. Je m’autorisai un  sourire. Mon stratagème marchait.
« Deux fois n’ont pas suffit. Mais comme dit le dicton, jamais deux sans trois, pas vrai? »
Nouvelle salve. J’en profitai pour avancer lentement. Ma voix et le bruit des sorts masquaient celui de mes pas. «
« Dis moi, Räj. Comment? Comment êtes-vous revenu d’entre les morts? »
Un petit sourire balafra sa face de vieillard malade.
« Le Maître. Il nous a rendu la vie, et nous a donné le pouvoir. Tellement de pouvoir… »
Pour illustrer son propos, il fit onduler son manteau de magie. Je pouvais sentir la puissance qui s’en dégageait. Elle était à peine croyable.
« Même lorsque vous siégiez sur le trône, vous n’aviez pas autant de force que nous autres. »
Il éclata de rire.
« N’en sois pas si sûr, vieil homme. Dois-je te rappeler avec quelle facilité je vous ai annihilés? »
Il en perdit l’envie de rire. Non, bien sûr qu’il n’avait pas oublié. Comment aurait-il pu? Une espèce de piolet s’abattit sur ses omoplate et s’enfonça comme dans du beurre. Dans le même mouvement, je lui fis un croc-en-jambe et le repoussai loin de moi. Il s’effondra et roula sur lui-même, tandis que sa magie déploya des dizaines de tentacules qui tentèrent de me frapper. Mais j’avais déjà reculé. Il voulait jouer, et nous allions jouer. Cet enfoiré me sortait tellement de mes gonds que je commençais à apprécier notre petit duel. A présent, je commençais à percuter qu’il n’était pas seulement qu’une enflure de sorcier traître qui m’avait torturé, mais qu’il était aussi le responsable de la mort de milliers d’innocents à travers les royaumes centraux, de mes compagnons et amis. Il allait payer.
« Cela suffit maintenant. Je… je ne joue plus! »
Il se releva en ahanant. Sa voix tremblait. Il avait peur? Tant mieux. Qu’il se chie dessus. Il avait l’air de souffrir également. C’était une bonne nouvelle. Comme dit Bière, ce qui souffre peut mourir.
« Allons Räj. Ce n’est qu’un jeu. Ne soit pas si soupe au lait. »
Je lui lançai un autre scalpel. Il se planta dans sa jambe, un peu en dessous du genou. Cela le fit basculer et il cria. Ses tentacules s’agitèrent, reflétant la terreur nouvelle dans laquelle se trouvait Räj’Ahl. Quel sentiment grisant! Il s’était tué lui-même en s’arrachant les yeux.
« Je suis content que tu te sois aveuglé, Räj. C’est vrai qu’on s’amuse bien. »
Il poussa un hurlement furieux. Des dizaines de rayons noirs jaillirent de son corps et frappèrent au hasard. Par bonheur, aucun ne me toucha.
« Il faudra faire un peu mieux que ça. Tu me fais pitié. Tu es tellement puissant, mais tu es comme un gamin obtenant sa première épée. 
-Silence! »
Il se releva en chancelant. L’expression de son visage oscillait entre la colère et le désespoir.
« Tu te trompes! Tu ne peux rien contre moi! Regarde avec quelle facilité j’ai balayé ces misérables royaumes. Les autres suivront très vite.
-Encore faudrait-il que tu sortes vivant de ce petit jeu, n’est-ce pas? 
-Fanfaronnades! Tu ne peux rien contre moi!
-Qui est fanfaron, vieil homme? Criai-je avec une voix chargée de colère. Je t’ai tué deux fois sans que tu ne puisses seulement lever le petit doigt. Je te tuerais cent fois s’il le faut, mais je jure sur les dieux que tu ne te relèveras plus. »
 Il éclata d’un petit rire nerveux.
« Et puis, tu sais quoi? » dis-je.
« Quoi?
-Moi aussi, je ne joue plus. »
Ma main gauche tira ses cheveux en arrière tandis que ma droite l’égorgeait.


[align=center]28. [/align]


Ce furent Kerrighton et Spektrum qui me réveillèrent. J’avais l’impression de sortir d’un brouillard, ou d’un cauchemar. Tout me revint en mémoire. Räj’Ahl m’avait frappé avec sa magie tandis que sa tête se détachait de son corps. J’avais heurté le mur de plein fouet et glissé dans l’inconscience.
« Räj’Ahl? » demandai-je d’une voix presque inaudible.
« Le nécromancien? On s’est assuré qu’il ne cause plus d’autres emmerdes. Tiens, bois. »
Spektrum me fourra dans le gosier un flacon contenant un liquide aussi dégueux que nauséabond. Je m’étranglai, je toussais et crachais, mais cela me fit un bien fou. Je sentis une nouvelle énergie m’envahir et la fatigue refluer. Mais j’avais toujours besoin d’un bon bain, et d’une grosse semaine de sommeil. J’avais l’impression que la cavalerie du Wellmarch m’était passée dessus.
Kerrighton finit de faire un sort à mon froc en lambeaux, et m’aida à passer de nouveaux vêtements propres et chauds. Vous ne pouvez pas savoir à quel point j’étais content de sentir le cuir de mes bottes.
« Que s’est-il passé pendant mon… absence? » demandai-je en dévorant la miche de pain que Kerrighton me tendait.
« Quand nous avons appris que tu avais été fait prisonnier par l’ennemi, nous nous sommes précipité à ta poursuite, mais nous étions trop peu nombreux. Nous avions perdu tout espoir. Nous sommes repartis vers le sud, et là nous avons croisé une armée.
-Une armée?
-Oui. Celle d’Augustin Abbendal, menant l’ensemble des soldats des royaumes centraux sous une seule et même bannière.
-Bordel, jurai-je sans trop savoir pourquoi. Ce devait être la joie.
-Abbendal n’a pas attendu des plombes avant d’assiéger cette forteresse. On en a profité pour nous infiltrer. Ca n’a pas été dur, toutes ces engeances gisaient par terre, sans vie. A part Sélinus et Bœuf. Pauvres d’eux.
-Ils nous ont dit que tu avais tué le sorcier, dit Spektrum pour reprendre le récit. Cela a annulé ses sorts. A l’heure qu’il est, Augustin ne doit plus être loin. Tu as sauvé les Royaumes, Monarque. »
Il me posa une main sur l’épaule.
« Ouais, ouais » dis-je. « De toute façon, j’avais un compte à régler avec ce connard. 
-Tu le connaissais?
-Ouais, on peut le dire… »
En les regardant, qui eux-mêmes me regardaient avec des yeux inquiets, je pris soudain une décision. La plus dure qui soit pour moi, mais qui est hélas nécessaire.
« Je vais vous raconter une histoire » dis-je. « Une histoire que personne ne connaît. Quand j’aurais fini, je devrais partir.
-Partir?
-Oui. Je vais quitter la compagnie, et vous ne me reverrez plus. »
Mon annonce choqua Kerrighton, qui ouvrit plusieurs fois la bouche pour dire quelque chose, mais ne parvint pas à articuler le moindre mot. Spektrum ne dit rien. Mais je vis dans son regard qu’il comprenait, même si cela l’attristait.
« Mais pourquoi, Monarque? Tout est fini! On a gagné! Il ne nous reste plus qu’à rentrer au bercail, toucher notre solde et aller se bourrer pour oublier toute cette foutue guerre.
-Tu comprendras quand j’aurai fini mon histoire. Maintenant écoutez moi, je n’ai pas beaucoup de temps. Je veux partir avant que quelqu’un d’autre ne me voit. »
Ils se turent.
« Bien. Il était une fois un jeune homme. Ce jeune homme étudiait la magie dans un château volant. »
Bien sûr, l’ordre du capitaine m’empêche de parler de moi directement.  Mais pas par des moyens détournés. Et comme ils n’étaient pas la moitié de deux cons, ils comprirent aussitôt qu’il s’agissait de moi.
« Il était ambitieux et doué. Cependant, il ne reconnaissait pas l’autorité de ses maîtres, et ne se gênait pas pour les défier. Les maîtres prirent peur, et un jour ils le bannirent du château. Le jeune homme jura de raser ce misérable château et tuer ses maîtres qui l’avaient humilié. Il trouva cinq compagnons, cinq magiciens qui avaient choisi de le suivre dans son bannissement. L’un d’eux était un de ses professeurs, un autre son meilleur ami, un autre son serviteur et les deux dernières ses amantes, ou futures amantes. Avec leur aide, il rassembla une armée, et grâce aux forces unies de ses cinq compagnons, ils se téléportèrent à l’intérieur du château volant. Le jeune homme assassina les maîtres qui avaient osé le bannir, dans la salle même où ils l’avaient accueilli, quelques années plutôt. Le jeune homme fit sombrer le château, et avec son armée et ses compagnons, il partit vers l’ouest et bâtit un empire. Il fit de ses compagnons ses conseillers, ses ministres et ses confidents. Mais leur amour se transforma en jalousie, et leur jalousie en rancœur. Ils jalousaient tout ce qu’il possédait, ils jalousaient sa puissance. Ils complotèrent dans son dos et lui tendirent un piège. Ils essayèrent de le tuer, mais ils avaient surestimé leur force. Ils furent balayés par la colère du jeune homme. Il en tua quatre, son serviteur, son professeur et ses deux amantes, et quant à son meilleur ami, dans un accès de rage il le bannit par delà les dimensions. »
Les yeux de Spektrum brillèrent d’intérêt. Il se demandait certainement comme je m’y étais pris, et pour être honnête je ne sais pas moi-même.
« Le jeune homme pensait être tranquille. Mais quatorze ans plus tard, il découvrit qu’au moins quatre d’entre eux n’étaient pas morts, et qu’ils le cherchaient pour le tuer. Pour une raison que le jeune homme ne connaissait pas, ils étaient devenus d’une telle puissance qu’il n’avait aucune chance de les affronter. Aussi, le jeune homme décida-t-il de s’enfuir… Afin de protéger ceux qui lui étaient chers. »
Il y eut un petit silence.
« Je comprends » finit par dire Spektrum.
Kerrighton se mordait la lèvre, il avait des larmes dans les yeux.
« Putain, Monarque! Pourquoi rien n’est jamais simple? Pourquoi on a jamais ce qu’on voudrait dans cette putain de vie?
-Parce que les dieux nous pissent dessus, répondis-je avec une grimace. Quoi qu’il en soit, je ne peux pas rester, et je ne veux pas rester avec vous. Maintenant qu’ils savent où chercher, ils vont venir, et je n’ai aucun doute quant au fait qu’ils vous tueraient juste pour me faire souffrir. Je ne le veux pas. Je ne veux mettre aucun de vous en danger. »
Kerrighton détourna la tête et renifla bruyamment.
« Pourquoi on leur fait pas leur fête à ces connards?
-Parce qu’ils nous balaieraient comme des moucherons, lui répondit Spektrum. Nous n’avons rien pu faire contre un seul d’entre eux. Imagine contre trois. »
Kerrighton garda le silence. Il était dépité.
« Bon… » fis-je . « Faut que je me bouge. Je tiens pas à voir le capitaine. »
Je fis mine de me relever. Le monde tanguait, mais ça allait. C’était mieux que je ne le pensais.
« Tiens. Tu en auras besoin. Il y a une sortie au fond du couloir. Un complexe de tunnels qui débouchent au nord des montagnes.»
Spektrum me tendait une épée, et des carnets. Non. Il me tendait MON épée et MES carnets. Foutredieu! J’avais bien cru ne jamais les revoir. Je les pris en le remerciant d’un hochement de tête.
« Tu les as lus? » ne pus-je m’empêcher de demander.
« Oui.
-Et?
-Tu as un style épouvantable. »
Son trait d’humour m’arracha un sourire. Il allait me manquer. Non, ils allaient tous me manquer. Rose, Ken, Bière, Kerrighton, Spektrum, Araignée, Augustin, Ciguë, Lohengrin, Tapinois et tous les autres. Même un peu la sale trogne du capitaine…
Non tout de même, il y a des limites à ne pas franchir, héhé.
« Peut être se reverra-t-on dans un monde meilleur. » Fis-je avec une grimace en quittant la salle.
Je fis mine de m’en aller, quand je me souvins soudain d’une chose.
« Ho, Spektrum. »
L’intéressé se retourna et me regarda.
« Hmm?
-Pour les autres je…
-Ils comprendront, j’en suis sûr. Ne t’en fais pas.
-Et pour Hélène je…
-Je lui parlerai.
-Merci, Spektr.
-Adieu, Monarque. »
Sélinus, prince de Gaëlice de son vivant, semblait m’attendre. Il était adossé au mur. Il me regardait avec ses yeux morts et toujours méprisants.
« Est-ce vraiment pour nous protéger que tu fuis, Monarque, ou est-ce plutôt car tu tiens là l’occasion de fuir ton capitaine? »
Sa réflexion me frappa comme un coup de couteau, parce qu’elle était à moitié vraie. Bordel.
« Qu’est-ce que ça peut te foutre? », répondis-je, agacé.
« Rien. » (Il haussa les épaules.) « Je constate juste qu’une fois de plus, tu fuis et disparais comme un moins que rien.
-Je n’ai pas d’autre choix.
-On a toujours le choix.
-Tu as bien de la chance. »
Il garda un moment le silence.
« Tu sais, avant, quand j’étais gosse, tu étais mon héros.
-Je… Je sais. »
Il me regarda avec encore plus d’intensité.
« Maintenant je sais pourquoi. Je ne t’en veux plus Monarque. Puisses-tu mourir sans trop souffrir. »
Je ne sus pas trop comment prendre ça. Tiraillé par mes sentiments et mes émotions, je repris ma route, conscient qu’une fois de plus je laissais toute une vie derrière moi, pour en recommencer encore une autre. Ca devenait presque une habitude.
« Ha Monarque! »
Je me retournai. Sélinus me fixait avec un petit sourire narquois.
« Depuis quand n’as-tu plus d’ombre? »


[align=center]29.[/align]


Sortir des tunnels fut une véritable partie de campagne, en comparaison des derniers mois vécus à fuir, combattre, souffrir et mourir. Le passage jaillissait à flanc de montagne, offrant à mes yeux un panorama enchanteur des plaines et des forêts du Nord. Au nord ouest, j’apercevais la silhouette minuscule du Conclave dans le ciel. Guère plus qu’un point noir de là où j’étais. A l’horizon, on distinguait à peine les cimes de la Ceinture de Bronze. Au pied de la montagne, je vis un village, peut être même une petite ville. Je décidai de m’y rendre dans un premier temps.

En fait, je n’ai aucune idée de ce que je vais faire. M’installer quelque part et gérer une ferme sous une nouvelle identité est foutrement tentant, après ces 36 années de vie trop remplies. Mais cela est trop risqué. Non, je crains d’être condamné à voyager au gré du vent pendant quelques années, le temps que tout se tasse autour de moi. En plus des Cinq (enfin des Quatre maintenant.), je crois que le capitaine va me chercher lui aussi. Il ne laissera pas son plus précieux outil lui glisser entre les doigts.
Je me demande ce que vont devenir Tapinois et les autres. A mon avis, Tempête du Chaos va se dissoudre. J’étais sa raison d’être, mais maintenant je ne suis plus là. Tapinois et Lohengrin essaieront peut être de me retrouver. Quant aux autres je ne sais pas.
En fait, je m’en fous, presque. Je me sens particulièrement serein, détaché de tout. Hier encore, j’étais sanglé sur une table en fer, et aujourd’hui me voilà redevenu libre - plus ou moins. Il est temps pour moi de tirer ma révérence. Je suis fatigué de toute façon. Je n’ai plus ni l’envie ni la force de parcourir le monde pour chercher le moyen de récupérer mon nom. Le capitaine pourra se le foutre au cul, tant que je reste loin de lui il ne lui sert plus à rien.
Je regretterai juste mon étendard.
Un sacrée belle pièce.


[align=center]30.[/align]


Ce soir, Monarque meurt. Sa vie s’achève dans cette petite auberge, fort agréable au demeurant. Lorsque je me réveillerai demain, je serai un autre homme. Un simple voyageur, anonyme comme toujours. Je ne peux m’empêcher d’apprécier cette idée.

Ainsi s’achèvent les troisièmes et ultimes Carnets de Monarque.


[align=center]FIN[/align]
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: silver le samedi 30 octobre 2010, 21:20:43
Je reste sans voix, Monarque est sensationnel. Il fut prestigieux, moins que rien tout en échappant à des péripéties toutes plus impressionnantes les unes que les autres. J'adore la fin de notre bon Monarque, puisse t-il avoir la chance de se débarrasser de tous les problèmes qu'il a eu. Je suis satisfait et je te félicite pour la tournure. J'ai hâte de voir la suite du cycle à présent mais j'attendrais le temps qu'il faudra pour ça.

Linebeck est franchement chanceux mais je crains qu'il ait quelques tracas en chemin. Je doute qu'il soit simple de survivre à la suite d'une telle situation surtout qu'avec ce qu'il a inventé. Si quelqu'un vient à le découvrir en présence de Mikau, il va y avoir du grabuge mais j'ai hâte de voir la suite.

Bonne suite et que l'inspiration te revienne pour l'histoire de Samyël et des autres.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: sakuranbo le dimanche 31 octobre 2010, 13:29:35
Hahaaaa, je me demandais ou en était Linebeck justement.... Et quel impact sa présence et celle du masque vont avoir sur la suite de l'histoire...

Superbe chapitre, comme toujours, mais à chaque fois j'aime tellement que je trouve ça trop court! hihi! J'ai hâte de lire la suite!!! Et je me demande bien si on va revoir Taya...

Vivement le prochain chapitre :niais:
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le jeudi 04 novembre 2010, 02:38:41
Silver ==> Je suis content que la conclusion de Monarque t'ait plu! J'espère que la suite de ses aventures ainsi que les destins de ses autres compagnons continueront à te plaire, lorsque je les posterai une fois le Triangle achevé! Merci pour ton commentaire en tous les cas! :)


Saku ==> Et bien, je pense avoir pallié au problème de la longueur pour le chapitre suivant :niak: En espérant que cela te convienne ainsi :siffle: Il y a de grandes chances que Taya refasse surface à un moment ou un autre : ce n'est pas mon genre d'introduire un personnage qu'on ne verra qu'une fois :^p En espérant que ce long chapitre te plaise...


Sur ce, voici le chapitre XV de Triangle de Pouvoir. Un chapitre fort long, que j'ai longtemps hésité à découper en deux parties, pour finalement le poster tout entier, là, d'un coup, hop! Dites moi si un tel chapitre est trop long, afin que je segmente en cas de récidive ;p

Bonne lecture, et à la prochaine!


____________________________
[align=center]

XV
-Kaepora-[/align]


   Kaepora s’éveilla doucement, au terme d’un long cauchemar. On avait tiré les rideaux à l’unique fenêtre de la pièce si bien que la lumière tamisée ne l’agressa pas. Il ne connaissait pas l’endroit. Au lieu du calme et de la quiétude de sa chambre du Consortium, on percevait à travers le plancher bien entretenu des rires, des cris, un peu de musique. Le mobilier se résumait au lit sur lequel il était allongé, à une petite table décorée d’un pot fleuri, et à un tabouret en bois sur lequel était assis Madura.
   -Vieil ami… commença l’ancien maître avec une voix pâteuse.
   -Rallonge toi, ne force pas. Tu es resté inconscient très longtemps.
   -Inconscient? Répéta Kaepora en s’exécutant. Mais pourquoi?… Tout est si flou dans ma tête, je ne me souviens de rien.
   -C’est peut-être mieux ainsi.
   -Raconte moi. Où sommes-nous?
   -Dans une chambre du Poisson-Rêve.
   -L’auberge de Marine… Je crois que cela me revient. Je voulais te demander de l’aide pour une traduction, et je crois que je me suis égaré. Il y a eu cet étrange phénomène, et puis la voix…
   Le vieux mage s’arrêta, pensif. Il revoyait la scène, et cela réveilla la peur en lui.
   -C’est toi qui m’a sauvé, Madura?
   -Non, répliqua l’autre. Pas moi. C’est l’Ombre.
   -L’Ombre?
   -Oui.
   Madura avait toujours été ainsi. S’il jugeait qu’une information se suffisait à elle-même, il ne développait jamais. Le Prophète était grand et sec, dégingandé, la barbe hirsute et les cheveux gris tellement longs qu’il marchait presque dessus. Ses yeux creux et enfoncés étaient plus noirs que le charbon et renvoyaient un regard fou et grave. Sa bouche fine et pincée semblait hermétique, sa peau presque translucide semblable à du fragile parchemin.
   -Je suis surpris de te trouver ici, vieil ami.
   -Il le fallait. Il fallait que je sois le premier à te trouver, à ton réveil.
   -Pourquoi cela?
   -J’ai Vu.
   Kaepora fronça les sourcils. Madura avait renoncé à son don de prophète des décennies auparavant.
   -Quoi donc?
   -Hyrule est en péril. Je l’ai vu baignant sous les flammes. Je l’ai vu croulant sous une mer de sang et de cadavres. L’Esprit qui Sait a réveillé l’Innommable et l’Ombre qui Voit et qui Pleure ne peut lutter contre. Les Trois qui furent Choisis ne pourront faire front car ils sont divisés. Le Démon aux Milles Visages approchent et le destin de ce monde pourrait dépendre du choix de Celui qui le Porte.
   Madura se tut un instant.    
   -Il y a tant d’autres choses que j’ai Vu, mais moi-même je ne les comprends pas. Cela n’a plus d’importance, ma tâche est accomplie.
   Le Prophète tenait sur ses genoux un épais volume relié de cuir rouge. Il le posa à côté de Kaepora.
   -Voici ma contribution à la sauvegarde d’Hyrule. Je te le remets, mon ami, et tu devras en prendre grand soin. Libre à toi de le consulter mais il est primordial que son existence soit tenue secrète, et ce pour plusieurs générations.
   -Je comprends, acquiesça gravement Kaepora, bouleversé parce qu’il venait d’entendre.
   -Je pars à présent.
   -Tu retournes au Consortium?
   -Non. Je quitte cette ville, je quitte ce royaume. J’ai Vu que mes pas me porteront en Termina. Là-bas est mon destin, là-bas irai-je.
   -Je vois… Adieu dans ce cas, vieil ami. Puisse ta route être sûre.
   -Je ne te retourne pas cette formule, car je sais que la tienne sera parsemée d’embûches.
   Sans autre forme d’adieux, Madura se leva et quitta la chambre. Ce troublant entretient laissa Kaepora dans une certaine apathie. Il décida de se lever pour se changer un peu les idées. Il était faible, mais il parvint à rester debout et à marcher jusqu’à la fenêtre. Il constata qu’on l’avait dépouillé de sa robe de mage pour lui enfiler une tunique ample et des braies striées de blanc et de noir retenues par une ceinture robuste. Cela lui fit un drôle d’effet, car il avait porté la toge de sa fonction plusieurs décennies d’affilées. Se retrouver ainsi accoutré comme le commun marquait assez son départ sans retour du Consortium, et cela l’ébranla plus qu’il ne l’aurait cru.
   Tirant le rideau, il jeta un œil dans la grande rue en contrebas. Midi devait être passé depuis peu, à voir la position du soleil dans le ciel. La ville était en effervescence : des dizaines d’ouvriers charriaient sur leurs épaules de longues planches de bois ; on acheminait par chariots entiers des tréteaux et des tentes, des piquets et des cibles d’archeries, des caisses de fers à cheval, des lots d’épées, d’écus, de mailles et de plates, des lances de tournoi, des auvents en tissu chamarré… Des enfants couraient partout en jouant avec des lames en bois, les fourneaux semblaient tourner à plein régime à en juger par les nombreuses fumées blanches qui s’envolaient vers les nuées. La soldatesque surveillait l’activité avec attention, et Kaepora nota le brassard noir que les gardes portaient.
   Quelqu’un frappa à la porte.
   -Entrez! Cria Kaepora en retournant s’assoir sur le lit.    
   La jeune Médolie entra timidement. Kaepora mit un certain moment à la reconnaître, tant elle avait changé depuis leur dernière rencontre. Elle avait coupé sa longue chevelure châtaine dans des proportions drastiques qui lui donnaient un air de garçon manqué, et elle aussi avait troqué ses robes, pour un tablier aux manches retroussées jusqu’aux coudes et une jupe simple. La forme de son nez et la tendance de ses jours à rougir facilement n’avaient pas changé, cependant.
   -Médolie, mon enfant! Je suis heureux de te revoir.
   -Ho, maître Kaepora! J’étais si inquiète!
   Elle se précipita vers lui et enserra son vaste ventre avec ses petits bras menus. Embarrassé, le vieux mage constata qu’elle pleurait.
   -Allons, allons… Que sont-ce ces larmes? Demanda-t-il avec sa voix la plus gentille tout en lui tapotant tendrement le sommet du crâne.
   -On croyait que vous ne vous réveilleriez jamais! Cela fait si longtemps que vous n’avez pas ouvert les yeux!
   -Si longtemps que cela?
   -Plus de deux mois, maître!
   -Deux mois… répéta Kaepora avec une mine éberlué.
   Comment avait-il pu rester inerte pendant autant de temps?
   -Et puis il s’est passé tellement de choses!
   Médolie se recula un peu en séchant ses larmes.
   -Raconte moi. Et commence par le début, cela sera plus simple.
   -Quand on est rentré après la fête d’arrivée de Lord Link, on vous a cherché avec Scaff mais vous n’étiez nulle part et aucun des maîtres ne semblait savoir où vous étiez. On a pensé que vous étiez parti du Consortium, sans même nous dire au revoir, comme vous nous disiez souvent que vous alliez le faire, mais le lendemain maître Vaati est venu me voir et il m’a demandé de le suivre, parce qu’il avait une mission très importante à me confier. Je lui ai demandé où est-ce qu’il voulait m’emmener et il m’a répondu que nous devions quitter le collegium, que c’était très important. Je lui ai dit que je ne pouvais pas partir sans Scaff, parce que sinon il se retrouvait tout seul, alors il m’a enjointe d’aller le chercher et qu’il nous accompagnerait.
   Kaepora écoutait attentivement. Il se rappelait avoir suivi Vaati vers une salle secrète, le jour de son… accident. Nul doute que le maître était impliqué dans toute cette sombre affaire.
   -Maître Vaati nous a ensuite fait sortir par une porte dérobée, à l’arrière du Consortium, et nous a mené jusqu’ici, au Poisson-Rêve. Il nous a fait monter dans cette chambre et c’est là qu’on vous a vu, tout pâle, tout tremblant, inconscient. C’était très effrayant!
   -Je suis désolé que tu ais du subir cela, mon enfant.
   -Ho, moi ça va, mais Scaff a mis un peu de temps à s’en remettre, répliqua bravement la jeune fille.
   -Que s’est-il passé après?
   -Après, maître Vaati s’est entretenu avec Marine et il nous a dit qu’à présent nous travaillerions ici pour gagner notre pitance, et qu’ainsi nous pourrions veiller sur vous et vous soigner, et que c’était très important.
   -Je vois… souffla Kaepora en se frottant le menton.
   Tout ceci devenait de plus en plus obscur. S’était-il trompé? En fin de compte, Vaati était-il de son côté? Pourquoi l’avoir aidé? Était-ce lui qui l’avait amené ici, ou bien l’avait-il seulement retrouvé? Tant de questions, et tant de temps à rattraper, dépitèrent le vieux mage.
   -Après il ne s’est plus passé grand-chose. Vous avez retrouvé votre état normal petit à petit mais vous ne vous êtes jamais réveillé. Marine est très gentille avec nous, elle nous a offert une chambre et on mange bien tous les jours. Elle a recruté Scaff aux cuisines et moi je sers en salle. Avant maître Madura aujourd‘hui, personne n’est venu vous voir.
   -Et Vaati?
   -On ne l’a pas revu depuis…
   -Bien. Que se passe-t-il, en ce moment? J’ai noté une certaine activité dans la rue.
   -Ho! C’est parce que sa Majesté organise un tournoi qui se tiendra bientôt, en l’honneur de Lord Link et à la mémoire de la reine.
   -La mémoire de la reine? Questionna Kaepora en fronçant les sourcils.
   -Oui. La maladie a eu raison d’elle, il y a deux semaines.
   -Il s’est passé effectivement pas mal de choses pendant mon absence, commenta le vieux mage.
   -Ce n’est pas tout! Link a été lordifié, et le Chien a été adoubé!
   -Adoubé? Voilà qui est curieux.
   -Lord Link a épousé la princesse, et il y a eu une grande liesse. Et maintenant avec le tournoi, et tout ces gens qui affluent de partout, la cité est en effervescence!
   Kaepora esquissa un sourire et prit les mains de son apprentie dans les siennes.
   -Je suis désolé de vous avoir causé tant de soucis, à vous deux, fit-il.
   -Ce n’est rien. Ce n’était pas de votre faute, répondit l’autre en baissant les yeux. Je dois retourner travailler. Je vais annoncer la bonne nouvelle à Scaff, il sera fou de joie.
   -D’accord. Merci d’avoir veillé sur moi, mon enfant.
   -Ce… Ce n’est rien, vraiment. Je suis certaine que vous en auriez fait autant.
   Il la regarda partir puis poussa un soupir. Décidément, tout allait trop vite, ces derniers temps. Il ne savait plus quoi penser, ni même où il en était. Les sombres augures de Madura le perturbaient. Il n’y comprenait pas grand-chose mais les mers de sang et de cadavres étaient des images assez explicites. En soi, les prophéties n’avaient jamais rien d’inexorable. Elles n’étaient que des amalgames d’images et de métaphores de futures hypothétiques mais hélas souvent plausibles et même réalisés. Les premiers théoriciens des prophéties avaient déclaré que ces visions étaient des cadeaux des Déesses envoyés aux hommes afin qu’ils puissent lutter contre les forces du mal. Cette théorie fut longtemps admise jusqu’à ce que le dernier prophète en date ne s’arrachât les yeux et ne se coupasse la langue. A ce jour, aucune des prophéties qu’il avait consigné ne s’était encore réalisé, ou alors personne ne s’en état aperçu. Cependant, Kaepora prenait très au sérieux les avertissements de son ami. Madura avait toujours été quelqu’un d’excentrique et coupé du monde depuis son accident, aussi, qu’il ait éprouvé le besoin de venir jusqu’à cet auberge pour le rencontrer et l’entretenir de vive voix signifiait assez qu’il accordait beaucoup d’importance à ses visions.
   Mais qu’est-ce que Kaepora pouvait bien faire? Qui étaient ces « Trois qui furent Choisis », cet « Esprit qui Sait » ou cet « Œil qui Voit et qui Pleure »? Le « Démon aux Milles Visages »? Toutes ces appellations ne lui évoquaient absolument rien. Et il avait passé plus de deux mois dans le coma! Comment était-il censé s’y retrouver?
   De dépit, il s’empara du grimoire laissé par le prophète. Sa couverture fort simple ne comportait aucune inscription ou signe particulier. La première page s’ornait de l’écriture sèche caractéristique et l’on pouvait y lire « Le Livre de Madura ».  Les pages suivantes étaient couvertes d’un embrouillamini de symboles empruntés à plusieurs langages et mis côte à côte dans un joyeux chaos. Kaepora ne parvint même pas à déchiffrer une seule phrase. Par endroit le texte était entrecoupé de symboles magiques et de divers schéma sans queue-ni-tête. Il ne voyait pas bien quel pouvait être l’intérêt de ce grimoire, mais connaissant Madura, l’ensemble devait faire sens une fois la clé de lecture trouvée. Décidant d’y revenir plus tard à tête reposée, le vieux mage cacha l’ouvrage sous son matelas.
   Il constata alors qu’il mourrait de faim. Ce qui tombait plutôt bien car il était précisément dans une auberge. On avait laissé près de la porte une paire de sandales en cuir qu’il chaussa avec peine. Ainsi équipé il sortit dans le couloir et emprunta l’escalier en direction de la salle commune. Celle-ci était vaste, très propre, aux murs garnis de fenêtres, de tentures champêtres et de tableaux divers laissés là en guise de paiement ou de remerciement. Le comptoir s’alignait sur presque l’intégralité du mur du fond, une pièce de bois massif et lustré derrière lequel s’alignait sur des étagères un éventail impressionnant d’alcools et de boissons importés des quatre coins du monde. La salle était assez grande pour se payer le luxe d’une scène où, le soir tombé, des musiciens venaient se produire en échange d’une pitance et d’un lit pour la nuit. Le bâtiment en lui-même était beau et bien entretenu, et l’établissement souffrait d’une excellente réputation, mais ce qui faisait sa renommée était bel et bien sa jeune tenancière, belle à en mourir. Une rousse flamboyante à la peau de nacre, au visage avenant et aimable aux yeux semblables à des émeraudes chatoyantes. Combien de cœurs d’hommes avaient donc chaviré en contemplant la belle Marine? Kaepora avait rencontré la jeune femme à ses débuts en tant que serveuse,  lorsqu’il était déjà un habitué, puis l’avait vue reprendre avec brio la taverne à la mort du précédent propriétaire.
   Etrangement, étant donnée l’agitation qui régnait dans la rue, la salle commune était plutôt vide. Quelques groupes épars d’habitués ou de joueurs occupaient des tables dispersées en bavassant calmement, tandis qu’un luthiste tirait quelques accords discrets à l’écart. Médolie s’échinait à porter des assiettes pleines, pendant que sa patronne bullait tranquillement derrière son comptoir, un coude sur celui-ci et le menton posé dans la paume de la main. Kaepora reconnut la mine grave de ser Allister Dodongo, qui semblait partager en silence une pinte de bière avec un autre homme qui tournait le dos à Kaepora. L’individu portait lui aussi une épée -au côté droit, ce qui était curieux- ainsi qu’un tabard ocre doré arborant un limier noir.
   Le vieux mage traversa la salle et s’installa sur un des hauts-tabourets, juste devant Marine.
   -Tiens tiens… Le dormeur est réveillé, commenta cette dernière avec morgue.
   -Cela n’a pas l’air de t’émouvoir plus que cela.
   -Le grand type maigre qui est venu te voir m’a avertie. Ca a comme qui dirait casser l’effet de surprise.
   -Certes. Je meurs de faim.
   -Je me doute. C’est pas avec tout ce bouillon dont on te gave depuis ton arrivée qu’on allait pouvoir satisfaire toute cette graisse. J’ai du poulet.
   -Je crois que je vais me laisser tenter, dans ce cas, fit Kaepora avec un sourire.
   -Qu’est-ce que tu boiras avec ça?
   -Une bonne pinte d’ambrée. J’ai l’impression que cela fait une éternité que je n’ai pas bu une bonne bière.
   -Tu crois pas si bien dire…
   Lorsqu’elle revint avec sa commande, il lui déclara :
   -Je crains par contre de ne pas pouvoir régler tout de suite.
   Marine lui décocha un sourire.
   -Ce n’est pas comme si je m’en doutais pas. Mais ne t’en fais pas pour ça, mange tant que c’est chaud.
   -C’est plutôt calme aujourd’hui, observa-t-il en prenant une première bouchée.
   -M’en parle pas! Je me faisais déjà une joie de ce tournoi, mais voilà pas que toutes les outres à vins de cette Cité se sont mises martel en tête d’aller aider aux préparatifs ou à fourrer leur nez partout. Et les nouvelles bourses fraîchement arrivées ne connaissent pas encore l’endroit. J’imagine que ça ira mieux au fil de la semaine.
   -Hmm. Dis moi, qui est donc ce chevalier attablé avec notre bon ser Allister?
   -Ser Sanks, autrement connu comme le Chien.
   -Ho! Je vois…
   -Il a commencé à accompagner m’sire Allister ya quelques jours, et depuis je ne vois plus l’un sans l’autre.
   -Comment est-il?
   -Beau comme un cœur et poli comme tout, mais brr, froid comme l’hiver. Pas un mauvais bougre, c’la dit. Je te parie tout ce que tu veux qu’il est encore pucelle.
   -Comment peux-tu savoir ça?
   -Ya qu’à le regarder. Il est plus du genre à escalader un rempart pour voler un baiser à sa belle qu’à fourrer sa rapière dans tout ce qui bouge.
   -Voilà qui est joliment dit.
   -Désolée de déplaire aux chastes oreilles de messire, ironisa la tenancière avec un nouveau sourire espiègle.
   -Pour parler de choses plus sérieuses, merci pour ce que tu fais, tu sais, pour les petits.
   -Bah! Ne t’en fais pas pour ça, ça me fait plaisir et puis ils sont durs à la tâche et pas difficile pour deux sous. Par contre… (Elle se pencha en avant, comme pour lui faire une confidence.) Ton copain du Consortium, il m’a dit de te dire qu’il serait plus prudent de te faire oublier quelques temps, et de changer d’identité. Il a dit que tu étais comme qui dirait plus en grâce auprès de certains grands de cette cité.
   -Je comprends, acquiesça Kaepora avec un poids sur le cœur. Merci.
   -A ton service.
   Marine retourna vaquer à ses occupations, qui consistaient plus ou moins à ne rien faire, pendant que le vieux mage finissait son repas. Rassasié, il fit descendre le tout avec une bonne rasade de bière. Puis, ne pouvant s’en empêcher, il se tourna vers la table de ser Allister. Ce dernier avait fermé les yeux et semblait écouter le luthiste, un léger sourire aux lèvres. Son compagnon observait l’agitation du dehors par la fenêtre jouxtant leur tablé. C’est à ce moment que Kaepora remarqua sa fameuse main broyée. Pris d’une pulsion soudaine, il se dirigea vers eux.
   -Bien le bonjour, messers. Puis-je me joindre à vous?
   Locke Sanks se tourna vers lui, et il put admirer le charnier qu’était son visage. Ayant vu bien pire au cours de son existence, Kaepora ne se laissa pas démonter et rendit son regard au chevalier.
   -Je vous en prie, fit ce dernier en indiquant une chaise libre.
   -C’est bien aimable à vous, messers, déclara le mage en prenant place. Je me nomme Lancel Pérault, marchand itinérant de mon état. Cela va sans dire que le tournoi attire autant les curieux que les hommes d’affaires. On dit d’ailleurs que ce tournoi là sera des plus fameux. Y participerez vous, messers?
   -Je me joindrai à la mêlée, répondit ser Locke. Je suis, hélas, dans… « l’incapacité », de jouter.
   -Ho, je vois, je vois… Et vous messer?
   Kaepora savait pertinemment que l’aîné de Lord Darunia était muet, mais Lancel Pérault n’était pas censé le savoir, lui.
   -Ser Allister ne peut malheureusement pas s’exprimer, expliqua l’autre patiemment. Il compte participer à toutes les épreuves.
   -Ho,  je vois, merveilleux! J’ai entendu bien des choses sur votre art de l’épée, messer Allister. J’espère que vous nous régalerez de bien des exploits.
   L’intéressé hocha la tête avec un vague sourire.
   -Je n’ai pas bien saisir votre nom, messer…? Reprit Kaepora en se tournant vers l’estropié.
   -Locke Sanks.
   -Ho! Le fameux Chi… Pardonnez moi, je ne voulais pas être insultant.
   -Il n’y a pas de mal. Je sais que tout le monde m’appelle ainsi.
   -Et cela ne vous fait rien?
   -Au début, cela était un peu… perturbant, mais au fil du temps, on s’y habitue. Et puis, étrangement, lorsque j’écoute certains passants me haranguer de la sorte dans la rue, on dirait presque que ce titre a quelque chose de glorieux, à présent.
   -Tout à fait, c’est certain. Vos exploits aux côtés de notre valeureux Héros ne sont plus à narrer.
   -Libre à vous d’appeler ce massacre selon le terme de votre convenance.
   Le ton du chevalier s’était durci, et son œil plus froid que jamais dardait sur Kaepora un regard l’invitant assez explicitement à ne pas continuer sur cette voix.
   -Peut-être pourrais-je vous offrir à boire, messers, pour me faire pardonner.
   -Une pinte ne serait pas de refus, oui. Merci.
   Le vieux mage fit signe à Médolie de leur resservir trois bières. Un silence assez inconfortable s’installa entre les trois hommes, bien qu’il ne semblât gêner aucun des chevaliers. Deux hommes pénétrèrent dans l’auberge à ce moment là. Le premier était assez grand , élancé, le visage jeune mais les traits vieux, une figure belle de gravité servie par des prunelles trop azurées et des cheveux raides et bleutés. Il portait une lourde cape de fourrure et une élégante armure de cuir légère ainsi qu’une longue rapière au côté. Son compagnon était plus âgé, dans les trente ans, plus petit, plus trapu, un visage assez commun quoi que notable avec ses fines moustaches brunes, sa barbiche en pointe et ses yeux caves et cernés de noir. Il était vêtu d’un long manteau bleu marine et d’habits simples dans des tons neutres.
   Le guerrier fit un pas en direction du comptoir mais se ravisa lorsqu’il aperçut la table de Kaepora. Il fixa un moment ser Allister, qui lui tournait le dos puis s’approcha.
   -Allister, est-ce bien toi?
   Le susnommé se retourna, et son visage s’éclaira comme il reconnaissait le nouvel arrivant.
   -Allister, dans mes bras mon frère! S’écria celui-ci en lui donnant l’accolade. Laisse moi te regarder! Haha! Tu n’as pas changé. Toujours aussi fluet.
   Fluet n’était pas vraiment le mot qu’aurait choisi Kaepora pour qualifier le colosse Dodongo mais il se tint tranquille.
   -Si je m’attendais à te trouver dans une taverne! Le chaste Allister se serait-il un peu dévergondé? Qu’est-ce tu bois là? Du lait au miel? Haha!
   Les deux chevaliers s’accolèrent une fois de plus.
   -Et bien, je ne pense pas avoir eu le plaisir de rencontrer tes compagnons auparavant.
   Le Chien se leva et tendit sa main valide.
   -Je suis Locke Sanks.
   -Ha! Notre nouveau frère, répondit le jeune chevalier aux cheveux bleus en enserrant le poignet de son vis-à-vis comme le voulait le protocole. Appelez moi Mikau Zora.
   -Le frère de Lady Ruto?
   -Lui-même.
   -On m’a beaucoup parlé de vous.
   -Et en mal j’en suis sûr. Hélas, il est parfois difficile de se défaire d’une réputation forgée à l’aulne d’une jeunesse rebelle et polissonne.
   Ser Sanks et ser Mikau échangèrent un sourire. Le second ne semblait pas du tout souffrir la vue du visage ravagé. Il se tourna vers Kaepora.
   -Quant à vous messire…
   -Quant à moi, je me nomme Lancel Pérault, marchand de son état. Je n’ai pas la chance de rencontrer autant de beau monde en une seule fois, d’ordinaire.
   -Beau, beau… Pour cela il faudrait l’avis d’une demoiselle, plaisanta le Zora. Mais hélas, messer Sanks, je crains qu’avec Allister dans les parages nos chances soient minimes.
   -Je n’en doute pas, répondit l’autre avec l’ébauche d’un sourire.
   -Et voici notre miraculé, messire Linebeck, qui a accompli l’exploit de survivre à un séjour prolongé dans notre bonne vieille Hylia.
   Ser Mikau s’installa naturellement à la table et fit signe à tout le monde d’en faire autant pendant qu’il hélait Médolie pour quelques pintes supplémentaires.
   -Ce tournoi attire du monde, c’est certain, commença-t-il. Nous avons eu toutes les peines du monde à entrer dans la cité, avec toute cette agitation, ces chariots qui entrent et qui sortent, ces marchands à la sauvette -sans offense, messire Pérault. J’espère qu’il saura se montrer à la hauteur. Vous jouterez Allister, j’espère?
   L’intéressé hocha la tête.
   -A la bonne heure, je tiendrai là l’occasion de me venger de la dernière fois. Ce sera votre tour, je gage, de goûter la bonne herbe d’Hyrule. Ser Sanks, vous nous ferez l’honneur d’une mêlée, n’est-ce pas?
   -Naturellement.
   -Fort bien ! J’ai moi aussi beaucoup entendu parler de vous : des choses… extravagantes pour la plupart, mais ce qui revenait invariablement dans tous ces racontars était assurément votre science de l’épée. Je meurs d’impatience de vous croiser l’arme au poing.
   Ser Mikau ingurgita presque l’entièreté de sa pinte avant de la reposer avec force sur la table en se torcha la bouche.
   -Ce voyage m’avait donné grand soif. Il y avait bien longtemps que je n’avais plus mis les pieds dans cette Cité. Je m’aperçois que beaucoup de choses ont changé. A commencer par cette taverne. Le vieux Tarkin semble avoir été avantageusement remplacé. Bon, maintenant que me voilà le gosier abreuvé, il me faut me rendre au Château pour m’annoncer et régler quelques menus détails protocolaires. Allister, accompagnez moi, je crois que nous avons du temps à rattraper, vous et moi.
   Le chevalier se leva, et posa une main amicale sur l’épaule de Linebeck.
   -Aux dernières nouvelles, cette auberge est la meilleure de la ville. Prenez-y une chambrée, que je sache vous trouver si le besoin s’en fait sentir - ce qui ne devrait pas être le cas, s’entend. Autrement, nous nous reverrons au tournoi, mon ami. D’ici là, prenez soin de vous. Allister, allons-y.
   Les deux hommes n’avaient pas déjà mis un pied dehors que l’on entendait ser Mikau railler son vis-à-vis. Kaepora, Linebeck et Locke Sanks s’observèrent, un peu désemparés.  
   -Vous disiez être, messire..? Fit le mage à l’encontre du contrebandier dans l’espoir de débrider un peu la situation.
   L’intéressé s’éclaircit la gorge.
   -Je suis… Enfin j’étais, capitaine de navire marchand. J’avais pour habitude de négocier le long de la Ouest-Hylia et jusqu’à Mercantîle.
   -Vous étiez? Ce n’est plus le cas?
   -Et bien, c’est une histoire assez longue, mais pour faire bref disons que je me suis fourré dans un mauvais pas duquel messer Mikau m’a tiré. J’espère pouvoir me relancer auprès de quelques associés, ici dans la cité. Mais je dois dire que je suis assez perdu, cette ville est tellement grande, et c’est la première fois que j’y mets les pieds.
   -Ha! Cela est certain! Peut-être pourrions nous vous renseigner?
   Linebeck les dévisagea tour à tour, en s’humidifiant fébrilement les lèvres. Tout à coup il paraissait nerveux, et méfiant. Ce changement prompt d’attitude ne laissa pas d’étonner le vieux mage, et à voir la tête soupçonneuse que tirait ser Sanks, cela ne lui avait pas échappé non plus.
   -Hé bien… Je ne sais si je peux m’en ouvrir, il y a… Hmm… Disons certains intérêts en jeu, si vous me comprenez?
   -Allons! Ne faites pas tant de manière, sourit Kaepora d’une voix amicale. Nous ne voulons que vous aider, si cela est en notre pouvoir.
   L’ancien capitaine sembla peser le pour et le contre une longue minute, puis décida qu’il pouvait se confier.
   -Je dois m’entretenir avec une certaine personne du Consortium Aedeptus.
   L’annonce laissa Kaepora perplexe. On ne faisait pas affaire avec le Consortium. Du moins pas tant qu’on pouvait l’éviter.
   -Si j’étais vous, je resterais loin de ces olibrius, fit-il avec un sourire. On raconte toute sorte de choses à leur sujet, et rarement de bonnes choses, si vous me suivez.
   -Cela me regarde, répliqua l’autre assez sèchement.
   -Vous ne pouvez pas le manquer, c’est le grand bâtiment situé à l’opposé du Temple, intervint ser Sanks.
   -Je vous remercie, messer. Sur ce, si vous voulez bien m’excuser, ce fut un plaisir de vous rencontrer.
   Linebeck les quitta et monta dans sa chambre aussitôt que Marine lui eut donné les clés. Le Chien passa sa main valide dans sa tignasse noire puis finit sa pinte.
   -Je vais me retirer également. Mon écuyer m’attend pour sa leçon. Messire Pérault…
   Le chevalier s’inclina avoir roideur puis se dirigea vers Marine à son tour. Kaepora l’observa. Il était assez déroutant, avec son calme olympien, ses bonnes manières et son apparence si particulière. Il tira de sa bourse une poignée de pierres précieuses qu’il étendit sur le comptoir en guise de paiement. La tenancière lui fit signe de se pencher en avant, comme si elle allait lui confier un secret. Au lieu de quoi, elle l’attrapa par le devant du tabard et l’embrassa fougueusement sur la bouche. Kaepora pouffa dans sa barbe en constatant que le froid chevalier rougissait jusqu’à la racine des cheveux. Lorsque la jeune femme relâcha son étreinte, il bredouilla quelque chose, le visage caché par ses cheveux, et s’en fut promptement, en s’emparant de sa cape bordée de fourrure au passage.
   -En espérant vous revoir bientôt, messer! Lança Marine derrière lui.
   Hilare, le vieux mage s’approcha lui aussi, sa choppe à la main.
   -Voilà qui sonnait comme une déclaration, lança-t-il en reprenant sa place sur le haut-tabouret.
   -Hmm… Non, plutôt une invitation, répliqua la tenancière en se léchant les lèvres.
   -Autant pour moi. Tu ne m’avais pas dit que tu avais un faible pour les estropiés. Si j’avais su je me serais amputé d’une main depuis longtemps.
   -Il me fait craquer avec  ses bonnes manières et son air si grave. Et puis, si on fait abstraction des balafres, il est plutôt mignon.
   Kaepora la considéra un moment sans rien dire.
   -Quoi? Et puis de toute façon, ça ne regarde que moi. J’ai jamais essayé un chevalier, pour l’instant, continua Marine en tirant la langue.
   -Ha, ma bonne dame! Votre propos devient trop grivois pour moi, je vais devoir me retirer!
   -Où comptes-tu aller?
   -J’ai quelques affaires à régler. Je serai de retour sous peu. Est-ce que tu aurais une bonne cape que je pourrais t’emprunter, par hasard?
   Le mage constata assez vite que l’automne était froid, cette année là. Ses vieux os hurlaient leur mécontentement, mais il se consola en songeant à ce que l’hiver était encore assez loin. Il arpenta les rues un long moment, cherchant à établir un contact mental avec son hiboux familier, Gaebora. Il s’approcha autant qu’il l’osa du Consortium, mais sans plus de succès. Il était fort probable que l’animal fut resté à l’intérieur du collegium, ou bien qu’on l’ait tué, plus radicalement. Ce constat chagrina le mage, qui avait toujours eu beaucoup d’affection pour son compagnon à plumes.
   Circuler était devenu vraiment difficile, tant les allées étaient littéralement bondées de monde. Il fut régulièrement bousculé, et sentit quelques fois des mains lestes l’effleurer à la recherche vaine d’une bourse. De nombreux reîtres s’agglutinaient devant et dans les échoppes d’armurerie et de ferronnerie ; des troubadours se produisaient à chaque coin de rue en espérant glaner quelques pièces ou vantant le mérite de leur troupe ; des femmes avaient installé des étales où elles vendaient pâtisseries, sucreries et autres douceurs aux badauds curieux.
   Rapidement épuisé, le mage regagna tant bien que mal le Poisson-Rêve.  Une poignée d’heures à peine s’étaient écoulées depuis son départ, mais l’auberge s’était remplie de façon impressionnante. Il n’y avait presque plus de tables libres, et on ne pouvait plus s’entendre penser au milieu des rires, des cris, des exclamations, de la musique. Il aperçut Médolie, Marine et d’autres jeunes femmes occupées à servir aussi vite que possible les innombrables clients. Désireux de ne pas les incommoder, Kaepora s’éclipsa à l’étage où il retrouva le calme paisible de sa chambre. Les bruits de la salle commune lui parvenaient toujours, étouffés, entre les lattes du plancher, mais il s’en accommoda. Le vieux mage regretta de ne pas avoir un ou deux livres à étudier, maintenant qu’il avait beaucoup de temps devant lui. Il reporta son attention sur le volume de Madura qu’il tira de dessous le matelas.
   Allumant une chandelle, il s’installa à la table et ouvrit le grimoire. N’ayant ni parchemin ni encre à disposition, il décida de simplement parcourir les écritures, à la recherche d’une phrase, d’un petit bout de page qui pourrait lui évoquer quelque chose, ou le mettre sur la piste d’une clé de lecture. A première vue ce n’était qu’un maelstrom sans sens réel. Il y avait des lettres Hyruliennes modernes, des runes d’ancien Hylien, des glyphes Terminiennes et des pictogrammes de Labrynna et d’Holodrum. On y trouvait aussi certaines déformations issues d’aucun langage connu de Kaepora, ainsi que des arcanes magiques et des symboles cabalistiques. Certains schémas s’intégraient directement dans le corps du texte, compliquant sensiblement l’affaire. A force de persévérance, le mage parvint à saisir quelques mots, qui n’avaient hélas pas beaucoup de signification hors de leur contexte. Le déchiffrage était d’autant plus déroutant que lorsqu’une certaine logique semblait se dessiner dans la superposition des tracés elle était mise en échec deux pages plus loin. Kaepora palpa la couverture à la recherche d’une doublure ayant pu contenir un code quelconque, mais sans succès.
   Découragé, le mage se frotta les yeux et ferma le manuscrit. Il constata alors non sans surprise que la bougie était éteinte depuis longtemps, et que l’aube commencer à poindre par la fenêtre. L’auberge était parfaitement silencieuse, et pourtant il aurait juré que pas plus d’une minute auparavant il y avait encore de la musique. Il soupira et se laissa aller contre le dossier de sa chaise. Sorti de son coma de deux mois, il se sentait parfaitement reposé et n’éprouvait absolument pas le besoin de dormir. Par contre, son estomac grondait et il avait la gorge un peu sèche. Il estima que Marine ne lui en voudrait pas s’il se servait un petit encas dans ses cuisines. S’emparant de sa chandelle froide, il se glissa sans un bruit dans le couloir totalement sombre. Avec la même discrétion, il descendit dans la salle commune, qui avait quelque chose d’angoissant ainsi, immense, vide et enténébrée. Le feu dans le foyer n’était plus que braises incandescentes illuminant faiblement les contours de la cheminée. La ville semblait endormie, la rue étant parfaitement calme. Marine dormait au rez-de-chaussée, il convenait de ne pas l’éveiller. Il traversa la salle les mains tendues pour ne pas se cogner contre des tables ou des chaises, jusqu’à toucher le comptoir, qu’il suivit vers la gauche vers la porte du garde manger. Il batailla un moment pour trouver la poignée, et eut la désagréable surprise de la tourner dans le vide. Quelqu’un avait eu l’idée fameuse, mais judicieuse certes, de fermer la salle à clé.
   Kaepora prononça quelques mots à voix basse en laissant le pouvoir s’écouler par ses doigts, et la serrure émit un petit chuintement plaintif avant de se débloquer dans un clic sonore qui semblait monstrueux dans ce silence de cathédrale. Le mage tendit l’oreille, le cœur battant tel un enfant craignant d’être pris la main dans le sac, mais comme personne ne faisait mine de venir, il entra dans la pièce. Une lanterne brûlait toujours faiblement ; il en profita pour allumer sa chandelle. Il y avait tout ce qu’un homme pouvait désirer de nourriture là-dedans. Des viandes, des poissons salés, des légumes, des fruits, du pain, des fûts de bière et de vin… Se sentant déjà assez coupable, Kaepora se contenta d’un petit saucisson, d’une cruche de bière et de deux belles pommes qu’il fourra dans ses poches. Sa basse besogne achevée, il ressortit et ferma la porte par le même sortilège que précédemment. Il se figea cependant lorsqu’il entendit un bruit. C’était un craquement de plancher. Ou du moins tout comme. Il crut tout d’abord que c’était un effet de son imagination, mais le phénomène se répéta, et il n’eut plus de doute : quelqu’un marchait dans le couloir à l’étage!
   Le mage paniqué chercha fébrilement un endroit où se cacher, et avait presque entièrement jeté son dévolu sur le comptoir, lorsqu’il se rendit compte que les pas ne se dirigeaient pas vers l’escalier. Intrigué, il écouta plus attentivement. La personne devait être assez menue, peut-être même était-ce un enfant. Cependant sa démarche était assez inhabituelle, hachée, saccadée, sans rythme. Comme quelqu’un de ivre titubant. Cela avait quelque chose d’effrayant. Kaepora avala sa salive et remonta lentement les escaliers. Masquant la flamme de sa bougie, il passa la tête pour tenter d’apercevoir le promeneur nocturne, mais il faisait bien trop sombre. Le bruit des pas s’éloignait vers le fond du couloir, et le mage crut entendre comme des chuchotements. Au bout de quelques longues minutes passées à écarquiller les yeux dans la pénombre, il entendit une porte s’ouvrir. Une faible lumière en provenance de la chambre découpa la silhouette du vagabond en contrejour ; une silhouette d’enfant que Kaepora connaissait bien.
   Mais que diable Scaff pouvait-il bien fabriquer à cette heure-ci? Souffrait-il de somnambulisme? A bien y regarder, son professeur le trouva quelque peu… « étrange ». Ses épaules étaient affaissées, ses yeux grands ouverts et il tenait… un couteau?
   Plissant les yeux, Kaepora y regarda à deux fois mais Scaff avait déjà disparu. Peut-être était-il simplement descendu manger un petit quelque chose, comme lui-même? Mais dans ce cas il l’aurait forcément croisé. Parti se soulager, alors? Mais dans ce cas pourquoi avait-il besoin d’un couteau de cette taille là? Sans trop savoir pourquoi, le mage éprouvait un malaise croissant. Cela venait principalement de l’expression de son jeune apprenti. Une expression dérangeante, et dérangée… Quelque chose n’allait pas. Il décida d’aller trouver le garçon pour obtenir quelques informations.
   Il n’était pas encore au milieu du couloir lorsque le cri retentit. Un cri d’homme adulte, long, déchirant, qui faisait froid dans le dos. Kaepora sursauta, et lâcha presque sa chandelle dans son affolement.
   -A moi! A moi! On m’assassine! Haaaaaaaaaaa!….
   N’écoutant que son courage,  le vieux mage se précipita et se figea dans l’entrebâillement de la porte ouverte. Scaff se tenait à califourchon sur le capitaine Linebeck, qui essayait avec peine de maintenir à distance la main du garçon qui tenait le couteau, dont la lame dégouttait de sang frais. Le marchand était blessé à l’épaule droite et perdait beaucoup de fluide vitale. Il paraissait plus pâle encore qu’à l’accoutumée, et ses traits étaient tordus d’horreur et de douleur.
   -Scaff, mon garçon! Mais enfin as-tu perdu l’esprit? S’écria Kaepora.
   -Plus besoin…. Inutile… Meilleur hôte… murmurait l’apprenti magicien avec une voix d’outre-tombe qui arracha au mage un frisson d’épouvante.
   -Pérault! Pour l’amour des Trois, enlevez moi cette chose! Glapit Linebeck avec un gémissement. Il va me tuer!
   Kaepora se précipita et ceintura son disciple. Dans un grognement d’effort, il tenta de le tirer en arrière. L’enfant lui envoya le coude dans le visage pour lui faire lâcher prise, mais le capitaine profita de son moment d’inattention pour le repousser et rouler sur le plancher. Les deux hommes reculèrent, l’un se tenant le nez, l’autre l’épaule. Le garçon se tourna vers eux, et il fallut toute sa volonté à Kaepora pour ne pas hurler. Les yeux de Scaff étaient écarquillés de façon démentielle, le blanc devenu d’un jaune scintillant écœurant. Sa bouche s’ouvrait sur un sourire tordu et grotesque qui semblait physiquement aberrant. De petites ridules étaient apparues sur son visage, comme si la peau trop tendue était prête à craquer.
   -Il n’est pas dans son état normal! Quelque chose semble le posséder! S’exclama Kaepora avec stupeur.
   -Faites quelque chose Pérault! Il veut me tuer!
   Comme pour lui donner raison, Scaff se jeta en avant, couteau brandi vers Linebeck. Ce dernier fit un pas de côté pour l’éviter, mais la lame l’entailla gravement au bras lorsqu’il se protégea du coup suivant. Il cria de douleur et battit précipitamment en retraite. Une bourrasque de vent digne d’une tempête se leva soudainement dans la pièce, pendant que Kaepora psalmodiait des mots de pouvoir. L’ouragan projeta Scaff contre un mur avec violence et l’y tint plaqué.
   -Pérault! Glapit Linebeck. Est-ce vous qui faites cela?
   -Nous n’avons pas le temps pour les histoires, Linebeck, répliqua le mage, les dents serrées. Il faut que vous…
   Laisse moi tranquille, Mage!
   Une onde d’énergie pure jaillit du corps de l’enfant et traversa Kaepora, lui faisant perdre le contrôle de son sort et lui vrillant le cerveau.
   -Plus besoin…. Inutile… Meilleur hôte, continuait de chuchoter Scaff pendant qu’il se relevait.
   Linebeck avait anticipé, et il lui fracassa un tabouret sur le crâne, sans effet probant. Le capitaine évita de justesse un coup de couteau, et ne dut son salut qu’au bouclier magique que dressa hâtivement son compagnon autour de lui. L’entité prit alors le mage pour cible et lui fonça dessus, son sourire ignoble toujours cloué au visage. Kaepora s’empara d’une pomme dans sa poche et la projeta vers l’assaillant, en hurlant une formule. Propulsé par la magie, le projectile frappa l’enfant en plein visage et sembla l’estourbir quelques instants. Le mage n’avait pas le temps pour comprendre ce qui possédait son apprenti, et tenter de l’exorciser. A son grand désarroi il dut faire le difficile choix de la survie. Profitant de l’étourdissement temporaire de son adversaire, il conjura des lames de magie pure qu’il jeta contre Scaff. Avec dégoût, il les observa déchiqueter le petit corps frêle dans des gerbes de sang, lui arrachant un bras et une partie du visage. Cependant, à la grande horreur de Kaepora, la chose  se contenta d’émettre un rire spectrale sans même bouger les lèvres, et recommença à tituber vers lui.
   Mais la pointe d’une épée émergea subitement de son torse. Sans effet. Le monstre s’arracha de la lame sans même sembler éprouver la moindre souffrance.
   -La tête! Il faut viser la tête! Cria Kaepora en reculant.
   L’épée s’abattit une fois sur le cou grêle, tranchant joyeusement dans le vif. Puis elle s’abattit une seconde, une troisième fois, dans des flots vermeilles. La tête à moitié tranchée dardaient ses yeux mauvais sur le mage. Le quatrième coup fut le bon, et le crâne s’envola à travers la chambre pour finir de rouler sur le plancher qu’il macula de sang. Le tronc fut pris d’un unique soubresaut, puis s’effondra comme une masse.
   -Kaepora! Kaepora! Est-ce que tu es blessé?
   Marine se tenait à ses côtés, une épée à la main, et lui secouait l’épaule avec énergie. Choqué, le mage mit un moment à répondre.
   -Oui, oui, je vais bien… Mais Linebeck?
   -Il s’est évanoui, il a perdu beaucoup de sang. Je vais m’occuper de lui. Mais par les Trois! Kaepora, qu’est-ce que c’était que cette chose?
   -Je… ne sais pas. C’était Scaff. Je crois. Enfin, quelque chose le possédait. C’était… Ho Marine! Il est mort! On l’a tué!
   -Tu n’as pas à t’en vouloir, Kaepora. C’était lui ou nous.
   Ils se serrèrent dans les bras l’un de l’autre, pour se rassurer, les yeux rivés sur le cadavre de la chose. Un premier rayon de soleil timide vint frapper la flaque de sang, la faisait joliment miroiter.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: sakuranbo le jeudi 04 novembre 2010, 13:34:14
Chouette, un nouveau chapitre!  :<3:  La longueur est parfaite ainsi je trouve, pas besoin de découper en plusieurs parties tellement c'est agréable à lire!
Enfin la fin est plus terrifiante qu'agréable on va dire lol. Je ne m'attendais pas à ce genre de retournement, c'est horrible, pauvre petit Scaff... Quel génie GMS :niais: j'ai adoré! Vivement la suite!
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: silver le jeudi 04 novembre 2010, 17:55:07
Triste fin pour Scaff, j'aimais le personnage mais on ne peut jamais échappé à la mort. J'adore littéralement le chapitre, très mystique et envoûtant. Je suis heureux de constater que Kapoera s'en sort même ainsi. Quant à Locke Sanks, on remarque qu'il a  du succès auprès des femmes. J'espère que Médolie survivra, elle est si attachante. Je crains que l'on est un schéma désespéré pour l'intrigue, Sanks semble être bien destiné à faire l'erreur à ne pas faire mais on verra bien. Ne mettons pas la charrue avant les bœufs. Heureusement, Linebeck a l'air d'avoir plus de chances que prévu et ça peut s'avérer parfait pour la suite.

Vivement la suite dans ce cas pour revoir les nouvelles aventures de notre bon "Monarque". Bonne continuation...
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le lundi 22 novembre 2010, 19:49:30
Saku ==> Merci! Hélas, après t'avoir habituée à une longueur de chapitre décente, je me vois contraint de revenir sur mes positions. J'espère que tu ne m'en voudras pas trop!  ^x^

Silver ==> Merci pour le commentaire. En espérant que la suite continue à te plaire!


Sur ce, voici la suite de Triangle. Je ne suis pas très inspiré pour la fin de ce chapitre, et comment cela fait déjà un moment que je n'ai rien posté, je publie aujourd'hui une première partie, assez courte, juste histoire de dire que je suis toujours vivant :p  J'espère que vous me pardonnerez!

Sur ce, bonne lecture!



_____________________


[align=center]XVI
-Tarquin-
(1ère partie)[/align]

   La Chambre de l’Epée était plus silencieuse et plus froide qu’un tombeau. L’arme sacrée scintillait légèrement sous les rayons du soleil qui, traversant les vitraux colorés situés très haut,  venaient frapper la lame selon un angle parfaitement étudié. Le Gardien du Temple était assis sur les quelques degrés de pierre du piédestal, obèse et chauve, ses gros doigts boudinés triturant calmement les triangles d’or pur qui ornaient sa large ceinture.
   -Je commençais à craindre que vous n’ayez oublié mon existence, déclara-t-il.
   -Je m’en voudrais d’être aussi grossier, répliqua Tarquin en jaillissant d’une poche d’ombre, au pied du mur Nord.  
   -J’ai beau avoir examiné moi-même ce mur minutieusement des dizaines de fois, j’avoue ne toujours pas saisir la façon que vous avez d’apparaître et disparaître ainsi.
   -J’ai bien peur que certains secrets doivent rester secrets, votre Sainteté, répondit le maître du Sheikah en s’approchant.
   Rauru l’Intemporel cessa de sourire et prit un air grave.
   -La Reine est morte plus tôt que nous l’avions prévu.
   -Sa constitution faible lui a été fatale.
   -N’y avait-il vraiment aucun moyen de la sauver?
   -Pas sans mettre la vie du prince et celle de la princesse en danger.
   Le prêtre resta un moment songeur.
   -Nous pensons d’ailleurs, reprit Tarquin, qu’ils passeront à l’acte plus tôt que prévu, également.
   -En êtes vous certain? C’est votre espion qui vous l’a dit?
   -Non. Il est survenu un incident fâcheux cette nuit en ville, impliquant de la magie noire. Une tentative d’assassinat a l’encontre d’un mage que nous protégeons.
   -Un mage?
   -Il est de notre côté. Il a été témoin et victime de leurs machinations.
   -Je vois… Je suis étonné de ne pas avoir eu d’échos de cet… « incident ».
   -Nous avons réussi à étouffer l’affaire.
   -Suis-je bête!
   -Tout est-il prêt pour demain?
   Tarquin vint se placer face à l’épée emprisonnée. Une demi-année déjà s’était écoulée depuis la dernière fois où il l’avait contemplée, lors de la cérémonie de la Grâce. Il eut la curieuse impression qu’elle était légèrement plus grande qu’à l’accoutumé.
   -Croyez vous qu’il a une chance? Demanda-t-il en se retournant.
   -Pas la moindre, soupira Rauru. Cela fait plus de cinquante ans que je regarde des idiots tirer sur ce bidule inerte sans succès. Alors ce n’est pas un prétendu « héros » qui changera cela.
   -Espérons le. Il ne faudrait pas que ce parvenu trouve le moyen d’assoir un peu plus son embryon de pouvoir.
   -A son propos, devons-nous nous inquiéter?
   -Non. Même s’il semble s’être parfaitement adapté à sa nouvelle vie de débauche et de luxure royale, mes Ombres ne m’ont rien chuchoté d’alarmant. Nous devrions pouvoir le ranger dans notre poche avec les bonnes promesses, en temps voulu.
   -Parfait.
   -Il ne faudrait pas relâcher notre vigilance pour autant. Les jours à venir vont être éprouvants, et l’hiver arrive. De plus, mes Ombres m’ont chuchoté que le seigneur d’Ikana ne semble pas se satisfaire de son nouveau Royaume, et qu’il lève en ce moment même de nouvelles armées, un œil avide dardé sur ses voisins…
   -Une guerre serait bien la dernière chose dont nous avons besoin actuellement! tempêta l’Intemporel.
   -Oui. C’est pourquoi j’ai déjà envoyé l’une de mes Ombres arranger la situation.
   -J’espère que vous savez ce que vous faites. Ikana est un puissant mage, dois-je vous le rappeler? Si votre assassin échouait, il n’aurait pas de difficulté à le faire parler, et à tenir là un prétexte pour lancer sa guerre.
   -J’en ai conscience. Mais j’ai pleine confiance en mon Ombre. J’ai de plus pris la liberté de me rapprocher de la reine Ambi, au nom de notre Roi. Je pense qu’une alliance avec Labrynna nous serait favorable, même si cela induira peut-être à long terme de porter nos bannières en Holodrum. Ce sera peut-être l’occasion d’utiliser nos fameux barbares. Maintenant qu’ils ont cessé de se battre entre eux, je gage qu’ils sont en manque de sang.
   Le prêtre sourit.
   -Vous avez vraiment toujours un coup d’avance, n’est-ce pas Tarquin?
   Le Sheikah ne broncha pas.
   -Il faut être prêt à parer toute éventualité. C’est mon devoir de protéger la Couronne et son royaume.
   -Pour cela, je vous fais entièrement confiance. Votre zèle est digne de louanges. J’en viens parfois à me demander qui de vous ou de notre bon roi gouverne réellement.
   -Ma position me permet une certaine liberté, mais ne faites pas l’erreur d’oublier le Premier Conseiller dans votre équation. Sa discrétion n’a d’égale que son influence auprès de sa Majesté.
   -Je m’interroge depuis un certain temps : pourquoi ne l’avez vous pas encore fait disparaître du tableau?
   -Toutes mes tentatives ont échoué.
   -Ho. Je… Je vois.
   -Notre entretient touche à sa fin. Je vous verrai demain.
   -Puissent les Trois vous protéger, Tarquin.
   -Puissent-elles tous nous protéger, prêtre. Je crains que nous en auront besoin. Et plus rapidement que je n’ose l’espérer.
   Tarquin était anxieux. Les choses se précipitaient, et certains éléments qu’il n’avait pas considérés entraient soudainement dans le jeu. Cette attaque du Consortium au Poisson-Rêve jetait une ombre sur le tableau. Comment les sorciers avaient-ils pu localiser le vieux Kaepora? Pourquoi avoir pris le risque de l’attaquer, sous peine de s’exposer? Il était trop tôt.
   La nuit n’était pas calme. Dans les rues de la Cité, de nombreux badauds, reîtres et autres petites gens déambulaient en titubant, ronds comme des queues de pelle, ou bien assistaient à des spectacles de rue à la chiche lueur des torches. Tarquin se rassura néanmoins en constatant que les patrouilles nocturnes étaient parfaitement à leur place. Il caressa un instant l’idée de se rendre au Poisson, mais il renonça : la situation était parfaitement sous contrôle.
   Regagnant ses quartiers à la faveur de la lune descendante, le vieux Sheikah s’autorisa un court repos. Lorsqu’il rouvrit l’œil, l’aube effleurait la cime des arbres du jardin, qu’il pouvait apercevoir depuis sa fenêtre. Son anxiété n’avait pas disparut, et tendait même à croître. Cela le chiffonna. Son instinct paranoïaque ne l’avait presque jamais trompé. Il s’habilla à la hâte et lorsqu’il ouvrit la porte, il eut le déplaisir de tomber sur Agahnim. Fidèle à lui-même, le colosse magicien était paré de son habituelle robe rouge vif de mage, et son visage carré était à moitié caché par un genre de capuche retenue autour du crâne par un mince tiare d’or. Il toisait Tarquin de vingt bons centimètres et ses épaules massives semblaient faire deux fois le diamètre de celle du borgne.
   -Premier Conseiller, s’inclina ce dernier avec roideur.
   -Sheikah.
   -Y a-t-il quelque chose que je puisse faire pour vous?
   -Oui. Mourir.
   L’attaque fut si prompte et si inattendue que Tarquin n’eut aucune chance de l’éviter. Il sentit avec douleur la lame incurvée d’une dague s’enfoncer profondément entre ses omoplates. Il s’affala sur un genou et n’eut pas le temps de se retourner qu’un coup violent lui fut assené sur la nuque, lui faisant à moitié perdre conscience.
   -Adieu Tarquin. N’ayez aucun regret : vous ne pouviez gagner. Vous vous en êtes même plutôt bien tirer. Mais certaines choses dépassent votre entendement. Ce fut en tous les cas plaisant de jouer contre vous.
   La voix d’Agahnim se faisait de plus en plus distante. Une douleur sourde pulsait dans le dos du Sheikah. Il sentit qu’on le traînait dans sa chambre, face contre terre pour ne pas salir le sol de traces de sang. Il sombra tout à fait quelques instants plus tard, et lorsqu’il revint à lui, il avait les poignets attachés à la chaise sur laquelle il était assis, et un individu habillé tout de noir et portant un masque sans expression nettoyait la lame de son couteau en le fixant. Tarquin sentait son fluide vital couler le long de sa nuque et dans son dos, mais il se força à faire abstraction de la douleur pour rester lucide.
   -Je n’aime pas ton œil, le vieux, fit son tortionnaire avec une voix monocorde et glaciale qui fit frissonner l’intéressé.
   -Pourquoi faites vous cela? grimaça le vieillard en tirant sur ses poignets.
   -Le plaisir? La joie? Qu’importe. On me paie pour cela. C’est tout.
   L’homme s’approcha de sa victime et se pencha vers elle, son arme pointée à quelques millimètres du globe oculaire.
   -Une dernière parole, peut-être?
   Tarquin réfléchissait à tout allure à un moyen de se tirer de ce mauvais pas, mais rien ne voulait venir à son esprit. Ligoté comme il l’était, il ne pouvait espérer s’en sortir. Il se tint coi.  
   -Bien. Je n’apprécie pas les cadavres bavards.
   Le Sheikah broncha lorsque la pointe du couteau perça légèrement la peau juste sous l’œil, et qu’une larme de sang coula le long de sa joue. Instinctivement il se recula et la douleur de son dos le cloua sur place. Son cœur battait à cent à l’heure, ses pensées s’embrouillaient. Le souvenir de la perte de son premier œil lui revint en mémoire et la peur laissa place à une panique animale.
   La porte de la chambre s’ouvrit soudainement à la volée.
   -Château-L’Hylia!  Rugit l’intrus.
   A peine eut-il entendu le cri de guerre que Tarquin se rejeta vivement en arrière, se mettant ainsi hors de portée du couteau, mais au prix d’une vive douleur dans le dos qui lui arracha un cri. Ser Mikau, qui venait de pénétrer dans la pièce l’arme au poing, se jeta violement sur l’homme au masque. Bien que surpris, ce dernier parvint à parer l’attaque à l’aide de sa dague. Souple, il se glissa sous le chevalier et battit en retraite, afin de dégainer un long poignard plus adapté à la situation. Tarquin essayait de se libérer, mes ses liens étaient trop étroits, et sa position ne lui facilitait pas la tâche. Le Zora repartit à l’assaut, sa lame longue fendait l’air dans de grands moulinets adroits qui forcèrent son opposant à reculer dans une posture défensive. L’épée vint se planter dans la table près de la fenêtre, et le chevalier fut contraint de la lâcher afin de rouler hors de portée d’attaque. Ne restant pas en reste, il s’empara d’un tabouret et le propulsa en poussant un grognement. Le meuble alla s’écraser contre le mur, mais il déstabilisa momentanément l’assassin et ser Mikau en profita pour se jeter sur les lui. Les deux hommes roulèrent au sol dans un corps-à-corps âpre, renversant une table et percutant Tarquin. Après une longue minute de lutte silencieuse, le chevalier parvint à retourner l’arme contre son possesseur et la lui enfonça dans le cou en jurant, les muscles bandés et tremblants. Le sang se mit à couler de dessous le masque, et c’en fut terminé.
   -Messire, êtes-vous blessé? Demanda aussitôt le Zora en se relevant.
   -Légèrement, rien de grave. Détachez cette corde, voulez-vous?
   Mikau s’exécuta promptement et aida le vieux Sheikah à se relever.
   -Vous saignez abondamment.
   -Bah! Regardez dans cette commode, il doit s’y trouver une fiole.
   D’une main que l’adrénaline secouait, Tarquin essuya le sang qui gouttait petit à petit de sous son œil. Il donna un coup de pied rageur au cadavre. Il devenait vieux. Dix ans auparavant, personne n’aurait pu le surprendre comme ça.
   -Tenez, fit Mikau en lui tendant une fiole remplie d’un obscur liquide rougeâtre.
   Tarquin s’en empara et l’avala cul sec sans songer au goût atroce de la mixture. C’était un moindre mal : aussitôt la douleur de son dos reflua presque jusqu’à disparaître.
   -Qu’est-ce?
   -Vous préférez ne pas le savoir, chevalier. Croyez moi.
   Se satisfaisant de cette réponse, le guerrier s’acharna à retirer sa lame de la table où elle était coincée, puis la rengaina.
   -Vous m’avez comme qui dirait sauver la vie. Une minute de plus, et j’étais définitivement privé de lumière.
   -Je n’ai fait que mon devoir.
   -Comment avez-vous su?
    -J’ai croisé le Premier Conseiller dans le couloir. Il avait une drôle d’expression et marmonnait des choses incompréhensibles. Il n’a même pas semblé me remarquer quand je l’ai hélé. Je suis donc venu m’enquérir de ce qui avait bien pu le troubler à ce point. J’ai vu le sang sur le sol, et je me suis précipité.
   -Vous avez bien fait.
   Cette attaque aussi soudaine que surprenante troublait Tarquin. Non pas qu’il se croyait intouchable. Mais tout ceci était trop tôt. Bien trop tôt. Un mauvais pressentiment lui nouait l’estomac. Il observa Mikau qui pestait contre le coup de couteau qui avait déchiré la manche de sa tunique. Il était arrivé de façon bien opportune, peut-être même trop. La paranoïa de Tarquin lui murmurait qu’il pouvait être de mèche avec l’ennemi, que ce « sauvetage » in extremis pouvait être un stratagème destiné à gagner sa confiance… Mais il réfuta cette idée. Ser Mikau était un modèle de chevalerie, certes plus bourru et moins fin que la représentation donnée par les contes, mais il était loyal, juste et généreux. Son service en tant que régent de Château-L’Hylia s’était avéré exemplaire et ses faits d’armes étaient nombreux. De plus, si sa sœur s’obstinait à ne pas vouloir se remarier, c’est à lui qu’échoirait le titre de Lord Zora. Enfin, il avait été trop longtemps reclus dans sa forteresse familiale pour être d’une quelconque manière mêlé aux complots de la cité.
   Non, ser Mikau était digne de confiance. Hélas pour lui, il était dorénavant impliqué jusqu’au col dans la mascarade.
   -Vous ne semblez pas particulièrement pressé d’apprendre ce qui vient de se passer, chevalier.
   -Le sage disait : les ignorants ont le sommeil plus paisible que les têtes bien pleines.
   Les deux hommes échangèrent un long regard.
   -Je crains que vous ne vous soyez impliqué contre votre gré dans quelque chose qui vous dépasse.
   -Je le crains aussi, hélas, soupira ser Mikau. Qu’attendez-vous de moi?
   -Rien de plus qu’actuellement : de la loyauté et de la bravoure.
   -Ce doit être dans mes cordes.
   Tarquin arracha sa tunique poisseuse de sang et s’empara d’un habit propre dans son armoire.
   -Nous savons de source sûre que le Consortium Aedeptus se prépare à attenter à la Couronne. Nous savons aussi que cela se déroulera bientôt, quand précisément, nous ne le savons pas. Cependant, l’événement qui vient de se produire me pousse à croire que les mages risquent de venir troubler la cérémonie d’aujourd’hui.
   -Toute la noblesse d’Hyrule sera présente au Temple, fit remarquer Mikau.
   -Parfaitement. Rien n’est sûr, néanmoins. Mes Ombres sont déjà déployées sur le site, mais les sorciers sont puissants et disposent de moyens magiques que nous ne pouvons pas prévoir.
   Tarquin acheva de boutonner sa tunique et s’enroula la tête dans son fameux turban pour masquer l’hématome qui bleuissait sur sa nuque.
   -Vous me suivrez et nous nous placerons au plus près de sa Majesté. Il vous faudra être sur le qui-vive. Et soyez prêt à donner votre vie pour le Royaume.
   Le chevalier déglutit, mais hocha la tête.
   -Bien. Vous en savez trop à présent pour que je vous laisse simplement partir. Vos serments vous poussent à défendre le royaume contre ses ennemis, intérieurs comme extérieurs. A compter de ce jour, vous faites partie du Sheikah.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: silver le lundi 22 novembre 2010, 23:26:12
Très bien retranscrit, j'adore la mise en scène. Je me suis relu les derniers chapitres de Samyël. Tu comprendras qu'il me manque... j'espère que l'on pourra en voir l'évolution pour bientôt même si je patienterais le temps qu'il faudra. Bonne continuation...
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: sakuranbo le mardi 23 novembre 2010, 18:51:20
Nyahaa! Que des bonnes nouvelles aujourd'hui! Un nouveau chapitre de Triangle, je suis super contente!

Encore un très bon chapitre! J'ai bien cru que Tarquin allait y passer o_O Mais je pense qu'il va être indispensable pour la suite des évènements... Suite que j'attends d'ailleurs, j'ai hâte de voir ce que va donner la cérémonie de l'épée... Je me pose plein de questions, et si Link n'arrivait pas à retirer l'épée de son socle, pire si c'était le Chien qui y parvenait??? Je sens que je ne suis pas au bout de mes surprises! Vivement la suite!!! :niais:
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le jeudi 23 décembre 2010, 14:24:38
Silver ==> Merci pour le commentaire ! Quant à Samyël, je pense que nous en avons déjà parlé ^^

Saku ==> Merci pour le commentaire! Content que Triangle continue à te plaire, après tant de temps! J'espère que ce bout de chapitre répondra à tes attentes.


Bon, après un mois pile, voici enfin la fin du chapitre XVI. Hélas, une fin ridiculement courte, j'en conviens. Comme dit précédemment, je n'étais pas très inspiré. Alors plutôt que de rester bloqué dessus pour l'éternité, je l'ai précipité, pour pouvoir enfin enchaîner. Pour me faire pardonner, je vous promets un long chapitre XVII avant la fin des vacances!

Bonne lecture!


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XVI
-Tarquin-
(2e partie)

   
       Bien qu’on ait interdit l’accès au Temple aux gens du commun par l’intermédiaire d’un efficace cordon de miliciens, la Chambre de l’Epée était bondée. Une haie de soldat avait été érigée pour préserver l’accès au piédestal. La Lame Purificatrice semblait vouloir s’arracher à son socle de granit, s’illuminant de milles feux sous les rayons du soleil. On aurait dit qu’elle avait conscience de la présence de son maître légitime, et quelle brûlait de rejoindre sa main.
   Tarquin espéra cependant que ce n’était là qu’un effet de son imagination. Le coup qu’il avait reçu à la tête lui causait une migraine atroce. Il restait cependant tous les sens aux aguets. Aghanim ne s’était pas remontré : avait-il eu vent de l’échec de son plan ou alors cela faisait-il justement partie du plan? On ne pouvait accéder à la Chambre que par la Porte du Temps, lourdement protégée par des gardes en armure et surveillée par certains de ses meilleurs éléments. A moins de connaître les passages secrets dont l’existence demeurait secrète même de la Famille Royale, on ne pouvait attaquer que de front. A moins de se déplacer par magie, évidemment. Cette hypothèse angoissait le Sheikah. Une attaque surprise et éclair portée par la magie serait dévastatrice.
   Plus les secondes s’égrenaient, plus le malaise de Tarquin croissait. Sans même sans rendre compte, il se grattait le dos de la main droite comme un forcené. L’occasion était vraiment propice à une attaque. Il le sentait. Ses sens de Sheikah ne le trompaient jamais. Quelque chose allait se passer.
   -Restez sur vos gardes, préconisa-t-il à l’adresse de ser Mikau.
   Ce dernier hocha gravement la tête, la main posée sur la garde de son épée.
   Tout le gratin du royaume était là. Les maisonnées Mojo, Dodongo, Zora et Dragmir au grand complet, le roi Salomon et son fils Nohansen, ser Locke Sanks, Feena Hurlebataille, ainsi que tout un florilège de menus seigneurs, hobereaux et petits chevaliers. Tous murmuraient entre eux, riaient, échangeaient des potins, dans un vacarme rendu assourdissant par l’acoustique de la salle. L’on attendait plus que le principal intéressé : son Altesse Link. Ce dernier avait la fâcheuse manie de s’encombrer d’un pompeux décorum dans tout ce qu’il entreprenait, et savait se faire désirer.   En temps ordinaires, cela n’aurait en rien gêné Tarquin, mais la tension accumulée au cours des dernières semaines, sa récente attaque et la sensation que les choses échappaient à son contrôle le rendaient un peu nerveux et irritable. 
   Finalement, après de longues minutes d’attente insoutenables, Lord Link fit son apparition. Il avait choisi pour l’occasion une armure de parade du plus bel effet, en plate dorée incrustée d’émeraudes scintillantes et de fils d’argent. Le plastron arborait son emblème, le loup, tandis que le bandeau de soie qui retenait ses longs cheveux dorés était aux couleurs de la famille Royale. Sa ceinture ne portait aucune arme. La Princesse Zelda, sa femme, allait à son bras, sublime dans sa robe de satin à crevées, au décolleté plongeant que masquait en partie un magnifique pendentif en or à l’effigie de la Triforce. A la voir ainsi, si altière, si belle, à côté de son Héros d’époux, il était facile d’oublier qu’elle n’avait que quinze ans.
   Lorsque la Princesse et le Prince entrèrent dans la Chambre de l’Epée, tous s’inclinèrent en guise de salut. Le couple rendit les salutations. Lord Link ne pouvait se détacher d’un sourire avide qui déformait ses traits tandis que ses yeux brûlaient d’envie en caressant du regard la Lame Purificatrice. Cette attitude ne plut pas à Tarquin.
   -Gentes dames et gents seigneurs!
   Sa voix grave portant fort, Rauru l’Intemporel se hissa sur le socle de l’Epée. Il avait pour l’occasion passé une soutane qu’on aurait dit tissée dans de l’or pur, et que tenait en place sa traditionnelle large ceinture ornée de triangles. Il leva haut ses mains aux doigts boudinés pour réclamer l’attention.
   -Il y a de cela presque un an, durant la Grâce, les Déesses-Mères nous ont envoyé un message. Cette lame ici-même, s’est changée pour quelques instants en or du plus pur, tandis que des cloches éthérées chantaient quelques louanges. Chacun a pu aller de son interprétation, mais aujourd’hui, le message nous paraît clair! Les Très-Hautes nous annonçaient un nouvel Âge d’Or pour Hyrule!
   Le Gardien du Temple s’interrompit quelques instants pour ménager son effet. Les murmures reprirent de plus bel, interloqués, curieux, enthousiastes. Chacun y allait de son petit commentaire. Tarquin ne pouvait que louer les talents d’éloquence du prêtre.
   -Rendez-vous en compte. La guerre contre les Clans est finie. Nous sommes en paix avec tous nos voisins. Les champs donnent d’abondantes récoltes et le peuple se repaît dans la liesse! Et voici que nous parvient, en sus de tous ces bienfaits, un véritable Héros, tel que nous en attendions un depuis des siècles.
   Il indique Lord Link du doigt, qui rayonnait littéralement sous la lumière des vitraux.
   -Certains persistent à réfuter la vérité, reprit Rauru, mais moi, je n’ai aucun doute. Les Déesses m’ont rassuré. Aujourd’hui même, la Lame Purificatrice sera enfin arrachée à sa gangue de pierre, et brandie par la main d’un homme! Allons! S’il vous plaît! Veuillez rester calme. Mon Prince, daignez approcher.
   Link lâcha le bras de sa femme, qui le regardait avec tant d’amour dans les yeux que c’en était indécent, et grimpa sans hâte les quelques degrés de pierre qui menaient au socle. Conformément à la tradition, il embrassa l’Intemporel pour recevoir la bénédiction des Déesses, puis vint se poster devant l’Epée. Au lieu de se jeter dessus, il porta un vaste regard circulaire pour scruter la foule, qui fut parcourue d’un frisson. Tarquin eut la désagréable sensation que ce regard s’attardait un moment sur lui, et que cet horripilant sourire de triomphe lui était personnellement destiné.
   Link posa les mains sur le manche de l’Epée, ses yeux luisant d’avidité, d’envie et d’excitation. L’assemblée retint son souffle. Le cœur de Tarquin se mit à battre plus fort. Il était impossible qu’il parvint à retirer l’Epée. Impossible, tout le monde était catégorique là-dessus. Mais dès lors, d’où lui venait donc cet horrible pressentiment?
   Le Héros prit une inspiration, puis commença à tirer sur Lame, sans forcer. Pendant quelques secondes, il n’y eut rien de notable, et Tarquin s’en félicita. Mais soudain, dans un crissement affreux de tombe qu’on rouvre, l’arme commença à coulisser hors de son tombeau minéral. Millimètre après millimètre, la Lame Purificatrice s’offrait à la vue du public médusé. Le sourire de Lord Link s’élargissait proportionnellement.
   Déconfit, Tarquin réfléchissait à toute allure. Il n’aimait pas ce à quoi il assistait, non vraiment pas, ainsi que ce que cela impliquait à moyen et long terme. Il ressentait des picotements dans la main droite, et il continuait de s’en gratter furieusement le dos, sans même s’en rendre compte. Après avoir extrait quarante bons centimètres d’acier, la pointe de l’arme, que personne n’avait jamais contemplée de mémoire d’homme, jaillit à son tour.
   Ce fut alors le chaos.
   Une onde de choc explosa à l’intérieur de la Chambre de l’Epée, envoyant tout le monde à terre dans des cris de panique. Des bourrasques surnaturelles s’abattirent en hurlant dans le Temple, brisant un vitrail. Au centre de la tourmente, Link paraissait non affecté. Sa chevelure libérée du bandeau volait furieusement tout autour de lui, mais il n’en avait cure. Il n’avait d’yeux que pour l’arme qu’il tenait. Les cristaux d’or enchâssés dans la garde en améthyste se mirent à scintiller. Une explosion de souffrance brute fusa dans la main de Tarquin. Il poussa un hurlement qui se perdit dans la tempête. Il avait l’impression que quelqu’un lui broyait les os avec un tison chauffé à blanc. Il avait la sensation que ses nerfs s’enflammaient, que ses doigts se disloquaient, que sa chaire fondait. Mais à travers les larmes de souffrance, il voyait que son membre était toujours intact. Se forçant à s’en détacher, il reporta son attention sur la scène.
   A l’autre bout de la Chambre, Locke Sanks semblait être en proie à des tourments similaires. Son visage balafré déformé par la souffrance, il tenait ce qui lui restait de main droite devant lui, tandis que dame Laruto essayait de l’apaiser en lui caressant les cheveux. Personne ne faisait attention à eux. Lord Link leva lentement l’Epée, jusqu’à la pointer tout à fait à la vertical. Alors, la lame s’embrasa d’un feu magique et sublime, qui s’éleva en tournoyant en une magnifique colonne incandescente qui fusa ver les nuées. La terre trembla, de petits morceaux de roche s’arrachèrent des murs et s’effondrèrent en pluie fine sur les personnes présentes.
   Puis aussi soudainement que cela avait commencé, le calme revint. La douleur disparut de la main de Tarquin, les flammes s’estompèrent, les cristaux d’or s’éteignirent, le vent s’essouffla et le sol cessa de secouer. Dans la torpeur qui suivit,  la voix incertaine de Rauru s’éleva, rauque.
   -Peuple d’Hyrule! A genoux devant votre Héros!
   Personne ne remarqua ser Allister, quittant la Chambre d’une démarche colérique.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: sakuranbo le jeudi 23 décembre 2010, 17:14:55
Oh my god!!! Je n'aurai jamais cru que Link sorte l'épée de son socle!!! Tu as tout fait jusqu'à présent pour m'en persuader, et c'est réussi, bravo! Je m'étais persuadée qu'il échouerait lamentablement xD Mais en fait Link est bien plus intelligent et diabolique que je ne le croyais o_O
J'adore toujours autant ton histoire qui est comme à l'accoutumée très bien écrite, et en plus de ça, chaque chapitre arrive toujours à me surprendre! Vivement la suite encore une fois!!!
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: silver le jeudi 23 décembre 2010, 18:47:11
Bien écrit, plus ou moins prévisible mais j'espère voir des développements inattendus. Pour Samyël, je ne sais quoi penser mais peut être que je vais conserver l'œuvre. Si tu ne veux pas, n'hésites pas à le dire. Je ne compte pas reprendre l'univers mais simplement le garder en souvenir. Bonne continuation.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Mikau le jeudi 23 décembre 2010, 20:04:38
Silver, tu as trouvé ça prévisible? Oo
Tu as beaucoup d'imagination, dans ce cas. J'aurais mis ma main au feu que Link échouerait et que Sanks la retirerait devant tout le monde, déclarant ouvertement une guerre avec son "maître" et la Famille Royale.

Ah, je remarque que c'est mon premier commentaire sur ce topic...ben j'vais en profiter, tiens.
Samyël, j'ai suivi le Triangle de Pouvoir, et lu une partie du Cycle du Rouge. Ce dernier m'a séduit par son univers et la qualité de l'écriture, mais je dois dire que le Triangle du Pouvoir fut pour moi la vraie claque !
L'univers Zelda vu cent fois, toujours avec ce même respect de la saga, le Link héroïque, la Zelda mature et intègre, le Ganondorf toujours plus vil...est pour une fois radicalement modifié, et avec brio.
Que ce soit la manière de découper les chapitres, en faisant avancer l'intrigue par les yeux de différents personnages, ou la complexité des relations au sein de la Cour, ou simplement le plaisir de voir enfin un Link antipathique...
Bref, je suis carrément fan de cette fic. Et j'en attend la suite avec impatience. Même ce dernier morceau de chapitre ne donne absolument pas l'impression d'être bâclé.

Continue comme ça.  :)
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le dimanche 02 janvier 2011, 18:51:18
Saku ==> Haha! Rien n'est jamais ce dont il paraît, n'est-ce pas? :3 Merci encore pour ton commentaire, en espérant que la suite te plaise!

Silver ==> Merci pour le commentaire! Bien sur que tu peux sauvegarder le Cycle, mais de toute manière je ne compte pas le retirer du topic.

Darkmikau ==> D'abord, bienvenue dans cette humble Tour du Rouge ^^ C'est toujours un plaisir d'accueillir de nouvelles têtes, surtout quand elles sont sympathiques :p Ensuite, merci de suivre Triangle de Pouvoir et d'avoir commenté! C'est toujours très agréable de se savoir lu, et surtout lorsque ce que l'on produit est apprécié ^^ N'hésite pas à revenir dans le coin aussi souvent que tu le souhaites, et en espérant que la suite te plaise!


Chose promise chose due, voici le chapitre XVIII. Parce qu'une bonne nouvelle n'arrive jamais seule, comme le découvre notre bon Linebeck. A l'occasion de ce chapitre il serait peut-être bon de relire, ou juste survoler, le chapitre VII -Kaepora-, pour saisir toutes les subtilités et tout ce qu'il y a à comprendre. Les liens de tous les chapitres se trouvent dans le sommaire, sur le premier post. :)

Sur ce, je vous souhaite une très bonne année 2011, plein de bonnes choses, et une bonne rentrée!

Ainsi qu'une bonne lecture, naturellement. ;)




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XVII
-Linebeck-


   Kaepora le dévisageait durement, par-dessus la table où reposait, visiblement inoffensif, le Masque. Une veine palpitait sur la tempe du vieux mage, le seul signe extérieur de l’immense fureur qui le dévorait. Linebeck déglutit et détourna les yeux.
   -Vous auriez du m’en parler!  Gronda Kaepora.
   -Et comment aurais-je pu savoir que vous étiez un magicien, messire Pérault?
   Le manque de sommeil et la douleur rendaient Linebeck nerveux et irritable. Son épaule lui faisait un mal de chien, là où le couteau s’était profondément enfoncé -sans rien toucher de vital, par bonheur- et il était contraint de garder son bras replié contre lui. On ne lui avait permis de comater qu’un jour seulement, suite à quoi, impatient, Kaepora avait accéléré son retour à la conscience à l’aide de sa magie, pour mieux l’assommer à coup de moral.
   -Idiot que je suis! Tempêta ce dernier en se levant.
   Linebeck comprit alors que la colère du mage ne le visait pas. Le vieil homme se morigénait lui-même.
   -Comment ai-je pu ne point le sentir? Ca empeste comme un cadavre en décomposition! A cause de moi, le pauvre Scaff est mort.
   Mal à l’aise, Linebeck gesticula sur son siège. Dehors, dans les rues, la foule hurlait sa liesse tandis que Lord Link défilait sur son cheval, la Lame Purificatrice brandie. Le contrebandier avait vaguement entendu parler de cette légende, mais il n’y prêtait aucune attention. Ses problèmes étaient bien plus sérieux. Kaepora jeta un œil par la fenêtre, le front barré d’un pli soucieux, puis revint s’assoir.
   -Madura avait sûrement raison, grommela-t-il. Le monde devient fou. Comme si un seul miracle n’était pas déjà suffisant.
   -Un miracle?, déglutit Linebeck.
   -Oui, crénom d’idiot! Fou que vous êtes! Vous n’avez pas le moindre soupçon d’idée de la chose que vous avez amenée ici.
   Kaepora fit mine de s’emparer du Masque pour le lui coller sous le nez, mais il se ravisa au dernier moment. Linebeck avait mal à la tête. Une migraine affreuse qui le tenaillait depuis son réveil.
   -Allez-vous me le dire, à la fin, ou allez vous continuer à radoter comme un vieux jusqu’à ce que la mort nous prenne?, rétorqua-t-il en frappant du poing le plateau de la table à l’aide son mauvais bras.
   Il regretta aussitôt son geste lorsqu’un éclair de douleur fulgurant déchira son épaule. Il craignit que la blessure ne se rouvrît, mais le sang ne coula pas. La scène sembla radoucir Kaepora.
   -Pardonnez moi. Vous ne pouviez pas savoir, c’est vrai. Après tout, vous n’êtes que le transporteur. Ce que vous avez devant vous est une relique datant d’une époque sombre qui coïncide avec la venue des Hyliens, lorsque des tribus païennes et barbares se réclamaient seigneurs de ces terres. L’une d’entre elles était menée par un sorcier, un chaman, dont les pouvoirs égalaient, voire surclassaient, ceux des mages Hyliens. Il s’appelait Majora, et tirait sa magie impie de sombres rituels cannibales durant lesquels il dévorait littéralement l’âme des sacrifiés. Malgré toute sa puissante magie, son clan fut anéanti par les Hyliens, mais l’esprit de Majora perdura et s’incarna dans un masque à l’effigie d’un dieu ancien que son peuple vénérait.
   Kaepora marqua une pause. Linebeck se décomposait au fur et à mesure du récit, car il craignait de comprendre où le mage voulait en venir.
   -Le masque fut trouvé par un jeune soldat, qui n’y voyait qu’un objet décoratif d’un goût certes douteux. Mû par un sentiment qu’il ne pouvait lui-même définir, d’après ses propres mots, il décida de garder l’objet. Ce soldat s’appelait Odolwa, et par bonheur il tenait un journal. Il y écrivit que le lendemain de sa découverte, il commençait à sentir un besoin « irrépressible »  de cacher et protéger son acquisition. Il raconte qu’à cette période, il commença à souffrir de terribles maux de tête. Il entendait des voix dans son esprit, qui lui murmuraient des secrets qu’il ne pouvait pas connaître, qui lui donnaient des conseils. Ses nuits ne furent plus dès lors que cauchemars perpétuels. Il rêvait de massacres, de viols, qu’il commettait lui-même.
   Kaepora s’interrompit à nouveau, et sonda Linebeck de son regard scrutateur.
   -C’est votre cas aussi, n’est-ce pas?
   La bouche sèche, le teint plus pâle que celui d’un cadavre, il hocha la tête.
   -Que… Que lui est-il arrivé?, osa-t-il demander.
   -Son état mental et physique se détériora de plus en plus, tandis que les voix gagnaient en intensité. A la fin de son journal, ses propos deviennent incohérents, et plusieurs écritures différentes s’enchainent, comme si plusieurs personnes différentes avaient écrit les unes à la suite des autres. Puis vint le moment inévitable où Odolwa coiffa le Masque. Majora s’empara de son corps et de son esprit, annihilant ce dernier pour en faire un pantin servile. Doté d’une nouvelle enveloppe, le sorcier déchaîna la mort dans le nouveau royaume d’Hyrule, provocant un massacre indescriptible jusqu’à ce qu’une ultime alliance de mages en vienne à bout. Le corps d’Odolwa fut démembré et ses restes jetés dans l’Hylia. Quant au Masque, il fut un temps conservé sous scellé magique dans les sous-sols du Consortium, mais il finit par disparaître. Depuis lors, il réapparait à peu près une fois tous les siècles, provoquant un nouveau massacre avant de disparaître pour un autre siècle.
   Un silence de mort s’abattit sur la chambre. Un millier de questions tourbillonnait dans l’esprit de Linebeck, mais il avait peur de les poser.
   Ne l’écoute pas. Il te ment. Ne t’ai-je pas toujours protégé?
   -P… Pourquoi le Consortium voudrait-il d’une telle… chose?, articula-t-il difficilement.
   -Je l’ignore. Et c’est justement ce qui m’inquiète. Mes anciens collègues préparent quelque chose d’absolument affreux.
   Le mage frissonna et son regard se perdit une seconde, comme s’il se replongeait dans un souvenir.
   -Mais la réapparition du Masque est un signe bien plus funeste encore. Il faut impérativement le garder hors de leur porté. Je ne sais pas comment ils ont réussi à le retrouver et à mettre la main dessus. Cela ne m’inspire que de la crainte. Avez-vous déjà songé à le porter?, demanda-t-il soudain, prenant Linebeck au dépourvu.
   -Non!, se récria l’autre en pensant le contraire.
   -Bien, alors ce n’est pas encore trop tard. Je vais cacher cette monstruosité, le temps que je puisse m’en occuper de façon plus permanente.
   -Où… Où allait-vous le mettre?
   Linebeck contemplait l’effigie de bois avec des yeux fiévreux. Il écoutait à peine ce que lui racontait Kaepora. Les grands yeux lumineux de Majora aspiraient son être dans leur étreinte salvatrice.
   Ne l’écoute pas. Il te ment. Tu le sais. C’est moi qui t’ai sauvé. C’est moi qui te protège.
   Oui! C’était vrai. Majora l’avait sauvé. Majora lui avait permis de rencontrer ser Mikau. Sa vie, il la devait à Majora, et personne d’autre. Cela devenait évident à présent. Kaepora voulait garder le masque pour lui. Pour lui seul. Il voulait utiliser la lumière de Majora pour son profit personnel, empêchait les sages magiciens du Consortium de s’en servir pour aider l’Humanité…
   -Vous n’avez pas à le savoir, je suis désolé. C’est pour votre bien. Tant que son influence n’aura pas été totalement neutralisée, vous pourriez avoir envie de le retrouver.
   Linebeck secoua la tête, et il eut l’impression que milles tessons ardents lui vrillaient le cerveau. Il perdait l’esprit. Bien sur le masque était vil, maléfique. Il avait corrompu l’esprit d’un enfant pour tenter de l’assassiner.
   -Pourquoi a-t-il essayé de me tuer?, demanda-t-il en essayant d’occulter les voix qui murmuraient à ses oreilles.
   -Je ne sais pas. Je pense que vous ne lui convenez plus. Peut-être êtes-vous trop combatif, trop résistant, ou bien est-ce ce résidu de magie que je perçois en vous qui l’empêche de parvenir à ses fins.
   Linebeck n’entendit pas cette dernière théorie.
   Ne l’écoute pas, il te ment. Réfléchis.
   Oui, le vieux mage mentait, c’était évident. Pourquoi Majora aurait-il voulu le tuer après l’avoir sauvé d’une mort certaine? Cela n’avait aucun sens! Non, la vérité était ailleurs. Une vérité peu glorieuse. Kaepora était arrivé bien vite sur les lieux du crime… comme s’il s’y attendait. Il en était d’ailleurs sorti indemne, sans une égratignure. Oui, Kaepora avait envoyé le garçon contre lui, et mis en scène son sauvetage pour gagner la confiance du contrebandier, afin qu’il lui donne le masque.
   Ce vieillard égoïste, sournois, vil, menteur!
   Une haine ardente commençait à enflait dans le cœur de Linebeck, alors qu’il comprenait. Non, le masque était une relique sainte, investie de grands pouvoirs bénéfiques. Il ne devait pas tomber entre de mauvaises mains. Il fallait impérativement qu’il l’apporte au Consortium.
   Kaepora se leva à nouveau et gagna la fenêtre, où il contempla les rues noires de monde. Le contrebandier saisit sa chance. S’emparant de l’épée de Marine posée contre la table, il se redressa sans un bruit et s’approcha du mage perdu dans ses pensées. Il y eut un bruit mat lorsqu’il abattit le plat de la lame de toutes ses forces à l’arrière du crâne. Kaepora poussa un unique grognement et s’affaissa de tout son long sur le sol, la face glissant le long de la fenêtre et du mur.
   Il n’y avait pas de temps à perdre. Linebeck lâcha son arme et récupéra le masque sur la table. Il s’accorda un instant pour contempler ses lignes harmonieuses, pour sentir la douce chaleur qui en exsudait au rythme de petits battements semblables à ceux d’un cœur pur. Il le coinça sous son aisselle, à l’intérieur de son manteau, et sortit de la chambre. Il se précipita dans le couloir et ne s’arrêta pas lorsque Médolie, qui apportait le déjeuner, le héla. Dévalant l’escalier quatre à quatre, il fut soulagé de trouver la salle commune vide. Il se rua à l’extérieur du Poisson-Rêve et se fondit sans effort dans la foule amassée.
   Le vacarme de la populace ajoutait à sa migraine, menaçant de faire exploser son crâne. Un instant, il fut pris de vertige et sa vision se troubla. Il était poussé de toute part, écrasé, piétiné, et il se mit à lutter pour sortir de là. Il joua des coudes, rua, cria, mais personne ne semblait lui accorder la moindre attention. Soudain, il s’écroula au sol, au beau milieu de la chaussé. Le sabot d’un cheval s’abattit à quelques centimètres de son visage.
   Relevant les yeux, il fut cloué sur place par le regard abyssal de Lord Link. Il rayonnait littéralement dans son armure d’or, aveuglant le contrebandier. Il tenait dans ses mains une épée nimbée de flammes obscures et démoniaques, qui hurlaient comme un chœur de damnés. La simple vue de cette lame impie provoqua une immense frayeur chez Linebeck, une frayeur qui semblait appartenir à un autre étrangement, et il se recula promptement. Derrière le Héros, c’était toute la Cour qui se déplaçait : le Roi, la Princesse, le Prince, toutes les grandes familles nobles, des chevaliers et des courtisans… Il aperçut ser Mikau, mais par bonheur le Zora regardait ailleurs. Il scrutait la foule, la main sur le pommeau de son arme, comme s’il s’attendait à du danger. En revanche, le vieil homme qui chevauchait à ses côtés, le borgne, contemplait Linebeck d’un air soupçonneux.
   Désireux de ne pas attirer d’avantage l’attention sur lui, le contrebandier se rencogna dans la foule, et fendit la cohue jusqu’à une ruelle fraîche et déserte. Il s’adossa au mur pour reprendre son souffle, et grimaça lorsqu’il sentit du sang filtrer de son bandage et imbiber petit à petit sa tunique.    Il lui fallait gagner le Consortium en toute hâte, profiter de l’événement pour se faufiler et échapper à d’éventuels poursuivants.
   Linebeck s’enfonça dans le Bas-Bourg, les quartiers d’habitation labyrinthiques qui avaient poussé à l’ombre des remparts de la ville. Ici, les rues étaient étroites, sombres, les bâtiments entassés les uns-sur les autres dans un embrouillamini étouffant d’architectures claustrophobes. Certaines ruelles débouchaient sur des cul-de-sac, d’autres étaient de véritable goulet d’étranglement peu rassurants. Des immondices jonchaient le sol, fouillées par des rats gris et énormes, et du sang sec était visible sur certains murs, sur certains pavés, simples gouttes issues d’une rixe ou véritables éclaboussures témoins muets d’un ancien meurtre.
   Le décor rassura cependant le contrebandier. Il était un être familier de ces univers de bas-fonds miséreux, de zone de non-droit où seules les bandes pouvaient prétendre à diriger. Il se savait en sécurité ici, relative certes. Personne ne viendrait l’y trouver. La fête qui secouait la Cité avait vidé le Bas-Bourg également. Les allées ombreuses et inquiétantes l’étaient d’avantage dans le silence presque surnaturel où se trouvait plongé le lieu. Quelques enfants faméliques et crasseux jouaient avec des planches de bois pourries ou chassaient les rongeurs en leur jetant des pierres. Ils dévisageaient Linebeck lorsque ce dernier passait à leur hauteur, mais aucun ne fit mine de l’embêter.
   Il marcha un long moment dans les ténèbres du Bas-Bourg. Au loin, la liesse n’était qu’une basse rumeur, comme les grognements sourds d’un monstre gigantesque prêt à s’endormir. Les habitants des bas-fonds regagnaient leurs logis, et la vie semblait reprendre possession de l’endroit. Le coucher du soleil projetait sur les pavés des ombres crépusculaires mouvantes et effrayantes, plongeait certaines bâtisses dans des flaques de noir liquide et palpable où l’esprit pensait capter quelque mouvement de bête féroce, ou d’yeux braqués sur les passants. Une peur grandissante, galopante, se propageait dans le cœur et l’âme de Linebeck. Une horreur cosmique et séculaire, primale, qui le glaçait d’effroi. Une terreur démente et matérielle qui le poussait à accélérer ses foulées. Un relent de pourriture flottait dans l’air, une odeur indescriptible qui prenait à la gorge, qui piquait les yeux. Un souffle méphitique et corrosif comme issu d’un gouffre, passage vers l’innommable de l’En-Dessous.
    Linebeck avait déjà éprouvé ce sentiment, de longues années auparavant. Cette épouvante venue de l’espace et du temps, qui glaçait le cœur même des plus endurcis. A la Bataille du Carnaval, lorsque le Roi-Sorcier Ikana avait fendu la terre en deux et fait jaillir des tréfonds ardents des monstruosités d’un autre âge pour écraser la résistance futile des seigneurs rebelles. Ce jour là, Linebeck menait la lutte sur la Mer, au large de Grande Baie, à des kilomètres du champ de bataille, mais il avait ressenti dans ses os et sa chair toute l’horreur qui se déchainait, là bas sur la plaine.
   Perdu dans ses pensés, il trébucha et faillit s’étaler de tout son long. Il se rendit compte que la ville s’était tue. Un silence surnaturel planait sur la Cité d’Hyrule. Une obscurité contre-nature s’étendait sur les rues comme un linceul, que les torches de la milice urbaine parvenaient à peine à percer.
   Il était seul dans le Bas-Bourg.    
   Aucune bande n’écumait les allées enténébrées, aucun ivrogne ne déambulait en titubant, aucune putain n’essayait de vendre ses charmes. Le souffle court, Linebeck se retourna, et il faisait face à un trou de pures ténèbres dans le tissu même du monde et des dimensions. Un tunnel algide s’ouvrait dans la trame de l’univers, exsudant le Mal et la Démence. La puanteur était insoutenable, suffocante. L’oeil captait à sa périphérie des mouvements hallucinés qui semblaient jaillis d’un autre monde. Derrière cette porte béante, cette entrée vers l’inconnu horrifique, se tenait tapie dans le noir une masse gigantesque et troublée, dont le sommeil ténu semblait prêt à rompre. Linebeck ne pouvait définir en des termes humains ce qu’il contemplait, tant cela défiait toutes les lois naturelles. Il n’en voyait rien, et pourtant cela suffisait à embraser son esprit de visions d’épouvante, de terreur cosmique. Il contemplait un être issu de l’espace et des étoiles, un monstre d’un autre âge qui n’attendait que son réveil pour répandre la mort et la destruction dans le royaume des Hommes.
   L’Être s’ébroua, monolithique, et il sembla faire un pas. C’était une montagne en marche, une montagne à face de porc.
   Je suis là. Je vais te protéger. Fais moi confiance.
   Linebeck se réveilla. Sa tête lui faisait plus mal qu’à l’accoutumée. Il était affalé dans une flaque d’eau croupie, en plein milieu d’une rue crasseuse. Autour de lui, l’activité mercantile et humaine battait son plein, dans une joyeuse cacophonie sonore, indifférente à l’homme qui dormait recroquevillé sur la chaussée, à l’instar d’une dizaine d’autres ivrognes. Il faisait jour depuis un moment, à en croire le soleil haut dans le ciel. Linebeck se leva, hébété. Il lui fallut un moment pour se remémorer les derniers événements, et quand cela arriva, ce fut comme une digue qui se brisait dans son esprit.
   Des larmes d’impuissance et de déchirement ruisselèrent à foison sur ses joues encrassées, et il s’effondra, agité de convulsion tandis que toute l’horreur qu’il avait contemplé lui revenait à la mémoire. Qu’était-ce la puissance de l’humanité face à pareille créature? Comment l’homme pouvait-il croire à sa suprématie sur toutes les choses de la nature? Linebeck aurait voulu se donner la mort pour échapper à ses visions.
   -Monsieur, vous allez bien?, s’enquit une voix au dessus de lui.
   Il sursauta et releva la tête. Un homme entre deux âges se tenait devant lui. Il avait des traits agréables et un sourire avenant. Ses cheveux blancs étaient coiffés en arrière, et ses moustaches, fines et longues, touchaient presque le sol. L’inconnu était accompagné par un vieillard au visage tellement fripé qu’il ressemblait à une vieille pomme de terre, et un grand gaillard costaud, donc la partie inférieure du visage carré était cachée par un morceau d’étoffe rougeâtre. Leurs vêtements bien coupés détonnaient étrangement avec la pauvreté du Bas-Bourg, mais Linebeck était trop perturbé pour s’en rendre compte.
   Dans un moment d’hallucination, il prit l’homme sans âge pour un quelconque envoyé des Déesses, irradiant de bonté. Il voulut parler, mais sa voix se brisa sur une nouvelle vague de sanglot.
   -Allons, allons, il ne faut pas vous mettre dans cette état, mon brave Linebeck.
   Le monsieur au visage souriant lui passa un bras autour des épaules, et l’aida à se relever. A ce moment là, une présence pernicieuse et glaçante commença à s’enrouler autour du cœur du contrebandier. Il le sentait palpiter dans sa poitrine. Une chose qui était là depuis longtemps, il s’en rendit compte. Exquisément familière, et terriblement effrayante.
   -Nous allons vous reconduire chez vous.
   L’étrange trio le fit sortir du Bas-Bourg, sans un mot de plus. Brisé, ahuri, Linebeck se laissa faire, l’esprit vide. Personne ne semblait remarquer l’étrange groupe qui se dirigeait vers l’Ouest de la ville, vers un bâtiment gigantesque et immaculé qui surplombait tout le reste. Il perdit conscience un moment.
   Lorsqu’il se réveilla, on le tirait le long d’une dizaine de degrés de pierre blanche sculptée. Un homme très grand les attendait sur le seuil d’une porte monumentale. Il portait un masque de fer à l’effigie d’un démon, et un rire aussi bref que fou s’en échappa. Linebeck eut vaguement conscience qu’on tirait sur son bras blessé, et qu’il ne ressentait pourtant aucune douleur. Ses sauveteurs le conduisirent à travers de longs couloirs et d’immenses bibliothèques, jusqu’à un cloître ensoleillé, où ils firent apparaître un passage magique dans le mur. Celui-ci s’ouvrait sur un long escalier qui s’enfonçait profondément sous la terre et s’achevait sur une porte en fer noirci, minuscule vue du cloître.
   Quelque chose ondulait à la lisière de sa conscience. Une présence démente et puissante qui pressait son esprit et le tordait, provoquant une migraine atroce. Le contrebandier évoluait dans un brouillard rougeâtre de douleur et de confusion, dans lequel des hallucinations fantasmagoriques côtoyaient les êtres de chair et de sang.
   -Je crois que le Poisson-Rêve se trouve de l’autre côté, messieurs, parvint-il à articuler.
   Il eut soudain la sensation qu’on lui enfonçait une lame dans le cœur. Et lorsqu’il se pencha, il constata que c’était effectivement le cas. Il tituba, en proie à une vive terreur hallucinée, vaguement paniqué par son instinct de survie. Il voulut prendre une grande inspiration, mais il s’aperçut que quelque chose était pressé contre son visage, occultant sa bouche et son nez. Tombant à genoux, il palpa ses traits, et ses doigts rencontrèrent le bois lisse et les piquants osseux du Masque.
   -Vous êtes quelqu’un de particulièrement résistant, Linebeck, commenta l’homme sans âge, une dague ensanglantée à la main. Mais pas dans le bon sens du terme. Plutôt comme un cafard, disons. Rares sont les mortels pouvant résister à l’appel de Majora. Plus rares encore, ceux qui résistent à son ultime influence, lorsqu’ils coiffent le masque.
   La présence du sorcier dans son esprit gonflait à chaque seconde, cherchant à bouter son âme hors de son enveloppe. Un ultime cri de terreur se forma dans la gorge de Linebeck, mais qui ne parvint jamais à destination. Linebeck fut arraché à son corps, et son enveloppe astrale flotta dans les airs. Il se voyait à genoux, le masque ignoble et vénéneux rivé sur le visage. Comment avait-il pu être aussi bête?
   Avec horreur, il vit son cadavre s’ébrouer, puis se relever. Les yeux glaçants du masque parcoururent le cloître. Les cinq autres hommes -ils avaient été rejoint entre temps par un beau jeunot aux cheveux blancs- s’agenouillèrent devant lui, la tête baissée en signe de respect et de soumission.
   -Seigneur Majora, salua l’homme sans âge. C’est un plaisir de vous avoir enfin parmi nous.
   -C’est un plaisir partagé, Archi-maître. C’est toujours un immense bonheur de renaître, encore et encore, surtout après une âpre et distrayante bataille contre un hôte un peu trop revêche.
   Majora s’exprimait avec la voix de Linebeck, mais on y décelait comme une énergie noire et corrompue.
   -Allons, ne perdons pas de temps. Nous avons beaucoup à faire. Votre tentative de la nuit dernière était précipitée, c’est une chance que rien de catastrophique ne soit arrivé. Il va falloir reprendre depuis le début. Mais cette fois, je veillerai aux préparatifs.
   -Assurément, seigneur Majora. Nous pouvons pourvoir à tous vos besoins, s’il vous faut quoi que ce soit…
   -Je veux une nouvelle enveloppe. Celle-ci ne m’évoque que dégoût et répugnance. Elle ne sied pas à un homme de ma stature. Il me faudra être sous mon meilleur jour pour accueillir le Seigneur Ganon parmi nous.
    -Soit. Ordonnez, et nous exécuterons.
   -Je veux Tarquin d’Hyrule, le maître du Sheikah.
   Linebeck poussa un cri muet lorsque son âme fut dispersé dans le néant.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: sakuranbo le lundi 03 janvier 2011, 14:16:02
J'ai relu le chapitre 7 comme tu l'as recommandé avant d'attaquer celui-ci. Rhooo ce chapitre était vraiment génial! :niais: Quelle funeste fin que celle de Linebeck! J'ai vraiment adoré, mais je me demande quel va être le rôle de Link par la suite tiens... Et puis Tarquin bien sûr!
Ce chapitre était vraiment grandiose! Vivement la suite encore une fois!!!
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le mercredi 23 février 2011, 01:48:25
Wow, il devenait temps que le Triangle revienne sur le devant de la scène, il était carrément passé sur la deuxième page du forum littéraire! :niak:


Merci Saku pour ton commentaire, et en m'excusant du temps qu'il m'aura fallu pour poster une suite.  :/

Pour compenser un peu, voici un long chapitre XVIII. A noter que nous rapprochons de la fin de Triangle de Pouvoir, car la fiction trouvera dénouement au chapitre XX.

Sur ce, bonne lecture et à tantôt!


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XVIII
-Feena-


   Au loin, sur la plaine battue par les grands vents, la bannière au Loup Noir s’agitait, comme un prédateur excité à l’idée du massacre prochain. Une ligne noire, grondante et grouillante, ondulait en assombrissant l’horizon dans sa multitude étincelante d’acier et de fer hérissé. Perchée sur sa monture, Feena Hurlebataille frissonna en contemplant le sinistre spectacle. Les tambours de guerre de son clan résonnaient sourdement, mais ce jour là, la mélodie guerrière qui d’ordinaire gonflait d’ardeur le cœur des combattants, sonnait comme une mélopée funèbre. Le monde vacilla en un déluge de sang et de fureur, un carnage de cendre et de cris, lorsque la charge fut donnée à la horde hurlante au son d’un cor de bronze ressemblant au rire d’un démon. Les sèches herbes vertes de la plaine frémirent et se teintèrent d’un rouge morbide, tandis que tout autour de leur chef, les guerriers du clan de Logre tombaient les uns après les autres sous les coups des soudards du Loup Noir.
   Soudain, surgissant de la mêlée tel l’annonciateur de la Mort en personne, un géant au regard de pierre et aux traits de glace se dressa, son armure algide frappée au Loup Noir projetant de sombres éclats sur le corps-à-corps furieux. Il avançait d’un pas tranquille, faisant trembler la terre sous lui, fauchant les guerriers avec le calme de la plaine séculaire, comme s’ils n’avaient été que des fétus de paille ballotés par les vents. Tétanisée par cette vision de cauchemar, Feena poussa un cri d’horreur lorsqu’elle vit son compagnon, Kailan, et son fils, Cyrvin, se mettre travers du chemin de l’entité, les armes brandies et poussant des cris de guerre galvanisants. Mais malgré toute leur bravoure, ils ne purent tenir tête au géant, qui se changea en un immense et horrible Chien noir qui les dévora tout entier. Feena voulut courir vers eux, mais soudain un destrier se tenait devant elle. Son cavalier, un ange aux yeux de fureur et aux traits aussi beaux que maléfiques, darda sur elle la lame d’une longue épée, tandis que sur son large écu, le Loup Noir ouvrait grand la gueule comme pour la mordre.
   -Soumet toi, chienne, et j’accorderais la vie sauve à tes guerriers, lui dit-il d’une voix d’outre-tombe, où perçaient la cruauté et la colère.
   Elle tenta de le frapper avec ses haches, mais le cheval fit un pas de côté. Alors, le cavalier brandit son épée et la cheftaine sentit avec une terreur glacée la lame effilée se planter dans son crâne…
    Feena se redressa d’un bond, réprimant un cri, et porta une main moite à son visage. Tremblante, elle parcourut d’un doigt hésitant la balafre douloureuse qui traversait son visage, du front au sommet de la pommette gauche. Frissonnante, elle s’extirpa des draps trempée de sueur, et se lova dans le fauteuil qui jouxtait l’âtre de marbre, où les restes d’une flambée continuaient à crépiter. Elle attendit un moment, faisant le vide dans son esprit, que la chaleur la regagnât. Cela faisait presque cinq années qu’elle avait juré allégeance à Link, et pourtant ce rêve récurrent ne cessait de la hanter. Il revenait par période, comme pour lui rappeler douloureusement tout ce qu’elle avait perdu ce jour là. Maudit Héros. Maudit Chien.
   Elle essuya d’un revers rageur la larme silencieuse qui coula sur sa joue.
   Revigorée, elle gagna la fenêtre et tira les rideaux d’un geste brusque. Le jour était à peine levé ; la Cité, encore groggy de sommeil, était bien calme. Les deux jours de liesse qui avaient suivi l’exploit de Link y étaient sûrement pour quelque chose. Il était presque certain que la fête allait reprendre. Feena se demandait parfois comment une population pouvait passer autant de temps à se dépraver, et pourtant étendre sa domination sur un royaume aussi vaste qu’Hyrule.
   Elle préféra passer outre ces pensées, de peur de devenir amère. Il y avait des choses qu’elle avait acceptées depuis longtemps. Celle de faire partie des races dominées en faisait partie. Elle passa une tunique longue simple de couleur noire, frappée de l’emblème de son clan : les doubles haches croisées cramoisies. Elle enfila également des braies d’équitation et des bottes hautes en cuir solide, et attacha une rapière effilée à sa ceinture. Ce n’était certes pas son arme de prédilection, mais elle avait l’avantage de passer plus inaperçue qu’une hache de bataille. Peu soucieuse de son apparence en cette triste matinée de fin d’automne, elle laissa sa crinière roux-cendrée totalement libre et ne prit pas la peine de faire ses ablutions matinales.
   Le Grand Tournoi, comme l’appelait la populace, se tiendrait dans trois jours. Feena y aurait participé avec grand plaisir, ayant compris plus ou moins qu’il y était question de se mettre sur la figure dans de vastes pugilats organisés, mais on lui avait fait savoir à demi-mots qu’elle n’était pas la bienvenue sur le champ d’honneur, à cause des deux protubérances charnues qu’elle avait sur le torse et de son absence de membre érectile entre les cuisses.  Si cela l’avait frustrée, elle avait fini par passer outre. Elle espérait qu’au moins un de ces idiots pompeux allait mourir, pour la divertir.
   Déprimée, le vague à l’âme, n’ayant pas le cœur à s’entraîner ou à faire la cour à Malon, qui continuait de se dérober, et ayant bien trop de temps libre pour être autre chose que désœuvrée, elle décida d’aller se prendre une sévère cuite dans un bar quelconque, et avec un peu de chance déclencher une bonne bagarre. Avec tous ces soudards venus en ville, alléchés par les promesses du tournoi, cela ne devrait pas être trop difficile.
   Quittant sa chambre, elle s’engagea d’un pas rapide dans les longs couloirs, croisant par moment des serviteurs les bras chargés de plateaux ou de draps propres, mais aucun ne fit attention à elle. Elle avait beau être « l’invitée » de la Couronne, elle restait avant tout une barbare des plaines. N’y prêtant d’ordinaire aucun crédit, cette absence de considération, ce jour là, réussit à la mettre un peu plus en rogne.
   En passant devant le terrain d’entraînement, elle eut la désagréable surprise d’y trouver le Chien -enfin, ser Sanks- et le jeune Lars, qui peinait à parer les assauts de son mentor. Comme à son habitude lors d’un combat, le chevalier affichait une mine totalement neutre et fermée, qui ne trahissait d’aucune façon ses prochains mouvements. Cette attitude, couplée à son escrime exceptionnelle, en faisait l’un des combattants les plus dangereux qu’elle connaissait. En les observant un moment, elle se remémora avec un frisson de mélancolie les vertes années où son jeune fils apprenait à se battre avec son père… Sanks et Lars les lui rappelaient… Mais elle secoua la tête avec hargne. Non, le Chien avait tué ces êtres chers et aimés, et voilà ce qu’il serait à jamais : un meurtrier… Même s’il les avait combattus honorablement, sur le champ de bataille… Même si c’étaient eux qui, les premiers, s’étaient jetés à deux contre lui…
   Ravalant un sanglot, Feena s’éloigna avant que quiconque ait pu la voir. Elle devenait faible. La cause à la vieillesse, sûrement. Où était donc passée l’intrépide cheftaine? Endurcissant son cœur, elle accéléra le pas.
   Il y avait quelqu’un dans les écuries. Non pas que cela était surprenant, il y avait naturellement des palefreniers pour s’occuper des bêtes, mais à cette heure, ordinairement on ne rencontrait que ce vieux chafouin d’Ingo et ses yeux pervers qui vous déshabillaient constamment, occupé à ronfler dans un tas de foin pour décuver. Or, là, la personne sifflotait un air gai, en étrillant un bel hongre à la robe lustrée.  Il tournait le dos à Feena, assis nonchalamment sur un tabouret simple, les manches de sa chemise relevées, mais ses cheveux longs d’un bleu abysséen l’identifièrent comme ser Mikau, le dernier arrivant à la Cour.
   -Madame est bien matinale, fit-il remarquer sans même se retourner.
   -Je pourrais dire la même chose de monsieur, répondit-elle avec un peu plus de hargne qu’elle ne le voulait.
   Le chevalier arrêta son ouvrage et se tourna vers elle, visiblement navré.
   -Mes excuses, dame, si je vous ai offensée. Ce n’était pas là mon intention.
   Il y avait quelque chose de particulier chez cet homme, quelque chose de surnaturel qu’on ne parvenait pas à s’expliquer. Peut-être était-ce ses prunelles, qui paraissaient trop azurées, ou son visage jeune mais dans les traits beaux et marqués renvoyaient une sagesse appartenant à un homme bien plus âgé. Il émanait de lui une grande confiance en soi, mais non pas arrogante, comme celle de Link, simplement naturelle. Feena ne le connaissait pas encore vraiment, mais il lui inspirait une confiance étrange, probablement car il était le seul qui, au premier regard qu’il avait posé sur elle, ne l’avait pas considérée comme une barbare décérébrée mais comme une femme. A ce niveau là, par ailleurs, ses yeux ne cillaient jamais et regardaient toujours leur interlocuteur en face, sans se détourner ou caresser la physionomie de son correspondant du regard. Un trait qu’elle appréciait.
   -Ce n’est rien, c’est de ma faute. Je suis un peu contrariée ce matin.
   -Je peux peut-être vous être utile?, proposa-t-il.
   -Non, je ne crois pas. Où vous rendez-vous?
   -Une affaire m’appelle au Poisson-Rêve, une taverne de bonne réputation. Je comptais, après cela, me rendre à l’extérieur de la ville, pour aviser de l’avancée des travaux, pour le tournoi.
   -Vous comptez-donc y participer?
   -Bien sûr! Je ne manquerais pour rien au monde une occasion de faire ravaler sa fierté à ser Allister, ou de prouver à Lord Dorf que malgré toutes ses prétentions il n’est pas de taille face à un honnête Zora, expliqua-t-il avec un sourire franc.
   -Vous ne vous entendez pas avec ser Allister?
   -Hélas, c’est bien tout le contraire. Voyez-vous, nous sommes un peu comme des frères, lui et moi. Nous avons eu la même nourrice, nous avons appris à monter à cheval et à nous battre ensemble, et, même si cela peut-être difficile à imaginer, maintenant qu’il est aussi bien élevé, nous avons fait les quatre-cents coups ensemble, aux dépends de nos parents, je crains.
   Ser Mikau, tout en parlant, lâcha la brosse et remonta ses manches. Ensuite, il se drapa dans une cape de fourrure, frappée de l’emblème de sa maison, et passa son épée au côté.
   -Si vous me permettez la question, dame, où allez-vous? Peut-être pourrions-nous chevaucher un moment de concert.
   -Et bien, pour tout vous dire, j’avais la ferme intention de m’enivrer au-delà du raisonnable, et peut-être prendre part à quelques rixes dans un bar.
   Loin de choquer le chevalier, ces paroles le firent rire.
   -De biens nobles aspirations, j’en conviens. Je vous aurais en temps normaux accompagnée dans vos aventures mais hélas les affaires qui me pressent m’obligent à rester à peu près sobre pour les résoudre. Accompagnez-moi au Poisson-Rêve, c’est une très bonne taverne, et même si Marine ne tolère pas vraiment les bagarres, vous aurez peut-être une occasion.
   -Cela me paraît équitable, répondit Feena après avoir fait mine de réfléchir.
   Ils s’engagèrent côte à côte sur le chemin cavalier. Ser Mikau se révéla être un compagnon agréable, jamais à court de conversation, décelant intelligemment et rapidement les sujets qu’il fallait éviter, et ceux qui la mettaient à l’aise. Son air grave et solennel cachait une personnalité joviale mais pondérée, qui s’autorisa, à l’occasion, une boutade ou deux.
   Le Poisson-Rêve était une bâtisse assez imposante, sise à un coin du carrefour le plus populeux de la Cité. L’enseigne représentait un curieux poisson gigantesque à la physionomie aussi étrange qu’onirique. L’intérieur, vaste, était plus ou moins désert en ce début de matinée. Une splendide jeune femme à la mine soucieuse frottait distraitement le comptoir avec un chiffon. Lorsqu’elle aperçut ser Mikau, son visage perdit sa gravité au profit du sourire chaleureux de la commerçante.
   -Ser chevalier! C’est toujours un plaisir de vous accueillir dans notre humble établissement. Que puis-je vous offrir?
   Le jeune Zora s’approcha du bar et se pencha un peu en avant.
   -Je suis envoyé par les « amis  de sa Majesté », pour m’occuper de votre… « affaire ».
   La tenancière redevint sérieuse, et un pli soucieux barra son front.
   -Je vois. Et elle?, demanda-t-elle en indiquant Feena de la tête.
   -Madame souhaitait consommer, mais je suis certain qu’elle trouvera plus d’attrait à votre affaire.
   -On peut lui faire confiance?
   -J’en suis certain.
   -Alors venez.
   La jeune femme lâcha son chiffon et fit le tour du comptoir pour s’engager dans l’escalier. Feena suivit ser Mikau à sa suite, intriguée. Elle n’était pas sûre de comprendre ce qui était en train de se passer, mais cela avait eveillé sa curiosité, surtout le ton de conspirateur qu’employait le chevalier et l’expression soucieuse de la rousse.
   Celle-ci les fit entrer dans l’une des chambres de l’étage, où un homme âgé, chauve et assez corpulent, consultait un étrange grimoire qu’il referma à leur arrivée. Soudain, Feena se raidit lorsqu’elle sentit le corps de Marine se plaquer contre elle, et le baiser froid d’une lame d’acier effleurer sa gorge. Feena constata avec étonnement que la prise était solide et efficace, comme si la rousse avait l’habitude de ce genre de situation, ou reçu un entrainement spécial. Bien que le moment ne s’y prêtait pas, la guerrière ne peut s’empêcher de ressentir avec une trop grande acuité la poitrine douce et généreuse de la tenancière, compressée contre son dos., et de sentir son parfum de muguet.
   -Il va falloir faire la preuve de vos allégeances, susurra-t-elle, si vous ne voulez pas que votre amie y laisse la vie.
   -Allons, allons, il n’est pas nécessaire d’en arriver là, répondit ser Mikau d’un ton conciliant.
   Sans geste brusque, il déboutonna le bas de sa chemise et en souleva un pan, révélant sur sa peau couturée de cicatrices un tatouage étrange, de facture très récente, représentant un œil rouge  pleurant une larme, et surmonté de trois triangles alignés. Aussitôt, la prise de Marine se relâcha, et elle libéra Feena, non sans, au plus grand trouble de la guerrière, avoir fait traîner ses mains sur son corps.
   -Mes excuses, madame, fit la rousse en se reculant avec un sourire gêné. Mais je devais être sûre.
   -Ce n’est rien, lui assura Mikau. Vous avez eu parfaitement raison. La situation est trop grave pour laisser la moindre chose au hasard.
   Il se tourna vers le chauve, qui n’avait pas bougé depuis le début de la scène.
   -Messire Pérault… Ou devrais-je dire Maître Kaepora?
   -Je ne suis plus Maître, chevalier, rétorqua le fameux Kaepora. Et vous comprendrez aisément les raisons qui me poussèrent à voiler ma véritable identité.
   -Certes. Mademoiselle, Maître, laissez moi vous présenter dame Feena Hurlebtataille du clan de Logre. Madame, voici Marine, la gérante de ce charment établissement, et accessoirement Maître-Espionne du Sheikah. Et voici Maître Kaepora, anciennement du Consortium Aedeptus.
   -C’est un plaisir de vous rencontrer enfin, s’exclama Marine en lui prenant les mains à la manière d’une amie proche, j’ai tellement entendu parler de vous, madame!
   Un peu perdue, Feena ne parvint qu’à lui rétorquer un sourire incertain.
   -Je… Pareillement.
   Marine avait la peau douce, mais ses mains aux doigts fins et graciles étaient trop calleux pour une simple gérante de taverne. C’était le genre de calles que gagnaient les guerriers à force de manier les armes… Leurs regards se croisèrent un vague instant, et un frisson s’empara de Feena lorsqu’elle scruta ces deux grands yeux émeraudes aux cils longs et élégants, deux gemmes scintillantes qui sous leur brillant avenant cachaient des éclats plus durs, plus tranchants. Un regard aussi attirant qu’effrayant. Un regard qui parlait d’histoires de sang.
   Ser Mikau se racla la gorge pour attirer leur attention.
   -L’affaire est pressante, je crains. Il ne faut point perdre de temps. Maître, si vous voulez bien nous raconter…
   Le chevalier s’installa sur la chaise qui jouxtait le mage. Feena resta debout près de la porte, que Marine referma avant de s’y adosser.
   -Il n’y a pas grand-chose à en dire, soupira le vieil homme en croisant les bras. Votre ami a amené un mal terrible dans cette Cité, un mal qui pourrait causer notre perte à tous s’il venait à tomber entre les mauvaises mains.
   -Comment cela?
   -Il possédait un masque étrange, que vous avez peut-être eu l’occasion d’apercevoir? (Ser Mikau dénia de la tête.) Ce masque, comme vous devez vous en douter, est plus qu’un simple masque. Il renferme l’âme d’un ancien sorcier mort il y a plusieurs siècles, à l’époque des conquêtes hyliennes. L’esprit du mage y vit toujours, et il exerce sur le possesseur du masque une influence maléfique, qui le pousse à terme à lui offrir son corps. Je crains, hélas, que c’est  ce qu’il risque d’arriver à votre ami, si ce n’est pas déjà fait. La dernière fois que je l’ai vu, il était déjà presque totalement sous l’emprise de Majora.
   -Je vois, hocha le chevalier avec un air grave. Que préconisez-vous?
   -S’il n’en tenait qu’à moi, chevalier, répondit le chauve avec un air grave, je ferais évacuer la Cité au plus vite, et j’enverrai un contingent de mages épaulé par quelques centaines de fantassin pour expurger la vermine démoniaque qui ronge le Consortium.
   -Je comprends votre point de vue. Mais je crains que l’une comme l’autre de ces solutions ne soit pas envisageable, avec l’approche du Tournoi, et la santé défaillante de sa Majesté.
   -Que voulez-vous dire?, intervint Marine tout à coup.
   -Sa Majesté, répondit ser Mikau en se tournant vers elle, a subi des cauchemars éprouvants la nuit dernière, le laissant fébrile et en besoin de repos. Cela dit, Maître Baelon affirme que ce n’est là rien que de très passager, et que Sa Majesté sera bientôt sur pieds. Bien!
   Le chevalier se releva et épousseta machinalement son pantalon.
   -Nous allons prendre congé. Je dois en référer à « notre ami commun ».
   -J’espère qu’il saura prendre les bonnes décision, grommela Kaepora, sinon nous courrons tout droit à la catastrophe.
   En manque de verbe, ser Mikau lui rétorqua un pâle sourire avant de sortir de la chambre, suivi par Feena et Marine. Ils croisèrent dans le couloir une adorable jeune fille, pâle comme la mort et les yeux dans le vague, qui erraient sans but apparent. Marine s’agenouilla devant elle et lui prit les épaules.
   -Allons, Médolie. Retourne te coucher, il est encore tôt.
   -Je veux voir Maître Kaepora, fit la fillette avec une voix à peine audible.
   Marine se mordilla la lève inférieure avec une mine soucieuse, tout en passant une main dans la chevelure de l’enfant.
   -D’accord, mais ne l’importune pas, d’accord? Chevalier, je crois que vous connaissez le chemin de la sortie.
   -Certes, madame. Nous n’allons pas vous importuner d’avantage.
   Feena fit mine d’emboîter le pas au jeune homme, quand la tenancière la retint par le bras.
   -N’hésitez pas à repasser, disons ce soir. Je vous offrirai un verre, lui murmura la jolie aubergiste avec des yeux brillants.
   -Il se déroule des choses qui me dépassent, attaqua-t-elle tout de go lorsqu’ils furent dans la rue.
   -Alors nous sommes deux.
   Les prunelles trop azurées du Zora la détaillèrent attentivement.
   -La Cité, et probablement le Royaume tout entier, est au bord du gouffre, même si je vous accorde qu’il n’en paraît rien. Il se passe des choses dans l’ombre dont ni vous ni moi n’avons l’idée. Des choses effroyables, qui pourraient prendre les noms de démons, sorciers et tout autre chose d’impie.
   -Vous croyez vraiment en la magie?, questionna-t-elle. Vous croyez ce que le vieux chauve nous a raconté?
   -J’ai vu bien des choses dans ma vie pour encore prétendre être imbécile, rétorqua-t-il. J’ai vu un homme survivre à une immersion prolongée dans une eau qu’un seul degré séparait de l’état de glace,  j’ai vu un homme sortir une épée piégée dans la pierre depuis plusieurs siècles, une épée dont j’ai moi-même plusieurs fois éprouvé la résistance, et j’ai vu des flammes danser sur la lame de cette arme. Et puis…
   Ser Mikau marqua une pause, se remémorant un fâcheux souvenir.
   -Et puis?
   -La nuit dernière. J’ai moi aussi été en proie à de bien sombres songes. Des songes à propos d’événements que je pensais avoir oubliés et digérés, et qui soudainement ressurgissent, coïncidant étrangement avec la disparition d’une soi-disant entité magique maléfique, ainsi qu’avec la condition difficile du roi. Ceci en un laps de temps bien trop court pour n’être que de simples coïncidences. Alors oui, je porte quelque foi en ces racontars. Et quand bien même, portez le regard vers l’Est, et vous saurez qu’il se passe quelque chose de blasphématoire.
   La guerrière s’exécuta. Un morceau de brume matinale s’obstinait à s’accrocher aux hauts murs du Consortium Aedeptus, qui ressortait à l’horizon comme la silhouette déchiquetée d’un sombre géant inerte prêt à écraser la ville. Elle ne put réprimer un frisson.
   -Qu’allez vous faire?
   -Rien! Il n’y a rien à faire. Par les Trois! Nous sommes coincés par ce maudit Tournoi. Enfin quoi, regardez! Il y a de la populace sous tous les porches. Presque tout le royaume est massé dans cette foutue cité, et l’ennemi s’apprête à nous attaquer dans le dos, à l’intérieur même de nos enceintes!
   Le chevalier passa une main sur son visage, et retrouva presque instantanément son calme.
   -Pardonnez moi. Allons, ne restons pas ici.
   Ils enfourchèrent leur monture respective, et prirent la direction du sud, en direction du lieu du tournoi. Cependant, ils n’allèrent pas bien loin, puisqu’une estafette à cheval les rattrapa, en nage, quelques mètres plus loin.
   -Ser chevalier, Son Altesse le prince Link vous mande sur le champs, ainsi qu’à tous ses chevaliers et vassaux, afin de l’assister dans la justice qu’il s’apprête à répandre, au nom du roi son père, au cours des doléances du matin.
   -Qu’est-ce que cela?, s’irrita l’intéressé en claquant la langue. Je pensais les doléances suspendues jusqu’au rétablissement de Sa Majesté?
   -Sa Majesté, dans sa sagesse, a insisté pour que sa maladie n’entrave en rien la justice du royaume, et a demandé nommément à son nouveau fils de s’en charger. Votre présence est requise aussi, madame.
   Le messager se tapa du poing sur le torse et tourna bride pour remonter vers le château au galop.
   -Quelle impudence!, fulmina le chevalier. Se vois-t-il déjà sur le trône?
   -Il s’y voyait déjà au berceau, ironisa Feena avec un sourire amer.
   - « Ses » chevaliers? Je ne me souviens pas lui avoir prêter une quelconque allégeance! Mais soit! Inutile de provoquer des conflits vains. Passons outre.
   -Vous n’avez pas l’air de porter votre futur roi dans votre cœur, remarqua la guerrière alors qu’ils faisaient prendre à leurs montures le chemin de la citadelle.
   -Tout comme vous.
   -Il est déjà mon roi depuis cinq ans.
   -J’oubliais, pardonnez moi. Et bien pour parler vrai, je ne vois en lui qu’un sot bouffi d’orgueil et d’arrogance. Je ne nie pas son charisme et son habileté, mais il n’a rien d’un roi. Quel sort a-t-il donc bien pu jeté pour mystifier ainsi notre bon Salomon?
   -S’il n’y avait que le roi… Il a toute la noblesse dans la poche.
   -Pas toute, rectifia le Zora, sans plus de précision. Hâtons le pas, je ne souhaite pas m’attirer son ire en me présentant en retard.
   Lorsqu’ils pénétrèrent de concert dans la salle du trône, Lord Link siégeait sur ce dernier comme ci c’eût été là la chose la plus naturelle qu’il fût. Les poings de ser Mikau se crispèrent sur la poignée de son épée, mais il parvint à se maîtriser. Tout le monde était là, les Lord du Conseil des Sages, les chevaliers de haute naissance, les chevaliers de moins haute naissance, la Princesse Zelda et son frère, Tarquin le Qu’Un-Oeil, les conseillers du roi et des Lords ainsi qu’une foule de courtisans et courtisanes, plus la petite troupe de roturiers qui patientait en attendant leur tour. Lord Link tenait dans la main droite le sceptre en or de la fonction royale, et la Lame Purificatrice reposait en travers de ses genoux. Il portait une mince tiare d’or et d’argent, faisant ressortir la coupe simple de sa riche tunique vert forêt. Son regard scrutait tour à tour chacune des personnes présentes, et un rictus méprisant lui tordit la bouche lorsqu’il aperçut ser Mikau, mais l’oublia aussitôt.
   Ce dernier et Feena prirent place parmi leurs pairs, dans l’indifférence générale. Tout le monde n’avait d’yeux que pour le sacrilège princier, mais personne n’osait s’élever en protestation. Il n’y avait bien que la Princesse pour fixer son époux d’un regard tellement amouraché que cela en était écœurant.
   -Faites avancer le premier, tonna Lord Link au bout d’un certain moment.
   Un garde s’approcha, traînant un jeune garçon, les mains menottées, par le bras. Il l’obligea à s’agenouiller devant le trône. Une matrone corpulente les suivait. La femme lissa nerveusement ses jupes, intimidée d’être en si illustre compagnie. Elle s’humidifia les lèvres avant de commencer d’une voix hésitante :
   -Loin de moi l’idée d’importuner Votre Altesse, mais ce jeune malandrin ne cesse de causer du tracas à notre honorable établissement, et ce malgré toutes nos tentatives courtoises. C’est pourquoi nous pensions qu’une… admonestation de Votre Altesse pourrait le dissuader de continuer son commerce
   La matrone se recula d‘un pas, se tordant les mains. La salle était silencieuse, tous attendant le verdict de Lord Link qui scrutait le jeune voleur avec une mine indéchiffrable.
   -Quel est ton nom?, finit-il par demander d’une voix calme.
   Le gamin releva nerveusement les yeux, sans oser dévisager le prince.
   -Daryl, Votre Altesse.
   -Daryl. Dit-elle la vérité? Et n’essaie pas de me mentir.
   -Oui, Votre Altesse.
   -Je vois. Ser Sanks, approchez je vous prie.
   Le chevalier mutilé se détacha de la masse regroupée et gravit les quelques courts degrés de pierre pour s’agenouillez devant Lord Link.
   -Mon Prince?
   Le Héros saisit son épée, et posa la Lame Purificatrice sur le sommet du crâne du Chien, sous les regards intrigués de l’assemblée.
   -Ser Sanks, pour vos bons et loyaux services envers la Couronne, et par les pouvoirs dont je suis investis ce jour par la grâce du roi mon père et la sagesse des Déesses, je vous nomme exécuteurs des hautes-œuvres d’Hyrule.
   -C’est un honneur, mon Prince, déclara aussitôt l’intéressé d’une voix monocorde.
   -Qu’est-ce que ceci?!, s’indigna Lord Darunia en se levant. De quel droit osez vous spolier ainsi Lord Hegelse de la fonction qu’il occupe depuis des décennies? Et à quel dessein?
   Le Prince posa sur lui son regard abysséen embrasé d’une froide colère. Un méchant rictus lui déforma la bouche.
   -Lord Hegelse est tellement vieux qu’il confond son épée et son braquemard ! Oseriez-vous, lord Darunia, contester une décision de la Couronne que vous avez juré de servir?
   Décomposé, le Dodongo se rassit sans plus rien dire.
   -Loin de moi cette idée, Mon Prince.
   -Alors taisez-vous. Honorable matrone, reprit Link en se tournant vers la susnommée, j’ai entendu vos doléance et j’ai décidé de régler votre problème d’une manière satisfaisante et durable.
   -Votre Altesse est trop bonne, s’inclina la femme avec un sourire nerveux.
   -Ser Sanks. Je condamne à mort ce criminel pour sévices répétés à l’encontre d’une honorable citoyenne. Soldat! Veillez à ce qu’il ne s’échappe pas pendant que ser Sanks opère.
   Des protestations véhémentes explosèrent dans la salle tandis que le bourreau se relevait. Feena observait le Chien, mais fidèle à lui-même il affichait une expression imperméable. Un seul regard de Lord Link suffit à ramener un calme relatif. A côté de son époux, Zelda jubilait. Sans théâtralité, Locke Sanks dégaina son épée dans un bruit de ferraille désagréable.  Le condamné vrillait un regard de bête acculée sur la longue lame. La matrone s’était figée, bouche bée, et le soldat, un peu trop zélé, maintenait le garçon d’une main de fer.
   Sanks fit mine de descendre les marches lorsque le Prince le rappela.
   -Attendez, ser. Je ne puis décemment pas vous laissez exécuter la justice royale avec un aussi vilain objet. Tenez, usez de ceci.
   Un murmure outré parcourut l’assistance lorsque le Héros tendit son sceptre au bourreau, mais personne n‘osa protester. S’en saisissant sans rien montrer de ses émotions, ser Sanks s’approcha du supplicié.
   -Pitié, implora ce dernier, les larmes aux yeux.
   -Je… Mon Prince, je… tenta d’intervenir la matrone mais elle ne pouvait détacher son regard de ser Sanks qui approchait, inexorable.
   Au premier coup, le sang gicla en accompagnant le craquement sonore et les hurlements de douleur. Au deuxième coup les cris cessèrent mais point les soubresauts. Au troisième, le crâne explosa en partie, répandant une bouillie noire et rougeâtre, laissant la salle plongée dans un silence de cathédrale.
   -Vous avez réclamé la justice, proclama Link d’une voix tranquille, à la matrone en état de choc. Et je vous l’ai donnée. Une justice nette et précise. Faites avancer le suivant!   
   L’horreur muette et stupéfaite laissa rapidement place à une crainte diffuse, tandis que deux gardes emmenaient le corps et qu’un troisième ramenait la femme, pâle et tremblante. Ser Allister se leva et quitta les lieux d’un pas furieux ; personne ne le rappela tandis qu’à côté de Feena, ser Mikau serrait les poings sur ses cuisses. Il n’y avait bien que Zelda pour apprécier le spectacle, sans se soucier de son frère au bord des larmes.
   Etrangement, les cas suivants furent presque résolus avant même d’être exposés. Il y avait une tension palpable cristallisée par les murmures indignés et assourdis. Ser Sanks resta tout ce temps là debout au bas des marches, tenant d’une main statique le sceptre souillé.
   Feena était plongée dans ses réflexions lorsque ser Mikau l’en tira d’un juron.
   -Comment ose-t-il, ce pendard?
   La guerrière releva la tête. Le Premier Conseiller Aghanim était apparu derrière le trône, certainement par une porte dérobée. La plupart des spectateurs ne l’avait pas remarqué, trop occupés à rassembler leurs effets pour partir au plus vite, mais il en allait autrement pour le vieux Tarquin, qui reculait discrètement vers les ombres d’une colonne.
   Le grand mage se pencha en avant, son visage caché par le masque de tissu qu’il portait, et murmura quelque chose à l’oreille du Prince tout en lui tendant un parchemin. Ce dernier hocha la tête, et un sourire matois vint élargir ses lèvres au fur et à mesure de sa lecture. Il se leva et frappa le sol de la pointe de son épée, produisant un étrange son cristallin qui attira l’attention sur lui.
   -Avant de lever cette séance, il nous reste une dernière affaire à régler. Tarquin! Où êtes-vous?
   -Ici, Votre Altesse, répondit à contrecœur le vieillard en retournant vers la lumière.
   -Bien. Gardes! Emparez vous de cet homme et placez le en cellule..
   -Mon Prince?, s’offusqua le vieil homme en se débattant tandis que deux soldats s’emparaient de lui.
   -J’ai ici une lettre signée de la main de notre bon roi et cachetée de son sceau personnel. Vous êtes accusé de complot, de meurtre, et de trahison envers la Couronne. Vous serez assigné au donjon jusqu’à ce que votre sentence soit prononcée.


[align=center]***[/align]

   -Nous vivons une époque bien étrange.
   Feena leva les yeux de la choppe de bière dans laquelle elle noyait sa morosité depuis plusieurs heures. Marine lui adressa un sourire sans cesser de récurer son comptoir. Depuis la fin de l’après-midi, une pluie faible mais glaçante tombait sur la Cité sans discontinuer. Une dizaine de personnes avait trouvé refuge au Poisson-Rêve, auprès de son feu et de sa bonne chère.
   -A qui le dites-vous…
   -C’est vrai qu’ils ont arrêté le Qu’Un-Œil?
   -Faut croire.
   Feena laissa une seconde s’écouler avant de demander d’une voix égale.
   -Qui va vous commander maintenant?
   La tenancière cessa son ouvrage et scruta le visage de la guerrière.
   -Comment?
   -Je suis moins stupide que je n’en ai l’air.
   -Je veux bien le croire.
   -Donc?
   Marine releva la tête et jeta un coup d’œil à la salle commune.
   -Venez avec moi.
   Feena finit sa choppe d’un trait, et suivit la jeune femme derrière le comptoir jusqu’à une porte attenante au cellier. Marine lui fit signe d’entrer. La pièce était relativement spacieuse, un lit de belles dimensions occupant la majorité de l’espace, avec une armoire et une coiffeuse. Feena fit un pas, lorsqu’un coup violent vint ébranler le bas de son dos, lui coupant le souffle et la projetant en avant sur le lit. A moitié sonnée par la rudesse de l’impact, elle se retourna en cherchant d’une main la poignée de sa dague, à sa ceinture. Mais elle n’eut pas le temps de la tirer que Marine était sur elle, la chevauchant et plaquant son bras contre le lit. Elle menaçait la jugulaire de la guerrière avec la pointe effilée d’un stylet. Feena s’immobilisa instantanément.
   -Mikau n’aurait pas du vous amener. Vous en savez maintenant bien trop. Bien trop pour votre propre bien.
   Feena distinguait à peine le visage de Marine dans la pièce plongée dans la pénombre, mais elle sentait son regard incisif. La pointe du stylet glissa lentement, telle une caresse d’acier froid, le long de son cou, de son torse, pour s’arrêter juste au dessus de son cœur.
   -Vous allez me tuer?, demanda la guerrière dans un souffle.
   -Donnez moi une bonne raison de ne pas le faire.
   Le mouvement de bassin de Feena fut tellement rapide qu’il déséquilibra Marine. S’ensuivit un corps-à-corps furieux et étouffé, où chacune des deux essayait de monter sur l’autre pour dominer. Le stylet changea plusieurs fois de main, et elles ne tardèrent guère à tremper les draps avec le sang suintant des nombreuses entailles qu’elles s’infligèrent. Dans un ultime mouvement de lutte, l’arme chut au sol et Marine, qui chevauchait tant bien que mal son adversaire se mit en tête de l’étrangler, tout en essayant d’entraver ses mouvements. Feena commençait à sentir l’air se raréfier dans ses poumons, des points lumineux dansaient devant ses yeux vitreux. Sa résistance se fit de plus en plus faible, les battements de son cœur ralentissaient à chaque seconde interminable qui s’écoulait…
   Mais dans un dernier élan de survie, elle parvint à décocher un formidable coup de genou dans l’abdomen de Marine qui lâcha prise en s’effondrant sur elle dans une expiration douloureuse. Elles restèrent ainsi un long moment, enlacées, sanglantes, haletantes. Une foule de pensées et de sensations traversait l’esprit de Feena, comme la conscience aiguë du corps de Marine contre le sien, son odeur de fleur mêlée à celui plus métallique du sang, sa tête posée entre ses seins…
   Leurs lèvres se rencontrèrent avec la violence de deux amants séparés depuis des lustres se retrouvant enfin. Leurs mains parcourraient le corps de l’autre avec avidité, palpant, découvrant chacune des courbes, glissant sur le sang qui maculait la peau nue, se mélangeant à une sueur aigre mais excitante. Elles s’étreignirent jusqu’à ce que leurs corps douloureux ne fissent plus qu’un, enchevêtrement doux et satiné de membres délicatement dessinés. Elles s’abandonnèrent chacune aux caresses de l’autre, s’offrant avec toute la rudesse dont-elles étaient capables, transformant leurs étreintes en un jeu de force et de domination. Une vague de sensations nouvelles et puissantes agitait Feena tandis que son amante lui faisait découvrir des plaisirs insoupçonnés. L’image de Malon apparut un instant dans son esprit, mais elle l’occulta très vite avant d’empoigner Marine par les cheveux pour la plaquer contre le lit et lui lécher le creux du dos.
   Leur passion perdura bien longtemps après que le sang eut séché sur les draps, et l’aube les trouva nues, épuisées, échevelées, couvertes de coupures et enlacées dans un sommeil paisible.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: silver le mercredi 23 février 2011, 17:50:39
Et bien, la fin est proche mais c'est toujours un plaisir de lire tes chapitres même si j'aimerais que ça continue à moins que tu ais prévu d'en faire une suite sous un autre nom. J'espère voir bientôt ce que tu as pu concocté d'autre que cette fiction ci. Bravo, et chapeau pour l'aspect trahison à la fin. J'attendrais patiemment la suite.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: sakuranbo le samedi 26 février 2011, 13:18:21
Nooooon!!! Comment ça la fin est proche??? J'aime trop cette fiction, et même si je veux en connaître la fin, je veux pouvoir lire ton histoire encore et encore :niais: J'ai adoré ce chapitre, comme toujours. Ton style m'épate toujours autant, c'est un véritable plaisir de te lire!
Le passage avec Link est terrifiant, j'en ai eu des frissons tellement c'est décrit parfaitement, vraiment! Quel sadique ce "héros"...
Vivement la suiiiite :niais:
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le samedi 16 avril 2011, 18:44:39
Salut la compagnie! Juste un petit message pour dire que je suis toujours là, que je n'ai pas oublié cette chère Tour ni le Triangle! Pour tout vous dire, je pars une semaine à partir de demain...



... et si tout se passe comme je l'espère vous aurez droit au deux derniers chapitres d'un coup, à mon retour! :niak: Bonnes vacances!
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: sakuranbo le dimanche 17 avril 2011, 20:49:02
J'ai hâte!!!!! :niais: Vivement ton retour!!! :niais:
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le mercredi 20 avril 2011, 12:47:04
Bon finalement comme j'ai un peu internet je vous post tout de suite le chapitre XIX, pour faire durer le plaisir. :niak: Le XXe et ultime chapitre en début de semaine, si tout va bien!

Bonne lecture!


__________________

XIX
-Kaepora-



   Kaepora s’éveilla en sursaut, paniqué, en sueur, tiré d’un cauchemar terrible. Quelqu’un s’échinait à détruire la porte en criant son nom. Les heures les plus noires de la nuit avaient englouti la ville sous une nappe de ténèbres impénétrables. En dehors des coups répétés sur le battant, tout était calme, silencieux.
   -Un instant!, fit Kaepora d’une voix enrouée.
   Il tâtonna sur la table de chevet jusqu’à mettre la main sur le bougeoir, et l’alluma d’une étincelle de magie. La bougie à la main, il s’extirpa de ses couvertures trempées et alla ouvrir. Vaati se tenait dans l’encadrement, une lampe à huile éclairant son beau visage de jeunot et ses cheveux d’un blanc neigeux. Il y avait longtemps que Kaepora ne l’avait pas vu, avant son coma, et pourtant il n’avait pas souvenir de l’avoir jamais vu arborer une mine aussi sérieuse et soucieuse.
   -Habillez-vous rapidement, il n’y a pas de temps à perdre.
   -Allons bon! Qu’est-ce que cela encore?
   -Regardez à l’est, et vous comprendrez. Mais faites vite. Chaque seconde qui passe leur confère un avantage.
   Le vieux mage ronchonna, mais s’exécuta. Un ciel d’épais nuages enténébrés voilait la voûte céleste, faisait de la Cité un pâle nuancier de noirs fantomatiques. Pourtant, le Consortium Aedeptus était parfaitement visible, géant monolithique inquiétant d’un blanc morbide. Des langues de ténèbres rampaient sur sa façade, parfaitement visibles même depuis cette fenêtre du Poisson-Rêve.
   -Par les Déesses!, souffla Kaepora. Vaati, dites moi ce qu’ils préparent.
   -Ils essaient de conjurer un démon des anciens temps. C’est leur deuxième tentative. J’ai réussi à saboter l’incantation, il y a deux nuits de cela, mais aujourd’hui j’ai été écarté par Exelo. Ils n’ont plus besoin de moi depuis que Majora les a rejoints.
   -Majora?
   -L’heure est grave Kaepora. Nous devons les arrêter.
   -Pourquoi devrais-je vous croire? Vous avez toujours été de leur côté.
   Vaati détourna le regard, gêné.
   -J’étais obligé. Je… Je suis un agent double à la solde du Sheikah.
   Pour prouver ce qu’il avançait, le jeune magicien souleva sa chevelure, révélant le tatouage en forme d’œil sanglant sur sa nuque. Le même qu’avait montré ser Mikau la veille.
   -Il n’y a que vous qui puissiez m’aider. Mon Maître a été arrêté hier à cause de la perfidie d’Aghanim, et je n’ai pu mettre la main que sur quelques agents, mais aucun n’est capable de magie.
   -Il y a des mages puissants à la Cour.
   -Laruto ne désire pas quitter sa maîtresse plus d’une poignée de secondes, quant à Fado, je n’ai reçu que des réponses sibyllines. Il n’y a rien à attendre d’eux.
   -Je vois, fit Kaepora en se frottant le menton. C’est fâcheux. Très fâcheux.
   -Nous devons nous hâter. Si nous n’intervenons pas, je crains qu’ils ne parviennent à achever leurs plans.
   -Qu’espèrent-ils retirer d’une telle conjuration? Ont-ils donc totalement perdu la raison?
   -Exelo a pactisé avec ce démon il y a de nombreuses années. La jeunesse éternelle, contre un aller simple pour le monde des mortels. Les autres maîtres lui sont bien trop fidèles pour comprendre qu’ils n’en tireront aucun avantage.
   -Un pacte… Voilà qui explique bien des choses.
   -Êtes vous avec moi?
   Ils échangèrent un long regard avant que le vieil homme hochât la tête avec un soupir fataliste.
   -Je n’ai guère le choix. Laissez-moi un instant pour me changer. Je ne dois pas inspirer beaucoup de crainte, dans cette robe de chambre.
   Une minute plus tard, ils étaient dans le couloir. L’auberge était totalement silencieuse, trop silencieuse même. L’on n’entendait même pas les ronflements de l’occupant de la chambre 6.
   -Donnez moi votre main, demanda Vaati.
   Le sol se mit à tanguer, les murs à onduler. Un vent imaginaire souffla la bougie et malmena la flamme de la lampe. Puis soudain, le monde bascula à cent quatre-vingt degrés, des ombres gluantes déferlèrent sur eux et les engloutirent, l’univers chut et tout à coup, ils étaient sur le parvis du Consortium Aedeptus. Une dizaine d’hommes et de femmes en armure de cuir noir, masqués, sortirent des ombres des bâtiments attenants pour venir les rejoindre. Tous arboraient le symbole de l’œil sanglant sur le plastron. Un affreux pressentiment étreignit le cœur de Kaepora lorsque, levant les yeux, il contempla le collegium de magie, monolithique, blafard, strié de ténèbres. Il avait été idiot de ne pas avoir compris plus vite les horreurs qui s’y tramaient ; lâche d’avoir voulu s’enfuir. Cette nui-là était peut-être sa chance de se racheter. Sa chance de venger le pauvre Scaff. La chance, peut-être, de sauver Hyrule.
   Déterminé, Kaepora inspira profondément et posa les yeux sur la double porte massive, pour se figer de surprise. Un hurlement de rire aussi strident, fou et malsain que bref déchira l’air nocturne. Le Facétieux se tenait sur le seuil, les mains derrière le dos comme un petit enfant sage. Sa silhouette haute et fine semblait éthérée à la lumière blafarde des torches, et ces dernières faisaient courir sur son imposant masque de démon ricanant d’inquiétants reflets.
   -Reculez!, ordonna Kaepora en s’avançant, prêt à parer toute attaque magique.
   Mais Xanto se contenta de faire le tour de lui-même, et de rentrer dans le Consortium, sans rien ajouter.
   -Par Nayru!, pesta Vaati. Ils nous attendent. Ils ont certainement préparé une embuscade.
   -Il va falloir redoubler de prudence, acquiesça Kaepora. Attendez vous à tout.
   -Scindez vous en deux groupes. Flint, avec Maître Kaepora. Les autres, avec moi.
   Sans un bruit, l’escouade Sheikah se mit en branle. Prenant son courage à deux mains, le vieux mage prit la tête des opérations. En franchissant la porte monumentale, le corps de Kaepora se braqua, ses muscles se contractèrent tandis qu’une vague d’énergie maligne le traversait. Cette magie impie et résiduelle imprégnait l’atmosphère comme une air viciée. Tremblant, le mage serra les dents et jeta un œil au décor. Si le hall du consortium était égal à lui-même, avec ses colonnades sculptées, son dallage en damier, ses tableaux grandiloquents, tout y était grotesque, vulgaire, souillé, tordu. Depuis son cadre de bois laqué, le portrait de Magelyn le Premier lui adressait un sourire figé empreint d’une folie écœurante. L’air semblait onduler sur elle-même, par endroit, déformant momentanément les murs ou le sol. Kaepora se retourna et constat qu’il avait quitté la cité. Rien qu’un abysse ténébreux lui faisait face au-delà du seuil. Il se traita d‘idiot. Il s’était jeté tête la première dans un piège grossier, comme le premier des imbéciles. Il avait quitté la réalité, piégé dans un plan extra-physique.
   Il n’y avait qu’un seul moyen de s’en tirer, trouver la sortie. A condition de rester en vie. Une telle construction magie requerrait une énorme force de volonté et de concentration, mais s’avérait très efficace pour mettre un adversaire à mort. Heureusement, ou malheureusement, l ’  « invité » ne pouvait exister dans un tel plan si le maître des lieux ne s’y trouvait pas également.
   Inspirant profondément, le mage referma doucement la porte sur la nébuleuse. Il n’était pas  certain d’être assez fort pour venir à bout d’un tel adversaire. Il observa d’un œil sévère une ondulation de l’atmosphère qui évoluait à quelques centimètres de lui. Il avait la sensation qu’un filtre crasseux avait été apposé sur ses yeux, assombrissant et ternissant sa vision, rendant le décor plus lugubre qu’il ne l’était déjà.
   Kaepora se mit en mouvement, traversant d’un pas prudent le hall. Il évitait tout contact avec les anomalies du tissu dimensionnel, qui pouvaient être mortelles. Il parcourut quelques couloirs vides, hormis des gargouilles effrayantes qui dardaient sur lui leurs yeux froids et globuleux. Il atteignit le cloître. Un frisson irrépressible le parcourut. Il se souvint de ce qui lui était arrivé ici. De l’entité qui s’y était manifestée, de la terreur absolue qu’il avait ressentie. Le cloître onirique était lugubre. L’herbe était rase, grisâtre, maladive. Les statues des précédents Archi-maître avaient été remplacées par des sculptures de monstres, ailés ou marins, griffus ou dotés de mâchoires impressionnantes. Le ciel au dessus de lui était d’un noir d’encre, les rares étoiles qui y brillaient étaient pâles et jaunâtres.
   Il y avait quelqu’un dans le cloître. Une silhouette assise sur un banc dans l’ombre d’un pilier semblait observer Kaepora depuis l’autre côté. Peu rassuré, le mage lança avec une voix qu’il voulait forte et déterminée.
   -Qui va là?
   La silhouette se leva, fit quelques pas, et la lumière des étoiles révéla Feena Hurlebataille, coincée dans un harnachement de cuir si serré et moulant que le vieil homme sentit la vigueur de son entre-jambe jaillir de sa tombe. Elle était plus belle que dans son souvenir, ses longs cheveux roux cascadant autour de son visage comme un halo de feu, la longue cicatrice lui barrant le visage rehaussant sa beauté, ses yeux semblables à deux émeraudes farouches et scintillantes. Elle tenait  à la main la Lame Purificatrice, aussi étrangement que cela pouvait paraître.
   -C’est moi, Feena, fit-elle.
   Kaepora se demanda si elle était réelle, ou si elle n’était qu’une illusion, une partie de cet univers de cauchemar. Mais elle semblait trop en décalage avec le décor lugubre, et elle tenait la Lame Purificatrice.
   La femme jeta autour d’elle un regard soupçonneux.
   -Où sommes-nous? Cet endroit ne me dit rien.
   -Voici le cœur du Consortium Aedeptus, répondit le mage avec prudence, ne sachant trop comment procéder. Êtes vous… Êtes vous réelle?
   Au lieu d’éclater de rire, ou de le regarder comme s’il était fou, elle se contenta d’un bref :
   -Non.
   -Non?
   -Enfin… Je ne pense pas que tout ceci soit réel. Ca n’a pas de sens. Je me souviens parfaitement m’être endormie avec Marine au Poisson. Et puis pourquoi aurais-je cette fichue épée? Non, je dois être en train de rêver.
   -Un rêve, souffla Kaepora.
   -Vous avez dit quelque chose ?
   -Nous ne sommes pas dans le véritable collegium, mais dans une version altérée, irréelle. C’est une sorte de piège, qui m’est destiné. Je pense que… Je pense que vous avez été « attirée » ici, d’une manière ou d’une autre, tout du moins, votre « moi » onirique.
   La guerrière le regarda avec un air dubitatif.
   -Je n’y comprends rien. Je suis ici où non ? Tout cela m’a l’air bien réel. Je peux même sentir le poids de l’épée.
   Elle la soupesa, comme pour le démontrer.
   -Pour dire les choses simplement, votre corps est toujours au Poisson-Rêve, mais votre essence, votre esprit, votre âme, appelez cela comme vous le voulez, est ici. La question qui demeure est : avez-vous été appelée, piégée comme moi, ou bien avez-vous été attirée inconsciemment, votre volonté vous menant dans ce lieu dans un but bien précis.
   -Pourquoi les sorciers me voudraient du mal ? Je n’en ai jamais croisé un seul.
   -C’est bien pour cela que je trouve la deuxième solution plus probable.
   -Mais je n’ai jamais touché à la magie de toute ma vie, protesta Feena.
   -Cela n’a rien à voir. Les rêves sont vecteurs de pouvoir, dans une forme brute, primitive. Il reste beaucoup de choses à apprendre à ce sujet. Mais pour l’heure nous avons plus urgent.
   -Comme ?
   -Comme trouver le responsable de cette mascarade.
   Elle se frotta le front du bout des doigts, comme pour chasser un début de migraine.
   -Très bien. Je suppose que je n’ai pas le choix de toute façon. Même dans mon sommeil, on ne me laisse plus en paix, ajouta-t-elle en maugréant. Par où commence-t-on ?
   Kaepora s’approcha du mur est, et se mit à le palper.
   -Dans la réalité, les Maîtres essaient de ramener dans notre monde un ancien démon. Ils opèrent dans une salle secrète, spécialement conçue pour l’occasion, dont l’entrée est cachée quelque part dans ce mur… Laissez moi un instant…
   Il sonda les épais blocs de marbre blanc avec ses sens magiques, mais en vain. Cela n’avait rien de surprenant : ils se trouvaient dans une construction magique, il n’y avait rien qui obligeait le créateur à reproduire à l’identique le plan physique d’origine. Mais dans ces conditions, Kaepora ne savait trop où aller. Il rechignait à errer dans les couloirs et les étages au hasard, de peur de tomber dans un autre piège, mais il ne semblait pas avoir d’autre choix…
   -Attention !
   Feena lui sauta dessus et le fit basculer au sol. Un sifflement hérissant les survola, en même temps qu’une ombre massive. La guerrière roula sur elle-même et décocha un coup d’épée qui ne rencontra que le vide. Une seconde plus tard, elle se relevait, en position de combat. L’une des statues avait pris vie. Celle d’un genre de gargouille surdimensionnée, en marbre noir. Sa tête de chauve-souris était couronnée de piquants, et ses longs bras grêles avaient des griffes sculptées comme des poignards. Sa queue de diable fouettait l’air et se terminait par une faux acérée. La bête stoppa sa course en s’agrippant à un pilier et poussant un hurlement qui vrilla les oreilles de Kaepora. Elle tourna sa face abominable vers eux, ses yeux fixes de pierre ne reflétant aucune lumière, seulement une malignité pure.
   Le mage essaya de contrôler les tremblements de son corps et peina à se remettre debout. Avant qu’il n’y parvînt tout à fait, la créature bondit en avant, effectuant un court vol plané à l’aide de ses ailes de dragon. Son hurlement assourdissant l’accompagna, mais ne sembla pas ébranler Feena qui l’attendit de pied ferme. La Lame Purificatrice fendit l’air dans un son de cristal mais n’eut aucun effet. Son métal enchanté rebondit sur la peau de marbre de la bête sans lui causer le moindre mal. La guerrière fut fauchée et projetée contre un mur où elle s’écroula avec un grognement de douleur.
   Alors que la gargouille dardait ses griffes vers elle, prête à l’éventrer, Kaepora rassembla sa volonté et, tendant ses bras vers l’avant, indexes et majeurs collés, projeta sur le monstre un éclair d’arcane brut. Dans cette dimension, le sort prit la forme d’un rayon multicolore crépitant, qui percuta la bête avec une détonation. La créature tituba, hurla, et chut sur le côté, redevenant immobile. Feena se releva, s’aidant de l’Epée.
   -Qu’est-ce que c’était que ça ?, fit-elle en haletant.
   -Un genre de gargouille, je dirais. Nous devons rester sur nos gardes. Surtout vous.
   -Pourquoi ? Ce n’est qu’un rêve après tout.
   -Non, c’est plus que cela. Mourrez maintenant, et votre âme errera à jamais dans les limbes, laissant derrière lui une enveloppe aussi vide qu’inutile.
   La guerrière frissonna à cette idée.
   -Ce machin n’est-il pas censé être magique ?, grogna-t-elle en désignant la Lame Purificatrice. Ca ne lui a rien fait.
   -Ce n’est pas la véritable épée. Je pense que ce n’est qu’une image créée par votre rêve. Considérez la comme une simple arme. Et maintenant nous devrions… Là, derrière vous, attention !
   Elle réagit à la vitesse de l’éclair. Elle se jeta sur le côté, roula sur elle-même et se releva dans le même mouvement, évitant de justesse un coup de hache monolithique qui l’aurait ouverte en deux comme du beurre. Une autre créature de marbre se tenait devant eux. Une sorte de géant musculeux, humanoïde mais doté d’une tête à face de porc. Il portait une lourde armure hérissée de piquants, et était armée d’un imposant bouclier et d’une hache de bataille. Comme la gargouille, elle était entièrement noire, faite de pierre. Elle frappa un second coup, et la force de l’impact pulvérisa une colonne.
   Feena bondit hors de portée de l’attaque, puis se jeta au contact, dans l’intention de bloquer l’angle de frappe du monstre. Mais ce dernier se contenta de la repousser d’un violent coup de pavois. La guerrière l’encaissa de plein fouet. Une gerbe de sang écarlate fusa dans l’air et elle tituba en arrière, visiblement sonnée. Mais pas assez pour ne pas parer le coup suivant. Hache et épée s’entrechoquèrent dans un crépitement d’étincelles bleutées, mais le géant était bien plus fort, et par sa seule puissance il fit ployer le genou à son adversaire.
   Kaepora rassemblait déjà ses forces pour un autre sort, mais une nouvelle menace s’approchait de lui. Une créature mi-homme mi-lézard, à la langue pointue, vêtue de quelques morceaux d’armure hétéroclites, d’une rondache légère et d’un court glaive. Elle sprinta sur le mage, lame en avant mais le champ de force évoquée à la hâte par Kaepora la repoussa momentanément. Le cœur battant, ce dernier jeta un coup d’œil sur Feena, constatant avec horreur que son adversaire allait bientôt l’achever. Il tendit un bras et prononça quelques mots rapides. L’air ondula autour du géant Des langues de glace le frappèrent de toute part, le gelant littéralement. Feena s’en écarta vivement et poussa un cri dans la direction de Kaepora.
   Ce dernier fit de son mieux pour esquiver l’attaque de la créature-lézard, mais le glaive lui entailla férocement le flanc. Le mage sentit son sang jaillir de la plaie, imbibant son vêtement. Il leva le bras pour se protéger, vainement, du coup suivant, mais celui-ci n’arriva jamais car la guerrière s’était jetée sur le monstre, le renversant. La Lame Purificatrice scintilla brièvement quand elle l’éleva dans un cri rageur, et cette fois-là, elle perfora la peau de pierre de la bête sans rencontrer de résistance.
   Feena se porta aussitôt au côté de Kaepora, qui s’affalait contre le mur, sa main pressée contre sa blessure. Elle-même n’était pas indemne. Un vilain hématome noircissait déjà sur sa mâchoire et du sang coulait de sa lèvre éclatée.
   -Vous êtes blessé, constat-t-elle. Laissez-moi voir… La plaie est peu profonde, vous vous en sortirez.
   -Tout ça… commença-t-il en grognant, c’est plus de mon âge.
   S’appuyant sur sa compagne, il parvint à se remettre debout.
   -Il ne faut pas rester là, ordonna Feena en jetant un œil hostile aux statues restantes. C’est trop dangereux.
   -Je suis bien d’accord… Prenez cette porte, là. J’ai peut-être une idée.
   Obéissant, la femme le porta plus qu’elle ne l’aida à avancer jusqu’à un nouveau couloir, plus sombre que les précédents. On avait éteint les torches sur les murs. Elle l’abandonna un court moment, le temps pour elle de bloquer la porte avec un candélabre.
   -Par où ?
   -Par là… A droite… Voyez ce tableau là…
   Kaepora tendit le bras et toucha la troisième rune en partant du bas qui ornait l’ourlet du manteau de l’Archi-Maître Yanru. Comme il s’y attendait, il y eut le déclic familier, et un pan du mur pivota sur lui-même, dévoilant le rapide escalier en colimaçon qui menait à la salle secrète où les Maîtres se réunissaient. Un air vicié frappa Kaepora au visage, un air chargé de résidus de magie noire.
   -Prenez garde, avertit-il Feena. Nous allons sûrement affronter l’un des Maîtres. Ils sont de redoutables magiciens, et nous sommes ici sur le terrain de jeu de l’un d’entre eux. Ne faites rien d’insensé, et surtout ne lui laissez pas le temps de bouger les bras, de parler ou de saisir un objet. Vous seriez morte avant même de le savoir.
   -Compris, affirma la guerrière avec un signe de tête.
   Ils s’engagèrent prudemment dans l’escalier suintant. A chaque marche qu’il descendait, Kaepora sentait sa peur croître et son cœur accélérer. Si Feena n’avait pas été là, il n’aurait sans doute jamais trouvé le courage pour affronter celui qui se cachait derrière tout ça. De toute manière, sans la guerrière la gargouille l’aurait tué…
   Un rire fou, effrayant et bref les accueillit lorsqu’ils posèrent le pied sur le sol de la salle de réunion. Xanto les attendait, bien sagement assis à sa place attitrée autours de la grande table ronde. Il ne manquait aucun siège, pas même celui de Kaepora, mais tous étaient vides. Les yeux de fer de son masque luisant faiblement à la lueur de l’unique bougie, le Facétieux semblait les contempler, aussi immobile que les statues du cloître. La volonté de Kaepora vacilla, mais Feena le rattrapa et raffermit sa prise sur son bras.
   -Qui est-ce ?, souffla-t-elle.
   -Xanto… On l’appelle le Facétieux. C’est le bras droit d’Exelo, et peut-être le plus dangereux des Maîtres. S’ils l’ont envoyé contre moi, c’est qu’ils me craignent, constata Kaepora avec un maigre sourire. Ou bien ils espéraient attirer un autre poisson dans leurs filets.
   Il songea brièvement à Vaati, et se demanda comment les choses se déroulaient, dans la réalité. Avait-il réussi à les stopper ? Le monde était-il déjà au bord de la destruction ? Pour l’heure, il avait d’autres préoccupations. Xanto ne semblait pas vouloir bouger ni dire quoi que ce soit, ce qui cadrait assez bien avec le personnage.
   -Vous savez que vous n’en retirerez rien, n’est-ce pas ?, commença Kaepora d’une voix forte. Exelo a marchandé pour lui, mais vous… Vous trouverez la mort, comme les autres.
   Le Facétieux garda le silence, puis émit son rire caractéristique, faisant frissonner son collègue mage.
   -Le Crépuscule approche, Maître Hibou.
   La voix de Xanto avait quelque chose de tordu. Elle évoquait le crissement que produiraient des griffes raclant du métal.
   -Que voulez-vous dire ?
   -Cela n’a aucune importance, puisque vous serez bientôt mort. Sachez juste que…
   La Lame Purificatrice fendit l’air dans son habituel chant cristallin et entailla l’épaule de Xanto avant de se ficher dans le mur derrière. Feena était déjà à mi-parcours, sprintant vers le Maître avec un regard farouche. Elle bondit par-dessus la table, le bras replié sur lui-même, prête à délivrer un formidable uppercut. Xanto poussa un cri, plus proche du glapissement que du rire cette fois-ci. Bougeant les mains, il se volatilisa au moment où la guerrière atterrissait sur lui. Sans s’interroger sur ce prodige, elle roula en avant et délogea son arme du mur. Son adversaire réapparut à l’autre bout de la pièce, et commença aussitôt à entonner une incantation. Sans lui laisser de répit, Feena lui projeta une chaise en pleine tête. Sonné, Xanto s’effondra avec un grognement sonore. La guerrière se jeta sur lui.
   Son épée allait s’abattre lorsque Xanto « explosa » en plusieurs centaines de petites billes noires. Au même moment, la terre se mit à trembler, les murs à osciller sur eux-mêmes et d’énormes anomalies dimensionnelles apparurent.
   -Que se passe-t-il ?, hurla Feena en jetant un œil paniqué autour d’elle.
   -Xanto est parti. Cette dimension est en train de disparaître.
   -Que va-t-il nous arriver ?
   -Rien. Vous allez certainement vous réveiller à présent. Moi, je vais retourner dans la réalité.
   Un mur se déchira dans un grondement assourdissant, découvrant une absence de matière plus noire que noir.
   -Merci pour votre aide !, eut à peine le temps de cirer Kaepora avant que le sol ne se dérobât sous lui.
   Il eut un léger vertige, et une sensation de chute, mais presque aussitôt il retrouva du solide sous ses pieds. Il était toujours dans la salle de réunion, mais les lampes qui brûlaient sur leurs appliques et la poussière qui recouvrait la table lui indiquèrent qu’il était de retour dans la réalité. Il se palpa le flanc, et constata avec satisfaction que sa blessure avait disparu. Il remonta l’escalier en hâte, le cœur battant, anxieux quant à ce qu’il allait découvrir.
   Le cloître avait été le témoin d’une violente bataille. Des corps gisaient pêle-mêle dans l’herbe, sur les bancs, contre les colonnes… Des Sheikahs, mais aussi des apprentis. Il y avait du sang partout, souillant les murs et le sol, gorgeant la pelouse d’une couleur morbide. Certains cadavres avaient été affreusement mutilés, des membres arrachés aux troncs et projetés au petit bonheur. Kaepora n’avait jamais vu autant de morts de sa vie, et il resta un moment prostré avant que son estomac rebelle ne le forçât à se détourner pour rendre son dernier repas. Tremblant, il longea le mur à sa droite, s’aidant d’une main, en essayant de ne pas poser les yeux sur le charnier. Il trouva le passage secret ouvert.
   Du sang coulait lentement le long des innombrables marches. L’hémoglobine luisait de façon malsaine à la légère lueur des champignons phosphorescents qui poussaient le long des parois. Loin, au bas des degrés de pierre, la porte était fermée. Pourtant, l’air été saturé de miasmes démoniaques. Kaepora fit mine de tourner les talons, en proie à une vive terreur comme le souvenir de sa dernière aventure en ces lieux se rappelait à lui, mais la vue du massacre l’empêcha de fuir. Il rassembla tout le courage qu’il put trouver, et s’engagea dans l’escalier. Sa descente lui parut durer une éternité. Il avançait prudemment, de peur de glisser, mais également pour retarder le plus longtemps possible la confrontation avec ce qui se trouvait derrière la porte.
   Celle-ci n’avait pas changé : un simple battant de fer noirci, aveugle, sans anneau ni poignée. Kaepora éleva quelques barrières mentales et poussa sur la porte. Celle-ci s’ouvrit sans opposer de résistance, pivotant sur ses gonds sans un bruit. La chambre d’invocation était vaste. Tellement vaste qu’il était impossible pour elle de se trouver sous le Consortium. On distinguait à peine le plafond, perdu quelque part dans les nuées. Les murs étaient de pierre épaisse, mouchetés tout du long de torches brûlant d’un feu noir. Le sol était un damier de losanges noirs et rouges, rompu en son milieu par un cercle d’invocation en fer forgé. Linebeck se trouvait au milieu dudit cercle, la tête penchée en avant, tournant le dos à la porte.
   Exelo levait les bras, un sourire extatiques sur le visage. Il faisait face à un véritable trou dans le tissu du monde. Une porte vers un plan de ténèbres impénétrables, suintantes, impies. L’esprit de Kaepora s’affola lorsqu’il ressentit la présence d’une entité dans ce magma d’obscurité purulente. Quelque chose s’agitait, prête à s’éveiller d’un long sommeil. Une chose séculaire, venue de par delà les étoiles à l’aube du monde. Une chose qui l’avait jadis plongé dans le coma. Les barrières qu’il avait élevées autour de son esprit lui permirent de ne pas sombrer dans la folie quand la créature bougea. C’était une montagne en marche. Une montagne à face de porc.
   Les yeux baignés de larmes, Kaepora poussa un long cri. Vaati gisait non loin de Linebeck, face contre terre. Une flaque de sang se formait déjà sous lui, imbibant ses cheveux d’ordinaire immaculés d’un rouge écœurant.   
   -Ha ! Je vois que le Maître Kaepora a finalement décidé de revenir parmi nous.
   Exelo le regardait à présent. Ses yeux brillaient d’une folie palpable, et ses traits étaient déformés par une joie démoniaque.
   -C’est aimable à vous de passer nous voir. Vous arrivez juste à temps pour assister à notre triomphe.
   -Triomphe ?, parvint à rétorquer Kaepora d’une voix sanglotante. Je ne vois là qu’une folie. Vous n’avez pas idée des forces avec lesquelles vous jouez.
   L’Archi-Maître éclata de rire. Un rire effroyable, qui n’avait rien à envier à celui de Xanto. D’ailleurs, ce dernier se tenait non loin de son maître, constata Kaepora, en compagnie d’Aghanim et de Sahasralah. Les trois le regardaient avec pitié.
   -Vous êtes dépassé, mon brave Kaepora. Vous êtes une relique d’une autre époque. Les temps changent, vous le remarquerez bien assez vite. Hyrule vit ses derniers jours. La bonne reine Ishtar est morte, assassinée par mes soins. La Lame Purificatrice est entre les mains d’un usurpateur abruti et violent, qui s’est déjà mis à dos toute la noblesse avant même de monter sur le trône. Le Sheikah est tombé lorsque nous avons sectionné sa tête pensante. Termina, Holodrum et Labryna n’attendent qu’une occasion pour planter leurs crocs dans notre bonne vieille Hyrule… Et si cela ne suffisait pas, le Maître est avec nous à présent.
   Exelo indiqua la faille noire d’un geste révérencieux.
   Kaepora avait la bouche sèche. Sa terreur était telle qu’il était entré dans une sorte d’état léthargique, au delà de toute préoccupation terrestre.
   -Non, vous n’avez pas gagné. Il reste des gens de bien. Des gens qui vous détruiront.
   -Tiens donc ? Et qui cela peut-il bien être ?, ricana l’Archi-Maître. Le « héros » ? Son Chien ? Sa pute barbare ? Ha non, je vois, vous songez à la bonne noblesse hylienne. Ser Mikau ? Un sot qui a sauvé le seigneur Majora sans le savoir et qui l’a amené à nous. Lord Dorf ? Il ne se doute même pas que son entourage nous est déjà tout acquis. Quant à ser Allistair… Et bien… Il est muet voyez-vous.
   -Exelo, appela Linebeck sans se retourner. Je suis fatigué de lui. Il n’a cessé de me retarder depuis mon arrivée. Laissez moi m’en occuper.
   -Mon seigneur…
   Linebeck se leva et les yeux luisants du masque de Majora plongèrent dans ceux de Kaepora.
   -Votre cher familier a du vous manquer, depuis tout ce temps… Soyez rassuré, nous en avons pris grand soin.
   Kaepora entendit un battement d’ailes, non loin de lui. Mais il ne pouvait détacher son regard de l’expression morbide du masque. Il comprenait vaguement que Linebeck était mort, qu’un mal terrible s’était réveillé… qu’il avait échoué, une fois de plus. Une vague d’énergie noire le traversa douloureusement. Il eut la sensation qu’on lui arrachait chaque morceau de chair, qu’on drainait son sang, qu’on lui écorchait la peau. Le monde s’enténébra ; il n’entendait plus que ces terribles battements d’aile et les rires des Maîtres, quelque part.
   Kaepora voulut crier, mais seul un hululement franchit sa gorge meurtrie.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Doutchboune le samedi 11 juin 2011, 15:31:27
Hé beh.

Bon je débarque un peu comme ça, même pas pour commenter les dernières parutions, car, il faut l'avouer, je n'avais pas encore lu quoi que ce soit par ici.

J'ai commencé à réparer mon erreur. Je ne ferai pas de pavé, je ne suis vraiment pas une critique littéraire. Je dois avouer que ce sont les mises en scènes et des loups garous, et du concours d'écriture qui m'ont encore plus poussée à venir faire un tour par ici, auxquelles on peut ajouter nombre d'éloges que j'ai entendus en plusieurs endroits, et je ne le regrette pas.

Pour le moment, je n'ai lu que la première partie de Triangle de Pouvoir. Ce que tu as publié de la seconde va sûrement suivre dans la journée.

J'ai littéralement dévoré cette histoire (syndrome fréquent chez moi quand je lis). Bien sûr il y a quelques maladresses de temps en temps, quelques fautes (d'étourderie et de frappe, j'en suis certaine), mais bon, tout de même, j'ai été tenue en haleine tout du long (pis j'ai pas regardé de quand date le début aussi tiens). Les personnages ont tout de suite une consistance propre, j'ai ressenti une réelle empathie tout du long de ma lecture.
J'ai aussi ressenti des choses qui m'ont rappelées d'autres lectures, ou d'autres univers, certains que je sais que tu connais, d'autres, je ne sais pas. Je ne parle pas de copiage ou d'inspiration, non (même si quelque part, je suppose que quand on écrit, ce qu'on a lu ou vu influence forcément) mais bien d'un ressenti de moi lectrice, qui s'approchait de ce qu'il avait été lors de mes lectures.

Bon décidément, je ne sais pas vraiment commenter un texte moi  :ash:  En tout cas, je sais où aller quand j'aurai de nouveau la non-flemme de lire quelque chose !

Allez, je vais de ce pas imprimer la 2e partie, j'ai envie de savoir la suite ;)


EDIT : bon ben ayé, j'ai lu la 2e partie, mais je pense que je ferai un commentaire plus poussé une fois que tu auras posté le chapitre XX.  :niak:

Juste un mot en passant... Bien les combats dans l'immatériel ? :p  (pas pu m'empêcher d'y penser... :niak: )
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le samedi 11 juin 2011, 20:05:36
Doutch ==> Ouais, très bien même O:-) J'attendrais ton commentaire plus poussé pour te répondre en détail alors. :niak: Mais en tous les cas merci d'avoir pris le temps de me lire, ça me fait très plaisir ^^


Sur ce, le tout beau tout propre chapitre XX, qui clôt le premier volume de la trilogie. (Bah oui, un Triangle ça a bien trois faces non? :p)

Enjoy!

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XX
-Le Tournoi-



   Une clé tourna dans la serrure en grinçant. Presque aussitôt, la lueur aveuglante d’une torche illumina la cellule crasseuse. Tarquin plaça une main devant son œil pour s’en protéger.
   -C’est déjà l’heure ?, grogna-t-il d’une voix pâteuse, la gorge déssechée.
   -Et oui, grand maître ! L’heure de tirer la révérence.
   -Mikau ?
   -Le seul et l’unique. Allez, levez-vous, nous avons peu de temps. Vous ne voudriez pas rater le début du plus grand tournoi de tous les temps, si ?
   Le chevalier lui prêta la main pour l’aider à se remettre sur ses pieds. Tarquin était courbaturé de partout, mais il retrouva rapidement son allure et sa vivacité. Son geôlier gisait en plein milieu du couloir sombre. Un peu de sang coulait d’une blessure à la tête.
   -Il s’est montré assez peu coopératif, expliqua ser Mikau avec un sourire gêné.
   Malgré toute sa vaillance, Tarquin vacilla sur lui-même et fut contraint de se soutenir au bras du chevalier. Ses bourreaux avaient été assez zélés. Le Zora eut la délicatesse de ne pas faire de commentaire. Les soldats du corps de garde dormaient comme des masses, les faces écrasées contre le bois de la lourde table.
   -Je n’ai pu trouver qu’un soporifique léger. Il ne faut pas traîner.
   Ils montèrent un court escalier et débouchèrent dans le hall d’une petite tour sise dans un coin des jardins. Tarquin constata que l’aube se levait à peine. Tout était encore enténébré de l’obscurité de la nuit. Deux Sheikahs les attendaient, cachés derrière un arbre.
   -Il est probable que le Consortium possède des espions au château, fit Mikau en tendant au borgne un jeu de dagues et des bottes. Je suggère que vous restiez caché, jusqu’au moment propice.
   -Une suggestion fort intéressante. Que s’est-il passé durant mon emprisonnement ? Comment va le roi ?
   -Il ne s’est rien passé de notable, mais plusieurs de nos hommes ne donnent plus signe de vie. J’ai déjà pris la liberté de lancer quelques agents sur leurs traces. Quant au roi, sa santé semble être revenue. Il assistera aux jeux.
   -Fort bien.
   Tarquin leva les yeux vers le soleil levant, qu’on devinait à peine derrière les cimes des Monts du Péril, à l’Est.
   -Mikau.
   -Monsieur ?
   -Ne me décevez pas. Le Royaume compte sur vous.
   -A vos ordres, monsieur.
   Au même moment, Feena Hurlebataille s’éveillait d’une nuit paisible. Marine était agréablement lovée contre elle, et c’était un délice de sentir sa peau nue contre la sienne. Le sang de leur empoignade de la veille avait séché, mais elle sentait encore les tiraillements des coupures et ses muscles étaient raidis par leurs ébats endiablés. Elle se passa une main sur le visage pour s’éclaircir les idées, et elle eut vaguement l’impression d’avoir rêvé, et que c’était un rêve assez important. Elle n’y accorda pas plus d’importance.
   Après avoir déposé un baiser sur les lèvres de sa nouvelle amante, elle se dégagea gentiment de son étreinte et s’habilla.
   -Madame compte-elle revenir ?
   Marine était éveillée. Elle regardait Feena avec des yeux brillants, jouant de manière sensuelle avec ses cheveux. Son corps magnifique, sculpté par le drap souillé, fit monter le désir de la guerrière, mais elle le réfréna.
   -Si mademoiselle n’y voit pas d’inconvénient.
   -Que madame soit rassurée : elle dispose dès à présent d’une chambre attitrée dans notre bon établissement.
   -C’est trop d’honneur.
   Feena se pencha vers sa compagne, et elles échangèrent un long baiser langoureux.
   -Je te verrai au Tournoi, fit-elle avant de quitter l’auberge, le cœur léger.
   Lars Zora avait passé la nuit à polir l’armure de ser Sanks, à récurer sa maille, à graisser et affûter son épée, à lustrer ses bottes et briquer son écu. Une tâche fastidieuse mais qu’il avait accomplie sans rechigner, excité par la perspective des jeux à venir. Lui-même ne pouvait y participer, car trop jeune, mais il serait aux premières loges, avec les autres écuyers, pour vivre le spectacle. Et quel spectacle ce serait ! Toutes les plus fines lames du royaume seraient présentes : Lord Link, Lord Dorf, Lord Darmani, ser Allister, ser Mikau, ser Sanks, les frères Dodongo cadets et sûrement un ou deux reîtres compétents. Il se demanda vaguement à qui Lady Saria allait consentir sa faveur, mais il décida que finalement, cela ne l’intéressait pas beaucoup.
   Sa relation avec son parrain avait bien progressé. Ser Sanks se fendait parfois d’une confidence, les entraînements à l’épée étaient moins brutaux et les punitions moins sévères. Locke semblait se faire à sa nouvelle condition de chevalier, s’y résignant malgré lui. Il avait perdu un peu de sa froideur, et cela était sûrement dû à dame Laruto, avec laquelle il passait beaucoup de temps. Lars espérait qu’ils se marieraient. Il était persuadé que la magicienne exerçait sur lui une influence positive…
   Mais pour le moment, il fallait finir de graisser cette cotte de mailles : l’heure du tournoi approchait.
   Au fur et à mesure que le soleil monta dans le ciel dégagé, les rues de la Cité se remplirent d’une foule nombreuse qui se dirigea dans un brouhaha joyeusement infernal vers la lice à l’extérieur des remparts. Un véritable labyrinthe de tentes, de pavillons et de stands avait poussé durant la nuit le long des douves et de la route royale. Des oriflammes chamarrées voletaient au vent léger sur les faîtes des assemblages de toile, et des écus décorés d’armoiries, placés devant les rabats annonçaient les augustes propriétaires. Une véritable ville en dehors de la ville était née, alimentée par les innombrables marchands et vendeurs à l’emporte pièce assaillis par des marées de badauds hilares ou simplement joyeux, et protégés des voleurs et des importuns par la milice urbaine aidée de la garde royale. On pouvait apercevoir le bon capitaine Feryl de-ci de-là, beuglant des ordres à ses hommes pour assurer la bonne marche de l’événement.
   Le bureau d’inscription, tenu par l’intendant royal en personne, Maître Baelon, était flanqué de deux pavillons monumentaux aux armes du roi, contenant l’arsenal personnel de celui-ci ainsi que de son gendre, mais également les récompenses du tournoi.  C’est pourquoi un groupe de milicien était campé non loin, observant avec tout le sérieux de leur profession la queue qui se faisait devant le bureau de Maître Baelon, pour compléter les inscriptions après paiement des droits communs. Pour s’épargner la peine de devoir fréquenter le bas peuple, les participants détenteurs du titre de chevalier au minimum pouvaient envoyer un représentant muni d’un sceau à leurs armoiries pour remplir les papiers à leur place. Cependant, certains nobles préféraient s’en charger eux-même, pour prendre la mesure de leurs futurs adversaires, ou s’imprégner de l’ambiance. Ainsi ser Mikau croisa Lord Dorf dans cette même file et il fallut six hommes pour les séparer lorsqu’ils en vinrent aux mains après un échange de piques oratoires. L’incident cependant n’ébranla personne, car une poignée de minutes plus tard, les deux hommes échangeaient des histoires grivoises autour d’une fantastique pinte de bière.
   Certains marchands renommés de par le monde avaient envoyé des représentants, venus d’Holodrum, de Labrynna, plus rarement de Termina, ils proposaient des articles de grands luxe, tels des soieries, des bijoux fins, des encens, des parfums, qui faisaient la joie des grandes dames Hyliennes. Lady Ruto déambulaient bras dessus bras dessous avec dame Nabooru le long de ces échoppes, s’extasiant devant les couleurs, les formes et les odeurs. De tant en temps, elle demandait à dame Laruto, qui la suivait non loin, d’acquérir pour elle telle ou telle bagatelle. A son côté, dame Nabooru faisait sensation. Habillée des légères parures typiques de sa vallée natale, avec sa beauté rehaussée de fard et sa peau naturellement bronzée, elle rayonnait comme un joyau du désert, mystérieuse et hors de portée.
   Pour garder l’ambiance festive jusqu’au commencement du Tournoi proprement dit, dans l’après-midi, l’on avait fait venir moult troupes de saltimbanques, des rhapsodes, des cracheurs de feu, des conteurs, des bardes, des montreurs d’ours et ceux-ci se produisaient partout où ils trouvaient une place. Une troupe de théâtre avait installé ses tréteaux non loin d’un stand de viande rôtie à la broche, et avait par conséquent un auditoire assez important parmi lequel se trouvait Fado le Faiseur de Vents, yeux fermés, tête penchée sur le côté, un léger sourire sur le visage et Lord Dumor qui, ne participant pas aux jeux, n’avait rien d’autre à faire que de profiter de tout ce que le tournoi avait à proposer. Les comédiens donnaient une représentation plutôt honnête de la dernière pièce de l’écrivain Toto di Algo, Les Seigneurs du Carnaval, mais Lord Dumor se permettait par moment une réflexion à haute voix quand l’un des artistes se trompait dans son texte ou simplement jouait mal, selon les critères du noble.
   Lord Link fit grande sensation lorsqu’il apparut dans sa lourde armure de tournoi, couleur jade et incrustée de grenats rehaussés de fil d’or pur. Il flânait sur son destrier harnaché, la Lame Purificatrice battant le flanc de sa monture dans son fourreau, et faisait mine de s’intéresser aux étals des marchands qui rivalisaient de promesses et d’offres pour s’attirer les faveurs du prince. Partout où il passait, les gens l’acclamaient, lui demandaient sa bénédiction voire lui embrassaient les pieds en passant.
   Feena assista à la scène, et ne put s’empêcher de cracher par terre.
   -Je vois que la chose nous inspire la même pensée.
   Ser Mikau la rejoignit, les sourcils froncés en observant la parade princière. Il avait revêtu son armure, un corselet de plates noires et bleues par-dessus une étroite chemise de mailles à motif turquoise. Son épée à la garde incrustée de saphirs lui ceignait le côté gauche et son écu battait contre son dos. Il tenait un heaume à cimier au serpent de mer dans le creux de son bras. Ses cheveux étaient retenus en arrière par un fin bandeau de soie frappé de ses armoiries.
   -Je compte sur vous pour lui faire goûter de cette belle rapière, répondit la guerrière avec un sourire.
   -Je devrais pourvoir faire ça.
   Il lui sourit en retour, mais elle voyait à sa mine sérieuse qu’il était préoccupé.
   -Il s’est passé quelque chose ?
   -Pas vraiment. C’est… disons, un pressentiment. Aujourd’hui serait le jour idéal pour…
   -Pour ?
   -Non, rien. Oubliez cela, c’est sans importance.
   Il poussa un soupir triste en fixant son heaume.
   -Comme mon épouse n’est hélas pas avec nous, oserai-je vous demander de m’octroyer votre faveur ?
   -Ma faveur ?
   -Chaque chevalier participant aux jeux peut demander la faveur d’une dame, et combattre en son nom. Bien entendu, la bienséance oblige un champion marié à combattre au nom de son épouse, mais si celle-ci n’est pas présente, on tolère qu’il demande la faveur d’une autre.
   -Si je vous la donne, imaginons, qu’adviendrait-il si vous remportiez le Tournoi ?
   -Et bien j’aurais gagné le droit de passer avec vous une nuit entière, dans l’intimité… Et la chasteté, naturellement, s’empressa-t-il d’ajouter. C’est normalement l’occasion pour les jeunes champions d’essayer de séduire la dame de leur cœur.
   -C’est follement romantique.
   -N’est-ce pas ? Notez que je n’y accorde pas grande importance, mais le peuple chérit cette tradition.
   -Soit. Dans ce cas, j’accepte que vous vous battiez en mon nom, ô ser Mikau.
   -Un honneur, madame, répondit-il dans un nouveau sourire. Si vous voulez bien m’excuser, j’aperçois là-bas ce bon ser Allister et je crois que la dernière insulte que j’ai proférée à son encontre était un peu trop timorée : il n’a pas encore l’air bien prêt pour ce Tournoi.
   Un peu plus loin, dans une tente ocre dont l’oriflamme s’ornait d’un limier noir, Lars Zora s’escrimait à attacher la sangle du plastron de l’armure de son parrain. Dans sa cuirasse d’acier noirci, avec les intimidantes épaulettes et la carrure naturelle de l’homme, ser Sanks en imposait. Sa tête hideuse renforçait cette impression, lui conférant l’allure d’un seigneur de guerre cruel. Cependant l’effet aller être gâché par le « cadeau » offert par Lord Link : un heaume intégral à mufle de chien. L’effigie était parfaitement ridicule, avec sa langue pendante et son air balourd, mais il était hors de question pour le chevalier de refuser un présent de son maître. Lars attacha le lourd écu au bras mutilé, prenant grand soin de ne pas toucher le membre meurtri. Ce faisant, il ne put s’empêcher de parler :
   -Lord Link a finalement décidé de ne pas participer à la mêlée, de même que Lord Dorf. Je vais parier quelques pièces sur vous, messire.
   -Si j’étais toi je parierais plutôt sur ser Allister ou ser Mikau.
   -Messire ?
   -Ce sont de fins bretteurs. A un contre un je ne doute pas d’en venir à bout, mais ils ont l’habitude de se battre ensemble, et rien ne les empêche de le faire.
   Sur cette remarque obscure, ser Sanks n’ajouta plus rien.
   -Et bien… Ser Mikau est mon oncle, alors, je miserai sur lui, dans ce cas…
   Le chevalier dut remarquer la déception de son écuyer, car il s’excusa.
   Lorsque le soleil amorça sa descente, la foule se dirigea petit à petit vers la lice. Celle-ci se résumait à un vaste cercle de pelouse délimité par des barrières contre lesquelles le commun s’agglutinait. De part et d’autre on avait érigé de hautes tribunes pour les nobles. Ceux des nobles qui ne participaient pas à la mêlée étaient d’ailleurs déjà installés, et discutaient tranquillement entre eux, peut-être s’autorisant quelques paris amicaux. 
   Malon était assise à côté de son père, à deux rangées des places royales. Elle l’entretenait gentiment mais son esprit était ailleurs. Elle se demandait si l’un des preux allait lui demander sa faveur. Ho ! Comme se serait doux si le ténébreux Allister ou l’intriguant Mikau la lui demandait ! Ou même ser Sanks… Au fil des longues nuits passées à son côté, elle avait appris à le connaître, et à l’apprécier comme un ami. Sous sa carapace de froideur se cachait un être blessé et fragile… Réflexion faite, elle donnerait volontiers sa faveur à ser Goro. Il était plutôt bien fait, et elle avait cru remarquer depuis quelques temps qu’il la regardait de plus en plus…
   Elle en était là de ses pensées lorsque Feena Hurlebataille vint s’asseoir à côté d’elle. Malgré elle, elle se raidit. Elle avait fait tout son possible pour éviter la guerrière depuis leur… mésaventure. Elle se sentait mal à l’aise en sa présence. Cependant, la barbare se contenta de poser sa main sur son bras, gentiment, comme une amie.
   -Vous n’avez rien à craindre. Je ne vous importunerai plus.
   -Madame ?
   -J’ai, disons, trouvé chaussure à mon pied.
   -Ho.
   Malon fut surprise de sentir une pointe de jalousie et de déception croître en elle, mais elle se reprit très vite. Elle était heureuse pour dame Feena.
   La famille royale arriva peu après, et prit place sous les vivats de la foules. Le roi Salomon paraissait en pleine forme, et heureux d’être là, démentant ainsi les rumeurs qui couraient sur sa santé défaillante. Son jeune fils le suivait de près, dardant ses yeux vairons partout où il le pouvait, s’exclamant à la vue des chevaliers en armure, trépignant sur place d’excitation. Sa sœur était plus pondérée, souriant poliment au peuple qui l’appelait. Elle était accrochée au bras de son époux qui lui-même ne pouvait contenir un certain air de satisfaction.
   Le héraut royal vint se placer devant la tribune, et levant sa longue trompette d’or, réclama le silence d’une note brève et sonore.
   -Les faveurs !, tonna-t-il d’une voix de stentor.
   C’était le moment du tournoi que les jeunes dames attendaient le plus. Elles avaient préparé leurs foulards avec le plus grand soin, brodant du mieux qu’elles le pouvaient les armoiries de leur famille. Certaines y avaient passé des heures en travail intensif, pour rien, peut-être. Toutes espéraient que l’élu de leur cœur viendrait à elles mais peu seraient satisfaites.
   Ser Mikau s’avança le premier, chevauchant un hongre pie d’une main, tenant une longue lance de tournoi de l’autre. Il n’avait pas encore coiffé son heaume. Le Zora faisait chavirer plus d’un jeune cœur, surtout que dans sa jeunesse volage il avait eu l’habitude de courir la gueuse pour le plus grand bonheur et le plus grand malheur de ces demoiselles. Même s’il était marié, venu sans son épouse il pouvait demander la faveur d’une dame, ce qui offrait potentiellement une nuit inoubliable avec l’un des chevaliers les plus émérites d’Hyrule.
   Il fit avancer son cheval jusqu’au centre de la lice, pour faire durer le suspens, puis se dirigea vers la tribune royale, avec un sourire confiant.
   -Mon roi, je vous salue !, déclara-t-il avec une révérence. Je vous souhaite un agréable tournoi et espère vous procurer un spectacle digne d’intérêt.
   -Je vous ai déjà vu combattre, répondit Salomon avec un sourire éclatant, aussi je sais que vous serez à la hauteur.
   Ser Mikau parcourut ensuite la tribune du regard, s’attardant sur les dames jusqu’à les faire rougir, puis finalement présenta la pointe de sa lance à Feena Hurlebataille.
   -Madame, ce serait pour moi un honneur et une immense joie de concourir sous vos couleurs, au nom de notre amitié et des liens qui unissent à présent votre peuple au nôtre.
   Peu au fait de la tradition, la guerrière coupa une longue mèche de ses cheveux roux qu’elle noua à l’arme du chevalier.
   -Puissiez-vous vaincre, messire.
   Des vivats montèrent de la foules tandis que ser Mikau rejoignait ses concurrents. Des murmures parcoururent les tribunes, les unes se désolant du choix du chevalier, les uns soupirant en rêvant d’une nuit passée au côté de la belle barbare. Les autres chevaliers se succédèrent les uns après les autres. Ser Sanks obtint la faveur de dame Laruto, ser Allister celle de Lady Koume Dragmir, à qui il était promis. Ser Mido demanda chastement la faveur de sa jeune sœur, Lady Saria. Ser Goro reçu le foulard de Lady Kotake. Enfin, ser Sedrik, le plus jeune de la fratrie Dodongo, présenta en rougissant et bafouillant sa lance à Malon.
   Cette dernière se demanda avec une pointe de rancœur comment dame Feena avait pu obtenir ainsi la sympathie de ser Mikau, alors qu’elle n’était pas… « intéressée » par le sexe fort. Mais elle se consola en se disant que son sort aurait pu être pire. Elle aurait pu donner son foulard à un chevalier errant anonyme ou à un quelconque petit hobereau.
   Lorsque la ronde des faveurs fut achevée, le héraut appela les combattants au centre de la lice.
   -Peuple d’Hyrule !, commença-t-il en lisant le parchemin qu’on lui avait remis. Gentes dames et nobles seigneurs. Nous voici réunis en ce jour pour célébrer l’avènement de notre Héros, et pour honorer la mémoire de notre reine bien aimée, la reine Ishtar. Longue vie à la reine !
   -Longue vie à la reine !, scanda la foule avec une main sur le cœur.
   -Pour ce faire, reprit le héraut, les plus preux d’entre nous s’affronteront au cours de six épreuves visant à évaluer leur bravoure, leur vaillance, leur habileté, leur honneur, leur courage et leur détermination. Chaque épreuve récompensera son vainqueur par mille souverains d’or ainsi qu’un souhait exprimé à sa Majesté le Roi. Ces épreuves sont au nombre de six : la mêlée, la joute, l’archerie, les duels, la danse et la rapsodie. Aujourd’hui, avec la bénédiction des Très-Hautes, nous assisterons à la mêlée et à la joute. Champions ! Prenez place. La mêlée mettra à l’épreuve votre endurance et votre vaillance. Pour gagner, il suffit d’être le dernier homme debout. Il est interdit d’utiliser des armes non émoussées ou non mouchetées. Autrement, tout est permis. Vous êtes libres d’abandonner à tout instant, en vous retirant de la lice ou en posant le genou au sol. Attaquer un adversaire au sol est synonyme de disqualification immédiate. Champions ! Puissiez-vous combattre avec bravoure et que les Déesses guident vos bras.
   Le héraut descendit de son estrade et quitta précipitamment la lice. Près de quatre vingt guerriers étaient répartis dans l’arène. Les chevaliers en armure intégrale et écu, des reîtres en armures légères et armes d’assaut –vouges, hallebardes, épées à deux mains, fléau d’armes- ainsi que des spadassins misant sur leur vitesse au détriment de leur protection. Ils se regardaient en chiens de faïence, attendant patiemment le signal de départ.
   Le roi se leva, et la foule fit silence, dardant ses regards sur le carré de soie que sa Majesté tenait du bout des doigts. Avec un sourire, il le lâcha, et lorsque l’étoffe toucha le sol, le chaos éclata au sein de la lice. Des cris de guerre jaillirent de toutes parts, le fracas des armes gronda avec intensité. Les moins prompts furent balayés dès les premières minutes, mis au sol, désarmés ou poussés hors de l’arène par des adversaires peu scrupuleux. L’armement inoffensif n’empêchait pas les concurrents de déchaîner leur brutalité, frappant, tranchant, se fendant avec hargne. La tactique principale de la mêlée consistait à viser le heaume pour sonner l’opposant et le faire choir. Dans un espace aussi restreint, avec autant de combattants, il était difficile de surveiller ses arrières tout en protégeant ses flancs. Les plus sournois se contentaient de frapper par derrière en évitant au maximum les confrontations directes.
   La foule vibrait au rythme des combats. Des vivats s’élevaient lorsqu’un de ses favoris mettaient au tapis un adversaire, ou poussait des grondements de colère quand ils se faisaient au contraire mettre hors combat. Rapidement, quelques valeureux se démarquèrent des autres. Ser Sanks, dont la carrure et le heaume effrayaient les moins hardis ; ser Mikau et ser Allister qui combattaient côte à côte, un tandem aussi implacable qu’efficace ; Lord Darmani dont le marteau de guerre pesant fendait l’air avec la vitesse de l’éclair et enfin un jeune reître au teint halé qui maniait une épée curieuse à la lame recourbée.
   Les combattants disqualifiés quittaient l’arène, parfois sur une civière lorsqu’ils étaient inconscients, et se mêlaient à la foule, huant et acclamant tout leur saoul. Bientôt il ne resta plus qu’une petite poignée de braves.
   -As-tu un favori ?, s’enquit Lady Saria en se penchant vers Lars.
   -Oui, répondit le jeune Zora sans détacher les yeux de la mêlée.
   Comme il le pensait, ser Sanks se débarrassait avec facilité de chacun de ses adversaires. Ses coups étaient précis, intelligents et surtout patients. Contrairement à la plupart des autres guerriers, il ne se précipitait pas. Il prenait le temps de ménager son espace vital, couvrant ses arrières avec un jeu de jambe adroit. Son écu couvrait efficacement son flanc droit et sa posture n’ouvrait aucune brèche dans son flanc gauche. Aussi, il ne bougeait quasiment pas. Il se déplaçait uniquement lorsque plus aucun adversaire ne se présentait à lui, autrement il attendait ses opposants.
   D’un autre côté, il y avait oncle Mikau et ser Allister. Il suffisait de les regarder pour comprendre que ces deux là avaient appris à se battre ensemble. Ils anticipaient les manœuvres de l’autre sans jamais se parler, couvrant les angles morts l’un de l’autre sans jamais laisser la moindre faille. Il n’était pas interdit à deux concurrents ou plus de s’allier, et ils en profitaient pleinement. Ils s’abattaient sur leurs ennemis comme une paire de cisailles implacables, sans laisser la moindre chance aux malheureux qui se trouvaient sur leur chemin. C’était une tactique risquée, car à la fin, il ne pouvait en rester qu’un.
   -Je crois que si mon oncle et ser Allister viennent à bout de tous les autres, ser Allister sera vainqueur car il est plus grand et plus fort. Mais autrement, je pense que ser Sanks a toutes ses chances. Il est méthodique et sacrément adroit. Lord Darmani commence à s’essouffler : il n’est plus tout jeune et son arme doit peser des tonnes ! Ce reître là n’est pas mauvais non plus, mais il est trop impatient, et seule sa vitesse l’a sauvé pour le moment, car il laisse énormément de failles dans sa défense.
   -Je vois, fit Lady Saria en hochant la tête. J’ai personnellement misé quelques pièces sur ser Mikau, alors j’espère que vous vous trompez.
   -Qu’en pensez-vous ?, souffla Malon à Feena.
   -Le Chien va gagner.
   -Ha ?
   -Oui, il domine tous les autres en maîtrise et en puissance. Regardez : ses mouvements sont toujours aussi fluides et il n’est pas même essoufflé. Mikau et Allister s’en sortent bien également, mais ils n’ont pas l’expérience de Sanks.
   -Ho… Je… Je vois.
   La foule retint soudain son souffle : Lord Darmani avait engagé ser Sanks dans un combat singulier.
   -Si je m’étais un jour attendu à rencontrer un chien au beau milieu d’une mêlée, ironisa le Dodongo en raffermissant sa prise sur son marteau.
   Ser Sanks ne répondit rien. Son heaume cachait intégralement son visage, renvoyant l’image effrayante d’un mastiff prêt à bondir. Lord Darmani fit jouer ses épaules douloureuses. Il soufflait comme un bœuf, étouffant sous son casque au cimier d’auroch. Sachant pertinemment qu’il n’avait pour lui que sa force, il  chargea en poussant un cri de guerre. La tête de son marteau s’écrasa sur l’écu de ser Sanks sans parvenir à le briser ni même à le fendre. Le Chien accompagna le mouvement d’une torsion du bassin, emportant Darmani dans son élan. Dans le même tempo, son épée émoussée s’éleva dans l’air, comme la sentence irrévocable d’un bourreau, et s’écrasa avec un fort bruit métallique contre le heaume du Dodongo. Sonné, ce dernier recula en titubant, sous les hués du public.
   Il s’attendait à ce que son adversaire l’achevât rapidement mais celui-ci avait repris sa posture de combat. Cela irrita Lord Darmani qui s’élança, tête en avant tel un taureau furieux. Ser Sanks ne fit qu’un pas sur le côté. Emporté par le poids de son armure, Darmani vint s’écraser contre les barrières sous les rires moqueurs de la foule. Poussant un cri de rage, il chargea encore une fois. Son marteau décrivit une courbe redoutable mais vint à nouveau buter contre l’écu levé du Chien. D’un unique coup violent et diablement précis, le chevalier fit exploser le cimier du heaume de Darmani. Le nez en sang, ce dernier chut au sol et avant d’avoir pu se relever, il se retrouva avec l’épée de ser Sanks sous la gorge.
   -Je me rends !, déclara-t-il à haute voix.
   Les spectateurs applaudirent à tout rompre et des « Le Chien ! Le Chien ! » commencèrent à fuser.
   De l’autre côté de la lice, le duo de chevalier achevait l’habile reître aussi facilement qu’on avale une sucrerie. Un frisson d’excitation parcourut la foule et un silence difficilement contenu s’abattit sur le champ d’honneur : il ne restait plus que trois hommes debout.
   Ser Mikau se débarrassa de son heaume en avalant de longues goulées d’air frais. Ses longs cheveux étaient plaqués sur son visage par la sueur. Ser Allister et ser Sanks l’imitèrent, mais à la différence des deux autres, le visage du Chien était toujours aussi impassible. Il respirait normalement et seules quelques gouttes de sueur emperlaient sa peau.
   -Je dois vous féliciter, messire, cria ser Mikau en se passant une main dans les cheveux avec un sourire. Vous n’avez pas usurpé votre réputation.
   -J’en ai autant à votre service, répondit l’intéressé d’une voix égale.
   -Vous ne nous en voudrez pas, je gage, si nous vous engageons à deux contre un ? C’est que voyez vous nous avions dans l’idée un duel final de toute splendeur entre ser Allister et moi même.
   -Ne vous en faites pas pour cela. Je n’en garde aucune offense. Au contraire, je pourrais dire que je suis plutôt flatté qu’il faille deux aussi habiles bretteurs pour me mettre au sol.
   Le sourire de ser Mikau s’élargit et des rires fusèrent.
   -Je suis content que vous le preniez comme ça. Sincèrement.
   Sans autre palabre, ser Allister chargea. Le public poussa une exclamation de stupeur devant la vitesse avec laquelle le chevalier se mouvait, malgré le poids de son armure, de son épée et de son lourd écu. Le Chien lui-même parut surpris car il encaissa la charge avec difficulté. Il recula sous l’impact, et dut ferrailler avec prestesse pour tenir la lame de son adversaire loin de lui. Comme ils s’affrontaient à visage découvert, l’honneur interdisait de viser la tête : il s’agissait dorénavant de désarmer l’autre ou de le faire choir.  Les coups de ser Allister pleuvaient avec force et régularité, confinant ser Sanks dans une posture défensive.
   Ser Mikau contourna les deux hommes et tenta une approche par derrière. Par un prodige quelconque, le Chien repoussa ser Allister juste assez longtemps pour se retourner et bloquer la lame du Zora avec la sienne. Ils luttèrent au corps à corps, les traits tendus, les dents serrées, mais le Chien finit par prendre l’avantage et fit reculer son adversaire. Encore une fois juste à temps pour parer un nouvel assaut d’Allister. Le tandem harcela sa proie, l’obligeant à s’épuiser dans des parades de plus en plus périlleuses. Ser Sanks finit par être acculé contre une barrière, bataillant comme il le pouvait pour ne pas se faire submerger.
   -Ser Sanks se bat assurément bien, déclara Lord Dumor en prenant une gorgée de vin, mais ces deux là sont trop forts pour lui.
   -Je n’en suis pas si sûr, répondit Fado d’une voix légère.
   -Qu’est-ce que tu veux dire ?
   -Rien.
   -Je hais quand tu fais ça.
   -Je sais.
   Soudain, comme pour donner tort au magicien, ser Mikau brisa la garde du Chien, et se fendant d’une botte habile, fit voler l’arme de son adversaire dans les airs, sous les applaudissements de la foule en liesse.
   -Les jeux sont faits, commenta tristement Lars.
   Mais à la surprise générale, le Chien attrapa au vol le poignet de ser Allister qui s’apprêtait à lui donner le coup de grâce. Dans un mouvement de lutte, il tourbillonna le long du membre emprisonné et projeta son adversaire contre la barrière. D’un violent coup de botte dans le dos, il lui fit mordre la poussière. Ser Mikau poussa un cri et se jeta en avant, mais ser Sanks était trop fort pour lui. Il écarta la lame du Zora d’un violent revers de son écu, suffisamment puissant pour le déséquilibrer et d’une poussée de l’épaule l’envoya au sol à son tour.
   Il y eut un silence médusé, rapidement brisé par des vivats, des cris, des applaudissements, lorsque le héraut s’époumona :
   -Ser Sanks, vainqueur de la mêlée ! 
   -Je vous l’avais dit, sourit Feena avec un air matois. L’expérience. C’est ce qui a fait la différence.
   -Ha, répondit Malon, dubitative.
   -Heureusement que je ne l’ai pas écouté, grommela Lars en empochant ses gains.
   -Et bien, sourit ser Mikau en acceptant la main tendue de ser Sanks, j’imagine que vous avez eu de la chance.
   -De la chance, oui, c’est tout à fait ça.
   Le Chien tenta de sourire en retour, mais renonça quand les cicatrices de son visage se rappelèrent à son bon souvenir. Bons perdants, le Zora et le Dodongo s’inclinèrent devant le vainqueur. Ser Sanks se rendit ensuite devant la tribune royale, et posa un genou à terre devant le roi. Le capitaine Feryl lui remit un coffret contenant les mille souverains d’or chatoyants.
   -Champion! Votre roi vous offre un souhait. Parlez.
   -Je… Je ne désire rien d’autre que servir, répondit ser Sanks en inclinant humblement la tête.
   -En ce cas, rétorqua Salomon en se levant, un bras tendu, je vais exaucer un autre souhait qui m’a été formulé. Relevez-vous, Lord Sanks, châtelain de Pont-L’Hylia.
   Lord Sanks quitta l’arène sous les ovations de la foule. Il avait une démarche raide et mécanique. Quiconque le connaissait aurait pu dire que loin de le réjouir ce nouvel avancement dans la hiérarchie sociale le rendait encore plus malheureux que sa condition non souhaitée de chevalier. Lars le rejoignit un peu avant qu’il n’atteignît son pavillon.
   -Monseigneur!
   -Ne m’appelle pas comme ça.
   -Pourtant, vous êtes Lord maintenant. Il faudra vous y habituer, messire.
   -Lord…
   Le visage du Chien était blanc comme la mort et on pouvait lire dans son œil comme… de la peur.
   -Vous avez été incroyable! Vous les avez tous battus, sans coup férir.    
   -Non. Ser Allister m’a laissé gagné.
   -Que… Pardon?
   -Il a eu quatre fois l’occasion de me désarmer ou de me porter un coup fatal, mais il a retenu son bras quatre fois.
   -Mais… Pourquoi?
   -Parce que… Non, rien. Oublie ça. C’était ton idée?
   -Messire?
   -Mon titre…
   -Non messire.
   -Qui administre Pont-L’Hylia à l’heure actuelle?
   -Personne messire. Le précédent châtelain est mort veuf et sans descendance. La ville est sous la protection de ma famille.
   -Bien… Oui, c’est bien… Aide moi à enlever cette satanée armure.
   On laissa une heure s’écouler pour permettre aux combattants de récupérer, de se restaurer ou de se préparer. Un ours dansant et un bouffon investirent l’arène pour divertir la foule, pendant que des ouvriers installaient une courte cloison de bois au centre du champ d’honneur, parallèle aux tribunes et traversant la zone quasiment de part en part.
   Dans le pavillon princier, aisément repérable par l’énorme étendard au loup noir qui gardait l’entrée, Son Altesse Link finissait de passer sa lourde et riche armure. Son écuyer, le prince Nohansen, étant trop jeune pour porter les lourdes pièces, et surtout n’y connaissant rien aux spallières, corselets, cubitières et autres cuissards, c’était Lord Sanks qui s’afférait à armer son maître. Celui-ci n’avait pas encore prononcé un mot, mais dardait sur son Chien un regard plein de haine et de mépris. Lorsqu’il fut complètement armé, il frappa son vassal au visage si violemment que celui-ci tomba au sol, renversant une chaise.
   -Qu’importe les titres que tu porteras, fit Link d’une voix glaciale après lui avoir craché dessus. Qu’importe ce que tu accompliras. Tu resteras à jamais mon Chien. N’oublie jamais tout ce que tu me dois.
   -Oui… Oui, messire, pardonnez moi.
   Sur ces mots, le prince rejoignit l’arène où son destrier l’attendait.
   La joute, l’épreuve de tournoi par excellence, était réservée aux seuls nobles. Ceux-ci s’alignaient de part et d’autre de l’arène, engoncés dans leurs riches et sophistiquées armures complètes, avec au bras leur lourd écu frappé des armes de leurs familles respectives. C’était une véritable parade de couleurs, de motifs, d’éclats et de formes. Les écuyers s’agglutinaient autour de leurs maîtres, attentifs à accomplir leur moindre requête, prêts à leur tendre les longues lance d’arçon à pointe ronde.
   La joute était organisée autour d’une série de duels. Chacun des participants rencontrait un certain nombre d’adversaire, et une défaite était synonyme de disqualification. Pour s’assurer qu’une maladresse ne mette un terme à la joute d’un grand du royaume, les Lords et les chevaliers issus des familles régnantes étaient dispensés des premières luttes, entrant dans la compétition qu’aux échelons les plus hauts du tournoi.
   Dans une passe de joute, les deux combattants s’élançaient au galop l’un vers l’autre, chacun de son côté de la cloison et du côté opposé. Il s’agissait de faire vider les étriers au rival en brisant sa lance contre son écu. Si les deux adversaires tombaient en même temps, alors s’en suivait un duel à l’épée jusqu’à ce que le Roi déclare l’un ou l’autre vainqueur ou qu’une reddition soit prononcée.
   L’épreuve dura de longues heures, rébarbatives au début lorsqu’il fallait regarder les jeunes et peu talentueux hobereaux se faire choir les uns et les autres, et bien plus excitantes quand les Dorf, Dodongo et autre Zora entrèrent dans la danse. Ser Allister et ser Mikau tombèrent l’un contre l’autre. Le duel fut intense ; ils brisèrent pas moins de huit lances avant que ser Allister ne fasse goûter l’herbe à ser Mikau. Lord Darmani balaya ser Sédrik en une passe, quant à lord Link il ridiculisa ser Goro en le poussant du plat de la main. Lord Dorf ne fit qu’une bouchée du pauvre ser Mido, qu’on envoya auprès d’un guérisseur pour s’occuper des ses cotes cassées.
   Sans prendre de répit, Lord Dorf s’avança à nouveau, terrible colosse dans son armure noir au cimier à face de sanglier du désert. Son heaume intégral cachait ses traits, le rendant plus impressionnant encore. Contrairement aux autres participants, il avait choisi un lourd et puissant estramaçon, qu’il portait dans le dos. Lord Darmani se présenta à l’autre bout de la lice. Malgré son âge avancé, c’était un adversaire coriace et endurant, qui avait l’expérience des tournois. Son armure d’un écarlate passé s’ornait d’innombrables égratignures, bosses et autres traces de coups. La légende voulait que Lord Darmani n’ait jamais changé d’armure en plus de quarante ans.
   Les deux hommes se saluèrent d’un hochement de tête en s’emparant de leurs lances. Ils se tenaient bien droits, stoïque, leurs chevaux renâclant d’impatience en attendant le signal. Lorsque le héraut fit retentir sa trompette, la foule retint son souffle. Les deux puissants destriers s’élancèrent l’un vers l’autre, martelant le sol de leurs lourds sabots, la gueule écumant, les yeux exorbités sous leurs caparaçons. Le temps sembla suspendre son cours un instant puis reprit sa marche dans le fracas des lances qui se brisent. Les deux lords parvinrent à se maintenir en selle au prix d’une périlleuse manœuvre. Sans attendre ils regagnèrent les extrémités de la lice où des écuyers les réarmèrent.
   La deuxième passe envoya lord Darmani au sol, dans un cliquetis de métal assourdissant. Une ovation et des applaudissements saluèrent la performance de lord Dorf, qui releva sa visière sur un sourire de triomphe. Lord Link et ser Allister prirent place. Le prince était sublime dans son armure de plates vertes incrustée de grenats et d’or, et son heaume au cimier au loup lui conférait une stature impressionnante. Il avait le sourire assuré d’un homme certain de sa réussite.
   Par contraste, ser Allister avait enfilé un simple corselet d’écailles rehaussé d’un demi plastron en plaque rougeoyante. Le cimier de son heaume arborait un dragon, griffes et crocs en avant. Son visage fermé dardait sur son adversaire un mépris et une colère non dissimulés.
   La première passe sembla leur servir à prendre la mesure l’un de l’autre. La deuxième et la troisième ne parvinrent pas à entamer le sourire du prince. A la huitième cependant, l’assurance laissa place à la frustration, comme le Dodongo brisait implacablement ses lances successivement sans daigner passer par-dessus la croupe de son destrier.  La quatorzième lance de Link ripa sur l’écu de ser Allister et trouva une prise dans son corselet. Le chevalier vida les étriers sans un cri, effectua un court vol plané avant de se réceptionner durement sur le dos.
   -Pensez-vous que notre bon lord Dorf va avoir la politesse de laisser l’honneur d’une victoire à son Altesse?, demanda à haute voix lord Dumor après une gorgée de vin indifférente.
   -Je ne pense pas, répondit ser Mikau. Attendez-vous à un duel âpre.
   Ser Allister se releva péniblement. Link vint le toiser du haut de sa monture et lui adressa la parole, trop doucement pour être entendu. Mais à la façon dont le Dodongo serra les poings, la moquerie semblait cuisante.
   Une courte pause fut accordée aux deux derniers combattants encore en lice. Le soleil avait entamé sa descente, projetant sur le champ d’honneur de longues ombres et teintant l’atmosphère d’une lumière orangée. L’air se rafraîchissait sérieusement, faisant frissonner les humbles dans leurs manteaux rapiécés.
   -Peuple d’Hyrule!, cria le héraut en grimpant sur sa caisse. Acclamez vos champions pour la dernière passe d’arme! A la droite de sa Majesté, lord Dorf Dragmir, Grand et Sage du Royaume, souverain de la vallée Gérudo et défenseur du Désert du Doute. Face à lui, son Altesse lord Link d’Hyrule,  Grand et Sage du Royaume, fédérateur des Clans, Gouverneur du Sud, Héros et détenteur de la sainte Lame Purificatrice.
   Les ovations et l’hystérie du public furent à la hauteur des titres ainsi énoncés. Les deux hommes prirent place, chacun aussi confiant en sa victoire que l’autre. C’était deux guerriers, deux prédateurs aussi peu habitués à la défaite l’un que l’autre. Ils se jaugèrent du regard, impatients de prouver leur supériorité inconditionnelle.
   Lorsque le héraut porta sa trompe à ses lèvres, la foule fit silence, exaltée. Dès que la note retentit dans l’air, les deux guerriers lancèrent leurs montures au galop, dans le fracas des sabots et le cliquetis des armures. Ils abaissèrent leurs lances en même temps, le bouclier bien levé, légèrement couchés sur l’encolure. Le choc fut terrible. Les lourdes lances d’arçon implosèrent au contact des écus, projetant d’énormes échardes de bois. La collision décolla et lord Link et lord Dorf de leurs selles. Pendant que leurs destriers continuaient leur course effrénée, ils churent lourdement au sol. Mais ils ne prirent même pas le temps de reprendre leur souffle. Ils se relevèrent de concert, se débarrassèrent de leur heaume et firent jaillir leurs armes hors de leurs fourreaux. La Lame Purificatrice scintillait sous le soleil couchant, sa lame effilée chantant à chaque mouvement.
   Mais ces petits tours n’impressionnaient pas lord Dorf. Celui-ci sauta par-dessus la cloison, au mépris du poids de son armure. Son lourd estramaçon qu’il maniait presque d’une seule main semblait forgé dans l’obsidienne. Par contraste avec l’épée des légendes, elle semblait absorber la lumière ambiante.
   Le premier coup de lord Dorf fut suffisant pour fendre de part en part l’écu de lord Link, qui s’en débarrassa d’un mouvement du poignet. La riposte ne se fit pas attendre ; le Prince compensait la différence de force et d’allonge par son agilité, mais pas par sa subtilité. Les bottes, les feintes, les parades étaient empreintes d’une brutalité grossière. Tandis que le soleil mourant dardait ses derniers rayons, les deux combattants ahanaient, les lames se croisaient dans des explosions d’étincelles bleutées.
   Plus personne n’osait piper mot ; tous, seigneurs comme roturiers, observaient cette débauche de violence avec un silence angoissé. Chaque fois que lord Dorf paraissait prendre l’ascendant, lord Link parvenait à inverser la pression, et vice et versa. Ce dernier virevolta sur la gauche, arma son bras et décocha une frappe qui aurait décapité lord Dorf si celui-ci n’avait pas bloqué l’attaque par un mouvement désespéré dont la violence du choc leur arracha un cri.
   Leurs visages étaient déformés par la fureur de vaincre, emperlés de sueur, luisants. Pour les spectateurs, plus la scène avançait plus elle se parait d’un air d’inexorable. Poussant son avantage, Dorf plia son adversaire en deux d’un coup de botte violent et d’un entrechat fluide accompagné d’un éclair noir, il désarma lord Link. La Lame Purificatrice s’envola en tournoyant, propulsant des éclats argentés. Ivre de victoire, Dragmir envoya le Prince au sol d’une ruade, sourd au hoquet de stupeur de la foule. Levant son estramaçon au dessus de sa tête, tel un bourreau prêt à exécuter la sentence, il fit mine d’achever le vaincu.
   Mais son geste fut stoppé par l’épée des légendes. Lame blanche et lame noire s’entrechoquèrent dans un tumulte de fin du monde. Locke Sanks, bien campé sur ses appuis, faisait de son corps un rempart pour son maître, son bras mutilé levé pour renforcer sa parade. Avant que lord Dorf  n’ait le temps de réagir, le Chien le repoussa et d’un revers fulgurant de la Lame Purificatrice, il trancha net trois doigts au seigneur Gérudo. Ce dernier lâcha son arme et recula, tenant sa main meurtrie d’où coulait un sang sombre avec un air hébété.
   Des gardes se précipitaient déjà dans l’arène, de même qu’une nuée d’écuyers et un guérisseur qui courut vers le blessé. Au centre, lord Sanks tendit la main et aida le Prince à se relever, la mine peinée.
   -Je suis désolé messire, s’excusa-t-il en lui rendant son épée.
   Link récupéra la Lame Purificatrice sans dire un mot. Sa lippe inférieure tremblait de rage. Il contempla un moment son reflet dans l’acier enchanté.
   -Désolé, hein?, murmura-t-il.
   Le coup de poing qu’il lui décocha fit reculer le Chien de quelques pas.
   -Désolé?!
   Il hurlait à présent. Fou de rage, il ne se rendit même pas compte que la moitié d’Hyrule avait cessé toute activité pour l’observer.
   -Chien stupide! Bâtard! Non content de me voler MA gloire et MES honneurs, il faut aussi que tu me voles mes combats? Monstre difforme!
   -Messire, non je vous en prie, je ne voulais… de… grâ…
   La Lame Purificatrice ressortit  du dos du  Chien dans une gerbe de sang obscène qui souilla l’arme magique. Il tituba légèrement comme un homme ivre. Il baissa lentement le regard sur la garde de l’épée qui dépassait de son abdomen, hagard, puis remonta le long du bras qui la tenait, jusqu’au visage mortellement calme de Link, splendide incarnation du mépris et du dégoût.  D’un geste brusque, ce dernier dégagea sa lame du carcan de chair et repoussa son féal lorsque celui-ci essaya de se retenir à son épaule.
   Le chevalier chut sur les genoux, hoquetant sans comprendre. Des cris retentissaient partout.
   -Quand j’ai pris ton œil et ta dignité, j’aurais également du prendre ta vie, cracha Link.
   Et tandis que le chaos éclatait dans la lice, la tête de Lock Sanks, celui qu’on appelait le Chien, s’affaissa sur son torse, alors que son sang enténébrait l’herbe autour de lui.


FIN.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Yorick26 le samedi 11 juin 2011, 20:37:42
Citer
(Bah oui, un Triangle ça a bien trois faces non? :p)

Ah ben non, ça a trois côtés, pas trois faces. Ce qui a trois faces, c'est un cylindre par exemple. Un triangle a trois côtés.

Tout ça pour dire que tu dois mettre des chapitres sur le site fan et que PdC devait te le rappeler, mais il a oublié.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le samedi 11 juin 2011, 20:40:10
Merci pour cette précision. v.v

Sinon tu fais bien de me le rappeler, je vais m'en occuper tout de suite.

______________

La Pièce d'Argent
-Prologue au Triangle de Pouvoir-



-Comment t’appelles-tu?
   Ses yeux glissèrent sur la pénombre ambiante, qu’une bougie solitaire tentait de combattre vaillamment. La pluie tambourinait sur le verre de l’unique fenêtre crasseuse, qui peinait à filtrer un peu de lumière lunaire. Les grosses gouttes éclataient sur la surface sale avec un fracas épouvantable, qui résonnait péniblement dans la petite pièce. Un éclair illumina brièvement les lieux, dévoilant l’espace d’un battement de cœur la silhouette de l’homme qui lui faisait face : une barbe taillée en pointe, des traits sévères, un turban et un œil unique, dont le rouge écœurant de l’iris luisait faiblement dans l’obscurité.
   Une longue minute s’étiola entre eux sans qu’il ne réponde rien. Il gardait le regard rivé sur le carreau et sur la nuit au dehors, noyée sous les flots de l’orage.
   -Vaati, s’entendit-il dire d’une voix éteinte.


   -Ce sera tout pour aujourd’hui, mon enfant, haleta Rauru en croisant les mains sur son ventre rebondi dégoulinant de sueur. L’argent est sur la table.
   Le Gardien du Temple poussa un soupir d’allégresse et ferma les yeux, prêt à passer une merveilleuse nuit dans ses draps en soi fine souillés, d’une douceur sans pareille, sur son tendre matelas de plumes déformés par les mouvements brusques.
   Vaati observa quelques secondes le visage du prélat, ses joues flasques, sa lippe charnue, ses traits poupins rongés par une barbe drue et grisonnante, son crâne rasé et luisant de sueur. Ecœuré, le garçon s’extirpa du lit en grimaçant et récupéra ses vêtements sans un bruit, avec des gestes lents. L’Intemporel aimait toujours le bousculer un peu lors de leurs rencontres, mais cette fois là il avait été particulièrement violent. Une douleur aiguë sourdait de ses reins à chacun de ses pas.
   Il enfila sa tunique avec précaution, et se mordit la langue pour empêcher un petit cri de franchir ses lèvres. Il écarta quelques mèches de cheveux blancs de devant ses yeux avec les doigts, puis sortit silencieusement, après avoir empoché son dû sur la table à côté de la porte. Il referma le battant sur les ronflements tonitruants de Rauru, qui avait déjà sombré dans le sommeil des justes.
   Le père Reynald occupait l’office du soir, comme de coutume, et ce dernier lisait quelques passages des écrits saints des Très-Hautes aux quelques fidèles qui s’étaient attardés là. Derrière le prêtre, les Portes du Temps étaient grandes ouvertes, et Vaati put apercevoir un reflet sur la Lame Purificatrice, dont la pointe gisait là dans son tombeau de pierre depuis l’origine du monde, disait-on, dans l’attente de la main légitime qui pourrait l’en extraire.
   Lorsqu’il n’était encore qu’un gamin, Vaati avait souvent rêvé qu’il était le Héros des prophéties, ce guerrier saint choisi par les Déesses elles-mêmes qui pourfendrait le Mal à jamais, en brandissant la Lame Purificatrice, auréolé d’une aura de feu et de lumière. Mais il avait eu beau tirer et tirer encore de toutes ses forces sur la poignée d’azur gainée de cuir filigrané d’or, la lame n’avait pas même frémi. En revanche, il avait attiré l’attention de sa Sainteté l’Intemporel, Rauru le Gardien du Temple…
   En repensant à ce jour, ses yeux descendirent jusqu’à sa paume ouverte, où s’alignaient quatre pièces : trois en cuivre et une en argent. Il cligna des yeux en apercevant cette dernière, pensant un instant à un tour de son esprit. Mais non, l’argent resta de l’argent. Fébrile, il la saisit entre deux doigts et la porta à hauteur de son œil. Il n’en avait encore jamais tenu une de sa vie. Il examina le profile sévère mais juste du roi Salomon frappé sur le verso de la pièce.
   Il s’interrogea sur sa bonne fortune. Ce porc de Rauru se serait-il trompé en prélevant de la recette de la quête son maigre salaire? Ou bien était-ce pour soulager son esprit des violences qu’il lui avait infligées, au plus fort de sa passion? A vrai dire, il s’en moquait bien. Tout ce qui importait, c’est qu’il avait une pièce d’argent. Une jolie pièce d’argent. La sienne.
   Un moment la peur le saisit lorsqu’il songea que, si Rauru s’était effectivement trompé, il la lui réclamerait. Et s’il cela devait se produire, et qu’il n’avait plus la pièce alors, il pourrait lui arriver des choses terribles. Il se demanda avec l’angoisse au ventre si Rauru irait jusqu’à l’accuser d’avoir volé l’argent de la quête. Un crime abominable, sévèrement puni par la loi hylienne.
   Il décida qu’il garderait la pièce avec lui jusqu’à son prochain… rendez-vous avec le prélat, et qu’il aviserait alors. Oui, c’était sûrement la meilleure solution.

   Un fin crachin froid, annonciateur d’orage, le trempait jusqu’aux os pendant que les ombres du Bas-Bourg étendaient sur lui leur étreinte, pareilles aux bras d’une amante dans le lit de laquelle on se glisse avec délice. Vaati leva le visage, appréciant la sensation de l’eau ruisselant sur son visage androgyne aux traits délicats, imbibant ses longs cheveux blancs et soyeux. La douleur dans le creux de ses reins s’estompait -il commençait à en avoir l’habitude- mais la sensation de souillure, elle, était tenace.
   L’eau de pluie aidait à purger son visage du souvenir écœurant de la langue avide de Rauru, à laver de son corps la sensation des mains bouffies, palpant, titillant, frappant sa chaire pâle. Mais ce n’était qu’un bref répit. L’une des premières choses qu’il avait apprise, lorsque sa mère avait compris qu’elle pourrait tirer de l’argent du corps de son fils, c’était que la saleté et la souillure ne vous quittaient plus. Vous pouviez vous laver à grandes eaux brûlantes, user un pain de savon jusqu’au dernière millimètre, il y avait toujours un relent de crasse qui vous suivait, qui vous collait à la peau.
   Il avait fini par s’y faire -avec le temps, on se faisait à tout-, mais cela ne l’empêchait pas de se laver dès qu’il le pouvait. Son corps était son outil de travail, comme disait sa mère, il se devait de l’entretenir du mieux qu’il le pouvait.
   Devant lui, les ruelles obscures du Bas-Bourg, les quartiers pauvres et désordonnés ayant poussé à l’ombre des remparts du Bourg d‘Hyrule, s’allongeaient dans les ombres, derrière le fin rideau de pluie. Les pavés défoncés faisaient des flaques dans lesquelles l’eau s’accumulait jusqu’à déborder, changeant la terre battue en boue humide. La pluie ruisselait sur les façades de crépis et de torchis sale qui s’élevaient de façon anarchique de part et d’autre de la rue. De rares lanternes murales révélaient les silhouettes chancelantes d’ivrognes errants, et des petites frappes qui composaient les bandes armées faisant la loi dans le quartier.
   Le poing fermement serré autour de sa précieuse pièce d’argent, il pénétra dans une auberge miteuse battant enseigne à « La Putain de la Reine ». Quelques regards avinés glissèrent sur lui, qui se détournèrent bien vite lorsqu’ils réalisèrent sa véritable nature. Il y avait les clients habituels, ainsi que quelques autres, notamment deux jeunes hommes, assis à un table dans le fond de la salle, trop bien habillés pour appartenir à la racaille ordinaire qui tapissait le Bas-Bourg.
   Le premier, le plus petit, avait des cheveux d’une couleur d’un bleu étrange, et semblait incapable de s’arrêter de parler, ce qui n’avait pas l’air de gêner son grand et basané compagnon qui écoutait sans jamais rien dire.
   Forley, le gérant, était campé derrière son comptoir, insultant vertement l’unique client assis sur les grands tabourets.
   -Dans tes rêves, Linebeck. Je te l’ai déjà dit, la maison fait pas crédit. T’allonges la monnaie pour chaque verre que tu siffles, sinon tu dégages de ma taverne.
   Le fameux Linebeck, un grand bige aux yeux caves cernés et à la fine moustache brune, grogna quelque chose d’inintelligible, mais finit par plier, et se dirigea vers la sortie d’une démarche peu assurée. Vaati grimpa sur le tabouret laissé vacant, sans un regard en arrière.
   -Ma mère est là?, demanda-t-il d’une petite voix, sachant d’avance la réponse.
   -A l’étage. Avec quelqu’un, répondit Forley pour confirmer ses doutes.
   Le garçon se détourna, morose. Malgré lui, son attention se reporta sur les deux hommes du fond.
   -Qui est-ce?
   Le proprio leur jeta un regard, renifla et cracha sur le comptoir.
   -Des chevaliers. Mikau Zora et Alister Dodongo, rien que ça.
   -Qu’est-ce qu’ils foutent ici?
   -J’ai une gueule à ce que des chevaliers me racontent leur vie? Non? Très bien. Tant qu’ils paient, ils peuvent bien foutre ce qu’ils veulent dans ma taverne. Je vais te dire même, s’ils me prennent une chambre, je leur permettrai de passer sur ta mère à l’œil.
   Vaati ne rétorqua rien : il savait qu’elle n’y verrait certainement aucune objection. Les yeux rivés sur une marque dans le bois du comptoir, il ne vit pas les regards nerveux que lui lançaient Forley, tout en récurant la même choppe pour la deuxième fois.
   -En parlant de ta mère, elle m’a demandé de te nourrir. Elle a déjà payé. Je t’ai préparé ça à l’arrière, tu seras peinard. Aller, vas-y.
   Vaati releva le regard sur le visage en lame de couteau de Forley. Sa moustache crasseuse frémissait bizarrement, et un peu de sueur perlait à ses tempes. Il essaya de lui sourire, mais la grimace immonde qui en résulta n’eut que pour effet de dévoiler un peu ses chicots pourris.
   Le garçon fut sur le point de dire quelque chose, mais le grondement de son ventre lui intima le silence. Sans rien ajouter, il quitta son siège et passa derrière le comptoir, jusqu’à la salle attenante. Il faisait assez sombre, aussi dut-il tâtonner jusqu’à la table collée contre le mur du fond. Ses doigts rencontrèrent le bois vermoulu, et il sonda le plateau à petits gestes prudents. Sans rien trouver.
   Il sursauta vivement lorsque le bruit d’une serrure qu’on referme retentit derrière lui. Il se retourna pour faire face à Forley, qui tenait une chandelle à la main. Le halo orangé révéla des sacs de nourriture, certains éventrés, des étagères où s’entassaient des bouteilles d’alcool et de substances plus obscures. Une lueur étrange brillait dans les yeux du tenancier.
   -Qu’est-ce… Qu’est-ce que tu fais?, demanda Vaati, qu’une peur soudaine prenait au ventre.
   -Ca me rend malade de t’imaginer avec ce gros porc de Rauru, susurra Forley en avançant d’un pas.
   Un sourire malsain tordait ses traits, et il passait régulièrement et nerveusement la langue sur ses lèvres. Vaati recula d’un pas, mais il était déjà dos au mur.
   -Alors ce soir, c’est mon tour, continuait Forley en palpant son entrejambe dure avec un geste obscène.
   -Non, souffla Vaati avec horreur en le voyant approcher.
   La scène avait quelque chose d’inexorable. Il n’était pas de taille à tenir tête au tenancier, et la porte était fermée à clé. Il pouvait hurler, mais il savait que personne ne viendrait l’aider. Une larme solitaire roula le long de sa joue.
   -Ne t’inquiète pas. Ta mère me tuerait si je ne payais pas le service, ricana Forley en finissant de délacer ses chausses.
   Il le prit à même le sol, entre deux sacs de patate, sourd à ses cris de douleur et ses sanglots. Une douleur abominable remontait de ses reins à chaque coup de boutoir de Forley, qui remplissait l’espace de ses grognements de plaisir gutturaux. Il le tenait en maintenant une main sur sa taille menue, lui caressant les cheveux de l’autre. Vaati sentait sa langue puante qui explorait ses épaules et le creux de son cou, par intermittence. Forley lâchait par moment de petits rires nerveux, qui ne faisaient rien pour diminuer l’horreur de l’épreuve.
   Durant tout le temps que Forley passa en lui, Vaati garda le poing fermement serré autour de la pièce d’argent, celle avec le profile du roi Salomon gravé sur le verso. Sa pièce. Sans qu’il sache pourquoi, et alors que des larmes de douleur ruisselaient sur ses joues, sentir le métal précieux au creux de paume le réconfortait. Un peu.
   -Qu’est-ce que tu tiens là, comme ça, hmm?, grogna Forley au bout d’un moment.
   Le cœur de Vaati loupa un battement lorsqu’il sentit la main calleuse du tenancier sur la sienne, essayant de desserrer ses doigts.
   -Non!, cria-t-il, paniqué.
   Il chercha à se débattre, à se retourner, mais Forley l’empoigna par les cheveux et lui claqua le visage contre le sol, l’estourbissant.
   -Silence!
   L’esprit embrumé, Vaati regarda impuissant le bel éclat de l’argent disparaître entre les doigts épais de Forley.
   -Et bien ça alors! C’est qu’on vole, maintenant? Ta mère sera tellement chagrinée d’apprendre ça. Ce sera notre petit secret, d’accord? En attendant, je vais garder ça. Un gamin comme toi n’a pas besoin d’autant de fric.
   Détaché, Vaati ne sentait presque plus la douleur qui irradiait dans son bassin, et ne réagit même pas lorsque Forley se cabra une ultime fois en éructant, répandant son orgasme en lui. Il fut vaguement conscient que l’homme se relevait en ricanant, tout en remettant de l’ordre dans ses vêtements.
   Cependant, lorsqu’il lui lança quelques piécettes de cuivre comme on jette un os à un chien, une colère sourde monta en lui, lui comprimant la poitrine douloureusement.
   Sur la table à côté, la chandelle s’éteignit, et le long cri d’agonie de Forley résonna à ses oreilles avec la puissance du tonnerre.


   -Vaati? C’est un joli nom.
   Deux éclairs successifs illuminèrent le ciel nocturne, éclairant les plaies et les contusions sur ses bras grêles. Il porta son attention sur l’homme à la barbe en pointe, assis de l’autre côté de la pièce ; mais dans les ténèbres, il ne distinguait que le léger rougeoiement malsain de son œil unique.
   -Je m’appelle Tarquin, reprit l’homme d’une voix sereine.
   En dehors de ses paroles, il ne produisait aucun bruit, ni respiration, ni frottements de vêtement. S’il n’y avait eu pas ce violent orage au-dehors, qui révélait la silhouette enturbannée par intermittence, Vaati n’aurait pas été certain de sa présence dans la pièce.
   Il ne savait pas ce qu’on attendait de lui, ou ce qu’il était supposé dire, aussi garda-t-il le silence. L’orage grondait épisodiquement, accompagnant le bruit de la pluie sur le carreau.
   -Tu sais pourquoi tu es ici, Vaati?
   La question, posée avec cette voix toujours aussi calme, froide, tordit de peur les entrailles du garçon. Il hésita. Il n’était pas certain de ce qui était le mieux à faire.
   -Je… Je le jure, je ne l’ai pas volée, c’est sa Sainteté qui me l’a donnée!
   Il entendit devant lui l’homme qui changeait de position. Un bruit très léger d’étoffe.
   -De quoi parles-tu donc?
   Un doute le saisit à la gorge. Venait-il de commettre une erreur?
   -Je… la pièce. Ce n’est pas…?
   -Et bien, on ne m’a pas parlé d’une pièce, non. En revanche on m’a parlé du… travail, pour lequel sa Sainteté l’Intemporel te paie.
   Vaati retint un soupir de soulagement. Des larmes remontèrent malgré tout à ses yeux gonflés. Des larmes d’épuisement. Un éclair particulièrement violent éclaira le sourire étrange qui tordait les lèvres de l’homme au turban.
   -Tu es ici, Vaati, parce que ta mère t’a vendu. Tu appartiens désormais au Sheikah.
   -Le… Sheikah?
   -Nous sommes l’œil dans les ténèbres qui observe et qui voit tout. L’Œil qui guette les périls qui menacent chaque jour la Couronne et la famille royale. Certains nous traitent d’espions, d’autres d’assassins. Nous sommes un peu des deux, et pourtant tellement plus.
   Un petit silence ponctua l’explication.
   -Nous savons au moins que tu es l’une de ces choses là, reprit le dénommé Tarquin avec comme de l’amusement dans la voix.
   Vaati écarquilla les yeux sur les ténèbres pour tenter d’apercevoir Tarquin, mais tout ce qu’il pouvait voir, c’était la rougeoyance de cet œil. Ce maudit œil.
   -Qu’attendez-vous de moi?
   -Ta mère m’a assuré que tu possédais des pouvoirs magiques. La première chose que j’attends d’un Sheikah, c’est de la loyauté. La seconde que j’attends de toi, c’est des informations. Nous allons t’introduire dans le Consortium Aedeptus, le collégium de magie, en tant qu’apprenti. Tu t’élèveras au rang de Maître, et tu me feras part de toute information concernant les plans du Consortium qui pourraient menacer l’intégrité de la Couronne, et du Royaume.
   Lui, un magicien? Alors que l’idée se formait à peine dans son esprit, il revit devant ses yeux les flammes et les corps calcinés, coincés sous les poutres effondrées de la taverne.       
   -Et si je refuse?
   -Ce n’est pas comme si tu avais le choix, mon garçon. Tu es le principal suspect dans l’affaire de pyromanie qui a ravagé un quartier du Bas-Bourg, et mis en danger la vie de deux chevaliers de la Couronne. Un crime passible de la peine capitale.
   Vaati déglutit. Puis lorsqu’un nouvel éclair zébra les nuées nocturnes, il se mit à réfléchir. Il se demanda si ce n’était pas là la chance de sa vie d’échapper à son existence de misère, d’échapper aux étreintes brutales de Rauru, et de ses autres… clients. Il allait ajouter quelques choses lorsque des bras jaillis des ténèbres le saisir aux aisselles et le relevèrent brutalement. Il poussa un cri, et essaya de se débattre, mais il était bien trop faible et fatigué pour opposer une résistance digne de ce nom.
   -Si jamais l’envie te prenait de t’enfuir pour tenter ta chance ailleurs, mon garçon, tu apprendras bien vite que chez les Sheikah il n’y pas de traîtres. Seulement des hommes loyaux, et des hommes morts.
   Un hurlement franchit ses lèvres lorsqu’une douleur infernale irradia sur son flanc droit. Une odeur pestilentielle de viande grillée, accompagnée d’un grésillement abominable emplit la pièce tandis qu’on lui appliquait un fer rouge à même la peau. Lorsque les mains le relâchèrent, il s’effondra dans son siège, hors d’haleine, les traits tordus par la douleur.
   -Combien?, croassa-t-il.
   -Plaît-il?
   -Combien… est-ce que… ma mère… m’a vendu.
   Un dernier éclair illumina la salle dans son ensemble, découpant les silhouettes des crochets de boucher pendues au plafond, et des instruments de torture proprement disposés sur des tables. L’espace d’un terrible instant, la vision de Vaati se changea en noir et blanc. Lorsque les ténèbres revinrent, l’image du sourire démoniaque de Tarquin était collée sur sa rétine.
   -Une pièce d’argent.


   Le long orage qui avait inondé Hyrule pendant quelques jours avait laissé place à un temps radieux, un ciel azuré et pur, vide de toute nuage. Vaati le contemplait sans vraiment le voir, l’esprit trop accaparé par ses soucis. Il sentait la marque du Sheikah qui palpitait douloureusement dans son dos, sous sa belle tunique mauve. On l’avait lavé, peigné, parfumé, et il se sentait propre.
   Propre pour la première fois depuis deux ans. Depuis le début de sa triste carrière.     Un serviteur en livrée vint interrompre ses pensées. Les maîtres l’attendaient. Il quitta le cloître dans lequel on lui avait demandé de patienter, un joli cloître à la pelouse bien verte, agrémentée de statues en marbre blanc d’une grande finesse. Il suivit le page à travers de grands couloirs au sol lustré, croisant des jeunes gens en pleine conversation, ainsi que des professeurs et des chercheurs, se baladant avec des tomes volumineux sous le bras.
   Le serviteur le quitta devant une lourde porte à double battant. Après avoir inspiré profondément et s’être vidé l’esprit, il entra.
   La salle était immense, mais vide. Les murs étaient peints d’un blanc éclatant, sans impureté. Le seul mobilier de la salle se composait d’une longue table en bois massif, qui faisait face directement à la porte. Derrière étaient installées six personnes, formant un assemblage assez hétéroclite.
   -Approche, mon garçon. N’aie pas peur.
   Celui qui avait parlé aurait pu être le frère de Rauru. Il partageait le même crâne chauve, la même bedaine rebondie, mais au dessus de la barbe désordonnée se trouvaient des traits avenants et chaleureux, et des yeux pétillants de gentillesse.   
   -Je suis le maître Kaepora, se présenta l’homme.    
   -Je suis la maîtresse Laruto, enchaîna une femme à la beauté mystérieuse et aux lèvres peintes en bleu.
   -On m’appelle Fado, continua un petit homme blond aux yeux fermés, qui souriait paisiblement.
   -Aghanim, lâcha laconiquement un véritable géant, dont les traits étaient en partie masqués par un voile et un turban.
   -Voici le maître Sahasrahla, fit Kaepora en désignant un très vieil homme à la peau ridée comme une pomme de terre. Et je te présente l’Archi-maître, Exelo.
   Les mains jointes sous son menton, l’homme sans âge, à la courte barbiche blanche et aux cheveux de même couleur délicatement coiffés en arrière, l’observait sans mot dire de ses yeux perturbants, d’un bleu intense. Un sourire étrange flottait sur ses lèvres.
   -Bien, commençons, voulez-vous?, demanda Kaepora en se tournant vers ses collègues.
   -Avec joie, plussoya maîtresse Laruto avec douceur.
   Mais Vaati était incapable de détourner son attention du visage d’Exelo, et du regard que ce dernier lui jetait. Il connaissait ce regard.
   C’était le regard que Rauru lui jetait, avant qu’ils ne rejoignent le lit.
   C’était le regard que Forley avait eu.
   « Tu apprendras bien vite que chez les Sheikah il n’y pas de traîtres. Seulement des hommes loyaux, et des hommes morts. »
   Vaati espéra qu’un nouvel orage arriverait vite. L’eau de pluie lui fera du bien. L’eau de pluie lui faisait toujours du bien. Elle l’aidait à se sentir plus propre. A purger la souillure.
   Dans la poche de sa tunique, ses doigts suivirent le contour du profile du roi Salomon, gravé sur la pièce d’argent, un peu noircie par les flammes.
   Sa pièce d‘argent.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Doutchboune le samedi 11 juin 2011, 21:16:41
Bon, j'ai dit qu'une fois que j'aurais lu le chapitre XX, je viendrai poster mon avis sur cette deuxième partie. Et vu que j'ai lu le chapitre XX, ben je viens, logique.

Déjà, je tiens à dire que j'ai beaucoup aimé, j'aime l'intrigue, j'aime comment tu es capable de rudoyer tes personnages, j'aime la consistance que tu leur a donnés, j'aime ton style d'écriture qui se lit avec facilité et d'une traite (noooon j'ai pas dévoré la fic en une aprem, même pas vrai...... :niak: )

Sinon, pour entrer plus dans les détails, et en plus de ce que je t'ai dit à côté, s'il y a un perso que j'aime beaucoup, mais qui m'intrigue aussi beaucoup, c'est Fado. Moins central et visible que beaucoup d'autres, mais... j'accroche à fond !

J'ai aussi souri à la fin du chapitre XVIII. Même si d'un point de vue de l'histoire, des persos, ça colle, le petit côté fantasme des deux belles guerrières qui se battent pour finalement passer un nuit d'amour, ça a quelque chose de... je sais pas trop quel terme donner, je veux pas être péjorative, parce que je ne le vois pas de façon péjorative, mais voilà, quoi, j'avoue que j'ai eu un petit sourire désabusé^^

Mmmhhh c'est ça le souci de tout lire d'un coup... on se rappelle plus de détails à donner en particulier^^

Enfin, bon, pour conclure, j'aime beaucoup ta fin, même si elle laisse beaucoup de choses en suspens ! Pas que ce ne soit pas une bonne chose, bien au contraire, mais..... rhaaaa j'arrête pas de suivre des trucs qui me laissent sur ma faim comme ça ces derniers temps, et je suis en mode attente de suite avec impatience un peu trop souvent pour mes petits nerfs fragiles.  :roll:

En tout cas, vivement le deuxième tome, tu as gagné une lectrice !
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Ruffian le samedi 11 juin 2011, 21:53:48
J'aime bien ta fic ! Bonne continuation  ;)
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le vendredi 24 juin 2011, 03:07:29
Doutchy ==> Encore une fois, je suis content que Triangle t'ait autant plu. ^^  J'espère que le tome deux se montrera à la hauteur des tes espérances. :niak:


Et sur ce, comme vous vous en doutez, voici le début du deuxième volet de la trilogie du Triangle...

________________________
[align=center]
The Legend of Zelda :


Triangle de Haine
[/align]





[align=center]Prologue
-Keeta-[/align]



   Le capitaine Keeta se tenait stoïquement au bas des quelques marches de marbre qui s’élevaient vers le trône, vaste siège d’os, de roche noire et d’acier ensanglanté. Son regard ne cillait jamais. Il avait appris à voir sans voir. De même, il lui avait fallu apprendre -et vite- à occulter de son esprit les choses désagréables de l’existence ; faire une sorte de tri entre les souvenirs qu’il fallait garder et les souvenirs qu’il fallait oublier. Ce rude apprentissage avait porté ses fruits : jamais un capitaine n’était resté aussi longtemps à son poste : une décennie. Une longue, longue décennie.
   Dehors, le soleil venait mourir sur la roche dure et rougeâtre des hauts murs d’enceinte encastrés dans le flanc des montagnes. La chaleur était infernale, surtout lorsqu’on portait une lourde armure de cérémonie. Et pourtant, l’on était au seuil de l’hiver. Les ombres s’allongeant éclaboussaient le sol richement dallé de poches d’encre sanglante, qui découpaient curieusement les silhouettes des dignitaires et des généraux présents, face aux immenses fenêtres sans vitres qui s’ouvraient de chaque côté de la gallérie.
   Rien ne bougeait, et tout était silencieux. Tout hormis les grognements sourds du tortionnaire et les pitoyables gémissements de sa victime, pendant qu’il la pénétrait sauvagement par derrière, à même le sol, tirant sur ses cheveux comme on tire sur la crinière d’un cheval, exposant la nudité de la femme sans retenu, la sueur cuisante maculant sa peau, irritant les entailles à vif laissées par le fouet et les lames de couteau. Quand Keeta l’avait appréhendée, elle était jolie. Non, elle était vraiment belle. Une hylienne blonde aux formes avenantes, grande, bien dessinée, avec de beaux yeux gris pleins d’intelligence… et un tatouage fort peu approprié dans le creux des reins. Maintenant, elle inspirait la pitié, avec son visage tuméfié, ses plaies, son épaule déboîtée, son moignon au bras gauche grossièrement recousu, et la crasse qui la recouvrait comme une gangue.
   Mais Keeta ne la voyait pas. Il avait appris à voir sans voir. C’était une qualité appréciable, surtout dans sa fonction. Ses prédécesseurs manquaient de méthode. Ils étaient trop terre à terre. Une fois, Keeta avait croisé l’ancien capitaine Feris, un mois à peine après que lui-même eut pris ses fonctions. Et bien cette rencontre avec Feris faisait partie des souvenir qu’il fallait oublier. D’ailleurs, qui était le capitaine Feris?
   Le tortionnaire finit par vider ses bourses sur le dos de la prisonnière éplorée. Elle s’affala de tout son long sur le sol lorsqu‘il la lacha, sanglotant, brisée. Keeta l’avait prévenue pourtant lorsqu’il l’avait arrêtée. « Epargnez vous des souffrances veines et inutiles. Il est dans votre intérêt de tout avouer maintenant. Au moins vous pourrez bénéficier d’une mort propre et brève. » Elle ne l’avait pas écouté alors. Ni même la semaine suivante, lorsqu’il lui avait scié la main gauche avec un couteau émoussé. Cela avait été long, pénible et affreusement bruyant.
   A la réflexion, cela faisait aussi partie des souvenirs qu’il fallait mieux oublier.
   Tout comme la fois où il avait attaché son bras droit tendu à un poteau, puis frappé son épaule avec un maillet jusqu’à ce que le cartilage implose. Oui, cela aussi, il valait mieux l’oublier. Ca, et les cris. Toujours les cris. Les cris étaient le plus pénible. Le sang, encore, se lavait plutôt bien sur des tabliers en cuir. Mais les cris, ils résonnaient longtemps et fort, dans sa tête, même la nuit. Le capitaine Keeta était un homme simple ; il aspirait à manger deux fois par jour et à dormir sereinement la nuit. Mais les cris…
   Enfin, il valait mieux l’oublier.
   -Capitaine. Je crois que notre invitée désire s’exprimer.
   Keeta frissonna lorsque le timbre de la voix vint lui vriller le cerveau, écorcher son âme. C’était une voix d’outremonde, un pur concentré de noirceur et d’impérialisme insidieux. Certains murmuraient que le Roi-Sorcier Ikana n’était pas humain. Que c’était une sorte de démon sorti des mondes d’en dessous pour asservir le genre humain. A ceux-là le capitaine avait ordre de leur arracher la langue et de la clouer sur le mur du Mensonge. Keeta avait demandé à ce qu’on agrandisse le mur, car la place commençait à manquer.
   Keeta tourna sur lui-même et s’incliner face au trône. Ses yeux accrochèrent rapidement les longue jambes puissantes d’une silhouette à moitié cachée dans l’ombre. Voir sans voir.
   -A vos ordres, Votre Majesté.
   Sous le regard de la cour toute entière, le capitaine s’approcha de l’hylienne. Ses bottes ferrées produisaient un fort claquement chaque fois que ses talons frappaient le sol, brisant le silence absolu qui régnait dans la galerie. Keeta s’accroupit à côté de la femme, et lui tira les cheveux pour lui faire relever la tête.
   -Le Roi-Sorcier Ikana t’a honorée des bienfaits de l’éducation, récita le capitaine d’une voix monocorde (Voir sans voir. Oublier, après.). As-tu appris qu’il est idiot de refuser la clémence qu’autrui daigne t’accorder?
   -Pitié…
   La voix était à peine un souffle. Les cordes vocales avaient lâché à force de crier.
   -As-tu appris?, répéta Keeta après lui avoir fracassé le crâne contre le sol.
   -Oui… Pitié… Plus de douleur… Pitié…
   Un murmure parcourut la cour lorsque le Roi-Sorcier se leva de son trône et descendit lentement les marches. Le capitaine recula docilement pour laisser la place à son souverain, le regard fixé devant lui. Les robes écarlates brodées de noir du monarque faisaient penser à du sang encore frais, en cela qu’elles miroitaient bizarrement à la lumière mourante du crépuscule montant. Ses longs doigts osseux se terminaient par des ongles noirs semblables à des griffes, et ses cheveux argentés étaient comme une cape d’acier. Ses yeux jaunes et luisants n’avaient rien de… Non. Voir sans voir.
   Ikana tendit la main, et le corps de la prisonnière fut parcourut d’un soubresaut. D’un mouvement du doigt, il la releva à demi et la força à le regarder dans les yeux.
   -Comment t’appelles-tu?
   Personne ne pouvait résister aux ordres muets d’Ikana. Sa voix vous perçait comme des serres, arrachant votre courage, suçant votre âme, se gorgeant de votre peur animale.
   -Impa…
   -Dis moi, Impa. Qui t’a envoyée pour me tuer?
   Keeta fut surpris qu’elle ait encore assez de force pour résister une petite poignée de secondes.
   -Tarquin. Tarquin du Sheikah.
   -Tarquin du Sheikah.
   Ikana sembla goûter la sonorité du nom. Keeta avait déjà entendu parlé de ce Tarquin. Un homme de l’ombre à la tête du réseau d’espions d’Hyrule.
   -Général Onox!
   L’immense ombre qui se tenait coite derrière une colonnade puis le début de la scène s’avéra être un homme. Plus précisément une montagne qu’on aurait réussi par quelque miracle à comprimer dans une armure terrifiante.
   -Votre Majesté?
   La voix métallique, dure, n’évoquait rien d’humain. Keeta préféra continuer à fixer la fenêtre en face de lui. Voir sans voir.
   -Ayez l’obligeance de transmettre à votre suzerain mes sincères amitiés. Et faites lui savoir qu’il a mon soutient inconditionnel dans son entreprise. Hyrule brûlera avant la fonte des neiges.
   -Votre Majesté nous honore, répondit la créature de fer en s’inclinant grossièrement.
   -Capitaine Keeta!
   -Votre Majesté?
   -Reconduisez cette catin dans sa cellule. Et assurez-vous qu’elle souffre longtemps avant de mourir. Assurez-vous en personnellement.
   Voir sans voir. Et surtout, oublier. Les cris, principalement.
   Les cris, c’était le plus pénible.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Doutchboune le lundi 27 juin 2011, 14:18:35
Allez, j'ai promis, je me lance !

Déjà, dès que j'ai vu que tu avais posté, je me suis jetée dessus et encore une fois j'ai dévoré le chapitre. Enfin, le prologue.

Et sincèrement, je trouve ça fichtrement bien écrit. C'est terriblement violent. Et pourtant ce n'est pas écrit si crument que ça, mais on sent l'horreur à travers le détachement obligatoire du capitaine, qui tente de s'éloigner de l'horreur en en parlant de façon "banale". Ce qui, bien entendu, renforce le sentiment d'horreur chez le lecteur.

Et comme je me doute que c'est cela même que tu as voulu faire passer, je te dis un grand bravo ! Pour ce qui est de mettre mal à l'aise, c'est totalement gagné, sans pour autant tomber dans le (trop) gore.

Sinon, tout de même, un truc qui m'a échappé quand tu dis
Citer
-Comment t’appelles-tu?
Personne ne pouvait résister aux ordres muets d’Ikana.

je suppose que l'ordre muet était celui de se relever et de le regarder dans les yeux, mais de la façon dont c'est écrit, on a plutôt l'impression que c'est la question qui serait muette, alors qu'il la pose à haute voix. Du moins c'est comme ça que je l'ai compris, peut-être que je me trompe^^

En tout cas, Hyrule est vraiment mal barrée pour la suite, je dis ! Et j'ai hâte d'en savoir plus.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le samedi 02 juillet 2011, 18:54:26
Doutchy ==> C'est effectivement ce que je voulais faire ressentir, je suis content que ça marche. ^^ Pour l'histoire des ordres muets, j'avoue que ce n'est pas clair. En fait pour moi la question n'était que ça : une question. Mais derrière la personne ressent une injonction non prononcée qui la force à répondre. En tout cas merci de passer me voir, ça me fait grand plaisir!  :<3:

Sur ce, voici le premier chapitre de Triangle de Haine. Bonne lecture!  ;)



_________________________


[align=center]I
-Feena-[/align]


   -ASSEZ!
   La voix tonitruante, vibrante de colère et de frustration de Salomon d’Hyrule parvint à ramener un calme relatif dans la grande salle du trône.
   -Au noms des Trois! Link s’est enfui avec ma fille et la Lame Purificatrice, Locke Sanks est mort et pour ce que j’en sais, une horde de barbare campera bientôt sous les remparts de ma ville. Et vous trouvez encore le moyen de vous chamailler pour des broutilles? Je suis entouré d’incompétents! Tarquin!, aboya le roi. Tarquin, par les Très-Hautes, où es-tu?
   -Il a été enfermé au donjon sur votre ordre, précisa ser Mikau Zora d’un ton posé.
   -Mon ordre? Quelle est donc cette fourberie? Amenez-le moi de suite! J’ai dit DE SUITE! Aghanim? Aghanim, crénom?
   -Nous n’avons pas vu le Premier Conseiller depuis deux jours, glissa ser Mikau.
   Le roi Salomon cligna des yeux, comme hébété, et soudain son ire reflua, et il s’affaissa comme une masse sur son trône, le front dans la paume de sa main. Il n’avait jamais autant fait ses quatre-vingt ans passés qu’en ce jour. Le jeune prince Nohansen, sur un siège à côté de lui, tremblait comme une feuille et ses yeux étaient rougis par les larmes qui n’avaient cessé de couler depuis qu’il avait assisté au meurtre sauvage de son héros, ser Lock Sanks, dit le Chien.
   Feena Hurlebataille se tenait coite, adossée à l’une des colonnades qui soutenaient les balcons. Les bras croisés, elle ne pipait mot, se contentant d’observer. Elle était en proie à une foule de sentiments contradictoires. Elle avait juré allégeance à un homme, Link, lorsque celui-ci l’avait mise à genoux grâce à la force de son fidèle Chien. Maintenant, ce même Chien -qu’elle avait fini par aimer, elle en était certaine à présent- gisait mort quelque part, assassiné par son maître, lui-même en fuite. Feena ne savait pas ce qu’elle était censée faire. L’honneur de son serment l’obligeait à suivre son suzerain légitime, mais elle n’éprouvait pour lui que haine et mépris. Elle voulait venger Sanks. Sa fidèle paire de haches n’avait pas quitté ses flancs depuis le fameux incident.
   Toute la haute noblesse d’Hyrule était réunie dans la salle du trône, et se chamaillait comme des chiffonniers à propos de ce qu’il fallait faire. Certains arguaient qu’il fallait de suite sonner le ban et marcher sur Link avant qu’il ne parvînt à rassembler ses armées de barbares, d’autres préconisaient de laisser couler, car un conflit ouvert avec le Faux-Héros ne provoquerait rien d’autre qu’une guerre civile, aux vues du nombre encore important de ses partisans dans la population…
   -A quoi pensez-vous, très chère?
   Lord Dumor Mojo la tira de ses réflexions. Le seigneur de Boisperdu était accompagné, comme à l’accoutumée de son conseiller et sorcier personnel, Fado le Faiseur de Vent. Ces deux là formaient une paire originale. Tous deux de la taille d’un enfant -ce qui avait valu à lord Dumor le surnom de Lutin-, ils étaient pourtant aussi dissociables que le jour et la nuit. Lord Dumor avait toujours un air renfrogné et lassé de tout, un esprit brillant piégé dans l’identité de fat grossier qu’il s’était forgé ; quant à Fado, il ne se départait jamais d’un sourire léger, et sa cécité l’obligeait à garder les yeux clos.
   -Beaucoup de choses, répondit Feena. Je ne sais pas si j’ai encore ma place ici.
   -Tss. Allons, cela me parait pourtant évident. Vous aviez un choix, suivre Link, ou rester. Vous avez fait le bon, ce qui vous place du bon côté : le nôtre.
   -Je ne sais pas si je dois m’en réjouir, plaisanta maladroitement la guerrière.
   -Je ne sais pas non plus, je vous l’avoue.
   -Que va-t-il se passer?
   -Aujourd’hui? Rien. Regardez les. Des roquets teigneux qui ne veulent écouter rien d’autre que leurs propres jappements. Ce ne sont que des idiots.
   -Et vous, qu’est-ce que vous conseilleriez?
   -Rien, ce n’est pas mon rôle. J’administre mon domaine, et je laisse les affaires d’Etat aux plus compétents.
   -Ne soyez pas si humble. Vous êtes probablement le plus à même de prendre les bonnes décisions. Vous êtes intelligent, et vous passez votre vie à faire de la politique.
   -Détrompez vous, très chère. Il y a certaines personnes bien mieux placées que moi…
   Feena suivit le regard de Lord Dumor jusqu’à tomber sur ser Mikau Zora. Ser Mikau était quelqu’un d’assez curieux. Il était plutôt beau, avec sa silhouette svelte et musclée, ses longs cheveux bleus et ses yeux un peu trop azurés. Habile à l’épée, il se révélait être d’excellente compagnie, sachant toujours avoir le bon mot. Cependant, ses traits jeunes étaient démentis par son air grave et son regard toujours fixe qui évoquait les yeux d’une personne bien plus âgée et bien plus expérimentée. Feena s’était attendue à le voir prendre la parole mais il n’avait rien dit de tout le débat, à part quelques informations glissées ici et là d’une voix calme.
   -Ser Mikau?
   -Ho oui, « ser » Mikau. Ou peut-être devrais-je dire « maître » Mikau, le loyal défenseur de la Couronne, le compétent chef du Sheikah.
   -Pardon?
   -Ne vous faites pas avoir par son air de bon garçon et ses belles manières. C’est lui qui gouverne Hyrule pour l’instant, en l’absence de ce cher, cher Tarquin.
   -Comment savez-vous tout cela?
   -Et bien voyez-vous…
   -Le vent me l’a dit, intervint Fado avec son sourire.
   -… Voilà.
   -Le vent…?
   -Oui, ça déroute toujours la première fois, mais je vous assure qu’on finit pas s’y faire, ricana Dumor.
   -Si vous le dites. Allez-vous rester?
   -Ho, Grandes Déesses, non. Je n’ai jamais aimé le tapage. Et Lord Drof est tout chamboulé d’avoir perdu trois de ses précieux doigts, je ne sais pas s’il a encore les facultés pour jouer aux échecs. -Entre nous ce n’est pas une grande perte pour ce noble sport.- Je vais rentrer chez moi. Boisperdu a été privé de son maître depuis bien trop longtemps. Vous pourriez m’accompagner, je suis sûr que vous vous plairiez à l’ombre de notre belle verdure.
   Feena n’eut pas le loisir de répondre. Ser Goro, le cadet de la fratrie Dodongo, se détacha de la masse des nobles et se dirigea vers le trône.
   -Votre Majesté!, interpella-t-il l’intéressé.
   -Quoi donc?, répondit Salomon d’une voix lasse en regardant le jeune homme s’approcher.
   Le chevalier grimpa les quelques degrés de pierre et se pencha vers le souverain, comme pour lui murmurer un secret.
   -Je dois vous faire part d’une nouvelle importante…
   Tout alla trop vite. Ser Goro agrippa violemment le col du monarque, et planta avec hargne une dague dans la poitrine du vieillard. Son forfait accompli, le jeune homme se recula de quelques pas et tira son épée.
   -Longue vie au roi Link!, cria-t-il en brandissant sa lame.
   Il y un bref moment de flottement, comme si le temps suspendait son cours, frappé de stupeur, durant lequel seuls les gargouillis d’agonie de Salomon d’Hyrule brisaient le silence. Puis, à l’image d’une tempête éclatant sous les chaleurs de l’été, des cris de guerre, de rage et d’effroi fusèrent sous la voûte de la salle. Des « Vive le roi Link! » répondaient à des « Pour Hyrule! ». Une symphonie de métal se joua lorsque les épées furent vivement tirées des fourreaux pour s’entrechoquer avec véhémence dans une mêlée confuse et surréaliste. Les plus stupéfaits moururent les premiers, hommes comme femmes.
   -Les forbans!, éructa Lord Dumor en se réfugiant derrière la colonnade. Ils avaient tout prévu!
   En effet, les gardes royaux furent victimes de la même crise de loyauté. Les hommes d’arme fidèles au souverain légitime succombèrent sous les coups de lance des traîtres, et les survivants entamèrent une lutte fratricide.
   Prise malgré elle dans le combat, Feena repoussa la rapière d’un jeune hobereau au visage tordu par la rage et la peur. La deuxième hache de la guerrière lui trancha le bras sous le coude et elle l’acheva en le décapitant d’un coup net et précis. Sans même lui accorder plus d’attention, elle jeta un coup d’œil vers le trône. Un noble s’approchait en titubant de la dépouille royale… ou plutôt du jeune prince, totalement terrifié, qui regardait son assassin venir vers lui avec des yeux exorbités. Le sang de son père maculait son visage juvénile. Feena arma son bras pour propulser l’une de ses armes, mais un adversaire se présenta et elle dut réfréner son geste.
   Lorsque l’importun mordit la poussière, le visage à moitié arraché, le meurtrier d’enfant gisait au pied des marches, une dague plantée dans l’œil droit. Tarquin Qu’un-Œil emmenait le prince Nohansen à l’abris des combats, sans même un regard en arrière. Soudain, un crépitement assourdissant vrilla l’atmosphère, et une explosion de feu liquide retentit dans la mêlée, embrasant à part égale loyalistes et traîtres. Un concert de cris d’agonie et un écœurant fumet de chair carbonisée emplirent la salle du trône, interrompant, pour un temps seulement, la mêlée.
   Un hurlement de rire aussi bref que fou perça la fumée et le tapage ambiant. Un rire que Feena crut reconnaître, mais qu’elle était certaine de n’avoir jamais entendu.
   -Sapristi!, jura Lord Dumor depuis son abris. Sur le balcon! C’est  ce traître d’Aghanim.
   Feena leva la tête et aperçut le Premier Conseiller accompagné par un vieillard dont la peau extrêmement fripée n’était pas sans évoquer une pomme de terre. Apparus comme par magie -c’était probablement cas-, ils récitaient des formules obscures en fermant les yeux. Des rafales d’énergie jaillirent de leurs doigts tendus pour faucher des vies au hasard, en contrebas.
   -Nous sommes piégés!, fulmina la guerrière.
   -Ma dame!, l’appela Fado. Il y en a deux autres au dessus de nous. Je vais vous y envoyer. Il faut à tout prix les arrêter, où bien il ne restera plus rien de la classe dirigeante d’Hyrule!
   Feena eut à peine le temps d’hocher la tête qu’une bourrasque de vent d’une violence inouïe se forma sous elle et la propulsa vers le haut. Elle s’agrippa à la rambarde du balcon et passa par-dessus. L’homme qui lui faisait face était un géant coiffé d’un masque de démon en fer. Elle eut la nette impression de l’avoir déjà vu, mais un sentiment tout aussi fort lui soufflait que ce n’était pourtant pas le cas. Peu habituée à réfléchir longuement face à l’appel du danger, elle se jeta sur lui et le plaqua au sol. Le sorcier poussa un cri de surprise et de terreur en l’apercevant qui levait sa hache pour le tuer. La tête de l’arme ne rencontra qu’une brume intangible, car le sorcier avait disparu.
   -Très impressionnant, commenta une voix diaboliquement calme. Il en faut beaucoup pour faire peur au Facétieux.
   Feena se releva et fit face à un homme entre deux âges, habillé d’une riche robe dorée au col ridiculement grand. Sa carrure n’avait rien d’impressionnant, mais ses yeux d’or brillant avaient quelque chose de purement maléfique et l’aura de puissance qui se dégageait de lui était presque palpable. Un petit sourire narquois ne quittait pas ses lèvres.
   -C’est un plaisir de vous rencontrer enfin, Feena Hurlebataille. J’ai beaucoup entendu parler de vous.
   -Cela m’est égal, rétorqua la guerrière en avançant d’un pas. Je n’ai que faire des radotages d’un vieillard mort.
   -Ha! Je vois. Aussi impétueuse que le vent de la plaine. L’on verra si vous serez toujours aussi bravache lorsque je vous chevaucherai comme la jument idiote que vous êtes.
   Une force incommensurable frappa Feena de plein fouet, lui arrachant un cri de douleur. Elle sentit une présence terriblement froide et terrifiante s’insinuer en elle, la souiller. Le monde devint noir tout autour d’elle, et elle s’effondra. Lorsqu’elle revint à elle, elle était étendue sur le ventre, entièrement nue. Quelqu’un était en train de la saillir. Elle sentait une verge gonfler dans le creux de ses reins à chaque coup de boutoir douloureux. Une peur comme elle n’en avait encore jamais éprouvée lui fouaillait les entrailles. Elle se contorsionna pour apercevoir son agresseur, et elle hurla lorsqu’elle contempla le Mal dans toute son ignominie : Un porc anthropomorphe qui la montait comme un animal en poussant des cris rauques.
   Des larmes ruisselaient sur le visage de Feena pendant qu’elle essayait de se débattre, en vain. Soudain, elle sentit une présence non loin d’elle. Quelque chose se tapissait dans les ombres tout autour. Une entité qui se nourrissait de son désespoir, y puisant de la force et du pouvoir. Feena perçut un mouvement infime mais pourtant colossal. Elle pensait discerner les contours de la chose, à la périphérie de son champ de vision, mais ses yeux fous renvoyaient des images que son esprit humain et brisé ne parvenait pas à comprendre ni à traduire. C’était un être venu de par delà les étoiles et le cosmos, avant même la naissance du monde. Un titan assoupi qui s’agitait dans son sommeil troublé.
   C’était une montagne en marche. Une montagne à face de porc.
   Feena hurla en se prenant la tête entre les mains. Le vieillard aux yeux dorés s’esclaffa.
   -Tu es comme les autres, chienne. Aussi fragile et faible qu’un nourrisson. J’arracherai ta vie et ta dignité lentement, morceau par morceau, et j’en offrirai chaque parcelle au Maître en hommage à sa Grandeur! Rien ne pourra entraver son retour! Rien, tu m’entends? La Prophétie de ce fou de Madura s’est écroulée avec la mort du premier des Trois Qui Furent Choisis. Le Façonneur des Quatre Qui ne Sont qu’Un est tombé avec le Gardien du Savoir, et l’Ombre qui Voit et qui Pleure ne peut plus que chialer sur son sort. Tu m’entends? Hyrule brûlera! Madura avait raison sur un seul point. Cette terre croulera sous des mers de sang et de cadavre. Et le Maître s’en repaîtra, oui, et moi, je serai à ses côtés, moi, Exelo!
   Feena n’écoutait pas les délires psychotiques du sorcier. Sa raison vacillait au bord d’un précipice sans fond. L’attaque mentale qu’elle avait subie l’avait rendue faible et tremblante, sanglotant. Elle se tenait sur le sol en position fœtale, le visage enfui contre son sein. Elle n’avait plus conscience du monde autour d’elle.
   Exelo, l’Archi-Maître du Consortium Aedeptus, tendit la main vers elle. Un souffle de flammes noires jaillit de ses doigts et embrasa la guerrière qui se mit à hurler de plus belle. Ses cheveux et ses sourcils disparurent en premier, puis sa peau commença à fondre sur les os, lentement, horriblement. Le sorcier jubilait, hurlant de rire. Un rire qui se mua en crachotement tenu lorsqu’une lame d’épée lui perça le thorax.
   -J’espère que ton Maître t’avait préparé à ça, Exelo, persiffla ser Mikau d’une voix dure en le repoussant.
   Le sorcier tituba sur quelques pas, une main sur sa poitrine d’où s’échappait un sang noir et épais, et se retint à la balustrade. Il se tourna vers le Zora, le visage déformé par la haine et la douleur.
   -Tu paieras pour ça, chevalier, éructa l’Archi-Maître en crachant du sang.
   -On ne s’attaque pas impunément à mes amis, vermine. Préviens ton Maître que Mikau Zora vient le chercher.
   Le jeune homme frappa un grand coup rageur, mais ne rencontra que le vide après la téléportation du mage. Il s’y désintéressa aussitôt pour jeter sa cape sur Feena et éteindre les flammes.
   -Déesses miséricordieuses, ayez pitié d’elle, murmurait-il en tapotant la cape.
   D’une main tremblante, il souleva un pan du vêtement, et le relâcha aussitôt en jurant. Au moins, elle respirait encore…
   Las, ser Mikau se redressa, épuisé, et contempla le charnier en contrebas.
   Une bouillie de cadavres brûlés répandait une fumée âcre et épaisse. Les survivants erraient, hagards, à la recherche des blessés. Fado et dame Laruto dispensaient déjà des soins à ceux qui pouvaient encore en recevoir. Lord Dumor ruminait, assis sur la première marche du trône, où le cadavre du roi était toujours avachi, cloué par la dague qui dépassait de sa poitrine. Lord Darunia tenait Lady Ruto, sanglotant, dans ses bras et hurlaient des injures, un poing rageur brandi. Ser Allister était agenouillé devant la dépouille de son plus jeune frère, qu’il avait tué de ses propres mains. Son épée étaient plantée bien droite dans le ventre de ser Sédrik.
   La catastrophe était totale. Et c’était en grande partie de sa faute, à lui, ser Mikau. C’était sa mission, de protéger la Couronne et le Royaume. Il y était lié par les deux serments qu’il avait jurés. Et pourtant, il avait failli lamentablement. Il avait été incapable de prévoir cette traîtrise, incapable de déjouer les plans du Consortium.
   Hyrule allait payer très cher son incompétence. A présent, le Royaume reposait sur les épaules frêle d’un petit garçon terrorisé. Et il allait devoir gérer une guerre.
   -Le Roi est mort!, hurla Mikau. Longue vie au Roi Nohansen!
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Doutchboune le samedi 02 juillet 2011, 19:48:04
Aaaah j'aime quand les histoires commencent comme ça, dans la joie, la bonne humeur et la légèreté ^^ Tout de suite, ça remonte le moral ;)

Bon, blague à part, c'est vraiment très bien écrit, j'ai beaucoup aimé. J'ai un peu de peine pour tous ces braves persos qui souffrent un à un, et j'espère que l'influence du trône de fer ne sera pas complète à ce niveau. Mais je dois avoir trop bon fond, en fait !
Sinon, ce qui me dérange, enfin, pas qui me dérange, parce que je sens bien le pourquoi du comment, mais... je sais pas comment dire (et après c'est ptet aussi une preuve que tu rends bien le malaise), je suis gênée par ta forte utilisation des scènes de viol. Après, en effet, ce genre de scène, c'est vraiment fort pour montrer la dépravation, pour donner un fort traumatisme au perso, ce genre de chose... (d'ailleurs, pense ptet à mettre un petit panneau d'avertissement pour ta fic, parce que entre ça et le prologue, je sais pas si c'est top pour les plus jeunes^^) J'ai ptet une âme trop sensible à ce niveau aussi, peut-être...

En tout cas, je réitère mon propos de mon précédent commentaire : Hyrule est vraiment mal barrée pour la suite^^

Enfin, bon globalement j'aime beaucoup, hein, vraiment, et j'ai hâte de lire la suite ;)
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le dimanche 03 juillet 2011, 14:19:25
Doutchy ==> Comme nous en avons déjà un peu parlé, je suis d'accord pour les scènes de viol, je vais sérieusement me réfréner à ce niveau. :niak: En tout cas, content que le Triangle continue de te plaire, et encore merci pour ton commentaire. :niak:


Sur ce, voici déjà la suite de Triangle de Haine. Bonne lecture!



__________________


[align=center]II
-Roy-[/align]


   Roy avait toujours été un garçon simple et aimable. Il faisait la fierté de sa mère, et celle de son père, même si ce dernier, comme tous les pères, le montrait moins. Il avait été élevé dans les valeurs de la famille, du travail et de l’honnêteté. La vie n’était pas facile, la ferme était vaste, et il fallait un labeur constant pour la maintenir en activité, et récolter assez d’argent pour manger et entretenir le domaine. Roy ne rechignait jamais dans les tâches qu’on lui attribuait. Il était travailleur et courageux ; il n’avait pas peur des puissants et nerveux étalons de sailli, ni de Sam, le gros chien de garde à la mine belliqueuse. Roy faisait tout ce qu’on lui disait de faire, sans se plaindre ni demander de contrepartie.
   Roy était un bon garçon. Il ne parlait pas beaucoup, parce qu’il trouvait qu’il n’avait pas grand-chose d’intéressant à dire, mais il avait l’esprit vif. Suffisamment vif pour avoir pu apprendre à lire, bien que cette compétence ne lui fusse de peu d’intérêt dans son travail agricole. Ce même travail lui tailla une solide constitution au fur et à mesure que les années passaient. Lorsqu’il eut vingt ans, son père jugea qu’il était prêt à tâter un peu du fer.
   Le père de Roy avait été soldat durant de longues années, avant de prendre sa retraite, d’épouser sa femme et d’acheter le domaine. Il gardait deux épées affûtées et huilées dans la penderie, et ce fut avec elles qu’il initia son fils à l’escrime. Ce dernier se révéla étrangement doué, malgré des débuts douloureusement difficiles. Il n’avait aucune difficulté à assimiler les mouvements de jambe, les gardes, les postures, les entrechats ou les bottes. Assez vite, il parvenait à vaincre son père en duel. Fier comme un coq, ce dernier proposa à Roy de quitter la ferme pour suivre ses traces et devenir soldat à son tour. C’était une carrière honorable, et bien payée. Le travail ne manquait pas, avec tous les maraudeurs des clans qui trainaient sur la Plaine. Mais Roy refusa.
   -Non, Père. Je n’aime pas me battre. Je préfère travailler la terre et traire les vaches.
   Le sujet fut clos.
   Il était clair dans l’esprit de Roy qu’il prendrait la direction de la ferme à la mort de ses parents, et qu’il épouserait Lucie, la fille d’un fermier voisin. Il voyait sa vie comme un chemin tout tracé, sans embûches, calme et paisible, fait de joies simples et d’un bonheur tout aussi simple mais quotidien. Cette idée lui plaisait, mais il n’en parlait pas beaucoup, car cela n’avait pas vraiment d’importance, et que cela aurait fait de la peine à ses parents, qui avaient pour lui plus d’ambition que lui-même n’en avait pour lui. Il ne comprenait pas ce qu’un homme pouvait désirer de plus qu’un toit, deux repas journaliers, une femme aimante et un travail honnête.
   Les saisons se succédaient dans un train train réconfortant. Les hivers étaient rudes mais le bon travail de Roy les abritait de la faim ou du froid, car ils pouvaient se permettre d’acheter du bois de chauffe. Au printemps, après les récoltes, Roy entreprenait un long périple jusqu’à Cocorico, loin au nord, pour vendre les vêtements en laine confectionnés par sa mère, ainsi que leurs légumes, leur fromage et la bière que brassait son père. Il ne s’attardait jamais guère longtemps, et une fois son argent en poche, il retournait à la ferme, pour reprendre le travail, planter les légumes d’automne, faire courir les chevaux, ou labourer les champs.
   Lorsque son père tomba malade, il prit sur lui et redoubla d’effort pour gagner assez d’argent pour payer les services d’un guérisseur. Malgré tout, le mal qui rongeait son géniteur ne fit que croître, le clouant au lit. Sa mère le veillait de longues heures chaque jour, pleurant doucement dans la pénombre de la chambre.
   Roy aurait voulu la réconforter, mais il ne savait pas quoi lui dire d’intéressant, alors Roy se tut et s’absorba dans le labeur.
   Des rumeurs commencèrent à arriver, à propos d’une bande de guerriers s’élevant contre les clans des plaines, menée par un mystérieux bretteur qu’on disait aussi fort et beau qu’un loup. Roy n’y prêta pas attention, car cela ne l’intéressait pas. La ferme était située assez profondément dans la plaine, là où les clans ne s’aventuraient pas souvent. La ferme n’avait pas connu d’incident depuis presque six ans. Roy s’estimait chanceux, et pensait pouvoir gérer une rencontre avec les maraudeurs.
   Un jour cependant, alors qu’il travaillait assez loin de l’habitat, dans les champs de maïs, il entendit un cri de femme dans le lointain. Pris d’un mauvais pressentiment, il laissa son labeur en suspend et courut vers le domaine. Par chance il avait prit l’une des épées de son père avec lui, car il comptait s’en servir pour tailler une statuette pour sa mère. De sombres nuages de fumée noire s’élevaient en spirale menaçante dans le ciel qui commençait à se teinter d’orange sous la caresse des derniers rayons du soleil. Le feu dévorait le toit de chaume de la grange, et malgré la distance Roy pouvait entendre les cris des animaux piégés.
   Il accéléra ses foulées, la peur au ventre, anxieux de ce qu’il allait trouver. Un cavalier jaillit de nulle part et poussa sa monture au galop vers lui. Il venait du domaine, et il portait une armure de cuir et maniait un lourd gourdin ferré qu’il agitait au dessus de sa tête en éructant des mots incompréhensibles. Roy ne saisit qu’un peu tard les intentions belliqueuses du cavalier et il reçut un vilain coup sur l’épaule. Il entendit un craquement et la douleur fusa dans son bras. Il roula sur le sol, et il sut instinctivement comment il devait réagir.
   Il tira douloureusement l’épée,  et attendit que le cavalier revienne à la charge. Alors, il bondit sur le côté au dernier moment, et frappa de haut en bas. Il rencontra une résistance molle et écœurante, et la lame fut soudain maculée de sang. Le barbare continua sa course sur quelques mètres avant de choir au sol, les entrailles à l’air.
   Roy resta un long moment interdit, peinant à admettre qu’il venait de prendre une vie, et que cela lui avait été aussi facile. Il se sentit sali et se détesta pour son acte. Mais il n’avait pas de temps à perdre à s’apitoyer sur son sort. Lorsqu’il arriva aux abords du domaine, il était trop tard. Tout brûlait. Une bande de maraudeurs entourait son père et le frappait à tour de rôle avec leurs bottes. Mais il n’y avait déjà plus aucune vie dans le corps du vieil homme. Son visage n’était plus qu’une bouillie infâme. Le cadavre de sa mère gisait non loin. Elle avait été transpercée par des lames en plusieurs endroits, et rejetée sur le côté. Elle avait certainement essayé de faire un rempart de son corps pour son mari.
   Une grande lassitude envahit Roy à la vue de ce spectacle. Il baissa son épée et resta debout sans bouger, contemplant la scène sans vraiment la voir. Un cavalier s’approcha lentement de lui.
   -Comment tu t’appelles?
   La voix était claire et chantante, le timbre, impérieux. Roy releva la tête et fut frappé par la beauté du cavalier. Un séraphin se tenait devant lui, bien droit sur sa selle, glorieux dans son armure incrustée de jade et frappée au loup noir. Les longs cheveux blonds flottaient doucement au vent, lui conférant un air éthéré. Les traits parfaits étaient flanqués par deux longues oreilles pointues harmonieuses.
   Le cavalier frappa Roy au visage avec sa botte.
   -Répond, vermine.
   -Ro… Roy, je m’appelle Roy, messire.
   -Je suis Link. Mais toi, tu m’appelleras Maître. Car à présent tu es mon Chien, et tu n’auras jamais d’autre maître que moi. Et j’attends de toi de la reconnaissance pour ma miséricorde.
   -Merci, messire…
   Sans trop savoir pourquoi, Roy fut reconnaissant. Il acceptait le don de la vie qui lui était fait. Il comprit que son existence n’avait aucune valeur, qu’il n’était rien comparé à cet homme, à son maître. Il vivrait pour le servir.
   -Roy est un nom bien trop joli pour un chien. Dorénavant tu t’appelleras Locke, car tu n’es qu’une loque, un rebu qui me doit tout. Tu peux garder le nom de Sanks, ainsi les gens sauront quel genre de bâtard tu es, à l’image de ton salaud de père. Remercie moi.
   -Merci, messire. Messire est trop bon.
   -Bien, c’est  ce que j’aime entendre. Maintenant, va enterrer ces déchets qui te servaient de parents, et rattrape nous. Nous allons à l’Ouest. Je vais écraser cette vermine rampante qui infeste notre glorieuse plaine. Et lorsque je baiserai la Princesse et que j’assiérai mon cul sur le trône, je t’autoriserai à te coucher à mes pieds. Car c’est là la place des chiens, n’est-ce pas?
   -Oui messire. Merci messire.
   Le rire de Link retentissait encore dans les oreilles de Roy lorsqu’il sortit de son long sommeil. Il avait presque oublié cet épisode de sa vie. A vrai dire, il avait presque oublié qui il était, avant de devenir le Chien du Héros.
   Roy Sanks resta un moment sans bouger, contemplatif. Il se rendit compte qu’il était serein. Serein pour la première fois depuis ce fameux jour. Il se laissa imprégner par ce sentiment presque étranger, le goûta, l’apprécia. Lentement, il ouvrit l’œil, et laissa la lumière ambiante le baigner. Il fixait un plafond modeste et sans ornement, qui lui rappela, d’une certaine manière, le plafond de sa chambre, là-bas à la ferme.
   Il se sentait bien.
   Tournant la tête, il aperçut un second lit, près du sien. Quelqu’un l’occupait, emmitouflé dans des couvertures. Roy se releva péniblement. Les souvenirs du tournoi lui revenaient, et avec eux, la douleur de son abdomen. Soulevant sa tunique, il fut surpris de constater que la plaie était déjà presque cicatrisée. S’accommodant de la douleur, il fit pivoter ses jambes hors du lit, et s’approcha de la silhouette recouverte. Lentement il tira sur la couverture, découvrant le visage horriblement défiguré de Feena Hurlebataille. Ses cheveux et ses sourcils avaient disparu, accentuant la laideur résultant de sa peau à moitié fondue. La pauvre femme était inconsciente, et sa respiration n’était rien d’autre qu’un sifflement rauque.
   Roy la contempla un long moment avec son œil valide. Une émotion qui lui était totalement inconnue montait en lui. Il caressa tendrement les traits de la guerrière avec sa main intacte. Il fut perturbé par l’intrusion brutale d’un homme dans la pièce. Ce dernier ressemblait à un mendiant, avec sa crinière de cheveux sales, sa barbe en bataille, ses vêtements rapiécés. Il tenait un long couteau dans la main, et ses yeux fiévreux indiquaient assez qu’il était complètement saoul.
   -Vous étiez pas censé être là vous, siffla-t-il après s’être passé une main sur le visage. T’es Locke Sanks, pas vrai? Le Chien? Tout le monde dit que vous êtes mort.
   Roy ne répondit pas. Il n’avait pas grand-chose d’intéressant à dire. Il baissa le regard vers Feena ; un regard triste.
   -Cette pauvre femme n’a-t-elle pas déjà assez souffert comme ça?
   -C’pas mon problème. On me paye pour la tuer, c’tout. Maintenant, écartez toi, j’aime pas frapper des infirmes.
   -Mais suriner des femmes inconscientes et affaiblies ne vous dérange nullement. Vous avez un curieux sens de l’honneur.
   L’homme jeta un regard nerveux derrière lui, comme s’il craignait qu’on le surprenne d’un instant à l’autre -Ce qui était certainement le cas.
   -Bon, j’te préviens une dernière fois, mon gars, tu t’écartes bien gentiment ou tu vas goûter de mon surin, reprit l’assassin en agitant son arme.
   -Et bien approchez, j’ai une faim de loup.
   Le malandrin le fixa en reculant d’un pas, comme si Roy l’avait frappé avec ses paroles. Puis il sembla reprendre courage, réalisant qu’il était face à un infirme, borgne de surcroît.
   -Tu me laisses pas le choix, matois. On se reverra là haut.
   L’homme se jeta sur Roy en éructant. L’esprit extraordinairement clair, ce dernier saisit l’agresseur au cou et écarta sa lame avec son avant-bras. Son pouce s’enfonça dans la carotide, et il raffermit l’étau d’acier qu’était devenu son poing. L’ivrogne gesticula en vain, ses yeux s’exorbitant au fur et à mesure qu’il s’étouffait. Sa résistance se fit de plus en plus faible, puis il cessa de bouger. Il s’écroula au sol lorsque Roy relâcha sa prise.
   Roy resta debout sans bouger pendant un long moment. Durant toute son existence, il avait fauché des vies, mécaniquement, sans s’en soucier, sans leur accorder d’importance, tout cela au nom de la gloire d’un fou. Là, il venait de prendre une vie, mais cela avait eu un sens. Il avait protégé quelqu’un. Il contempla sa main.
   -Locke Sanks est mort.
   Ce constat le perturba.
   -Je suis Roy Sanks. Je suis… Je ne suis le chien de personne.
   Il vacilla soudain sur ses jambes, comme frappé de stupeur. Il s’assit précipitamment sur le bord de son lit. Des larmes se mirent à couler le long de ses joues, pendant qu’il se remémorait les sept années passées aux côtés de Link. Il parcourut du doigt les cicatrices qui ravageaient son visage, et il identifia alors le sentiment qu’il avait éprouvé un peu avant : la colère. Sept longues années d’humiliations, de tortures, de dénie de soi se transformaient soudain en une colère ardente, un désir impérieux de vengeance et de justice.
   -Vous êtes éveillé.
   Tarquin Qu’un-Œil pénétra dans la pièce, et enjamba le cadavre sans même lui accorder un regard.
   -Et en forme.
   -Qui lui a fait ça?, demanda Roy en indiquant le lit de Feena du menton.
   -Exelo. Le doyen du Consortium.
   -Je vois. Où est Link?
   Tarquin observa Roy un court instant, mais ne fit aucun commentaire.
   -Quelque part sur la plaine, j’imagine. Il s’est enfui de sa cellule du donjon grâce à l’aide de la Princesse, et certainement celles d’autres nobles. Goro Dodongo a assassiné le roi Salomon, et la moitié du sang bleu d’Hyrule continue de se répandre sur le marbre de la salle du trône. Le Consortium en a profité pour participer à la… « fête », si j’ose dire. Goro, Mido Mojo, Darunia Dodongo et toute une tripotée de petits seigneurs ont fui la ville pour rejoindre Link, que tout le monde appelle le Faux-Héros, depuis qu’il vous a… et bien, tué, en quelque sorte.
   -Y a-t-il une bonne nouvelle, dans tout cela?, demanda Roy en se frottant l’arrête du nez.
   -Une bonne nouvelle? Et bien… Vous êtes en vie. J’imagine que c’est plutôt réjouissant, comme perspective.
   -Hmf. Oui, j’imagine. Où sommes-nous?
   -Dans l’aile des serviteurs, au château. A vrai dire, je venais vous chercher.
   -Me chercher?
   -Cela même. Dame Laruto m’a fait savoir que vous pourriez être réveillé. Si j’avais quelques réserves à propos de cette assertion, vu l’état critique dans lequel vous étiez -j’ai bien cru vous perdre trois fois lorsque nous vous avons transporté ici après le tournoi-, je n’en ai maintenant plus aucune. Si vous voulez bien me suivre…
   -Comment va-t-elle? Je veux dire, dame Laruto…
   -Bien. Oui, bien, j’imagine. La Couronne lui doit beaucoup. Après tout, elle vous a arraché des griffes de la mort, et a sauvé pas mal de nos chers nobliaux.
   -Elle m’a sauvé?
   -Ho ça oui, je la vois encore, passant de longues heures à votre chevet, récitant sans cesser un seul instant des incantations. A vous observer, le traitement semble plutôt efficace. Bon, allons-y.
   Roy se leva, et fit mine de suivre le Sheikah.
   -J’aimerais que vous postiez un garde. Cet homme, il venait pour elle.
   Tarquin haussa le sourcil.
   -Tiens donc. Voilà qui est curieux. Je pensez que vous étiez la cible.
   Les deux hommes échangèrent un regard.
   -Oui, vraiment curieux.
   Ce qui restait de la haute noblesse Hylienne était réunie dans la salle du trône, où les traces encore visibles du combat récent ne cessaient de rappeler l’état critique dans lequel était plongé Hyrule. Lord Dumor, Lord Dorf, Lady Ruto, Lord Darunia, ser Allister et les conseillers Fado et Laruto faisaient face au trône où le trop jeune Daphnès Nohansen Hyrule Ier était assis. Il n’avait pas l’air de comprendre ce qu’on attendait de lui, et il fixaient des regards de bête traquée et blessée un peu partout, malgré la main apaisante que ser Mikau posait sur son épaule.
   -Mais regardez le!, tempêtait Lord Dumor. Il est terrorisé! Il ne sait même pas où il se trouve! Vous l’avez assis à l’endroit même où le sang de son père l’a éclaboussé, Mikau. Qu’est-ce que vous attendez, au nom des Trois?
   -Messire, je vous en prie, nous devons garder notre calme, tenta de l’apaiser ser Mikau. Cela ne servira à rien de nous emporter.
   -Il a raison, mon frère, intervint Lady Ruto de sa voix chagrinée. Tu ne peux pas demander tant à un enfant.
   -Très bien, dans ce cas, qu’est-ce que vous proposez?
   -Un régent!, explosa Lord Dorf en agitant sa main mutilée. Il nous faut élire un régent. Pour le bien du royaume.
   -Un régent, ricana Dumor. Et qui ce sera? Vous, peut-être?
   -Et bien, pourquoi pas?, rétorqua le seigneur Gérudo en plissant les yeux. Vous avez une réserve à émettre, cher Lutin?
   -Une réserve! Par les Déesses, ha ça non! Il est certain que je n’aurais aucune objection à laisser un corniaud incapable de jouer aux échec régner sur tout le Royaume!
   -Comment?!
   -Mes seigneurs! Cessez. Cela n’est vraiment pas le moment. N’y a-t-il donc pas déjà assez eu de morts et de blessés?
   Le bon sens de ser Mikau ramena les deux belligérants au calme. Lord Darunia, d’ordinaire prompt à s’exprimer, ne pipait mot. Il semblait terriblement abattu,  et se tenait en retrait des débats.
   -Même si cela me peine, déclara Dame Laruto de sa douce voix, il apparaît évident que le prince ne peut gouverner, surtout en cette période de crise. Il faut envisager d’assoir une nouvelle lignée sur le trône d’Hyrule.
   -Seul un membre de la famille royale peut prétendre à gouverner Hyrule. Tenez le vous pour dit, divinatrice.
   Tarquin Qu’un-Œil jaillit de derrière le trône, la mine mauvaise.
   -Vos paroles pourraient passer pour de la félonie.
   -Loin de moi cette idée, messire, s’inclina la magicienne. Je ne faisais que réfléchir à haute voix.
   -Dans ce cas, je vous prie de garder vos réflexions pour vous.
   -Et que préconisez-vous, ô grand et puissant Tarquin?, ironisa Dumor avec un geste fataliste.
   -Il n’y a rien à préconiser, Lutin. Noah restera sur le trône et gouvernera Hyrule. Il boutera le Consortium hors de notre belle Cité, et marchera sur le Faux-Héros, récupérera sa sœur et la Lame Purificatrice.
   Lord Dumor ne put s’empêcher d’applaudir face à cette déclaration.
   -Vraiment, un plan magnifique. Me voilà parfaitement rassuré. C’est vrai, après tout, pourquoi s’embêterait-on à chercher un général charismatique, un homme à poigne apte à gérer un royaume en temps de guerre, alors qu’un bambin chialeur peut parfaitement remplir ce rôle?
   Le maître du Sheikah esquissa un sourire mauvais.
   -Parce que cet homme, Lutin, nous l’avons déjà.
   Roy, qui était resté dans l’ombre de la Petite Galerie, derrière le trône, s’approcha lentement. Il vint se placer à côté de Tarquin, et regarda toutes les personnes présentes dans les yeux, une par une. Dans tous ces regards, il lut de la surprise, parfois de l’espoir, dans les yeux de ser Allister il vit brûler une ardeur nouvelle, dans ceux de dame Laruto quelque chose qu’il ne connaissait pas.
   -Mais… Mais, il est mort, balbutia stupidement Lord Dumor.
   -Et bien il n’était peut-être pas si mort que ça, finalement, ricana Tarquin.
   Roy descendit les marches du trône et se tourna vers le Prince. Ce dernier semblait plus que jamais perdu. Il n’avait pas l’air de savoir s’il devait se réjouir du retour de son héros, ou s’il devait être horrifié de voir un mort marcher parmi les vivants.
   Roy tira son épée, et mit un genoux en terre, la pointe de sa lame sur le sol.
   -Mon Prince! Peu avant que la reine votre mère ne nous quitte, elle m’avait demandé de devenir votre bouclier lige. J’ai refusé. Les choses ont maintenant bien changé. C’est une période sombre et difficile qui s’annonce. S’il n’est pas trop tard, j’aimerais honorer la requête formulée par la reine, et brandir votre étendard à la bataille. Moi, Roy Sanks, mets mon épée à votre entier service.
   Un silence médusé suivit cette déclaration. Tarquin affichait le sourire ravi d’un homme observant son plan se dérouler sans anicroche.
   -C’est avec une joie ineffable que sa Majesté accepte votre généreuse offre, ser Roy.
   -Dans ce cas, s’écria Lord Dorf en tirant sa propre épée, ce sera une joie de combattre pour vous, votre Majesté!
   Et, l’un après l’autre, les seigneurs d’Hyrule jurèrent allégeance au nouveau souverain. Lord Dumor, qui s’avança en dernier, ne put s’empêcher d’ajouter :
   -J’espère que vous savez ce que vous faites, Tarquin.
   -J’essaie de sauver ce qu’il reste à sauver. Vous devriez essayer de faire de même, Lutin.
   Roy avait toujours vu sa vie comme un chemin tout tracé, sans embûche, fait de joies simples et d’un bonheur tout aussi simple et quotidien. Ce chemin avait rencontré au final quelques obstacles et fait quelques détours, mais maintenant la route était de nouveau droite et dégagée.
   Son objectif était clair : raser le Consortium Aedeptus, et venger la mort de ses parents.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Doutchboune le dimanche 03 juillet 2011, 14:38:57
Oh que j'aime ce retour :niais: j'en suis pas totalement surprise, même si j'avais préféré ne pas y croire (une vieille habitude, je préfère les bonnes surprises que les déceptions^^).

Reste que, je me pose des questions sur les origines de Roy (enfin, tu laisses trainer des tas de petits trucs qui amènent à ça en même temps, fourbe que tu es :p ). Et cette aura charismatique de Link, elle me rappelle un autre personnage, je dois avouer. Dans Berserk^^ Mais je ne sais pas si tu l'as lu ou pas, alors pour le moment, je n'en dirai pas plus.

En tout cas, chapeau, c'est encore bien chouette.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Nehëmah le lundi 11 juillet 2011, 21:42:16
Salut là-dedans, say mwa :niak:

Alors, ça fait un sacré bail que j'suis venu ici, je crois que la dernière chose que j'ai commentée, c'était du Argoth, c'est pour dire... J'ai du retard sur absolument tout, mais ta galerie est une de celles qui m'intéressait le plus et pour cause : la profusion de tes écrits, leurs qualités propres, et leurs liens plus ou moins explicites. D'ailleurs, j'aurais une question : n'y a-t-il réellement aucun lien entre Monarque et Samyël ? J'espère sincèrement qu'il y en a, même des ténus, car je trouve que ce serait dommage de créer deux univers différents alors que tu peux en développer un de manière plus exhaustive. Surtout que le personnage de Monarque himself et celui de Samyël se ressemblent pas mal, en fait.

Bref, à cause de la participation à Monarque, je n'ai pu résister à la tentation de lire ce texte, quelques années après son commencement. C'est en le lisant que je trouve à la fois le jeu et le texte original de plus en plus profonds, leur relation est complexe, cohérente, et fourmille de détails savoureux. A dire vrai, j'avais une page ouverte pour ton texte et une page ouverte sur le jeu, histoire de voir les cartes, les noms, ce genre de choses, et il y a bon nombre de points qui ont retenu mon attention. J'attends d'ailleurs de voir les membres de Tempête du Chaos ressurgirent désormais dans le jeu Monarque v.v ... Bref, je crois que je pourrais te poser un millier de questions sur les relations entre le jeu et le texte initial, mais je crois que je ne resterais que sur une seule interrogation : est-ce que le jeu aura des influences sur tes futurs écrits ? Par exemple, relateras-tu, même de manière lointaine, nos exploits, nos bides et nos réflexions ? Je trouve en tout cas que ce procédé entre texte et jeu est réellement intéressant, c'est une manière très intéressante d'approfondir son propre univers.

Pour la suite, je parlerais plus principalement des qualités et défauts inhérents à Monarque. De ce que j'ai compris, d'abord ce n'est pas fini, et j'imagine que certaines remarques auront leurs réponses plus tardivement. Je remarque par les défauts histoire de :niak: ...

Tout d'abord, la gestion des personnages est bonne mais je regrette vraiment un truc : à mon avis, Liz est un personnage totalement occulté. On a l'impression qu'elle devient strictement inutile si ce n'est la putain de Monarque lorsqu'il est en manque. Toutefois, c'est un personnage qui tue littéralement Pâlot, un mec osef au début, et qui aurait pu tuer Monarque si Tapinois n'avait pas été présent. Bref, je trouve le perso carrément sous-exploité et c'est franchement le défaut qui m'a sauté aux yeux. Pourquoi dans la partie 3, dans la prison, elle n'apparaît pas, alors que c'est le moment où elle aurait été cruciale ? Perdu dans ses ténèbres intérieures, Monarque n'aurait eu qu'un seul contact : Liz. Ce personnage assez anecdotique jusque-là aurait pu prendre de l'épaisseur. C'est d'autant plus étrange que le personnage a de l'importance dès le premier chapitre et le chapitre qui la fait réellement naître est somptueux. Il y a quelques personnages comme ça qui ne prennent jamais trop de consistance, en général les femmes, qui sont de vrais combles (Rose entre autres). Bref, je trouve que certains de tes personnages manquent de consistance, peut-être car il y en a trop et qu'il y a des moments où il faut faire des choix, et je trouve qu'un personnage qui traverse le récit très rapidement et finit par crever deux chapitres plus loin, c'est juste un manque d'inspiration flagrant.

L'autre point qui m'a ennuyé, c'est le style. Pas forcément tout le style, car il y a de très bons points. Mais c'est un peu le contraste entre un style un peu pompeux style médiévaloclassique et d'un coup le style super vulgaire. Je sais que c'est dans l'esprit dark fantasy tout ça, mais ça m'a n peu gêné surtout que c'était un style finalement très contemporain, comme si Monarque avait vécu à notre époque. Ca jure avec les dialogues par moment, y a comme un décalage que je trouve assez gênant. En fait, c'est parfois juste les insultes qui sont mal choisies, car elles sonnent trop "de nos jours" alors qu'on se retrouve parfois avec des "Messire Monarque" d'un autre âge.

Pour rester du côté du style, oui, il y en a. Le cynisme de Monarque est réellement corrosif et m'a arraché des rires à plusieurs reprises. Le personnage est d'ailleurs très très intéressant, haut en couleur, et comme j'ai déjà dit, très proche de Samyël du souvenir que j'en ai (peut-être à cause de la couleur des cheveux). Il évolue au fil du temps, et ses choix influent sur le rendu du texte. J'explique : le passage du passé au présent par exemple, qui est un non-sens total mais assumé par le personnage lui-même. Je suis friand de ce genre de procédés ou le style devient l'histoire, je trouve que ça enrichit à la fois l'un et l'autre. En tout cas on souhaite en savoir encore plus, surtout que l'histoire est a priori loin d'être finie, on doit encore en savoir davantage, ne serait-ce que son nom et son passé qui paraît trouble (notamment l'épisode où il a tué ses potes avant de devenir roi d'Aethor si j'ai bien compris).

Les personnages secondaires ne sont généralement pas en reste, bien qu'on aimerait en savoir un peu plus. Ils sont surtout gênés par leur nombre, et lorsqu'un d'entre eux décède c'est souvent "osef". Je suis plus friand des personnages qui ont des apparitions bien soignées comme Ombre de Mort (en plus ce salaud nous en veut dans Monarch v.v ). Et j'aimerais aussi en connaître davantage sur les différents territoires et factions, on parle de Léofoyer très anecdotiquement, de quelques territoires de Soufflété, de certains personnages de l'Empire du Centre (ça me fait bizarre d'y voir ce Bras-de-Fer d'ailleurs), de la (Nouvelle-Wellmarch), de l'Empire Zan'Harien, mais il n'est quasiment jamais mention de Havrefeu si ce n'est à travers la mention à une reprise d'un Sangredragon. Est-ce que c'est faction était faible, effacée ? Le Conclave attire aussi ma curiosité.

Bref, j'suis un peu fatigué ce soir, je m'arrêterais donc là en tout cas j'espère que tu apporteras quelques réponses à mes questions. En attendant, je me ferais certainement les Triangle prochainement, ça m'a plu de revenir te lire, je note de gros progrès depuis tes débuts par ailleurs. D'ailleurs, ton histoire sur Samyël arrive bientôt à la fin ? Car je préfère lire une histoire terminée :niak: ...
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le dimanche 07 août 2011, 18:58:20
Je suis désolé mais suite à un bug avec le passage à la version 7.5 du fofo mes réponses à vos commentaires ont été supprimées. :(


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Monarque
-Les Carnets du Mercenaire-


I/ Le Lancaster

1.

   Lorsque l’on passe son temps à barouder sur les routes, pour voler d’un massacre à un autre (ou d’une déculottée à une autre, au choix), l’on se rend compte qu’il existe des choses en ce bas monde régies par des lois universelles et immuables, qui s’avéreront véridiques quelque soit la région dans laquelle vous vous trouvez. C’est le cas avec les auberges et les tavernes miteuses.
   L’un dans l’autre ça a un petit côté rassurant. C’est un peu comme des repères pour le voyageur de l’extrême. Il sait que, où qu’il aille, quelque soit la campagne pourrie qu’il parcourt, loin de toute cité un peu civilisée, il trouvera une salle commune enfumée par les pipes des vieux habitués, des tables crasseuses tâchées par des trucs un peu louches, des chaises à moitié mangées par les thermites, des paillasses miteuses dévorées partiellement par la vermine à poil ou infestées par la vermine chitineuse. Ledit voyageur trouvera en sus pour se restaurer du porridge froid ou de la bouilli d’avoine si épaisse qu’il aura mal au fondement lorsqu’il voudra s’en débarrasser, et de la pisse d’âne tellement insipide qu’il préférera peut-être s’essayer à la gnôle locale (Auquel cas notre voyageur passera dans la catégorie aventurier de l’extrême.).
   La nôtre d’auberge, était exactement comme ça. Enfin, j’ai oublié de préciser que le voyageur rencontrera toujours l’hostilité débile des gens du coin, car en tant qu’étranger il paraîtra louche et porteur d’ennuis, ce qui lui vaudra des jurons masqués, des regards obliques et des tarifs préférentiels généreusement appliqués par le brave tenancier. A noter que le voyageur paiera la somme demandée sans faire d’histoire. En effet, il est souvent plus sage de se faire plumer que de se faire tabasser à mort pour un peu d’argent.
   Si tout ceci peut paraître un peu barbare pour le citadin n’ayant jamais connu les joies du baroudage, il faut dire que c’est peut-être un peu justifié. Si si, je vous vois déjà monter sur vos grands chevaux, mais c’est la vérité. Vous vous rappelez que je parlais un peu plus haut de cette catégorie particulière de voyageur, les aventuriers? Et bien ces gens, croyez-en mon expérience, sont des gens absolument affreux. Ils débarquent souvent en groupe à des heures indues, plus armés qu’une milice royale, affichent souvent des mines patibulaires, gueulent fort et ont une tendance prononcée à réduire le mobilier à sa plus simple expression après avoir déclenché une bonne vieille rixe sanglante pour punir un paysan bouseux du regard un peu torve qu’il aura balancé au copain.
   On peut donc comprendre les taverniers et les aubergistes pour leurs pratiques douteuses et peu morales quant à leurs tarifs. Après tout, pourquoi s’ennuyer à garder des tables propres et des chaises à peu près solides quand on sait qu’à tout moment des étrangers peuvent débarquer et tout détruire avant de s’enfuir (si tant est qu’ils n’y mettent pas le feu en prime)? C’est une simple question de bon sens.
   Bon, hélas pour nous, nous faisons partie de la catégorie des aventuriers.
   C’est peut-être pour ça qu’alors que nous ne faisions rien d’autre que de déguster une bonne pinte de mousseuse (si vous avez suivi, vous aurez noté l’ironie mordante) en parlant affaires, quand la minute d’après un pauvre bige était étalé par terre et se tenait le ventre d’où ses tripes sortaient pour se répandre alentour. Il faut préciser qu’il avait énervé Tapinois, et Tapinois quand on l’énerve il a une certaine facilité de caractère à jouer du surin. Un surin dentelé et affreusement affûté, faut-il préciser.
   Ca fait parfois tout un tas d’histoires, parce qu’en général les villageois n’aiment pas trop qu’on assassine l’un des leurs sous leur propre toit. C’est d’autant plus vrai quand les meurtriers sont saouls comme des barriques et qu’ils rigolent à la vue du sang qui se répand et à l’écoute des suppliques de l’agonisant.
   C’est pourquoi assez vite je me suis retrouvé avec une épée pointée sur ma gorge, tandis que je pointais la mienne sur celle d’un inconnu rougeaud, pendant que Gratos pointait sa rapière sur les bourses d’un autre bige, que lui-même était menacé par un coutelas de boucher, tenu par un type louche qui lui aussi se trouvait tenu en fâcheuse posture par les dagues que Tapinois gardait plaquées contre le creux de ses genoux.
   Bon, il serait peut-être plus simple de commencer par le commencement.



2.


   Je m’appelle Monarque, et ceci est  ce qu’on pourrait appeler mon journal de bord, journal de route, carnet intime ou appelez ça comme vous le voulez.
   Monarque, c’est pas mon vrai nom. C’est un pseudonyme, parce que mon vrai nom, on me l’a volé. C’est un peu compliqué, alors j’y reviendrai plus tard. Et puis j’aime pas trop déballer ma vie comme ça devant des inconnus. Je préfère attendre qu’on se connaisse un peu plus, vous et moi. J’ai fait pas mal de chose dans ma vie, et présentement, du haut de mes trente ans presque révolus, je suis mercenaire dans une compagnie franche. Et pas n’importe laquelle, s’il vous plaît! La 6e Compagnie de l’Epée, rien que ça.
   Mais je préfère vous prévenir, j’ai pas choisi.
   Pour expliquer rapidement les choses, détenir le vrai nom d’une personne vous donne tout pouvoir sur elle. Donc si vous avez suivi, ça veut dire que je suis aux ordres du type qui m’a volé mon nom. Il s’appelle Jess Falkorn, surnommé « capitaine » (avec un petit « c », rapport à son engin), alors qu‘en fait il est lieutenant. Pour vous dresser le tableau le plus flatteur que je puisse en faire, je dirai que c’est un jeune con péteux et arrogant qui me doit tout. Et je suis gentil.
   C’est donc grâce à lui si depuis cinq ans je passe ma vie à courir le monde dans un sens puis dans l’autre, que je risque ma vie dans des missions suicide ou autre connerie du genre. Officiellement je suis le Porte-Etendard, ce qui me donne le grade de sergent au sein de la compagnie. Officieusement, je suis le leader de Tempête du Chaos, un petit groupuscule commando secret composé de la fine fleur du mercenariat (Les violeurs, les voleurs, les tueurs, les bouchers, les fous et les cul-de-jatte qui ont préféré tenter leur chance dans le mercenariat plutôt que de finir sans tête ou la corde au cou). Nous formons un groupe sacrifiable, car sans valeur stratégique, mais nos talents divers et pour le moins éclectiques restent utiles pour des missions douteuses, à faible taux de réussite et que personne d’autre ne veut faire.
   A vrai dire, j’ai pas plus envie qu’un autre de les faire moi non plus, mais je suis obligé. Donc c’est moi et ma fine équipe qui nous coltinons les raids suicide dans la nuit, les embuscades à un contre dix, les assassinats, les missions de reconnaissance en terrain difficile, les opérations en sous-main dans les campagnes locales… Et détrompez-vous, ça nous épargne pas les batailles rangées avec le reste de la piétaille. En fait, on est même souvent en première ligne, puisque c’est moi qui suis chargé de me trimballer le fichu étendard, un machin de deux mètres cinquante, qui pèse au moins vingt kilo et qui fait de moi une cible privilégiée et foutrement tentante.
   Je suis bien d’accord avec vous, c’est une vie de con, mais bon, comme dirait mon paternel, on choisit pas son destin, on le subit. Mine de rien, on s’y habitue. Au début c’était dur, j’ai failli perdre un bras une fois, et un type a failli m’arracher les yeux à mains nues si Tapinois l’avait pas suriné avant. Mais à force, à côtoyer la mort chaque jour, on s’endurcit, et aussi fou que ça puisse paraître, on en vient presque à rechercher le frisson que confère l’aventure et l’adrénaline hurlante qui gicle dans vos veines au cœur d’une mêlée ou pendant que vous vous infiltrez dans un château pour aller supprimer le seigneur ennemi.
   C’est par pour autant que j’apprécie ma condition, remarquez. Les compagnies franches sont une plaie purulente pour le monde, des rassemblements de raclures sans honneur qui vendent leurs âmes et leurs lames aux plus offrants. Tuer des enfants, violer des femmes, brûler vif des pauvres biges armés de fourches qui faisaient rien d’autre que défendre leurs terres, c’est du bonus pour eux. Les mercenaires c’est des gens simples dans le fond, donc ils apprécient ce genre de plaisirs tout aussi simples.
   A la réflexion, si je les déteste autant, c’est peut-être parce qu’à force de les côtoyer je deviens comme eux.
   Au début, j’étais encore pétri de principes, de valeurs, d’honneur un peu aussi. Maintenant, je ne rechigne même plus à user de la torture ou à tuer le premier péquenot qui viendrait me chercher des noises. Et c’est malheureux, ouais.
   Une des rares qualités que je peux trouver au capitaine, c’est que sa compagnie fait partie des moins pires. Il attend de ses hommes de la discipline et de la respectabilité (du moins le plus qu’ils peuvent en fournir), alors les populations civiles dont on rase les villages et brûle les champs sont relativement épargnées. Mais ne vous faites pas avoir, Falkorn se fout comme d’une guigne de ce qui peut bien arriver à ces culs-terreux, tout ce qui lui importe c’est son image. C’est que le bonhomme à de l’ambition, et qu’il ne compte pas rester toute sa vie à la tête d’un groupe de mercenaires.
   Il a bien l’intention de se faire sa place au soleil dans la noblesse de Féraldia, et il en a encore tout le temps, du haut de ses vingt-deux printemps. Il en a le moyen, en plus, puisqu’il possède une arme dévastatrice : moi.
   Ca peut paraître prétentieux mais, hé, je suis pas n’importe qui. Comme je l’ai dit, j’ai pas toujours été un mercenaire. Je suis avant tout un mage, et pas un illusionniste de foire ou un herboriste pseudo-mystique. Non, moi je joue plutôt dans la catégorie mage de guerre, spécialisation destruction massive et option annihilation biologique. Héhé. Bref, tout ça pour dire que Falkorn a un sacré avantage avec moi, un as dans sa manche, bien caché et protégé. S’il m’envoie faire ses basses besognes, c’est parce qu’il sait que j’ai une forte propension à la survie et les moyens pour me l’assurer. Et puis ça l’arrange que je sois souvent ailleurs que dans ses pattes, parce qu’il doit sentir ma haine pour lui irradier par vagues. Et puis les gens pourraient commencer à poser des questions, faire des rapprochements, et ça ce serait pas bon. Pour lui, comme pour moi.
   Le capitaine m’utilisera jusqu’à ce qu’il soit parvenu à ses fins, et même à ce moment là je suis certain qu’il me gardera comme valet de pied. C’est pas pour rien si deux mois après m’avoir volé mon nom il était catapulté lieutenant de l’une des plus prestigieuses compagnies franches. (Prestigieuse en termes de massacres, violence et efficacité militaire, j’entends.) L’Aiglon Ascendant, comme on l’appelle maintenant. Tu parles! La seule chose pour laquelle il est bon c’est séduire des putes avec son minois et manier ses deux rapières avec une certaine habileté. (Bon d’accord, une certaine et véritable habileté.)
   Tout ça nous ramène donc à l’instant présent. Pourquoi est-ce que j’écris tout ce baratin? Et bien j’en sais rien moi-même. Peut-être qu’à force de trouver des journaux de mecs morts depuis des lustres dans les tombeaux et caveaux qu’on pille, ça m’a donné l’idée. Je suis pas vraiment le genre sentimental qui a besoin de raconter tous ses malheurs au premier type qui passe. Peut-être que la vraie raison, c’est que j’ai peur.
   Depuis que mon nom m’a été volé, j’ai l’impression que mes souvenirs disparaissent petit à petit. Et j’ai l’impression que ma magie fout le camp aussi. C’est comme si… Comme si je disparaissais. Comme si ce que je suis devenu prenait le pas sur ce que je suis réellement et ce que j’ai été. Et c’est diablement terrifiant. Alors peut-être que si j’écris tout ça, ça va m’aider à me souvenir. Ca me rendra pas mon nom, mais ça j’ai plus ou moins arrêté d’y songer depuis quelques temps. A force, on se résigne.
   Au pire, avec de la chance un historien tombera dessus et l’Histoire se souviendra de moi.
   Voici donc les Carnets de Monarque.



3.

   
     Vous vous rappelez qu’au tout début de ces Carnets je vous parlais de ces choses immuables et universelles, du genre qui change pas où qu’on soit? Et bien c’est pas tout à fait vrai. Le Lancaster a cette particularité qu’il remet en cause toute vos certitudes.
   Comment expliquer ce qu’est le Lancaster? C’est un vaste sujet. Imaginez une plaine, une très, très grande plaine, qui fait passer les Contrées de l’Eté pour un bac à sable. Vous y êtes? Maintenant vous remplacez les bosquets verts touffus par des arbres rabougris et à moitié mort, la belle herbe mouchetée de fleurs sauvages par un tapis de brindilles jaunâtres, grises ou noires, complètement sec, et enfin les ruisseaux gazouillant joyeusement par des filets de liquide saumâtre et louche. Ha, et pour la faune, vous changez les aigles, les faucons, les éperviers par des vautours nains, des vautours albinos et des vautours à tête piquetée, les cervidés et les lapins par des pumas sauvages de deux mètres d’envergure et des vers fouisseurs de quarante centimètres qui vous bouffent les jambes par en dessous.
   Voilà grosso modo le Lancaster. On l’appelle pas Provinces Sauvages du Lancaster pour rien, après tout. Et sachez que cette triste lande est habitée. Ouaip. Habitée. Si vous avez le courage ou la démence (au choix) de voyager dans le Lancaster, vous croiserez des villages, des hameaux, faits de torchis et de chaume, parfois de bois si on est pas trop loin de Féraldia, parfois une ville ou une cité dont l’absurdité architecturale ne vous laissera pas de marbre, et enfin vous trouverez des forteresses et des châteaux à moitié en ruines qui vous glaceront les sangs rien qu’à les regarder. Le Lancaster, c’est un peu une joie de tous les instants.
   Parce que figurez vous en plus que si c’était pas déjà assez, la région est constamment sujette à des guerres civiles ou des règlements de compte claniques. Ici les seigneurs de guerre et les chefs tribaux font la loi (leur loi), bataillant sans cesse pour des lopins de terre que même un Kalishite rechignerait à payer un demi sou ou pour réparer une insulte imaginaire. Et au milieu, la population civile fait de son mieux pour vivre en essayant de pas crever de faim, ce qui ce fait chaque jour un peu plus dur.
   Le Lancaster n’a pas toujours été comme ça. Il y a quelques siècles, c’était une contrée prospère qui apprenait ses leçons au tout Féraldia, niveau militaire. Même les Sangredragon, à l’apogée de leur puissance, n’ont pas osé franchir la frontière pour porter leur guerre de conquête là-bas. Mais les vieilles rancœurs ont la vie dure, et les seigneurs du Lancaster finirent pas se déclarer une guerre ouverte tellement confuse qu’à la fin personne ne savait plus qui était ses alliés et qui étaient ses ennemis, si bien que ça se mettait sur la tronche à vue, et que ça discutait après, quand le vis-à-vis gisait raide mort dans son sang. Les champs ont tellement été incendiés que d’immenses parcelles de bonnes terres agricoles sont devenues totalement infertiles, et les cours d’eau ont tellement été empoisonnés délibérément que c’est de la folie de boire de l’eau qui n’a pas été traitée avant.
   Comme si ça ne suffisait pas, les plus riches de ces seigneurs guerriers ont eu la bonne idée de se payer des mages. Et ça c’est jamais une bonne idée. Je parle en connaissance de cause. Imaginez : un terrain de jeu immense, des centaines de mille d’âme à génocider, et en plus on vous paye pour ça! La pire engeance de la magie a rappliqué ventre à terre, des sorciers noirs, des alchimistes peu scrupuleux, des nécromants, des mages répudiés du Conclave ou en cavale… Et tout ce beau monde a tellement bien fait son boulot qu’à la fin, quand la poussière s’est tassée sur le sol, que les feux se sont éteints, que la pluie est redevenue de l’eau et non plus du sang, et bien du Lancaster il ne restait plus grand-chose, hormis des landes gastes et ruinées, des cratères, des populations complètes errant, hagardes, dans les décombres de ce qui avaient été des cités prospères et fières.
   Loin de calmer le jeu, cette accalmie a allumé un feu encore plus grave, et les armées de métier, décimées, ont été remplacées par des hordes de paysans en colère qui se sont éviscérés au nom de seigneurs morts depuis longtemps. Les sorciers, eux, ont assassinés leurs employeurs crédules et se sont barricadés dans les forteresses, les tours et les manoirs, pour expérimenter leurs saloperies en paix. Au final, les seigneurs de guerre ont émergé, ont calmé tout le monde à grands coups d’épée dans la tronche, et depuis la situation est calme, à défaut d’autre chose. Même s’il ne reste plus grand-chose à manger, même si la sécheresse devient chaque année plus importante, même si on ne peut presque plus rien y faire pousser, et même si le déchainement de magie qui a irradié le Lancaster pendant plusieurs années a fait apparaître des phénomènes bizarres, voire carrément terrifiants. (Un conseil : ne vous baladez pas seul la nuit en plein campagne.)
   Et voilà, je vous ai fait un cours d’Histoire, juste pour dire qu’ici, dans le Lancaster, bah rien n’est certain. C’est un endroit vraiment étrange, glauque, pas fait pour les honnêtes gens. Et après cinq mois passés à manger de la caillasse et de la poussière sur ses routes inexistantes, je commence doucement à en avoir marre. Heureusement que nos affaires ici sont enfin finies, et qu’on va bientôt pouvoir se tirer, et partir vers l’Ouest, vers Féraldia et les contrées civilisées. Ce que je donnerais pas pour un bon rôti et une bière qui mérite ce nom.

4.

   Après ce bel exposé vous devez légitimement vous demander ce qu’on pouvait bien foutre dans un endroit aussi peu sympathique. La réponse est toute simple : on était payé pour ça.
   En général les seigneurs de guerre restent entre eux, parce que c’est plus sympa de taper sur des gens qu’on connaît bien, mais il arrive parfois qu’un d’entre eux, un peu plus intelligent que la moyenne, se mette martèle en tête d’aller, pourquoi pas, piller les terres frontalières, fertiles et riches, de Féraldia. C’est  ce qui était passé dans l’esprit du seigneur Jihag von Brömstark, connu sous le sobriquet de « le Tenace ». Le brave Jihag avait donc envahi une bonne tranche de Féraldia, osant pousser ses troupes de pilleurs jusqu’aux abords de la Sinueuse. Ce qui n’avait bien sûr pas du tout plu à Tercedames et sa trinité de dirigeantes. Malheureusement, ou heureusement pour nous (ou bien est-ce le contraire?…), les éternelles escarmouches entre Tercedames et les bannerets des Anderly de Souffleté étaient particulièrement violentes à ce moment là, ce qui poussa  Jade Castillion à puiser dans ses fonds pour s’offrir les services de la 6e Compagnie de l’Epée, et celles de la 7e Compagnie de l’Epée (Tant qu’à faire, puisqu‘elle passait par là).
   Donc nous voilà à trancher dans du guerrier poilu et beuglant depuis cinq longs mois, à trainer nos bottes sur des champs de poussière et à manger du sable. Les Lancastriens crient fort, mais honnêtement ils restent des sauvages. Armés de misère, à peine protégés par leurs armures en cuir, en tissu voir sans armure du tout, montés sur des chevaux dont on peut distinguer les côtes à cent mètres. Les murailles érigées depuis la chute du Lancaster auraient aussi bien pu être faites en parchemin. Ils n’ont aucune notion de discipline ou de stratégie, et seule l’aptitude du chef à tuer ses opposants directs maintient leur cohésion.
   Enfin bon, tout aurait très bien pu se passer, après tout on était là, peinards, à attendre que ces salopards nous chargent en beuglant des insanités pour les faucher à coups de flèche sans se salir, quand soudain on s’est retrouvé à assiéger une forteresse dont les remparts devaient bien monter à quinze mètre de hauteur. C’était un peu surréaliste, de voir une citadelle presque neuve, bien construite, avec de la bonne pierre et bien entretenue, alors qu’autour tout n’était que désolation, gris et misère.
   Ca faisait désordre, et le capitaine il aime pas trop le désordre. Alors il nous a envoyé, moi et mon équipe, tendre une embuscade près d’une poterne dans la muraille Nord. On a choppé une estafette et on l’a un peu travaillé au corps (en toute amitié, bien sûr) avant de tailler le bout de gras. Il en est ressorti que ce machin énorme s’appelait Kaer’Jihag et était un « cadeau » d’un allié du Tenace, établi plus à l’est, et qui avait fourni au seigneur de guerre armes, chevaux et troupes fraîches pour aller attaquer Féraldia.
   Après avoir fait goûter les pissenlits locaux (en tout cas, ça y ressemblait un peu) par la racine à l’estafette, on est allé cafter au capitaine. Alors oui, c’était intéressant mais ça ne nous avançait pas beaucoup, parce que construire des échelles de quinze mètres sans disposer de forêts sous les mains, c’était un peu ennuyant, et que de toute façon, une échelle de quinze mètres, le temps d’arriver en haut on pouvait se prendre vingt flèches. Alors il allait falloir attendre qu’on ramène des machines de guerre, du genre catapultes, tours de siège et béliers pour pouvoir passer à l’action.
   Et puis tant qu’à faire, quitte à se tourner les pouces pendant un mois, autant envoyer le bon Monarque fureter à l’est pour en apprendre un peu plus sur ce mystérieux allié.
   Bah voyons.
   
   
5.


   -Bonne nouvelle les gars, ai-je fait en m’approchant de mes troufions après avoir eu une petite entrevue avec le capitaine. On part faire un pique-nique.
   Ils m’ont regardé avec des mines lasses et blasées. C’était compréhensible ; ça faisait un bout qu’on faisait rien d’autre que de se regarder dans le blanc des yeux en bouffant des tubercules. Le Lancaster pouvait difficilement être qualifié de champêtre.
   -Quelle est la mission?, a fait Tapinois en rangeant le couteau qu’il était en train d’affûter.
   Tapinois, c’est le pragmatique de la bande. Bon, c’est plus que ça. Tapinois c’est un peu notre homme à tour faire. C’est mon second aussi. Ca doit bien faire sept ans qu’on parcourt les difficiles chemins de la vie ensemble. Il m’a suivi dans le mercenariat, et je pense que rien de ce que je pourrais faire, ni rien de ce qui pourrait nous arriver ne l’empêchera de me suivre. Tapinois c’est mon ombre, c’est mon armure, mon ange gardien, mon as dans la manche. Peut-être vaut-il mieux que je m’attarde un peu sur lui tout de suite, car je sens qu’il occupera pas mal de place dans ces Carnets.
   Tapinois est quelqu’un d’assez… atypique, pour le moins. Imaginez un nain obèse, dont les trois quart de la face disparaissent sous une broussaille sale de barbe et de cheveux roux… non, oranges plutôt ; laissant entrevoir un nez énorme et épaté, des tâches de véroles et des yeux gris profondément enfoncés dans des orbites surmontés par des sourcils toujours froncés. Maintenant imaginez ce nain et cette sale trogne coincés dans une combinaison de cuir noir plus serrée qu’un fessier de pucelle noble, et sur laquelle on a fixé des dizaines de petits fermoirs en fer forgé où sont soigneusement rangés autant de dagues, couteaux, surins, stylets et autre machins petits, tranchants ou pointus. Vous aurez alors une assez bonne image de ce à quoi ressemble Tapinois.
   Tapinois c’est pas son vrai nom non plus, comme vous l’aurez sans doute compris. Encore un pseudonyme. A la vérité, quand quelqu’un rejoint mon unité, Tempête du Chaos, il reçoit un surnom. Parce qu’on s’en fout de son passé, et que seul le présent compte. En changeant de nom, on oublie plus facilement d’où l’on vient, et ce qu’on a fait. J’en sais quelque chose. Ca peut paraître étrange, mais en fait c’est très logique. Feriez-vous confiance à quelqu’un dont vous savez qu’il a assassiné son propre frère ou violé sa mère? Moi non en tout cas, donc leur passé, je veux pas en entendre parler. Ca marche plutôt bien.
   Pour en revenir à Tapinois, même s’il ne paie pas de mine comme ça, c’est un assassin, un voleur et un espion formidable. Ce type est plus silencieux et patient qu’un chat, il est indétectable lorsqu’il le désire, et parfois on a l’impression qu’il marche à travers les ombres tant il est rapide et efficace. Il manie ses dagues comme personne et il a sut faire de sa taille un avantage en combat rapproché. Imaginez un singe obèse et barbu qui saute partout en vous lacérant avec deux couteaux plus effilés qu’un tranchoir de boucher.
   Même moi j’en fais des cauchemars.
   -On va par là, ai-je répondu en pointant une direction vague avec le doigt. On va aller dormir chez l’habitant, et pourquoi pas parler jardinerie. J’aimerais récolter quelques petites choses.
   Inutile de préciser qu’une bonne moitié de mes homme n’a clairement pas assez de cervelle pour comprendre une métaphore… Ce qui m’empêche pas d’en faire à longueur de temps, parce que j’aime me sentir au dessus de la masse grouillante du commun. Ouais, rien que ça.
   On a sellé nos canassons et on est parti en emportant nos armes  et quelques rations. Douze fiers cavaliers chevauchant de concert sur une vaste plaine battue par les vents, la chaleur et tout un tas d’autres saloperies à ailes ou carapaces.
   Ce que je hais ma vie.
   On a du parcourir une trentaine de kilomètres avant de tomber sur un hameau paumé au milieu de nulle part. Et hameau, je pèse mes mots. Cinq bâtiments plus ou moins grands, en bois, s’entassaient les uns sur les autres de part et d’autre d’un minuscule filet d’eau qui serpentait paresseusement au milieu de la plaine. Comme la nuit tombait, on a décidé de la passer là. Mais quand on eut mis pied à terre, on se rendit assez vite compte que l’endroit était désert. Pas un chat. Certaines portes étaient grandes ouvertes, et l’intérieur des bâtisses puait la poussière et le pourri.
   -Ca commence bien, a ricané Gratos en extirpant de sous un lit un sous-vêtement féminin avec son épée.
   A la réflexion, il faudrait aussi que je parle de Gratos. En règle générale, les gars de mon unité ne survivent pas bien longtemps. Durant les périodes fastes, deux à six mois est déjà un exploit. Comme je l’ai déjà dit, nous, on se tape toutes les missions suicides et autres débilités, en plus de se farcir la première ligne dans les batailles rangées. Souvent, j’ai à peine le temps de faire connaissance avec mes recrues que la mort les fauche sauvagement. Mais Gratos, ça fait déjà un an et demi qu’il est avec nous. Clairement le plus ancien après Tapinois, et moi-même évidemment.
   Gratos, c’est un peu le mercenaire moyen, en plus intelligent. En plus brutal aussi. Il est relativement grand, musclé, chauve comme un caillou et il a un moustache épaisse et bizarre qui, couplée avec son regard borgne et un peu fou, lui confère un air de violeur (Ce  qu’il est peut-être, au demeurant.). Il est fort, le Gratos. Je l’ai déjà vu soulever un bige et le casser en deux sur son genou. Sa violence latente et sauvage (exacerbée par son alcoolisme galopant) et son mauvais caractère sont en partie balancés par son esprit relativement vif et ses bonnes idées lorsqu’il s’agit de faire parler quelqu’un en utilisant des outils. On l’appelle Gratos, parce que si vous avez un problème, il vous le règle tout de suite, sans frais. Satisfait ou satisfait.
   Bon je vous passe la nuit parce qu’il ne s’est rien passé d’intéressant. On a fait un feu et on a passé la soirée à se raconter des blagues en faisant circuler une flasque d’un truc chaud, fort et tellement mauvais que ça ne pouvait qu’être une production paysanne. Ensuite on a dormi comme des souches, et à l’aube on était reparti.
   Quelques heures et quelques dizaines de kilomètres plus loin, on s’est retrouvé dans cette fameuse auberge. Mais si, rappelez vous, celle où j’avais mon épée sur la gorge d’un type, pendant que j’avais celle d’un autre sur ma propre gorge, pendant que Gratos tenait sa rapière sur…


6.

   Non, on est pas tombé tout de suite sur cette auberge. D’abord, on est tombé sur une ferme. Une chouette ferme, avec des clôtures à moitié pourries, une étable affaissée, une écurie cramée et une habitation qui avait jadis connu du verre à ses fenêtres. Un peu de bétail maigrelet essayait de paître en se donnant un air ennuyé de tout, mais forcé à gratter désespérément le sol pour trouver le moindre bout de racine, l’effet perdait un peu de sa force. Des trucs louches aux formes intéressantes poussaient, bien alignés, dans des champs labourés de frais.
   Bref une ferme (du Lancaster).
   Le propriétaire est sorti de sa demeure tandis qu’on avançait nos canassons prudemment, les mains posées sur nos armes, prêts à nous en servir. C’était un vieux édenté à la peau toute fripée et tannée par le soleil. Ce qui ne l’empêchait pas de sourire à tout bout de champ (vous avez saisi? Tout bout de champ, ferme, champ… Héhé.). Il est venu nous accueillir avec des cris de joie dans son baragouin local en écartant grand les bras, comme si on était de la famille.
   On s’est regardé. C’était assez peu commun comme situation. Après tout, quand on voit un groupe d’envahisseurs en approche, normalement on ferme la porte, on y cloue quelques planches pour la forme, et on sort l’arc de pépé ou l’arbalète de tonton. On fonce pas droit sur douze types armés montés sur des destriers. Surtout quand onze de ces types ont une sale gueule et un air patibulaire tatoué sur la face.
   Mais il faut croire que le Lancaster influe même sur ce genre d’évidences. Le fermier m’a attrapé la cheville et m’a fait de grands signes pour qu’on le suive à l’intérieur. On comprenait rien à son baratin, puisqu’il parlait Lancastrien, cependant son message était assez clair. J’ai donné l’ordre à mes hommes de démonter, et j’ai posté deux sentinelles à l’extérieur, tandis que le reste me suivait à l’intérieur du bâtiment, sous les regards placides des bovidés.
   La bâtisse était petite, basse de plafond, chiche à la limite du vétuste. Une table et quatre vestiges de chaise occupaient le centre de la pièce principale, avec un fauteuil en ruine et un placard à vêtement. Deux portes dans le mur du fond s’ouvraient sur un garde manger désert et une chambre minuscule accueillant un lit tout aussi minuscule. On se sentait un peu à l’étroit, tous là dedans. Mais ça ne semblait pas gêner le fermier qui sortit de je ne sais où assez de choppes et de récipients pour nous servir à tous un genre de liqueur incolore.
   Vous avez peut-être remarqué que je ne porte pas les boissons du monde paysan dans le cœur. Et bien cette rancœur sauvage n’est pas totalement infondée. En règle générale, goûter une mixture issue d’un brassage occulte dans la cave humide d’un cul-terreux, c’est s’aventurer dans le bizarre, voire dans le mortel. Le truc qu’on nous avait servi était tellement violent que j’ai cru un moment, pendant que je tendais ma choppe à moitié défoncée, que l’alcool allait ronger mon gobelet comme cette saloperie chimique que les alchimistes de Fëdburg adorent produire. Sans mentir, on avait la tête qui tournait rien qu’à regarder la vapeur s’échapper de la surface.
   Le problème du mercenariat, c’est que personne ne veut passer pour une lopette auprès des copains. Parce que si ça devait arriver, si vous n’arriviez pas à prouver que vous avez la plus grosse, votre vie pourrait devenir pénible. Et boire cul sec un truc louche et fort, ça fait partie des attributs virils primaires. Honnêtement, personne n’était vraiment partant pour avaler ce machin. Ca se zieutait en coin pendant que le vieux finissait de servir tout le monde en babillant comme une vieille chèvre. Le drame est intervenu quand, sa besogne achevée, il a levé son verre et après avoir pontifié sur un point obscur dans sa langue de sauvage, il a avalé le contenu de son gobelet d’un trait.
   Alors bon, comme on est pas des lopettes, on a fait pareil.
   Je pense, sincèrement, que j’étais ivre mort avant même que le rebord de ma choppe touche mes lèvres. Imaginez qu’on vous force à avaler un sillon de lave, et vous aurez à peu près l’image de ce qui s’est passé dans mon gosier quand j’ai avalé. Ce truc était tellement fort et tellement dégueulasse qu’au final ça n’avait pas de goût (Ou bien peut-être que c’était à cause de la fonte instantanée de mes papilles et de ma langue.). J’ai eu l’impression qu’un matois s’était faufilé derrière moi pour m’asséner un coup de masse d’arme sur l’arrière du crâne. J’ai lâché mon gobelet, qui a tinté sur le sol avec un son qui m’a semblé lointain et distordu. Je suis resté prostré sur ma chaise, les yeux rivés sur le plafond sale et lézardé. J’avais la sensation de flotter à quelques centimètres de mon corps.
   A ma gauche, Gratos louchait tellement fort en fronçant les sourcils sur l’ouverture fumante de son gobelet que son visage avait viré au cramoisi et que des veines palpitaient à ses tempes sur son crâne chauve. A ma droite, Tapinois avait une main posée sur le ventre, et il regardait devant lui d’un air rêveur. En face de moi, Stein s’est effondré contre le plateau de la table. Derrière, Guilbert est tombé raide mort. (Littéralement. Son cœur qui a lâché, ou un truc comme ça.)
   Bref, en un mot comme en cent, on était fumé. Saouls. Complètement faits. Ivres morts. En toute franchise, de cet épisode j’en garde peu de souvenir. J’ai un trou de mémoire. Je pense qu’à l’heure actuelle mon corps n’a pas encore totalement éliminé l’alcool de mon sang.
   Ce qui suit sera donc le récit des événements qui se déroulèrent ensuite, tels que je pus les reconstituer grâce aux témoignages des deux personnes qui y survécurent, à savoir Gratos et Tapinois.
   J’aurais quand même du commencer à avoir des doutes quand un truc chaud et liquide m’a éclaboussé le visage, et qu’après avoir porté la main à ma figure, il s’avéra que c’était du sang. Plus précisément le sang de mes hommes, que le vieux était en train d’égorger les uns à la suite des autres. Mon cerveau était trop imbibé pour comprendre ce qui se passait. En tout cas j’ai du trouver ça drôle, d’une façon ou d’une autre, car je me suis mis à rire. Gratos aussi riait, jusqu’à ce que le fermier essaie de lui planter son surin dans la gorge. Et ça Gratos, il aime pas trop, qu‘on essaye de lui planter des trucs dans son anatomie. Il a attrapé le poignet du vieux et l’a brisé sans un effort. Il l’a pas lâché, pendant qu’il cherchait à dégainer son épée de l’autre main, en vain, et que sa proie hurlait de douleur, augmentant d’autant mon hystérie.
   J’ai basculé de ma chaise et je me suis vautré au sol, roulant de rire. Gratos a renoncé à dégainer sa lame, alors il a arraché la moitié de la gueule du vieux à coups de dent. Ca ne devait pas être franchement jolie à voir. En tout cas, peut-être était-ce le goût métallique du sang dans sa bouche, mais il a un peu dessaoulé, juste assez pour comprendre que les trois quart d’entre nous gisaient morts dans leur sang, et que le chef tapait des pieds et des poings par terre comme un gosse en s’étouffant de rire, et que le second contemplait des poneys invisibles sans bouger le moindre poil de barbe.
   Gratos a compris qu’on était tombé dans une embuscade seulement quand on a dépassé les deux sentinelles avachies contre le mur extérieur, une flèche dans le torse chacune. Des tireurs embusqués se sont mis à nous canarder, planqués derrière nos canassons. Gratos m’a tiré à l’intérieur pour échapper au déluge mortel. Il a juré un peu, puis il s’est mis à rire avec moi et il a oublié ce qu’il était en train de faire. Tapinois, lui, a surgi derrière les plaisantins, et il les a plantés proprement, avant de revenir vers nous avec un sourire de gamin.
   D’une façon ou d’une autre, on a sauté sur trois chevaux, et on s’est tiré au galops. (J’ai vomi.)
   Ce qui nous ramène dans cette fameuse auberge.






Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Doutchboune le dimanche 07 août 2011, 19:42:24
Bon ben quelque part, j'ai fait ma fan-gril, je me suis jetée sur cet écrit. Je n'avais pas lu Monarque ni rien d'autre s'y rapportant, donc je découvre cette version 2.0 comme si c'était la première !

Bon premières remarques qui vont être purement de chieuse, vu que j'ai cru déceler quelques petites fautes (mais très peu) et pour une fois, j'ai noté au fur et à mesure !
(Cliquez pour afficher/cacher)


Maintenant, passons à la lecture proprement dite. J'aime beaucoup le style carnet, non seulement pour la première personne, que tu manies très bien, mais aussi pour la manière qu'à le narrateur d'apostropher son lecteur.
Et même si l'histoire n'est pas très avancée, il y a plein de petites graines déci-delà qui donnent envie d'en savoir plus sur l'univers. L'importance des noms, les pouvoirs des magiciens, le contexte géo-politique, et tout un tas de petites choses que l'ont devine en filigrane.

Après cette critique n'est pas vraiment constructive, disons que je n'apporte pas vraiment grand chose à ce niveau, parce qu'au final, je dis surtout que j'aime beaucoup ce récit, et que je suis curieuse de savoir la suite^^ (peut-être vais-je craquer et lire le 1.0 ?)
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le jeudi 18 août 2011, 04:46:49
Même chose :(

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7.



   Le patelin où nous débarquâmes fièrement sur nos canassons était clairement le plus gros que j’avais pu voir dans le Lancaster. On pouvait décemment le qualifier de village. Voire de petite ville. Un vestige édifiant d’une époque révolue. Les rues étaient bien dessinées, les bâtisses plutôt bien entretenues s’élevaient droitement et les villageois vaquaient paisiblement à leurs occupations, en faisant semblant que tout allait bien. (Mais rien ne va bien dans le Lancaster.)
   Je me suis salement vautré en voulant descendre de ma monture. Je me suis écrasé au sol dans un éclat de rire rapidement coupé par l’impact qui souleva un nuage de poussière. Gratos et Tapinois me relevèrent et me traînèrent par les bras jusqu’à l’auberge locale. Nous eûmes droit aux habituels regards torves et aux mines suspicieuses, mais personne ne fit aucun commentaire. Si je me souviens bien, il y avait trois hommes d’armes, ceux avec qui nous n’allions pas tarder à causer métallurgie. Mes compagnons me posèrent sur une chaise à peu près stable et commandèrent trois choppes de la gnôle du coin, en payant d’avance (Ca rassure toujours.).
   Lorsque nous eûmes été servis, nous trinquâmes en entrechoquant bruyamment nos verres.
   -Aux paysans!, éructai-je.
   -Aux bouseux!, renchérit Gratos
   -Aux vivants!, conclut Tapinois.
   Nous bûmes cul sec. Je m’étouffai presque en avalant. On devait faire trop de bruit, ou bien étaient-ce nos vêtements maculés de sang frais qui leur mirent la puce à l’oreille, mais toujours était-il que les hommes d’armes s’approchèrent de nous, les mains sur les pommeaux de leurs armes. Ils nous toisèrent quelques instants. Un grand mince avec une petite moustache, un nerveux avec trois doigts à une main et un costaud avec une trogne à fendre un rocher.
   Le moustachu m’apostropha en Lancastrien. Comme je louchais sur ses vêtements en m’exclamant :
   -Quoi qu’est-ce?
   Il poussa un juron et se tourna vers le costaud pour lui dire quelque chose.
   -Mon ami demande s’il y a problème, déclara ce dernier avec sa voix de stentor, dans un Féraldien dégoulinant d‘accent.
   -Un problème?, fis-je en regardant, incrédule, mes camarades. Vous avez un problème, vous?
   -Sûrement pas, répondit Gratos en s’adossant à sa chaise avec nonchalance. Mais si vous, vous avez un problème, moi je vous le règle. Satisfait ou satisfait. Parole de Gratos.
   La déclaration a jeté un froid de quelques secondes. Mais le grand costaud s’est remis à traduire les paroles de son copain.
   -Le nabot, pas l’air du genre causant.
   Tapinois s’est raidi sous l’insulte. Il m’a jeté un regard. J’ai cligné des yeux. L’instant d’après une gerbe de sang s’élevait dans les airs et l’interprète basculait en arrière, proprement ouvert en deux comme un cochon à l’abattoir. Il n’a pas poussé un cri, il s’est contenté de sombrer, ses yeux grands ouverts fixant ses tripes qui commençaient à se répandre. Au moment où il a touché le sol avec fracas, la panique s’est emparée de la salle commune.
   Il y eut un concert de jurons, de cliquetis métalliques, de raclements d’acier. Et on s’est retrouvé dans la situation que je vous décrivais au début de ces carnets.
   Ca n’a pas duré bien longtemps. Quelques secondes tout au plus. 
   Gratos a enfoncé son tranchoir dans la gorge du moustachu, et moi j’ai profité que Tapinois ait sectionné les tendons du genoux de mon bonhomme pour lui offrir un second sourire (Parce que le premier n’était franchement pas très avenant.). Je suis resté debout, contemplant mon œuvre, vacillant un peu sur moi-même, puis j’ai vomi une seconde fois. Croyez le ou non, ça m’a suffit pour dessaouler. Tout à coup je retrouvais ma lucidité, et c’était comme de sortir la tête de l’eau après être restée longtemps en apnée.
   Sauf que pour ce que ça m’a apporté, j’aurais peut-être préféré rester ivre. Au moins je me serais amusé.
   Le tenancier a sorti une arbalète de sous son comptoir, chargée, et m’a mis en joue. J’ai eu la présence d’esprit de me déporter sur ma droite, m’épargnant une agonie inutilement douloureuse. Je lui ai renvoyé la politesse en levant le poing et en invoquant un éclair de magie qui a fulguré à travers la pièce dans un crépitement d’énergie blanche. Le type l’a pris de plein fouet. Ses habits ont pris feu, puis ses cheveux et il s’est mis à fondre sur place en poussant des hurlements de porc. L’attitude des autres bouseux est passé de la haine farouche à la peur primale. Hé! Faut les comprendre. Chez eux, les sorciers ont une certaine réputation qu‘ils mettent du cœur à entretenir.
   Toujours était-il que ma réaction n’était peut-être pas la meilleure, puisque le bâtiment a commencé à cramer lorsque la torche vivante a renversé une bouteille de gnôle et y a bouté le feu en marchant dessus.
   -Faut s’tirer d’ici, a hurlé Gratos en joignant le geste à la parole.
   On l’a suivi au dehors, avec Tapinois, une main devant la bouche pour se protéger de la fumée. Une cloche d’alerte s’est mise à carillonner quelques part. Dans la rue, des hommes sortaient des bâtiments voisins avec des mines énervées et des armes dans les mains. J’ai rapidement évalué la situation, regardant à droite à gauche, et j’en ai conclu que nous étions un peu dans la mouise. De plus en plus de villageois affluaient, certains avec des seaux d’eau, pour voir ce qui se trimait.
   Ni une ni deux, nous avons fièrement enfourché nos montures après un bond héroïque et les avons lancées au grand galop, jouant des bottes et des épées pour nous frayer un passage dans la masse agglutinée. Certains essayaient de nous saisir les mollets au passage pour nous projeter à bas, d’autres nous jetaient des projectiles avec plus ou moins de réussite. Mais tous ont arrêté subitement, en poussant des cris de peur ou en se prosternant au sol, en se plaquant contre les murs, nous libérant une voie aussi inattendue que providentielle. J’ai songé un instant que mon charisme naturelle et ma prestance légendaire faisaient enfin leur effet, mais j’ai vite déchanté lorsque, me retournant sur ma selle, j’ai aperçu six cavaliers lourdement équipés d’armures effrayantes en plaques noires, armés d’estramaçons démesurés et montés sur des destriers de bataille d’un noir d’encre aux yeux injectés de sang. Eux-mêmes portaient des heaumes qui masquaient leurs traits.
   Quoiqu’il en soit leurs parures fonctionnaient bien, car moi aussi j’ai failli me faire dessus en les voyant. Sincèrement, ces types foutaient la chair de poule, et ce n’était pas uniquement à cause de leurs épées gigantesques. Ils avaient comme une aura maléfique, d’outre-monde. Ils nous ont pris en chasse, et par les dieux, on aurait dit la Chasse Infernale en chair et en os. Leurs montures avalaient les mètres qui nous séparaient plus rapidement qu’un mercenaire ne tire son coup après une longue campagne. Les rues défilaient à une allure folle, les bâtiments réduits à des formes floues à la périphérie de ma vision.
   Soudain la sortie de la ville était devant nous, et la plaine morne s’offrait à notre vue. Morne, et désespérément vide. Sans une grotte, sans un bosquet où se cacher. Nos canassons, déjà fatigués de notre première chevauchée de la matinée, commençaient à perdre de la vitesse alors que nous pénétrions la lande en dépassant un garde éberlué. Les cavaliers de l’enfer gagnaient de plus en plus de terrain, et je pouvais presque entendre leurs souffles lourds sous leurs casques. D’une main peu assurée, j’ai rengainé ma lame et j’ai saisi mon arbalète, accrochée à ma selle. En me servant de mes cuisses pour diriger ma monture, j’ai remonté le mécanisme et glissé un carreau.
   Juste à temps, car je perçus du coin de l’œil une silhouette noire s’approchant de moi dangereusement. Sans réfléchir, je me suis retourné sur ma selle et j’ai tiré sans même viser. Le trait a touché mon adversaire en pleine poitrine. Sans effet. La pointe métallique a rebondi sur le lourd plastron noir avec un « clic » ridicule. J’ai tiré brutalement sur mes rennes pour faire faire une embardée à ma monture et éviter un coup de tranchoir qui m’aurait proprement ouvert en deux. Un bref coup d’œil m’apprit que Gratos était déjà aux prises avec un autre cavalier, ferraillant furieusement en essayant de garder la maîtrise de son cheval d’une main nerveuse - Il n’a jamais été un grand cavalier.
   J’ai paré un coup d’épée avec mon arbalète et ai repoussé mon opposant, manquant de peu de basculer de ma selle. J’ai dégainé ma lame à nouveau, mais un autre cavalier noir s’approchait sur le flanc opposé. Ils ont levé leurs armes, prêts à raccourcir mon anatomie d’une bonne tranche. J’ai fermé les yeux et me suis concentré très fort. Le temps a paru s’allonger, s’étirer, ralentir. Je percevais le fracas des sabots, le tintement des lames qui s’entrechoquent et les jurons de Gratos, mais comme si tout cela était loin, derrière un voile.
   Je me suis focalisé sur mon esprit, essayant de le visualiser comme une sphère. Une belle sphère, bien ronde, bien polie, brillante. Une sphère qui grossissait, grossissait, et qui soudain explosait avec fracas et violence. J’ai eu un moment d’absence, comme toujours après un sort d’Onde Mentale, qui consiste grossièrement à propulser son esprit autour de soi en une vague d’énergie. Curieusement, cela n’eut guère d’effet sur mes adversaires. Mais heureusement, cela en eut sur leurs montures, qui se sont effondrées en hennissant.
   Comme la mienne.
   J’ai salué le sol poussiéreux en rebondissant dessus durement et en effectuant quelques roulades douloureuses. Je n’avais hélas pas le temps de m’attarder sur mes côtes en miette, car les guerriers noirs se sont relevés presque aussitôt et se sont approchés de moi. Je me suis remis debout aussi, les jambes flageolantes en m’aidant de mon épée.
   Bon, soyons d’accord sur une chose. Je n’ai jamais été un grand bretteur. A la vérité, je n’avais jamais touché une épée de ma vie avec l’intention de m’en servir réellement avant de devenir mercenaire. Et même après cinq ans, je ne vaux toujours pas grand-chose. Ca me coûte à le dire mais j’ai par contre quelques talents à mettre mes opposants momentanément hors combat en usant de techniques fourbes histoire de prendre rapidement la tange… Histoire d’effectuer un rapide repli stratégique.
   Alors quand j’ai vu les deux biges s’approcher dans leurs grosses armures, avec leurs gros fendoirs, j’ai réfléchi à la façon la plus simple et rapide de prendre la fuite. Gratos ayant entre temps été mis hors jeu -il gisait au sol plus loin, mort ou assommé, je ne savais dire- je ne pouvais attendre aucune aide de ce côté-là. Quant a Tapinois, il avait disparu du secteur, avec deux autres cavaliers. Alors j’ai commencé par reculer doucement, mon épée pointée devant moi par une main tremblante et peu ferme. Comme cela n’avait pas trop l’air de les dissuader, j’ai changé de tactique.
   -Je suis sûr qu’il y a un moyen de s’entendre, non?
   Puis je me suis rappelé qu’on était dans le Lancaster et qu’ils ne devaient probablement rien pané à ce que je racontais. Comme pour me le confirmer, celui de droite a levé son estramaçon et m’a frappé. J’ai tenté de dévier avec ma propre lame mais la violence du coup a failli me l’arracher de la main, et mon épaule a protesté douloureusement lorsqu’une onde de douleur s’y est propagée. J’ai préféré me jeter par terre pour éviter le coup suivant.
   Là vous me diriez sûrement que j’aurais pu utiliser la magie. Et je vous répondrais que oui, j’aurais pu. Mais quand on a vaporisé son esprit dans l’éther durant une demi seconde comme je l’avais fait tantôt, on est pas forcément très lucide. Cependant je me suis relevé en crachant de la poussière, et j’ai héroïquement fait volte-face pour m’élancer à la course vers mon canasson qui s’était relevé sur des pattes plus vacillantes qu’un ivrogne. Comme j’entendais les pas de mes ennemis derrière moi, j’ai égorgé leurs propres montures au passage, puis j’ai sauté gracieusement en travers de ma selle, fouettant sauvagement l’arrière train de mon cheval du plat de ma lame. Il a rué, m’éjectant presque, puis est reparti au galop.
   Je m’enfonçais un peu plus profondément dans le Lancaster, laissant derrière moi Gratos et Tapinois aux mains de ces effrayants guerriers noirs.



8.


   Après ce qui me parut une éternité -quelques dizaines de minutes tout au plus-, je suis arrivé en vue d’un genre de colline rocheuse dont un des flancs était percé d’une grotte miraculeuse. J’étais épuisé. Non seulement l’alcool faisait encore à moitié son effet, mais j’avais mal partout, souffrant de multiples bleus, entailles et peut-être fractures suite à mes chutes, mes combats et mes fuites aussi braves qu’haletantes.
   Je me suis effondré dans le fond de l’abris, mon épée dans la main au cas où. Ma monture me jetait un regard interrogatif depuis l’entrée, sa queue fouettant mollement l’air derrière elle. Quand elle a compris qu’il n’y avait rien à attendre de moi en l’état, elle est partie chercher sa pitance ailleurs.
   J’ai lutté contre le sommeil qui m’envahissait insidieusement pendant au moins une bonne heure. Je n’étais pas certain que les cavaliers noirs aient abandonné la poursuite, et même dans ce cas il pouvait y avoir des bandes de maraudeurs ou des groupes armés dans la région. La grotte elle-même pouvait servir de refuge occasionnel à des chasseurs ou des hors-la-loi ; et il y avait fort à parier qu’ils n’auraient pas forcément été très contents de devoir partager.
   Malgré toute ma bonne volonté, mes paupières se sont fermées et j’ai sombré dans le monde des rêves. Quand je me suis réveillé, avec un sentiment d’urgence, il faisait encore jour. Du moins est-ce ce que j’ai d’abord pensé en ouvrant un œil. Une lumière orangée et crépitante m’agressait la rétine.
   … Crépitante?
   J’ai rouvert les yeux d’un seul coup, me redressant en faisant jaillir ma lame du fourreau. Le morceau d’acier terne se stabilisa au dessus d’un feu de camp, et à sa pointe se trouvait un jeune garçon aux yeux écarquillés et louchant sur l’arme qui le menaçait. Il déglutit bruyamment mais un grand sourire étira ses lèvres, malgré son évidente nervosité.
   -Pardonnez, chef, fit-il avec une voix nonchalante, comme si l’on était des vieux amis qui s’étaient dit au revoir la veille seulement. J’ne voulais pas vous faire peur.
   Les flammes éclairaient un visage jeune, très jeune, sale mais pourtant assez beau, grâce à d’intenses yeux bleus et une tignasse de cheveux blonds clairs crasseux. Quelques poils de barbe ridicules se dressaient fièrement sur le menton et le milieu des joues. Le garçon me rendit mon regard farouchement, comme s’il voulait m’impressionner, me montrer quelque chose -ou bien se prouver quelque chose à lui-même.
   Je l’ai scruté un long moment, les yeux plissés. En vérité, je tendais l’oreille pour essayer d’entendre les sons caractéristiques d’une autre présence. Mais il semblait bien que nous n’étions que tous les deux dans cette grotte. Comme mon bras commençait à trembloter à force de tenir mon arme, je l’ai abaissé, mais sans rengainer.
   -T’es qui?, ai-je fait d’un ton mauvais. (Je suis rarement de bonne humeur au réveil, et mon esprit retrouvant sa lucidité, les détails de ma précédente aventure me revenaient douloureusement en mémoire.)
   -John. John Keyes, chef.
   -Pourquoi tu n’arrêtes pas de m’appeler chef? Je ne te connais même pas.
   -C’est vrai, chef. Mais ça ne tardera pas, vous verrez.
   -Et pourquoi cela?
   -Et bien, parce que je viens avec vous!
   -Hein?   
   -Ouais! Mon paternel, il a dit que vous êtes un de ces guerriers libres de l’Ouest.
   -Guerriers libres? Qu’est-ce que tu me chantes?
   -Bin… Vous savez, ces types qu’on paye pour aller se battre à notre place.
   -Ha. Des mercenaires, je vois. On peut effectivement dire que j’en suis un. A mon grand regret.
   -Ouais! Je veux en devenir un moi aussi! C’est pour ça que je pars avec vous! Je suis à vos ordres, chef!
   Je l’ai regardé en haussant un sourcil. A voir ses yeux brillant comme des joyaux, il avait l’air sérieux. Bon sang, il était sérieux. Tellement sérieux que j’ai éclaté de rire. Non mais franchement. Pas que je voulais briser ses rêves, mais il y a des limites. Il était épais comme du parchemin, habillé de guenilles et ses compétences devaient se résumer à cirer des bottes et traire la vache de papa.
   -Chef?, m’a-t-il fait avec un air anxieux.
   -tu sais, la vie de « guerrier libre », c’est pas de tout repos. C’est dur, tu souffres, tu te fais mal, tu es blessé, tu vois tes amis mourir sous tes yeux, tu passes ton temps à courir les routes pour un salaire de misère et où que tu ailles tu es accueilli comme un cherche-merde notoire qu’il vaut mieux chasser à grands coups de fourche dans le bide.
   -Je sais tout ça, m’a répondu John en balayant mes arguments d’un geste de la main.
   -Alors pourquoi est-ce que tu veux en devenir un?
   -Honnêtement, chef…
   Il s’est penché un peu vers moi, avec un air de conspirateur.
   -Je me suis toujours dis que j’étais fait pour quelque chose d’autre. Quelque chose de grand! Enfin, je veux dire, je ne me vois pas passer toute ma vie chez mon père, à raccommoder des bottes troués histoire de gagner juste assez pour aller me saouler à la taverne ou trousser la seule putain du village. Non! Je veux voyager, je veux découvrir le monde. L’aventure quoi! Et quand je vous ai vu tout à l’heure à l’auberge, chef… C’était incroyable. Comment vous les avez zigouillés, pouf! Comme ça! Et quand vous avez fait un éclair magique! Terrible! Quand j’ai vu ça, je me suis dit « John. Ca c’est ta chance. La chance que t’as attendu toute ta putain de vie. Alors fonce! Avec des mecs comme ça, tu pourras aller loin. ». Alors quand vous vous êtes enfuis, je vous ai suivis. Il m’a fallu du temps pour trouver cette grotte, mais c’est fait maintenant. Je suis là! Alors je viens avec vous.
   Je suis resté sans voix un moment. S’il y a bien une chose que John sait faire, c’est parler. Ca, personne ne pourra le nier. Après son discours débité d’une traite avec aisance et emphase, la seule chose qui me venait à l’esprit était « Bah oui. Après tout, il a bien raison. »
   Et donc, d’une façon où d’une autre, John a rejoint Tempête du Chaos à ce moment là.
   Une chose m’a alors frappé.
   -Tu parles diablement bien le Féraldien.
   -Ma mère était Féraldienne. Mon père l’a enlevée quand il raidait la frontière pour Gros Tyronne.
   -Je vois…
   -C’est elle qui m’a appris, même si ça faisait pas trop plaisir à mon paternel, au point qu’il la battait quand il nous surprenait.
   -Triste histoire… Bon et à part suivre des inconnus sur des kilomètres, tu sais faire quoi d’autre? Je veux dire, quoi d’autre d’utile. A la profession. Enfin tu vois ce que je veux dire.
   Il a levé les yeux vers le plafond de la grotte, en se grattant l’arrière du crâne.
   -Et bien… Honnêtement, pas grand-chose. Mais j’apprends vite! Parole!
   -T’as déjà tenu une arme comme celle-ci?
   -Non.
   -Tu sais te servir d’un arc?
   -Non.
   -Tendre une arbalète?
   -Non.
   -Monter à cheval?
   -Non.
   -Raconter des bonnes histoires?
   -Ca oui!   
   -Bon, c’est déjà un début…
   J’ai soupiré et je me suis rallongé, un bras sur les yeux.
   -Et là… On fait quoi chef?
   -Là? On pionce. J’aviserai demain. Monte la garde en attendant.
   -La garde?
   Nouveau soupir.
   -Tu te plante à l’entrée et tu surveilles ce qui se passe. Si tu vois des types s’approcher tu me réveilles.
   -Ha, d’accord. Je vois. Alors je monte la garde, chef.
   -Parfait.
   -Et pour nos compagnons, quel est le plan?
   -De quoi tu parles?
   -Vous savez? Le grand chauve et le petit homme barbu.
   -Oublie les. Ils doivent être morts à l’heure qu’il est.
   -Ca m’étonnerait, chef.
   -Et pourquoi ça?
   -La Milice n’a pas pour ordre de tuer. Seulement de ramener les prisonniers au donjon pour être interrogés.
   J’ai écarté mon bras et je me suis redressé sur un coude.
   -Qu’est-ce que tu me chantes? La Milice? Le donjon?
   -La Milice. Les types en armures noires que vous avez combattu -entre nous, chef, vous avez bien du courage. La plupart du temps les hommes condamnés se contentent de rester plantés là en appelant leur mère pendant qu’ils se font emmenés. Et bien ces types là, on les appelle la Milice Bruëghen, parce qu’ils sont à la solde de dame Van Bruëghen, et quand ils sont envoyés sur la piste de quelqu’un, ils l’amènent au donjon pour que la dame le torture et l’interroge. Je le sais parce qu’elle a emmené mon père une fois, parce qu’elle le soupçonnait d’être un espion. Alors je me disais que nos compagnons, ils sont sûrement dans le donjon à l’heure qu’il est.
   J’ai digéré toutes ces informations en restant silencieux un moment.
   -D’ailleurs c’est curieux, chef.
   -Quoi?
   Il a hésité un instant.
   -Bah… Aucun Milicien ne reste au village. Alors je trouvais ça étrange que six d’entre eux soient arrivés si vite. Ca voudrait dire…
   -Oui? Ca voudrait dire que quoi?
   -Et bien ça voudrait dire que dame Bruëghen savait que vous arriviez, et qu’elle vous veut.
   
   

    9.


   
   -C’est un sacré machin quand même, ai-je fait en déglutissant.
   Je me suis redressé sur ma selle, nerveux en contemplant le château Bruëghen, un horrible édifice décrépi sis sur une colline escarpée, à une vingtaine de kilomètres du village de John. Vous savez, c’était typiquement le genre de forteresse maléfique, froide et carrément pas avenante qu’on imagine bien lorsque les vieux nous racontent les histoires des preux chevaliers allant sauver les princesses en détresse dans les cellules puantes de l’antre du sorcier démoniaque.
   Et bien plus je le regardais, plus je me disais que mes princesses à moi n’avaient sûrement pas besoin du preux chevalier, après tout.
   -Vous avez un plan chef?, a murmuré John, installé derrière moi sur la selle.
   -Heu… ai-je brillamment répondu.
   Le truc c’est qu’on attaque pas un fort avec un demi guerrier et un chiard haut comme trois pommes même pas armé.
   -Je vais y réfléchir.
   Il n’y avait pas beaucoup d’agitation sur la route, à part un Milicien qui partait parfois sur une monture noire vers le village, ou en revenant. Aucun signe de mes acolytes, en tous les cas.
   -Et cette… heu… Dame Bruëghen… C’est un genre de sorcière?
   -Hein? Heu… J’en sais rien. Ya pas mal de rumeurs qui courent, vous voyez le genre, mais bon, personne ne l’a vue depuis des années. Elle reste cloîtrée dans son donjon sans jamais sortir, utilisant la Milice pour effectuer ses basses œuvres.
   -Je vois, je vois…
   Mais en réalité je ne voyais pas grand-chose. Ou plutôt si! Quelque chose se formait lentement dans mon esprit. Un truc qu’on pourrait qualifier de mission furtive. Du style on s’infiltre de nuit, on se glisse dans les oubliettes, on récupère les copains et on fout le feu aux écuries pour faire diversions pendant qu’on file discrètement par la poterne  est.
   Ouais. Un sacré bon plan. Un peu classique certes, mais comme disait ma grand-mère, c’est dans les vieux pots qu’on fait pousser les meilleurs champignons. Ou quelque chose comme ça.


10.


   John a dégluti en me regardant extirper ma lame du serviteur que je venais de tuer pour libérer le passage.
   -T’avais jamais vu un cadavre d’aussi près, gamin?, ai-je murmuré en essuyant l’acier sur la livret du valet.
   -U… Une fois. Ma mère, quand mon père l’a…
   -Je veux pas le savoir. Ca me regarde pas. Bon, t’as pigé comment ça marche?
   Il a acquiescé en tripotant nerveusement le manche de mon arbalète qu’il tenait serrée contre sa poitrine. Pendant ce temps là, je tirais le cadavre derrière un des buissons rabougris qui tapissait la cour intérieure. J’étais complètement en nage après l’escalade des murailles et la descente qui suivit logiquement. Et pourtant je n’étais qu’au début de mes peines. J’ai tiré John près de moi et l’ai forcé à s’accroupir pendant que j’observais les environs.
   Il n’y avait personne, hormis le type que j’avais trucidé bien sûr. Tout était calme comme une tombe, bien trop calme pour que je me sente bien. Ce qui peut paraître paradoxal lorsque l’on est en pleine mission d’infiltration, mais croyez en mon expérience, une place forte déserte, ça pue.
   L’épée fermement en main, je me suis élancé en longeant le mur, ordonnant d’un signe de main à John de me suivre. Après de longues secondes de marche rapide et silencieuse, nous sommes arrivés devant une lourde trappe en bois massif, ouverte sur un raide escalier en pierre à moitié défoncé s’enfonçant dans les entrailles de la terre. Il n’y avait aucune lumière, mais je sentais l’odeur des torches fraîchement éteintes.
   -Je vais jeter un coup d’œil, ai-je fait à John. Toi, tu restes là, et tu montes la garde. Si quelqu’un s’approche, tu le tues. S’ils sont plusieurs, t’en tues un et tu rappliques fissa en bas. Compris?
   -Compris chef!
   Je me suis servi de la noirceur de la nuit pour faire semblant de ne pas voir qu’il tremblait comme une feuille. Puis je me suis prudemment engagé dans les escaliers. Certaines marches étaient à moitié défoncées, d’autre rendues glissantes par l’humidité, me forçant à tester chaque degré du bout de ma botte. Ce fut une descente relativement éprouvante et stressante, surtout dans un noir d’encre comme celui-ci : je n’osais allumer une lueur magique de peur d’alerter quelqu’un. Au fur et à mesure de ma progression, l’atmosphère se faisait plus lourde et moite, et s’empuantissait horriblement.
   Ce qu’on peut légitiment attendre lorsqu’on pénètre dans des oubliettes. Parce que c’est bien ce que c’était : une fois arrivé en bas des marches, je faisais face à un couloir relativement long, flanqué de part et d’autre de cellules fermées par des barreaux menaçants tout rouillés. Ici quelques torches étaient restées allumées et dispensaient une lumière chiche, à peine suffisante pour percer les ténèbres profondes du lieu. Une main sur le nez pour me protéger des effluves nauséabondes, je me suis mis à arpenter la zone, passant devant chaque cellule pour en scruter les profondeurs à la recherche de Tapinois et Gratos.
   J’ai trouvé ce dernier au fond du couloir.
   Il était adossé au mur du fond, assis, les bras ballants, complètement nu. Son œil unique me fixait sans me voir et son visage était vide d’expression. Une vision des plus dérangeantes.
   -Gratos? L’ai-je appelé à voix basse.
   Sans réponse. Il n’a même pas réagi.
   -Bon sang, mais qu’est-ce qu’ils t’ont fait?
   En le voyant comme ça, je me suis souvenu de ce qu’avait dit John sur la torture. Mais le corps de Gratos ne portait aucune trace visible de sévisse récent. Sa cellule n’était même pas verrouillée. La porte a pivoté sur ses gonds pourris en grinçant atrocement. Le cœur battant, je me suis figé quelques instants, l’oreille tendue, pensant que mon raffut aurait alerté quelqu’un. Mais personne ne faisait mine de descendre les escaliers au bout du couloir, et John ne s’était pas manifesté.
   Je me suis approché de Gratos. Le sortir de là n’allait pas être une mince affaire. C’est que le bonhomme est plutôt large, et puis je n’aime pas spécialement me frotter à des hommes nus. J’étais perdu dans mes pensés lorsqu’un murmure a attiré mon attention.
   -Monarque…
   -Hein? Gratos?
   Je me suis penché sur lui, collant presque mon oreille contre ses lèvres pour mieux l’entendre. Je me suis rendu compte que son souffle était presque inexistant.
   -Monarque… Cette femme… un démon…
   -De quoi tu parles? Bruëghen, c’est ça? Qu’est-ce que tu veux dire? Putain, Gratos, c’est pas le moment de raconter des salades. Faut sortir de là. Tapinois est dans le secteur?
   -Partir, Monarque… Faut que tu te tires, chef… Pas bon, ici…
   Je l’ai observé un moment, circonspect. Malgré ce qu’il me disait, son visage n’avait toujours aucune expression, et son regard était toujours aussi fixe. Sa voix maladive était loin du Gratos habituel, gueuleur et colérique, que je connaissais. Quelque chose ne tournait franchement pas rond.
   -Bon, reste là, je vais jeter un œil, histoire de voir si je trouve pas le barbu.
   -Votre petit ami poilu n’est hélas pas parmi nous.
   Je me suis vivement retourné, une main sur la poignée de mon épée, pour faire face à une femme d’une beauté époustouflante. Plutôt grande, une peau d’albâtre, des cheveux noirs comme la nuit descendant jusqu’à ses fesses rebondies, des yeux d’un vert hypnotique, une taille de guêpe et des seins splendidement galbés à peine cachés par sa robe écarlate diablement échancrée, couverte de fourrures aux manches et aux rebords.
   Avouez que cela a de quoi surprendre, surtout dans un lieu qui sent le cadavre et l’excrément, dans une putain de forteresse en ruine qui plus est. Je me suis même demandé un instant si je n’étais pas victime d’une hallucination. Mais quand ses lèvres rouges et pleines ont esquissé un sourire pervers j’ai compris que ce n’était hélas pas une illusion.
   Ce sourire, d’ailleurs, m’a foutu une trouille pas possible. Je ne saurais pas expliquer pourquoi. Après tout, je suis un homme, j’avais une épée, et elle était juste là, menue dans sa beauté insolente, me fixant de ses prunelles scintillantes. Instinctivement, j’ai reculé d’un pas.
   -C’est bien dommage ça, ai-je répondu avec une confiance fanfaronne que j’étais bien loin d’éprouver. Je suis sûr que vous l’auriez adoré. Il est tellement mignon.
   J’ai sursauté comme un lâche lorsque Gratos m’a choppé la cheville.
   -La lutte… est futile, chef… a-t-il dit en levant lentement la tête.
   Je me suis contrôlé pour ne pas lui trancher la face avec mon épée, tellement la scène me terrorisait. La femme a poussé un petit rire, un son juste divin qui donnait envie de se jeter à ses pieds, de les embrasser, de devenir sien et de tout faire pour la rendre heur…
   Non. J’ai vivement secoué la tête pour dissiper l’insidieux sortilège de séduction qu’elle était en train de me jeter.
   -Vous devriez écouter le conseil de votre ami, mon cher Monarque, a-t-elle déclarée en effectuant deux pas vers moi. Il n’est pas besoin de rendre les choses compliquées, hmm?
   -N’approchez pas!, ai-je rétorqué en pointant ma lame vers elle, malgré les tremblement de mon bras qui trahissaient ma nervosité.
   A ce stade, il me paraissait évident que j’avais devant moi la fameuse Dame Bruëghen -ce qui était assez pénible parce que j’avais imaginé une vieille noble aigrie complètement folle, et je me trouvais devant une sculpture vivante. Ma terreur s’était d’autant intensifier que son sort avait été jeté avec une telle maîtrise et une telle subtilité…
   -Voilà ce qu’on va faire. Je vais récupérer mon pote, et vous allez nous laisser partir bien gentiment. Si vous faites ça, je jure sur mon honneur que je ne vous tuerais pas.
   Cette fois, elle a carrément éclaté de rire. En d’autres circonstances j’aurais bien sorti cette maxime de mon paternel qui dit « Femme qui rit, à moitié dans ton lit », mais curieusement je ne trouvais pas la situation bien appropriée.
   -Vous êtes plus drôle que je ne l’avais imaginé, mon tendre.
   -Tendre? Qui est tendre ici?
   -Mais vous, bien sûr…
   Son souffle a léché mon oreille lorsqu’elle a prononcé cette phrase. J’ai cligné des yeux, et elle n’était plus là. Ou plutôt, elle était derrière moi. Comme ça. Pouf. Je pouvais sentir ses excroissances mammaires contre le cuir de mon manteau. Avant que je n’ai eu le temps de réagir, elle m’a frappé dans le creux des reins avec une force qui faisait passer la plupart des mes connaissances musclées pour des petites filles. La douleur a fulguré dans tout mon corps, se propageant depuis ma colonne vertébrale.
   Ma vision a blanchi et je me suis évanoui.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le vendredi 02 septembre 2011, 18:58:50
J'ai remis en ligne les parties 1 à 10 des Carnets du Mercenaire. J'ai pas encore regardé tout le topic mais il me semble que ce sont les seuls post qui ont été vidés de leur substance, pour d'obscures raisons. :(

Je sais pas quand je pourrais réparer le premier post, puisque je vais devoir changer mon système de renvoie via des liens et me convertir aux ancres.
Titre: La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
Posté par: Great Magician Samyël le vendredi 28 octobre 2011, 00:50:05
Bon, après le bide de la dernière suite de Monarque je reviens sur le Triangle. :niak: Je pense terminer la première partie de Triangle de Haine avant de repartir sur du Monarque. Ouais, je suis un mec comme ça.  :niak:

Chapitre III donc. Bonne lecture...  B)



III
-Mikau-



   Mikau poussa un juron admiratif quand, grâce à la magie de dame Laruto, la beauté de Feena Hurlebataille ressurgit de dessous la peau boursouflée et rêche comme du vieux cuir. L’épiderme retrouvait un aspect satiné et le chevalier put sentir sa douceur de bébé puisqu’il tenait l’une des mains de la guerrière dans ses paumes. Le Zora nota que la cicatrice de Feena avait disparu sous l’effet du sort ; et son absence de cheveux et de sourcils lui donnaient un air étrange.
   La magicienne se releva en poussant un soupir d’épuisement. Elle vacilla sur ses jambes et ser Roy se porta immédiatement à son secours en la prenant dans ses bras. Mikau ne put s’empêcher de noter le regard éloquent qu’ils échangèrent brièvement.
   -C’est tout ce que je peux faire, déclara Laruto d’une voix enrouée après quelques secondes de repos.
   -C’est proprement fabuleux, commenta le Sheikah en caressant le visage endormi du dos de sa main. Elle va s’en sortir?
   -J’ai guéri son corps, mais son esprit est toujours blessé, piégé dans une magie des plus noires.
   -N’y a-t-il donc rien à faire?
   Mikau jeta un regard triste à la guerrière. C’était de sa faute si elle était dans cet état. Il ne pouvait s’empêcher de s’en vouloir.
   -Elle doit remporter ce combat d’elle-même, Mikau, répondit la magicienne en posa une main familière et encourageante sur son épaule. Mais nous pouvons peut-être l’aider.
   -Parle, Laruto! Quoi qu’il te faille, je te l’apporterai dans l’heure, sur mon honneur!
   La thaumaturge ne put s’empêche de pousser un petit rire devant l’empressement du chevalier.
   -Je n’ai besoin de rien. Je peux envoyer l’esprit de l’un de vous dans le sien. Mais je dois vous mettre en garde, cela risque d’être extrêmement périlleux. Nous ne savons rien de ce qui s’y passe, et encore une fois, la magie qui a été déployée contre elle est très, très puissante. Vous pourriez y rester coincés, ou pire, mourir.
   Mikau déglutit bruyamment. Il échangea un regard avec ser Roy, et voyant que ce dernier allait se proposer, il le coupa.
   -Je vais le faire. C’est… C’est à cause de moi si elle en est là. C’est mon erreur, je dois la réparer.
   -Vous ne pouviez pas savoir que…, tenta Sanks.
   -Non. J’insiste : j’irai. Je suis moins important que vous, ser. Vous avez une guerre à mener.
   -Et vous une Couronne à protéger dans ses heures les plus sombres.
   Le Zora grimaça devant la pertinence de l’argument, mais il balaya d’un revers de la main.
   -Nous n’avons pas le temps de nous disputer à ce sujet. J’irai, et il n’y a rien à ajouter.
   -Fort bien, capitula le borgne en s’asseyant sur le lit où il avait passé son coma.
   -Je ne peux pas vous prodiguer beaucoup de conseil, reprit la magicienne avec un petit sourire contrit. Car je ne sais pas ce que vous allez affronter. Gardez en mémoire que seul votre esprit voyagera. Utilisez le à bon escient, et ramenez nous dame Feena en un seul morceau.
   -J’essaierai. Maintenant, qu’on en finisse.
   Peu rassuré, le chevalier regarda Laruto avec nervosité quand elle appliqua sa paume sur son front et ferma les yeux. Elle psalmodia quelques paroles occultes, et soudain il eut la sensation terrible que le sol se dérobait sous lui, le plongeant dans des abysses de ténèbres infinies. Il poussa un cri qui se perdit dans la nébuleuse. Sa chute devenait de plus en plus rapide, il voyait au loin le scintillement d’étranges étoiles rouges, bleues ou blanches. Des lueurs clignotaient autours de lui, puis tout disparut lorsqu’il heurta avec rudesse un sol. Le souffle coupé, il toussa pour se défaire de la poussière qui était entrée dans sa bouche, et roula sur le dos en gémissant. Au dessus de lui, il n’y avait que le noir. Impénétrable, horrible.
   Le chevalier se remit debout, rassuré de voir que son épée battait toujours son flanc. Mais quelque chose n’allait pas. Malgré l’absence évidente de source lumineuse, il n’avait aucune difficulté à voir l’étroite corniche de terre brune sur laquelle il se trouvait, flanquée à gauche et à droite d’un précipice sans fin. Levant la main devant son visage, il constata que des bandes d’ombres évoluaient lascivement à la surface de sa peau nue. Paniqué, il essaya de s’en défaire, mais sans succès. Il attendit nerveusement pendant quelques minutes, mais comme rien ne se passait, il en déduisit que ce devait être un effet du « monde de l’esprit ».
   Essayant de ne plus y penser, il se concentra sur son environnement, une main sur le pommeau de son arme. La corniche continuait aussi loin que portait son regard devant et derrière lui, disparaissant dans les ténèbres. Mais sur le côté qui lui faisait face, il avait l’impression de voir le halo extrêmement ténu d’une lueur dorée, très loin. Il se mit en marche, et bientôt ses pas se transformèrent en foulées qui se transformèrent à leur tour en course effrénée. Il avait le sentiment oppressant d’une présence, quelque part, qui l’observait et le suivait. Pourtant, chaque fois qu’il jetait un regard derrière lui, il ne voyait que la mince bande de terre brune. Affreusement sans fin.
   La lueur se fit de plus en plus forte à mesure qu’il avalait les mètres, sans aucun effort. Au bout d’un moment, il se rendit compte que la lumière provenait de Feena. La guerrière marchait devant lui sur le rebord de la corniche, les bras tendues en T comme une équilibriste. Elle tanguait, et sa démarche n’avait rien à voir avec l’assurance des acrobates. Elle donnait l’impression de pouvoir basculer à tout moment, et instinctivement Mikau comprit que si cela devait arriver, il la perdrait, pour toujours.
   Elle était vêtue d’une courte armure à jupette faite d’une sorte d’or orangé, et qui produisait la lumière. Cette lumière ne parvenait cependant pas à éclairer quoique ce fut au-delà du périmètre de la corniche. Mikau s’apprêta à l’appeler, mais il se retint lorsqu’il vit, sans comprendre, la Lame Purificatrice qui battait le flanc de la guerrière. Il savait que tout ceci n’était pas réel, n’était qu’un monde imaginaire fait des rêves et des pensées de Feena. Mais pourtant. Voir l’arme sacrée ici et de cette manière l’ébranla.
   -Dame Feena, cria-t-il.
   L’interpellée stoppa sa progression et, lentement, se retourna en prenant des précautions infinies.
   -Qui est-là?, répondit-elle en plissant les yeux.
   -C’est moi. Mikau. Mikau Zora?
   -Mikau? Par vos satanées Déesses, que faites-vous ici? Cela fait une éternité que j’erre sur ce foutu chemin, et je n’avais encore rencontré âme qui vive.
   -C’est…. Et bien… C’est compliqué. Je vous expliquerai tout, c’est une promesse, mais il faut d’abord que nous sortions d’ici, si vous le voulez bien.
   -Où sommes nous? Et… Que vous arrive-t-il?
   -Comment cela? Je ne comprends pas.
   -Regardez vos mains
   Mikau s’exécuta, pour constater avec effroi que les ombres qui le recouvraient gagnaient en intensité, lui faisant comme une seconde peau. Il sentit sa peur croître dans son cœur, gonfler, devenir tangible et jaillir de lui.
   -Mikau! Mikau ne partez pas! Revenez! Mikau!, criait Feena, quelque part, loin.
   Mais le chevalier ne l’entendait pas. Ses yeux agrandis par l’angoisse et la terreur contemplaient fixement une porte, terriblement familière. Il se trouvait dans un couloir à l’atmosphère si froide et suintante que même les innombrables torches fixées dans les appliques murales ne parvenaient à réchauffer les pierres humides.
   Comme dans un rêve, ou plutôt comme dans un cauchemar, il vit son poing s’élever dans les airs, hors de son contrôle, et frapper deux fois au battant.
   -Oui?, demanda une voix grave depuis l’autre côté. Qui est-ce?
   -C’est moi, mon seigneur. Mikau, s’entendit-il répondre avec une voix qui ne lui appartenait pas.
   -Ha. Entre.
   C’était une pièce relativement modeste. Guère plus qu’une étude. Un vaste bureau en occupait la majeure partie, et des étagères pleines de livres s’étalaient sur les murs. Seule une unique fenêtre permettait d’amener la lumière en journée, mais pour l’heure il n’y avait qu’une bougie allumée, laissant le bureau dans une pénombre épaisse.
   Lord Hamon, Zora par alliance, était penché au dessus d’une large carte de la région, fourrageant dans sa foisonnante barbe d’une main distraite. Un pli soucieux barrait son front autoritaire et ses moustaches soignées frissonnaient sous l’effet d’un agacement croissant.
   -Qu’est-ce qui peut bien t’amener ici à une heure aussi tardive, Mikau?, questionna-t-il sans même accorder un regard à son interlocuteur. Peut-être as-tu enfin trouvé une solution pour endiguer ces raids incessants sur nos villages? Quel dommage que ce soi-disant « Héros » n’ait pas encore daigné amener ses barbares dans nos parages ; ils nous seraient bien utiles pour exterminer leurs congénères riverains.
   Mikau ne savait que trop bien ce qui allait suivre. Il voulait fermer les yeux, partir, crier, mais il était tétanisé, impuissant à arrêter l’inéluctable.
   -Non, mon seigneur. Je n’ai pas encore trouvé de solution ; s’il y en a une. Quoiqu’il en soit, ce n’est pas pour parler de ça que je suis venu vous voir.
   -Tiens donc?
   Hamon se redressa pour toiser son capitaine de la garde.
   -Puis-je savoir de quoi il retourne, dans ce cas?
   Mikau prit une profonde inspiration en serrant le poing. Il sentait sa colère d’alors ressurgir doucement en lui, pendant qu’il faisait ainsi face à son beau-frère et seigneur.
   -Ma sœur, grinça-t-il.
   -Et bien quoi, votre sœur? Abrégez, Mikau. J’ai des responsabilités, moi.
   -Vous l’avez encore frappée.
   Hamon éclata de rire, son embonpoint rebondissant en tressautant.
   -Bien sûr que je l’ai frappée. Cette greluche idiote m’exaspère. Je l’ai frappée, et je la frapperai encore à l’avenir, car j’en ai tous les droits. Elle est ma femme, et donc ma possession légale, avant d’être votre sœur, chevalier.
   Mikau serra si fort le poing que ses ongles mal coupés firent couler un peu de sang dans ses paumes.
   -Osez porter encore une fois la main sur elle, et je jure que…
   -Que quoi?, le coupa vertement Hamon en retrouvant tout son sérieux et sa gravité. Essayez ne serait-ce que d’élever le petit doigt sur moi, et je vous ferais flageller en place publique avant de m’emparer de votre tête pour décorer la cheminée de la Grande salle. Vous ne m’êtes rien Mikau. Guère plus qu’un chien qui a tendance à aboyer un peu trop fort. Votre sœur m’appartient, votre terre ancestrale m’appartient. Vous n’êtes qu’un indésirable nuisible que je garde pour que votre idiote de sœur me laisse la paix et cesse de gémir. Retournez chialer dans les bras de votre catin muette dégénérée, et songez à rester hors de ma vue le plus longtemps possible. C’est dans votre intérêt. Maintenant, sortez, ou par les Trois je jure que je vous fais jeter au cachot.
   Le cœur dévoré par la rage, tremblant de haine, la vision aveuglée par des éclairs incandescents, Mikau se détourna et marcha d’un pas raide vers la porte… qu’il ne franchit pas, mais qu’il repoussa sans un bruit. Lorsqu’il fit de nouveau face au seigneur Zora, ce dernier s’était de nouveau intéressé à l’étude de sa carte.
   Le chevalier franchit la distance qui les séparait en deux pas énergique. Puis, tirant sa dague de ceinture, il en planta l’extrémité avec une force décuplée par la rage dans le dos de son seigneur souverain. Il asséna un deuxième coup, puis un troisième, et un quatrième, sourd aux cris d’agonie de sa victime et insensible au sang qui l’éclaboussait.
   -Vous parlez trop Hamon. Trop pour votre intérêt. Vous avez osé frapper ma sœur, vous avez osé dénigrer ma femme. Vous allez me le payer, je vais vous le rendre au centuple! Vous m’entendez?!
   Mikau se mit à tourner sa lame dans une plaie, partagé entre un sentiment croissant d’exaltation et celui, plus ténu, d’une horreur grandissante.
   -A moi! La Garde! On m’assassine, essaya de crier Hamon.
   -Silence, porc! Ma famille n’a plus besoin de vous. Mais ne vous inquiétez pas, je saurai diriger ma terre ancestrale, et bien mieux que vous n’auriez jamais pu espérer le faire.
   Le chevalier, succombant à une hystérie sanglante, frappa encore une fois, puis deux, jusqu’à ce que le corps chaud et poisseux de sang se changeât tout à fait en cadavre moite qui glissa lentement jusqu’à terre. Alors le Mikau du passé resta debout, interdit, frappé de stupeur en réalisant la portée de son acte, les conséquences que  cela impliquait, et la jubilation qu’il avait ressenti à assassiner Hamon ; tandis que le Mikau du présent, piégé dans cet écho de son plus noir souvenir, souffrait mille morts de la réminiscence violente de ce fragment de son histoire.
   Il en était là, indécis quant à la marche à suivre, lorsque il entendit des pas dans le couloir.
   -Père?, appela la voix ensommeillée de Lars, dont la tête commençait à apparaître dans l’encadrement de la porte. J’ai entendu du bruit, et je me demandais si…
   Pris de panique, Mikau s’élança à travers la pièce et se jeta, tête la première, contre la fenêtre, faisant éclater le verre sous l’impact. Le froid le cueillit avec rudesse, et il n’osa crier tandis que sa chute toujours plus rapide lui faisait frôler les dures falaises de Château-L’Hylia, toujours plus vite, le précipitant vers une mort certaine dans les eaux glaciales et d’un noir absolu qui clapotaient là en bas.
   Le lac referma sur lui son étreinte avec une rage et une violence qui n’avaient pas à rougir de celles qu’il avait éprouvées quelques minutes plus tôt. Le froid intense se propagea presque instantanément à travers ses os, l’engourdissant. Il sentit sa dague lui échapper, sombrant dans les abysses, emportant la seule preuve de son crime, de son parjure. Mikau ferma les yeux, laissant la mort glacée l’emporter. Il entendit un rire dans le lointain, déformé par les eaux du lac. Il laissa sa conscience s’éteindre petit à petit, le délivrant de ses souvenirs et de sa honte…
   Quand soudain une main frénétique le saisit, qu’une agitation dérangeait l’onde noir à son côté. Il fut remonter à la surface, où il cracha de l’eau en reprenant subitement conscience. Il n’était plus sur l’Hylia, mais ailleurs, dans cet endroit horrible qui git quelque part entre les dimensions, cet anti-chambre du cosmos infini où la réalité se fond avec le rêve.
   Les eaux ténébreuses se mélangeaient avec un ciel plus noir que le noir, où nulle étoile n’osait briller, de crainte d’éclairer ce que se tapissait ici, à la périphérie de la vision, ces formes inquiétantes et menaçantes qui évoluaient sous l’eau, frôlant Mikau. Mais il y avait autre chose ; une chose bien plus terrible.
   Et tandis que le rire éclatait à nouveau dans les ténèbres, moqueur, les yeux fatigués du chevalier crurent distinguer les escarpements aigus et cruels d’une montagne de noirceur tapie dans les recoins du ciel. La masse bougea. Et c’était une montagne en marche ; une montagne à face de porc. C’était un être issu de l’espace et des étoiles, venu de par delà les âges pour amener la ruine dans le royaume des Hommes.
   Et pendant qu’un cri d’agonie infinie jaillissait de la gorge de Mikau, accompagné de larmes glaçantes, l’Être s’ébroua, monolithique. Une main qui aurait pu contenir une constellation dans sa seule paume se tendit, avec l’inexorable force du Temps lui-même, vers le chevalier.
   -Ne le regardez pas!, criait quelqu’un, une voix qu‘il connaissait. Ne le regardez pas! Restez avec moi chevalier, détournez vous, écoutez ma voix. N’abandonnez pas! Tant que vous résisterez, il ne pourra pas vous atteindre! Alors de grâce, pour notre salut, luttez!
   Mikau ferma les yeux un bref instant, et quand il les rouvrit il flottait dans une nébuleuse étoilée. Un escalier d’une hauteur vertigineuse grimpait vers les nuées devant lui, et il l’emprunta. Il marcha longtemps, l’esprit vide et le cœur en paix. Lorsqu’il grimpa l’ultime degré, il se retrouva devant deux portes.
   Celle de droite ouvrait sur un chemin pavé bien droit sur lequel on avait déroulé un tapis rouge. Au bout de l’allée, il se voyait lui-même sur le trône d’Hyrule, la couronne sur le chef. Il irradiait le pouvoir, et il vit des dizaines de personnes autour de lui, l’adorant, l’aimant, exécutant toutes ses volontés. Mikau comprit que s’il empruntait ce chemin, il aurait enfin droit à ce qu’il méritait depuis tant de temps. Pourquoi devrait-il servir, alors qu’il était taillé pour diriger? Pourquoi devrait-il exécuter les basses-œuvres, alors qu’il avait le potentiel et l’intelligence pour donner les ordres?
   La porte de gauche avait un aspect pitoyable, tenant à peine sur ses gonds rouillés. Elle s’ouvrait quant à elle sur un chemin sinueux et rongé par les ronces. Au bout cette allée-là, il y avait des ombres. L’ombre des grands hommes qu’il devait servir. L’ombre des hommes dont il devait fonder la légende, au détriment de la sienne. Un œil éploré avait été gravé sur le linteau de cette porte, et il semblait regarder Mikau avec un air de défi. Mikau comprit que s’il empruntait cette voie, il serait condamné à jamais à servir, à faire les besognes d’autres, à rester en retrait et devenir un laquais.
   Ce n’était pas digne de lui. Sans une hésitation, il se dirigea vers la droite. Mais alors qu’il s’apprêtait à franchir le seuil, il trébucha sur un petit objet. Intrigué, il se pencha pour le ramasser. C’était une dague. Une dague couverte de sang frais. Mikau poussa un cri et la lâcha précipitamment lorsqu’il reconnut l’arme avec laquelle il avait sauvagement assassiné son seigneur. Relevant les yeux, il constata que son double couronné l’observait avec un sourire malsain. Des ombres épaisses rampaient sur sa peau, comme des vers répugnants, et les hommes et les femmes qui se courbaient devant lui en signe de soumissions avaient l’apparence de cadavres damnés.
   Mikau recula d’un pas. Quelle folie avait bien pu l’habiter, qu’il ait pu croire un instant pouvoir prétendre à quoi que ce soit? Il n’était qu’un vulgaire assassin. Non, pire, un parjure. Il était la honte de sa famille, un criminel qui ne méritait rien d’autre que le billot. Il n’avait aucun droit à prétendre gouverner le Royaume. Il ne pouvait que le servir, mettre pleinement sa vie à protéger le roi et le peuple, pour se racheter.
   Déterminé, Mikau franchit la porte de gauche sans un regard en arrière, sans un regret. Il s’était forgé son propre destin. Il était enfin venu le temps de l’assumer.
   -Ser?
   Une main le secouait doucement. Mikau ouvrit les yeux, l’esprit embrumé. C’était Roy Sanks qui se tenait penché vers lui, le front barré d’un pli soucieuse.
   -Ser? Vous m’entendez?
   -Oui, oui. Que se passet-il?
   -Vous vous êtes évanoui, pour une bonne minute au moins.
   -Evanoui?
   Le Zora se frotta les yeux et se redressa, portant un regard groggy autour de lui. D’abord confus, les souvenirs lui revinrent petit à petit. Il reconnaissait la chambre, il reconnaissait la femme qui dormait sur le lit. Quelque chose avait changé chez Feena. Outre l’air apaisé qui avait remplacé ses mimiques de douleur, ses cheveux avaient repoussé comme si des années s’étaient écoulées depuis qu’elle eût été brûlée. Ils s’étendaient sous elle comme une cape chatoyante parée de couleurs rougeoyantes et vives, se déroulant jusqu’au sol par-dessus le lit. Ses sourcils également avaient reparu. Plus longs, plus épais et plus broussailleux. Etrangement, loin de l’enlaidir, ils renforçaient son côté sauvage. Mikau déglutit devant une telle beauté.
   -Ai-je… Avons-nous réussi?, demanda-t-il d’une voix encore fébrile.
   -Il est encore trop pour le dire, lui répondit dame Laruto avec un sourire tranquille. Mais j’ai bon espoir.
   -Bien…
   Quelques souvenirs troubles de ses récentes et oniriques aventures revenaient à Mikau, douloureux, troublants, effrayants. Machinalement, il se caressa le flanc droit, où était tatoué l’œil éploré, symbole de son appartenance au Sheikah.
   -Quel que chose de ne va pas?
   -Non, tout va bien, ser. Je suis encore un peu… confus. Quelle est la suite des opérations?
   -Lord Dorf rassemble tous les hommes d’armes qu’il peut trouver. Nous prendrons le Consortium d’assaut au petit matin.
   -Parfait. Je n’ai qu’une hâte. J’ai des comptes à régler…
   -Moi aussi, annonça Feena qui se réveillait juste alors.
   Elle essaya poussivement de se dresser sur ses coudes, mais Mikau la contraignit à se rallonger.
   -Madame! C’est une joie de vous revoir parmi nous! Mais vous ne devriez pas forcer comme cela.
   -Ser Mikau a raison, madame, renchérit dame Laruto.
   -Bah! Je vais bien. Donnez moi quelques minutes, et je serai fin prête à trancher du barbu.
   L’entrain de la guerrière arracha un sourire à son assistance.
   -Je n’en doute pas un instant.
   -Je suis… heureux de vous savoir saine et sauve, Feena, déclara ser Roy.
   -Je ne sais pas si j’en suis aussi heureuse en ce qui vous concerne, mais il en tout cas surprenant de vous revoir sain et sauf, Chien. Ces légendes sur votre épée magique ne sont peut-être pas si fondées que ça, après tout.
   -Ser Roy est d’une vigueur exceptionnelle, intervint ser Mikau pour tenter de désamorcer une querelle.
   -Roy?
   -Je vous expliquerai.
   -Le Conseil ne va pas tarder à débuter, s’excusa ser Sanks. Je dois prendre congé. Mikau, retrouvez nous lorsque vous vous sentirez prêt.
   -Ne m’attendez pas.
   Le Sheikah attendit qu’ils soient sortis pour tourner la tête vers Feena et lui décocher un sourire.
   -Content de vous revoir parmi nous, moi aussi.
   -Et moi donc… soupira la guerrière en fixant le plafond. Je suppose que je dois vous remercier. Vous m’avez sauvé la vie. Deux fois.
   -Non, ce n’est pas nécessaire. Je… C’est de ma faute si vous vous êtes retrouvée dans cet état.
   -J’en doute.
   -De quoi doutez-vous?
   -Que ce soit votre faute.
   -Et bien si j’avais eu l’intelligence de prévoir cette attaque du Consortium, vous n’auriez pas eu à subir ces…
   -Quand bien même, si vous aviez pu prédire cette attaque, cela aurait-il sauvé le Roi? Pouviez-vous prévoir cette trahison?
   -Et bien je…
   -Je vais vous le dire moi : non, vous ne pouviez pas. Alors cessez de vous tourmenter pour chaque erreur que vous faites. Vous êtes un homme exceptionnel Mikau. Ne vous gâchez pas avec pareille considérations.
   Ils s’observèrent dans les yeux pendant une longue minute, sans mot dire.
   -Bien. Je suppose que nous nous verrons demain ; au petit matin.
   -Au revoir Mikau.
   -Au revoir, ma dame.
   Mikau sortit de la pièce le cœur à la fois léger et lourd. Allégé par les propos de la guerrière, mais alourdi car il savait que, quelle qu’ait été la monstruosité qui avaient hanté son périple dans l’esprit de Feena, elle se cachait dans les entrailles du Consortium.
   

    


Titre: La Tour du Rouge : Triangle de Haine - Chapitre III.
Posté par: Doutchboune le mardi 29 novembre 2011, 16:53:57
Ayé, j'ai enfin luuuuu !! Et j'aime toujours autant !!!

Mais par contre, je suis au taf, donc je vais pas trop me permettre un post détaillé, juste whaaa, c'est très fort ce qui se passe. Bravo.
Titre: La Tour du Rouge : Triangle de Haine - Chapitre III.
Posté par: Great Magician Samyël le vendredi 04 mai 2012, 23:21:45
Fichtre, "attention, il n'y a pas eu de réponse à ce sujet depuis au moins 120 jours." Effectivement, c'est pas mal poussiéreux dans le coin.

L'occasion donc de venir souffler un petit coup de neuf sur cette chère vieille tour, en te remerciant au passage, Doutch, pour ton dernier commentaire.  :^^:


Je vous présente mon faussement nouveau projet littéraire (puisque commencé depuis plus d'un an, bien que je n'ai réellement mis les mains dans le cambouis que depuis peu) : La Route du Nord. C'est une histoire que j'ai prévue relativement courte (Une dizaine de chapitres, peut-être un peu plus), et dans laquelle on s'attache à suivre les pérégrinations de Vizamir et Skelda de Skarg, de l'Orientir décimée jusqu'aux pavés monolithiques de la légendaire Route du Nord, en quête de... en quête de quoi, d'ailleurs? Difficile à dire, puisqu'il semblerait qu'eux-même ne le sachent pas vraiment.

Attrapez un chaud manteau, de quoi vous défendre, et venez affronter la Route...

Bonne lecture!


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La Carte de la Route. (http://image.noelshack.com/fichiers/2012/18/1336165410-carterouteessaieparchemin.png)


-La Route du Nord-


Premier Voyage :
Le Sang Hurlant


Prologue


   Des mains épaisses la saisirent. Avant même que son esprit embrumé ne prenne conscience de son éveil, son poing s’envola et s’abattit sur une surface dure qui implosa dans un craquement et un grognement sourd. Un concert de cris et de jurons emplit l’espace confiné de la tente de peau tandis que d’autres mains s’agrippaient à ses épaules, entravaient ses bras, la ceinturaient, l’extirpaient de l’amas de fourrures dans lequel elle dormait avec sa conquête de l’avant-veille.
   Skelda ouvrit les yeux. Une demi douzaine d’hommes, ses hommes, s’échinaient à la trainer au dehors. L’un d’eux gisait au sol, se tenant la mâchoire en pleurant. Un autre tira un long couteau et égorgea la femme dont Skelda s’était repue la nuit précédente. Elle rivait sur son assassin un regard incrédule et terrorisé. Son sang clair se mit à sourdre, souillant les fourrures.
   Skelda essaya de se débattre. Un soudard lui décocha un coup de poing dans l’abdomen dont la violence la courba en deux, le souffle coupé. Le rabat de la tente fut soulevé et la lumière du jour l’aveugla. On la poussa brutalement, et elle s’affala en avant dans la boue. La bise mordante de l’aube lui glaça les os, transperçant sa peau nue. Tremblante, elle se redressa tant bien que mal et jeta un regard à la ronde.
   Une cinquantaine de guerriers formait un cercle autour d’elle, et au centre se tenait Björn, son lieutenant. Sa barbe broussailleuse voletait dans le vent, de même que ses cheveux grisonnants. Vêtu d’une armure de cuir et de maille, il dévisageait Skelda de ses petits yeux gris et froids, les pouces glissés dans son ceinturon.
   -Björn, cracha Skelda d’une voix rauque. Qu’est-ce que cela signifie?
   -Cela signifie, Khorlä, qu’à partir d’aujourd’hui je dirige ce Froëdar.
   -Par la Malemort, un duel? C’est ça que tu veux?
   -Oui, Khorlä. C’est cela que je veux.
   Pour illustrer son propos, Björn s’empara de l’épée courbe à sa ceinture et du bouclier rond maintenu dans son dos par un baudrier.
   -Une arme!, rugit Skelda, ivre de fureur.
   On lui jeta un bâton. Une stupide branche d’arbre grossièrement droite, ferrée d’aucun côté. L’écorce non taillée était raide et rêche et lui écorcha la paume quand elle s’en saisit. Elle fusilla les guerriers du regard mais aucun ne fit mine de lui tendre une arme digne de ce nom. Ils étaient trop occupés à la dévorer des yeux, s’imaginant sans doute en train de lui mordiller ses tétons rougeâtres durcis par le froid ou fourrageant dans sa toison pubienne d’or et de sang exposée à leur vue.
   -Björn!
   Une voix souffreteuse s’éleva dans le cercle et Fargson se fraya un chemin tant bien que mal. Le vieux prêtre émacié flottait dans sa robe grise en haillons et haletait abondamment, comme si le simple fait de se trouver là lui coûtait un effort important.
   -Björn, répéta-t-il, non sans avoir jeté un regard brûlant au corps de Skelda. Björn, donne lui une arme de fer. Autrement, tu offenserais les dieux, par un faux duel.
   -Je n’ai que faire de tes dieux, prêtre. A un chien, on donne le bâton. Il en va de même pour les chiennes.
   Fargson s’empourpra tandis que les soudards s’esclaffaient.
   -Alors, sinon pour les dieux, fais le au nom de ce qu’elle nous a apporté.
   -Et que nous a-t-elle apporté? Certes nous avons pillé et violé plus que n’importe quel autre Froëdar. Et après? Nous n’avons eu de cesse de saccager toutes les terres que nous foulions, laissant derrière nous des carcasses de cités que nous aurions pu gouverner et incendiant de bonnes terres que nos serfs auraient pu cultiver. Et maintenant que la moitié des nôtres a péri, cette folle sanguinaire veut nous conduire à la mort en s’attaquant à Ikerias, la ville même de l’Empereur Valter. Tout cela, au nom de sa gloire. Nos chevaux croulent sous les richesses. Je dis assez. Rentrons chez nous.
   Skelda l’avait écouté monologuer, enrageant de se faire reprocher ce qui lui avait valu son nom et son commandement. Elle cracha par terre, pleine de mépris.
   -Alors vous n’êtes que des pleutres, et c’est avec joie que je vous enverrai tous rejoindre Lorshak en sa Demeure.
   Elle chargea en poussant un cri de guerre. Mais engourdie par le froid, ses pieds glissant dans la boue, sans arme (ou peu s’en fallait), et face à un adversaire aguerri et bien équipé, elle avait perdu avant même que le combat ne fusse commencé. Björn écarta la pointe du bâton de son bouclier et accueillit la charge d’un ample mouvement du poignet. Skelda distingua un éclair d’acier miroitant puis sentit la lame mordre à pleines dents dans le côté droit de son visage. La douleur était intolérable ; le sang, son sang, était chaud en s’écoulant vigoureusement et en fumant sur sa peau.
   Elle s’effondra sur le dos, se tenant le visage des deux mains et hurlant à la mort.
   -Jetez la au bas de la colline, entendit-elle Björn. Les loups se repaîtront d’elle.
   -Björn, intervint la voix du prêtre, lointaine. Un duel doit s’achever par une mort. Les dieux l’exigent!
   -Regarde la, prêtre. Elle est déjà morte.
   Des mains la saisirent à nouveau et la soulevèrent du sol, tandis que ses cris mourraient dans sa gorge et que le monde devenait soudain entièrement noir.


Merci d'avoir lu!
Titre: La Tour du Rouge : La Route du Nord - Prologue.
Posté par: Krystal le dimanche 06 mai 2012, 17:11:20
Je n'avais jamais pris le temps de venir par ici, lire tes oeuvres et encore moins commenter le tout. Je m'aperçois aujourd'hui que j'ai manqué beaucoup de choses.

Que dire de ce prologue ? Il est court, certes, et c'est sans doute ce qui m'a poussé à prendre quelques minutes pour le lire, mais ça a eu le mérite de retenir toute mon attention. Et sinon, quoi ajouter de plus, à part que j'ai adoré ce petit texte. L'action commence dès le début, et même si je n'ai pas lu tes précédentes fictions, ça m'a séduite et compte sur moi pour suivre ça de près. Il faudra d'ailleurs que je rattrape mon retard, un soir, avec une thermos et une couverture...

Enfin bon, si cela peut te motiver à mettre un peu plus les mains dans le cambouis, je t'encourage à continuer tout cela et de nous mettre la suite au plus vite. Et ne pas laisser ton topic plus de 120 jours aussi.  :-*
Titre: La Tour du Rouge : La Route du Nord - Prologue.
Posté par: raphael14 le dimanche 06 mai 2012, 19:13:13
Le soir où tu as posté ce prologue, je l'ai lu d'une part par curiosité et aussi parce qu'il était bref et que du coup ça allait pas me bouffer trop de temps. Je ne l'ai pas regretté.
Bon c'est toi tout craché : des barbares puant le sang et la sueur, des scènes plutôt chaudes (quoique le coup du sexe deux femmes, tu nous l'avais jamais fait, aussi loin que je m'en souvienne), un duel, du langage cru aussi raffiné qu'une hache émoussée.
Ça promet, même s'il est un peu difficile de se faire une idée bien précise de ce que tu nous réserve. En tout cas, sois assuré que je serai plus assidu que je ne l'ai été dans le passé. Tout ce que je peux espérer c'est que ce nouveau projet ne rejoindra pas la liste de tes projets en suspend.
Titre: La Tour du Rouge : La Route du Nord - Prologue.
Posté par: Great Magician Samyël le lundi 07 mai 2012, 00:40:47
Wow, des gens, ça me fait super plaisir. :^^:

Boobstalinette ==> Merci d'être passée, ça me fait bien plaisir. :) Si tu souhaites te plonger dans les entrailles de la Tour, je ne peux que te conseiller de commencer par Triangle de Pouvoir, c'est, je pense, ce que j'ai produit de plus abouti, tant sur la forme que sur le fond, et il a l'avantage d'être achevé. En sus c'est aussi ce qu'il y a de plus récent, donc de plus "actuel" j'ai envie de dire. Bref, en espérant te revoir, et encore merci!

Raph ==> Ha! Je suis très heureux de te revoir dans le coin! :) Je suis bien content en tout cas que ce prologue t'ait plu, et j'espère que la suite ne te décevra pas. J'ai de bons espoirs quant à l’achèvement de ce projet, puisque l'histoire sera relativement courte, et que je sais déjà où je vais et comment. Bref, au plaisir de te revoir dans le coin, et merci pour ton passage.  :^^:

Sur ce, le début du premier chapitre. J'ai décidé, contrairement à mes précédentes publications, de morceler les chapitres, d'une part pour proposer des textes assez courts donc plus agréables à lire, je crois, et d'autre part pour ne pas grignoter mes réserves trop vite. (Puisque j'ai tendance à publier plus vite que je n'écris.)

Voilà, je n'en dis pas plus, et vous souhaite une bonne lecture!


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La Carte de la Route (http://image.noelshack.com/fichiers/2012/18/1336165410-carterouteessaieparchemin.png)


Chapitre premier :
La potence.
-1ère Partie-




   Des cris tirèrent Vizamir de sa somnolence. Des exclamations exaltées, en provenance de la minuscule place du village, faisaient vibrer les vitres crasseuses à côté de lui. A l’intérieur de l’auberge, les rares clients se précipitèrent dehors, avec l’aubergiste, qui ne jeta pas même un coup d’œil méfiant à l’étranger.
   Intrigué, Vizamir finit sa bière de houblon insipide et, passant son long arc en bandoulière, sortit à son tour, resserrant sa pelisse en fourrure de loup sur ses épaules maigres. Le ciel n’était qu’un amas confus de teintes de gris et de blanc, où des flocons épais et tenaces virevoltaient paresseusement, transformant petit à petit le sol en boue épaisse et salissante. Vizamir ignorait le nom de la bourgade, mais elle comportait une vingtaine de bâtisses, dont deux en pierres de construction -l’auberge et le temple- dans le style impérial le plus pur. Ces bâtiments abritaient une centaine d’âmes humbles, des fermiers pour la plupart ainsi qu’un forgeron à moitié aveugle et trois miliciens gras et épuisés qui n’avaient certainement jamais dû user de leurs glaives.
   Le village rappelait à Vizamir la centaine d’autres, similaires, qu’il avait déjà eu la « chance » de visiter en parcourant la campagne impériale. Morne, gris, froid et pouilleux. En temps ordinaires, les autochtones essayaient de lui faire la peau pour le détrousser, mais depuis que la famine et la guerre ravageaient conjointement le sud d’Ikerias, la simple vue de ses longues dagues et de son arc bien huilé suffisait à décourager les plus vindicatifs. Alors ils se contentaient d’accepter son or sans rechigner, non sans lui jeter des regards effarouchés -mais ça, il en avait l’habitude.
   Tous les habitants s’étaient rassemblés, vieux, femmes, enfants, travailleurs, autour d’un simulacre d’estrade où l’on avait installé une potence grossière. Deux miliciens tiraient un jeune enfant, terrorisé et en pleurs, par les bras, tandis que le capitaine observait la foule depuis l’estrade, remontant régulièrement ses braies que son ceinturon défraîchi ne parvenait plus à maintenir. Ses petits yeux chafouins s’arrêtèrent sur le garçon, et sa langue baveuse pourlécha ses lèvres bleuies par le froid. Ses moustaches luisaient de crasse, de part et d’autre de sa bouche molle.
   Des cris déchirants firent écho à l’excitation de la foule. Une femme en pleurs fendit la cohue et se jeta au pied du capitaine. Elle était plutôt avenante, pour le trou perdu dans lequel elle vivait, mais les bleus sur son visage et ses bras indiquaient assez que cela devait plus être un fardeau qu’un avantage.
   -Julius, je vous en conjure!, sanglotait-elle en lui baisant les pieds. Ne faites pas ça, il n’a rien fait, rien fait de mal!
   -Le citoyen Acromius l’a vu revenir de la forêt, les mains pleines de sang frais.
   -Vrai que je l’ai vu, ce sale petit démon, s’époumona l’intéressé. Aussi vrai que je vous vois maintenant. Ses yeux brillaient et il souriait comme un coquin satisfait d’son méfait.
   Le capitaine se tourna vers le garçon, qui avait déjà la corde au cou. Il tremblait, et ce n’était pas à cause du froid. Il lançait des regards suppliant à sa mère.
   -Qu’as-tu à dire pour ta défense, mon garçon?
   -C’est un mensonge!, gémit-il. Je peux expliquer!
   -Alors fais vite.
   -Je suis parti chasser dans la forêt, ça c’est vrai. Mais y avait une femme en bas de la colline Palantin. Elle était nue, et son visage saignait. C’est pour ça, le sang, je le jure, pitié!
   -Mensonge, cria quelqu’un dans la foule. Moi je dis que c’était un démon qu’il a vu, et qu’il commerce avec. Tout le monde sait que c’était un sorcier, son père au gamin. Il a ça dans le sang.
   Le reste du village approuva avec force cris, sans porter la moindre attention aux pleurs de la mère. Le capitaine Julius se caressait distraitement les moustaches, comme si tout ceci l’ennuyait profondément et que ce n’était pas son problème.
   -Je suis désolé, Shandra, finit-il par déclarer après un temps de réflexion. Mais les faits sont accablants. Messieurs.
   Les deux miliciens commencèrent à tirer sur la corde, et après un à-coup, celle-ci se serra étroitement autour du cou du garçon et il fut soulevé de terre, cherchant avidement de l’air, les yeux exorbités. La foule cria son assentiment, certains allant jusqu’à jeter des poignées de boue à moitié solide. Le supplice dura quelques interminables secondes, avant qu’une nouvelle voix, forte et claire, ne s’élève.
   -Attendez, capitaine Julius.
   Un vieil homme souriant se matérialisa devant l’estrade. Il claudiquait et s’aidait d’une canne mais son riche vêtement pourpre le désignait comme un prêtre du Temple. Les deux miliciens lâchèrent la corde et l’enfant s’écrasa face contre le bois, se recroquevillant en cherchant goulument son souffle.
   -Mon père, s’inclina Julius en lui baisant le dos de la main, c’est un honneur de vous avoir parmi nous.
   -Ce n’est rien, mon fils. Il est de mon devoir d’aider les valeureux qui combattent le Mal… quelles que soient les formes qu’il prend.
   Il jeta un regard sévère au supplicié.
   -La pendaison, c’est le sort réservé aux criminels. Il existe d’autres châtiments, pour ceux qui commercent avec les démons. Des châtiments qui plaisent au Panthéon, et éloignent le Mal.
   -Nous sommes Ses serviteurs, s’inclina à nouveau le capitaine, visiblement mal à l’aise. Que préconisez-vous, mon père?
   -La lapidation face aux murs du temple lavera son âme de sa souillure, prophétisa le prêtre.
   Il n’en fallait pas plus à la foule pour devenir hystérique. Comme une vague, elle s’abattit sur le garçon et l’emmena en direction du haut bâtiment de pierre, à l’extrémité du village. Julius les suivit peu après, avec un soupir. Seul s’attarda le prêtre, un sourire sur le visage. Vizamir se passa une main dans les cheveux, un arrière-goût amer dans la bouche. Il ne s’habituerait sans doute jamais à la stupidité des paysans, leur cruauté, et la bassesse d’âme dont étaient capable les humains. Et que dire de leurs religions, songea-t-il en voyant le prêtre claudiquer vers lui.


Merci d'avoir lu!
Titre: La Tour du Rouge : La Route du Nord - Chap 1 (1ère Partie)
Posté par: raphael14 le lundi 07 mai 2012, 20:04:26
Ravi de voir que tu y mets autant d'enthousiasme. En plus le format est idéal, ça se lit rapidement mais il se passe tout de même des choses.
On suit donc Vizarim, un personnage bien énigmatique, et à travers son regard on voit à quel point le nouveau monde dans lequel tu nous plonges est aussi pourri que le royaume de Danemark, comme d'hab', j'ai envie de dire. Quoique tu fais assez fort cette fois-ci.
Je suis toujours épaté par ta capacité à t'enfoncer toujours plus loin dans le glauque : des miliciens ventripotents, un chef de la garde qui a les mains aussi propre que celles de Ponce Pilate, une femme sur lequel tout le village doit être passé (bravo l'image de la femme) et un pauvre gamin que l'on pend haut et court. Bon, je te concède que les maltraitances sur des gosses, tu avais déjà expérimenté avec le Cycle du Rouge, mais le pire reste à venir.
Quand le prêtre arrive, lumière d'espoir : un peu de sagesse dans ce monde d'obscurantisme. Je me dis que le mouflet est sauvé. J'aurais sûrement me douter de la suite, on est dans du GMS, tout de même : le prêtre enfonce encore plus le pauvre gosse, et c'est parti pour une lapidation. Quelle raclure ce prêtre. On se croirait aux heures les plus sombres de l'Inquisition.
C'est comme Orange mécanique : ce que l'on voit est juste insupportable mais on ne peut pas en détourner les yeux.
Et tu peux être sûr que je suivrais la Route du Nord (ça a l'air plus fun que Pékin Express). Peut-être avec le fol espoir d'un happy-end même si ça a l'air un peu râpé.
Titre: La Tour du Rouge : La Route du Nord - Chap 1 (1ère Partie)
Posté par: Great Magician Samyël le jeudi 17 mai 2012, 20:16:11
Diantre, désolé de poster aussi tard mais j'avais complètement oublié de poster la prochaine partie.  :R

Merci d'être fidèle au post Raph! Et si je puis me permettre, ce n'est pas du glauque, juste une (la?) réalité froide et lucide d'un monde impitoyable. :ange: Le parallèle que tu fais avec l'Inquisition est intéressant, en effet étant assez (énormément?) hostile envers la Religion (que je distingue de la Foi), j'ai souvent tendance à conférer aux ordres religieux que je conçois les attributs de l'Inquisition, à savoir une foi aveugle et idiote, une grande violence et un mépris total de la vie humaine. Quant à un happy-end, et bien, je ne sais même pas ce que signifie cette expression. :R M'heu j'déconne, au fond, l'écrin de noirceur dans lequel je drape mes récits et mes personnages ne sert qu'à faire briller plus encore les quelques élans de bravoure et de bonté qui transparaissent ici et là sur le gris du ciel, et étant un grand romantique dans l'âme, au final c'est un message d'espoir qu'il faut y chercher. Car tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir! Merci de ton commentaire en tout cas, en espérant que cette fin de chapitre te plaise!

Et moi je vous dis à bientôt pour le début du chapitre 2, en essayant de ne pas oublier cette fois. :astro:

Allez, bonne lecture!



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La Carte de la Route (http://image.noelshack.com/fichiers/2012/18/1336165410-carterouteessaieparchemin.png)


Chapitre premier :
La potence.
-2ère Partie-



-Messire! J’ai entendu parler de vous. Je suis… peiné, de vous accueillir avec un si triste spectacle, je le crains.
   -Epargnez moi votre hypocrisie, vieil homme. Vous et moi savons parfaitement que ce gosse n’est coupable de rien.
   -Tient donc?
   -Il faut plus qu’un beau sourire et un peu de sang pour invoquer un démon. Tout ce que vous avez fait, c’est rendre son supplice plus douloureux qu’il ne l’aurait été.
   La face ridée du vieil homme adopta une expression déçue.
   -Je ne m’attends pas à ce qu’un étranger comprenne nos coutumes, fit-il d’une voix sèche.
   -Ho, rassurez-vous, je les comprends parfaitement. J’ai suffisamment étudié vos cultures, dans les livres et sur le terrain.
   -Ho, alors cela vous permet de nous juger?
   -Et vous, votre robe vous permet-elle de juger l’âme de ce pauvre gosse?
   -Oui, rétorqua le prêtre. C’est un pouvoir que me confère le Panthéon.
   Vizamir secoua la tête. Il n’avait plus envie d’entendre parler le vieil homme.
   -Je n’ai plus rien à vous dire. Adieu.
   Il fit mine de s’en aller, mais le vieil homme l’attrapa par le coude avec une force étonnante.
   -Allons, allons. Je ne voulais pas vous chagriner, messire Caelach.
   Vizamir plissa les yeux et étudia plus attentivement le visage du prêtre, qui lui souriait avec un soupçon de malice.
   -Comment m’avez-vous appelé?
   -Ha! Cela vous intrigue, n’est-ce pas? Je sais ce que vous cherchez. Je peux peut-être vous aider.
   -Parlez.
   -Ho, ho! Allons, ne précipitons pas les choses. Suivez moi au Temple, je vous ferai une… proposition, qui nous sera à tous les deux profitables, croyez moi.
   Ils échangèrent un long regard. La neige avait cessé de tomber, et l’air comme le paysage était parfaitement immobile.
   -Je vous suis.
   Ils prirent la direction qu’avait empruntée la foule. Les hauts murs de pierre froide du temple apparurent bientôt à la vue de Vizamir, et les hurlements de douleur du supplicié agressèrent ses tympans. Le garçon, dénudé, avait été attaché par les poignets et les chevilles à la façade est du bâtiment, et les villageois sifflant et jurant lui crachaient dessus en lui jetant des pierres. Du sang coulait déjà entre les jointures des moellons, et certaines parties du corps avaient pris des courbes contre-natures. Personne ne remarquait, ou du moins faisait semblant de ne pas remarquer, le bon capitaine Julius qui besognait la mère à même la boue, la face rubiconde et emperlée de sueur, tandis que ses fidèles acolytes la maintenaient par les épaules, attendant certainement leur tour.
   La femme jeta un regard implorant à Vizamir qui passait près d’elle à la suite du prêtre. Il détourna les yeux et poursuivit son chemin sans un mot. Aussi triste que fusse sa condition, ce n’était pas son problème. L’intérieur du temple était plutôt spacieux, dénué du moindre ornement ostentatoire comme on en voyait souvent. Une dizaine de longs bancs remplissaient presque tout l’espace, devant une chaire en bois. Le prêtre lui fit signe de le suivre, tandis qu’il s’arc-boutait pour soulever une lourde dalle de pierre, qui aurait dû être bien trop lourde pour sa frêle carcasse. Un étroit et suintant escalier s’enfonçait dans les entrailles du bâtiment, charriant un air vicié de moisi. Vizamir fit signe à l’ecclésiastique de passer en premier et lui emboîta le pas. Il compta mentalement cent vingt trois marches avant d’atteindre le fond, une salle carrée creusée dans la terre. Des torches brûlaient sur les murs, éclairant l’endroit d’une lumière chaude et rouge.
   Trois jeunes filles, nues, étaient enchainées à des appliques métalliques vissées dans les murs. Elles paraissaient indolentes, mais lorsque Vizamir pénétra dans la pièce, elles tirèrent sur leurs chaines et tendirent leurs corps vers lui, les seins pointant, dans des gémissements lascifs. Elles étaient jolies, si on exceptait les multiples plaies qui zébraient leurs corps, signes de fouet, de scarifications et autres tortures. Toutes cependant partageaient un même air campagnard. Elles étaient probablement droguées, maintenues captives et serviles pour le bon plaisir du prêtre. Vizamir se demanda brièvement si leurs familles les attendaient, quelque part.
   Le vieil homme s’approcha de la plus proche, une brune au teint halée, et lui empauma violemment un sein. La fille réagit instantanément, tremblante de plaisir.
   -Je t’écoute, prêtre, gronda Vizamir.
   -Droit au but, hein?
   -Tu as parlé d’une offre.
   -Tout à fait.
   La fille brune s’agenouilla, et ses mains disparurent sous les robes du prêtre. Ce dernier lui caressait la tête d’un geste possessif.
   -Je peux répondre à toutes tes questions, Caelach. Je peux mettre un terme à ta quête.
   -Vous ne cessez de m’appeler Caelach. Qu’est-ce que cela signifie?
   -Cela veut dire Sang noir, dans la langue des anciens.
   -Qu’est-ce? Un titre, un nom?
   -J’ai promis de répondre à tes questions, mais un marché implique une contrepartie.
   -Parle, ordonna Vizamir.
   Le prêtre savait quelque chose, il le sentait. Il le voyait dans ses yeux, l’entendait sans sa voix. Il frémit malgré lui d’excitation, Son odorat développé captait l’odeur de la fumée des torches, les puissants relents sexuels qui émanaient des trois femmes. Il se sentit légèrement euphorique, et son sexe se durcir dans ses chausses. Il se laissa aller contre le mur, et ne bougea pas lorsque la fille la plus proche colla sa bouche contre son entre-jambe.
   L’ecclésiastique sourit.
   -Je ne désire pas grand-chose, non. Juste un peu de ton sang. Juste assez pour remplir un petit calice.
   L’excitation de Vizamir retomba instantanément, et il s’écarta d’un bond. Il retrouva ses esprits et comprit qu’il avait failli tomber dans un piège. Il percevait une nouvelle odeur dans la fumée des torches. Un narcotique que l’on faisait brûler dans les lupanars de Chizell, pour désinhiber les clients les plus retissant. 
   -C’eut été trop beau, soupira-t-il. J’aurais du me méfier.
   -Plait-il?
   -Je sais ce que vous êtes. Mais vous ne m’aurez pas. Je préfère continuer ma quête, que de m’abandonner à un démon.
   -C’est donc un refus?
   -Cela en a tout l’air.
   Les traits du vieil homme se tordirent, la peau de son visage sembla se tendre sur ses os.
   -C’est bien dommage, fit-il d’une voix caverneuse. Je t’aurais bien traité, Caelach. Je t’aurais révélé tout ce que tu veux savoir, et même plus. Je t’aurais également donné l’une des mes petites chéries. Mais puisque tu ne veux pas me donner ton précieux sang… Je vais devoir le prendre par moi-même.
   Vizamir se jeta sur le côté, sauvé par un réflexe. Une pair de pinces chitineuses claquèrent là où il se trouvait quelques instants plutôt. La fille s’était transformée en une monstruosité innommable. Ses bras avaient éclaté pour révéler des appendices acérés et crochus, sa langue pendait, longue, fine et pointue, ses jambes s’étaient couvertes d’un chaume rêche et ses pieds n’étaient plus que des sabots d’âne. Son front s’ornait d’une paire de cornes rougeâtres, et ses yeux uniformément blancs braquaient sur lui un regard d’où exsudait un appétit insatiable. Malgré son apparence repoussante, il émanait de la chose un puissant musc sexuel qui brouillait les sens. Heureusement, elle était toujours enchainée au mur. Ses pinces claquaient dans le vide, à quelques centimètres de Vizamir qui se releva en dégainant ses deux longues dagues. Il y eut un froissement d’ailes, et une silhouette massive bondit sur lui. Il roula en dessous, en profitant pour redresser ses armes. Les lames rencontrèrent une résistance et un ichor verdâtre et fumant se répandit sur le sol tandis que la chose hurlait de douleur et de colère.
   Le prêtre, reconnaissable aux lambeaux de robe pourpre qui pendaient encore sur son corps boursouflé se tassa sur lui-même, deux plaies suintantes lui barrant le torse.
   -Tu vas payer pour ça, Caelach, cracha le démon.
   Ses mains comme des marteaux s’élancèrent à sa rencontre, presque trop rapides. Vizamir leva une dague, mais les griffes de la créatures ripèrent sur la lame et continuèrent leur route jusqu’à entailler l’avant bras de Vizamir qui grogna de douleur en effectuant un désengagement. Celui-ci profita de l’élan du démon pour placer une botte haute avec son autre dague. Dans un éclair argenté, l’acier s’enfonça profondément dans l’œil gauche de la créature, aspergeant Vizamir d’humeur noirâtre et écœurante. Sans autre effet dramatique, ce qui avait été un prêtre s’effondra sur le sol, masse informe de chair boursoufflée et difforme. Vizamir dégagea son arme, avec un haut-le-cœur. Il inspecta la plaie sur son bras, mais elle se révéla peu profonde et probablement bénigne. Il se confectionna tout de même un rapide bandage pour éponger le sang avec un morceau de la robe pourpre.
   Pour éviter tout risque, il découpa proprement la tête du démon et la lâcha sur le sol où elle rebondit dans un bruit mat et visqueux. Il prit soin d’éviter tout contact avec le sang démoniaque. Un cri derrière lui le fit se retourner. La jeune fille brune, qui avait gardé un aspect humain, se tenait la bouche, le visage crispé d’horreur en fixant la carcasse du démon, et les deux démones qui gémissaient, inertes, privées de la volonté de leur maître.
   -Dieux, protégez moi, implora-t-elle en sanglotant.
   -Tes dieux t’ont déjà abandonnée, fit remarquer Vizamir d’une voix calme.
   Elle sembla alors se rendre compte de sa présence.
   -Aidez moi, je vous en supplie. Faites moi sortir d’ici, ô dieux, c’est un cauchemar! Pitié, je ferais tout ce que vous voudrez.
   Vizamir la détailla. Maintenant que les émanations sexuelles des démones s’étaient taries, et que la puanteur du démon recouvrait le narcotique, il constata qu’elle était moins belle qu’il ne l’avait cru. Il se demanda si elle avait été transformée, elle aussi.
   -Désolé, fit-il froidement. Je ne veux pas prendre ce risque.
   Elle n’eut pas le temps de crier. Il lui trancha la gorge d’un coup brusque. Elle mourut rapidement, les yeux grands ouverts. Il s’était trompé. Elle était encore humaine. Il voulut ensuite s’occuper des démones qui gisaient au bout de leurs chaines, comme frappées de stupeur, mais il se ravisa.   En venant s’enquérir de leur prêtre, les villageois pourraient ainsi voir la toute puissance de leur religion.
   L’idée lui plut et lui arracha un de ses rares sourires. Lorsqu’il ressortit du temple, le corps sans vie et difforme du garçon pendait toujours sur le mur éclaboussé de sang. Sa mère gisait non loin. Dénudée, les cuisses et les seins striées de griffures, la peau bleuie, elle ne respirait plus et devait déjà être aussi dure que du bois.
   Vizamir se passa une main dans les cheveux, en se demandant si l’hystérie dont il avait été témoin n’était pas l’œuvre du démon. Il n’était pas un expert en démonologie mais il en avait appris assez au cours de ses nombreux voyages pour savoir que le sang d’un mortel offert librement donnait tout pouvoir sur celui-ci. Il frissonna en songeant à ce qui aurait pu arriver si les drogues, naturelles et magiques, avaient été plus efficaces sur lui.
   Cette journée s’était avérée au final assez intéressante. Outre une plaie au bras, il avait récolté un précieux indice dans sa quête. Caelach. Un mot, un nom, un titre… Au moins de quoi orienter un peu ses recherches. Il lui faudrait gagner la Tour du Savoir en Ponth’Hyliän, maintenant que les bibliothèques d’Uru-Ban lui étaient interdites. Mais pour l’heure, il avait autre chose en tête.
   Le garçon avait parlé d’une femme, dans la forêt.


Merci d'avoir lu!
Titre: La Tour du Rouge : La Route du Nord - Chap 1 (2e Partie)
Posté par: raphael14 le jeudi 17 mai 2012, 22:25:30
Eh bien on peut dire que tu t'es encore une fois fais plaisir.
Pour commencer parlons bondieuserie. Effectivement, dans le Cycle du Rouge, la religion revêtait déjà un caractère excessif allant jusqu'au fanatisme. La religion engendre toujours des ignominies quand elle n'est plus guidée par la raison. Et tu as bien raison de distinguer la religion de la foi : la foi est une confiance aveugle proche de l'engagement et du don de soi. Le tout est de savoir en quoi on a foi.
Maintenant penchons-nous sur le nouveau texte que tu nous présentes.

Un prêtre démoniaque, une pièce secrète pleine de succubes, un gosse lapidée et une femme violée et tuée. On a bien l'écrin de noirceur nauséabonde, par contre niveau noblesse d'âme et bravoure Vizarim peut repasser. Son jemenfoutisme est sans doute normal à juger par le monde joyeux que tu présentes ; à moins qu'il ne soit blasé, tu vois ça ne m'étonnerait même pas. Quand on voit des gens se faire trucider ou subir les plus horribles sévices, ou bout d'un moment on doit finir par être vacciné. D'une certaine façon Vizarim me fait de la peine parce que devenir insensible à ce genre de spectacle c'est vraiment triste ; on a presque l'impression qu'il a renoncé à son humanité pour pas péter les plombs.
Je trouve aussi follement ironique, voire cynique, que le prêtre soit au final un démon. Ses ouailles qui ont tant de respect pour lui vont tirer une drôle de touche quand il se rendront compte qu'il était en fait un de ces démons qu'ils craignent et détestent tant.
Sinon, je ne je ne m'étendrai pas tout de suite sur le scénario étant donné le peu de données que nous avons pour le moment.
En tout cas il ne lui reste plus qu'à aller ramasser à la petite cuillère Skelda qui doit baigner dans la boue et son propre sang. Tout un programme.

À bientôt donc pour de nouvelles et folles aventures à GMSland, le pays où le soleil brille sur des prairies de fleurs des champs où volettent des papillons...ou pas.
Titre: La Tour du Rouge : La Route du Nord - Chap 1 (2e Partie)
Posté par: Krystal le jeudi 17 mai 2012, 23:05:57
Laisse-moi deviner, tu adores foutre des gens à poils dans tes textes, n'est-ce pas ? :astro:

Enfin bon, ce premier chapitre est aussi bon que le prologue. Et oui, je n'ai pas commenté ta première partie parce que je préfère attendre d'avoir le chapitre en entier. Commenter partie par partie, ça encombrerait vite je pense. Et puis, je n'ai pas pour habitude de détailler les choses, d'étoffer mes posts, c'est pour ça qu'ils sont assez courts, t'étonnes donc pas.

Alors, que dire ? Un chapitre de "transition", qui fait suite au prologue You don't say ? d'une manière très réussie. Ce que je veux dire, c'est que ça ne va pas trop vite, tu as introduit un deuxième personnage et tu n'as pas directement continuer l'histoire de Skelda, faisant une sorte de transition. Tu as fait allusion à cette femme avec une unique phrase dans ta première partie, qui s'est perdue dans la lecture, et c'était amplement suffisant. J'ai encore beaucoup aimé, ce prêtre était un gros connard, tu tournes tellement bien tes phrases que j'ai envie de te frapper à mort pour boire ton sang afin d'acquérir ta faculté et ton vocabulaire, et j'ai aussi envie que tu postes ta suite très vite.

Ce post était court, mais il exprime très bien ce que je pense et j'espère que cela t'inciteras à ne pas poster trop tard.
Titre: La Tour du Rouge : La Route du Nord - Chap 1 (2e Partie)
Posté par: Prince du Crépuscule le samedi 19 mai 2012, 23:06:33
Coucou petit mage. Eh oui, c'est moi, le prince. Surprise ! :astro:

Bon, aujourd'hui, pas de pavé. ça peut sembler sévère, comme ça, mais je crois que tu en connais la raison : moi, j'ai déjà lu tout ça. Et si mes souvenirs sont exacts, ça n'a quasiment pas changé depuis l'année dernière (c'est bien l'année dernière que tu m'as filé tout ça ? J'en suis plus très sûr).

Bref ; tout ça pour dire que je suis avec attention cette "nouvelle" fic' et que ça me fait très plaisir que tu continues. Comme l'a souligné Raph', tu as légèrement tendance à t'embarquer dans une foultitude de projets, donc j'espère que cette fois, ce sera la bonne. Relire ces quelques lignes s'est révélé plutôt intéressant, en tout cas. Inutile pour moi de répéter ce que je t'ai déjà dit à propos du prologue et du premier chapitre (pleure, petit poisson rouge :o), puisque tu devrais avoir tout ça dans ton historique des conversations, n'est-ce pas ? Le cas échéant, Raph' et Krys' ont déjà dit en substance tout ce que j'avais en tête, donc tu peux t'épargner la peine de fouiller dans les archives poussiéreuses de msn. De rien. :-*

Par contre, juste un petit détail : les clients des lupanars de Chizell, ils tissent quoi ? Non parce que tu dis qu'on y fait brûler des narcotiques pour les plus "retissant", alors je me demande. :R

Je taquine. Sinon, que dire à part que je suis impatient de lire la suite, avec toujours plus de pacifisme, de tolérance et d'amours pastorales ? Il me semble avoir encore une légère avance sur mes deux voisins du dessus, mais je crois que ça ne durera pas bien longtemps.

Au plaisir de te lire bientôt,

Prinz der Dämmerung
Titre: La Tour du Rouge : La Route du Nord - Chap 1 (2e Partie)
Posté par: Great Magician Samyël le mercredi 23 mai 2012, 20:05:09
Ha, je suis bien content de voir de l'animation dans le coin! :^^:

Raph ==> Merci pour le commentaire! Et oui, Vizamir n'est pas franchement un héros au sens où on l'entend, mais il a de bonnes excuses. Je ne sais pas si on peut dire qu'il fait de la peine, après tout c'est plutôt un type jovial au sourire facile, toussa toussa. ;D En tout cas, tu as oublié dans ta description de GMSland les cui-cui des oiseaux et les gazouillis des ruisseaux joyeux!

Boobstalinette ==> Je n'aime pas foutre des gens à poil dans mes textes, c'est eux qui se désapent tout seul, j'en peux rien. :h: Par contre je sais pas si je suis content que veuilles me frapper à mort pour boire mon sang, dit comme ça ça paraît un peu radical. M'enfin, merci pour le commentaire, et en espérant que la suite te plaise! :)

PdD ==> Vous ici! O_O Pavé ou pas, en tout cas ça me fait toujours plaisir. Et tu as raison, ce que j'ai posté n'a pas bougé par rapport à ce que tu as déjà lu il y a un an, mis à part quelques corrections orthographiques ci et là. D'ailleurs, "l'inédit", si j'ose dire, commencera pour toi dès la deuxième partie du chapitre 2. Et comme je disais à Raph, quelques postes plus haut, j'ai bon espoir de terminer cette Route du Nord, car l'histoire sera assez courte et est déjà bien ancrée dans mon esprit. :^^: Enfin, ça m'a fait super plaisir de te voir dans le coin, et n'hésite pas à repasser!


Sur ces bonnes paroles, voici la première partie du chapitre 2. Bonne lecture!

_____________

La Carte de la Route (http://image.noelshack.com/fichiers/2012/18/1336165410-carterouteessaieparchemin.png)


Chapitre second :
Skelda de Skarg
-1ère Partie-




   Il la trouva le lendemain.
   Vizamir avait pris la direction du plein Est, laissant derrière lui, avec un certain contentement, le village anonyme. Cette partie de l’Orientir, au sud de la troisième capital impériale, Ikerias, était aussi plate qu’une lame d’épée. C’était une vaste steppe couverte de hautes herbes malingres battues par un vent souvent violent. Quelques bosquets maigrelets, ainsi que les silhouettes diffuses de minuscules hameaux, loin sur l’horizon, venaient rompre ici et là la monotonie du paysage.
   La nuit avait surpris Vizamir avant qu’il n’eut pu trouver un endroit sûr où s’installer. Se reposant à même le sol rendu fangeux par la neige fondue, il n’avait pas osé allumer un feu, malgré le froid, pour ne pas indiquer sa position à un groupe de bandits ou, pire, une patrouille de Skargs. Au matin, sa pelisse de loup était toute raidie par le gel et ses mains tremblantes peinèrent avant de produire des étincelles avec les silex. Il se réchauffa aux flammes en déjeunant de quelques lanières de viande séchée tirées de ses maigres provisions, avant de se remettre en route.
   Il atteignit le bois une heure plus tard. Protégée par les frondaisons, la neige n’avait pas été balayée par le vent et il n’eut pas trop de difficulté à retrouver les traces de l’enfant. La forêt était parfaitement silencieuse, mais par précaution, et peut-être un peu à cause de l’anxiété que lui causaient les espaces restreints, Vizamir encocha une flèche à son arc et avança prudemment. Il humait l’air à la manière d’un chien de chasse, à l’affût de certaines odeurs caractéristiques. Celle du sang ne tarda pas à lui emplir les narines. C’était une odeur bien particulière, facilement identifiable par ses remugles cuivrés et entêtants.
   Les traces du garçon le conduisirent au pied d’une colline imposante, extrêmement pentue et lisse comme une croupe de vierge. Prenant soin de rester sous le couvert des arbres, Vizamir leva la tête pour tenter d’observer le sommet, mais en vain. Il percevait des odeurs récentes d’activité humaine : excréments, poix de torche, cendres…
   Prudent, il longea la colline où il découvrit le corps. Comme le garçon l’avait dit, elle était nue. Elle gisait sur le ventre, la tête face contre terre. Elle avait une impressionnante crinière vermeille tressée de blond, emmêlée et crasseuse, qui masquait ses traits et faisait comme une flaque autour de sa tête. Sa peau blanche, mais non bleuie, était maculée de boue et de neige sale, entaillée par endroits par sa chute. Elle était grande. A vrai dire, c’était la plus grande femme que Vizamir avait jamais vue. Presque aussi grande que lui, qui dominait sans peine l’humain moyen de deux bonnes têtes. Ses courbes avaient quelque chose de gracieux, sculptural, tout en muscles fermes et bien dessinés.
   Vizamir resta un moment dans un fourré à la regarder, guettant un signe de vie. Mais les minutes passant, il se rendit à l’évidence : elle était morte. De toute manière, le temps que le garçon ne revînt au village, et que lui-même ne la trouvât, trois jours avaient du s’écouler. Personne ne pouvait survivre aussi longtemps, nu, dans le froid.
   Il fit mine de s’avancer mais un craquement de branche, de l’autre côté du corps, le stoppa. Il se figea de stupeur lorsqu’un immense loup surgit des buissons enneigés. La bête était énorme, musculeuse à l’inverse de ses congénères malingres que Vizamir croisait parfois, dotée de crocs blancs et luisants, tellement grands qu’ils jaillissaient de sa gueule. Son pelage était plus noir que la nuit, mais son dos et le sommet de son crâne pointu semblaient faits d’argent. Ses yeux étaient rouges. Rouges comme le sang.
   L’animal s’avança, d’une démarche pesante, humant l’air, les oreilles rabattues. Sa queue remuait lentement de droite à gauche, évoquant à Vizamir les oscillations d’un pendule. Le loup s’approcha du cadavre. Il le renifla de haut en bas, lécha un peu de sang séché et poussa un grondement sonore. Alors, il vint se placer derrière la femme et, posant ses pattes de part et d’autre du torse, il la monta.
   Vizamir en oublia un instant de respirer. La scène avait quelque chose d’irréel. De là où il était, il pouvait voir le sexe luisant de l’animal pénétrer profondément le cadavre. Cela était écœurant, fascinant, morbide, excitant, contrenature et sensuel à la fois. Vizamir sentit le tempo de son cœur accélérer, alors qu’il était incapable de détourner les yeux de l’atrocité qui se jouait à quelques mètres à peine.
   D’une main incertaine, il essuya la sueur qui lui maculait le front, malgré le froid. L’occulte accouplement dura encore deux bonnes minutes. Au terme de celles-ci, le loup jeta le crâne en arrière et poussa un hurlement qui glaça les sangs de Vizamir, tandis qu’il libérait sa semence. Puis, il se retira et, grondant, il darda sur Vizamir ses yeux monstrueux. Sans attendre, ce dernier relâcha la corde de son arc. La flèche fila avec un sifflement, mais la bête avait disparu. Ahuri, Vizamir cligna plusieurs fois des yeux. Le loup s’était purement et simplement évanoui. Il n’y en avait plus trace. Il compta mentalement jusqu’à dix et jugea alors que tout danger était écarté.
   Ré-encochant une flèche, il s’approcha du corps. Il n’avait pas été victime d’une hallucination, comme il le crut un instant, car les cuisses de la femme luisaient de semence animale. Mais, surtout, elle vivait. Elle respirait ; sa poitrine compressée contre le sol se soulevait péniblement et il entendait distinctement son souffle rauque. Il caressa un moment l’idée de l’achever et de brûler le corps. Une chose était sûre : il y avait de la magie noire à l’œuvre.
   Mû par un sentiment étrange et indéchiffrable, il se contenta de la retourner sur le dos du bout de sa botte. La plaie était horrible. Une lame avait mordu le côté droit du visage, presque verticalement, traçant une ligne sanglante de chair à vif de l’arcade à la mâchoire, en passant par l’œil. Le visage de la femme n’était plus qu’un magma confus de sang, de boue et de cheveux raidis par l’hémoglobine et plaqués par la neige.
   Vizamir eut presque pitié. Presque. Avec sa carnation si blanche, ses cheveux de feu et d’or, sa stature et sa taille, la mourante ne pouvait être qu’une Skarg. Il leva les yeux vers le sommet de la colline. Il se demanda si elle avait été victime d’une embuscade tendue par ce qui restait de l’armée déliquescente de l’empereur Valter. Ou bien si elle avait été abattue par ses pairs. Cela ressemblait bien aux mœurs barbares des Skargs.
   Il songea à l’odeur de poix, de cendre. Il y avait eu un important groupe d’homme, peu de temps avant. Vizamir frissonna. Il n’était pas un couard, mais pas idiot pour autant : il n’aurait aucune chance si un Froëdar Skarg lui tombait dessus. Il retira sa pelisse, cillant sous la caresse du froid, et en enveloppa la femme du mieux qu’il put. Passant son arc en bandoulière, il souleva l’inconnue dans ses bras en grognant. Elle était lourde, mais chaude. Sa peau était presque brûlante. Vizamir songea qu’elle pouvait souffrir d’une forte fièvre. Cela était agréable, de l’avoir ainsi contre lui. Cela le réchauffait.



Merci d'avoir lu!
Titre: La Tour du Rouge : La Route du Nord - Chap 2 (1ère Partie)
Posté par: raphael14 le mercredi 23 mai 2012, 22:12:19
Non, mais GMS, sans dec', qu'est-ce que tu nous fais là ? Sans rire, jusqu'où tu vas aller ? Je pensais avoir tous lu dans tes textes mais là, là... Je suis pas du genre prude, mais je suis resté en bug cette fois-ci. Je me suis figé devant mon écran, la bouche entrouverte, les yeux écarquillés, me répétant dans ma tête "c'est pas vrai, il a pas osé" et ben si, tu as osé.
Pour le coup j'ai eu la même réaction que Vizarim : une bonne grosse moue de dégoût.
Le coup du délire nécrophilo-zoophile, c'est une grande première. Parce que si je ne me trompe pas ce loup noir, sans doute d'origine surnaturelle comme le souligne Vizarim, vient bien de ressusciter Skelda en la "montant". Cette scène est sans doute l'une des plus énigmatiques de La Route du Nord : Quel intérêt aurait une entité surnaturelle ou une personne la contrôlant à ranimer une chef de guerre ? Ça sent la question déterminante dans le scénario.

D'ailleurs, j'avais oublié de souligner cette extrême originalité : une barbare lubrique pourfendant et pillant, on en croise pas dans tous les univers de Fantasy...à part dans Xena. Et en plus elle semble être au goût de Vizarim. Quoique la cicatrice de l'arcane sourcilière à la mâchoire, c'est pas franchement glamour. Faut voir comment elle va réagir quand elle reprendra ses esprit
Un autre point à traiter c'est que l'on découvre plus en détail l'univers dans lequel se déroule l'action : l'empire en déroute livré aux pillage de troupes barbares ont se croirait revenu au temps des invasions barbares.

Bref un chapitre sans doute important et au final assez perturbant. Je me demande quel genre de bidule glauque tu nous prépare pour la prochaine fois, non en fait je préfère pas.
Titre: La Tour du Rouge : La Route du Nord - Chap 2 (1ère Partie)
Posté par: Great Magician Samyël le vendredi 01 juin 2012, 01:35:06
Raph ==> Je ne sais pas jusqu'où je vais aller, pas trop loin j'espère, je me plais bien dans le coin. :) Plus sérieusement, je suis le premier à reconnaître que cette fameuse scène est peut-être (sûrement?) too much. A vrai dire, si sur le moment, dans la "transe" de l'écriture, cela me paraissait être une idée lumineuse et pleine de sens, j'en suis moins convaincu maintenant. Je pense même la supprimer, ou au moins la remanier, si jamais je songe à faire éditer cette Route du Nord un jour. C'est pourquoi d'ailleurs, il sera assez peu fait mention de cette scène par la suite dans le texte, ou du moins du détail de celle-ci, et ce afin de me laisser de l'espace pour un éventuel remaniement du texte. Cependant, dit comme ça on pourrait croire que cette scène "nécrophilo-zoophile" comme tu le dis très bien, était "gratuite", un simple délire, mais je te rassure cela fait sens, et rien n'est jamais gratuit dans mes histoires, du moins j'essaie de tout mon coeur.

Cette résurrection surnaturelle trouvera donc sa réponse le long de la Route, comme toutes les autres questions laissées en suspens. D'ailleurs Skelda est moins à rapprocher de Xena que de Raven, l'héroïne du cycle littéraire éponyme de Robert Holdstock.

Bref, merci encore pour ton commentaire, en espérant que la suite te plaise, promis il n'y aura plus de viols démoniaques nécrophiles. ;D


Sur ce, suite et fin du chapitre 2. En vous souhaitant une bonne lecture!



___________________

La Carte de la Route (http://image.noelshack.com/fichiers/2012/18/1336165410-carterouteessaieparchemin.png)


Chapitre second :
Skelda de Skarg
-2e Partie-




Il s’éloigna autant qu’il le put, jusqu’à ce que ses épaules le tiraillassent sous le poids de sa charge. Il découvrit une petite clairière relativement isolée et assez bien préservée de la neige et de la boue. Il s’installa entre les racines noueuses d’un gros arbre, auquel il adossa la femme. Il ramassa des pierres pour faire un feu, qui crépitait joyeusement quelques minutes plus tard. Il jeta de la neige dans son bol, sorti de son paquetage, et la fit fondre tout en observant la Skarg.
   Il était intrigué. La scène à laquelle il avait assistée, les yeux rouges de ce loup, tout cela restait vivace dans son esprit. Vizamir tendit l’oreille, à l’affût de toute activité. Il gardait en tête qu’il se trouvait dans un territoire en guerre, et que les deux camps lui étaient relativement hostiles. Hormis les branches qui craquaient en se consumant, tout était calme. Pourtant, il plaça son arc et l’une de ses dagues à portée de main. L’expérience lui avait appris à être prudent.
   Prélevant une bandelette de tissu de sa besace, il entreprit de laver le visage de la femme. Au fur et à mesure que le sang et la boue, la crasse, s’en allaient, une face d’une beauté certaine se révélait à Vizamir. Un nez droit, des traits durs mais irrévocablement féminins, une mâchoire carrée, des lèvres pleines et légèrement mauves… Et une moitié de visage ravagée. Vizamir débarrassa avec mille précautions la crevasse de chair de ses impuretés. Il déboucha une flasque d’alcool et désinfecta la plaie. A sa grande surprise, celle-ci était déjà en grande partie cicatrisée, les tissus meurtris s’avérant plus rosâtres que rouges. Seule un peu d’humeur continuait à suinter de l’orbe oculaire pourpre fendu.
   L’idée de l’abandonner traversa une fois encore l’esprit de Vizamir. Il pouvait presque sentir la puanteur de la magie noire. Son instinct lui dictait de l’achever, de brûler le corps et d’enterrer les restes. Après de longues minutes d’hésitation, il prit sa dague, et en plaqua lentement la lame contre la chaire tendre du cou. Un coup rapide, propre. Il commençait doucement à inciser lorsqu’elle ouvrit l’œil.
   Il se figea. Cet œil le toisait avec dédain, brillant d’un défi sous-jacent, l’incitant à finir son geste pour prouver son courage. Cet œil était beau, sauvage et déterminé.
   -Achève moi, chien d’impérial, fit-elle dans un commun approximatif.
   Sa voix ne tremblait pas ; elle était aussi tranchante que l’acier, aussi sûre que l’eau vive d’un torrent. Vizamir déglutit et, lentement, il se recula.
   -Je ne suis pas un impérial, répondit-il dans la langue dure de Skarg.
   Elle parut surprise d’entendre son dialecte. Elle fronça le sourcil, et détailla son « sauveur » plus attentivement.
   -Tu dis vrai, approuva-t-elle dans sa langue. Les impériaux sont petits et ont la peau blanche.
   Vizamir se recula lentement, gardant sa lame brandie pour parer à toutes éventualités.
   -Je m’appelle Vizamir.
   -Alors donne moi une arme, Vizamir, et nous combattrons. Lorshak m’attend.
   -Ne dis pas de sottise. Tu es frigorifiée, grandement blessée, peut-être enfiévrée et certainement affamée. Je me demande même comment tu peux encore vivre.
   -Je préfère mourir debout une arme à la main qu’égorgée dans mon sommeil par un démon.
   -Un démon?
   -Tes oreilles sont pointues comme des cornes, tes yeux sont jaunes comme la mauvaise lune, et ta peau est noire comme la pénombre.
   Un maigre sourire de dépit tordit les lèvres de Vizamir.
   -Et toi, ta peau est pâle comme les brumes d’hiver, tes yeux sont verts comme le roulis de la mer, tes lèvres sont mauves comme les teintures de Balcino et tes cheveux sont rouges comme le sang et jaune comme l’or. Je peux affirmer autant que toi que tu es une démone.
   Ils se toisèrent un long moment, pendant lequel nul bruit n’osa perturber l’atmosphère.
   -Tu as raison, finit par admettre la Skarg.
   -A quel propos?
   -Je suis affamée.
   Sans même lui demander son aide, elle se releva souplement, comme si elle n’avait jamais reçu de blessure qui aurait du être fatale, et alla s’asseoir au plus près du feu, resserrant la pelisse de loup autour de ses larges épaules.
   Vizamir poussa un soupir intérieur. Il était suffisamment au fait des mœurs Skargs pour savoir que la guerrière l’avait accepté et le respectait : il n’avait rien à craindre d’elle dans l’immédiat. Il songea un instant à ce regard provocateur et intense qu’elle lui avait jeté alors qu’il pressait sa dague contre son cou. Il n’y avait lu aucune trace de peur. Juste un défi. Un défi qu’il avait perdu, en fin de compte. Quoiqu’il en soit elle n’avait absolument pas eu peur de lui, et si elle avait vu en lui un démon, elle l’avait tout de même traité en égal dès le départ.
   Cette pensée lui arracha un nouveau maigre sourire. Il était curieux et amusant de songer qu’une barbare issue d’une contrée lointaine et sauvage lui montrait plus de respect que les honorables citoyens d’un empire hautement civilisé.
   Rengainant son arme en signe de paix, il s’installa de l’autre côté du foyer, extirpant de sa sacoche des lanières de viande séchée qu’il lui passa par-dessus les flammes. Il la regarda les dévorer comme un animal, déchiquetant les lichettes avec un appétit presque brutal.
   -Tu ne m’as pas dis ton nom, fit-il remarquer.
   -On m’appelle Skelda. Skelda de Skarg.
   Le cœur de Vizamir loupa un battement. Il avait entendu parler d’une Skelda de Skarg. Une chef de guerre -khörla dans leur langue- Skarg sans pitié à la tête de la plus imposante Horde -froëdar- jamais constituée de mémoire d’homme. Skelda de Skarg, la tempête écarlate, celle qui avait mis à feu et à sang tout le sud et l’est de l’Orientir, saccageant les terres, incendiant les champs, détruisant les villes et écrasant l’armée de l’Empereur Valter. Des milliers de citoyens impériaux avaient péri sous les épées des Skargs ; des milliers d’autres s’entassaient sur les routes, fuyant vers Ikerias la capitale impériale de Valter.
   S’il s’agissait de la même Skelda, alors Vizamir était en présence de l’une des plus grandes conquérantes et guerrières de cette ère. Vizamir n’avait que faire de l’Empire des Trois, et n’éprouvait aucune espèce d’empathie pour la guerre qui déchirait l’Orientir. Il éprouvait par contre une certaine forme de respect pour les Skargs, qui, malgré un équipement plus rudimentaire et un sous-nombre total, avaient réussi à conquérir une large bande de terre civilisée. Son respect s’arrêtait là ; il n’oubliait pas que les Skarg étaient un peuple dur et cruel, aux mœurs relativement primitives et païennes.
   -J’ai entendu parler d’une Skelda de Skarg, commença prudemment Vizamir sur un ton neutre.
   -Tiens donc? Et qu’est-ce qu’on a bien pu te dire à ce sujet?
   -Le paysan qui m’en a parlé fuyait les ruines fumantes de son village, qu’elle venait de mettre à feu et à sang.
   -Alors il se pourrait bien que je sois cette Skelda de Skarg.
   -Pourtant ma Skelda de Skarg était réputée pour voyager à la tête d’une vaste armée.
   -Les temps changent, Vizamir. Parfois l’insurrection et la pleutrerie gagnent la bataille dans le cœur des guerriers, et ils en viennent à trahir leur chef. Aujourd’hui je ne suis plus que Skelda, une simple guerrière borgne et affamée perdue au cœur du territoire qu’elle a pillé et saccagé sans retenu pendant trois ans.
   -Les facéties du destin, ironisa Vizamir en reprenant une bouchée de viande séchée.
   -Sais-tu dans quelle direction est parti mon Froëdar?
   -Non. Lorsque je t’ai trouvée, il était déjà parti depuis au moins deux jours, peut-être plus.
   -Dommage.
   -Quoi donc?
   -J’ai la mort gravée sur le visage, et pourtant je marche et je respire et je mange. Lorshak n’a pas voulu de moi en sa Demeure et m’a renvoyée ici-bas. Il attend quelque chose de moi. J’espérais qu’il s’agirait de tuer ce traître de Björn et tous ces pleutres qui le soutiennent.
   Vizamir songea au loup. Skelda semblait sincère. Elle était la première surprise de se savoir vivante. Il pensa que de la magie noire avait bien été à l’œuvre, mais qu’elle en était inconsciente, et encore moins l’investigatrice.
   -Que vas-tu faire, dans ce cas?
   -C’est évident : Lorshak t’as placé sur ma route pour me sauver. Je te dois la vie, et je te suivrai jusqu’à ce que cette dette soit payée ou que mon destin m’apparaisse clairement.
   -C’est fort généreux, mais je voyage seul.
   -Ce n’est pas une proposition, Vizamir le Ténébreux. Je te briserais les genoux et te porterais sur mon dos s’il le faut.
   Vizamir soupira mais accepta sans tenter de la dissuader. Elle avait beau être affaiblie, blessée et fiévreuse, il y avait quelque chose dans son regard borgne qui lui soufflait qu’elle n’aurait aucun problème à mettre sa menace à exécution.



Merci d'avoir lu!
Titre: La Tour du Rouge : La Route du Nord - Chap 2 (2e Partie)
Posté par: Krystal le vendredi 01 juin 2012, 08:52:08
Ah, tu as enfin posté la deuxième partie, je vais enfin dire ce que j'ai à dire, parce que j'ai effectivement quelque chose à dire sur ta première partie. Oui, ça m'a d'ailleurs profondément traumatisé, ce moment, et j'attendais de pouvoir m'exprimer là-dessus.

Citer
Le visage de la femme n’était plus qu’un magma confus de sang, de boue et de cheveux raidis par l’hémoglobine et plaqués par la neige.

Amagad, kom je suis choquée de ce qui est écrit là, la biologiste que je suis est indignée. (https://forums.puissance-zelda.com/proxy.php?request=http%3A%2F%2Fimg11.hostingpics.net%2Fpics%2F2010727113.png&hash=0eb7feeb1dcecf90ebb50d60899d7b49dbb13027)
Oui, parce que l'hémoglobine est une molécule constituée de quatre sous-unités et est présente dans les globules rouges, c'est d'ailleurs elles qui leur donne cette coloration rouge. Dire que l'hémoglobine raidis les cheveux, c'est faux, car ce sont en réalité les globules rouges qui font ça. Voilà. C'est tout ce que je voulais dire.

Enfin, bien sûr que si quelque chose m'a choqué ! Découvrir que tu avais des penchants zoophiles et des fantasmes bizarres, ça choque toujours. Je savais que tu adorais foutre des gens à poils, mais là, c'est limite, hein.
Pour parler de l'histoire, à part le moment avec le loup, bah c'est super. J'ai hâte de voir la cohabitation de ces deux là, c'est pas gagné j'ai l'impression.

Tu remarqueras la puissance et la longueur interminable de mon avis sur son texte, et en lisant ça, tu seras hypnotisé pour poster la suite dès demain. Va, maintenant. 

...  ¬¬
Titre: La Tour du Rouge : La Route du Nord - Chap 2 (2e Partie)
Posté par: raphael14 le vendredi 01 juin 2012, 20:24:34
C'est dingue, GMS. Tu as fait du soft cette fois-ci : c'est à peine s'il y a du sang dans ce texte-ci. Je te taquine.
Un chapitre qui une fois de plus très intéressant pour plusieurs raisons.
En premier lieu parce que le mystérieux physique de Vizarim nous est pour la première fois révélé. Auparavant nous étions plongés dans une sorte de flou concernant l'apparence de Vizarim. Était-ce volontaire ? En tout cas, il a un physique qui doit attirer le regard dans une région nordique habitée par des personnes à la peau claire : une peau sombre, des oreilles pointues et des yeux jaunes. Ces deux derniers caractères doivent en plus lui attirer l'hostilité des populations superstitieuses.

Ensuite on apprend que Skelda est une star parmi les barbares pourfendeurs d'honnêtes gens, ça en jette. Franchement un ange de douceur et de bonté. Et si altruiste en plus, prête à flinguer les rotules de son sauveur pour payer sa dette, n'est-ce pas charmant ? Nan mais sans dec', il y a quelque chose d'hilarant a imaginer une femme hyper belle agir avec autant de rudesse que le dernier des guerriers un peu mou du cerveau. D'un autre côté sa détermination à rendre la pareille à Vizarim est tout à fait noble. On va pas lui en vouloir, après tout, parce qu'elle manque de délicatesse. Elle est presque sympathique.

Bon, aujourd'hui je fais court, parce que l'extrait que tu nous livre est court. Mais vu le rythme auquel tu publies, je crois que j'aurai largement de quoi te commenter, plus tard.
Titre: La Tour du Rouge : La Route du Nord - Chap 2 (2e Partie)
Posté par: Great Magician Samyël le vendredi 08 juin 2012, 23:21:33
Boobstalinette ==> Tl;dr. :h: Plus sérieusement, attend toi à être choquée plus d'une fois, car hémoglobine est un mot que j'emploie souvent comme synonyme de sang pour éviter des répétitions. :astro: Et je n'ai pas de fantasmes bizarres, ça servait l'histoire d'abord. En tout cas, merci d'être passée et à dans deux semaines, pour la fin du chapitre 3.  ;D

Raph ==> Et oui, incroyable, une partie sans baston, sans mort, sans viol et sans démembrement. :R Beaucoup auraient juré la chose impossible. Pour le flou concernant le physique de Vizamir, c'était intentionnel oui, même si certains détails permettaient de deviner qu'il n'était pas tout à fait normal, notamment le fait qu'il parle toujours "des humains". Merci en tout cas de toujours prendre un peu de temps pour commenter cette Route, et en espérant que la suite continue de te plaire. :)


Sur ce, première partie du chapitre 3, dans lequel on apprend des choses. Un chapitre un peu plus long que les précédents, qui sera peut-être découpé en 3 parties du coup. Allez, bonne lecture!


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La Carte de la Route (http://image.noelshack.com/fichiers/2012/18/1336165410-carterouteessaieparchemin.png)


Chapitre troisième :
Les déserteurs.
-1ère Partie-




   Contrairement à ce que Vizamir avait tout d’abord craint, Skelda ne le ralentit en rien. Bien au contraire, il peinait parfois à garder son rythme. La grande guerrière se déplaçait d’un pas vif et brutal, l’œil braqué devant elle, foulant le sol d’une démarche conquérante. Un sol, songea Vizamir, qui lui aurait sans aucun doute appartenu si ce revers du destin ne l’avait pas fait choir de sa gloire.
   Ils avaient passé une nuit éveillée. Ayant décidé d’instaurer un tour de garde, pour parer à toute attaque nocturne et maintenir le feu allumé, aucun des deux ne faisait suffisamment confiance à l’autre pour dormir sereinement. Aussi passèrent-ils les heures les plus noires de la nuit à s’observer par-dessus les flammes. Ils ne pipèrent mot, mais un observateur aguerri aurait remarqué qu’ils apprirent énormément l’un sur l’autre à force de se regarder, de se détailler dans les moindres détails.
   Au petit jour ils levèrent le camps, frissonnant sous la caresse froide du givre matinal. Vizamir ne s’était jamais réellement habitué au climat froid de l’Orientir, et sans sa pelisse il endurait le frimas avec difficulté. Il ne pouvait s’empêcher d’admirer la Skarg, qui restait stoïque et imperturbable face au vent glacé, alors qu’elle n’avait pour tout vêtement que ladite pelisse. Ceci était facilement compréhensible, puisque Skarg, l’île d’origine des barbares du même nom, se situait presque à la même latitude que le Cercle des Glaces, et accusait des températures extrêmes et des conditions climatiques difficiles.
   Malgré tout, ils eurent la chance de tomber sur une masure de chasseur abandonnée à la lisière du bois, où elle trouva un robuste pantalon de cuir d’équitation, une tunique de fourrure ainsi qu’une paire de bottes presque à sa taille. Vizamir récupéra sa pelisse non sans contentement, et en profita pour rafler les maigres provisions comestibles qu’il trouva. La guerrière dénicha de son côté un couteau ayant servi au dépeçage du gibier, ainsi qu’une courte hachette dans la remise à bois. Elle passa les deux armes improvisées à sa ceinture, et parut de fait retrouver encore un peu plus d’assurance.
   Ils ne s’attardèrent pas, préférant profiter du temps clément pour parcourir le plus de kilomètres. C’était une longue marche jusqu’à Ikerias. Vizamir ne gardait pas de la capital impériale un souvenir heureux, mais il estimait que c’était une étape nécessaire de leur périple. Il souhaitait y trouver des montures, un peu d’équipement pour Skelda ainsi qu’une ou deux nuits de repos dans un véritable lit, avec un feu près de soi pour se réchauffer sous des draps propres. Il avait bon espoir de trouver la cité relativement calme et apaisée, car il avait appris de la bouche de la guerrière que les Skarg rentraient chez eux, repus de pillages et de gloire.
   Le temps pour eux de parcourir le long chemin, et tout l’Orientir ne résonnerait plus que de cette information. C’était la fin d’une guerre de trois ans, une guerre brutale et horrible qui avait ravagé tout un pays et fait des centaines de morts, peut-être des milliers. Il faudra du temps à l’Empire, se dit Vizamir, mais l’Orientir relèvera la tête et se reconstruira. Cette région avait beau être froide et déserte, elle était jonchée de filons de minerai, du cuivre, du fer, de l’or, et les régions les plus au sud étaient couvertes de grandes forêts parfaitement adaptées à l’exploitation. Sans parler de la position stratégique de l’Orientir, plus particulièrement de sa Pointe. Non, Vizamir ne se faisait pas de soucis à ce niveau là.
   Il s’avéra que Skelda n’était pas atteinte de fièvre. En réalité, ses forces paraissaient inchangées. En dehors d’une perte naturelle d’équilibre, elle se portait parfaitement bien. Rien ne laissait imaginer que la veille à peine, elle gisait, probablement morte, dans une épaisse congère de neige. Jusqu’à sa blessure, déjà parfaitement cicatrisée -bien que toujours horrible au regard. Tout ceci renforçait la conviction de Vizamir quant à l’utilisation de magie noire. Il ne se sentait pas à l’aise avec cette idée, mais pour le moment il n’avait aucun raison de se plaindre de la compagnie de la Skarg. Elle ne parlait pas, ou très peu, se contentant par instant de grommeler quelque chose pour elle-même, ne se plaignait pas et ne demandait rien.
   Malgré tout, Vizamir songea qu’il avait été témoin de deux manifestations démoniaques en moins de deux jours, ce qui ne lui plaisait guère. Il essayait de ne pas y voir un quelconque présage, mais plus il y réfléchissait, plus cela devenait difficile.
   Ils laissèrent rapidement la forêt derrière eux,  pour pénétrer dans la vaste toundra. En guerrière chevronnée, Skelda poussa un grognement mécontent à la vue de cet horizon dégagé sur des kilomètres, sans possibilité de se mettre à couvert. Heureusement, ils ne rencontrèrent personne sur leur route, et puisque Vizamir avait choisi d’obliquer plus au nord, ils ne virent même pas se dessiner la silhouette de ce petit village anonyme où avait commencé ce qu’il pensait être la quête qu’il avait attendue toute sa vie.
   Ce soir-là, ils levèrent le camp, à l’ombre d’un talus herbeux qui les protégerait du vent et cacherait en partie les flammes du feu que Vizamir peina à allumer. Ils dinèrent de ce que Vizamir avait trouvé dans la masure abandonnée, ce qui se résumait à un peu de pain dur et quelques tranches de lard fumé. Ils ne se dirent rien, trop occupés à mastiquer la nourriture coriace, jusqu’à ce que Skelda, le regard perdu dans les flammes, n’entamât la conversation.
   -Tu ne m’as pas dit où nous nous rendons, Vizamir le Ténébreux, fit-elle remarquer d’une voix égale.
   -Nous gagnerons en premier lieu Ikérias, répondit-il sur le même ton. De là nous nous procurerons des chevaux, et nous voyagerons jusqu’en Ponth’Hyliän.
   -Qu’est-ce que c’est?
   -Quoi donc?
   -Ponth’Hyliän.
   -C’est un royaume, loin au nord. En réalité, c’est une large et profonde vallée dans le fond de laquelle s’écoule l’Amarantine, le grand fleuve qui prend sa source dans ces montagnes et qui traverse presque tout le continent pour se jeter dans la mer des marchands, loin à l’ouest.
   La Skarg leva l’œil au ciel, comme si elle essayait de se représenter toutes ces choses qu’il lui racontait. Il frappa alors Vizamir que Skelda ne devait presque rien connaître de la géographie, de l’histoire ou des sciences.
   -Ces noms te parlent?, essaya-t-il prudemment.
   -Non, reconnut, sans aucune honte, la guerrière. Il y a trois ans, lorsque j’ai pris la tête de mon Froëdar le monde se résumait à Skarg. Mon île était tout ce qui composait mon monde. C’était la terre que nous avez accordée les dieux. Bien sûr mes ancêtres étaient déjà venus conquérir les terres du continent, mais la dernière grande conquête remontait à bien des lunes. Ces vastes terres pleines de richesses et d’abondance, où le soleil brille perpétuellement et où la nuit est plus courte que le jour n’étaient que des mythes, des contrées lointaines où se déroulent les chansons.
   -Et maintenant?
   -Maintenant, mon monde s’élargit à chaque jour qui passe. J’ai été effrayée lorsque le pays des géants est apparu dans la brume pour la première fois, puis émerveillée lorsqu’après de longs mois à longer cette côte aveugle et gigantesque, nous avons appareillés sur une nouvelle terre, une terre où il faisait chaud et où la neige ne recouvrait pas tout ce que l’œil peut embrasser.
   -Le pays des géants?
   -A l’est, les géants ont érigé un mur haut comme cent hommes, et épais comme quarante. On ne peut rien voir de ce qu’y se trouve derrière, mais quoi d’autre que des géants auraient-pu ériger une telle chose?
   -Tu parles d’Uru-Ban, rectifia Vizamir en hochant la tête. Le Pays des Hommes d’Ur dans ta langue. Crois moi, ce sont des êtres comme toi et moi qui ont érigé ce mur, et personne d’autre.
   -Comment est-ce possible?, souffla la guerrière avec une mine stupéfaite. Il faudrait des pouvoirs dignes des dieux pour hisser de tels blocs de pierre noire.
   -Nulle magie ne cimente le grand mur d’Uru-Ban, certifia Vizamir. Ils se sont servis de très longues et très épaisses cordes, qu’ils attachaient aux blocs et qu’ils hissaient à l’aide de grandes machines. Ce que tu as vu depuis la mer n’est qu’une partie du mur, en réalité il s’étend sur toute la frontière du royaume, le fermant hermétiquement au reste du monde.
   -Pourquoi? Pourquoi des hommes dotés de tels pouvoirs auraient-il à se cacher?
   -A cause de toi, sourit Vizamir.
   -Je ne comprends pas.
   -Ur a érigé ce mur pour se protéger de tes ancêtres, qui pillaient ses côtes, mais aussi pour se protéger des semi-hommes qui peuplent les forêts du nord, et qui se nourrissaient du peuple d’Ur, et enfin pour se protéger des tribus des sauvages Ikevarois qui raidaient ses villages du sud en franchissant la rivière Atlante.
   -Mes ancêtres? Tu en es sûr?
   -Oui. Mais tout ceci se passait à une époque lointaine et obscure, il y a des siècles. On raconte qu’il fallut cent ans à Ur pour bâtir son mur, et que depuis ce temps, plus aucun homme d’Ur n’est tombé sous les coups d’une épée étrangère. 
   -Qui était ce Ur? Ce devait être un dieu, pour vivre aussi longtemps.
   -Tu n’es pas loin de la vérité, concéda Vizamir avec un hochement de tête. Ur fut le premier roi parmi les Hommes. La légende raconte qu’il jaillit de la terre et qu’il poussa un cri si terrible que les tribus cessèrent leurs luttes vaines et éternelles pour se prosterner à ses pieds. Ur apporta à ses sujets la connaissance, l’agriculture, la stratégie ; il fédéra les clans et les tribus en un seul vaste royaume. En échange il réclama leur dévotion et leur amour éternel. Quand Ur vit son peuple se faire massacrer à chaque coin du royaume, il décida que ce dernier serait à jamais coupé du reste du monde. On raconte qu’Ur vit toujours, et qu’il gouverne Uru-Ban depuis son palais, et ce jusqu’à la fin des temps. En attendant, personne ne sait réellement ce qui se passe derrière le mur. Quelques dignitaires étrangers sont parfois acceptés intra muros, mais ils ne dépassent jamais les premiers postes frontaliers, où les notables d’Uru-Ban les rencontrent. Enfin, quelques élus triés sur le volet sont autorisés à se rendre jusqu’à la capital, le visages masqués et sous bonne garde. J’en faisais partie, jusqu’à récemment.
   -Toi? Pourquoi cela?
   -Et bien, je ne suis pas humain. J’imagine que cela devait intéresser leurs savants.
   -Je le savais!   
   -Quoi donc?
   -Tu es un démon.
   Vizamir poussa un soupir fatigué.



Merci d'avoir lu!
Titre: La Tour du Rouge : La Route du Nord - Chap 3 (1ère Partie)
Posté par: Great Magician Samyël le mercredi 13 juin 2012, 14:37:52
Deuxième partie du 3e chapitre de la Route du Nord, dans lequel on en apprend toujours plus!

J'ai également fait disparaître cet horrible mot en gras qui agressait le lecteur sans aucune raison dans la partie précédente, une petit erreur de balise.

Sur ce bonne lecture!


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La Carte de la Route (http://image.noelshack.com/fichiers/2012/18/1336165410-carterouteessaieparchemin.png)


Chapitre troisième :
Les déserteurs.
-2e Partie-



-Tu es un démon.
   Vizamir poussa un soupir fatigué.
   -Non, je ne le suis pas.
   -Qu’est-ce que tu es alors?, répliqua la guerrière en fronçant le sourcil.
   -Je suis… et bien…
   Il releva les yeux du fond du foyer et plongea son regard dans celui de la Skarg. Vizamir réalisa soudainement qu’il n’avait pas autant conversé avec un autre être depuis bien longtemps. Ce qui le frappa plus fort encore, c’était la nature de cet être : une chef de guerre barbare, une conquérante brutale et sanguinaire, une meurtrière trahie par son armée et ramenée à la vie par de la magie noire, une inculte n’éprouvant aucune honte pour son ignorance… Pourtant, malgré tout ça, cette femme était la première humaine qu’il croisait à le respecter et à le traiter en égal, malgré son apparence, malgré sa nature. Vizamir se sentait bien.
   -Je ne sais pas ce que je suis, admit-il. Des humains m’ont recueilli lorsque je n’étais qu’un bébé. Ils n’ont jamais eu l’occasion de me dire où ni comment, puisqu’ils m’abandonnèrent à leur tour quelques années plus tard, lorsque mes… « différences », devinrent trop évidentes et honteuses à leurs yeux. A vrai dire… Qui je suis, qui étaient mes ancêtres, c’est  ce que je cherche. C’est ma quête. Je n’ai encore jamais rencontré un autre membre de ma race, et pourtant, j’ai voyagé, tu peux me croire.
   -Tu espères trouver des réponses là-bas? En Ponth’Hylïan?
   -Des réponses, non. Une piste, oui. Il  y a deux jours, j’étais dans un petit village, plus loin à l’ouest d’ici. Là-bas j’ai assisté à une manifestation démoniaque. Avant que je ne le tue, le démon m’a proposé un pacte, mon âme contre des réponses. J’ai refusé, mais il ne cessait de m’appeler caelach. C’est la première piste sérieuse que j’ai depuis bien des années. J’espère que les gardiens du savoir sauront m’en apprendre d’avantage.
   -Pourquoi ne peux-tu plus retourner à Uru-Ban?, demanda Skelda, changeant de sujet.
   -La dernière fois que j’y suis allé, j’ai tenté de dérober un ancien manuscrit, qui, je le pensais, contenait de précieuses informations. Malheureusement, je me suis fait prendre. Et l’on m’a longuement fait comprendre que je n’étais plus le bien venu.
   Vizamir ne put empêcher un frisson de parcourir son corps au souvenir de la geôle aveugle et obscure dans laquelle il avait passé de longs mois de solitude et de souffrance, lorsque les inquisiteurs d’Ur le soumettaient à la Question, tentant de déceler les motivations qui avait poussé son geste. Il avait eu beau s’échiner à leur expliquer dans quatre langues différentes qu’il ne travaillait pour aucun chef d’état ou organisation, cela n’avait rien changé. Certes il n’y avait pas eu de violence physique -jugée trop barbare par Ur lui-même-, mais les inquisiteurs avaient bien d’autres, et terribles, moyens de faire avouer leurs prisonniers.
   -Je préfère ne pas en parler, trancha Vizamir, c’est un souvenir pénible.
   -Comme tu veux.
   Un silence s’installa entre les deux, seulement rompu par le crépitement des flammes que Skelda fixait en mâchonnant un bout de pain, le regard perdu. Vizamir s’étonna de ressentir une pointe de déception. Il voulait que cette conversation continuât.
   -Et toi?, essaya-t-il. Pourquoi es-tu venue ici? Enfin, je sais bien qu’en général l’on fait la guerre pour la gloire, la richesse, ce genre de chose. Mais je sais aussi que de telles décisions sont souvent le fait de considérations moins… épiques.
   -C’est une longue histoire.
   -Ce sera une longue nuit.
   -J’avais trois frères, commença-t-elle après avoir observé une courte pause. Höderik, l’aîné, fort et robuste comme le rocher face à la tempête. Ysdril, le benjamin, vif et agile comme le renard des neiges. Et Frederik, intelligent et savant comme le corbeau. Mon père, le roi Ymjärn de Skarg, en était très fier, car il savait que sa descendance était faite, que sa lignée perdurerait encore longtemps sur le trône de Skarg. Cependant sa compagne mourut d’une forte fièvre durant un hiver très long et très froid. Mon père prit pour deuxième compagne la fille de son frère de sang, Hylda. Ainsi étais-je née. Je passai une enfance paisible, apprenant le chant de l’acier comme les autres enfants de mon âge, mais je me montrai étonnamment douée, ce qui ne plaisait pas aux hommes, et encore moins à mon père. La femme Skarg doit savoir manier l’épée pour repousser le loup qui se faufile dans sa maison lors de la tempête, mais elle ne doit pas savoir vaincre un homme en combat singulier. A dix ans pourtant je tuais Hergson le fils du forgeron, à armes égales dans un combat singulier.
   -Que s’était-il passé?, interrompit Vizamir.
   -Il avait ouvertement insulté ma mère. Cette première victoire me fit prendre conscience que je pouvais aspirer à mieux qu’à devenir la pondeuse d’un noble de mon père et finir ma vie dans une chambre chaude, à broder des tapisseries. J’allai voir mon père, et lui demandai si l’on avait déjà vu une reine sur le trône de Skarg. Il rit de moi, devant toute sa cour, et me fit jeter au cachot pendant trois jours sans nourriture pour m’apprendre à garder ma langue. La nuit du deuxième jour, une violente tempête de neige éclata, venue des pics acérés qui scindent Skarg en deux. Alors que la neige commençait à pénétrer ma cellule à travers les barreaux extérieurs, je crus distinguer une immense silhouette dans la tourmente. J’étais affaiblie, affamée, frigorifiée, je crus que j’étais en proie à une mystification due à la fièvre. Je commençais à sombrer dans le sommeil, lorsque j’entendis cette silhouette souffler d’une voix grave comme la montagne. Elle me disait de ne pas perdre courage, que Skarg verrait une reine sur son trône, et que cette reine serait moi.
   « Lorsqu’on  me fit sortir de ma prison, je demandais autours de moi si quelqu’un avait aperçu cette silhouette dans la tempête, mais tout ce que j’obtins, ce fut des regards navrés. Bien des années plus tard, je m’ouvrai à un prêtre de Lorshak à propos de cette vision, et il me répondit qu’il devait probablement s’agir de Skhadir, le Géant Solitaire Qui Murmure Dans La Tempête. Les années qui suivirent furent tranquilles. Je perfectionnais mon art du combat, délaissant les corvées d’ordinaire réservées aux femmes. Lorsque mon dix-septième hiver fut derrière moi, j’allai trouver mon père, et je lui demandai ce qu’il fallait que je fasse pour un jour monter sur le trône. Quelques années s’étaient écoulées, depuis la dernière fois que j’avais demandé cela, et Ymjärn de Skarg était devenu un vieillard usé par les hivers.
   « Au lieu de rire, il me répondit très sérieusement : « Tant que mes fils vivront sous le ciel et sur la terre, jamais une femme ne volera le trône de Skarg. » Le prenant au mot, je défiais aussitôt mes trois frères dans un combat singulier. Ils s’esclaffèrent, mais on vida tout de même la grande salle de Skarg et les hommes vinrent de toute l’île pour assister à l’évènement. Lassé de moi, Ymjnär promit la plus belle femme de Skarg et un plein coffre d’or à celui de mes frères qui me terrasserait. Frederik, le cadet, s’avança le premier. « Désolé, mes frères » dit-il avec un sourire « mais l’or est à moi. Ce n’est pas une petite fille qui mettra Frederik à terre, ça non. » Frederik connaissait le nom des étoiles dans le ciel, et les herbes qui poussent sur la terre, mais malgré ses fanfaronnades, il était un piètre guerrier. Je l’ouvrais en deux d’un seul grand coup d’épée, et il mourut avec l’effroi peint sur le visage.
« « Ysdril, » hurla alors Ymjärn « venge ton frère! » Ysdril ne prononça par une seule parole, mais il encocha une flèche à son arc en entrant dans l’arène. Ysdril était aussi habile que l’épervier dans le ciel, et aussi rapide que le renard sur la terre, mais sa flèche ricocha contre mon bouclier et il s’empala sur la lame de mon épée lorsque je feignis de frapper de gauche, mais frappai de droite en réalité. Ymjärn fondit en larmes lorsqu’il vit son deuxième fils étendu dans son propre sang. « Höderik » sanglota-t-il « venge tes frères, et ramène moi la tête de cette traîtresse! Fais le, et tu auras tout ce qu‘un homme peut vouloir.» Höderik s’empara de sa grande hache de bataille avec un sourire et vint me faire face. « Mes frères étaient faibles » me dit-il « Pas moi. » Höderik était grand comme le ciel infini, et robuste comme la terre séculaire. Mais ses coups étaient lents comme le rocher qui doucement s’érode sous la caresse de la mer. Longtemps je dansais autour de lui, le harcelant de ma lame qui bientôt se teintait de sang. Höderik ahanait et ses coups devenaient chaque fois un peu plus lents, chaque fois un peu plus pénibles.
   « Au bout d’un très long moment, il s’affaissa sur les genoux, hors d’haleine, et j’en profitai pour lui passer mon épée au travers du corps. Alors je me tournai vers mon père, et lui dis « Plus aucun de vos fils ne vit sous le ciel et sur la terre. Tous ont été vaincus par la reine de Skarg. » Ivre de fureur, Ymjärn ordonna ma mise à mort, mais je parvins à m’enfuir. Je compris alors que si je voulais m’emparer du trône de Skarg, il me fallait le conquérir. C’est pourquoi je décidai de bâtir ma légende, de chercher gloire et fortune comme les ancêtres de jadis, en voguant sur les mers jusqu’aux rivages inconnus.
   « Et donc, me voici, fut la conclusion de Skelda à son histoire, dans un sourire énigmatique.
   -Tu as une drôle de façon de raconter; fit remarquer Vizamir en méditant sur cette longue tirade. On dirait presque un genre de mythe. Cela en devient difficile à croire.
   -Je n’ai jamais dit que c’était la vérité, rétorqua la guerrière.
   -C’était intéressant cependant, distrayant à défaut d’être véridique. Y avait-il tout de même une part de vérité?
   -J’avais trois frères. J’ai tué Frederik dans son sommeil après l’avoir fait boire. Ysdril fut plus difficile à éliminer, car il était méfiant et prudent depuis que j’avais assassiné notre frère. Mais il était un homme comme les autres, et je lui ai fait croire qu’il pourrait m’avoir dans son lit. Je l’ai tué pendant qu’il se déshabillait fébrilement. Höderik fut le plus coriace, assurément.
   -Comment t’y es-tu prise?
   -Je l’ai défié en combat singulier, après avoir convaincu la servante qui lui servait son hydromel de mettre une drogue dans sa boisson, une drogue qui lui obscurcit l’esprit et ralentit le corps lors de notre duel. Et même ainsi, il a bien failli m’avoir deux fois. Ce fut un bon combat, malgré tout. Un skalde en a fait une chanson, avant que je ne lui coupe la langue.
   -Pourquoi?
   -Il sous-entendait un peu trop que j’avais usé de ruse pour affronter Höderik.
   -Je vois… Et donc, tu as vraiment vingt-ans? Au risque de paraître grossier, tu ne les parais pas…
   -Non, trente-deux hivers ont soufflé leurs vents glacés sur moi. Mais il y a peu d’intérêt à retourner des cendres déjà froides. Restons-en là.
   -Très bien.
   -Je prendrai le deuxième quart. Réveille moi.
   Vizamir hocha la tête et la regarda s’éloigner de quelques mètres pour se blottir dans une petite crevasse qui affleurait au flanc de la colline. Sans rien ajouter, elle ferma l’œil et s’endormit presque aussitôt.



Merci d'avoir lu!
Titre: La Tour du Rouge : La Route du Nord - Chap 3 (2e Partie)
Posté par: Great Magician Samyël le lundi 18 juin 2012, 14:51:43
Allez, on enchaîne avec la 3e partie de ce chapitre 3, qui sera finalement découpé en 4 parties, toujours pour garder un format relativement court. Bonne lecture!


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La Carte de la Route (http://image.noelshack.com/fichiers/2012/18/1336165410-carterouteessaieparchemin.png)


Chapitre troisième :
Les déserteurs.
-3e Partie-



Vizamir passa la nuit -calme au demeurant- à fixer les flammes jusqu’à en avoir les yeux secs, réfléchissant aux propos de la Skarg. Plus il la découvrait, plus il devait s’avouer une certaine fascination. Il n’avait jamais rencontré quelqu’un comme cela auparavant. Une femme, une guerrière, une meurtrière qui parlait sans honte et presque avec fierté des trois fratricides commis dans le seul but de s’élever parmi ses pairs. Une femme dont, malgré son apparente quiétude, on sentait battre en elle une violence latente, prête à exploser. Une femme qui avait mené une armée à la guerre, navigué à travers des eaux inconnues jusqu’à des terres inconnues, sans crainte ni peur, se taillant un chemin dans des contrées étrangères le glaive à la main. Une femme intelligente, mais dénuée d’éducation. Une femme, enfin, qui le regardait en compagnon de route, en camarade, et non en étranger dangereux… en monstre.
   Skelda s’éveilla d’elle-même lorsque l’aube se mit à poindre à l’horizon. Elle jeta un coup d’œil autour d’elle, remarqua aussitôt que Vizamir avait veillé toute la nuit, « oubliant » de la réveiller pour le changement de quart. Elle ne fit cependant aucun commentaire, et vint s’assoir au plus près du foyer que Vizamir avait maintenu en vie toute la nuit.
   Ils déjeunèrent frugalement en silence, et c’est tout autant en silence qu’ils reprirent leur marche vers Ikérias. Vizamir songea un moment avec frustration à cet instant de la nuit dernière où une certaine forme de complicité les avait unis, une complicité envolée avec les premières lueurs du jour. Il ne savait quoi dire, ne savait pas comment entamer la conversation, et la guerrière ne semblait pas particulièrement plus volubile. Vizamir avait passé ces dernières années à arpenter les routes impériales, les routes maritimes de la baie de Korsk au sud, et plus loin encore vers Balcino ; il s’était perdu dans les marécages de Malmore à l’ouest, croyant cette année-là avoir trouvé son tombeau. Ces longs voyages en solitaire, parsemés de brèves rencontres avec des paysans craintifs et méfiants, et des aubergistes suspicieux, avait créé chez lui, à son grand étonnement, un besoin de contact et de communication.
   Sa quête d’identité était tout ce qu’il avait, tout ce qu’il possédait. C’était sa plus grande crainte -et s’il s’avérait qu’il était effectivement un monstre?- et son plus grand espoir -d’autres comme lui avaient-ils pu s’établir quelque part, et fonder une communauté? Finalement, partager d’une certaine façon ce qu’il considérait à la fois comme un fardeau et une chance avec quelqu’un le soulageait et lui redonnait confiance.
   Un léger brouillard humide et froid s’était levé sur la steppe, c’est pourquoi ils n’aperçurent la carriole que lorsqu’ils se trouvèrent à moins d’un kilomètre d’elle. Vizamir, qui avait une vue perçante et acérée, la repéra le premier, et saisit dans le même temps le bras de sa compagne pour la lui indiquer d’un signe de tête. La charrette roulait péniblement, ses roues rebondissant sur des cailloux ou s’enfonçant dans des creux. Deux silhouettes emmitouflées dans des châles se tenaient assises sur le banc du conducteur, l’une d’entres-elles tenant les rennes d’un cheval de trait visiblement fatigué.
   Il devait sans doute s’agir d’un couple de fermiers cherchant refuge à Ikérias, probablement pour fuir l’envahisseur Skarg qui, jusqu’à peu, remontait impitoyablement l’Orientir. Cependant, l’expérience avait appris à Vizamir qu’il ne fallait jamais faire confiance aux apparences, surtout lorsque l’on se trouvait dans un pays en proie à la guerre. Pillards, bandits, déserteurs, mercenaires, patrouilles et éclaireurs, on ne savait jamais sur quelle genre de racaille il était possible de tomber.
   Cependant la vue de ces deux silhouettes menues et voûtées donna confiance à Vizamir, qui accéléra l’allure en faisant un signe à la Skarg de se tenir parée à toute éventualité. Cette dernière hocha la tête en gardant une main sur sa hachette.
   Alors qu’ils s’approchaient, aussi silencieux que des félins des steppes, Vizamir constata avec surprise qu’ils avaient rejoint la route impériale, un large chemin de terre pavé autrefois entretenu par les empereurs d’Ikérias pour faciliter l’acheminement des ressources et le passage des armées. Aujourd’hui la route n’était plus que l’ombre d’elle-même, mais elle demeurait plus pratique pour les chariots que le plat irrégulier de la plaine alentours.
   Lorsqu’ils ne furent plus qu’à un jet de pierre du chariot qui continuait sa route bon an mal an, Vizamir constata que son intuition était bonne. Les deux silhouettes entraperçues dans la brume étaient celles d’un vieillard et d’une vieille femme, et à l’arrière de la carriole des choux et des carottes roulaient au gré des obstacles rencontrés.
   Vizamir cria un « ohé du chariot » relativement fort, pour signaler leur présence. Le conducteur de l’attelage arrêta aussitôt son véhicule et bondit sur ses pieds, une épée courte à la main, tandis que sa femme -du moins Vizamir le présumait- se recroquevillait sur elle-même.
   -Qui va là?, rugit le vieil homme en scrutant les alentours, d’une voix qu’il voulait forte et menaçante, mais qui tremblotait légèrement sous l’effet de la crainte.
   -Juste deux voyageurs, comme vous, répondit l’intéressé un peu plus fort, pour permettre au vieillard de le repérer. J’ai de l’or, j’aimerai vous acheter quelques provisions.
   -Approchez, leur intima l’autre en serrant fermement son arme. Et pas d’entourloupes.
   -Nous ne vous voulons aucun mal, l’assura Vizamir en gardant les mains levées en gage de paix. La route est encore longue jusqu’à Ikérias, et je ne suis pas certain de trouver d’autres ravitaillements en chemin.
   -La capitale? Vous aussi, vous fuyez? Vous n’avez pas l’air de soldats…
   -Et bien, pas vraiment, expliqua franchement Vizamir, qui ne voyait pas de réelle raison de mentir. Nous ne sommes que des voyageurs, qui nous sommes retrouvés au mauvais endroit au mauvais moment, si j’ose dire.
   -C’est bien vrai tout ça, se lamenta le vieil homme. Maudits sauvages! Par Maaz’Dhun, des pilleurs, des païens, des assassins! Voilà ce qu’ils sont. Et si vous me demandiez, je vous dirais que ce n’est pas une guerre, ha ça non. J’en ai connu des guerres, voyez-vous, et celle-ci, ce n’est qu’une boucherie. Ces Skargs, ce ne sont pas des hommes, mais des bêtes. Bah!
   Le vieil homme sauta à terre, et fit le tour de son chariot pour venir à leur rencontre. Il se figea un court instant, lorsqu’il put pleinement observer le visage ravagé de Skelda, et celui plus exotique de Vizamir, mais ne fit aucun commentaire.
   -Je m’appelle Gerold. Avant de m’occuper de la ferme, j’étais soldat de la Quatrième Légion.
   -Enchanté, Gerold. Il est rare de croiser des visages amicaux par les temps qui courent. Je suis Vizamir, et voici…
   Vizamir n’hésita qu’une demie seconde. Skelda était un nom typiquement étranger, un nom barbare. S’il présentait sa compagne sous son véritable prénom, le fermier n’aurait aucun doute quant à sa nature, et risquait de devenir hostile. D’autant plus que la blondeur et la rousseur étaient des teintes de cheveux relativement rares dans cette partie de l’Empire, et Skelda cumulait ces deux « tares».
   -Camilla, conclut-il sur le même ton. Vous l’excuserez, j’en suis sûr. Mais lorsque je l’ai trouvée, elle avait été laissée pour morte par des brutes Skargs. Elle ne semble plus pouvoir parler.
   La guerrière jetait des regards ennuyés autours d’elle. Son commun était bien trop approximatif pour comprendre ce qu’il se disait, et Vizamir voulait éviter qu’elle ne prenne la parole. Il lui fit discrètement signe de se taire.
   -Je… Je vois, fit Gerold pour qui l’explication semblait parfaitement suffisante, surtout lorsqu’il jetait un coup d’œil rapide à la blessure de Skelda. Pauvre enfant. Je vais vous dire, Vizamir, nous, nous nous rendons à Varikbourg. C’est sur votre route. Pourquoi ne monteriez-vous pas à l’arrière, et nous ferons la route ensemble. Le voyage n’en sera que plus sûre et agréable pour tous.
   -C’est très généreux, Gerold, le remercia l’intéressé. Faisons ainsi.
   Ils se serrèrent la main, et pendant que le fermier retournait auprès de sa femme, Vizamir indiqua à la Skarg de prendre place. Ils s’assirent côte à côte sur le bord de la carriole, les jambes dans le vide. Lorsque le chariot repartit, Skelda profita du bruit généré par la route pour se pencher vers son compagnon et murmurer.
   -Que se passe-t-il?
   -Il a offert de nous emmener jusqu’à un village plus au nord. C’est sur notre route, donc j’ai accepté. C’est toujours plus agréable. Je lui ai dit que tu ne parlais pas. Son ressentiment à l’égard de ton peuple est très fort, je ne voudrais pas causer d’ennui.
   La guerrière se retourna pour observer Gerold, puis haussa les épaules.
   -Comme tu veux.
   Il ne lui en fallait pas plus pour demeurer silencieuse tout le reste du trajet.
   La journée s’écoula lentement. Seuls les durs cahots du chemin permettaient à Vizamir de ne pas succomber tout à fait à la léthargie qui le gagnait. Le manque de sommeil commençait à se faire ressentir, et il luttait pour garder les yeux ouverts, cherchant sans cesse quelque chose pour le distraire.
   De temps en temps, Skelda passait une main timide sur son visage, palpant du bout des doigts les contours de sa cicatrice, proférant tout bas un juron ou deux. Vizamir se trouvait du mauvais côté, aussi lorsqu’il se tournait vers elle il ne pouvait qu’observer son profile déchiqueté, cette sierra de chair boursouflée et meurtrie, qui malgré tout ce qu’il avait pu voir au cours de ses nombreux voyages, continuait de le mettre mal à l’aise.
   A l’avant de la carriole, Gerold et sa femme ne cessaient de murmurer entre eux, trop bas cependant pour que Vizamir pût en saisir le sens. Il ferma les yeux un court instant, pour chasser la tension qui s’était accumulée sous ses paupières. Sans s’en rendre compte il s’assoupit presque aussitôt, son esprit dérivant dans des songes confus et délirants.
   -Vizamir!
   La voix inquiète de Gerold, qu’il associa mentalement à un sentiment d’urgence, le réveilla en sursaut. Il cligna des yeux pour chasser les images rémanentes de ses rêves accrochées à sa rétine. La plaine était mortellement calme et silencieuse, s’offrant à sa vue jusqu’à l’horizon. L’air était encore humide, mais le brouillard s’était dissipé. A l’ouest le soleil avait entamé sa descente, moirant les herbes transies de reflets mordorés, bien que pâles.
   Skelda s’était calée plus confortablement contre les parois du chariot, et elle observait Vizamir avec un demi sourire amusé.
   -Qu’y a-t-il?, demanda ce dernier en se frottant le visage.
   -Sur la route droit devant, des cavaliers qui viennent dans notre direction, répondit Gerold.



Merci d'avoir lu!
Titre: La Tour du Rouge : La Route du Nord - Chap 3 (3e Partie)
Posté par: Great Magician Samyël le jeudi 21 juin 2012, 22:20:54
Comme je n'aurais pas accès dès demain et jusqu'à mercredi à internet, je vous propose déjà la suite et fin de ce troisième chapitre.

Dans laquelle on s'échauffe enfin (doucement). Bonne lecture!


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La Carte de la Route (http://image.noelshack.com/fichiers/2012/18/1336165410-carterouteessaieparchemin.png)


Chapitre troisième :
Les déserteurs.
-4e Partie-




-Sur la route droit devant, des cavaliers qui viennent dans notre direction, répondit Gerold.
   Vizamir se retourna et put le constater de ses yeux. Un petit groupe de cavaliers -il en comptait six- s’approchaient de leur position. Ils étaient encore loin, et la lumière déclinante ne lui permettait pas de les identifier. Cependant, ils descendaient vers le sud, ce qui excluait une éventuelle patrouille ou groupe d’éclaireurs Skarg.
   -Gardez l’allure, Gerold, conseilla-t-il. Nous ne savons pas ce qu’ils veulent. Ne montrons aucun signe de peur. Si ce sont des pillards, ils n’hésiterons pas à nous dévaliser.
   -Maaz’Dhun, vient nous en aide, pria le paysan.
   Cependant il écouta la suggestion et ne ralentit pas sa carriole. Les instants qui suivirent furent longs et stressants. Bien que les cavaliers approchaient, le crépuscule s’installait à une vitesse presque identique, et ce qu’ils gagnaient en distance ils le perdaient en visibilité. Contre toute attente, ce fut Skelda qui les identifia en premier.
   -J’en ai déjà vu, souffla-t-elle à Vizamir le plus discrètement possible. Ce sont des soldats de ce pays.
   -Tu en es sûre? Des soldats impériaux?
   -Oui. J’en ai tué des centaines, je reconnaitrais ces casques entre mille.   
   Vizamir n’en doutait pas. Les paroles de la Skarg se confirmèrent lorsque les cavaliers furent suffisamment proches pour que les cliquetis de leurs harnachements militaires fussent audibles. Ils portaient le tabard au loup jaune de l’Empereur Valter par-dessus des cottes de mailles mal entretenues. Des glaives, des masses d’armes et des haches pendaient à leurs ceinturons, et le petit bouclier rond réglementaire des Légions battait contre le flanc de leurs montures. Ils étaient sales, barbus et empestaient à plusieurs mètres. Un remugle fort de mauvais vin, de transpiration et d’urine.
   Alors que Gerold se détendait ostensiblement à la vue de ce qu’il pensait être de braves légionnaires impériaux, Vizamir ne put s’empêcher de ressentir au contraire une certaine nervosité. Il y avait quelque chose à propos de ces soldats qui le mettait mal à l’aise.
   Le cavalier de tête, qui arborait l’écusson de centurion à sa poitrine, fit signe au fermier d’arrêter son véhicule. Gerold obéit immédiatement, pendant que le reste des légionnaires encerclait la carriole. Vizamir essaya de garder son calme, tout en maintenant ses mains le plus près possible de ses dagues à sa ceinture. Skelda ne fit même pas mine de bouger, préférant maintenir son regard sur Vizamir pour anticiper les événements en fonction de ses réactions. Vizamir essaya de se mettre à sa place un instant : entourée d’ennemis potentiels qu’elle avait combattus trois ans durant, et ne comprenant pas un mot de la conversation qui allait suivre. Il admira son pragmatisme et son sang froid.
   Les deux soldats les plus proches dardaient sur elle des regards brûlants de désir sous leurs cervelières de fer, ce qui ne fit rien pour arranger la nervosité de Vizamir.
   -Halte-là, citoyen, exhorta le centurion d’une voix forte. Que transportes-tu?
   -Tout ce qu’il m’a été possible de sauver, officier. Principalement des provisions.
   -Fort bien. Au nom de l’Empereur Valter, nous réquisitionnons les vivres, le chariot et le cheval.
   -Comment?, s’exclama Gerold. Mais vous… Vous ne pouvez pas! C’est tout ce que nous possédons.
   -Nous sommes en guerre, citoyen, aboya le centurion avec un air mauvais. Nous avons besoin de tout le matériel disponible. Maaz’Dhun vous le rendra.
   -Mais je…
   Sans plus de cérémonie, l’officier ordonna à deux soldats de s’emparer des vivres. Les deux légionnaires qui s’étaient installés à l’arrière du chariot mirent pied à terre, et s’approchèrent de Vizamir et Skelda. Le plus proche de la guerrière s’arrêta à son niveau, et avec un sourire concupiscent, fit remonter une main lascive le long des cuisses de la Skarg.
   -Centurion!, appela-t-il. Je pense que nous devrions emmener la demoiselle avec nous. Pour sa protection.
   -Très bonne idée, soldat, approuva l’officier en caressant distraitement sa moustache mal peignée.
   Tout alla très vite. A la vitesse de l’éclair, la main de Skelda se tendit et s’abattit sur le visage du soldat, et dans un bruit écœurant, elle lui creva les yeux avec deux doigts, tandis qu’elle le repoussait de son autre main. Dès que le légionnaire commença à hurler, Vizamir réagit instinctivement. Ses dagues s’envolèrent hors de leur fourreau et tranchèrent la gorge du deuxième homme. Des cris de panique s’élevèrent, accompagnés  des hennissements apeurés des chevaux. Les impériaux tirèrent leurs armes, mais pas assez vite pour Skelda de Skarg. Avant que sa seconde victime n’ait réellement eu le temps de comprendre ce qui se passait, elle avait saisi sa hachette, et d’un bond puissant elle s’éleva dans les airs avec un grognement de bête, et s’abattit sur le cavalier le plus proche, le faisant choir de sa monture. Elle se dressa au dessus de lui, terrible de sauvagerie, et asséna plusieurs coups violents qui firent gicler du sang.
   De son côté, Vizamir avait roulé au bas de la carriole pour éviter un coup d’épée maladroit et précipité. Il ne se releva que pour mieux se jeter sur le côté et éviter les sabots du cheval qui fonçait sur lui. Le cavalier fit demi tour et revint à la charge, poussant un cri de guerre en faisant tournoyer son épée. Vizamir se remit sur ses jambes et attendit patiemment. Lorsque le soldat se pencha sur le côté pour lui asséner un nouveau coup, il se baissa vivement en projetant sa main, agrippant le bras armé pour mieux projeter le légionnaire au sol. Sans autre forme de procès, il l’acheva en l’égorgeant.
    Un peu étourdi par la violence et la vitesse avec lesquelles tout s’était enchaîné, Vizamir se retourna. Il aperçut Skelda de l’autre côté du chariot. Elle avait délesté le cadavre de son dernier assaillant de son épée et de son bouclier, et elle faisait face avec un air farouche à un troisième cavalier qui semblait hésiter à la charger. A l’avant du véhicule, le centurion finissait d’éventrer Gerold, alors que la femme de celui-ci gisait déjà dans la boue.
   Finalement le soldat prit son courage à deux mains et lança sa monture à l’assaut de la Skarg. Celle-ci ne fit pas mine de s’écarter. Bien au contraire, elle se campa solidement sur ses jambes, et lorsque le cheval ne fut plus qu’à trois mètres d’elle, elle poussa un formidable hurlement. Un « SKAAAAAA! » qui éclata comme l’orage annonciateur de tempête, un cri qui résonna dans l’air comme la foudre d’hiver. L’animal pila net, apeuré, mais pas assez vite. Skelda lui assena un revers de son bouclier suffisamment violent et brutal pour lui fracasser le crâne. La bête mourut sur le coup, entraînant son cavalier au sol. La guerrière lui planta sa lame entre les côtes sans plus de cérémonie.
   Vizamir était resté abasourdi. Ses oreilles vibraient encore du cri de guerre de la Skarg. Tout comme le cheval, il avait ressenti une peur primaire lorsqu’il avait éclaté. Ses jambes tremblaient légèrement. Cependant il reprit ses esprits suffisamment vite pour s’apercevoir que le centurion avait tourné bride et s’enfuyait en cravachant furieusement sa monture. Sans se précipiter, Vizamir saisit son arc et encocha une flèche. Il visa avec calme, vidant son esprit comme il l’avait appris. Son trait s’envola en lui caressant la joue. Il décrivit une courbe mortellement précise et s’enfonça dans la nuque du fuyard, le tuant sur l’instant. Le cadavre chut tandis que la monture continuait sa course folle.
   Le calme s’abattit subitement lorsque Skelda acheva le dernier survivant, celui à qui elle avait creusé les yeux. Le silence était assourdissant. Vizamir resta interdit. Il avait déjà tué auparavant. Mais il n’avait encore jamais abattu trois hommes coup sur coup, sans même en connaître la raison. Il y avait dans cette escarmouche une absurdité et une sauvagerie gratuite qui le glacèrent.
   Las, il se traina jusqu’au chariot et s’assit à l’arrière, laissant son regard errer sur les cadavres. Skelda s’approcha de lui. Son air sauvage avait disparu, remplacé par son habituel calme. Du sang frais, celui de ses victimes, coulait le long de ses joues et dans ses cheveux.
   -Pourquoi?, demanda Vizamir.
   -C’était des déserteurs, répondit-elle. Des traitres à leur cause. Ils ne méritaient pas de vivre.
   -Comment l’as-tu su?
   -Leur tabard arbore un petit symbole en dessous du loup. C’est le symbole d’une de leur armée, que j’ai massacrée dans un col il y a quatre mois, plus au sud. Et puis ils étaient trop nombreux. Les éclaireurs vont seuls ou par deux, et les avant-gardes doivent être en effectifs suffisants pour pouvoir repousser une petite force. Ils n’étaient ni l’un ni l’autre. Ce porc là-bas voulait me prendre dans son lit, continua-t-elle en désignant celui qu’elle avait aveuglé. Ils m’auraient emmené avec eux, et seule contre six je n’aurais eu aucune chance. Ici, je t’avais avec moi, les risques étaient bien moindres. Quoi qu’il en soit, c’était un bon combat. Lorshak doit être satisfait.
   -Un combat?, ironisa Vizamir. J’appelle ça un massacre. Tu ne leur a pas laissé l’ombre d’une chance.
   -Ainsi va le monde, Vizamir. Tuer, ou être tué.
   -N’as-tu peur de rien?
   -Avant, non. Maintenant, si.
   -Et de quoi as-tu peur?
   -De toi, Vizamir.
   -De… De moi?
   -Je t’ai vu combattre. Tu as pris la vie de trois hommes, et rien n’a brillé dans tes yeux. Ni haine, ni peur, ni colère, ni dégoût, ni plaisir. Tu as tué, et cela ne t’as fait ni chaud ni froid. Comment ne pas craindre un homme pour qui la mort n’est rien?
   Abasourdi, Vizamir ne trouva rien à rétorquer. Il se contenta de fixer la guerrière un long moment, pendant qu’elle pillait les cadavres à la recherche d’équipement et de provisions.
   


Merci d'avoir lu!
Titre: La Tour du Rouge : La Route du Nord - Chap 3 (4e Partie)
Posté par: raphael14 le dimanche 01 juillet 2012, 14:50:35
Ah, ça faisait longtemps que je n'étais pas venu commenter ici, il y a du laissé aller. Il va falloir mettre bon ordre dans tout ça d'autant plus qu'il y a de la matière pour faire un bon commentaire bien indigeste.

Bon, c'était trop beau pour durer, il fallait nécessairement que le sang coule de nouveau, mais au moins, je suis rassuré sur ta santé : tu es identique à toi-même (pas sûr que sois un signe de bonne santé, d'ailleurs). En tous cas, aujourd'hui c'est offre promotionnelle : trois massacres pour le prix d'un. Une boucherie fratricide bidon et "héroïque", une boucherie fratricide moins glorieuse et des déserteurs concupiscents qui tuent d'honnêtes paysans. Bon, je crois que je vais cesser de commenter ton catalogue d'horreurs, ça n'apporte plus rien de constructif et puis ça fait partie de ta patte.

Maintenant causons un bon coup de l'univers qui commence à émerger pièce par pièce sous nos yeux : Uru-Ban, Skarg, Ponth’Hylïan. Tout me semble avoir été minutieusement préparé tant c'est précis. J'adore cette précision, ces fragments disséminés ça et là, ça donne du corps à ton histoire en faisant du monde que tu crées autre chose qu'un simple toile de fond lisse et convenue. Un pays mystérieux qui vit en totale autarcie à la manière du Japon de l'époque d'Edo, une autre pays Ponth’Hylïan où dort des connaissances qui pourraient éclairer Vizarim sur sa propre nature.
D'ailleurs ce nom : Ponth’Hylïan, il me dit vaguement quelque chose mais quoi ? Ponth’Hylïan...

Il est maintenant temps de nous pencher sur le cas Vizarim. Un personnage principal bien énigmatique avec un passé extrêmement trouble. Il a eu l'immense privilège d'entrer en Uru-Ban et a roulé sa bosse un peu partout. Mais les dernières paroles de Skelda m'ont vraiment éclairé sur Vizarim.
J'avais remarqué que Vizarim semblait assez indifférent aux massacres qui l'entouraient, mais ce que je prenais pour une forme mécanisme d'autodéfense de que du nihilisme : la mort n'est vraiment rien pour lui donc ça ne lui pose aucun problème de voir des innocents mourir tout comme tuer le laisse de marbre.
Je comprends Skelda quand elle dit que Vizarim lui fait peur ; si la mort n'est rien ça autorise des tas de trucs bien glauques voire carrément absurdes et/ou insupportables.

En tout cas, je suis toujours aussi captivé par ce récit certes  sanguinolent mais qui a le mérite d'être prenant. Vivement la suite.
Titre: La Tour du Rouge : La Route du Nord - Chap 3 (4e Partie)
Posté par: Great Magician Samyël le mardi 10 juillet 2012, 14:10:26
Raph' ==> Ce ne sont pas des horreurs, simplement la dure, froide et lucide réalité d'un monde sur le déclin. ;D Je suis content que l'univers de la Route, du moins ce que tu as pu en voir pour le moment, te plaise. Et si tu aimes ce genre de détails, tu devrais être satisfait par ce chapitre quatrième qui arrive. :) Effectivement, Ponth'Hÿlian est bien un petit clin d'oeil à notre (ex) saga préférée. En tous les cas merci d'être passé commenté, ça me fait toujours vachement plaisir!  :^^:

Sur ce, après une petit absence, voici le début du chapitre quatrième, dans lequel on arrive en ville. Le rythme devrait repartir comme d'habitude.

Bonne lecture!


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La Carte de la Route (http://image.noelshack.com/fichiers/2012/18/1336165410-carterouteessaieparchemin.png)

Chapitre quatrième :
Ikérias



   Vizamir parvint à récupérer les autres montures encore en vie, pendant que Skelda s’occupait de dépouiller les cadavres. Elle récupéra quelques couronnes impériales en argent, quelques piécettes en cuivre, deux épées longues dont elle s’équipa ainsi que deux cottes de maille à sa taille qu’elle enfila par-dessus sa tunique de fourrure. Elle en profita également pour remplacer ses bottes trop petites par d’autres plus adaptées.
   Ainsi harnachée, il était difficile de voir en elle autre chose qu’une guerrière féroce et brutale. Ils laissèrent les corps derrière eux, au milieu de la route. Vizamir ne croyait pas en l’au-delà et au repos des âmes : pour lui, la mort renvoyait l’être à la poussière, ni plus ni moins. Quant à Skelda, elle crachait volontiers sur le Panthéon impérial et n’avait que faire de l’ultime demeure de ses ennemis.
   Ils ne parlèrent plus de l’incident. A vrai dire, ils ne parlèrent plus du tout. Chacun restait isolé dans un mutisme pensif qui les arrangeait tous deux. De toute manière, l’équitation n’était pas des plus appropriée pour tenir une conversation. Lors des repas, ils mangeaient en silence, ne communiquant qu’au strict minimum. La nuit, ils échangeaient les tours de garde sans mot dire. Ce climat pesa rapidement à Vizamir, mais il avait du mal à digérer les propos de la Skarg. « Comment ne pas craindre un homme pour qui la mort n’est rien? ».
   Ce qui lui faisait le plus mal, c’est qu’elle avait raison. D’aussi loin qu’il se souvenait, il avait toujours tué sans arrière-pensée, sans remord. Il avait tué parce qu’il le devait, rien de plus. Pour se protéger, pour protéger quelqu’un, la raison importait peu. Il ne s’interrogeait jamais sur ses victimes. Avaient-elles une famille? Des rêves? Des aspirations? A vrai dire il s’en fichait pas mal. Pour lui la majeure partie des humains n’était rien d’autre que des créatures rustres, égoïstes et effrayées. Il s’en souciait comme d’une guigne.
   Malgré tout, il était agacé que Skelda pensât cela de lui.
   Skelda. Il n’arrivait pas à comprendre comment cette femme était entrée dans sa vie si rapidement, si soudainement et si intensément. En à peine quelques jours, ils avaient déjà tellement partagé. Des repas, des histoires,  du chemin, un combat… Il lui avait même révélé le but de sa quête! Une chose qu’il n’avait jamais osé partager avec quiconque auparavant. Et pourquoi avec elle? Ce n’était qu’une guerrière! Une… barbare brutale et païenne, une humaine défigurée dont la vie ne tenait qu’à de la magie noire!
   Et pourtant. Il se sentait triste lorsqu’il imaginait qu’elle le quittait pour suivre sa propre route. Pour Vizamir qui avait d’abord songé, le jour de leur rencontre, à l’achever, puis à la semer à la première occasion venue, il ne pouvait plus supporter l’idée de se séparer d’elle. Peut-être avait-il trop longtemps vécu en solitaire, à arpenter inlassablement toutes les routes du continent, mais il avait trouvé en elle une compagne agréable, une compagnie apaisante.
   Un flot d’émotions relativement inconnu au froid Vizamir le secouait intérieurement. Et cela le perturbait. Il n’avait jamais éprouvé quelque chose pour quelqu’un auparavant, et il n’était pas certain de ce que cela pouvait être. De l’amitié sans doute. Il n’avait jamais eu d’ami auparavant. La nuit, lorsqu’il la regardait dormir à la faveur de leur feu de camp, il s’imaginait blotti contre elle, partageant leur chaleur respective pour lutter contre le froid de ces maudites contrées. Et il appréciait cette pensée.
   Finalement, deux jours après l’incident sur la route impériale, les hautes murailles d’Ikérias apparurent à l’horizon. Leurs montures fraîchement acquises leurs avaient épargné de longs jours de marche. Et les provisions récupérées dans le chariot de Gerold avait évité à Vizamir la corvée de chasse.
   Skelda poussa un juron et écarquilla l’œil lorsqu’elle aperçut la cité. Elle avait pillé quelques villes, lors de sa campagne dans le sud, mais aucun d’entres-elles ne possédait le dixième de la superficie de la capitale impériale. Ikérias était une métropole gigantesque, bâtie autour de l’Ikerum Castrum, la première forteresse que les Ikévarois érigèrent lorsque les tribus furent unifiées par le premier roi Angyas, des siècles auparavant. A l’origine la ville s’était développée de façon anarchique, chaque seigneur et petit noble y faisant ériger son manoir ou sa demeure familiale là où il le pouvait.
   Cependant lorsque les Balciniens débarquèrent en Ikévir, ils apportèrent avec eux l’architecture, la géométrie et l’art. Le roi Ikévarois de l’époque fut séduit, et ordonna d’importants travaux de ré-édification. La majeure partie de la cité fut détruite, au profit d’un tracé bien déterminé laissant peu de place à l’anarchie. L’Ikerum Castrum, aujourd’hui le palais impérial, fut gardé comme épicentre de la ville. Deux grands axes furent tracés, se coupant perpendiculairement au niveau du palais. Chaque autre rue fut pensée parallèlement à l’un de ces axes, et les anciennes demeures grossières furent normalisées. Et bien que cela n’arrêta en rien l’expansion démesurée d’Ikérias, cela prodigua à la cité une renommée à travers le continent, qui contribua à détruire l’image de barbarie que les Chizellites et les Faltmössys associaient aux Ikévarois, permettant ainsi l’édification de l’Empire des Trois.
   Ikérias était le point de départ de la route impériale, qui se répandait à travers tout l’Orientir jusqu’aux mid-lands en partant des quatre portes de la cité, situées aux points cardinaux, au bout des grands axes.  Vizamir n’avait que peu de considération pour les impériaux, mais Ikérias ne cessait de l’impressionner, chaque fois qu’il y venait.
   En temps de paix, la ville était déjà la proie à un fourmillement massif de travailleurs, de marchands, de voyageurs en tous genres. Mais ce jour là, la section méridionale de la route impériale était littéralement noire de monde. Vizamir et Skelda la contemplait depuis le sommet d’une petite colline, et ils avaient le sentiment d’observer un long serpent noir et mouvant. Un flot de réfugiés, fuyant l’horreur des combats pour trouver un abris sûr dans la capitale. Cependant, des cavaliers remontaient et descendaient la colonne, clamant que la guerre était finie, que l’envahisseur reculait, que l’Empire avait vaincu. Et les paysans, d’abord indécis, finirent par tourner les talons et repartir d’où ils venaient, poussant des exclamations de joie, acclamant le nom de l’Empereur Valter.
   -Que célèbrent-ils?, demanda Skelda.
   -La fin de la guerre.
   Skelda s’éclaffa.
   -Si je n’avais pas été trahie, ils seraient tous derrière leurs hauts murs, à trembler comme des femmes en contemplant mon froëdar.
   Vizamir doutait que les Skargs eurent été en mesure d’assiéger Ikérias et de vaincre, mais il n’émit aucun commentaire. Peut-être la guerrière le réalisait-t-elle aussi, car malgré sa fanfaronnade, sa mine s’assombrit. Lorsqu’ils regagnèrent la route impériale, celle-ci était déjà presque vide. Des centaines de détritus divers jonchaient les pavés, que des prisonniers s’employaient déjà à ramasser sous la surveillance étroite d’un peloton de soldats.
   Quatre gardes s’occupaient de réguler le trafic à la porte sud, et l’un d’entre eux se détacha du groupe lorsque Vizamir et Skelda s’approchèrent.
   -Halte-là, étrangers! Déclinez le motif de votre visite.
   -Nous ne sommes que de passage, expliqua Vizamir, se voulant le plus aimable possible. Nous ne souhaitons rien d’autre que dormir dans un bon lit avant de reprendre notre voyage.
   Le factionnaire les observa en plissant les yeux. Vizamir craignit un instant qu’il ne leur refusât le passage, car il devait avouer qu’ils constituaient un couple pour le moins bizarre. Le regard du garde s’attarda plus longuement sur le visage de Skelda, mais Vizamir ne parvint pas à déterminer pourquoi. Cependant il fut soulagé lorsque le soldat leur fit signe d’avancer.
   -C’est bon, circulez. Ne faites pas de grabuge et tout ira bien. La loi impériale interdit le port d’armes de guerre au cœur de la cité, je vous suggère de ranger ces épées dans vos paquetages. Je vous conseille l’auberge du Tribun Joyeux, les prix sont corrects et les draps propres.
   -Merci, officier, répondit Vizamir en hochant la tête.
   Ce dernier détestait les grandes villes. Et ce sentiment se renforçait chaque fois qu’il en pénétrait une. A peine eut-il franchit l’arche de la grande porte qu’il eut l’impression de plonger dans une véritable mare humaine. Des odeurs puissantes de sueur, de détritus et de misère agressèrent son odorat développé, et son ouïe frémit sous les assauts des cris des marchands, des rires et des pleurs des enfants, du brouhaha des conversations.
   Skelda ne réagissait pas, mais son œil volait de droite et de gauche, observant tout, vif ; elle était prête à réagir au moindre danger. Vizamir oubliait parfois qu’elle se trouvait en pays ennemi, et qu’elle serait probablement capturée et tuée si on découvrait sa véritable identité. Tout à coup, il prit conscience qu’avoir amené la Skarg dans la capitale était probablement une très mauvaise idée. Il leur faudrait partir au plus vite.
   Ils remontèrent l’axe sud et s’arrêtèrent à la première écurie qu’ils trouvèrent. Vizamir y vendit les deux chevaux de trop qu’ils possédaient, et en tira trois couronnes impériales en or -bien plus qu’il n’avait espéré. Forts de cette nouvelle richesse, ils bifurquèrent vers la gauche, quittant la route principale pour s’aventurer dans les petites rues labyrinthiques d’Ikérias. Vizamir les guida jusqu’à une petite auberge proprette, portant l’insigne du « Gai Légionnaire ». Ce n’était pas qu’il ne faisait pas confiance au garde de l’entrée, mais chaque fois qu’il séjournait dans la capitale, il passait ses nuits dans cette auberge. Il connaissait le tenancier suffisamment bien pour savoir qu’il y serait bien accueilli.
   -Nous passerons la nuit ici, expliqua-t-il après s’être assurée qu’aucune oreille indésirable ne pourrait les entendre. Je… j’ai besoin que tu sois discrète. Il en va de ta vie. Si on découvrait qui tu es…
   -Je comprends, affirma la guerrière.
   -Bien.
   Ils laissèrent leurs montures dans la petite écurie de l’auberge, et entrèrent.


Merci d'avoir lu!
Titre: La Tour du Rouge : La Route du Nord - Chap 4 (1ère Partie)
Posté par: Doutchboune le mercredi 15 août 2012, 00:24:13
Bon ben je m'y suis enfin mise, depuis le temps, à cette route du nord, et je regrette pas. Bon, comme toujours, tu appesantis un peu sur des scènes bien glauques, douteuses et horribles, mais on va dire que c'est ta patte^^ Mais bon j'ai lu que tu allais surement remanier la scène du loup, qui est, je dois admettre, présentée de manière assez brutale. Après, au vu de sa guérison miraculeuse, rien n'était vraiment anodin, mais oui, il doit y avoir une manière moins crue de le montrer. Enfin, bon globalement, c'est du tout bon (à part quelques petites fautes de ci de là), j'aime beaucoup.

On s'attache aux deux protagonistes, on en apprend sur eux au fur et à mesure, comme sur le monde qui les entoure, et tout ça est vraiment bien amené. Je vais faire court, parce que je suis pas douée en critique littéraire, mais je tenais tout de même à dire que j'avais beaucoup aimé ce récit, et que j'espère que tu permettras de lire la suite !  :)

EDIT : je viens de lire ton texte du concours, et j'aime beaucoup cette petite préquelle à Triangle  :^^: Bravo !
Titre: La Tour du Rouge : La Route du Nord - Chap 4 (1ère Partie)
Posté par: Great Magician Samyël le samedi 18 août 2012, 16:41:27
Doutchy ==> Ca me fait super plaisir de te revoir dans le coin! :D Qu'est-ce que tu deviens? Je suis content que cette Route du Nord te plaise en tous les cas, et oui, il faut croire que le gore et l'horrible me sont irrémédiablement collés à la peau. :( Pour la scène du loup je compte effectivement la remanier, voire la supprimer, si je parviens un jour à faire éditer la Route. C'est la première fois qu'une scène que j'ai écrite me dérange moi même, c'est dire. Je devais être en transe le jour où je l'ai écrite. (En fait si je me souviens bien j'attendais la fin d'un DS d'éco un peu long et chiant, ça a pu jouer.) J'espère que la suite te plaira aussi, et sans trop me mouiller, je pense qu'on reverra Triangle de Haine dans très peu de temps par ici. :astro: Merci pour ton commentaire, il m'a fait bien plaisir.  :^^:

Sur ce, la suite du chapitre 4 de la Route, dans lequel on prend un cours d'histoire.


Egalement, j'ai commencé à réparer le sommaire du premier post. A l'heure actuelle, tout ce qui touche au Triangle est opérationnel, j'en ai également profité pour rajouter deux nouvelles en lien, La Pièce d'Argent et Tarquin le Tambourin, que vous pouvez retrouver sur le sommaire du premier post. Je vais réparer le reste petit à petit dans les jours à venir, mais comme vous pourrez vous en rendre compte en naviguant un peu dans les pages, le passage à la v7.5 du forum a supprimé le contenu de beaucoup de mes post sur le topic, dont beaucoup de chapitres de plusieurs histoires. Donc ça va me prendre un peu de temps. J'en profite pour remercier chaleureusement Hope qui me donne un coup de main pour réparer les balises. :)

Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture!








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La Carte de la Route (http://image.noelshack.com/fichiers/2012/18/1336165410-carterouteessaieparchemin.png)

Chapitre quatrième :
Ikérias
-2e Partie-



La salle commune était plutôt vaste, mais bondée de monde comme elle l’était présentement, elle paraissait minuscule. Des dizaines de clients s’entassaient sur une poignée de tables et presque autant de chaises, tandis que deux serveuses essoufflées zigzaguaient entre les buveurs pour servir les commandes. Le « Gai Légionnaire » n’était pas un établissement de renom, mais la guerre pouvait transformer n’importe quel bouiboui en place de luxe.
   Vizamir se fraya un chemin parmi la foule, suivi tant bien que mal par Skelda. Après quelques bousculades et pas mal d’excuses, il parvint à atteindre le bar, où un homme dans la trentaine, longs cheveux filasses et barbe mal rasée, jonglait entre son torchon et ses tonnelets de bière. Lorsque son regard se posa sur les deux nouveaux arrivant, son visage s’illumina.
   -Ca par alors!, s’exclama-t-il. Si ce n’est pas ce vieux Vizamir!
   -Salut, Ryan, répondit l’intéressé sur un ton plus réservé.
   Vizamir connaissait Ryan depuis près de dix ans. Lors de leur première rencontre, le tenancier n’était qu’un jeune Westrÿosi l’esprit plein de rêves et d’aventures. Le « Gai Légionnaire » ne lui appartenait pas alors ; c’était un bouge piteux et bon marché. Ryan y faisait la plonge et récurait les sols pour être nourri tout en gagnant un peu d’argent, pour repartir sur les routes. Cependant, l’année suivante, lorsque Vizamir, sur le retour d’Uru-Ban, s’arrêta de nouveau au « Gai Légionnaire », le jeune homme avait connu une promotion fulgurante, passant de simple souillon à gérant de l’entreprise. Il expliqua à Vizamir que le précédent propriétaire s’était fait arrêté par la garde pour dettes non payées, et puisque personne n’était venu réclamer l’auberge, il l’avait reprise à son compte.
   Vizamir devait avouer qu’il s’en était parfaitement bien sorti.
   -Qu’est-ce que tu deviens, vieille branche?, demanda Ryan en lui servant une pinte de mousseuse. Ca doit bien faire, quoi?… Deux ans qu’on a pas vu tes oreilles pointues trainer dans les parages.
   -Tu sais comment va la vie. On ne fait pas toujours ce que l’on veut.
   -A qui le dis-tu? Regarde moi. Je rêvais de femmes, de prouesses et d’aventures, et me voilà à me remplir poussivement les poches sur le dos de tous ces malheureux réfugiés.
   La plaisanterie arracha un sourire à Vizamir.
   -Je vois que tu n’as rien perdu de ta bonne humeur légendaire.
   -Jamais. Comme disait mon paternel, « c’est pas en faisant la gueule qu’on fera sourire la chance. » Mais je vois que tu n’es pas seul. Hmm, plutôt inhabituel… mais pas déplaisant. Tu ne me présentes pas à la demoiselle?
   Vizamir se tourna vers Skelda. Cette dernière avait réussi à masquer sa cicatrice derrière ses cheveux, ce qui gommait, plus ou moins, tous les défauts de son visage. Elle semblait essayer de suivre la conversation entre les deux hommes… sans succès.
   -C’est… compliqué, Ryan, souffla Vizamir avec un ton sérieux. Est-ce qu’il te resterait une chambre?
   -Pour un ami, toujours, répondit le tenancier en agrippant une clé derrière lui. Dernière à gauche au fond du couloir. Si on me demande, je vous ai pas vus.
   Vizamir appréciait l’intelligence de cet homme, qu’il savait dissimuler derrière son entrain bon enfant. En gage de remerciement, il laissa une couronne d’or sur le comptoir -peut être vingt fois le prix normal de la chambre. Ryan l’empocha discrètement en hochant la tête.
   Ils luttèrent pour atteindre l’escalier, mais trouvèrent le premier étage étonnamment désert. Leur chambre était relativement spacieuse pour un établissement de ce genre, et offrait le confort de deux lit individuels ainsi qu’un âtre dans lequel un jolie feu crépitait joyeusement, réchauffant la pièce pour le plus grand bonheur de Vizamir. Une large cuve en bronze terminait le mobilier, jouxtée par un tabouret où reposait un pain de savon et une serviette pliée.
   -Que fait-on, attaqua Skelda en s’asseyant sur le bord d’un lit sitôt que Vizamir eut fermé la porte.
   -Pour le moment, rien, répondit l’intéressé en déposant son arc, son sac et ses dagues dans le coin de la pièce au pied de son propre lit. J’entends savourer un long repos, agrémenté d’un bon repas chaud.
   -Un programme hautement intéressant. 
   Malgré tout, la Skarg sombra dans le sommeil sitôt sa tête posée sur l’oreiller, remplissant la pièce de ses légers ronflements. Vizamir l’observa un long moment, admirant les contours de ses traits, le tracé de ses lèvres légèrement mauves. Il finit par se passer une main sur le visage et s’endormit à son tour.
   Il se réveilla au crépuscule. Le feu n’était plus que braises fumantes dans l’âtre, et l’obscurité avait commencé à envahir la pièce. Il pouvait voir quelques étoiles depuis la fenêtre, apparaissant les unes après les autres sur le ciel zébré de pourpre et d’or rouge. Skelda sommeillait toujours, lui tournant le dos. Sans bruit, il se leva, chaussa ses bottes et passa ses dagues à sa ceinture puis sortit de la pièce en prenant soin de refermer la porte le plus doucement possible.
   Il trouva la salle commune étrangement vide. Il n’y avait plus un client, alors qu’en temps ordinaires, c’était à cette période de la journée, une fois le labeur fini, que les travailleurs et les petites gens venaient dépenser leurs quelques sous durement gagnés. Ryan était assis dans un confortable fauteuil devant la vaste cheminée en pierre, une couverture posée sur ses jambes tendues. Il fit signe à Vizamir de le rejoindre.
   -Les Skargs ont attaqué, que tout le monde a décampé?, demanda l’intéressé en tirant une chaise devant le feu.
   -Les dieux nous en préservent, mon ami. Non, ce soir l’Empereur a organisé des jeux nocturnes pour célébrer la victoire. Toute la cité peut y participer, pour peu qu’on trouve une place.
   -La victoire, hein?
   Vizamir repensa à ce que lui avait raconté Skelda, à la trahison de ses hommes. Où se trouvaient-ils, à présent? Avaient-ils déjà regagné la côte et embarqué dans leurs long bateaux, leurs cales remplies de richesses et de prisonniers?
   -La victoire, répéta le tenancier en portant sa choppe de bière à ses lèvres. Je regretterais presque que la guerre soit finie. Elle m’a fait gagné tant d’or que je pourrais vivre avec le ventre plein jusqu’à la fin de ma vie sans devoir m‘occuper de l‘auberge, si je le voulais.
   -Je suis content pour toi.
   -Et moi donc. Mais je ne suis pas le seul a avoir gagné quelque chose de cette guerre, hein?, fit Ryan d’un ton lourd de sous-entendus, un sourire goguenard sur les lèvres. Un sacré petit lot, cette Skarg.
   -Je savais qu’elle serait trop reconnaissable, soupira Vizamir. Personne n’a les cheveux rouges, par ici.
   -Bah, rétorqua l’aubergiste d’un mouvement flasque de la main. Ces impériaux ont tellement les yeux braqués sur leur nombril qu’ils seraient incapables de faire la distinction entre un semi-homme et un cul de chèvre. J’ai entendu parler de prêtresses, à Balcino, dont les cheveux sont comme des flammes. Si jamais on te demande, ta Skarg est une Balcinienne. Où tu l’as trouvée? Une déserteuse?
   -Si seulement.
   -Je n’ai pas beaucoup entendu parler de femmes guerrières, reconnut Ryan. On raconte qu’à Skarg les femmes sont aussi destinées à faire la cuisine et pondre des marmots, comme par ici. A part cette sanguinaire de Skelda, les soldats qui revenaient du front ne parlaient jamais de…
   Il s’interrompit soudain, semblant réaliser quelque chose.
   -Attend. Ne me dit pas que cette fille, c’est… Enfin... Tu vois, quoi?
   -J’en ai bien peur, répondit Vizamir en s’absorbant dans la contemplation des flammes.
   -Par les douze colonnes du Panthéon, souffla Ryan en s’enfonçant dans son siège. La reine des ces barbares, la femme qui refile des cauchemars à l’Empereur lui-même, qui a saccagé tout l’Orientir. Et elle est ici. Sous mon toit. Dans mes lits. Ho, Dieux, ho Dieux…
   -Elle n’est pas reine, corrigea Vizamir. Ses hommes l’ont trahie et laissée pour morte. Je l’ai trouvée.
   -Et tu ne l’as pas achevée.
   -A quoi bon? Elle pense que son dieu l’a épargnée pour accomplir une mission en son nom. Elle pense qu’elle me doit la vie, et qu’elle doit m’accompagner jusqu’à ce que sa dette soit payée.
    -Et toi, tu l’as amenée droit dans la gueule du loup, chuchota Ryan en jetant un regard derrière son épaule. Elle est en danger ici, Vizamir. Si on découvre son identité, elle ne verra jamais le soleil se lever une nouvelle fois.
   -Je le sais, répliqua Vizamir en fronçant les sourcils. Mais je n’ai pas le choix. Il n’y a plus une ville au sud d’Ikérias en mesure de nous ravitailler. Je ne compte pas rester plus de quelques jours. Nous serons vite partis.
   -Je l’espère, mon ami, je l’espère.   
   Vizamir prit congé après avoir rassuré Ryan une dernière fois, et lui avoir laissé une note couverte de runes Skarg à remettre à Skelda à son réveil. Cependant, lorsqu’il s’enfonça dans les ruelles suintantes de la capitale, que recouvrait lentement le linceul ténébreux de la nuit, il ne pouvait s’empêcher de jeter des coups d’œil suspicieux derrière son épaule, pour s’assurer que personne ne le suivait. Il s’arrêtait chaque fois que ses oreilles pointues percevaient un son, le « ploc » d’une goutte d’eau s’écrasant dans une flaque croupie, le cri du vent dans un volet, les pas d’une silhouette titubante dans une ruelle transversale…
   Alors que les ténèbres projetaient leurs longs doigts fins sur lui, il eut bientôt l’impression déroutante d’être seul dans la cité. Une ombre perdue dans un labyrinthe d’allées obscures, de murs aveugles, de fenêtres closes. Un vent timide soufflait, faisant voleter les bords de sa pelisse de loup, lui donnant des frissons. Il avait la sensation qu’on l’observait, bien qu’il n’arrivât jamais à trouver un observateur où qu’il se tournât. Il allongea ses pas, son cœur accélérant en cadence, et un soupçon d’angoisse l’assaillit.
   Au loin, il entendait une sourde et basse clameur, comme le grondement d’une énorme et terrible bête. Il pouvait apercevoir de vacillantes petites lumières, autant de torches brûlant sur les murs du colisée où se déroulaient actuellement les jeux organisés par l’Empereur. Des jeux brutaux et barbares, des matchs à morts entre des prisonniers affamés, des confrontations sanglantes entre gladiateurs professionnels, sans oublier les célèbres combats contre les animaux sauvages. Vizamir avait déjà eu l’occasion d’assister à ce genre de spectacle, il y avait quelques années de cela, à Faltmöss. Il n’en gardait pas un souvenir joyeux.
   Cela faisait partie des nombreux paradoxes de la société impériale. L’Empire s’était élevé de la boue au fil des siècles, en vampirisant les connaissances et la science des peuples autours de lui. L’agriculture et l’élevage des Malmoréens à l’ouest, à l’aube de la civilisation lorsque l’Empire ne comptait que la petite cité de Faltmöss, puis l’architecture et l’art de l’acier incroyable des premiers chevaliers Westrÿiens, arrachés avec hargne après de longues guerres successives depuis longtemps oubliées. Puis le Royaume de Malmore avait sombré, implosant de lui-même, succombant à son propre pouvoir, tandis qu’à l’est Ur bâtissait son mur. Enfin, les marchands et les navigateurs Balciniens avaient accosté en Orientir, et hissé Ikérias en maîtresse absolue de l’Empire.
   Et malgré tout ce savoir, toute cette science, toute cette civilisation, les impériaux entretenaient avec joie des traditions barbares et cruelles : combats à mort, esclavagisme (bien que ce dernier soit officiellement prohibé dans l’enceinte d’Ikérias) et la dette du sang, qu’ils partageaient, sans le savoir, avec les Skargs. Quant à leur Panthéon, cet assemblage hétéroclite de dieux plus violents et obscurs les uns que les autres, il n’avait rien à envier aux cultes primitifs des semis-hommes. En fait, plus il y réfléchissait, plus Vizamir détestait l’Empire. Il avait longtemps songé qu’il n’éprouvait que du mépris pour l’humanité, mais à la lumière des derniers jours, il comprenait que cette haine diffuse, il ne l’éprouvait qu’à l’encontre des impériaux.
   Les Westrÿosis n’étaient pas radicalement différents, descendants des mêmes peuplades barbares, mais leur société s’était édifiée sur l’honneur et la loyauté due au souverain ainsi que sur les leçons enseignées par la chute des Malmoréens. Les Balciniens ne vivaient que pour la richesse et l’esthétisme, mais chez eux, chacun avait sa chance, peu importait sa condition ou sa naissance, et rien n’était acquis d’avance. Une société qui récompensait le travail et la prise de risque. Les îliens de la baie de Korsk, eux, étaient plus renfermés, distants, autarciques, mais pour qui avait réussi à s’intégrer, ils devenaient comme une seconde famille.
   Quant aux Skargs… Et bien Vizamir devait reconnaître qu’il n’en avait encore jamais rencontré avant Skelda et Skelda… et bien, Skelda lui laissait une impression positive. Très positive. Peut-être trop positive, à la réflexion. Il grogna en fermant les yeux pour la chasser de ses pensées, mal à l’aise à l’idée de la place qu’elle prenait de plus en plus dans sa vie, alors qu’elle ne faisait rien de particulier pour.
   « Comment ne pas craindre un homme pour qui la mort n’est rien? »
   Ils étaient quatre. Trois de trop. L’homme qui l’attrapa vivement à l’épaule mourut avant d’avoir pu ouvrir la bouche, la dague de Vizamir plongée profondément dans le bas ventre. Le deuxième à se présenter devant lui, visage casqué masqué par la nuit, tenait un glaive militaire usé dont il se servait plus comme d’une masse que comme d’une lame. Son coup puissant, que Vizamir ne put que mal parer, lui engourdit un bras et faillit lui faire perdre son arme. Mais à peine eut-il effectué un pas en arrière pour se remettre à distance qu’un ombre surgit à la périphérie de son champ de vision, et le coup de gourdin fut suffisamment rude sur son crâne pour le jeter à terre, sonné. Encore conscient, il essaya de se relever péniblement, mais la botte du dernier larron l’envoya dans les ténèbres, un goût métallique dans la bouche.



Merci d'avoir lu!
Titre: La Tour du Rouge : La Route du Nord - Chap 4 (2e Partie) + 2 Nouvelles!
Posté par: Doutchboune le samedi 18 août 2012, 19:48:16
Ça faisait trop longtemps que j'étais pas venue laisser trainer mes yeux dans le coin, mais je suis bien contente d'y être revenue (et du coup, j'ai eu direct un gros morceau à lire  ;D )

Sinon, enfin un peu de calme (enfin, sauf à la toute fin), de repos, et encore un peu d'infos supplémentaires sur l'univers. Tout ça se boit comme du petit lait, c'est chouette.

Et je deviens rien de spécial par rapport à avant, comme toujours, ma fréquentation a des hauts et des bas, du moins en posts, parce que je passe normalement tous les jours sur le forum, même si j'admets ne pas tout lire. Enfin, bon, vivement la suite, de la Route du Nors, comme celle de Triangle, d'ailleurs !
Titre: La Tour du Rouge : La Route du Nord - Chap 4 (2e Partie) + 2 Nouvelles!
Posté par: Great Magician Samyël le mercredi 12 septembre 2012, 17:51:13
Encore merci de venir commenter cette Route du Nord, Doutchy! En espérant que la suite continue de te plaire. :)


Sur ce, 3e partie du chapitre IV. Ca faisait un moment que je n'avais pas posté, et sans réelle raison en fait, faut que je rattrape ça. :niak:
Bonne lecture!


_________________________

La Carte de la Route (http://image.noelshack.com/fichiers/2012/18/1336165410-carterouteessaieparchemin.png)

Chapitre quatrième :
Ikérias
-3e Partie-




Quand il revint à lui, il se trouva étroitement ligoté à une chaise, poignets liés dans le dos. Sa colonne raidie lui faisait mal, et le côté gauche de sa mâchoire était tout gonflé, une douleur sourde en pulsant sournoisement à chaque battement de cœur. Trois miliciens patibulaires en tabard jaunâtre le regardaient à distance respectueuse depuis l’autre bout de la pièce. L’un était petit et trapu, et son œil droit aussi blanc que la neige. Le deuxième était plutôt grand, des yeux globuleux enfoncés dans un visage marqué par la vérole. Le dernier s’en sortait mieux, hormis les affreuses plaques rouges purulentes qui ornaient son cou, et qu’il tapotait négligemment avec un mouchoir sale par intermittence.
   Autour d’eux, des cages plus ou moins grandes accueillaient un vieillard barbu au corps rachitique zébré de morsures de fouet, et une femme entre deux âges qui s’agrippait aux barreaux de sa cellule en fixant Vizamir de ses grands yeux totalement morts. Seul sa poitrine qui s’agitait mollement permettait de confirmer qu’elle vivait encore. Le sol de pierre était maculé de tâches de sang, certaines beaucoup plus récentes que d’autres, et au plafond pendaient des crochets de boucher parfaitement entretenus. Un lourd battant en bois sombre s’encastrait dans le mur du fond, accompagnant une table du même matériau de grandes dimensions, sur le plateau de laquelle un chiffon souillé recouvrait les silhouettes d’une dizaine d’outils, sur lesquels Vizamir ne se faisait aucune illusion.
   Une salle de torture. 
   Son rapt avait été rapide et propre. Malgré leur allure pathétique, les trois miliciens étaient des professionnels, comme en témoignaient les yeux de tueur qu’ils braquaient sur Vizamir. Ce dernier se rendit compte qu’il était complètement nu, à l’exception de son caleçon de laine. Il aperçut également ses dagues à la ceinture du borgne. Il éprouva rapidement la résistance de ses liens, mais ces hommes connaissaient leur affaire.
   Un soupçon de peur commença à s’instiller dans son cœur. Il n’était pas un lâche, mais seuls les idiots accueilleraient avec joie l’idée de souffrir. Et il sentait qu’il allait souffrir. Beaucoup. En plus d’être un étranger, d’apparence trop atypique, il avait tué l’un des leurs. Une dette de sang.
   Cependant, à la façon dont-ils se tenaient loin de lui, il crut deviner que d’une certaine façon, ils le craignaient. Rien qu’un peu. Mais tout avantage était bon à prendre. Il décida de jouer les durs, et, se redressant au maximum de ce que lui permettaient ses entraves, il tourna la tête et cracha le sang et la bave qui s’étaient accumulés sous sa langue.
   -Puis-je savoir de quoi je suis accusé?, s’enquit-il d’une voix forte, que sa mâchoire tuméfiée rendait balourde.
   -Commerce avec les démons, et meurtre d’un officier de sa Sainteté l’Empereur. Mais pour le moment, l’oreille pointue, tu ferais mieux de la fermer, si tu tiens à tes dents. Sa Grandeur sera bientôt là. Et elle aura quelques questions à te poser. Et si j’étais toi, je ferais tout pour lui donner des réponses satisfaisantes, ajouta le borgne avec un ton lourd de sous-entendu.
   Vizamir avala péniblement sa salive, les yeux s’activant à la recherche, vaine, d’une solution. Il ne voyait pas comment sa situation pouvait être pire. Il était inculpé pour deux des crimes les plus lourds de la loi impériale. Son « commerce avec les démons » devait probablement se résumer à son apparence, qu’un honorable citoyen aura de bon cœur reportée aux autorités dans l’espoir d’une pièce ou deux. Venir a Ikérias avait été une mauvaise idée depuis le début, il ne le réalisait que maintenant. Une erreur qui lui serait très certainement fatale.
   A lui, comme à Skelda. Seule dans le cœur même de l’empire qu’elle avait combattu et vaincu trois ans durant, et ne parlant pas un mot de commun, ses chances de survie étaient négligeables, pour ne pas dire inexistantes.
   Le temps ne tarda pas à se déformer, à s’allonger au rythme irrégulier des délires du vieil homme dans sa cellule, qui se tournait par moments, cherchant un peu de confort dans son sommeil dévoré par la fièvre. La femme, elle, ne bougea pas une seule fois, et ses yeux, vides et morts, ne cillèrent jamais, leurs petites pupilles noires braquées sur Vizamir. Les miliciens reniflaient de temps à autre, ou s’échangeaient une blague à voix basse, mais rien de plus. Ils se contenaient d’attendre, les mains posées sur les pommeaux de leurs armes à leur ceinture, prêts à parer à toute éventualité. Il n’y avait pas de fenêtre, et aucune lumière ne filtrait de sous le pas de la porte. Vizamir n’avait aucune idée de l’heure qu’il était, et au fur et à mesure que l’attente se prolongeait, l’air se chargeait d’une moiteur et d’une lourdeur insupportable, qu’il ressentait sur sa poitrine, accompagnée par la peur de plus en plus oppressante. Peur pour lui-même, et peur pour Skelda, surtout.
   Des images insupportables tournaient en boucle dans son esprit, des images de soldats répugnants et sales, en cercle dans une salle similaire, attendant chacun leur tour pour violer la Skarg brisée et vaincue ; des images du Colisée, sur la piste duquel Skelda nue et sans arme était jetée en pâture à des lions. Ce qu’il avait commencé à deviner s’était mué, à l’approche de sa propre mort, en une certitude stupéfiante et d’une violence inouïe, d’une absurdité telle qu’elle le laissait tremblant et le souffle haché. Il aimait cette femme de toute la fibre de son être, et c’était un sentiment si agressif et puissant qu’il en avait mal. Toute son essence aspirait à être à son côté, à partager ses repas, ses histoires, à se battre avec elle, pour elle.
   Il n’avait jamais rien connu de tel, et cela l’effrayait plus que toutes les horreurs qu’il avait contemplées au cours de sa vie d’aventure, plus que tous les cauchemars qui visitaient inlassablement ses rares nuits de sommeil. Son amour, brûlant, douloureux, bien au-delà de sa compréhension, s’exprima par la haine farouche et débordante qu’il se mit à éprouver pour l’Empire. Cet Empire qui allait lui prendre la seule chose qu’il ait jamais chérie, et qu’il chérirait jamais. L’amour et la haine, si opposés, si proches, dansèrent dans son esprit jusqu’à un point de fusion qui le laissa vide et épuisé.
   Il ne savait plus quoi penser, ni à quoi penser. Tout lui paraissait insensé. Son existence, sa quête. Souhaitait-il vraiment découvrir qui -ou quoi- il était? Et si la réponse n’était pas celle qu’il espérait, si elle n’était pas recevable? Que ferait-il?
   « Comment ne pas craindre un homme pour qui la mort n’est rien? »
   La porte s’ouvrit avec fracas, le faisant sursauter, l’arrachant à ses pensées existentielles. Aussitôt son esprit rationnel reprit le dessus, et froidement il étudia le nouvel arrivant. C’était un homme de haute taille, bien que décharné. Il portait une riche soutane en velours pourpre, et un lourd médaillon en or, représentant un temple, pendait à son cou rachitique. Quelques touffes de cheveux filasses et gris s’obstinaient sur son crâne lisse, et ses traits tirés, rongés par des tâches de vieillesse, rappelèrent à Vizamir ceux d’un vautour. Malgré tout, son pas était alerte, ses gestes sûrs, et il referma le battant avec une expression de franche colère, qui se mua en curiosité dès qu’il aperçut Vizamir ligoté sur sa chaise. 
   -Qu’avons-nous là?, souffla-t-il avec des yeux qui se mirent à pétiller.
   Un peu de salive perla à ses lèvres molles, comme si la vision qu’il avait de Vizamir le mettait en appétit.


Merci d'avoir lu!
Titre: La Tour du Rouge : La Route du Nord - Chap 4 (3e Partie)
Posté par: Prince du Crépuscule le jeudi 20 septembre 2012, 17:32:37
Coucou !

Juste un petit message entre deux éternuements pour te dire que j'ai rattrapé mon retard sur la Route, et que j'ai évidemment beaucoup aimé. Non, pas de sémillant pavé pour cette fois, j'ai pas la forme, hélas. :niak:

Je tiens tout de même à préciser que je suis très curieux de la suite des événements, au vu du dernier rebondissement, et que j'ai hâte de voir Vizamir et Skelda de nouveau ensemble. Leur relation me plaît, elle me rend très curieux. Ce sont deux personnages particuliers, singuliers, ce qui rend leur association assez atypique.
De même, je suis avide de connaître de nouveaux détails sur le monde que tu as échafaudé, ayant toujours apprécié ce genre d'informations.

Une question me turlupine néanmoins depuis un petit moment : étant donné la position géographique de l'île de Skarg, ajouté au fait que le froëdar de Skelda n'est pas passé par Ikérias, quelle route l'invasion a-t-elle suivie ? J'imagine qu'ils ont débarqué à l'est, puisque Skelda a vu les murs d'Uru-Ban, mais après j'avoue avoir du mal à comprendre quelle a été leur progression.
Si tu pouvais m'éclairer sur ce point, ce serait sympa, à moins que tu n'aies prévu d'en parler dans un futur chapitre, bien entendu.

A part ça, eh bien... j'attends la suite, tout simplement. Eh non, pas de remontage de bretelles à propos des fautes aujourd'hui, mon message a subi une sacrée cure d'austérité. Et puis je fais que rabâcher les mêmes choses, donc si tu veux tout savoir, je te renvoie à la correction de ton texte du concours (du premier tour, s'entend).

A bientôt et bonne continuation ! :^^:
Titre: La Tour du Rouge : La Route du Nord - Chap 4 (3e Partie)
Posté par: Doutchboune le jeudi 20 septembre 2012, 17:48:05
Merci PdC qui m'a remis en mémoire que je devais lire cette suite !

J'aime beaucoup cette prise de conscience de Vizamir, et ce sentiment qui l'habite. Sentiment d'amour violent et exacerbé qui est très bien rendu, au point de se demander sa réelle origine ? N'est-t-il pas alimenté par seulement un besoin de trouver un but ? Un effet d'un premier amour ? Peut-être même un autre attrait moins "naturel" de la guerrière ? Bon, là c'est moi qui m'enflamme, mais sur ce genre de chose, j'ai facilement tendance à le faire. Et de mon point de vue, que ton texte me fasse cette impression est un gage de qualité !

Reste à savoir qui est cet empourpré et ce qu'il lui veut (et ton univers me fait en certains points beaucoup penser à Berserk, tout comme au début, l'histoire dans le village, avec le démon dans l'église), bref, façon de dire que j'attends la suite :niak:
Titre: La Tour du Rouge : La Route du Nord - Chap 4 (3e Partie)
Posté par: Great Magician Samyël le samedi 22 septembre 2012, 16:17:10
PdC ==> Hey! Ca me fait super plaisir de te voir sur ce cher topic, pavé ou non! :) Content que cette Route te plaise en tout cas, et plus spécialement le duo Vizamir/Skelda, puisque l'histoire repose principalement dessus, donc je suis heureux qu'il marche. :niak: Pour ta question ce n'est pas un secret défense, je t'ai fait un petit .png pour pouvoir mieux y voir (http://image.noelshack.com/fichiers/2012/38/1348321658-carte-route-phase-d-invasion.png). Merci d'être passé, ça me fait toujours vachement plaisir. ^^

Doutchy ==> C'est pas la première fois qu'on compare mes oeuvres à Berserk, faudrait que je le lise un jour. :niak: Merci en tout cas, en espérant que la suite continue de te plaire. :)


Sur ce, suite et fin du chapitre IV. Où les choses sérieuses commencent. Bonne lecture!



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La Carte de la Route (http://image.noelshack.com/fichiers/2012/18/1336165410-carterouteessaieparchemin.png)

Chapitre quatrième :
Ikérias
-4e Partie-



-Qu’avons-nous là?, souffla-t-il avec des yeux qui se mirent à pétiller.
   Un peu de salive perla à ses lèvres molles, comme si la vision qu’il avait de Vizamir le mettait en appétit.
   Par tout ce qui est sacré, songea l’intéressé avec un frisson, c’est probablement le cas.
   -Votre Grandeur, expliqua le borgne en venant l’accueillir. Nous sommes absolument navrés de vous déranger si tard dans la nuit, pendant les jeux de Sa Divinité, mais nous avons jugé que l’affaire vous intéresserait.
   -Je dois vous avouer, décurion, que votre tête n’a jamais été aussi proche de se retrouver sur une pique que ce soir, gloussa le prêtre. Mais vous avez bien jugé. Bien, oui, très bien.
   Il se tourna un court instant, repoussant d’un geste sec le chiffon sale. Des lames, des marteaux, des cisailles et des instruments que Vizamir n’aurait su décrire luisirent faiblement sous la lumière des torches. Dans sa cage, le vieillard malade poussa un plaintif gémissement, qui passa inaperçu.
   -Tout est prêt, bien.
   La voix du prêtre évoquait à Vizamir le raclement d’une pierre contre une autre. Un son hautement désagréable, qui ne faisait rien pour arranger la peur primitive qui l’avait saisi à la vue des instruments.
   -J’ai toujours apprécié votre rigueur, décurion. Vous serez récompensés, vous et vos hommes.
   -Nous sommes au service de Votre Grandeur, s’inclina le borgne avec un sourire satisfait.
   -Oui, oui, bien. Amenez la table.
   Le vautour s’approcha du prisonnier à pas lents, se frottant les mains comme un badaud observant une belle marchandise sur un étal. Derrière lui, les deux sous-fifres soulevèrent la table et l’approchèrent suffisamment pour que Vizamir puisse contempler les tâches rougeâtres qui maculaient les lames. Il eut du mal à avaler sa salive.
   -Je suis le Haut-Prêtre Honorius, se présenta le vieil homme avec un sourire de prédateur. Vous êtes accusé de commerce avec les démons, et je suis là pour vérifier le bien fondé de cette accusation, ma foi, fort grave, n’est-ce pas? Quel est votre nom?
   -Vizamir, répondit l’intéressé d’une voix rauque, incapable de détacher son regard des instruments que l’homme aux plaques rouges disposait rigoureusement en arc de cercle, visiblement par ordre de taille.
   -Une bien belle panoplie, n’est-ce pas?, fit Honorius en suivant son regard. J’espère que nous n’aurons pas à nous en servir ce soir, continua-t-il d’une voix qui laissait clairement entendre le contraire. Mais cela, comprenez-le bien, ne dépendra que de vous.
   Vizamir ferma les yeux un court instant. Il transpirait abondamment, à cause de l’air moite, mais surtout à cause de la peur. Il tira pitoyablement sur ses liens, mais ceux-ci restèrent implacablement stoïques. Le décurion apporta un tabouret, sur lequel Honorius s’installa, à la gauche du prisonnier.
   -L’honorable citoyen qui vous accuse, commença-t-il avec un sourire bienveillant, affirme que vous étiez accompagné, par une femme dont la moitié du visage manquait. Il affirme qu’aucun homme ne pourrait survivre à une telle blessure sans en mourir, à moins d’user de magie noire. Niez-vous?
   Vizamir voulait réfléchir, gagner du temps, mais tout ce à quoi il parvenait à penser, c’était ces lames et ces marteaux, sur la table. Ils luisaient faiblement, leur fil parfaitement aiguisé.
   -Je.. Je…
   Le poing ganté de fer du décurion s’abattit sur sa bouche avec une telle violence qu’il fallut qu’un des soldats agrippe sa chaise pour l’empêcher de basculer sur le côté. Du sang coula dans le fond de sa gorge, manquant l’étouffer.
   -Allons, l’encouragea Honorius d’une voix qu’il voulait cajoleuse. Il va falloir parler plus distinctement, Vizamir. Alors, niez-vous?
   -Non, souffla-t-il.
   Un mélange de dégoût et de haine de lui-même s’insinua dans son cœur. Il voulait protéger Skelda, mais il savait que tôt ou tard, la douleur le ferait parler. Et seuls les idiots aimaient souffrir.
   -Où se trouve-t-elle, en ce moment?
   -Je… Je ne sais pas. Nous… Nous nous sommes séparés. Je ne sais pas où elle est.
   Le sourire d’Honorius s’allongea suffisamment pour découvrir ses dents pourries. Il fit un petit signe de tête au décurion, qui détacha les poignets de Vizamir. Ce dernier eut un instant l’espoir insensé que son mensonge était passé, mais lors que le borgne lui prit la main gauche et le força à déplier ses doigts, il comprit qu’il avait tort. Il se mit à se débattre quand l’hommes aux plaques rouges s’empara d’un petit disque percé d’un trou suffisamment grand pour y entrer un doigt.
   -Vizamir. Vous et moi avons une longue conversation devant nous. Et j’aimerais que nous soyons honnêtes l’un envers l’autre. Voulez-vous? Nous savons que votre compagne séjourne à vos côtés au Gai Légionnaire.
   Honorius s’humidifia les lèvres, observant avec des yeux brillants le borgne qui passait l’instrument autour du petit doigt de Vizamir, que les deux autres maintenaient en place.
   -Non, je vous en supplie!, gémit-il pitoyablement, fou de terreur.
   -Vizamir, il faut que vous compreniez qu’être honnête avec moi vous épargnera bien du tourment. 
   -J’ai compris! J’ai compris, pitié, j’ai compris!
   Aussi clairement qu’il entendit le « tchak », il ressentit la perte de son membre avec une acuité surnaturelle. Son doigt sectionné roula sur le sol souillé en même temps qu’un hurlement de douleur s’échappait de sa gorge. Ses muscles se contractèrent, et il frappa le sol de ses talons comme un possédé. Du sang, son sang!, s’échappait de la plaie nette à gros bouillons, éclaboussant les pierres et ses pieds.
   Un long moment passa avant que la douleur s’estompât suffisamment pour qu’il cesse de hurler.
   -Vous n’avez pas à subir tout ceci, Vizamir, reprit Honorius. C’est si simple. Il suffit de me dire la vérité.
   Le borgne passa son annulaire dans l’orifice de l’instrument.
   -Une question simple maintenant, Vizamir. Qu’êtes-vous venu faire à Ikérias?
   Sa réponse mourut sur ses lèvres, lorsque le vieillard fiévreux se releva soudainement sur ses pieds, le corps arqué, la tête tirée en arrière. Ses yeux se révulsèrent, et sa bouche s’ouvrit sur un cri épouvantable, contre-nature.
   -Par Maaz’Dhun, s’agaça Honorius en se retournant.
   Mais ses yeux s’agrandirent autant que ceux de Vizamir et des miliciens, lorsque le corps rachitique du vieil homme se mit à trembler comme une feuille agitée par la tempête. Il tomba à genou, et une écume rougeâtre perla à ses lèvres. Et soudain, son squelette « implosa », ne laissant derrière lui qu’un sac d’os et de peau flasque, au moment même où une ombre jaillit de sa bouche. Une créature de ténèbres se redressa lentement, dardant deux yeux jaunes, ronds et luisants sur Vizamir.
   C’était une caricature d’homme, un être aux membres décharnés, voûté, le crâne déformé. Un murmure d’un autre monde s’éleva, et la créature fit un pas maladroit, puis un autre, titubant sur ses jambes frêles. Elle traversa les barreaux comme si elle n’avait aucune matière. Le décurion fut le plus prompte à réagir. Lâchant Vizamir, il dégaina son épée usée et frappa un coup violent. Son arme traversa le crâne de l’apparition sans effet probant. Puis cette dernière se ramassa sur elle-même, formant une flaque, puis elle bondit et plongea dans la bouche ouverte de l’homme.
   Ce dernier lâcha son épée qui rebondit sur le sol avec fracas, et il fit un pas en avant, halluciné, puis un autre, et il se mit à fondre. Sa chair dégoulinait le long de ses os qui s’effritaient, ne laissant derrière eux que la créature, plus grande, plus épaisse, plus forte. Elle se baissa pour ramasser l’épée, et lorsqu’elle se redressa, on pouvait deviner une barbe sur son menton, et un casque à corne sur son front.
   Terrorisés, les deux soldats survivants tirèrent leurs armes sans conviction, tétanisés par ce qui était arrivé à leur chef. Honorius était tombé de son tabouret et rampait sur les fesses, récitant des prières vaines à ses dieux. Vizamir s’était figé, sourd à la douleur qui pulsait dans sa main. Il se tenait à quelques centimètres à peine du monstre,  et il pouvait sentir son souffle méphitique. Mais ce dernier ne s’intéressa pas à lui. Avec sa démarche d’ivrogne, il tituba vers les deux soldats, son arme s’agitant au bout de son bras comme un poids mort.
   Avec un cri couplé de sanglots, le vérolé frappa trois coups de son gourdin, trois coups qui ne stoppèrent nullement la créature. Elle l’attrapa à la gorge, et lui enfonça son épée dans le ventre. Le dernier milicien n’essaya même pas de se défendre, préférant se recroqueviller sur lui-même ses bras au dessus de la tête pendant que la lame du spectre s’enfonçait dans son crâne avec difficulté. Sans plus de considération, la créature essaya de déloger l’arme de son carcan d’os, mais visiblement pas assez forte, elle renonça, tournant son attention sur Honorius, qui se remettait, tremblant, sur ses pieds. Ses yeux exorbités lançaient des regards affolés autour de lui, dans l’espoir de trouver quelque chose, n’importe quoi, qui pourrait lui sauver la vie.
   -A… Arrière, monstre!, hurla-t-il en brandissant son médaillon, croyant peut-être que ses dieux le protégeraient.
   Mais aucun éclair vengeur ne frappa l’être de ténèbres lorsque ses doigts se refermèrent sur la gorge maigrelette d’Honorius jusqu’à s’enfoncer dans la chaire molle. Des larmes silencieuses se mirent à rouler le long des joues de Vizamir. Alors qu’il avait dorénavant les mains libres, l’idée de se détacher ne lui avait même pas traversé l’esprit. Il ne pouvait que contempler, empli d’effroi, la scène irréelle qui se déroulait devant lui. Une partie détachée de lui nota que la femme, dans sa cage, n’avait pas bougé, que ses yeux semblaient irrémédiablement fixés sur lui.
   Lorsque les borborygmes d’agonie d’Honorius cessèrent, l’apparition se tourna vers Vizamir, ses yeux luisants, sphériques, brillant comme de petits soleils dans cet amas vaseux d’ombres et de ténèbres. Une matière noire et visqueuse s’écoulait de son corps à chacun de ses mouvements, décharnant un peu plus à chaque seconde sa silhouette déjà squelettique. De sa démarche titubante, faible et hagarde, elle s’approcha, répandant son humeur noire à sa suite. Sa mâchoire inférieure se détacha et tomba au sol en se disloquant. Ce qui ne l’empêcha pas de murmurer d’une voix démoniaque, d’outre-monde.
   Au bout de la Route, Caelach, là où les ombres et les morts et les rêves gisent sous les tumulus de glace et de neige. Je t’attends, Caelach. La Route t’attend.
   Un souffle méphitique, purulent, s’abattit sur le visage de Vizamir, le faisant tressaillir. Il sentit son moignon de doigt qui cicatrisait à une vitesse surnaturelle, irradiant dans sa main mutilée une douleur ardente. L’être vacilla, sa jambe gauche implosant. Il s’effondra au sol dans des projections d’humeurs malignes, et il rampa avec son dernier bras, son torse déchiré suivant péniblement. Ses yeux disparaissaient sous la matière noire.
   Je… t’attends… Caelach.
   Et dans ce dernier murmure, la chose disparut, ne laissant derrière elle qu’une mare d’ichor ténébreux et fumant. Sonné, choqué, abasourdi, Vizamir défit ses liens et se leva péniblement, sur des jambes mal assurées. Il ne put faire qu’un pas avant d’être tordu en deux par un violent rejet de bile qui le laissa le souffle court.
   Les yeux de la femme, dans sa cage, le suivirent silencieusement tandis qu’il quittait cet antre du cauchemar.


Merci d'avoir lu!
Titre: La Tour du Rouge : La Route du Nord - Chap 4 (4e Partie)
Posté par: Doutchboune le samedi 22 septembre 2012, 16:25:16
Bon, j'ai pas le temps de détailler, et si je poste pas maintenant, je vais oublier de le faire. J'essayerai d'éditer plus tard, mais je vais juste dire que la scène est bluffante, prend bien aux tripes, et pauvre Vizamir. Mais qui est-il ?

Vivement la suite !
Titre: La Tour du Rouge : La Route du Nord - Chap 4 (4e Partie)
Posté par: Prince du Crépuscule le dimanche 23 septembre 2012, 17:19:24
Ah oui, effectivement, j'avais pas du tout vu ça comme ça pour l'invasion. Moi je croyais vraiment l'empire au bord de la ruine, avec le sud du pays (Chizell, Faltmöss etc.) déjà conquis et tout. Tu m'étonnes que j'avais rien compris. Mais c'était débile de ma part, puisque tu as écrit à plusieurs reprises qu'ils se trouvaient en Orientir.
Enfin bref, merci pour la petite carte, elle m'a été salutaire. :niak:

Concernant le dernier bout de chapitre, eh bien, ça déménage. Comme tu dis, les choses sérieuses commencent, tu nous le fais sentir bien comme il faut. Brr ça fait froid dans le dos quand même, ces histoires d'apparitions. Bon, je me doutais quand même que Vizamir en réchapperait, mais quand on voit le sort que tu as réservé aux autres, je craignais qu'il n'en prenne pour son grade. Enfin tu me diras, un doigt en moins, ça refroidit déjà un peu.
N'empêche, je suis content que la scène de torture n'ait pas duré trop longtemps, déjà que j'aime pas trop ça, mais en plus quand on décrit ça aussi bien, bah ça rend assez mal à l'aise. Et puis ce vieux prêtre dégoûtant, typiquement GMSien, n'est pas là pour arranger les choses. Enfin bref, je suis content que le démon l'ait crevé, il méritait pas mieux.

Maintenant, je suis vraiment curieux de savoir ce qui attend Vizamir au bout de cette fameuse Route. Parce que cette recherche est un peu le thème principal du truc, mine de rien, et que ça peut être vraiment tout et n'importe quoi. Connaissance ? Identité ? Désillusion ? ça a pas l'air tout rose en tout cas, si tu veux mon avis. :roll:

Au fait, je sais pas si c'est voulu ou non, mais le fait que l'apparition fonde et se disloque, ça m'a vivement rappelé le Dieu-guerrier de Nausicaä, quand Kushana le force à "tirer" sur les Ômus. Tu me diras, c'est un motif récurent chez Miyazaki, puisqu'on retrouve plus ou moins la même chose avec le Dieu-cerf de Princesse Mononoke et le sans-visage de Chihiro. Mais, à mon sens, c'est dans Nausicaä que la chose est la plus frappante (peut-être parce que j'ai lu - et adoré - le manga, aussi). Enfin voilà, j'ai pas pu m'empêcher d'y penser, en bon fan que je suis.

J'espère qu'on va avoir des nouvelles de Skelda dans la prochaine partie en tout cas. C'est pas que je m'inquiète, mais un peu quand même. Le vieux savait où elle est, donc il risque d'y avoir pas mal de grabuge. Et qui sait, peut-être Vizamir va-t-il venir la sauver sur son blanc destrier ? :love:
Ah non, je me suis trompé de fiction, excuse. :o

Bref, c'était mon 3000ème message, rien que pour toi. (enfin, sans la suppression du Café, ç'aurait pas été tout à fait le cas, mais faisons comme si)
Attends-toi à me voir venir souvent dans le coin, car je ne compte pas lâcher le morceau de sitôt. Et comme dirait Dutschi, vivement la suite !
Titre: La Tour du Rouge : La Route du Nord - Chap 4 (4e Partie)
Posté par: Great Magician Samyël le lundi 08 octobre 2012, 22:35:02
Doutchy ==> Merci pour le commentaire :D

PdC ==> Non effectivement, la guerre n'a toujours que les territoires d'Ikérias, l'Orientir principalement. Faltmöss et Chizell n'ont absolument pas été inquiétée. Mais je fais un peu la lumière sur la situation politique dans ce début de chapitre V, ça t'aidera peut-être à mieux visualiser l'ensemble. :niak: Et puis je ne vois pas de quoi tu parles, tu sais très bien qu'avec moi ça finit toujours en gros happy end rose de l'amour.  :ange:
Pour ton analogie avec Princesse Mononoké, et plus généralement avec l'oeuvre de Myasaki, tu as parfaitement raison. C'est exactement ce que j'avais en tête en décrivant l'apparition et sa dislocation. Bien joué :niak: Un gros merci en tout cas de continuer de passer, et en espérant que la suite te plaise! :)


Sur ce, première partie du chapitre V, où on revoit Skelda. Un peu.

Bonne lecture!

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Carte de la Route. (http://image.noelshack.com/fichiers/2012/18/1336165410-carterouteessaieparchemin.png)

Chapitre cinquième :
Le Déicide
-1ère Partie-




Il s’enfuit de l’Ikérum Castrum par sa poterne Est, après avoir tué la sentinelle en lui tranchant la gorge par derrière. Il tira frénétiquement le corps jusqu’à une alcôve, et la dépouilla des vêtements qu’elle portait sous sa chemise de maille et son haubert de cuir. Il récupéra ensuite un manteau noir à capuchon qui pendait à un crochet, et s’en drapa pour sortir. Il allongea rapidement ses foulées, et se fondit dans la foule à peine éveillée d’Ikérias.
   L’aube était déjà là, peignant le ciel grisâtre de longues bandes de rose et d’orange. Plus aucun feu ne brûlait sur la façade du Colisée, et les rues, étrangement silencieuses, s’agitaient paresseusement aux odeurs de pain frais et de lard grillé. Cela permit à Vizamir de prendre conscience de sa faim dévorante, mais il s’en soucia peu. Toutes ses pensées étaient focalisées sur Skelda. Si Honorius avait dit vrai, elle allait être arrêtée, à moins qu’il n’arrive le premier. Il lui faudrait ensuite récupérer leurs affaires et déguerpir le plus vite possible. Il connaissait quelques gredins de la basse ville qui accepteraient son or en échange d’un passage sûr hors de la ville à travers les égouts obscurs, il n’en doutait pas.
   Tenaillé par la peur, il accéléra autant qu’il l’osa, ne souhaitant pas attirer l’attention sur lui. Chaque fois qu’il fermait les yeux, même un court instant, l’image de la créature suintante lui revenait à l’esprit. Elle l’avait appelé Caelach. Une semaine auparavant il n’avait jamais entendu ce nom, et maintenant il avait l’impression que tout le monde l’appelait ainsi. Enfin, tout le monde… surtout les entités démoniaques, ajouta-t-il pour lui-même avec un pâle simulacre de sourire bien vite dissipé.
   Il avait connu des jours meilleurs. Affamé, épuisé, sa main pulsait douloureusement, essayant de se rappeler à son bon souvenir, mais Vizamir faisait tout son possible pour occulter cette sensation. Il préférait penser à la perte de cette partie de lui plus tard. Il réalisa qu’il avait oublié, dans sa précipitation, de récupérer son membre, et l’espace d’un court instant, il songea à y retourner, mais oublia bien vite cette idée idiote. A l’heure qu’il était, l’Ikérum Castrum devait résonner du chant des alarmes. Il serait bientôt l’homme le plus recherché de la ville, il n’en doutait pas. Ce qui lui laissait bien peu de temps.
   Il arriva dans la rue où battait l’enseigne du Gai Légionnaire par une ruelle transversale enténébrée qui lui permettait d’avoir la vision sur la façade de l’auberge. Et son cœur loupa un battement.
   Il arrivait trop tard. Trois légionnaires en tabard jaune pointaient leur hallebarde sur le cou de Skelda, agenouillée au milieu de la rue, tandis que deux autres transportaient le corps sans vie d’un camarade, dont le cou était tordu selon un angle impossible. Deux décuries avaient été réquisitionnées pour l’appréhender, et cela plus la cohorte de badauds curieux ne tarda pas à encombrer la rue. Skelda releva la tête, et son œil brillait d’un éclat de fureur et de défi lorsqu’elle le leva vers le cavalier.
   A la robe immaculée de son destrier, à la richesse de son long manteau jaune, et surtout à la couronne de fer et de bronze qui ceignait son crâne dégarni, Vizamir comprit qu’il s’agissait de l’Empereur Valter en personne. Ses traits communs étaient tirés par la fatigue, et des cernes impressionnantes ornaient ses yeux, cependant c’était un sourire de triomphe qui illuminait son visage.
   -Skelda de Skarg, commença-t-il d’une voix étonnamment portante. Tu es accusée d’avoir débuter une guerre sans raison, d’avoir rasé et pillé de nombreuses villes à travers tout l‘Orientir, d’avoir passé au fil de l’épée des centaines de braves citoyens de l’Empire. Tu es également accusée de commerce avec les démons, comme le prouve ton visage embrassé par la mort, et enfin, tu es accusée du meurtre de sa Sainteté Honorius.
   Des huées sauvages et quelques projectiles jaillirent de la foule des curieux, et certains hommes tentèrent de passer le cordon de légionnaires, certainement dans le but de se faire justice eux-mêmes. Depuis son observatoire, Vizamir serra les poings, la haine embrasant une fois encore son cœur.
   -Donne moi une lame, chien, gronda Skelda dans sa langue rude, et je finirai ce que j’ai commencé.
   Elle cracha au pied du destrier de l’Empereur en signe de défi, mais tout ce qu’elle reçut comme réponse fut un coup de hampe dans la mâchoire.
   -Emmenez la, ordonna Valter en tournant bride. Elle sera bientôt châtiée comme elle le mérite sous les yeux des loyaux citoyens d’Ikérias.
   Le rythme cardiaque de Vizamir s’emballa. Il n’avait qu’une chance. Une folie. Il n’avait qu’une épée trop lourde et un couteau mal entretenu. Eux étaient une vingtaine, bien armés, bien entraînés, et avec la foule de leur côté. Et pourtant, il serra les poings sur le pommeau de ses armes de fortune, prêt à les dégainer… mais une main puissante s’abattit sur son épaule.
   -Cela serait malavisé, mon ami, chuchota une voix lourde dégoulinant d’accent Balcinien. Il n’y a rien que vous ne puissiez faire, si ce n’est trouver une mort rapide.
   Vizamir tourna la tête une demi seconde, apercevant le visage basané et barbu d’un homme en robe bariolée. Déjà les soldats remettaient Skelda debout et lui liaient les poignets dans le dos. Il n’avait qu’une chance, une seule.
   Mais il ne la saisit pas. La peur l’arrêta au moment où il s’apprêtait à bondir. Impuissant, il regarda avec des larmes de haine la procession militaire qui repartait vers l’Ikérum Castrum, dix légionnaires entourant la prisonnière.
   C’était fini. Skelda allait bientôt mourir, exécutée en place publique sous les injures et les huées de paysans dégrossis et sales. Il se serait effondré à genoux si la main du balcinien n’avait pas été sur son épaule.
   -Gardez espoir, mon ami, susurra l’étranger alors que la colonne disparaissait à l’angle d’une rue. Rien n’est jamais perdu pour un homme déterminé. Et après votre exploit de la nuit dernière, je crois que l’on peut affirmer que vous êtes un homme déterminé…
   Vizamir ne répondit rien. Il se demanda un court instant comment l’homme pouvait être au courant de ces événements, mais cela n’avait aucune importance. La rue s’était vidée, la populace ayant suivi la procession militaire. Il en profita pour sortir au grand jour et traversa la chaussée à pas rapides pour pénétrer à l’intérieur du Gai Légionnaire. Quelques chaises et quelques tables avaient été renversées, témoignant sans aucun doute de la résistance que Skelda avait du opposer.
   Une nouvelle larme silencieuse roula le long de sa joue en apercevant le cadavre pâle de Ryan, adossé contre le mur au bas des marches, ses poings crispés autour de la plaie qui lui ouvrait le ventre en deux.
   -Hmm, commenta le Balcinien en entrant à son tour, rien d’autre qu’une preuve supplémentaire de la justice impériale, j’en ai bien peur.
   Vizamir l’ignora et s’agenouilla à côté du corps, duquel il ferma lentement les yeux. Son ami avait certainement essayé de s’interposer, et il l’avait payé de sa vie. Et tout ceci à cause de lui, Vizamir, lui et sa vanité. Tous ces événements se teintaient d’une telle aura d’évidence qu’il se demandait bien comment l’idée même de venir dans la cité impériale lui avait traversé la tête. Folie, tout ceci n’était que folie.
   -Je suis désolé, mon ami, murmura-t-il d’une voix morne et vide.
   La chambre qu’il avait partagée avec Skelda l’espace de quelques heures la veille à peine avait été proprement saccagée. Le sang sur le sol, les impacts dans les murs et le mobilier fracassé témoignaient de la violence de l’arrestation. Par miracle, l’arc de Vizamir était intact, si ce n’était sa corde, cassée nette dans la fièvre du combat. Il en tira une nouvelle de son havresac qu’il récupéra sous les décombres du lit, et passa l’arme en bandoulière, avec son carquois dans lequel ne subsistait que trois flèches intactes.
   Lorsqu’il redescendit, le balcinien était installé à une table, un verre d’alcool devant lui. Il avait fermé la porte de l’auberge, et observait la rue depuis une fenêtre à la vitre brisée. Vizamir l’étudia plus en détail. Il était grand et large, plus gras que musclé, avec des bras comme des jambons et des mains comme des battoirs. Sa peau avait la teinte bronzée typique de la Théocratie, et ses petits yeux bruns et lumineux étaient maquillés de khôl noir. Le sommet de son crâne s’ornait d’une sorte de turban rouge, et il portait une longue robe de velours pourpre rehaussée aux épaules de fourrure grise et maintenue par une vaste ceinture d’un marron clair.
   Son visage poupin était avenant, et il sentait la muscade et les clous de girofle.
   -Qui êtes-vous, attaqua Vizamir d’une voix que la tension et le chagrin rendaient dure.
   -On m’appelle Malik El-Azwaïli. Je suis l’ambassadeur officiel de mon pays ici, à Ikérias.
   -Que savez-vous de ce qu’il s’est passé cette nuit?
   -Ho, peu, en vérité. J’ai entendu dire que vous avez sauvagement assassiné le Haut-Prêtre, ainsi que ses gardes du corps. La description que l’on m’en a faite était des plus… fantaisiste.
   -Comment pouvez-vous savoir tout cela? L’Empereur lui-même ne sait pas que j’en suis le responsable.
   Vizamir préféra endosser la responsabilité de la mort d’Honorius, plutôt que de parler de la… créature. L’idée même de s’ouvrir sur le sujet le faisait frémir. Il avait l’impression que ce qui s’était passé dans cette salle de torture était devenu un secret qu’il devait garder. Des forces maléfiques s’étaient manifestées pour le sauver, et tant qu’il n’en saurait pas plus, il ne voulait prendre aucun risque.
   -L’information est un bien comme un autre, mon ami. Elle s’achète contre du bon or.
   -Qu’est-ce que vous me voulez?, gronda Vizamir, de plus en plus mal à l’aise.
   Son moignon lui faisait un mal de chien et sa migraine empirait. Il était tendu comme une corde d’arbalète, s’attendant à voir débouler un peloton de soldat d’une seconde à l’autre pour finir le travail.
   -Moi? Rien. Mon gouvernement, en revanche… Disons que nous pourrions nous entraider. En toute amitié, bien sûr.
   -Ne me faites pas répéter ma question.
   -Très bien, je comprends. Vous avez vécu des choses difficiles, et vous êtes nerveux. C’est parfaitement compréhensible.
   Malik s’empara de sa coupe et avala une petite gorgée d’alcool, sans se départir d’un petit sourire factice, commerçant.
   -Je vais être très clair, dans ce cas. Je vous propose de libérer votre compagne. Nous pouvons vous fournir des plans de l’Ikérum Castrum, comprenant plusieurs passages dérobés ainsi que les accès condamnés depuis les égouts. Nous graisserons les pattes qui auront besoin de l’être, et nous ferons fermer les yeux qui auront besoin de l’être. Vous récupérez la barbare, et nous vous faisons sortir de la ville, tous les deux, incognito cela va de soi.
   Vizamir fronça les sourcils. Quelque chose le troublait.
   -C’est délirant. Qu’est-ce que la Théocratie aurait à faire avec une cheftaine barbare déchue?
   -Ho, la femme ne nous est d’aucune utilité. Disons qu’elle nous est utile pour prouver notre bonne foi. Bien sûr, nous attendons un juste paiement pour nos services.
   -Bien sûr, grimaça Vizamir en s’agitant. Rien n’est gratuit.   
   -Absolument, acquiesça le balcinien en reprenant une lampée. En échange de la libération de la femme, ainsi que de votre évasion en dehors des murs de la cité, nous voulons que vous assassiniez Sa Divinité, l’Empereur Valter.
   Vizamir ne put empêcher un hoquet de surprise de lui échapper. Il recula d’un pas en arrière, comme s’il venait de recevoir un coup de poing. Il scruta le visage de l’ambassadeur pour y chercher une marque quelconque d’humour ou de malice, mais il se heurta à un mur de sérieux.
   -Pourquoi?, fut tout ce qu’il trouva à répondre. Pourquoi Balcino voudrait se débarrasser de Valter? 
   -C’est compliqué, souffla Malik en s’adossant un peu plus confortablement. Vous avez traversé l’Orientir, vous avez vu ce que votre amie et sa guerre en ont fait. Des champs de ruine, des récoltes passées à la torche, et surtout de très nombreuses exploitations minières laissées à l’abandon. Il n’y a plus un port sur la côte susceptible d’accueillir des navires de commerce. Les Skarg nous ont fait perdre de très nombreux bénéfices durant ces trois années, mon ami. Tout ceci du fait de l’incompétence de Valter à bouter une bande de gueux armés de bric et de broc hors de ses terres. Le sol de l’Orientir est le plus riche du continent, et ses forêts sont abondantes et giboyeuses.
   « Maintenant que la guerre est finie, Valter entreprendra la reconstruction, mais cela sera long et difficile, et les mines ne seront pas remises en état avant quelques années. Nous ne sommes pas intéressés. Certains pensent qu’Ikérias a fait son temps, et nous partageons cette idée. La mort soudaine et tragique du Haut-Prêtre et de l’Empereur laisseront la capital dans le choc et l’effroi, et nul doute que très bientôt les chiens de la cour et les prêtrillons se battront entre-eux pour récupérer chaque miette de pouvoir qu’ils parviendront à se mettre sous la dent.
   « Il y aura la guerre civile, et plus personne pour occuper les garnisons et les postes de guet. Alors l’armée de l’Empereur Alexandros à Chyzell viendra et s’emparera de l’Orientir, grâce aux fonds et aux ressources que nous lui fournirons. L’Empire des Trois deviendra certainement l’Empire des deux, ironisa Malik, mais Alexandros est un homme faible et servile, qui nous obéira. Bien sûr, nous nous sommes assurés quelques garanties, et dès que l’Orientir sera dans le creux de notre poing, la Théocratie enverra des cargaisons d’esclaves pour reprendre l’activité des mines. Et alors, les pertes fâcheuses que l’action de votre amie a engendrées ne seront plus qu’un lointain souvenir. »
   Le balcinien acheva son exposé sur un ton badin, mais ce qu’il venait de révéler était terrible. On parlait d’un nouveau massacre, d’une guerre civile, on parlait de renverser un empire au nom d’un autre, au nom du profit et de l’or. Et s’il acceptait, lui, Vizamir, l’éternel voyageur, l’étranger sans attache ni identité, serait le déclencheur de toute ceci. Il écrirait l’Histoire.
   Cette idée lui donna le vertige, et il dut s’assoir en face de Malik.
   -C’est délirant. Vous êtes fou. Pourquoi voudrais-je faire ça?
   -Pour votre amie, bien sûr.
   -Quand bien même. Si j’arrivais à pénétrer l’Ikérum Castrum, nul doute que l’Empereur est bien gardé, surtout depuis la mort d’Honorius. Je n’aurais aucune chance.
   -Nous vous fournirons tout ce dont vous aurez besoin.
   -Là n’est pas la question. Ce que vous me proposez c’est la mort, rien de plus. Il n’y a aucune chance pour que j’accepte un marché aussi démentiel.
   -Je crains, hélas, que vous n’ayez guère le choix, mon ami.
   Le ton doucereux de Malik lui mit la puce à l’oreille. Relevant la tête, il constata que deux hommes accoutrés comme l’ambassadeur se tenaient dans l’ombre de l’arrière salle, braquant sur lui deux arbalètes chargées. A cette distance, et avec de tels engins, il était peu probable qu’ils ratent leur coup.


Merci d'avoir lu!
Titre: La Tour du Rouge : La Route du Nord - Chap 5 (1ère Partie)
Posté par: Doutchboune le mardi 09 octobre 2012, 09:23:04
Pauvre, pauvre, pauvre Vizamir. J'espère vraiment que sa revanche sera à la hauteur de toutes les misères qu'on lui fait ! Ce Malik est assez affreux dans le genre ambassadeur politique fourbe et tortueux... Je connais quelqu'un avec qui tu t'entendrais bien question scénars vicieux où tu te retrouves obligé d'essayer d'éviter de faire les pires atrocités, mais en fait t'as pas le choix, tu aides forcément des affreux, bien contre ton gré  :R

En tout cas, j'aime beaucoup ce chapitre, même s'il est pas du genre à faire voir la vie en rose !
Titre: La Tour du Rouge : La Route du Nord - Chap 5 (1ère Partie)
Posté par: Prince du Crépuscule le samedi 27 octobre 2012, 19:13:20
Effectivement, pauvre Vizamir. Sa situation était déjà pas franchement jojo, mais là c'est de mal en pis. Amoché comme il l'est, il n'a aucune chance de sauver Skelda, et en plus on lui propose des plans foireux. Ou plutôt on l'oblige à le faire. Assassiner l'empereur, rien que ça ! Décidément, les hommes politiques semblent tous véreux dans cette fic. :niak:

En tout cas je suis content que tu nous aies filé quelques données géopolitiques, je suis toujours friand de ce genre d'infos. Ainsi, les intérêts économiques vont bon train, à ce que je vois. Les Balciniens perdent pas le nord, même en période trouble. Monter les puissants les uns contre les autres, manipuler les pauvres hères comme Vizamir, ça me semble tout à fait viable comme plan. Surtout s'il y a des pépètes à la clé.

Au fait, j'ai oublié de l'ajouter dans mon dernier commentaire, mais j'ai remarqué que Vizamir montrait de plus en plus ses sentiments. Visiblement, le contact avec Skelda l'a fait s'humaniser, lentement mais sûrement. Alors qu'au début les massacres et autres atrocités ne lui faisaient ni chaud ni froid, désormais on dirait presque qu'il a la larme facile (j'exagère, je sais :o). Coïncidence ou pas, c'est assez ironique je trouve, vu que les manifestations démoniaques se multiplient et que l'intrigue gagne en noirceur au fil des lignes.
Intéressant.

Bref, j'ai hâte de découvrir la suite, et par conséquent les prochains coups tordus. Car il y en aura, je n'en doute pas une seule seconde. Même avec l'appui des Balciniens, il n'est pas aisé de tordre le cou d'un dieu. v.v

Sur ce, bonne continuation !

Titre: La Tour du Rouge : La Route du Nord - Chap 5 (1ère Partie)
Posté par: Great Magician Samyël le dimanche 08 décembre 2013, 06:28:47
C'est au plus fort de la nuit, ou plutôt aux petites lueurs du jour, que surgit un GMS sauvage, faisant surgir par sa volonté une Tour là où seules demeuraient poussière et antiquités.


Salut tout le monde! Après plus d'un an de silence, la Tour du Rouge reprend du service. Après avoir traversé une longue et difficile période désespérément vide d'inspiration, je recommence tout doucement à tapoter le clavier et je me suis dis que ça serait le bon moment pour reprendre notre périple sur la Route du Nord là où on l'avait laissé. Je ne promets aucune régularité cependant, même si j'ai encore un chapitre et demi d'avance sur la parution, cette avance pourrait se consumer assez vite. Qui vivra verra!

Je tiens également à vous remercier, Doutch et Prince pour vos derniers commentaires! :niak: Comme dirait l'autre, mieux vaut tard que jamais! En tout cas PdC je ne peux que saluer ta fine analyse du personnage de Vizamir, qui me semble tout à fait pertinente!

J'espère vous retrouver sur le chemin du Nord, bientôt peut-être? :niak:

Sur ce, bonne lecture!

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Pour tous les nouveaux arrivants, la Route du Nord commence ici (http://forums.puissance-zelda.com/index.php/topic,2326.msg405287.html#msg405287)


Résumé de l'intrigue, parce qu'il yen aura sûrement besoin :

(Cliquez pour afficher/cacher)




Carte de la Route. (http://image.noelshack.com/fichiers/2012/18/1336165410-carterouteessaieparchemin.png)

Chapitre cinquième :
Le Déicide
-2e Partie-




-Je crains, hélas, que vous n’ayez guère le choix, mon ami.
   Le ton doucereux de Malik lui mit la puce à l’oreille. Relevant la tête, il constata que deux hommes accoutrés comme l’ambassadeur se tenaient dans l’ombre de l’arrière salle, braquant sur lui deux arbalètes chargées. A cette distance, et avec de tels engins, il était peu probable qu’ils ratent leur coup.
   -Votre bonne foi, hein?, cracha Vizamir. Allez pourrir.
   -Je suis désolé, mon ami, sincèrement. Avec tout ce que vous savez à présent, ne nous pouvons vous laisser simplement partir. Dans cette affaire, aucun risque inconsidéré ne doit être pris.
   -Je ne suis pas un assassin. Pourquoi n’envoyez-vous pas l’un de vos agents?
   -Comme je l’ai dit, aucun risque inconsidéré ne doit être pris. Dans l’hypothèse où mon agent serait capturé, il y aurait forcément des retombées très fâcheuses sur la Théocratie. Alors que vous… Et bien, un étranger vu en compagnie de la barbare et certainement de mèche avec elle dans l’assassinat du Haut-Prêtre, qui s’en souciera?
   Malik finit son verre, et ses yeux brillèrent comme deux pépites d’or.
   A la nuit tombée, Vizamir, la peur au ventre, s’introduisit dans les égouts de la ville par une bouche située non loin de la muraille sud de l’Ikérum Castrum. Malik avait rempli sa part du marché et lui avait fourni un impressionnant et coûteux attirail : une panoplie en cuir noir et souple le rendant presque invisible dans l‘obscurité, des outils de crochetage, deux dagues longues de bonne qualité presque identiques à celles qu’il avait perdues et un nouveau carquois plein de flèches.
   Dès qu’il pénétra dans les boyaux obscurs et suintants, l’odeur de merde et d’ordure lui sauta au visage, et il releva le cache-nez de son vêtement. Il n’osa pas allumer de torche, de peur de se révéler aux habitants peu recommandables du dédale pouilleux. Les criminels en fuite, les vagabonds et les sans-abris trouvaient refuge dans les alcôves les plus reculées des égouts, formant une société secrète et violente qu’il valait mieux éviter.
   Vizamir préféra s’orienter en gardant en tête les indications de Malik, et en laissant une main sur le mur à sa gauche, pour se guider. Après de longues minutes à tâtonner dans le noir, ses doigts se refermèrent sur les barreaux rouillés d’une échelle. Il la grimpa rapidement, pour découvrir que l’issue avait été condamnée, comme l’avait prévenu Malik. L’ambassadeur lui avait également indiqué que le mortier qui avait été utilisé n’était plus de première fraîcheur, et qu’il s’effriterait sans doute assez facilement.
   Par bonheur le balcinien avait raison, et après ce qui sembla une heure à Vizamir, passée à gratter lentement le liant avec la pointe d’une de ses dagues, il sentit la plaque bouger sous ses doigts. Forçant un peu plus, il parvint à la déloger dans un bruit infernal qui résonna à travers les galeries empuanties. Cette sortie débouchait sur d’anciennes oubliettes, aujourd’hui transformées en ce qui semblait être une vaste cave à vin. En s’extrayant, Vizamir put observer des tonneaux de toute forme et de toute taille, tous de bonne qualité, certains portant des inscriptions stylisées. Il n’y avait aucun bruit, et la seule lumière provenait de hautes et étroites lucarnes par lesquelles s’écoulait l’éclat de la lune montante.
   Vizamir tira à nouveau la plaque sur la bouche d’égout puis poussa un lourd tonneau par-dessus, pour la camoufler… et empêcher quiconque de le suivre. Il sortit de la pièce par une arche de pierre, et arpenta quelques couloirs tortueux et sombres jusqu’à ce qu’il finisse par se repérer grâce aux plans fournis par Malik. Il se trouvait dans les niveaux inférieurs de l’Ikérum Castrum, un ensemble de salles qu’on avait abandonnées ou changées en caves suite à des travaux d’agrandissement et de rénovation entrepris au siècle dernier.
   En gravissant un étroit escalier en colimaçon, il tendit l’oreille, mais aucun son autre que le lent ruissèlement de l’humidité entre les pierres anciennes ne lui parvenait. Son ascension fut stoppée par une porte en bois verrouillée dont il fit rapidement sauter la serrure pour débouler sur un ancien corps de garde laissé à l’abandon. Il erra un long moment dans les vastes couloirs, sous les arches, se coulant d’ombre en ombre, trouvant refuge dans des alcôves enténébrées lorsqu’il croisait le chemin d’une patrouille. La mort d’Honorius avait plongé l’Ikérum Castrum dans la peur, et la garde avait été plus que doublée, rendant la tâche de Vizamir plus difficile encore.
   Malgré tout, ce dernier parvint jusqu’aux appartements de l’Empereur, sis dans l’aile la plus haute du château. L’étage était presque désert, si l’on excluait les deux sentinelles à la porte de la chambre de Valter. Cela n’était pas étonnant. Des hommes patrouillaient sur le chemin de ronde à l’extérieur, observant de tous côtés les larges pans de muraille éclairés et empêchant de fait toute velléité d’escalade. Un assassin ne pouvait donc passer que par la grande porte, a priori.
   En s’emparant lentement et silencieusement de son arc, Vizamir songea qu’il était encore temps de faire demi-tour, de cesser cette folie. Tout cela le dépassait, et ne le concernait en rien. Pourquoi faisait-il ça? Pour une barbare sanguinaire qu’une semaine avant encore il ne connaissait pas. Pour une femme que seule la magie noire faisait encore vivre. Pour une conquérante qui avait plongé un empire dans la guerre, la famine et le chaos.
   Sa vie valait-elle une guerre civile, le malheur de centaines de milliers d’autres innocents?
   Sa flèche fila accompagnée du léger bourdonnement de la corde. Oui, la vie de Skelda valait bien ça. Plus encore. Que lui importait ce qu’il adviendrait de ces misérables pouilleux d’humains, ces êtres grossiers, brutaux et vulgaires? Tant qu’il avait Skelda, l’Humanité entière pouvait bien s’éteindre. Son trait perfora l’œil de la première sentinelle, juste sous le bord de son casque. Le corps resta un moment debout, se retenant à la hampe de sa lance, ce qui laissa juste assez de temps à Vizamir pour décocher une deuxième flèche qui vint se loger dans la gorge du second garde.
   Les corps s’effondrèrent en glissant le long du mur, presque sans bruit. Encochant un nouveau projectile, Vizamir attendit, le cœur battant, une longue minute. Aucune alarme ne retentit, et comme personne ne vint s’enquérir des deux sentinelles, il estima qu’il n’avait pas été repéré. Quittant l’abris des ombres, il remonta le couloir, ses bottes foulant le lourd tapis balcinien avec légèreté. La porte n’était pas verrouillée et il pénétra ainsi dans une antichambre au luxe tapageur, dont le mobilier se résumait à un somptueux bureau en acajou jonché de liasses de parchemins et de correspondances, ainsi qu’un lourd buffet moucheté de fioritures sur le plateau duquel s’entassaient des bouteilles de spiritueux et d’alcools fins.  Une lourde tenture jaune et rouge séparait la pièce de la chambre proprement dite, d’où s’échappait des râles de plaisir gutturaux et des cris de femme.
   Vizamir referma doucement la porte derrière lui, et se mit en mouvement. Il écarta la tenture de la pointe de sa flèche et pénétra dans la pièce attenante, son arc bandé. La femme, ligotée à la structure du lit et sanglotant, l’aperçut le premier. Sa bouche s’ouvrit sur un cri qui ne sortit jamais. La flèche l’atteignit juste sous l’aisselle, perforant le cœur et lui offrant une mort presque instantanée. Son sang jaillit sur le visage perlé de sueur de Valter, qui s’écarta précipitamment en poussant un glapissement. Il roula sur lui-même et dégringola de l’épais matelas.
   Vizamir fit deux pas sereins en préparant son prochain trait. Le corps de l’empereur était maigre et osseux, taché par endroit de touffes de poils immondes. Son visage aux traits communs, encore rouge de ses ébats, braquait sur l’assassin des yeux à la fois apeurés et furieux. Il recula sur les fesses jusqu’à ce que son dos touchât le mur derrière lui.
   -Qui êtes-vous?, fit-il d’une voix qu’il espérait sans doute forte et autoritaire, mais que la peur faisait trembler.
   -Où est-elle, rétorqua Vizamir en éludant la question, d’un ton sans appel et d’une froideur implacable.
   Valter sembla se ratatiner sur lui-même, toute volonté de défi s’évaporant presque sous les yeux de Vizamir.
   -D… Dans les geôles, à part. J’ai… j’ai ordonné qu’on ne lui fasse rien.
   -Pourquoi?
   -Ce… Cela faisait partie du marché!
   -Quel marché?
   Les yeux de Valter s’ornèrent de larmes qui coulèrent le long de ses joues. Ainsi recroquevillé, nu comme le premier des roturiers et pleurnichant comme un enfant, il n’avait plus rien d’impérial, plus rien de divin. Il n’était qu’un homme, comme un autre. Faible, comme tous les autres.
   -Tant… Tant que je la retiendrais intacte, il ne devait rien m’arriver, sanglota-t-il en fermant les yeux.
   -Qui? Avec qui as-tu conclu ce marché?
   -Le balcinien! L’ambassadeur.
   -Malik!, souffla Vizamir en plissant les yeux.
   -Malik, oui! Ce chien galeux! Il avait juré.
   -C’est lui qui t’as dit où trouver la Skarg?
   -Oui! Il m’a dit… Il m’a dit qu’en l’accusant du meurtre d’Honorius, et en la capturant, je regagnerai l’estime du peuple, que la Théocratie m’aiderait à reconstruire l’Orientir. Il a juré que tant qu’il n’arrivait rien à la femme, je n’aurais rien à craindre.
   -Et bien il a menti, révéla Vizamir. Puisque c’est lui qui m’envoie.
   -C… Comment? Non! Attendez! Je ne sais pas combien il vous paye, mais je vous en offre le double! Non! Le triple, et un titre! Des terres, oui, un vaste domaine, dans le nord.
   -Je n’ai que faire de toute cela.
   -Je vous en supplie, pleurnicha Valter en se remettant sur les genoux, dans une position de prière. Si vous me tuez, il y aura la guerre civile. Pensez au peuple, à tous ces malheureux qui se retrouveront à la rue sans rien à manger…
   -Comme elle?, rétorqua Vizamir en désignant la morte sur le lit.
   Les yeux de Valter glissèrent sur le cadavre, sa peau pâlissant, puis retournèrent se fixer sur le visage de marbre de son assassin. Il y eut comme un étincelle de résignation dans ses prunelles lorsque la pointe en acier perfora son crâne sec sans résistance. Sa tête partit en arrière dans un unique jet de sang clair, et le cadavre bascula sur le côté dans un dernier soupir.
   C’était fini. Vizamir venait de tuer l’homme le plus important et le plus puissant de l’Empire des Trois. Il venait de tuer un dieu, au regard de la loi et de la foi impériale. Et pourtant il n’y avait eu ni éclair de feu, ni tremblement de terre, ni tempête. Rien qu’un peu de sang sur la moquette chyzelite.


Merci d'avoir lu!
Titre: La Tour du Rouge : La Route du Nord - Chap 5 (2e Partie)
Posté par: BSK le mercredi 30 avril 2014, 23:18:24
Très sympa tes fics, mais je suis choqué du nombre de scènes de sexe.
Titre: La Tour du Rouge : [Nouvelle] Quelqu'un de bien.
Posté par: Great Magician Samyël le samedi 19 juillet 2014, 16:42:01
Salut tout le monde! C'est par ce beau samedi chaud et ensoleillé que j'ai décidé de revenir visiter cette pauvre tour bien délaissée. Pas de Route du Nord ou de Triangle de Haine aujourd'hui, mais une courte nouvelle se basant sur une partie de l'univers d'Au Nom du Roi. La nouvelle est en 5 parties, et j'en posterai une par jour. (Elle est déjà intégralement écrite.)

L'intrigue met en scène Syf Valgardson, l'un de mes personnages pour la fiction collective The Darkest Hour, dans ce qui est un futur hypothétique. Si les gens un peu familiers avec l'univers féraldien pourront déceler quelques clins d'oeil et retrouver quelques figures connues (et d'autres moins), j'ai essayé d'écrire pour que cette nouvelle puisse être lue par tout le monde, initié ou non à l'univers d'Au Nom du Roi.

Sur ce, si vous décidez de vous laisser tenter, je vous souhaite une bonne lecture!
La nouvelle est également disponible (dores et déjà en intégralité) sur ce document google, si vous préférez ce type de format pour votre confort :

https://docs.google.com/document/d/1oUjFr4Q3a_dAmxEGcA8xDCZjG6ywJmbYt8EgenGH88o/edit?usp=sharing

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Quelqu’un de bien.


I.


   L’aube pointait à peine ses premiers rayons lorsque Syf Valgardson quitta son lit. Elle était éveillée depuis plusieurs heures déjà, ses yeux du bleu des rivières fixant le plafond immaculé. Elle avait écouté, comme chaque nuit, les hurlements entrecoupés de sanglots misérables qui jaillissaient, étouffés, entre les lattes du plancher depuis le rez-de-chaussée. Puis, lorsqu’ils s’étaient tus avec l’arrivée de l’astre solaire, elle s’était levée, comme à son habitude.
   L’image que lui renvoya le miroir au-dessus de la cuvette était celle d’une grande femme musclée, dans la force de l’âge, bien conservée malgré ses cinquante hivers passés. Une femme fatiguée, malgré tout, comme en témoignaient les cernes noires sous ses yeux, ses traits plus creusés qu’à une époque, et les rides qui se formaient sur sa peau hâlée, s’entrecroisant avec les lignes pâles de ses cicatrices. Ses longs cheveux, blonds et drus, étaient ramassés en une longue tresse qui pendait par-dessus son épaule gauche, et d’où s’échappaient de multiples mèches indisciplinées.
   Sans se presser, elle se passa un peu d’eau sur le visage, pour chasser la fatigue de la nuit, s’attardant un court instant pensif sur les lignes bleuâtres d’un tatouage à moitié effacé sur sa joue. Puis elle enfila sa tenue de travail, une tunique robuste, des hauts-de-chausses épais et de solides bottes hautes. Pas une fois elle ne jeta un regard à la forme distinctive cachée sous un drap blanc, dans un coin de la pièce. Elle descendit ensuite les escaliers du premier, s’arrêtant à leur pied pour écouter le silence paisible qui avait pris possession de la maison. 
   Dehors, la campagne impériale était tranquille, comme c’était souvent le cas en automne. Le paysage autours des champs et au-delà du verger se parait d’or, de rouge et de brun. Des feuilles indolentes virevoltaient paresseusement dans la petite brise matinale, effectuant un ballet que Syf observa quelques minutes avec un sourire satisfait. Elle ferma doucement la porte derrière elle et attrapa un panier avant de se diriger vers le verger, empruntant le petit chemin de terre qui rejoignait la route impériale, deux kilomètres plus au sud. Elle passa près d’une demi heure à errer entre les pommiers, fouillant le sol du regard à la recherche des bons fruits tombés, et attrapant ceux à sa portée. Elle avait déjà prévu de se rendre au village, dans un jour ou deux, afin d’embaucher quelques journaliers pour effectuer une récolte scrupuleuse, mais il était dommage de laisser ces quelques fruits pourrir en attendant.
   Lorsque son panier fut suffisamment rempli, elle retourna dans la demeure pour le poser dans la cuisine, puis ressortit nourrir les poules et récolter les œufs. Placide, le vieux canasson fatigué qui l’avait suivi partout pendant plus de dix ans, la regarda s’agiter depuis son coin de la grange, bien sagement couché dans sa paille. Il n’était pas entravé, car il n’en avait nul besoin. Syf s’agenouilla devant lui pour lui gratter affectueusement le cou, puis lui tendit une pomme qu’il croqua lentement, petit morceau par petit morceau.
   Le soleil était bien visible au-dessus des collines à l’est lorsqu’elle se résolut à avaler un petit déjeuner rapide, composé de pain, d’œufs et de fromage. Elle raviva le feu dans l’âtre du salon et mit de l’eau à chauffer dans la grande bouilloire en cuivre. Elle profita de ces quelques instants de répit pour s’installer dans son confortable fauteuil, les yeux rivés sur les flammes, l’esprit vide. Les sifflements furieux de la bouilloire la tirèrent de son hébétement.
   Elle se dirigea vers la petite pièce au fond du couloir, la pièce d’où provenaient les cris et les sanglots aux heures les plus noires de la nuit. Elle s’arrêta devant, tendant l’oreille. Elle pouvait entendre une respiration régulière. Elle inspira profondément, puis ouvrit la porte.
   La salle était plongée dans le noir, à l’exception d’un léger rayon de soleil qui filtrait des volets clos. Une horrible puanteur de merde et de pisse la prit à la gorge, comme chaque matin, mais elle passa outre et alla ouvrir la fenêtre. L’air frais pénétra à l’intérieur, ainsi que la lumière du matin, révélant une chambre nue et vide, à l’exception d’un lit sur lequel reposait la silhouette malingre d’un homme. Ses traits, autrefois beaux et nobles, étaient à présent effroyablement tirés, lui donnant d’avantage l’air d’une goule que d’un humain. Ses longs cheveux gris et filasses conservaient encore quelques touches d’auburn, ici et là. Sa bouche était légèrement ouverte, laissant entrevoir une dentition abîmée et jaunie. Son corps chétif n’avait plus que la peau sur les os, une peau couverte de cicatrices anciennes, dont certaines qui n’avaient jamais totalement guéri. Il manquait à sa main droite le majeur et l’annulaire.
   Ses yeux caves, du brun de la terre humide, ne cillaient jamais. Perdus dans la contemplation voilée de mondes inconnus de Syf, ils avaient perdu toute trace d’intelligence et de conscience.
   Syf resta un moment à contempler la silhouette pathétique, en proie à une foule d’émotions qu’elle essayait de combattre chaque jour, en vain. Elle se rappelait d’une époque pas si lointaine où elle n’éprouvait pour l’homme que de la haine, du dégoût et du mépris. Un sourire cynique lui tordit les lèvres lorsqu’elle repensa aux détours du destin qui les avaient menés à cette situation. Sur le mur derrière le lit, des ombres issues de l’esprit malade du gisant s’agitaient, prenant des formes cauchemardesques et contre-natures, hurlant des malédictions silencieuses à la grande femme blonde. Elle les observa en frémissant, leur vue ravivant des souvenirs pénibles dans son esprit.
   Puis elle s’ébroua et se mit à l’ouvrage. Elle achemina une grande bassine en cuivre depuis une pièce attenante, et la remplit d’eau tirée au puits, à laquelle elle ajouta l’eau bouillante. La vapeur, combinée à l’air piquant, permit de dissiper une partie des miasmes qui infestaient la chambre. Syf s’agenouilla ensuite à côté du lit, et passa un doigt délicat sur le front de l’homme, dégageant une mèche de son visage.
   -Il est l’heure, Locksey, l’appela-t-elle doucement.
   Il ne répondit pas. Il ne répondait jamais, de toute manière. Elle le souleva sans effort et l’introduisit dans l’eau claire, qui se troubla rapidement. Il ne réagit pas, ni quand elle le souleva, ni quand elle entreprit de le laver à gestes patients et familiers. Il était entre ses bras comme une poupée de chiffon, amorphe et manipulable à l’envie. Lorsqu’elle eut fini son ouvrage, elle l’habilla du mieux qu’elle le put, puis le hissa doucement sur son épaule. A pas mesurés, elle sortit par l’arrière de la demeure, sur le large porche qui jouxtait cette partie de la maison. Elle installa Locksey sur son siège habituel, calant ses avant-bras le long des accoudoirs. De là, il avait une vue sur les champs et les bosquets au-delà.
   Syf s’occupa ensuite de brûler les draps souillés et les remplaça avec de la literie fraîche. Comme chaque fois, elle frissonna en observant les flammes engloutir le tissu maculé, repensant aux ombres grotesques et mouvantes qui tapissaient le mur dans la chambre de Locksey. Bien trop souvent avait-elle la sensation glaçante de reconnaître sa silhouette parmi les formes obscures, et cela ne cessait jamais de faire naître en elle un tenace sentiment de peur.
   Lorsqu’elle eut fini de disperser les cendres encore chaudes, elle retourna s’assoir auprès de Locksey, sur les quelques degrés de bois qui séparaient le porche du sol proprement dit. Elle observa les bois pendant de longues minutes, goûtant le silence apaisant.
   -Comment vas-tu aujourd’hui, Lock’?, demanda-t-elle au bout d’un moment, comme chaque matin.
   Et comme chaque matin, Locksey se contenta de fixer l’horizon de ses yeux morts qui ne cillaient jamais, sa maigre poitrine se soulevant lentement comme seul signe qu’il vivait encore.
   -C’est bien ce que je pensais, soupira Syf avant de l’abandonner là pour le restant de la journée.


***


   Bourgbois était parmi ces nombreux villages ayant germé à la fin de la guerre contre le Roi Rouge, profitant de la paix nouvelle et de fonds impériaux pour proliférer dans les terres jusqu’alors laissées à l’abandon dans l’ouest de l’empire suite aux ravages commis par l’armée des non-morts du nécromancien Räj’Häl, lors de la Guerre des Immortels quelques treize ans auparavant. Lorsque la menace avait été éliminée par feu le valeureux empereur Augustin Abbendas Ier, les vastes domaines des cités déchues de Myzance et du Castel-Nocturne étaient restés dépeuplés, aucun colon ne souhaitant s’installer dans ces forêts et ces plaines collineuses encore infestées de créatures impies.
   Mais cette guerre là n’était déjà plus qu’un vague souvenir dans l’esprit du bas peuple, et à présent les opportunités commerciales contrebalançaient grandement les quelques risques qui pouvaient encore courir dans ces bois riches et giboyeux. Bourgbois occupait une position de choix, à mi-chemin entre la capital impériale de Salvégide et la porte des Marches Franches. En deux ans, depuis que des rumeurs indiquant que des gisements d‘or avaient été trouvés dans le nord, sa superficie avait déjà triplé, et de nouveaux arrivants avides de profits arrivaient chaque jour, à la recherche de bonnes terres cultivables, de contrats commerciaux juteux, des prospecteurs armés de pioches et de tamis transitant vers le nord et les Monts du Milieu ou simplement des épées louées prêtes à servir d‘escorte aux caravanes marchandes, ou bien encore des pseudo chasseurs de monstres prêts à risquer leur vie contre les quelques goules qui rôdaient encore à la nuit tombée, alléchés par la promesse de quelques pièces.
   Syf pénétra dans le bourg. Le garde en faction, qui la reconnut, lui adressa un respectueux signe de tête mais la laisser passer sans rien dire. Elle se souvenait encore de l’époque où elle ne pouvait se rendre nulle part sans s’attirer les regards et les messes-basses des badauds, cancanant sur sa taille et sa musculature. Mais la guerre avait changé tout ça. Les Norskes, son peuple, étaient sortis de leur vallée ancestrale pour prendre les armes contre la folie du Roi Rouge, et ce faisant, ils s’étaient faits connaître.
   Il n’y avait dès lors plus rien d’anormal à ce qu’elle puisse passer inaperçue dans une foule agitée, tiraillée entre la harangue des commerçants et des camelots de passage. De nombreux villageois la reconnaissaient et lui adressaient des saluts courtois ou chaleureux, qu’elle leur rendait avec un sourire. Ses pas la conduisirent jusqu’à un grand entrepôt, bâti dans un style moderne « industriel » comme se plaisaient à le nommer les architecte d’avant-garde de la capital, et fourmillant d’activité. De nombreux jeunes gens courraient en tous sens, chargeant et déchargeant des chariots de diverses marchandises, s’insultant, se criant des ordres, suant à grosses gouttes malgré l’air frais de l’après-midi. Sur le côté du bâtiment, qui donnait sur l’avenue principale, on pouvait lire en grandes lettres blanches « Puidôme & fils, société impériale ». Syf s’engouffra dans la pénombre de l’entrepôt, zigzaguant souplement entre les travailleurs jusqu’au bureau du contremaître, un cube modeste émergeant d’un mur.
   -Entrez, tonna une voix forte et autoritaire lorsqu’elle frappa à la porte.
   Un grand bureau en bois laqué occupait presque tout l’espace, sur le plateau duquel s’entassaient des instruments de mesure, de la paperasse, des pièces de diverses origines, des bouteilles d’encres et une plaque sur laquelle avait été gravé les mots « Superviseur Galiano ». Le superviseur en question, un homme âgé aux traits durs et à la calvitie galopante, était penché sur un papier, un pli soucieux barrant son front ridé. Il leva les yeux sur la nouvelle arrivante, et ses traits s’illuminèrent aussitôt.
   -Ha! Maîtresse Valgardson! Entrez, entrez, c’est toujours un plaisir de vous voir.
   Syf lui rendit son sourire et serra chaleureusement la main qu’il lui tendait.
   -Je vous en prie, asseyez-vous, lui indiqua-t-il en pointant le siège de l’autre côté du bureau. Que me vaut cet honneur?
   -Mes vergers sont prêts pour la récolte, expliqua-t-elle en croisant les jambes. J’aurai besoin d’embaucher de la main d’œuvre, pour quelques jours.
   -Bien sûr, bien sûr, hocha le vieil homme en affichant un air soucieux. De quel volume parlons-nous?
   -Une dizaine devrait suffire.
   -Comme à l’accoutumée, donc?
   -Comme à l’accoutumée, acquiesça-t-elle.
   -Avez-vous déjà décidé de ce que vous comptez faire de votre marchandise?
   -J’espérais que vous me l’achèteriez, comme l’an passé.
   Le superviseur hocha pensivement la tête, et s’empara d’un boulier, qu’il manipula quelques instants en marmonnant dans sa barbe.
   -Notre société est prête à vous en offrir un demi noble du kilo.
   Syf secoua doucement la tête.
   -Vous savez que ce n’est pas l’argent qui m’intéresse, Aimé. Votre prix sera le mien.
   -Dans ce cas, l’affaire est entendue.
   Ils se serrèrent la main une nouvelle fois, puis Syf déposa sur le bureau la bourse qui pendait à sa ceinture.
   -Ceci devrait suffire à couvrir les gages de vos hommes.
   Galiano fit glisser les pièces de cuivre et d’argent devant lui, puis se remit à triturer son instrument, formant de petits tas au fur et à mesure de ses manipulations. Après plusieurs minutes, durant lesquelles la Norske patienta calmement, il rassembla les piles en deux tas plus importants, et remit le plus petit dans la bourse, qu’il rendit à sa propriétaire.
   -Puis-je espérer la présence de vos hommes au point du jour?, demanda-t-elle en se levant.
   -Ils y seront, l’assura le superviseur en lui prenant les mains une dernière fois. Notre société est heureuse de vous compter parmi ses associés, maîtresse Valgardson.
   -Si vous le dites, répondit-elle avec un sourire avant de quitter les lieux.
   En quittant l’entrepôt, elle croisa la route d’un couple étrange, qui se dirigeait vers le bureau du contremaître. L’homme avançait avec la démarche assurée et pleine d’arrogance de ceux qui pensent que le monde leur appartient. Il était richement habillé, et portait une belle rapière au côté. Il aurait pu passer pour un noble, mais le regard attentif de Syf repéra l’anneau distinctif qu’il portait à l’annulaire droit. La fille était belle, avec sa peau olivâtre, ses longs cheveux noirs de jais et ses grands-yeux verts. Du moins celui qui n’était pas gonflé par un vilain hématome. Elle portait des vêtements qui mettaient un peu trop en valeur ses attributs pour être honnêtes, malgré la fraîcheur, et avançait avec la démarche résolue des condamnés, les épaules voûtées, le regard rivé au sol.
   Syf les dépassa sans s’arrêter. Elle ne savait pas que le Cercle était présent à Bourgbois, mais vue l’importance que prenait le village sur l’échiquier commercial de l’Empire, cela n’avait rien d’étonnant à ce qu’il finisse par s’y implémenter. Elle ne remarqua pas le regard de la fille, qui se tourna un instant pour l’observer disparaître parmi la foule.


***

   -…ariété, plus commune, produit un suc jaunâtre et inodore qui…
   Syf s’arrêta dans sa lecture pour se frotter les yeux. L’obscurité devenait trop importante pour lire, malgré la bougie qui finissait de se consumer à côté d’elle. Elle referma respectueusement l’ouvrage, un compendium de botanique, et leva le visage vers le paysage nocturne. On ne voyait déjà plus que les silhouettes noires des arbres qui se balançaient doucement sur le ciel enténébré. Elle retira ses lorgnons, qu’elle posa sur le livre. Chaque soir, après le repas et si le temps le permettait, elle s’installait à côté de Locksey, sur le porche, et lui faisait la lecture jusqu’à ce que la nuit tombe.
   Elle ne savait pas s’il pouvait comprendre ce qu’elle lui disait, ni même s’il était conscient du monde réel autour de lui, mais elle avait l’impression de partager quelque chose avec lui, et c’était peut-être le plus important, au final.
   -Tu sais, dit-elle après un long silence, parfois, je me dis que tu aurais du me laisser crever, ce jour-là.
   Elle se tourna vers lui, et observa avec un pincement au cœur ses traits inexpressifs, son regard mort, éteint.
   -Même toi tu ne méritais pas un tel sort, murmura-t-elle.
   Comme chaque soir, elle s’empara du long poignard qu’elle emportait avec elle sur le porche, en même temps que le livre. Comme chaque soir, elle le teint un long moment devant ses yeux, observant son reflet dans la lame couverte de runes à la signification inconnue d’elle.
   Comme chaque soir, elle ne trouva pas la force ni le courage d’offrir un monde meilleur à Locksey.   
   Alors, comme chaque soir, elle le souleva délicatement, comme un enfant assoupi, et le porta jusqu’à son lit, dans sa petite chambre vide et nue. Elle l’installa le plus confortablement possible sous les couvertures, ferma les volets et tira les rideaux. Puis elle se teint un moment dans l’embrasure, une chandelle à la main.
   Elle contempla sa respiration régulière, la gorge serrée, tandis que sur le mur derrière lui, des formes sombres et folles s’éveillaient, tourbillonnant en un ballet grotesque et morbide, suggérant des visages d’outremonde qui lui hurlaient des malédictions silencieuses. Sans un mot, elle referma la porte et la verrouilla. Elle gagna sa propre chambre et se mit au lit sans tarder.
   Elle savait qu’elle n’avait quelques heures pour dormir avant que les hurlements de Locksey ne la réveille.     
Titre: La Tour du Rouge : [Nouvelle] Quelqu'un de bien. (p2)
Posté par: Great Magician Samyël le dimanche 20 juillet 2014, 18:15:04
On continue avec la deuxième partie de la nouvelle. Bonne lecture!
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Quelqu’un de bien.


II.


   Sa hache s’abattit avec un « tchak » sonore, fendant la bûche en deux sans aucun effort. Syf poussa un grognement en dégageant son instrument de la souche et s’épongea le front du revers de la main, chassant la sueur qui lui coulait dans les yeux malgré l’air vif et piquant de cette matinée d’hiver. Le ciel bas se parait de gris, annonçant de nouvelles chutes de neige. Elle observa le tas de bûches fendues qui trônait déjà de part et d’autre de la souche, et jugea qu’il ne lui faudrait plus que quelques coups avant de pouvoir s’arrêter.
   Elle soulevait une énième fois sa hache après avoir installé une nouvelle bûche sur le billot lorsqu’une clameur en provenance des vergers l’arrêta dans son geste. Elle se tourna vers l’origine du bruit, haletant légèrement, ses bras nues dégageant de la vapeur dans l’air froid. Une silhouette féminine émergea entre les pommiers, courant à perdre haleine. Elle trébuchait, ses pieds s’entortillant dans les racines cachées par la neige. Des cris d’homme la poursuivaient.
   Elle chut dans la poudreuse, jeta un œil derrière elle et repartit de plus bel, galvanisée par l’énergie du désespoir. Syf fronça les sourcils, se demandant quels problèmes se profilaient encore à l’horizon. Gardant sa hache à bois à la main, elle fit quelques pas en direction du verger. Elle reconnut la fille qu’elle avait croisée à l’entrepôt, presque trois mois plus tôt, lorsqu’elle était allée embaucher de la main d’œuvre. Elle portait des vêtements légers, plus adaptés aux salles moites et obscures des maisons de plaisir qu’aux ballades en hiver. Sa robe en étoffe fine était déchirée en plusieurs endroits, probablement par des buissons d’épineux.
   Elle ahanait en sanglotant, ses yeux remplis de larmes. Elle trébucha à nouveau à quelques mètres de Syf qui l’observait, immobile, et elle rampa plus qu’elle ne marcha sur la distance qui les séparait encore. Elle s’agrippa à la jambe solide de la Norske comme un naufragé au désespoir s’accroche à son morceau de bois flotté. Au même moment, trois cavaliers surgirent du couvert des arbres, leurs montures lancées au galops produisant un tourbillon de neige dans leur sillage.
   -Je vous en supplie, pleurait la fille, le front pressé contre le cuir de sa botte. Je ne veux pas… Je ne peux pas… y retourner.
   -Relève toi, ordonna Syf d’une voix calme mais autoritaire, et elle s’exécuta.
   La Norske la dépassait de près de trente centimètres, et elle dut se tordre le cou vers le bas pour la regarder dans les yeux. Elle y lut une terreur sincère, mais également une détermination farouche. Syf hocha la tête.
   -Reste derrière moi, lui intima-t-elle en l’agrippant d’une main.
   -Merci… Merci, je…
   -Ne me remercie pas. Je n’ai encore rien fait.
   En assurant sa prise sur le manche de sa hache, Syf détailla les cavaliers, qui avaient ralenti l’allure. Elle reconnut l’homme bien habillé qui avait accompagné la fille à l’entrepôt. Il portait un épais manteau de fourrure et de solide bottes matelassées. Ses deux compagnons, probablement des hommes de main, étaient équipés de cottes de cuir clouté et leurs ceinturons arboraient un gourdin et une épée. Ils s’arrêtèrent à bonne distance et mirent pied à terre. Ils adoptèrent une formation en arc de cercle, bien qu’ils essayaient de cacher toute intention belliqueuse.
   Le chef affichait un air madré, révélant ses dents blanches par un sourire qu’il voulait certainement chaleureux et engageant.
   -Bien le bonjour, maîtresse. Permettez moi de me présen…
   -Vous êtes sur mes terres. Vous feriez mieux de faire demi tour, ou je ferai appeler le légat. Quoi que vous soyez venus faire ici, je ne suis pas intéressée. Merci et adieu.
   Le sourire de l’homme disparut instantanément et ses hommes mirent ostensiblement les mains sur la poignée de leurs armes. Derrière elle, elle entendit la fille déglutir.
   -Maîtresse, reprit le chef d’une voix doucereuse. Je crois que c’est un simple malentendu. Nous souhaitons juste récupérer notre… sœur et la ramener chez elle, en sécurité.   
   -Je ne vois pas de qui vous parlez.
   L’homme poussa un soupir.
   -Vraiment, femme, j’essaye d’être raisonnable. Vous devriez en faire de même. Donnez nous la pute sans faire d’histoire, et nous oublierons cette histoire et vous vivrez un jour de plus. N’est-ce pas un marché équitable?
   -Je ne vois pas de pute ici, rétorqua Syf. Et si tu crois que tu m’intimides, maquereau, tu es bien loin du compte.
   Le chef lança un regard exaspéré à ses deux compagnons, qui se mirent à avancer vers Syf en formant un large arc de cercle.
   -Tu ne sais pas à qui te tu frottes, femme.
   -Je sais parfaitement ce qu’est le Cercle, le détrompa la Norske en relâchant ses muscles, se préparant à l’affrontement. Et je connais ses méthodes. La marchandise doit être bien traitée et préservée de toute souffrance physique. Je crois que la Maîtresse de Velours serait très intéressée d’entendre ce que j’aurai à lui dire à ton sujet, chien. Je vous offre une dernière chance de déguerpir d’ici, toi et tes larbins.
   Un rictus de haine tordit les lèvres de l’homme.
   -Lyn!, appela-t-il en s’adressant directement à la fille. Sois raisonnable. Tu ne voudrais pas avoir la mort de cette vieille femme sur la conscience, n’est-ce pas? Reviens, et nous la laisserons tranquille, je te le jure.
   Syf entendit les sanglots de la putain redoubler, puis elle fit un pas en avant. La Norske tendit le bras pour l’arrêter.
   -Rentre à l’intérieur, et verrouille la porte.
   -Mais, vous…
   -Ne t’en fais pas pour moi. Ca va aller.
   -Râh! On perd notre temps, fulmina le maquereau en observant la jeune fille courir se réfugier dans la maison. Tuez la vieille carne et finissons-en. Je commence à me les geler.
   Les deux larbins hochèrent la tête et firent mine de dégainer. Syf chargea aussitôt celui à sa gauche, se propulsant à la vitesse  d’un bélier en deux poussées de ses jambes puissantes. Elle lut la stupeur sur les traits de son adversaire, qui paniqua et coinça sa lame dans son fourreau. Il poussa un cri qui mourut dans sa gorge lorsque la hache de Syf lui fendit le crâne, projetant du sang fumant dans la neige alentours.
   -Bordel de merde!, jura son chef en dégainant sa propre rapière. Cette salope a eu Denton.
   Syf peina à dégager son arme du carcan d’os dans lequel elle était fichée et ne put que s’emparer du gourdin du mort avant de se jeter en avant en roulant, esquivant un assaut du deuxième homme qui avait accouru dans son dos. Elle se redressa en restant basse sur ses appuis, cherchant à consolider sa position dans la neige molle. Elle para la lame de son adversaire avec son gourdin, mais la massue de l’autre la cueillit juste sous le menton, lui arracha un grognement de douleur et la forçant à reculer, un peu désorientée. L’homme en profita pour pousser son avantage, déclenchant une série d’attaques rapides qu’elle peina à repousser. L’épée mordit plusieurs fois sa chair, faisant couler le sang mais ne provoquant aucune blessure sérieuse.
   Lorsqu’il buta contre un caillou camouflé par la neige, emporté par son momentum, Syf, en combattante chevronnée, saisit sa chance. Elle projeta sa jambe en avant, frappant le genou plié de son opposant qui, ainsi bloqué, explosa dans un craquement affreux. Le sbire chuta en hurlant, lâchant ses armes pour saisir son membre blessé. Syf l’acheva en lui écrasant la gorge d’un puissant coup de talon, le condamnant à une agonie douloureuse par asphyxie. Elle releva les yeux, hors d’haleine, en proie à une poussée de chaleur comme elle n’en avait plus connue depuis quelques années. Son cœur battait à tout allure, dopé par l’adrénaline et l’exaltation du combat.
   Son excitation fut vite remplacée par une douleur cuisante lorsque la fine pointe d’une rapière jaillit de son flanc, maculée de son propre sang. Elle perçut avec une acuité cruelle les vingt centimètres d’acier qui lui fouaillaient les chairs.
   -Par le cul de l’Impératrice, gronda la voix du chef derrière elle, Lyn va me payer ça au centuple.
   Il manipula son arme, envoyant des éclairs de douleur dans tout le corps de Syf; la forçant à s’agenouiller et à lâcher sa massue.
   -Mais d’abord, je vais en finir avec toi, vieille peau.
   Il dégagea sa lame, le moment que la Norske avait attendu pour contre-attaquer, faisant fi de la douleur. Alors qu’il armait le coup de grâce, elle se redressa à la vitesse de l‘éclair,  imprimant à son bassin un mouvement de rotation. Son coude percuta le nez du maquereau à pleine vitesse, l’éclatant. L’homme poussa un cri strident en reculant, permettant à Syf de se redresser complètement. Elle l’attrapa vivement par le col et le frappa de son crâne, le sonnant et l’envoyant choir au sol.
   -Attends, attends!, cria-t-il en essayant de ramper, une main tendue vers elle. On peut… On peut s’arranger! J’ai de l’argent! Je peux… Non!
   Sourde à ses cris et ses pleurs, Syf abattit ses poings, comme deux marteaux de forgeron frappant l’enclume à un rythme brutal mais régulier. Lorsqu’elle s’arrêta, à califourchon sur le corps sans vie, ses phalanges étaient à vif, entaillées par les os brisés. Du sang et de la matière grise s’étaient répandues au sol tout autours d’eux, coulant du nez et des oreilles du cadavre.
   Syf resta un moment sans bouger, contemplant son œuvre d’un regard morne et désabusé. Elle avait presque oublié combien il était simple de tuer. Son flanc humide la tançait, et des lances de douleur émanaient de ses poings écorchés.
   Elle récupéra l’anneau de l’homme et le tint un moment devant ses yeux, avant de l’empocher. Elle peinait à retrouver son souffle dans l’air froid de l’hiver.
   -Ce n’est plus de mon âge, finit-elle par grogner en se relevant avec peine.
   Puis elle se dirigea d’un pas lent et chancelant vers la maison.


***


   -Je suis vraiment désolée, murmura la fille pour la dixième fois au moins, pendant qu’elle finissait de bander l’abdomen de Syf.
   -Ne le sois pas.
   -Mais vous avez risqué votre vie pour moi.
   La Norske poussa un grognement amusé.
   -Que je sois damnée si c’est prendre un risque que d’affronter trois bouffons comme ceux-là. Ne sois pas désolée, fillette. Je fais mes propres choix.
   L’intéressée hocha la tête mais n’ajouta rien. Elles observèrent un silence pensif pendant que Lyn s’affairaient à nettoyer et bander toutes les plaies de la Norske, avec des gestes confiants qui suggéraient qu’elle n’en était pas à son coup d’essai. La main de Syf tremblait du contrecoup, et son cœur battait encore un peu trop vite. C’était la première fois qu’elle ressentait à ce point le tribut que prélevait l’âge sur son corps, et elle repensait avec une certaine nostalgie à l’époque où les trois hommes n’auraient même pas eu l’occasion de l’effleurer avec leurs armes.
   -Pourquoi moi?, finit-elle par demander au bout de quelques minutes.
   -Madame?
   -Ma ferme n’est pas la plus proche du village. Tu avais beaucoup d’autres endroits où fuir. Pourquoi ici?
   La fille stoppa son geste, et détourna la tête.
   -La vérité, madame, c’est que je ne le sais pas moi-même. Lorsque… Lorsque je me suis enfuie, j’étais paniquée. Je ne savais pas où aller. Je ne savais pas à qui je pouvais me fier. Je me suis souvenue de vous. Je vous ai vue il y a quelques mois, chez maître Galiano. Certains clients m’ont parlé de vous. Ils disent tous que vous êtes quelqu’un de bien…
   -Quelqu’un de bien, souffla Syf, le regard perdu dans ses souvenirs.
   Elle pensa à Locksey, qui pleurait tout seul dans le noir chaque nuit, elle pensa à toutes les mères et toutes les femmes qu’elle avait privées de fils et de maris, à toute la souffrance qu’elle avait infligée au cours de sa vie pour de l’argent. Elle songea surtout à tous ces regrets qu’elle n’avait jamais eus. Quelqu’un de bien se devait d’avoir des remords… non?
   -Tu t’appelles Lyn, c’est ça?
   -Lynnaëlle, acquiesça l’intéressée. Mais tout le monde m’appelle Lyn. Et vous êtes maîtresse Valgardson.
   -Syf. Ni madame, ni maîtresse, mais Syf.
   Avant de s’assoir sur un tabouret pour que Lyn puisse la soigner, la Norske avait remis des bûches dans le foyer. Mais malgré la douce chaleur qui flottait dans le salon, la jeune femme continuait de trembloter. Syf lui intima de se débarrasser de ses haillons et alla chercher l’une de ses tuniques, ainsi que des hauts-de-chausses et des souliers. Lyn flottait littéralement dans les vêtements démesurés de sa sauveuse, mais au moins la garderaient-ils au chaud. Syf s’empara ensuite d’une pelle, et fit mine de sortir.
   -Laissez moi vous aider, demanda Lyn en la suivant à l’extérieur.
   -Je n’ai qu’une pelle, répliqua la Norske sans se retourner.
   -Nous creuserons à tour de rôle.
   -Comme tu veux.
   Elles commencèrent par récupérer les chevaux, qu’elles débarrassèrent de leurs selles avant de les parquer dans la grange, sous le regard ennuyé de Placide. Puis Syf rassembla les corps à une centaine de mètres de la maison, dans le verger. Elle chargea Lyn de récupérer tout le matériel et les richesses qu’ils possédaient et de les ramener dans la demeure. Elle commença ensuite à creuser. Lyn la rejoignit vite et s’accroupit non loin, l’observant travailler avec une mine soucieuse. Lorsqu’elle commença à creuser la dernière tombe, pour le chef de la bande, elle remarqua les larmes silencieuses qui roulaient sur les joues de la jeune femme.
   -Des regrets?
   -Non, répondit Lyn en secoua doucement la tête. Je… je ne souhaitais pas que ça se termine comme ça mais… quelque part je suis tout de même soulagée que ça soit le cas. Je regrette juste qu’ils aient eu à payer le prix de mes erreurs.
   -Comment ça?, s’enquit Syf en projetant une pelleté de neige et de terre derrière elle.
   -Vous savez ce que… ce que je suis. J’appartiens au Cercle. Depuis que je suis toute petite. J’avais une belle vie, à Salvégide. Les clients étaient… polis et courtois, j’imagine. Malgré tout, je me sentais… Je me sentais prisonnière de cette vie. Jasper…
   Elle indiqua du menton le corps défiguré du chef, en frissonnant.     
   -Jasper travaillait pour le Cercle. C’était un petit escroc sans envergure, mais à l’époque j’étais trop stupide pour le voir. Il m’a séduite. Je n’avais d’yeux que pour lui et ses belles promesses. Il m’a promis… Il m’avait promis que si je m’enfuyais avec lui, il m’offrirait une nouvelle vie. Et je l’ai cru.
   Elle poussa un petit ricanement cynique en chassant les larmes de ses yeux.
   -Je suis une belle imbécile. Il m’a offert une nouvelle vie, oui. Il m’a sortie de ma cage dorée pour m’enfermer dans une prison de fer.
   Syf s’arrêta quelques instants lorsqu’elle entendit les sanglots de Lyn redoubler.
   -Je suis désolée, dit-elle.
   -Il m’a… Ils m’ont… fait des choses…
   -Tu veux en parler?
   -Non.
   -D’accord.
   La Norske reprit son labeur en silence, repensant malgré elle à tous les corps qu’elle avait du enterrer au cours de sa longue carrière. Lorsqu’elle eut fini de reboucher la tombe, les bandages sur ses mains étaient déjà rougis de sang. C’était pourtant à peine si elle sentait la douleur, avec ce froid.
   -Je vous ai vu combattre, vous savez, reprit Lyn.
   La jeune femme l’observait intensément, de ses grands yeux verts.
   -C’était loin d’être votre première fois, pas vrai?
   -Disons que j’ai un peu d’expérience dans ce domaine, rétorqua Syf avec un demi sourire. J’étais mercenaire, autrefois.
   -Vous avez combattu pendant la guerre?
   -Oui, fit Syf en plantant durement la lame de sa pelle dans le sol, pour s’appuyer dessus. Celle-là, et d’autres.
   -Comment…. Comment faites-vous pour… pour gérer ça? Je veux dire… Rien que de penser qu’ils sont… qu’ils sont morts à cause de moi, j’en suis malade. Alors que vous…
   -Alors que moi je les ai tués, compléta la Norske en lui rendant son regard.
   -Oui…
   -C’est une question de choix, je crois. Tout le monde a le choix. Certains choisissent de cultiver la terre et vivre une existence honorable. Certains, comme moi, choisissent de vendre leur âme contre de l’argent. Dans le métier que j’ai fait, on ne peut pas s’attarder sur ce genre de détails, les remords, les regrets. Tu fais ce que tu dois faire, sans trop y penser. Si tu n’y arrives pas, tu deviens fou.
   Elles s’observèrent sans rien dire pendant un instant.
   -Merci.
   Syf secoua la tête.
   -Je ne suis pas quelqu’un de bien, Lyn. J’essaie de le devenir, mais je ne pense pas qu’il me reste assez de temps à vivre pour compenser tous les torts que j’ai commis. J’imagine que tuer cette raclure était une bonne action.
   -Il ne manquera à personne, confirma la jeune femme en frissonnant. Pas à moi en tout cas.
   -Tu as quelque part où aller?
   -Non.
   -Alors reste ici jusqu’au printemps. Tu pourras décider quoi faire après.
   Lyn se mordilla la lèvre inférieure, réfléchissant.
   -Je ne voudrais pas vous causer d’avantage de problème. Le Cercle risque de revenir.
   -Ne t’en fais pas pour ça, la rassura la Norske en tapotant la poche où se trouvait l’anneau de Jasper. Je vais m’en occuper. Et avoir de la compagnie me changera un peu.


***


   -Qui est-ce, s’enquit Lyn lorsqu’elles émergèrent sur le porche, une tasse de vin chaud fumant à la main.
   -Locksey, répondit simplement Syf en s’asseyant sur les marches, comme à son habitude.
   -Il va bien?
   -Non.
   -Qu’est-ce qu’il lui est arrivé?
   La Norske tourna la tête vers le malade, sirotant une gorgée de vin.
   -Il m’a sauvé la vie. Et en a payé le prix.
   -Comment ça?
   -Ce n’est pas un sujet que je souhaite aborder.
   -Ho. Pardonnez-moi, je ne voulais pas me montrer indiscrète.
   -Ca ira.
   -Vous vous occupez de lui?
   -Tous les jours que les Dieux font.
   -Depuis combien de temps?
   -Quatre ans.
   -Quatre ans… Depuis…
   -La fin de la guerre, oui.
   -Est-ce qu’il nous entend?
   -Non. Il n’est… il n’est pas conscient, je crois. Je ne sais pas. Depuis le temps, je ne cherche plus à savoir. Il est tel qu’il est, et rien n’y changera jamais.
   -Je suis désolée, fit Lyn d’un ton compatissant en posant une main hésitante sur l’avant-bras de la Norske, ayant probablement entendu la peine dans la voix de Syf.
   -L’ironie, c’est que c’était un foutu salopard. Je le haïssais. Et pourtant, il n’a pas hésité une seconde… Je lui dois ça. Je lui dois ça…
   Elle inspira un grand coup avant de se tourner vers la jeune femme.
   -Puisque tu vas passer quelque temps ici, il y a une chose que tu dois savoir sur Locksey…
   La nuit tomba rapidement, ainsi que la température. Il se mit à neiger, d’épais flocon qui recouvrirent rapidement le paysage et isolèrent les sons de l’extérieur. Dans le salon, le feu crépitait joyeusement, réchauffant les  mains tendues de Lyn, qui s’était emmitouflée dans une couverture pendant que Syf couchait Locksey. La Norske resta un moment à son chevet, observant sans les voir les ombres tordues et grotesques qui dansaient sur le mur. La chandelle faisait chatoyer des reflets chauds dans les yeux de Locksey, conférant l’illusion qu’ils étaient encore vifs. Elle passa tendrement une main dans ses cheveux gris.
   -Comment vas-tu aujourd’hui, Lock’?, murmura-t-elle en serrant dans son poing bandé le long poignard à la lame gravée de runes.
   Il ne lui répondit pas. Alors elle leva le couteau au-dessus de sa poitrine rachitique et le tint ainsi un long moment, retenant sa respiration, souhaitant que l’adrénaline qu’elle avait ressentie lors de son combat du matin lui donne la force de libérer le gisant de sa prison de chair. Elle le tint jusqu’à ce que ses bras tremblent et que ses yeux s’humidifient de larmes qu’elle s’interdit de laisser couler.
   Elle lâcha le poignard au sol et posa son front contre la main froide de Locksey.
   -Je suis désolée, souffla-t-elle dans le silence de la chambre vide et nue, sous le regard haineux des silhouettes qui dansaient toujours sur le mur derrière le lit. 
Titre: La Tour du Rouge : [Nouvelle] Quelqu'un de bien. (p3)
Posté par: Great Magician Samyël le lundi 21 juillet 2014, 17:02:45
On continue sur notre lancé avec la IIIe partie! Je posterai demain les parties IV et V en même temps, pour que vous ayez toute la fin d'un coup. Bonne lecture!
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Quelqu’un de bien.


III.


   -Tu as pu dormir un peu? Malgré les… Tu sais quoi, lui demanda Syf le lendemain, lorsqu’elles s’attablèrent pour partager le petit déjeuner.
   Lyn lui jeta un regard étrange.
   -Comme un bébé, affirma-t-elle en acquiesçant.
   Syf lui avait préparé la chambre d’ami, qu’elle gardait toujours propre bien que personne en quatre an ne l’ait jamais utilisée. Lorsqu’elles eurent fini de manger et de vaquer aux tâches du matin, auxquelles la jeune femme insista pour participer, elles attelèrent la charrette dont se servait habituellement la Norske pour transporter des fournitures et sa marchandises jusqu’à Bourgbois. Placide lui lança un regard ennuyé lorsqu’elle lui passa le licou mais ne fit pas mine de réagir, trop occupé à croquer une vieille pomme. Elles menèrent les trois chevaux des truands jusqu’au village, où elles les revendirent ainsi que leurs possessions contre une petite somme que Syf dépensa presque aussitôt pour acheter une garde-robe à la taille de Lyn ainsi que diverses fournitures. Elle en profita également pour déposer une lettre au bureau des Coursiers de l’Empire. Elle refusa d’en révéler le contenu ou le destinataire à Lyn, et s’assura que la jeune femme ne regardait pas avant d’y glisser l’anneau de Jasper.
   L’hiver se déroula paisiblement, au rythme des chutes de neige molle et des longues nuits perdues en discussions autours du foyer. Il n’y avait pas grand-chose à faire pour garder la ferme opérationnelle, à cette époque de l’année, hormis nourrir les bêtes et s’assurer qu’elles restent au chaud. Lorsque Syf découvrit que Lyn savait lire, elle mit à sa disposition sa bibliothèque, exceptionnellement fournie pour une simple ex-mercenaire.
   -Je n’en ai peut-être pas l’air, lui confia la Norske tandis qu’elle faisait glisser un doigt affectueux le long des tranches, mais j’ai étudié à l’académie médicale, à Opalescence.
   -Vraiment?, s’étonna la jeune femme en s’emparant d’un précis de biologie.
   -Hmmhmm, confirma Syf avec un sourire lointain, se rappelant avec nostalgie de cette grande époque. Mon diplôme doit être quelque part par-là…
   Elle fouilla au fond d’une grande malle jusqu’à extraire un parchemin jauni qui semblait avoir connu des jours meilleurs. Elle le tint à la lueur de la chandelle, afin que Lyn puisse apercevoir la belle graphie Kalishite.
   -Là, c’est mon nom, précisa la Norske en indiquant une courte série de symboles qui différaient des lettres vernaculaires.
   -Qu’est-ce que c’est? Je n’ai rien jamais rien vu de tel.
   -Des runes. Mon peuple les emploie au lieu de l’alphabet féraldien. Nous n’avons jamais ressenti le besoin de coucher quoi que ce soit pas écrit, alors j’imagine que les anciens ne se sont pas ennuyés à trouver un système plus pratique.
   -Tu sais, tu es la première Norske que je rencontre, lui confia Lyn en lui adressant un regard pétillant.
   -Ha bon. J’imagine que malgré tout ce qui s’est passé, peu d’entre nous doivent ressentir le besoin de quitter la Vallée.
   -Pourquoi l’as-tu quittée, toi?, l’interrogea la jeune fille, toujours prête à bondir sur une occasion d’en apprendre plus sur la vie de Syf.
   -Et bien…
   La grande femme resta un moment silencieuse, ses yeux perdus dans la contemplation de souvenirs lointains.
   -Je ne sais pas vraiment. Lorsque j’étais jeune, plus jeune que toi, j’ai eu une fille. Mais elle n’a… Elle n’a pas survécu.
   Ses mains se mirent à trembler alors qu’elle se rappelait de cet épisode tragique de sa vie. Un épisode qu’elle avait essayé d’oublier. Lyn dut percevoir son trouble, car elle lui prit les mains.
   -Que s’est-il passé?, la pressa-t-elle doucement.
   -J’étais éperdue de chagrin. Folle. Une nuit, c’était un hiver, je me suis enfuie du village. J’ai couru dans la neige jusqu’à perdre haleine, et alors j’ai continué à courir. Lorsque je suis revenue à moi, j’étais dans les Contrées de l’Eté. J’ai été… ensorcelée, on peut dire, par cette terre si différente de la Vallée. Je n’y suis jamais retournée.
   -Tu le regrettes?
   -Non. Je ne pense pas. La vie que j’ai vécue, ici en Féraldia, a été bien plus riche que tout ce que j’aurais pu vivre là-bas.
   Elle marqua une pause, prenant conscience que Lyn ne lui avait pas lâché les mains. La jeune femme lui adressa un sourire chaleureux.
   -Tu n’as personne qui t’attend, là-bas?
   -Non. Ma mère est morte en me donnant la vie. Personne ne sait qui est mon père. Et l’homme qui m’a élevée était déjà vieux lorsque je suis partie. Il a du rejoindre ses ancêtres depuis longtemps.
   -Je vois, souffla Lyn, pensive.
   -Et toi? Ce ne sont pas toutes les filles de joie qui savent lire. J’imagine que tu n’as pas fait ça toute ta vie.
   La jeune femme détourna le regard et lui lâcha les mains. Elle fit quelques pas vers les rayonnages, laissant ses doigts errer le long des titres.
   -Il n’y a pas grand-chose à dire sur moi, confia-t-elle d’une petite voix. Ma vie est bien morne comparée à la tienne. Tu es si intéressante!
   -Cela me plairait quand même d’entendre ton histoire.
   Lyn s’arrêta et ses épaules s’affaissèrent avec un soupir.
   -Mes parents étaient des fermiers. Nous étions pauvres, et exploitions un terrain presque aride, près du Lancaster. Mon père vivait dans la crainte perpétuelle des seigneurs de la guerre, nous disant toujours, à ma mère et moi, de courir jusqu’à ne plus pouvoir respirer si nous apercevions un nuage de poussière à l’horizon. Ironiquement, il n’a jamais eu l’occasion de voir une épée lancastrienne. Ce sont des lions de poussière affamés qui les ont tués. Ils sont entrés dans la maison une nuit, probablement attirés par l’odeur de nourriture. Ma petite chambre était à l’étage, et ils ne sont pas montés.
   -Je suis désolée, dit Syf en venant lui presser gentiment l’épaule.
   Lyn posa sa main sur la sienne, sans se retourner.
   -Je ne me souviens plus très bien de cette époque. J’étais si jeune. Je me souviens avoir erré de village en village, quémandant ou volant un peu de nourriture. Jusqu’à ce que je croise la route d’un cirque, qui m’a prise sous son aile. Il y avait une danseuse, Nalia. Elle s’occupait de moi. Elle était comme une mère. Quelques années plus tard, nous avons embauché un lanceur de couteau. Il était… très doué. Le meilleur, probablement. Très vite il… devint important pour moi. J’en vins presque à le considérer comme mon père. C’était les meilleures années de ma vie. J’avais une famille à nouveau, des gens qui m’aimaient et que je pouvais aimer.
   Elle sera un peu plus fort la main de Syf dans la sienne.
   -Mais toutes les bonnes choses ont une fin, pas vrai? Je me souviens parfaitement du jour où sire Donell est venu nous trouver sur la route de Salvagide. L’Empereur organisait un tournoi, et nous étions invités à divertir la foule.
   -Un tournoi, l’interrompit la Norske en fronçant les sourcils. Mais Augustin n’en a organisé qu’un seul de tout son règne.
   -C’est exacte, confirma Lyn. Le tournoi des Trois Princes.
   -Tu faisais partie du Grand Cirque des Merveilles de monsieur Samwell, souffla Syf tandis que les pièces du puzzle s’emboîtaient dans son esprit.
   -Oui.
   -Et le lanceur de couteaux… C’était le Percevent, n’est-ce pas?
   -Hmmhmm. Mais à l’époque on ne le connaissait pas encore sous ce nom. Il était simplement Ken. Comme tu le sais sans doute, après le coup d’état durant lequel l’empereur a perdu la vie, il s’est enrôlé dans l’armée de l’Impératrice. Le cirque n’était plus, et Ken était tout ce qu’il me restait. Pourtant il m’a laissée derrière quand il est parti combattre dans le nord. Il m’a confiée à une bonne amie à lui, quelqu’un du Cercle même s‘il ne se faisait pas encore appeler comme ça cette époque. C’est une grande dame, elle s’est assurée que je recevais une bonne éducation. Mais lorsque la nouvelle de la mort de Kennichi est arrivée, malgré toutes ses bonnes intentions, elle ne pouvait pas perdre du temps et de l’argent juste pour honorer la mémoire d’un vieil ami. Alors, elle m’a… elle m’a mise au travail. C’était moins pire que je l’imaginais, mais ça n’était pas… Ca n’était pas ce à quoi j’aspirais. Tu comprends? Malgré tout je n’ai connu que ça depuis presque dix ans. Jusqu’à ce que je rencontre Jasper.
    Elle se dégagea de l’étreinte de Syf et s’éloigna encore de quelques pas, gardant le silence.
   -Bon sang, qu’est-ce que tu dois penser de moi, maintenant, lâcha-t-elle amèrement en réprimant un frisson.
   -Je ne pense rien, répondit l’intéressée en digérant le récit qu’elle venait d’entendre. Tu as vécu la vie que tu as vécu, comme j’ai vécu celle que j’ai vécu.
   -Mais je ne suis qu’une putain!, s’exclama Lyn en se retournant vivement, des larmes dans les yeux. Alors que toi tu es…
   -Une meurtrière, avec bien trop de sang sur les mains, la coupa Syf en secouant la tête.  Roy Duncan avait une devise, gravée sur son bouclier. Une phrase qu’il tenait de son père, à ce qu’on m’a raconté. Tu sais ce que c’était?
   La jeune femme secoua la tête, essuyant ses yeux de ses doigts.
   -« On ne choisit pas son destin, on le subit  ». Certes, il appartient à tous de faire des choix, mais parfois ces choix sont faits pour nous, tu comprends? Tu as écarté les cuisses contre de l’argent, et alors? Moi j’ai tué pour autant. Et tous n’étaient pas des soldats ou des criminels, bien au contraire. Le passé appartient au passé. Ce qui importe, c’est ce que l’on fait du temps qu’il nous reste après cela. Tu as la chance de pouvoir choisir ce que tu comptes faire de ta vie à présent. Le reste n’a pas d’importance. 
   Les paroles de la Norske durent toucher un point sensible, car Lyn se précipita vers elle, l’enserrant dans ses bras et enfouissant ses sanglots dans les plis de sa tunique. Syf lui rendit doucement son étreinte, lui tapotant le dos de ses mains puissantes pour la réconforter.
   -Quoi que tu crois, lui parvint la voix étouffée de la jeune femme, tu es quelqu’un de bien, Syf.
   -Tu te trompes, Lyn. Tu te trompes…


***

   
   Les jours se succédèrent dans la langueur molletonnée des chutes de neige. Lyn était curieuse de tout, et Syf bien trop heureuse de pouvoir partager son savoir avec quelqu’un, savoir qui dans les yeux de la jeune femme paraissait absolu. Elles passaient de longues heures dans le salon, devisant devant le feu, se faisant la lecture ou appréciant simplement la compagnie de l’autre. Lyn voulait tout savoir de son hôte, les lieux qu’elle avait visités, les gens qu’elle avait rencontrés. Syf satisfaisait son envie avec circonspection, taisant les épisodes les plus noirs de sa vie, les actes les plus horribles qu’elle avait commis, sans un regard en arrière, sur l’ordre de la main qui tendait l’argent.
   Au début, elle avait redouté de se replonger ainsi dans ses souvenirs, le cœur lourd en pensant au monstre qu’elle avait été, qu’elle était toujours. Mais contre tout attente, partager ces moments avec Lyn sembla lui ôter un poids de la poitrine, comme si le simple fait de s’ouvrir à quelqu’un suffisait à réduire le fardeau qu’elle portait. La Norske appréciait d’avoir de la compagnie. Elle ne se rendait compte qu’à présent que la solitude lui avait pesé plus qu’elle ne le pensait, depuis quatre ans qu’elle était venue s’installer ici.
   Un matin, Syf s’éveilla, et eut la sensation terrifiante que quelque chose n’allait pas. Lorsqu’elle tira les rideaux de sa chambre et contempla l’épaisse couche de neige qui miroitait sous le soleil levant, elle comprit : Locksey n’avait pas hurlé de la nuit. Prise de panique, elle dévala les escaliers sans s’habiller. Sa main tremblante peina à faire glisser la clé dans la serrure de la chambre au fond du couloir. La pièce était plongée dans les ténèbres, comme d’habitude. Syf se jeta au pied du lit, cherchant fébrilement le poignet du gisant. Avec soulagement, elle sentit son pouls sous ses doigts. Faible mais régulier. Comme à l’accoutumée. Elle sentit des larmes couler silencieusement le long de ses joues   .
   -Syf?, l’appela la voix teintée de sommeil de Lyn.
   La jeune femme se tenait dans l’embrasure, sa silhouette se découpant avec clarté contre la lumière du couloir.
   -Quelque chose ne va pas?
   -Tu as entendu?, lui demanda la Norske d’une voix tremblante en se relevant et en la rejoignant.
   Elle ferma la porte derrière elle, actionnant la clé tout doucement.
   -Tu as entendu?, répéta-t-elle, les yeux brillants.
   -Entendu quoi?, répondit Lyn en fronçant les sourcils, perplexe.
   -Exactement! Rien! Locksey n’a pas hurlé, cette nuit! Tu as entendu?
   Quelque chose passa dans le regard de la jeune femme, que Syf ne parvint pas exactement à déchiffrer.
   -En effet Syf, il n’a pas hurlé, fit-elle avec un petit sourire étrange.
   -C’est merveilleux, s’exclama la Norske en l’attirant dans ses bras. Peut-être… peut-être qu’il va mieux! Ca ne peut être que ça! Oui, j’en suis certaine. Tout va bien, Lyn, tout va bien…
   Lyn lui caressa le dos avec chaleur.
   -Oui, tout va pour le mieux, Syf.


***


   Après cet épisode, les nuits paisibles se firent de plus en plus fréquentes. Bien que Locksey ne montrait aucun signe physique de rétablissement, Syf était persuadée que sa condition s’améliorait. Pour la première fois depuis ce qu’il lui semblait une éternité, la grande Norske se sentait paisible. Lyn y était également pour beaucoup. Sa présence était une bénédiction. Elle était douce et chaleureuse, drôle et vive. Malgré ce qu’elle avait vécu, elle avait gardé un goût prononcé de la vie, s’émerveillant de maintes petites choses, poussant Syf à partir avec elle explorer les bois alentours, dessinant des formes extravagantes dans la neige. A chaque jour qui passait, Syf se sentait plus proche de la jeune femme.
   Cependant, leur paix fut ébranlée un beau matin, au sortir de l’hiver alors que la neige avait cessé de tomber depuis près d’une semaine et que les routes redevenaient praticables. Lyn vint trouver Syf dans le salon, en proie à une agitation peu coutumière.
   -Que se passe-t-il?, s’enquit la Norske en posant aussitôt sur le côté le grimoire qu’elle parcourait.
   -Quelqu’un vient.
   Lyn se mordit la lèvre inférieure, le regard rivé au sol. Elle tremblait légèrement, et Syf devina que ce n’était pas à cause du froid.
   -Je pense qu’ils viennent pour moi.
   Syf se leva en fronçant les sourcils. Elle attrapa sa hache à bois qui reposait tête contre le sol sur le mur mais Lyn se mit en travers de sa route.
   -Syf. S’il te plaît… Tu en as déjà tellement fait pour moi. Je ne pourrais jamais assez te remercier. Mais… Mais je ne veux pas qu’il t’arrive quelque chose par ma faute.
   La Norske se perdit un instant dans les grands yeux humides de la jeune femme, mais lui répondit par un sourire rassurant.
   -Ne t’en fais pas pour moi. Je suis sûre que j’arriverais à les raisonner. Mes dons de diplomate ne sont plus à démontrer, ajouta-t-elle en tapotant la tête de sa hache contre sa cuisse pour souligner son propos.
   Un petit rire échappa à Lyn, et Syf porta tendrement la main à sa joue, qu’elle caressa du pouce. Lyn ferma les yeux et se laisser aller contre ce contact apaisant.
   -Reste à l’intérieur. Je n’en aurai pas pour longtemps.
   Deux cavaliers approchaient depuis le sentier à petite allure. Syf les reconnut bien avant qu’ils fussent suffisamment près pour voir leur visage. Celui de gauche était très grand, presque aussi grand qu’elle et ne portait qu’une longue cape à capuchon rapiécée, laissant voir les muscles saillants de son torse à la peau d’albâtre, ainsi qu’un pantalon grossier, simplement maintenu à la taille par une corde de chanvre. Il n’était pas chaussé. Son compagnon, ou plutôt sa compagne en l’occurrence, était son exacte opposé. Petite et menue, elle était habillée de pied en cape de riches et chauds vêtements bordés de fourrure, le plus extravagant étant son long manteau pourpre qui faisait comme une traîne derrière son cheval, touchant presque le sol.
   Syf les regarda approcher, bien campée sur ses jambes, les mains jointes sur le manche de sa hache. Ils s’arrêtèrent à une dizaine de pas. Le capuchon de l’homme plongeait ses traits dans de profondes ombres, desquelles n’émergeaient que des lignes sèches mais puissantes ainsi que le miroitement surnaturel de ses yeux, d’un rouge effrayant. Syf plongea son regard dans le sien, sans ciller, lui démontrant qu’elle n’avait pas peur, qu’elle n’était pas une proie.
   Il lui adressa un imperceptible hochement de tête, en signe de respect.
   Sa compagne rejeta sa capuche en arrière, dévoilant son visage. Bien des bardes avaient chanté la beauté de la Maîtresse de Velours, les plus hardis avançant qu’elle était la plus belle femme du monde, d’autres, plus timorés, arguant qu’elle n’avait d’égale que l’Impératrice Eléonore. Syf était encline à leur donner raison. Son visage avait une grâce et une perfection altières, presque surnaturelles, que l’âge semblait bien en peine d’entamer. Tout, de ses lèvres pleines, à son nez fin, en passant par ses longs sourcils et ses joues rondes, reflétait l’harmonie sereine de ses traits. Ses cheveux châtains, auxquels le soleil accrochait parfois avec amour quelques reflets dorés, étaient fluides et aériens, impeccablement coiffés comme si elle évoluait au sein d’un bal à la cour, et non pas sur un chemin boueux de la campagne. Ses yeux, deux grandes émeraudes scintillantes, pétillaient de malice et d’intelligence.
   -Salutation, général.
   Sa voix était une mélodie, cristalline et envoûtante, mais sous-tendue par une note autoritaire que Syf ne connaissait que trop bien.
   -Maîtresse, répondit-elle avec un infime hochement de tête, en guise de salut.
   Elles s’observèrent en silence pendant une longue minute, jusqu’à qu’un mince sourire déforme les lèvres roses de la cavalière.
   -Cela fait bien longtemps, Syf. Quatre ans, déjà?
   -Quatre ans, oui, confirma la Norske.
   -Et depuis tout ce temps, c’était ici que tu étais cachée, continua la Maîtresse de Velours en laissant son regard promener sur les environs.
   -Je n’étais pas cachée. Leurs Majestés savent parfaitement où me trouver.
   -Oh, je n’en doute pas. Mais c’est une information qu’elles n’ont pas jugé nécessaire de me communiquer. Peut-être avaient-elles peur que je vienne réclamer mes dettes…
   Avant que la femme n’ait achevé sa phrase, Syf avait projeté sa hache de toute ses forces contre la forme indistincte de son compagnon, qui se déplaçait à une vitesse surhumaine. La lame se ficha en plein dans sa poitrine, le stoppant dans son mouvement et l’envoyant au sol sur le dos dans un grognement. La Norske avança tranquillement pour récupérer son arme, immaculée.
   -Je n’ai pas peur de toi, créature, dit-elle calmement en reculant de quelques pas, pour le laisser se relever.
   -Je sais, général.
   Il resta accroupi, son regard rougeoyant fixé sur elle tandis que la plaie sur son torse se résorbait d’elle-même.
   -Bravo! Oui, bravo!, s’exclama la cavalière en riant, frappant dans ses mains. Splendide. Tu n’as rien perdu de ton adresse, à ce que je vois.
   -Qu’est-ce que vous faites ici?, rétorqua Syf sur un ton agressif. J’avais été très claire, la dernière fois. Je ne souhaite plus rien avoir à faire avec vous. J’ai suffisamment donné pour l’Empire.
   -Oui, en effet. Personne ne remet cela en cause, et certainement pas Leurs Majestés, qui se languissent de toi chaque jour. Tu n’as rien à craindre de moi non plus, Syf. Je t’ai libérée de tes dettes, et je garde ma parole. A vrai dire, si je suis ici, c’est de ta faute.
   Elle ôta un gant, dévoilant une petite main fine à la manucure parfaite, qu’elle glissa dans son corsage pour en retirer une lettre un peu froissée.
   -Tu m’as invitée, après tout.
   -Je ne pensais pas que la Maîtresse de Velours se déplacerait en personne pour si peu, fit Syf en se détendant légèrement. Ce n’était qu’une simple politesse.
   -Et bien, j’étais dans les environs, pour régler certaines affaires. Je me suis dit que j’allais en profiter pour payer mes hommages.
   -J’ai enterré les corps là-bas, dans le verger, indiqua la Norske en pointant avec sa hache.
   -Dans le verger, répéta pensivement la cavalière en remettant son gant, sans même daigner se retourner. C’est logique je suppose. Jasper n’était rien d’autre qu’un fruit pourri tombé de l’arbre après tout. J’imagine qu’en l’éliminant tu m’as rendu un service. Je te suis redevable.
   -Comme je l’ai dit, je ne veux plus rien avoir à faire avec vous. Vous ne me devez rien.
   -Soit. Mais si tu changeais d’avis, tu sais où me trouver, hmm? Je me dois cependant de demander quelque chose. Jasper m’a… volé une « marchandise » de grande valeur. Se pourrait-il qu’il la… « transportait » lorsque tu as mis fin à sa misérable existence?
   -Non, répondit Syf d’une voix claire en la regardant droit dans les yeux.
   La Maîtresse de Velours soupira et leva le regard vers un point situé derrière la Norske. Cette dernière se retourna, et son cœur se serra lorsqu’elle vit le visage de Lyn, à l’une des fenêtres de l’étage. Lorsqu’elle se sut repérée, la jeune femme disparut très vite.
   -Je vois, fit la cavalière avec un sourire intriguant. Tant pis, je suppose. Ce sont des choses qui arrivent, dans ce genre de commerce. Des marchandises disparaissent, des associés meurent, mais parfois c’est pour le mieux, tu ne trouves pas Syf?
   -Certainement. Si vous le dites.
   Soulagée, Syf desserra un peu le poing sur le manche de sa hache.
   -Tu ne nous invites pas à entrer?, demanda la cavalière innocemment. Il fait froid.
   -Je crains que nous n’ayons pas grand-chose de plus à nous dire. Et je ne voudrais pas vous tenir éloignée de vos affaires.
   Un sourire chaleureux se dessina sur les lèvres de la Maîtresse de Velours, qui fit avancer sa monture jusqu’à se trouver au niveau de la Norske. Leurs visages se trouvaient presque à la même hauteur. Elle retira à nouveau son gant, et passa délicatement sa main fraîche sur le front de la grande femme, dégageant une mèche rebelle.
   -Oh, Syf…, murmura-t-elle, ses yeux brillants. Si cruelle. Me pardonneras-tu un jour?
   Sa main se déplaça tendrement jusqu’à la joue de la Norske, caressant les contours effacés de son tatouage. L’intéressée saisit délicatement son poignet, et déposa un léger baiser dans le creux de sa paume.
   -Je t’ai déjà pardonnée il y a bien longtemps, Esmeraude. Tu as fait ce que tu avais à faire. Comme tout le monde.
   -Reviens… Reviens avec moi… Nous pourrions accomplir de grandes choses. Comme avant.
   Syf poussa un soupir et secoua la tête.
   -Non, Esmeraude. J’ai laissé cette vie derrière moi. J’essaie de devenir quelqu’un de bien.
   La Maîtresse de Velours rejeta la tête en arrière et partit d’un grand éclat de rire.
   -Quelqu’un de bien? Allons, chérie. Toi et moi savons qu’une telle chose n’existe pas.
   -Peut-être, rétorqua Syf calmement. Cela ne m’empêchera pas d’essayer.
   Esmeraude poussa un soupir et la contempla avec pitié quelques secondes, jouant avec l’une de ses mèches blondes.
   -Quel gâchis. Mais je sais que je ne te ferai pas changer d’avis.
   -En effet.
   -Et bien, je suppose que cela signifie que nous n’avons plus rien à faire ici. Gratos, nous partons, fit-elle à l’intention de son compagnon qui grimpa souplement en selle tandis qu’elle faisait voleter sa propre monture.
   Ils firent mine de s’éloigner lorsqu’Esmeraude s’arrêta et se retourna.
   -Ha, une dernière chose, général. Nous n’avons toujours pas retrouvé le corps du Cannibale.
   Une sensation de froid s’empara de Syf. Instinctivement, elle raffermit sa prise sur la hampe de sa hache.   
   -Il est mort, répondit-elle d’une voix rauque. Je vous l’ai dit. Je l’ai vu mourir devant mes yeux.
   -Certes. Mais sans corps, comment en être sûr? Leurs Majestés désirent toujours le faire payer pour ses crimes. Et certaines personnes, par ici, murmurent qu’on aperçoit parfois un homme assis sur votre porche. Un homme de faible constitution.
   -On vous aura menti.
   La bouche sèche, Syf avait du mal à trouver ses mots. Son cœur s’accélérait. Ils l’observèrent un long moment, la laissant dans l’expectative. Mais Esmeraude finit par hausser les épaules et reprit sa route.
   -Qu’importe. Si vous dites qu’il est mort, général, c’est qu’il est mort. En ce qui me concerne.
   Syf ne s’autorisa à se détendre que lorsque leurs silhouettes se perdirent de l’autre côté de la petite colline  par laquelle serpentait le sentier.


***


   -Elle est partie, souffla Lyn en descendant lentement les escaliers, l’incrédulité sur le visage.
   -Je te l’avais dit, fit Syf avec un petit sourire contrit. Ma langue est d’argent.
   -Comment…? Ce n’était pas votre première rencontre.
   -Non en effet.
   La Norske soupira en reposant sa hache près de la porte et se frotta la naissance du nez.
   -Avant de m’engager dans l’armée, j’ai travaillé pour elle. Pour le Cercle. Tu es en sécurité à présent. Plus personne ne viendra te chercher.
   -Syf? Quelque chose ne va pas? Tu trembles!
   -Ce n’est rien. C’est juste que… Je dois… Je dois…
   En proie à terreur soudaine, Syf se précipita vers le fond du couloir, écartant la jeune femme sur son passage qui l’appela sans obtenir de réponse. Elle pénétra fébrilement dans la chambre de Locksey, et s’assura qu’il était encore en vie, qu’il allait bien.
   « Leurs Majestés désirent toujours le faire payer pour ses crimes.»
   -Tout ira bien, Lock’, tout ira bien, murmurait-elle en lui agrippant la main. Je vais veiller sur toi… Ils ne te feront plus de mal…
Titre: La Tour du Rouge : [Nouvelle] Quelqu'un de bien.
Posté par: Great Magician Samyël le mardi 22 juillet 2014, 18:03:25
Hello, aujourd'hui, suite et fin de Quelqu'un de bien. Bonne lecture!

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Quelqu’un de bien.



IV.


   Les hurlements de Locksey reprirent cette nuit là. Plus fort que jamais, ils réveillèrent Syf durant les heures les plus noires de la nuit. Les yeux grands ouverts fixés sur le plafond immaculé, elle frissonnait, malgré son épaisse couverture. Parfois les cris se changeaient en longs sanglots humides, et elle avait le sentiment d’entendre des mots, mais ils lui apparaissaient comme déformés, inintelligibles. Son esprit dériva vers la dague à la lame gravée de runes, dans la casette de la bibliothèque. Il serait si simple d’aller la chercher, de faire taire ces cris. De mettre fin à ses souffrances.
   C’était peut-être la bonne chose à faire…?
   Elle cligna des yeux lorsque la porte de sa chambre s’ouvrit doucement en grinçant un peu. La silhouette de Lyn se découpa dans l’embrasure, à peine visible grâce à la faible clarté de la lune.
   -Lyn, c’est toi?
   Elle avait la sensation étrange que sa voix était pâteuse, comme si elle sortait d’un long sommeil alors que cela faisait plusieurs heures qu’elle observait le plafond.
   -Je suis désolée… Locksey, il…
   -Shh, l’interrompit la jeune femme en refermant la porte.
   Syf dut écarquiller les yeux pour continuer à la voir, qui s’avançait. Lyn grimpa sur le lit, avançant à quatre pattes. La Norske pouvait entendre sa respiration tremblante, à cause du froid.
   -Tout va bien maintenant, Syf. Je suis là.
   Syf sentit des doigts tendres s’infiltrer dans ses cheveux, le souffle chaud de la jeune femme qui se rapprochait de son visage. Leurs lèvres se trouvèrent presque instinctivement, d’abord timides, hésitantes, puis gagnant rapidement en assurance. Le cœur battant la chamade, Syf rompit le contact, attrapant la jeune femme par les épaules pour la repousser doucement.
   -Lyn, tu n’es pas obligée de…
   -J’en ai envie Syf. J’ai envie de toi.
   Lentement, elle fit descendre une main de la Norske le long de son buste, jusqu’à ce qu’elle repose sur un sein rond et ferme au téton érigé.
   -Je pense que tu en as envie aussi…, susurra Lyn dans le noir, d’une voix chaude mais tremblante qui traduisait son excitation mais aussi sa peur de s’être trompée.
   Syf ne répondit pas tout de suite, laissant ses mains glisser le long de la peau nue, faisant travailler son imagination. Elle sentait une douce chaleur se répandre dans son ventre, une chaleur comme elle n’en avait plus connue depuis des années.    
   -Tu penses bien, souffla-t-elle en l’attirant dans ses bras.


***


   Syf se réveilla à l’aube, l’âme et le cœur apaisés. Un sourire satisfait gagna ses lèvres lorsque des bribes de la nuit passée lui revinrent en mémoire. Elle fit glisser ses doigts le long de son ventre musclé, jusqu’à ce que sa main rencontre celle de Lyn qui y reposait. La jeune femme la contemplait avec des yeux brillants, allongée à son côté sur un coude, la tête au creux de la paume. Le soleil matinal parait ses cheveux de jais de doux reflets bleutés.
   -Tu n’étais pas qu’une simple soldate, n’est-ce pas?, murmura-t-elle en souriant, son pouce caressant tendrement les doigts de la Norske.
   Syf fronça les sourcils et se redressa légèrement.
   -Qu’est-ce que tu veux dire?
   -Je suis désolée. Je n’ai pas pu résister, répondit la jeune femme en indiquant du menton un coin de la pièce.
   Syf suivit son regard, et poussa un soupir en découvrant ce à quoi faisait référence Lyn. Là où d’ordinaire ne se tenait qu’une silhouette indistincte sous un large drap trônait un présentoir sur lequel reposait une imposante armure de plate, à l’acier luisant. Le large heaume aux longues cornes de démon semblait regarder Syf de sa visière vide et enténébrée, comme s’il cherchait à lui signifier qu’il se souvenait.
   Qu’il se souvenait de toutes les horreurs qu’elle avait commises en le portant.
   En sus de l’armure se trouvaient également un imposant bouclier en bois et en fer, dont l’écu frappé d’une tête de dragon semblait luire d’une clarté surnaturelle, mais également un assortiment d’armes de facture usée, allant de plusieurs épées d’envergures diverses, à une masse d’arme et une hache de guerre à la lame couturée d’éraflures et de brèches.
   -Moi qui te trouvais déjà fascinante, ronronna Lyn en se lovant contre elle, si j’avais su… C’est le fameux général Valgardson, la plus grand héroïne de l’Empire en personne qui m’a sauvée… Cela explique bien des choses.
   -Je n’ai rien d’une héroïne, Lyn.
   -Ce n’est pas ce que racontent les histoires, rétorqua gentiment la jeune femme en lui plantant un baiser sur la joue.
   -Si les histoires étaient vraies, grogna Syf en lui passant un bras autours des épaules, ce serait des faits, et pas des histoires.
   -Tu n’as vraiment pas envie d’en parler, hmm?
   -Non. J’essaie… j’essaie de laisser tout ça derrière moi.
   -Tout de même. Le général Valgardson. Comment n’ai-je pas pu deviner? Il y a même une statue de toi à Salvégide, sur la place du Panthéon!
   -Pour ta défense, le sculpteur m’a bien donné vingt ans de moins.
   Lyn lâcha un petit rire et se redressa, observant la Norske par-dessus son épaule.
   -Et bien si ça peut te rassurer, je trouve que tu es toujours aussi belle qu’il y a vingt ans.
   -Flatteuse.
   -Non, non! C’est vrai!
   La jeune femme sauta au bas du lit et s’approcha du tas de reliques. Elle s’accroupit devant le bouclier, traçant lentement le contour de la tête de dragon du bout d’un doigt.
   -Alors voici le fameux Brisort?
   -Hmmhmm.
   -Il ne paie vraiment pas de mine.
   -C’est vrai. Mais c’est l’un des tous derniers boucliers Havriens encore en circulation. Il n’a pas de prix.
   -Et c’est grâce à lui que tu as pu envoyer Ombre-de-Mort en enfer, souffla Lyn, fascinée. On raconte que tu lui as fracassé le crâne d’un seul coup de bouclier.
   Un frisson glacé parcourut l’échine de Syf lorsqu’elle repensa à l’épisode qu’évoquait sa compagne. Elle en gardait un souvenir bien différent.
   -Ca ne s’est pas passé exactement comme ça…
   Elle quitta le lit à son tour, rejoignant Lyn.
   -Mais si tu veux tout savoir, Brisort n’est pas la pièce la plus impressionnante. Ca serait plutôt ceci.
   Elle s’empara d’une épée longue dans un fourreau ordinaire. Elle la tira lentement, révélant pouce par pouce une lame solide et sombre, veinée de bleu. Lyn écarquilla les yeux devant la beauté de l’alliage.
   -Qu’est-ce que c’est?
   -Voici Sorcepoing. C’était l’épée consacrée des Fallcor, jusqu’à la chute de Myzance.
   -En quoi est-elle faite?, s’enquit la jeune femme en tendant une main hésitante pour en caresser la lame.
   -Du Soiracier. J’ai cru comprendre que sa confection remonte à l’Âge Sombre.
   Syf s’observa un moment dans les reflets du métal. Elle sentait dans son poing les lentes pulsations de pouvoir qui émanaient de l’épée, comme la respiration sereine d’un béhémot assoupi. Elle remisa Sorcepoing dans son fourreau, ne souhaitant pas s’attarder sur ce que cette sensation impliquait.
   -Pourquoi possèdes-tu l’épée consacrée d’une famille royale?, s’interrogea Lyn en l’enlaçant.
   -Elle m’a été… « confiée ». Pour le moment.
   Sans chercher à se libérer de son étreinte, Syf se baissa et retendit le drap par-dessus son vieil équipement, heureuse de le soustraire à sa vue.
   -Merci. Pour cette nuit, glissa-t-elle en ramenant la jeune femme vers le lit. Cela faisait longtemps que j’avais pas connu ça. Je ne m’étais pas rendue compte à quel point cela m’avait manqué.
   -Ne me remercie pas. C’était extraordinaire, pour moi aussi. C’était ma première fois. Avec une femme, je veux dire.
   -Vraiment? J’espère avoir été à la hauteur, dans ce cas. Je crains d’avoir été un peu rouillée.
   -Ho, ne t’en fais pas pour ça. Tu as été parfaite!
   Elles rirent et se laissèrent choir sur le matelas. Pendant quelques minutes elles ne dirent rien, se contentant de se regarder dans les yeux.
   -Reste avec moi, Lyn, murmura la Norske, la gorge nouée.
   La jeune femme sourit, et caressa la joue de sa compagne d’un geste réconfortant.
   -Je ne vais nulle part, Syf. Tout va bien. Je ne vais nulle part…


***


   Le printemps s’annonçait exceptionnellement radieux. Il fut l’occasion pour Syf de retourner travailler à l’extérieur, pour préparer les champs aux semailles et rénover la toiture de la grange qui avait souffert des intempéries de l’hiver. Lyn s’était arrogée de force toutes les tâches domestiques, de la cuisine à la lessive, en passant par le dépoussiérage de la bibliothèque et l’entretient de l’armure de Syf, bien que cette dernière n’observait pas cela d’un très bon œil. Le soir, profitant du retour du beau temps, elles restaient jusqu’à tard dans la nuit sur le porche, parlant de tout et de rien en sirotant des liqueurs que la Norske gardait dans le cellier.
   La condition de Locksey semblait s’améliorer également. Depuis qu’elles partageaient le même lit, ses hurlements nocturnes avaient cessé, au grand soulagement de Syf. Lyn proposa plusieurs fois de s’occuper du malade, mais la Norske refusa toujours catégoriquement, avançant qu’il était son devoir, son fardeau.
   Un matin, un messager de la société des Coursiers de l’Empire se présenta à la ferme, porteur d’une missive de la Maîtresse de Velours en personne. Le message indiquait qu’un nouveau cirque itinérant se produisait à Salvégide, et que parmi les artistes présents se trouvaient quelques vieilles connaissances de Lyn. Elle avait également dépêché une voiture pour la jeune femme, si d’aventure elle désirait effectuer le voyage jusqu’à la capitale, pour « renouer » avec ses anciens compagnons.
   -Ce n’est que l’affaire de trois semaines, tout au plus. Je serai vite revenue, assura Lyn à Syf en grimpant dans la voiture, sous le regard ennuyé du jeune cocher. C’est important pour moi.
   -Je sais, soupira la Norske en lui lâchant la main et en refermant la porte du véhicule. Sois prudente, on ne sait jamais ce qu’Esmeraude peut avoir derrière la tête.
   La jeune femme rit doucement.
   -Ne t’inquiète pas pour moi. Je l’ai côtoyée suffisamment longtemps pour connaître ses tours. Celui-là n’en est pas un, fais moi confiance.
   Le cœur lourd, Syf regarda la voiture s’ébrouer et quitter Bourgbois, en direction de l’est.



***


   Une semaine plus tard, Syf revenait du village, transportant dans sa charrette de nouveaux stocks de graines et de céréales à planter. Elle sut aussitôt que quelque chose n’allait pas lorsqu’elle pénétra dans la maison, après avoir déchargé ses achats dans la grange. Un froid anormal régnait dans la demeure, au demeurant parfaitement silencieuse. Suivant son instinct, Syf s’empara de sa hache à bois et avança prudemment, scannant les pièces au fur et à mesure qu’elle progressait. Son cœur loupa un battement lorsqu’elle vit la porte entrouverte de la chambre de Locksey, au bout du couloir.
   Une haute silhouette longiligne se tenait à côté du lit, dans le noir. Malgré l’obscurité, Syf reconnut son visiteur et reposa son arme.
   -Alors c’est donc vrai, fit-il de sa voix lente et profonde, qui ne cessait d’évoquer à la Norske les abysses d’un tombeau. Mon cousin est encore en vie. Pris en charge par sa victime préférée.
   Syf ouvrit en grand la porte, laissant pénétrer un peu de lumière, révélant les traits sublimes à la lividité cadavérique de Sélinus Fallcor, le Seigneur de la Nécropole. Il avait conservé le visage de jeune premier qu’il avait au jour de sa mort, quelques dix ans plus tôt, et portait la seule tenue qu’elle lui avait jamais vue : un long manteau d’un rouge profond, qui dévoilait son torse nu  et le cercle béant de vide qui transperçait son ventre, ainsi que de larges pantalons de confection Kalishite. Ses fins cheveux blancs retombaient en mèches disciplinées de part et d’autre de ses yeux bleus et glacés. Autours de lui, l’air semblait plus froid qu’en hiver. Sur le mur qui lui faisait face, les ombres étaient particulièrement agitées, s’élançant dans des farandoles folles et terribles, comme en écho à la peur insidieuse qui se frayait un chemin dans les entrailles de Syf.
   -Pourquoi?
   Le mort-vivant se tourna légèrement vers elle, son regard perçant s’accrochant au sien.
   -Pourquoi, général? Je ne comprends pas.
   -Il m’a sauvé la vie, grogna-t-elle en réponse, serrant les poings.
   -Vraiment? Etonnez-moi.
   -Ombre-de-mort, commença-t-elle en frissonnant, de sombres souvenirs lui remontant à l’esprit, allait me tuer. Il avait jeté un sort. Locksey, il… Il s’est interposé. Il l’a encaissé pour moi. J’ai vu… je ne sais pas ce que j’ai vu. Quelque chose est sorti de son corps, et depuis il est comme ça.
   -Une belle histoire. Mais ca ne me répond pas. Mon cousin était un monstre. Nous le savons tous les deux, et vous plus que moi. Je ne dois certainement pas vous rappeler comment il a torturé le fantôme de votre fille, pour le simple plaisir de vous faire souffrir. Je ne dois pas vous rappeler les centaines d’innocents que ses actions ont tués. Je ne dois pas vous rappeler à quel point vous le haïssiez. « N’essayez pas d’intervenir. Locksey est à moi. » C’étaient vos mots, général. Ceux que vous m’avez dits la veille de ce jour fatidique.
   Syf détourna les yeux.
   -Je ne sais que trop bien ce qu’il était. Ce qu’il m’a fait. Ce qu’il a fait à d’autres. Mais ça ne change rien. A la fin, il n’a pas hésité une seconde à se sacrifier pour moi. Pour moi… J’ai une dette envers lui. Je lui ai pardonné.
   -Pardonné, répéta Sélinus, incrédule. Vous avez pardonné à William.
   Il reporta son attention sur son cousin qui gisait toujours dans son lit, les yeux grands ouverts mais éteints.
   -Il mangeait de la chair humaine pour s’abreuver de pouvoir.
   -Je sais…
   -Il a torturé et dévoré des enfants et des femmes.
   -Je sais.
   -Il a apporté le chaos et le désespoir sur l’Empire.
   -Je sais!, cria Syf en tombant à genoux, éclatant soudain en sanglots. Je sais, je sais…, répéta-t-elle, hagarde.
   -Et vous lui avez pardonné. Alors que seuls les dieux savent quelle raison immonde a poussé son esprit malade à sacrifier son âme pour vous sauver. Comment faites-vous?
   -Je ne sais pas, avoua Syf en se prenant la tête entre les mains. J’essaie… j’essaie d’oublier. J’essaie de devenir quelqu’un de bien. Je crois.
   -Quelqu’un de bien, répéta Sélinus comme si l’idée lui paraissait saugrenue. Vous ne cesserez jamais de m’étonner, vous autres mortels. Bien. Je vais prendre mon congé, dans ce cas. Je souhaitais juste m’assurer que mon monstre de cousin n’était plus une menace. J’ai eu ma réponse. Cependant, avant de vous quitter, général, je souhaiterai renouveler mon offre. La couronne de Myzance a toujours besoin d’une tête pour la porter. Sorcepoing vous a déjà désignée comme sa légitime détentrice, et Leurs Majestés m’ont fait part de leur enthousiasme concernant mon offre. Vous n’avez qu’un mot à dire.
   Syf chassa les larmes de ses yeux, et leva le menton vers Sélinus.
   -Ma réponse n’a pas changé. La royauté ne m’intéresse pas.
   Le mort-vivant l’observa un court instant de ses yeux glacés qui ne cillaient pas.
   -Fort bien, fit-il en penchant légèrement la tête sur le côté. Mais sachez que mon offre tiendra toujours, tant que la vie sera en vous. Et après encore, le destin dût-il vous mener sur ce sombre chemin.
   La Norske frissonna à cette perspective.
   -Merci, mon seigneur. Mais ma réponse restera toujours la même. Dans cette vie, comme dans les suivantes.
   -Je vois. C’est une grande perte pour l’Empire mais je ne remets pas en cause votre choix. Adieu, général. Je ne pense pas que nous nous reverrons.
   -Attendez!, l’appela Syf en se redressant. Pouvez-vous me dire ce que représentent ces ombres?
   Elle tendit le doigt vers le mur. Le Seigneur de la Nécropole ne quitta pourtant pas la Norske des yeux.
   -Il n’y a rien sur ce mur, général.
   -Qu… Quoi? C’est impossible!
   Elle reporta son regard sur la pierre blanche, à la surface de laquelle rôdaient des silhouettes tordues et cauchemardesques, dont les bouches irréelles s’ouvraient en de silencieuses imprécations.
   -Je les vois, elles sont…
   -Peut-être est-ce simplement les ombres de votre culpabilité que vous apercevez. Car je vous assure, il n’y a rien d’autre dans cette pièce que vous, moi et le corps de mon cousin. Peut-être n’avez-vous pas pardonné à la bonne personne.
   Abasourdie, Syf recula jusqu’à ce que son dos touche le mur derrière elle. Elle était à peine consciente lorsque le mort-vivant passa près d’elle et disparut sans un mot de plus.


***


   C’est à cette période que les hurlements de Locksey reprirent. Ils semblaient plus forts qu’avant, plus horribles. Syf avait la sensation qu’il souffrait, qu’il souffrait comme il n’avait jamais souffert. Une nuit, le cœur battant, elle crut l’entendre hurler son nom, l’appeler. Des larmes ruisselant le long de ses joues, elle n’osa pas bouger, serrant contre elle le coussin imprégné de l’odeur de Lyn jusqu’aux premières lueurs de l’aube.
   Les jours suivants, elle ne parvint plus à trouver le sommeil, même lors des courtes heures où Locksey était silencieux. Bien qu’il y avait beaucoup à faire à la ferme, elle ne trouvait pas le courage de faire quoi que ce fut. Elle passait de longues heures sur le porche, à côté de Locksey, ses yeux perdus dans la contemplation du paysage qu’elle ne voyait même pas. Elle comptait avec angoisses les heures qui défilaient, un peu plus terrifiée chaque nuit des hurlements qui perçaient le plancher.
   Un soir, un bruit sourd en provenance de l’étage inférieur la tira de sa somnolence. Un frisson glacé la parcourut et elle tendit l’oreille. Son cœur était comme un tambour, résonnant à ses tempes tandis qu’elle entendait dans le couloir du bas des bruits de pas, des pas lourds et maladroits, qui bientôt s’engagèrent dans l’escalier.
   Elle savait qu’elle devait réagir. S’emparer d’une arme, et confronter l’intrus. Mais la peur, la peur la clouait sous sa couverture. Impuissante, elle écarquillait les yeux sur le battant de la porte, terrifiée à l’idée de ce qui allait la franchir. Les pas se firent plus proches, plus inexorables. Ils s’arrêtèrent sur le seuil.
   La porte s’ouvrit doucement, grinçant funestement. Syf retint un cri lorsqu’elle reconnut la silhouette décharnée de Locksey dans l’embrasure. La pâle clarté de la lune se reflétait dans ses yeux fous et écarquillés, illuminait ses traits de goule déformés par un rictus malin.
   -Salope, grinça-t-il d’une voix éraillée qui rappelait le frottement d’une pierre contre une autre. Chienne!
   Il fit quelques pas en avant, titubant comme un ivrogne, ses muscles atrophiés incapables de supporter leur propre poids. De la vermine jaillissait de sa bouche à chacune de ses paroles, se répandant au sol en grouillant, semblables aux ombres qui dansaient sur le mur, en bas dans la chambre pleine de ténèbres. Il tenait à la main le long poignard à la lame gravée de runes. Syf le regarda approcher, en proie à une épouvante comme elle n’en avait jamais connue. Elle voulait hurler, lui crier combien elle était désolée, mais rien ne voulait franchir ses lèvres scellées.
   -Je t’ai sauvé la vie, cracha Locksey en s’effondrant sur le lit, rampant sur les draps, s’approchant d’elle. Je me suis sacrifié pour toi. Et toi… Toi, tu n’es même pas capable de me libérer. De mettre fin à mes souffrances.
   Il n’était plus qu’à quelques centimètres d’elle à présent, et elle pouvait sentir la puanteur de son souffle. Lentement, terriblement, il leva le poignard, et l’abattit…
   -Non!
   Elle s’éveilla en sursaut, le corps emperlé de sueur, le souffle court. Elle cligna des yeux et regarda vivement autours d’elle. Il n’y avait personne dans sa chambre.


***


   Souriante, Lyn passa la tête par la fenêtre de la voiture, observant la silhouette de la maison qui se rapprochait au loin. Elle avait passé un moment formidable en compagnie de ses anciens compagnons, à Salvégide, mais elle se languissait de Syf. Elle n’avait que leurs retrouvailles en tête depuis qu’ils avaient quitté la capital, quelques jours plus tôt.
   Cependant, tout ne se déroula pas comme elle l’avait imaginé. Lorsque la voiture fut suffisamment proche, elle remarqua la Norske assise sur le perron, courbée, la tête penchée en avant.
   -Arrêtez-vous!, ordonna-t-elle au cocher, nerveuse, sentant que quelque chose s’était passé.
   Elle fourra rapidement quelques pièces dans les mains du conducteur et se mit à courir sur le sentier, soulevant sa robe pour ne pas trébucher. Son cœur loupa un battement quand elle constata que les mains de sa compagne étaient maculées de sang, et qu’elle tenait un long poignard à la lame encore dégoulinante.
   -Syf! Syf! Est-ce tu vas bien? Syf!, l’appela-t-elle en se jetant à genoux à son côté, la secouant légèrement par les épaules.
   La Norske releva lentement les yeux vers elle, des yeux embués de larmes. Mais c’était un sourire apaisé qui déformait ses lèvres. Elle porta une main à la joue de Lyn, peu soucieuse de la maculer de sang tant qu’elle pouvait la toucher.
   -Tout va bien, murmura-t-elle d’une toute petite voix. Il est parti, Lyn. Il est parti, tout va bien. Il ne criera plus. Plus jamais.
   -Oh, Syf…, souffla la jeune femme en comprenant ce qui s’était passé.
   Elle s’installa à côté de sa compagne, posant sa tête contre son épaule.
   -Je suis désolée. J’aurais dû être là…
   -Non. Non, c’était… quelque chose que je devais faire seule.
   Elles ne dirent plus rien pendant de longues minutes, savourant le simple fait d’être de nouveau ensembles.
   -Tu sais, finit par dire Lyn sur un ton incertain, ça n’a jamais été Locksey que j’entendais crier, la nuit.
   Un pâle sourire fleurit sur les lèvres de Syf.
   -Je le sais. Je le sais à présent. Tout va bien.


V.


   -Ha! Maîtresse Valgardson! Entez, entrez, c’est toujours un plaisir de vous voir.
   Lyn rendit son sourire au superviseur Galiano et serra chaleureusement la main qu’il lui tendait. Depuis lors première rencontre, près de huit ans auparavant, lorsqu’elle n’était encore qu’une jeune femme effrayée prisonnière la tyrannie d’un bourreau qui lui avait promis une vie meilleure, maître Galiano n’avait pas beaucoup changé. Il semblait faire partie de cette race d’homme sur qui le temps n’avait presque plus d’emprise, passé un certain âge. Certes, sa calvitie était un peu plus prononcée, ses traits un peu plus ridés, ses doigts un peu moins agiles, mais dans l’ensemble, il était le même.
   -Je vous en prie, asseyez-vous, lui indiqua-t-il en pointant le siège de l’autre côté du bureau. Que me vaut cet honneur?
   Lyn prit place, lissant sa simple robe brune et pleine, laissant son regard fureter sur la pièce familière, qui n’avait pas beaucoup changé non plus en un peu moins d’une décennie.
   -Mes vergers sont prêts pour la récolte, expliqua-t-elle en joignant les mains dans son giron. J’aurai besoin d’embaucher de la main d’œuvre, pour quelques jours.
   -Bien sûr, bien sûr, hocha le vieil homme en affichant un air soucieux. De quel volume parlons-nous?
   -Une dizaine. Cela devrait suffire.
   -Comme à l’accoutumée, donc?
   -Comme à l’accoutumée, acquiesça Lyn.
   -Avez-vous déjà décidé de ce que vous comptez faire de votre marchandise?
   Un sourire paisible naquit sur les lèvres de Lyn. Elle avait l’impression de répéter le même rituel chaque année.
   -J’espérais que vous me l’achèteriez, comme l’an passé.
   Le superviseur hocha pensivement la tête, et s’empara de son vieux boulier qu’il manipula quelques instants en marmonnant dans sa barbe. Il finit cependant par le laisser de côté, les sourcils froncés, et fouilla dans la pile de parchemins qui s’entassaient sur le plateau de son bureau jusqu’à extirper une vieux papier qu’il parcourut en ajustant ses lorgnons.
   -Notre société est prête à vous en offrir un demi noble du kilo.
   -Vous savez que ce n’est pas l’argent qui m’intéresse, maître, répondit Lyn en secouant doucement la tête. Votre prix sera le mien.
   -Dans ce cas, l’affaire est entendue.
   Ils se serrèrent la main une nouvelle fois, puis elle déposa sur le bureau une bourse replète.
   -Ceci devrait suffire à couvrir les gages de vos hommes.
   Galiano fit glisser les pièces de cuivre et d’argent devant lui, puis se remit à triturer son instrument, formant de petits tas au fur et à mesure de ses manipulations. Après plusieurs minutes, durant lesquelles Lyn patienta calmement, pianotant négligemment sur les accoudoirs de son siège, le superviseur rassembla les piles en deux tas plus importants, et remit le plus petit dans la bourse, qu’il rendit à sa propriétaire.
   -Puis-je espérer la présence de vos hommes, au point du jour?, demanda-t-elle en se levant.
   -Ils y seront, l’assura le vieil homme en lui prenant les mains une dernière fois. Notre société est heureuse de vous compter parmi ses associés, maîtresse Valgardson.
   -Moi de même, maître, répondit-elle avec un sourire.
   Le superviseur ne lui lâcha pas les mains pour autant. Il hochait lentement la tête, pensif, et elle vit ses épaules s’affaisser.
   -Maître?
   -Ha, pardonnez-moi, madame. Je souhaitais vous exprimer toutes mes condoléances. C’était une femme extraordinaire. Notre ville a perdu l’un de ses piliers. Oui, l’un de ses piliers…
   -Merci, s’inclina-t-elle, refoulant une montée de larmes, en prenant son congé.
   Sur son chemin jusqu’à l’extérieur du vaste entrepôt, les jeunes travailleurs qu’elle croisait lui adressaient des saluts respectueux, retirant leurs chapeaux sur son passage. Placide l’attendait là où elle l’avait attaché, mâchonnant nonchalamment une maigre touffe d’herbe qui poussait entre les pavés de la nouvelle route impériale, qui traversait Bourgbois de part en part. Le vieux cheval lui adressa un regard ennuyé en guise de salut, et poussa ce qui ressemblait à un soupir résigné lorsqu’elle grimpa sur son dos.
   -Allez, mon vieux. On rentre à la maison.


***


   En approchant de la ferme, elle remarqua aussitôt la silhouette assise sur le banc, face au jeune chêne vigoureux. Sans s’inquiéter, elle conduisit Placide jusqu’à la grange, s’assura qu’il avait assez de fourrage et d’eau, puis rejoignit sa visiteuse, grimpant à pas lents la petite bute.
   -Viens, fit la Maîtresse de Velours en tapotant la place vacante à côté d’elle.
   Lyn s’exécuta, dégageant les feuilles ocres et brunes qui s’étaient entassées sur le banc. A l’image de maître Galiano, Esmeraude n’avait pas beaucoup changé en huit ans. Elle était toujours aussi belle, toujours aussi régalienne. Ses vêtements étaient aussi riches qu’à l’accoutumée, sa coiffure parfaite, digne des plus grandes cours. Cependant, Lyn pouvait voir les petites rides qui se formaient au coin de ses yeux, les lignes bleuâtres qui apparaissaient sur le dos de ses mains nues.  Esmeraude, la Maîtresse de Velours, la tête pensante du Cercle, celle qui régnait d’une main de fer sur le crime organisé dans l’Empire avec la bénédiction des Impératrices, vieillissait. Il y avait d’autres signes, moins visibles. Ses yeux de jade étaient moins brillants, moins vifs, et s’ornaient de discrètes cernes que tentaient de dissimuler son maquillage.
   Elles restèrent un moment sans rien dire, observant en silence la pierre tombale qui leur faisait face.
   -Si on m’avait dit, commença Esmeraude d’une voix trainante, qu’elle mourrait dans son lit, paisiblement, je ne l’aurais pas cru. J’ai toujours du mal à le croire.
   Lyn ne répondit rien, se contentant d’écouter le silence apaisant de cette matinée d’automne.
   -Elle paraissait invincible, continua Esmeraude. Il fallait la voir combattre. Rien ne semblait pouvoir l’arrêter.
   -Le temps est le plus implacable des ennemis. Personne ne peut rien contre lui, rétorqua doucement Lyn.
   Sa visiteuse porta une main légèrement tremblante à son visage, tâtant du bout du doigt ses joues qui avaient commencé à s’affaisser subtilement.
   -C’est ce qu’elle désirait, continua Lyn. Elle me racontait souvent que ceux de son peuple, à leur mort, ne rêvent qu’une d’une chose, que leur âme rejoigne un château magique par delà les étoiles, dans le hall duquel ils pourront jouter jusqu’à la fin des temps contre leurs ancêtres et les héros de jadis. Ce n’est pas ce qu’elle voulait. Elle n’a jamais apprécié combattre, n’a jamais pris goût à la violence. Elle se battait parce qu’elle était douée. Mais ce n’était pas ce qu’elle était. Sa passion, c’était la connaissance, les livres, le savoir.
   Esmeraude hocha lentement la tête, pensive.
   -T’a-t-elle jamais raconté ce qui s’est passé ce jour là? Le jour où elle a vaincu Ombre-de-Mort et le Cannibale?
   -Non. Je pense… Toute sa vie, elle a lutté pour occulter ses démons, sans même en avoir conscience. Elle n’a jamais eu de véritables amis, jamais eu de foyer. Elle a voyagé à travers tout le continent, dans le seul but de louer son épée. Lorsque Lock… Le Cannibale, s’est sacrifié pour elle, je crois qu’elle a pris conscience de ce qu’avait été sa vie. De ce qu’elle avait fait.
   Lyn s’interrompit un instant, chassant une larme du bout de son doigt.
   -Pendant quatre ans, elle a pris soin de l’homme qu’elle haïssait le plus, qui l’avait fait le plus souffrir. Chaque jour, sans exception, elle le nourrissait, le lavait, lui faisait la lecture, le bordait. Pendant quatre ans, elle se réveillait presque toutes les nuits, persuadée de l’entendre hurler alors que c’était ses propres cris qui résonnaient à ses oreilles. Elle voyait des ombres sur un mur, dans la chambre de Locksey. Je crois que c’était les souvenirs de ses victimes qui la hantaient. Il lui aura fallu quatre longues années pour trouver la force de se pardonner.
   -Je pense que tu n’y es pas étrangère, fit remarquer la Maîtresse de Velours après avoir médité le récit de Lyn. Elle a eu de la chance de t’avoir.
   -Non, rétorqua aussitôt Lyn en lui posant une main légère sur le bras. C’est moi qui ai eu la chance de l’avoir. Je ne t’ai jamais remercié. Pour m’avoir permise de rester ici.
   Esmeraude fit claquer sa langue.
   -Je me suis dit que c’était sans doute la meilleure façon d’honorer la promesse que j’avais faite à ton père.
   Lyn hocha la tête, un sourire triste sur les lèvres.
   -Sans doute.


***


   -Tu es certaine de vouloir faire ça?
   -Oui, affirma Lyn avec résolution.
   Elle regarda, le cœur lourd, les hommes de main d’Esmeraude qui émergeaient de la maison, transportant avec le plus grand respect les pièces de l’armure d’acier.
   -Je pense qu’elle voulait s’en débarrasser depuis longtemps, mais qu’elle n’a jamais trouvé la force de le faire. Et moi, ce n’est pas cette partie d’elle dont je veux me souvenir.
   La Maîtresse de Velours l’observa un long moment, d’un air indéchiffrable. Elle finit par hocher la tête et extirper de son décolleté une lettre scellée du sceau des Impératrices.
   -Comme convenu, donc. Dix mille royaux d’or, en bons du Trésor.
   -Dix mille?, s’exclama Lyn. Mais c’est bien trop! Ce n’est pas ce que nous avions convenu.
   -Leurs Majestés ont insisté. Elles trouvent même que cela est bien peu, compte tenu des services rendus par le général à l‘Empire. Je n’ai moi-même pas beaucoup insisté pour leur faire entendre raison…
   -Je vois. Merci.
   Lyn s’empara de l‘enveloppe, et la soupesa un moment. C’était beaucoup d’argent. Elle ne savait pas ce qu’elle en ferait, mais elle se jura qu’elle s’en servirait pour de bonnes causes. C’est  ce qu’elle aurait voulu.
   -Bien. Je n’ai plus rien à faire ici, fit Esmeraude lorsque le dernier de ses hommes fut sorti, transportant Sorcepoing dans un écrin spécialement confectionné. Je vais prendre mon congé.
   Lyn la retint, lui prenant les mains.
   -Merci. Merci pour tout.
   La Maîtresse de Velours lui sourit, levant un doigt pour lui caresser la joue.
   -Regarde toi, Lynnaëlle. Tu es devenue une belle femme épanouie. Kennichi aurait été fière de toi. Je suis fière de toi.
   Esmeraude lui déposa un léger baiser sur la joue, et Lyn la regarda partir à la suite de ses hommes de mains, les yeux humides.


***


   Lorsque le soir fut tombé, Lyn passa un long moment dans la bibliothèque, parcourant du regard les nombreux titres qui s’étalaient sur les rayonnages. Après une intense réflexion, elle arrêta son choix sur un épais volume qu’elle coinça sous son bras en redescendant au rez-de-chaussée. Une fois qu’elle se fut assurée que la porte au fond du couloir était bien verrouillée, elle s’enroula dans son châle et sortit, emportant une lampe avec elle, qu’elle tenait à bout de bras pour éclairer son chemin. Elle gravit la bute, frissonnant sous la fraîcheur de la nuit automnale.
   Elle déposa sa lampe sur le banc à côté d’elle. Comme chaque soir, elle resta une longue minute à observer la pierre tombale sous laquelle gisait le corps de sa bien aimée. Les inscriptions, à peine visibles à la chiche lueur de la lampe, lisaient :

« Ci-gît Syf Valgardson.
Ce n’était pas une héroïne.
C’était quelqu’un de bien. »

   Comme chaque soir, elle entama sa lecture à haute voix. Elle ne savait pas si, de là où elle était maintenant, Syf pouvait l’entendre, mais elle avait l’impression de partager quelque chose avec elle, et c’était peut-être ça le plus important, au final. Elle lut de longues heures, jusqu’à ce que le carburant vint à manquer et que la flamme se mit à vaciller follement. Alors elle referma le grimoire et, après avoir murmuré le bonsoir d’un voix douce et chargée de chagrin, elle s’en retourna vers la demeure.
   Sans un regard pour la tombe anonyme qui jouxtait celle de Syf.



Merci d'avoir lu!
Titre: La Tour du Rouge : [Nouvelle] Quelqu'un de bien. (Fin)
Posté par: Doutchboune le vendredi 03 juillet 2015, 14:19:28
Je vais pas écrire un roman, parce que je ne me sens pas l'âme un critique littéraire, mais juste un petit mot pour dire que je viens de lire Quelqu'un de bien, et j'ai vraiment bien aimé. Bravo !

(et oui, je fais de la nécrologie de topic, même pas peur)
Titre: La Tour du Rouge : [Random | Très court] Sans titre #1
Posté par: Great Magician Samyël le mercredi 06 janvier 2016, 23:59:35
Yop, salut tout le monde j'espère que vous allez bien la famille toussa. Je suis fatigué, je glande sur le pc et je suis retombé sur ce site un peu par hasard : http://www.cfsl.net/poule-de-cristal/#  Du coup j'ai spammé jusqu'à tomber sur un truc qui m'inspirait plus d'une ligne et #YOLO comme disent les jeunes. Voici donc le résultat, c'est super court, pas forcément fou mais ça faisait un moment que j'avais envie d'écrire pour écrire alors pourquoi pas ? Je mets l'énoncé à la fin en spoiler car il... spoil #LOL #MDR.

Bonne lecture !

___________

Sans titre #1


   C’était une chose étrange, vraiment.
   La longue embarcation, dénuée de mâts et de rames, voguait paisiblement sur les vagues de vent qui venaient timidement lécher les hautes murailles d’Orazon. C’était un vaisseau sans rien de remarquable, hormis les deux yeux stylisés peints de part et d’autre de sa proue sans ornement. Son bois à la peinture blanche écaillée craquait doucement dans la brise, rappelant à Saron les soupirs d’un vieillard assoupi.
   Il était assis au sommet d’une section à moitié effondrée des remparts qui surplombait le vide de l’à-pic. De ce côté-ci, il n’y avait rien au-delà des murs d’Orazon ; rien qu’une chute vertigineuse vers les profondeurs inconnues. Le vent y soufflait plus fort, peut-être car ici plus qu’ailleurs il était libre de souffler tout son saoul sans obstacles pour l’importuner.
   Il était donc assez inhabituel, pour ne pas dire étrange, de voir un navire voguer dans le vent. De mémoire, Saron n’en avait même jamais vu de toute sa courte vie. Les pieds dans le vide, les mains posées à plat légèrement en retrait de son buste, il observait l’embarcation qui dérivait visiblement sans but précis. De sa position, il distinguait mal les passagers mais il voyait clairement une silhouette debout à la poupe, scrutant l’arrière du vaisseau avec une longue-vue.
   Une rafale de vent secoua les cheveux de Saron, les envoyant danser follement tout autour de son visage ; moins d’une minute plus tard, elle faisait vaciller le bateau. Une certaine appréhension gagna Saron. Pour une raison qu’il ne s’expliquait pas, il craignait que l’embarcation ne se retournât et n’envoyât ses occupants directement dans les profondeurs. Mais l’esquif tint bon. Vaillamment, il se redressa, ses yeux peints obstinément braqués vers l’avant.
   Un sourire léger fleurit sur les lèvres de Saron. Pris d’une inspiration toute enfantine, il frappa dans ses mains et cria des « hourra » qui résonnèrent le long des remparts, comme craignant de s’enfoncer dans le grand inconnu. Malgré tout, son éruption de joie ne passa pas inaperçue. Une silhouette se redressa et vint s’accouder au bastingage. De son perchoir, Saron ne distinguait que son long manteau rouge qui flottait dans le vent. Un symbole était brodé dessus au fil d’or mais Saron eut beau plisser les yeux, il ne parvint pas à l’identifier. L’homme au manteau lui adressa un signe de main auquel Saron répondit avec vigueur.
   Lentement, l’embarcation continua sa route, bercée par les vents capricieux qui la firent obliquer vers l’horizon. L’homme à la poupe ne sembla jamais bouger, visiblement bien décidé à scruter l’arrière du vaisseau. Peut-être était-ce parce qu’ils avaient oublié de peindre des yeux à l’arrière, songea Saron. Le soleil n’était plus qu’une poignée de rayons rougeâtres dans son dos lorsque le bateau disparut tout à fait hors de sa vue.
   Avec un soupir, il se releva et s’épousseta consciencieusement, ne souhaitant pas s’attirer l’ire de sa mère. Le cœur léger, il descendit du rempart, sautant de pierre en pierre le long de la grande fissure ouverte dans la muraille avec l‘aisance née de la familiarité. L’ombre des Tours plongeait déjà la cité dans de profondes ténèbres que les quelques globes à lumière peinaient à dissiper. 
   Sur le chemin du retour, Saron repensait à ce curieux bateau et sa vigie attentive. Il ne pouvait s’empêcher de songer que l’homme au manteau aurait été meilleur à ce poste : à défaut d’avoir deux bras, il possédait encore sa tête, lui.

(Cliquez pour afficher/cacher)
Titre: La Tour du Rouge : [Random | Très court] Sans titre #1
Posté par: Yorick26 le vendredi 08 janvier 2016, 17:29:21
C'est très sympathique mais c'est malheureusement trop court. Je trouve personnellement que la difficulté d'un texte court est d'en peindre juste assez pour que le lecteur voit la même chose que l'auteur, mais pas trop histoire que le lecteur ne veuille pas en savoir plus. Là j'ai eu un peu du mal à visualiser cette cité. Et même le personnage principal, j'ai mis longtemps (enfin j'ai compris vers la fin du texte) à comprendre que c'était un gamin. Je pensais au départ que c'était une femme adulte. Après j'ai peut-être lu de travers puisqu'en y réfléchissant après je comprends mieux pourquoi tu parlais de "courte vie".

Mais bon, comme d'hab la qualité est là. Les idées aussi. Le suspens et le cliffhanger sont là. Bref, un banal texte de GMS qui nous procure beaucoup de plaisir.